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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 21 décembre 2010

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Auditions, ouvertes à la presse, de M. Jean-Pierre Machelon et Mme Rose-Marie Van Lerberghe, dont la nomination au Conseil supérieur de la Magistrature est envisagée par M. le Président de la République.

– Votes sur ces propositions de nominations

– Auditions, ouvertes à la presse, de Mme Martine Lombard et M. Bertrand Mathieu, dont la nomination au Conseil supérieur de la Magistrature est envisagée par M. le Président de l’Assemblée nationale.

– Votes sur ces propositions de nominations.

– Informations relatives à la Commission

La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission procède tout d’abord à l’audition, ouverte à la presse, de
M. Jean-Pierre Machelon, dont la nomination au Conseil supérieur de la magistrature est envisagée par M. le Président de la République.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Conformément à l’article 65, alinéa 2, de la Constitution, la nomination de personnalités qualifiées au Conseil supérieur de la magistrature par le Président de la République doit être précédée d’un avis des commissions compétentes des deux assemblées. L’article 5 de la loi du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution précise qu’il s’agit des commissions chargées des lois constitutionnelles. Conformément à notre Règlement, cet avis doit être précédé d’une audition publique de la personne dont la nomination est envisagée.

Nos collègues du Sénat ont procédé hier aux auditions de M. Machelon et de Mme Van Lerberghe. Ils ont voté, mais le dépouillement des bulletins n’aura lieu qu’au moment où nous procéderons nous-mêmes au dépouillement, c’est-à-dire immédiatement après l’audition de Mme Van Lerberghe, qui suivra celle de M. Machelon.

M. le professeur, je vous invite à un propos liminaire pour vous présenter, puis mes collègues ne manqueront pas de vous poser des questions.

M. Jean-Pierre Machelon. C’est un grand honneur pour moi de me présenter devant vous en qualité de candidat proposé par le Président de la République pour siéger au Conseil supérieur de la magistrature. Je mesure comme un privilège de pouvoir dialoguer avec la représentation nationale sur un sujet de première importance comme la magistrature ; je suppose qu’elle sera, autant et plus que ma personne, au centre de cette audition. Je vais néanmoins indiquer brièvement les points saillants de mon parcours professionnel et les raisons de mon intérêt pour le sujet.

Ma carrière, déjà longue puisque j’ai 65 ans, est essentiellement celle d’un professeur, qui a choisi rejoindre l’université par goût de la libre recherche intellectuelle et qui s’y est trouvé bien, tout en étant appelé de temps en temps à sortir des amphithéâtres pour remplir d’autres missions de service public relevant davantage de l’administration active.

Après mes études supérieures aux facultés de droit et des lettres et à l’Institut d’études politiques de Paris, j’ai parcouru le cursus normal des juristes universitaires. Celui-ci passait à mon époque par l’assistanat et le doctorat d’État. J’ai ensuite été nommé, à l’issue du concours d’agrégation de droit public, professeur à l’université d’Auvergne, où je suis resté jusqu’en 1987. Depuis lors, je suis en poste à l’université Paris Descartes (Paris V). J’y ai enseigné le droit constitutionnel et l’histoire de la pensée politique. Élu doyen il y a quelques années, je dirige la faculté de droit de cette université, ainsi que son centre de recherche en droit public. À un autre titre, plus littéraire, je suis aussi, à la Sorbonne, « directeur d’études cumulant » à l’École pratique des Hautes Études et titulaire de la chaire d’histoire des institutions européennes.

Parallèlement à mon activité universitaire, j’ai été amené, depuis de nombreuses années, à exercer différentes responsabilités. J’ai été conseiller au cabinet de René Monory, président du Sénat, pour les questions juridiques et institutionnelles – ce qui m’a permis d’assister en spectateur privilégié, mais pas tout à fait inactif, à la rénovation du Conseil supérieur de la magistrature par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993. J’ai occupé également, depuis vingt-cinq ans, des fonctions dans l’administration de la recherche : à deux reprises au ministère, rue Descartes, comme chef de département ou directeur scientifique, et à la direction du CNRS, pour les sciences de l’homme et de la société. Mon intérêt pour la matière n’a d’ailleurs pas faibli puisque je suis depuis 2005 administrateur du CNRS.

Parmi d’autres missions, en France et à l’étranger, je me permets de signaler encore, pour leur plus grande proximité avec les préoccupations des magistrats dans le domaine des libertés, mon ancienne appartenance à la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, mes fonctions d’expert à la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance du Conseil de l’Europe, et ma présidence de la commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, au nom de laquelle j’ai remis, en septembre 2006, un rapport au ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy.

L’intérêt très vif que je porte à l’institution judiciaire ressort davantage de mon activité et de mes travaux universitaires. Comme doyen de la faculté de droit de l’université Paris Descartes, il me revient la responsabilité d’un institut d’études judiciaires. Cette responsabilité a pour moi un caractère prioritaire. Le succès considérable qu’a connu cet institut depuis plusieurs années – puisqu’il compte aujourd’hui un millier d’inscrits – l’a porté, selon les critères officiels, au troisième rang des IEJ de France.

Comme juriste et historien, j’ai conduit ou dirigé diverses recherches sur la magistrature en France et son évolution jusqu’à nos jours. Ma propre thèse de doctorat comportait des développements étendus sur la magistrature au temps de la IIIe République. J’ai fait paraître depuis, sur la même période, un recueil de textes commentés, qui montre que la « réforme judiciaire », tout en étant l’un des sujets de discussion favoris de la classe politique, était quasiment impraticable. Que de progrès depuis !

D’autres de mes publications sur la magistrature mettent en lumière, par exemple à propos des épurations, l’extrême proximité du pouvoir et des juges au XIXe siècle, spécialement après 1870, et les difficultés qui s’ensuivaient entre la magistrature en place et les régimes politiques successifs. Les conséquences étaient graves pour le crédit de l’institution judiciaire. Un mot prêté par Anatole France à l’un de ses personnages a longtemps résumé une méfiance fort répandue : « Cela seul me cause un insupportable embarras qu’il faille que ce soient les juges qui rendent la justice. »

Tout cela est loin, et même très loin. Au moins, en ce domaine, l’étude du passé rend-elle optimiste pour l’avenir, ou relativement optimiste car le besoin de justice des sociétés contemporaines, toujours plus impérieux, interdit les pronostics péremptoires. La transformation du Conseil supérieur de la magistrature qui vient d’être opérée est en tout cas de nature à conforter ce sentiment d’optimisme. Sans porter de jugement sur ce nouveau CSM, j’avoue être aujourd’hui plus sensible aux promesses de la réforme qu’inquiet de ses éventuelles insuffisances. La plupart des commentateurs n’ont d’ailleurs pas manqué de relever que ce nouveau Conseil, désormais présidé par les deux plus hauts magistrats du pays et pourvu d’un droit de regard – certes inégal – sur l’ensemble des nominations de magistrats, était mieux à même qu’auparavant d’assurer l’indépendance du corps judiciaire vis-à-vis du pouvoir politique. Il est également mieux à même d’éviter le corporatisme. Le Conseil supérieur de la magistrature n’est plus le conseil supérieur des magistrats, ceux-ci devenant minoritaires dans les deux formations spécialisées, siège et parquet, même en matière disciplinaire, comme l’a décidé le Conseil constitutionnel le 19 juillet dernier. Quant à la faculté nouvellement accordée aux justiciables de saisir le CSM à l’encontre d’un magistrat du siège ou du parquet, elle fait naître beaucoup d’espoirs. Il est indéniable qu’elle s’inscrit, au même titre, par exemple, que la question prioritaire de constitutionnalité, dans le mouvement actuel de renforcement de l’État de droit.

Des inconnues demeurent, comme toujours en pareil cas, sur la portée des innovations. Dans le cadre de l’institution rénovée, je souhaite aider à les lever. Je le souhaite d’autant plus vivement que le nouveau Conseil aura, directement ou indirectement, à connaître des grandes questions, statutaires ou matérielles, que soulèvent l’activité judiciaire et la recherche d’une bonne justice, c’est-à-dire d’une justice indépendante, sereine, efficace, donc rapide et lisible.

La gestion du corps judiciaire, à travers les nominations et promotions ou le traitement des dossiers disciplinaires, ne peut se pratiquer sans avoir égard aux moyens de la justice, ni à la portée réciproque du principe de l’inamovibilité des magistrats du siège, lié constitutionnellement à leur indépendance, et de l’impératif « managérial » de mobilité, déjà pris en compte depuis la loi organique de 2001. Le principe de l’unité du corps judiciaire, fondamental lui aussi quoique souvent discuté, posé à l’article 1er du statut de la magistrature et consacré depuis 1993 par le Conseil constitutionnel, ne peut d’ailleurs pas non plus rester sans incidence sur la mise en œuvre de cet impératif de mobilité.

Très directement enfin, il reviendra au Conseil supérieur d’apprécier jusqu’à quel point la responsabilité du juge peut être recherchée sans entamer son indépendance. Entre ces deux exigences de responsabilité et d’indépendance, que l’on oppose parfois, c’est lui qui va détenir le curseur en statuant sur les dossiers disciplinaires. Il aura à mettre à jour en permanence le recueil des obligations déontologiques des magistrats, publié pour la première fois cet été en application de la loi organique du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats. À lui seul, ce chef de compétence, dont l’affaire d’Outreau a révélé l’urgente nécessité, suffirait à justifier au sein du CSM une large présence de non-magistrats. Puis-je ajouter qu’il suffirait aussi à justifier la motivation résolue qui est la mienne pour exercer la fonction à laquelle le Président de la République, sous réserve de votre avis, envisage de me nommer ?

M. Dominique Perben. Votre présentation montre à la fois votre expérience et votre connaissance des problématiques de la magistrature. Pourriez-vous aller un peu plus loin sur la question de la responsabilité du magistrat ? En effet si les autres fonctions du CSM sont bien connues depuis de nombreuses années, en revanche le renforcement de ses possibilités d’intervenir pour évaluer la responsabilité d’un magistrat et prendre éventuellement des sanctions est un changement, très attendu par l’opinion publique, dont la mise en pratique ne sera pas aisée. Comment envisagez-vous l’exercice de cette fonction par le CSM ?

M. Éric Straumann. Il me semble que sous la IIIe République, les magistrats étaient moins critiqués qu’aujourd’hui. Étaient-ils plus indépendants ? Quelle comparaison faites-vous entre les deux époques ?

M. Patrick Devedjian. Que vous inspire cette réflexion de Clemenceau : « Il n’y a qu’un magistrat indépendant en France, c’est le Premier président de la Cour de cassation, et encore, s’il est Grand-croix de la Légion d’honneur » ?

M. Jean-Pierre Machelon. Sur le sujet de la responsabilité, il y a beaucoup à dire. L’innovation a commencé en 1972, avec l’institutionnalisation de la responsabilité de l’État du fait des services judiciaires. C’était un grand progrès car le système traditionnel permettait, en théorie, la mise en cause individuelle du magistrat par la voie – qui n’aboutissait jamais – de la prise à partie, mais pas celle de l’État.

Un deuxième pas a été accompli par le législateur organique en 2007 lorsqu’il a créé, dans l’émotion qui a légitimement suivi l’affaire d’Outreau, une nouvelle sanction disciplinaire – l’interdiction d’exercer des fonctions à juge unique pour une durée maximale de cinq ans –, augmenté le nombre de sanctions disciplinaires pouvant être assorties du déplacement d’office et fait prévaloir la nécessité de mettre au point un recueil des obligations déontologiques des magistrats.

Un troisième pas, je pense, va être accompli par le Conseil supérieur de la magistrature, dans des conditions qui n’ont pas d’équivalent dans le passé de notre pays et qui font la part belle aux personnalités extérieures au corps judiciaire. Celles-ci, désormais majoritaires, sont censées être davantage à l’écoute de la société et moins sensibles à des préoccupations corporatives. Sur ce plan, tout est à faire ; il m’est donc difficile de donner des détails sur ce qui pourrait être fait, mais c’est à mon avis l’une des fonctions les plus importantes qui attendent les membres du nouveau Conseil supérieur.

À l’époque de la IIIe République, on ne peut pas dire que le magistrat était moins critiqué qu’aujourd’hui : je crois au contraire qu’il l’était beaucoup plus. On ne peut pas dire qu’il était plus indépendant : je crois au contraire qu’il l’était beaucoup moins. Il faudrait, bien sûr, nuancer le propos selon les périodes et les catégories de magistrats mais, d’une façon générale, la proximité extrême du magistrat avec le monde politique ne le mettait pas à l’abri des critiques quant à son indépendance. Cette proximité venait de son statut, qui restait celui voulu par Napoléon. On parlait beaucoup de réforme de la justice, mais finalement celle accomplie par la loi de 1883 n’était pas une réforme profonde. Du point de vue statutaire, le juge souffrait dans son indépendance, par exemple des multiples échelons pour l’avancement. En effet, pour être indépendant, il faut n’avoir rien à demander : ni décorations, ni avancement, ni primes, ni indemnités. Cet héroïsme n’a jamais pu être le fait des juges, tout simplement parce qu’il n’a jamais pu être le fait de quiconque.

Sous la IIIe République, les critiques à l’égard de la magistrature n’étaient pas seulement formulées par des écrivains de gauche ou d’extrême gauche contestant le système existant, comme Anatole France. Elles le furent sur tous les bancs, à toutes les époques. Je vous renvoie à la pièce d’Eugène Brieux, La Robe rouge, extrêmement sévère pour la magistrature. Ce décri était-il justifié ? Je me garderai bien de répondre à cette question.

Quoi qu’il en soit, nous sommes aujourd’hui dans un tout autre contexte. Le statut est beaucoup plus protecteur de l’indépendance de la magistrature. Toutes les réformes qui sont intervenues depuis maintenant bien des années vont dans le même sens et tendent à conforter cette indépendance, qui ne doit pas être non plus comprise comme incompatible avec la responsabilité. Il ne peut pas s’agir d’une responsabilité civile, même si, en théorie, elle pourrait être envisagée par le biais d’une action récursoire. Il peut s’agir dans certains cas, que l’on peut supposer exceptionnels, d’une responsabilité pénale. Mais il s’agit surtout d’une responsabilité disciplinaire. Voilà pourquoi le rôle du Conseil supérieur de la magistrature sera si important à partir du mois de janvier prochain.

M. Jean Tiberi. La responsabilité est nécessaire, mais il faut assurer l’indépendance du magistrat ; des règles trop strictes brideraient son action. Faites-vous une distinction entre actes détachables et actes non détachables de la fonction judiciaire ?

M. Jean-Pierre Machelon. Il est tout à fait certain que le contenu des jugements ou arrêts ne peut servir à mettre en cause un magistrat : il faut que l’acte répréhensible soit détachable ; le jugement en lui-même ne peut pas être générateur de responsabilité.

M. Jean Tiberi. Le Conseil supérieur se penche déjà sur les actes détachables. Que va-t-il y avoir de nouveau ?

M. Jean-Pierre Machelon. Les particuliers pourront se plaindre auprès du Conseil. Ce point de la réforme me semble extrêmement important. Mais nul ne peut savoir si les justiciables iront en grand nombre dans cette direction, ni comment le Conseil supérieur traitera ces plaintes – terme qui est celui employé dans la loi organique.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je vous remercie pour cet échange.

*

La Commission procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Rose-Marie Van Lerberghe, dont la nomination au Conseil supérieur de la Magistrature est envisagée par M. le Président de la République.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous poursuivons cette série d’auditions avec Mme Rose-Marie Van Lerberghe, présidente du directoire de la société Korian, ancienne inspectrice générale des affaires sociales, dont la nomination au CSM est envisagée par M. le Président de la République.

Mme Rose-Marie Van Lerberghe. Je suis très honorée d’avoir été pressentie pour cette fonction mais, je ne vous le cache pas, j’ai été surprise car je ne suis pas du tout spécialiste des questions de justice. J’ai compris qu’il était attendu de certains membres du CSM qu’ils apportent un regard neuf, celui de la société civile. À cet égard, j’espère pouvoir apporter ce que j’ai pu apprendre tout au long de mon parcours professionnel – fait de plusieurs allers et retours entre le public et le privé –, notamment en termes de gestion des compétences, de gestion de carrières et de management. Très attachée au service public, je considère comme un défi formidable de participer au CSM dans sa nouvelle configuration, porteuse d’une ambition forte d’évolution de la justice. Si, modestement, je peux y apporter ma pierre, ce sera un honneur et une satisfaction.

M. Dominique Perben. Même si nous avons tous consulté votre curriculum vitae, il serait intéressant que vous illustriez cette expérience que vous évoquez, notamment en matière de gestion humaine et de gouvernance, afin que nous puissions mieux comprendre ce que vous êtes susceptible d’apporter au CSM nouvelle formule, qui comportera une majorité de personnalités extérieures à la magistrature et aura un rôle plus grand en matière de contrôle de la responsabilité personnelle des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions.

Mme Rose-Marie Van Lerberghe. J’ai consacré les dix premières années de ma carrière à la fonction publique : inspection générale des affaires sociales (IGAS) puis délégation à l’emploi. Je me souviens en particulier d’avoir géré le dossier de l’autorisation administrative de licenciement – qui a disparu au profit d’une prise en charge par la justice.

J’ai ensuite passé dix ans dans le groupe Danone, qui s’appelait encore BSN quand j’y suis entrée : la première moitié en tant que directrice de filiales – les Verreries de Masnières puis la Biscuiterie l’Alsacienne –, la seconde dans les ressources humaines, comme directeur du développement social puis comme directeur général des ressources humaines. Dans ce groupe, particulièrement attaché au dialogue social, j’ai beaucoup appris, notamment en matière de développement des compétences. En France, un poids sans doute excessif est donné à la formation initiale – il arrive encore, à mon âge, que je sois présentée par mes diplômes, ce qui serait inconcevable dans d’autres pays. Certes elle est très importante, mais le travail aussi est formateur ; le développement des compétences est un sujet qui m’a passionnée. Dans toute organisation, qu’elle soit publique ou privée, l’adéquation entre compétences et responsabilités est difficile, mais absolument essentielle.

Après cette expérience dans le privé, je suis revenue dans la fonction publique, en tant que déléguée générale à l’emploi et à la formation professionnelle ; j’avais souhaité que ces deux volets soient réunis car je suis convaincue que la sécurité de l’emploi est d’abord garantie par la formation tout au long de la vie. J’ai mis en place à cette époque les entretiens annuels d’activité et de développement ; les méthodes du privé ne peuvent pas être directement transposées au public, mais on peut largement s’en inspirer.

Je suis ensuite revenue dans le privé, chez Altedia, où j’ai à nouveau travaillé dans le champ des ressources humaines, du développement des compétences et du management.

Alors que j’avais perdu ma qualité de fonctionnaire, j’ai été – ce fut ma première surprise – rappelée pour diriger l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), ensemble qui emploie 93 000 personnes et dont le budget équivaut à celui de la justice. Cette expérience a été difficile mais passionnante. Là déjà, j’ai essayé d’appliquer tout ce que j’avais appris au cours de ma carrière, notamment en mettant en place non seulement les entretiens annuels d’activité et de développement, mais aussi les comités carrière. Je suis en effet convaincue que dans nos sociétés, et notamment pour faire évoluer les services publics, il est indispensable de raisonner en termes d’adéquation entre les compétences et les responsabilités, dans l’intérêt des organisations comme des personnes. La réforme du CSM tend à introduire ces notions ; c’est beaucoup plus délicat que dans le privé, et même que dans le reste de la fonction publique, la justice étant indépendante et la fonction hiérarchique s’y exerçant d’une manière spécifique, mais je suis très intéressée de découvrir comment cette évolution pourra se faire.

À l’AP-HP, j’ai également appris que les choses ne doivent pas être gérées entre soi, les citoyens se sentant concernés. La problématique de la justice est très proche de celle de l’hôpital, qui a connu un peu la même évolution ; les médecins ont considéré pendant très longtemps qu’ils n’avaient de comptes à rendre à personne.

Sans être le moins du monde spécialiste de la justice, je suis passionné par ces sujets et j’espère pouvoir, si je suis nommée, faire profiter le CSM de mon expérience personnelle.

Mme George Pau-Langevin. Votre parcours est certes très brillant mais, jusqu’à présent, vous n’avez pas eu à vous pencher sur les problèmes de la justice. Avez-vous pour idée de faire davantage évoluer les carrières des magistrats selon les critères du management privé ? Estimez-vous que le fonctionnement de la justice doit être davantage soumis à des critères de rentabilité ou d’efficacité ? Avez-vous une opinion sur le statut du parquet et sur la suppression annoncée du juge d’instruction, ou bien pensez-vous vous pencher sur ces sujets ultérieurement ?

M. Guy Geoffroy. Vous avez vous-même indiqué ne pas être une spécialiste des questions de justice, mais vous avez beaucoup insisté sur l’importance des parcours professionnels. Un problème, évoqué dans les conclusions de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, revient de manière récurrente : la possibilité d’occuper alternativement des fonctions de magistrat du siège et de magistrat du parquet. Estimeriez-vous pertinent que le juge, à un certain stade de sa carrière, doive se spécialiser dans l’une ou l’autre des deux fonctions ?

M. Serge Blisko. Pour ma part, madame, je ne vous poserai pas de questions sur votre vision de la justice car le CSM n’est pas le ministère de la justice. Il a vocation à porter un regard, à la fois intérieur et extérieur, sur le comportement des magistrats, en distinguant ce qui est « détachable » et ce qui ne l’est pas.

Je vois une différence essentielle entre l’AP-HP et la justice : la première, compte tenu de l’excellence des soins dispensés dans ses établissements, bénéficie d’une très bonne image, tandis que celle de la seconde – qui souffre du manque de moyens matériels et de personnels – est très dégradée. Avez-vous des idées pour améliorer l’image de la justice ?

M. Éric Straumann. Les magistrats rendant la justice au nom du peuple français, il me semble tout à fait légitime que les membres du CSM ne soient pas tous des magistrats ou des spécialistes de la question – d’autant que cela permet de couper court au reproche de corporatisme. Je suppose que, au cours de votre carrière professionnelle, vous avez eu de nombreux contacts avec l’institution judiciaire. Quelle est votre perception de son fonctionnement ? Quels ont été vos rapports avec les magistrats ?

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Après votre parcours, n’allez-vous pas, si vous êtes nommée au CSM, vous sentir enfermée dans un carcan ? Pourrez-vous exprimer pleinement vos aspirations, dans une institution essentiellement chargée de gérer les carrières des magistrats ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe. Je crois beaucoup au pouvoir de l’interpellation, du questionnement, de l’étonnement ; c’est d’ailleurs pourquoi il est bon de changer de milieu. Notre société est malheureusement très autiste : les médecins restent entre eux, les syndicats restent entre eux, les patrons restent entre eux… Les uns et les autres ont peu d’occasion de se confronter. Pour ma part, j’ai défendu le privé lorsque je travaillais dans le public et j’ai défendu le public lorsque je travaillais dans le privé. Je m’interdis d’arriver dans une fonction avec des préjugés. Le fonctionnement de l’hôpital, par exemple, n’a rien à voir avec l’idée que je m’en faisais en arrivant à la direction de l’AP-HP. Au CSM, j’ai l’espoir de découvrir un monde et de me forger progressivement une opinion.

Il me semble que la demande sociale vis-à-vis de la justice est de plus en pressante. Je ne connais pas de magistrats mais j’imagine que cette fonction n’est pas facile à assumer, d’autant que les attentes sont contradictoires : les justiciables réclament des interventions de qualité, mais dans des délais courts. Et la justice est investie par certains d’une mission qui va bien au-delà de celle de dire le droit au nom du peuple français : je suis très frappée d’entendre énoncer à la télévision l’idée que, le jugement n’ayant pas été assez sévère, les victimes ne pourront pas faire leur deuil ! D’un point de vue philosophique, c’est extraordinaire...

J’ai été soumise à la pression médiatique à l’AP-HP. On sait bien que la presse n’est intéressée que par ce qui ne va pas ; je suppose que c’est la même chose en matière de justice.

Par ailleurs, parler des juges en général, comme des médecins ou de tout autre corps social en général, n’a pas de sens. Le service public compte des personnes absolument extraordinaires, mais aussi, et il faut le dire, d’autres qui ne sont pas à la hauteur.

Et comment avoir une opinion sans bien connaître ? Certes j’ai eu quelques rapports avec l’institution judiciaire ; j’ai notamment, en début de carrière, à l’IGAS – avant la décentralisation –, travaillé avec des assistantes sociales de l’Aide sociale à l’enfance. Elles s’efforçaient, par une action de prévention, d’éviter l’appel au juge ; mais lorsque celui-ci était finalement saisi pour punir, son premier réflexe était de demander si le travail de prévention avait été fait. C’est une très bonne illustration de cette coexistence de points de vue différents : la société est très complexe et, avant de se faire une opinion, il est essentiel de tous les prendre en considération.

La justice a-t-elle réellement une image dégradée ? Je ne sais pas : si c’était le cas, les attentes ne seraient sans doute pas si fortes. La comparaison est difficile avec l’AP-HP, où les médecins ont des comptes à rendre ; la société souhaite que les magistrats rendent des comptes, mais aussi que leur indépendance soit garantie.

Concernant la problématique de la séparation entre magistrature du siège et magistrature du parquet, je me refuse à ce stade à avoir une opinion, ne sachant pas comment cela fonctionne concrètement, mais je perçois qu’il est contradictoire de vouloir garantir l’indépendance totale de la justice tout en assurant l’organisation du système. De même, avant d’évoquer un manque de moyens, il faut se pencher sur leur organisation. Aujourd’hui, je ne dispose pas des éléments pour me prononcer. J’espère me faire une opinion au bout de quelque temps, mais pour l’instant je m’y refuse car elle relèverait du préjugé.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Merci beaucoup pour cet échange.

Nous allons maintenant statuer à huis clos sur les deux nominations envisagées par M. le Président de la République.

*

Délibérant à huis clos, la Commission se prononce d’abord, par un vote au scrutin secret dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement, sur la nomination, envisagée par M. le Président de la République, de M. Jean-Pierre Machelon en qualité de membre du Conseil supérieur de la Magistrature.

Treize commissaires ayant pris part au vote et neuf suffrages ayant été exprimés, la Commission donne un avis favorable, par neuf voix pour et zéro contre, à cette nomination.

Puis, dans les mêmes conditions, la Commission se prononce sur la nomination, envisagée par M. le Président de la République, de Mme Rose-Marie Van Lerberghe en qualité de membre du Conseil supérieur de la Magistrature.

Treize commissaires ayant pris part au vote et douze suffrages ayant été exprimés, la Commission donne un avis favorable, par dix voix pour et deux contre, à cette nomination.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Au terme du dépouillement conjoint des scrutins dans les deux assemblées, je suis en mesure de vous en communiquer les résultats.

Seize parlementaires se sont exprimés en faveur de la nomination de M. Jean-Pierre Machelon, neuf à l’Assemblée nationale et sept au Sénat. Deux se sont exprimés contre au Sénat, aucun à l’Assemblée nationale.

Dix-sept parlementaires se sont exprimés en faveur de la nomination de Mme Rose-Marie Van Lerberghe, dix à l’Assemblée nationale et sept au Sénat. Quatre se sont exprimés contre, deux à l’Assemblée nationale et deux au Sénat.

*

Puis la Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Martine Lombard, dont la nomination au Conseil supérieur de la Magistrature est envisagée par M. le Président de l’Assemblée nationale.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous allons maintenant auditionner successivement Mme Martine Lombard et M. Bertrand Mathieu, professeurs, respectivement, aux universités de Paris II et Paris I, en vue de nous prononcer sur leur nomination au Conseil supérieur de la magistrature, envisagée par M. le Président de l’Assemblée nationale. Seule la Commission des lois de l’Assemblée nationale est appelée à se prononcer.

Mme le professeur, je vous laisse maintenant la parole.

Mme Martine Lombard. C’est un très grand honneur pour moi de me présenter devant votre commission après avoir été pressentie par M. le Président de l’Assemblée nationale pour siéger, si vous m’en considérez digne, au Conseil supérieur de la magistrature, et veiller à l’indépendance de l’autorité judiciaire. C’est une mission dont je mesure d’autant plus l’importance que j’ai été élevée, depuis l’adolescence, dans le culte très républicain de cette indépendance ; mon père a fait une carrière de magistrat du siège, et je dois à sa mémoire de tout faire pour y contribuer.

Pour ma part, je n’ai pas choisi le métier de magistrat, ayant toujours eu pour vocation la transmission. J’ai voulu transmettre, plus encore que des savoirs, des aptitudes. Comme professeur de droit, il m’a paru essentiel de transmettre d’abord l’aptitude à la rigueur du raisonnement ainsi qu’à certaines valeurs. Pour tenter de développer ces aptitudes, et peut-être parce que j’ai été professeur de droit très jeune, je suis souvent sortie du monde universitaire. Pendant sept ans, j’ai travaillé en entreprise, chez Air France, tout d’abord à Roissy comme chargée des relations avec les délégués du personnel navigant, puis comme directrice-adjointe des ressources humaines et enfin, plus longuement, comme directrice des affaires juridiques. On m’a alors proposé le poste de secrétaire générale d’Air France, mais j’ai choisi de réintégrer mes fonctions à l’université. Par la suite, j’ai exercé pendant près de dix ans le métier d’avocat, tout en étant professeur de droit public, ce qui m’a permis de confronter mes enseignements à la pratique des différents degrés de juridiction. Ce fut à nouveau une expérience passionnante et très stimulante. Il m’est cependant apparu qu’il fallait faire un choix, notamment pour préserver une totale liberté d’écrire : cela fait donc plus de sept ans que j’ai cessé de plaider et d’effectuer des consultations.

Par cette confrontation avec le monde extérieur à l’université, j’espère avoir échappé à l’un des principaux risques qui guettent les professeurs : celui d’avoir toujours raison, du moins devant leurs étudiants, et partant de se remettre insuffisamment en cause. Ce risque, d’ailleurs, leur est commun avec les magistrats, qui, pour les justiciables, représentent par définition l’autorité. Si cette dernière est le socle de leur légitimité, elle suppose également que les justiciables aient confiance en leur indépendance et en leur impartialité. Nous savons qu’en cette matière, la partie n’est pas toujours gagnée d’avance. J’avais suivi avec beaucoup d’attention les auditions de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau, laquelle, en plus de révéler des insuffisances de moyens – de jeunes magistrats inexpérimentés étant livrés à eux-mêmes –, avait soulevé des questions touchant à l’essence même de l’institution. La composition du CSM et certaines conditions de formation des magistrats s’en étaient ainsi trouvées revues. Présidente des jurys du concours d’entrée à l’ENA en 2008, je m’étais aussi intéressée à la réforme des concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature. Nous devons en effet nous assurer que les futurs magistrats, du siège comme du parquet, possèdent non seulement un bagage technique, mais aussi des qualités humaines, dès lors qu’ils ont le pouvoir de restreindre les libertés individuelles. Respect des justiciables, capacité d’écoute et aussi de doute doivent précéder leurs décisions, décisions qu’ils doivent par ailleurs rendre sans délais excessifs.

Qu’il existe une pluralité de fonctions, celle de juger et celle de poursuivre, la Cour européenne des droits de l’homme ne cesse de nous le rappeler, et dans un dialogue des juges, les conséquences en sont tirées avec une certaine force. Mais cette pluralité se combine, en France, avec l’unité du corps de la magistrature, avec le fait que tous les magistrats ont vocation à exercer les différents métiers alternativement et sont toujours soumis aux mêmes règles déontologiques, au respect desquelles le CSM doit veiller.

Les membres du CSM ont pour seule feuille de route la Constitution et la loi organique. Ils doivent faire preuve d’indépendance, d’indépendance et encore d’indépendance. Ils doivent faire preuve d’impartialité, laquelle va au-delà de l’indépendance bien que celle-ci en soit une condition absolue, d’intégrité et de dignité, celle-ci reposant notamment sur la conscience qu’il n’existe point de légitimité, pour les membres de l’institution, en dehors de son fonctionnement collégial.

Comment revendiquer toutes ces qualités ? J’espère seulement ne pas y faillir, si vous voulez bien m’accorder votre confiance. J’ai en tout cas conscience qu’il n’existe pas de plus belle mission, pour un professeur de droit, que de veiller aux valeurs qui fondent le pacte républicain, l’État de droit et la séparation des pouvoirs.

M. Patrice Verchère. La possibilité de saisine par un justiciable est la principale innovation contenue dans la réforme du CSM. Elle s’inscrit dans le cadre d’un débat récurrent sur la responsabilité des magistrats. La difficulté, pour le CSM, est de trouver l’équilibre entre la responsabilité disciplinaire des magistrats, fondée sur leurs obligations déontologiques, et la préservation de la sérénité et de l’indépendance de la justice. Comment envisagez-vous ce renforcement de la responsabilité disciplinaire, sachant qu’il convient de donner à la saisine du justiciable son plein effet sans prendre le risque de déstabiliser les juges ?

M. Serge Blisko. Vous avez évoqué vos fonctions à Air France. Les pilotes de ligne s’apparentent un peu aux magistrats en ce qu’ils ne doivent jamais faire d’erreur… Avez-vous eu à connaître de questions disciplinaires, et, si oui, quelle expérience pourriez-vous en tirer pour la magistrature ?

Mme Martine Lombard. La possibilité de saisine par les justiciables est en effet l’un des apports fondamentaux de la réforme du CSM, et elle s’inscrit, comme vous l’avez rappelé, dans le débat sur la responsabilité des magistrats.

Jeune universitaire, j’avais consacré mon premier écrit à la responsabilité du service public de la justice. Longtemps, cette responsabilité a été assumée uniquement par l’État. Si celui-ci a la possibilité d’engager une action récursoire contre les magistrats à raison de leurs fautes, il ne le fait que très rarement, de sorte que, dans les faits, les magistrats jouissent d’une certaine immunité.

La possibilité de saisine par les justiciables ne doit cependant pas déstabiliser les magistrats. À cet égard, la loi organique a prévu des garanties. D’une part, les justiciables ne peuvent saisir le CSM tant que le magistrat est en charge de l’affaire – il existait une réserve, mais le Conseil constitutionnel l’a écartée – ; d’autre part, l’action doit être introduite rapidement – et le justiciable peut l’engager de façon simple, sans avocat. La première de ces deux garanties me paraît la plus essentielle, évitant qu’un justiciable tente délibérément de déstabiliser un magistrat.

Le pouvoir disciplinaire est sans doute l’une des responsabilités les plus ardues pour le CSM. J’en mesure toute l’importance, pour les justiciables comme pour les magistrats. J’observe qu’en formation disciplinaire, le CSM est composé à parité de magistrats et de non-magistrats, ce qui doit être de nature à rassurer les premiers.

Quant aux pilotes de ligne, ils doivent en effet être irréprochables. L’une des principales garanties est le caractère collégial des décisions prises dans les cockpits. Cette collégialité est un moyen d’éviter les erreurs. Par ailleurs, les pilotes doivent faire état de toutes les anomalies qu’ils ont pu constater ; ils sont d’autant plus fortement incités à le faire que l’entreprise s’engage, s’ils le font spontanément, à n’en tirer aucune conséquence disciplinaire. Néanmoins, même si c’est rare, il peut arriver que de lourdes sanctions soient prises ; j’ai eu ainsi eu à traiter une procédure de licenciement d’un pilote en raison des fautes qu’il avait commises.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Il n’y a pas d’autre question. Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Mme Martine Lombard. Permettez-moi seulement de remercier la Commission de son éventuelle confiance. Je sais qu’être membre du CSM est une tâche prenante et difficile, et j’aimerais m’y consacrer avec ardeur.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Merci pour cet échange.

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La Commission procède enfin à l’audition, ouverte à la presse, de M. Bertrand Mathieu, dont la nomination au Conseil supérieur de la Magistrature est envisagée par M. le Président de l’Assemblée nationale.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous allons maintenant entendre M. Bertrand Mathieu, professeur de droit public à l’Université Paris I et président de l’Association française de droit constitutionnel, dont la nomination au CSM est envisagée par le président de l’Assemblée nationale.

M. Bertrand Mathieu. Je suis très honoré de me trouver vous à la suite de la proposition faite par M. le Président de l’Assemblée nationale de me nommer au Conseil supérieur de la magistrature. Après m’être présenté à vous, je voudrais vous faire part des raisons qui motivent mon vif intérêt pour cette fonction.

Âgé de 54 ans, j’ai fait une carrière universitaire classique : docteur en droit en 1985, agrégé de droit public en 1988, j’ai été successivement professeur à l’Institut d’études politiques de Lyon, à l’Université de Dijon et, depuis maintenant un peu plus de dix ans, à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Permettez-moi de rappeler que j’avais envisagé de consacrer ma thèse de doctorat à l’indépendance de la justice en droit constitutionnel français. Conscient de l’immensité de la tâche, j’avais finalement circonscrit mon sujet aux lois de validation, lesquelles ont constitué un poste d’observation particulièrement intéressant des relations entre les juridictions et le Parlement. Comme je me suis par la suite spécialisé en droit constitutionnel, cette question est restée au cœur de mes activités de recherche. Je suis personnellement convaincu qu’il existe aujourd’hui un pouvoir juridictionnel, nonobstant la référence de la Constitution à une autorité, et indépendamment des craintes ou des espoirs que l’émergence d’un tel pouvoir peut faire naître.

En plus de mes activités de recherche, mes fonctions universitaires m’ont conduit à réfléchir, dans d’autres cadres, à l’évolution des institutions et à la place qu’y occupe la justice. J’ai ainsi été membre de la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République en 2002, et membre du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République en 2007 ; à cet égard je serais très heureux que vous approuviez la proposition de M. le Président de l’Assemblée nationale de traduire dans la pratique les réflexions de ce comité sur le CSM.

Je suis actuellement membre du comité de suivi de la question prioritaire de constitutionnalité, établi en partenariat entre le ministère de la justice et l’Association française de droit constitutionnel. J’ai eu l’honneur d’être auditionné à de nombreuses reprises, sur des questions constitutionnelles, par des commissions parlementaires, et notamment par la vôtre.

En tant que président de l’Association française de droit constitutionnel, je tente de mener de front trois priorités : le développement de la recherche en droit constitutionnel, notamment chez les jeunes chercheurs ; les relations avec les pouvoirs publics et les juridictions ; les relations avec les constitutionnalistes étrangers. De ce dernier point de vue, ma participation au comité exécutif de l’Association internationale de droit constitutionnel, ainsi qu’au comité de direction de l’Organisation européenne de droit public, pourra être mise à profit pour prendre en compte des éléments de droit comparé.

Outre mes activités doctrinales, éditoriales et de formation, j’ai participé au jury du concours national d’agrégation et fait partie, pendant plusieurs années, du Conseil national des universités, qui est chargé tant du recrutement que de la carrière des enseignants-chercheurs ainsi que des questions disciplinaires, ce qui constitue bien entendu une expérience de délibération collective.

J’ai également élargi le champ de mes activités aux questions de bioéthique, qui, outre leur intérêt propre, sont un champ d’interaction entre les questions juridiques, les questions sociales et les références à un système de valeurs. C’est un domaine, là encore, où la réflexion collégiale est particulièrement importante.

Enfin, l’une des premières qualités que je me permettrai de revendiquer devant vous est l’indépendance ; non seulement l’indépendance statutaire du professeur d’université, mais aussi l’indépendance d’esprit. Homme de conviction, j’ai toujours tenté de ne pas être prisonnier de préjugés ; passionné par la vie politique, j’ai fait le choix de me garder d’un engagement partisan qui aurait pu affecter, ou plus exactement donner l’impression d’affecter, ma liberté d’expression.

Mon engagement dans la vie de la cité s’est cependant concrétisé par l’exercice d’un modeste mandat de conseiller municipal dans ma petite commune de Bourgogne, mandat trois fois renouvelé que j’exerce depuis plus de vingt ans. Je ne vous cacherai pas que la perspective de devoir l’abandonner constituerait mon seul regret.

J’en viens à quelques observations générales sur la conception que je me fais de la justice.

Je suis convaincu que nous sommes à un moment où s’opère, en France comme ailleurs, une véritable séparation entre le pouvoir politique et le pouvoir juridictionnel, séparation qui a tendance à transcender les autres. Que l’on y soit favorable ou hostile, on ne peut, me semble-t-il, ignorer cette réalité. De ce point de vue, il convient d’abord de considérer que l’indépendance des magistrats est une absolue nécessité, et qu’elle doit s’exercer dans le strict respect des règles constitutionnelles et européennes. Non seulement l’indépendance des magistrats est constitutionnellement et conventionnellement protégée, mais elle représente la pierre angulaire du système constitutionnel tel qu’il découle de l’article 16 de la Déclaration de 1789, lequel articule séparation des pouvoirs et garantie des droits.

Par ailleurs, j’estime qu’une autonomie totale de l’autorité judiciaire, devenue de fait un pouvoir, serait dangereuse. La question de la responsabilité, inséparable du pouvoir, est dès lors posée, mais aussi celle des relations de la justice avec les autres pouvoirs. Il me paraît notamment essentiel que soit assuré le respect du pouvoir normatif du Parlement, et celui des prérogatives du Gouvernement en ce qui concerne la détermination et la conduite de la politique, notamment pénale. La démocratie, telle que nous la concevons aujourd’hui, exige à la fois des systèmes de contre-pouvoirs et des mécanismes de responsabilité. La justice ne peut échapper à cette logique. Si le juge n’est plus la bouche qui dit les paroles de la loi, il ne peut se substituer au législateur dans la détermination de l’intérêt général – ce qui constitue le cœur même de la fonction politique. En revanche, l’État de droit dont le juge est le garant fixe à l’exercice du pouvoir politique un cadre, à la fois procédural et substantiel, s’agissant du respect des exigences constitutionnelles et conventionnelles. Si ce rappel peut sembler bien théorique, voire scolaire, il concerne le cadre dans lequel doivent être appréciées tant la fonction juridictionnelle que l’indépendance des juges.

Par ailleurs, par-delà les garanties institutionnelles, l’indépendance du juge implique le respect du droit et la mise à distance des préjugés, qualités essentielles à l’exercice des fonctions judiciaires, à côté de celles combinant le caractère et l’humanité.

De mon point de vue, le CSM est le garant de l’indépendance du juge, tant dans sa dimension institutionnelle que dans sa dimension personnelle. Il est également un organe de recours pour les justiciables – et la faculté qui leur est donnée de le saisir est une novation majeure.

C’est en affirmant son indépendance, mais aussi du fait de sa composition diversifiée, que le CSM pourra assurer ses différentes missions, qu’il s’agisse de la carrière des magistrats, du respect des principes déontologiques ou, le cas échéant, de réflexions et de conseils sur le rôle et l’organisation de la justice.

En fait, la garantie de l’indépendance des juges a pour unique finalité la protection des droits des justiciables dans le respect des intérêts de la société. Ce sont les citoyens et les justiciables qui doivent constituer le point de référence de toute réflexion sur le fonctionnement et l’organisation de la justice. À cet égard, une réflexion d’ensemble s’impose. Nous sommes à une période de bouleversements, du fait, notamment, du développement de jurisprudences concernant tant la procédure pénale que le statut et le rôle du parquet. L’empilement des textes est toujours préjudiciable à la sécurité juridique et à la cohérence ; il convient sans doute de prendre le temps d’une analyse globale des enjeux, des contraintes et des objectifs.

C’est dans cet esprit, mais avec beaucoup de modestie et de pragmatisme, que j’aborderai mes fonctions au sein du CSM, si vous m’honorez de votre confiance.

Mme George Pau-Langevin. Comment pensez-vous pouvoir concilier la jurisprudence des instances européennes et celle de la Cour de cassation ?

M. Bertrand Mathieu. C’est une question essentielle, sur laquelle je ne réponds évidemment qu’à titre tout à fait personnel.

Le parquet, dans la jurisprudence européenne, pose moins un problème d’indépendance qu’un problème de cumul entre la fonction de poursuite et celle de garant des libertés. À mon sens, il faudrait aller vers la séparation de ces deux fonctions. Même, en effet, si l’on renforçait considérablement l’indépendance du parquet, la difficulté ne serait pas résolue au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.

M. Patrick Devedjian. Très juste.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Monsieur Mathieu, il me reste à vous remercier.

Nous allons maintenant statuer à huis clos sur les deux nominations envisagées par M. le Président de l’Assemblée nationale.

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Délibérant à huis clos, la Commission se prononce d’abord, par un vote au scrutin secret dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement, sur la nomination, envisagée par M. le Président de l’Assemblée nationale, de Mme Martine Lombard en qualité de membre du Conseil supérieur de la Magistrature.

Dix commissaires ayant pris part au vote et dix suffrages ayant été exprimés, La Commission donne un avis favorable, par dix voix pour et zéro contre, à cette nomination.

Puis, dans les mêmes conditions, la Commission se prononce sur la nomination, envisagée par M. le Président de l’Assemblée nationale, de M. Bertrand Mathieu en qualité de membre du Conseil supérieur de la Magistrature.

Dix commissaires ayant pris part au vote et neuf suffrages ayant été exprimés, la Commission donne un avis favorable, par neuf voix pour et zéro contre, à cette nomination.

La séance est levée à 11 heures 45.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné M. Dominique Raimbourg, rapporteur sur la proposition de loi de MM. Jean-Marc Ayrault et Pierre-Alain Muet et plusieurs de leurs collègues visant à mettre fin au traitement discriminatoire des gens du voyage (n°  3042).

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Serge Blisko, M. Dominique Bussereau, M. Alain Cacheux, M.Patrick Devedjian, M. Guy Geoffroy, M. Philippe Goujon, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Mme George Pau-Langevin, M. Dominique Perben, M. Jean-Pierre Schosteck, M. Éric Straumann, M. Jean Tiberi, M. Christian Vanneste, M. Patrice Verchère, M. Jean-Luc Warsmann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Abdoulatifou Aly, Mme Brigitte Barèges, Mme Delphine Batho, M. Jacques Alain Bénisti, M. Marcel Bonnot, Mme Marietta Karamanli, M. Bruno Le Roux, M. Hervé Morin