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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 14 septembre 2011

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 73

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration, dans le cadre de la préparation du rapport d’information budgétaire sur la diversité du recrutement dans la gendarmerie et la police nationales (M. Guy Geoffroy, rapporteur)

La séance est ouverte à 11 h 30.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration, dans le cadre de la préparation du rapport d’information budgétaire sur la diversité du recrutement dans la gendarmerie et la police nationales (M. Guy Geoffroy, rapporteur).

M. le président Jean-Luc Warsmann. Cette audition, autorisée mercredi dernier par notre Bureau, nous permet d’entendre M. Claude Guéant dans le cadre des travaux sur le rapport d’information budgétaire de notre collègue Guy Geoffroy, consacré à la diversité du recrutement dans la gendarmerie et la police nationales.

Cela fait plusieurs années, en effet, que notre Commission a choisi de ne pas rendre seulement un avis sur les budgets dont elle est saisie, mais aussi de proposer à ses rapporteurs d’approfondir un thème particulier.

Si cette audition a été jugée particulièrement opportune sur de nombreux bancs, c’est qu’elle coïncide, par ailleurs, avec la demande d’un groupe politique désireux de vous entendre, monsieur le ministre.

Suivant nos habitudes, je propose de commencer par un exposé liminaire du rapporteur, auquel le ministre pourra répondre ; nous passerons ensuite aux questions sur la diversité dans le recrutement de la gendarmerie et la police nationales, ainsi qu’à toutes les questions d’actualité que nos collègues souhaiteront poser.

M. Manuel Valls. Notre collègue Guy Geoffroy n’est sans doute pas surpris par le succès manifestement rencontré par son travail, tout à fait estimable. Je précise, monsieur le président, que ce ne sont pas des « questions diverses » que nous souhaitons poser. Avec l’autorisation du rapporteur, nous pourrions même commencer par le sujet qui m’a conduit à vous écrire au nom de mes collègues, et dont la gravité n’échappe à personne.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je n’ai pas parlé de « questions diverses », cher collègue, mais de « questions d’actualité ». Je propose tout simplement de respecter l’ordre du jour, ainsi que notre façon habituelle de procéder.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Je me félicite, monsieur Valls, qu’au moins une partie des sujets qui nous occupent aujourd’hui intéresse de nombreux membres de cette Commission, alors même que l’Assemblée ne siège pas en ce moment.

En ma qualité de rapporteur pour avis des crédits de la sécurité, j’ai été chargé par notre Commission de rédiger un rapport d’information budgétaire sur la diversité du recrutement dans la gendarmerie et la police nationales. Ce type de travail, fruit d’une excellente initiative de notre président, nous permet d’aborder d’un peu plus près certains sujets, qui sont souvent au cœur de l’actualité, comme la vidéosurveillance, les unités territoriales de quartier et le sujet que nous abordons aujourd’hui. J’ajoute que ce travail s’intègre parfaitement à l’analyse des crédits à laquelle nous allons nous atteler dans les semaines à venir.

Depuis le début du mois de juillet, j’ai entamé une série de déplacements et d'auditions, afin de rencontrer les responsables du recrutement de la police et de la gendarmerie, les personnes chargées d’accueillir les jeunes dans les centres d'information ou lors des forums, ainsi que les responsables des écoles et les cadres.

Ce travail concerne tous les niveaux de recrutement : j’irai ainsi rencontrer, à la fin du mois, les responsables de la classe préparatoire intégrée (CPI) pour l'accès au concours d'officier de la gendarmerie nationale, et je me suis également intéressé aux CPI mises en place par la police pour les concours d'officier et de commissaire.

S’agissant de la police nationale, je me suis tout particulièrement intéressé aux « cadets de la République », que j’ai pu rencontrer à Fos-Sur-Mer, de même qu’aux adjoints de sécurité.

Je voudrais souligner, tout d’abord, le grand intérêt du dispositif des « cadets », qui permet de remettre à niveau des jeunes en difficulté et de leur offrir des perspectives d'avenir. J’ai été impressionné tant par le dispositif de formation que par les cadets eux-mêmes – j’ai eu l’occasion, en effet, de rencontrer assez longuement la promotion sortante. Tous m'ont fait part de l'importance, dans leur vie, de ce passage par l'école de police – ou de gendarmerie, car c'est aussi vrai des gendarmes adjoints volontaires. Ces jeunes ont pu reprendre confiance en eux et constater qu'ils n'étaient pas des « enfants perdus de la République », comme ils avaient parfois pu le croire.

À l’occasion d’un déplacement à Tulle, le 25 juillet dernier, j’ai également pu assister à la journée d'incorporation d’élèves gendarmes adjoints volontaires. Je me suis notamment entretenu avec trois d’entre eux, choisis au hasard dans l'amphithéâtre où ils se trouvaient réunis. J’ai pu mesurer leur enthousiasme et leur volonté de servir leur pays et leurs concitoyens.

Avant de remettre mon rapport, probablement à la mi-octobre, je me rendrai aussi à Clermont-Ferrand, afin de rencontrer les personnels qui sont en charge de l'information sur les carrières de la police, et qui vont au contact des jeunes. Je me rendrai, en outre, à Lille ou à Amiens pour rencontrer leurs homologues de la gendarmerie nationale. Il me restera ensuite à rencontrer les responsables du recrutement au sein de la direction de la gendarmerie nationale.

Si j’ai souhaité que la Commission puisse dès maintenant vous entendre, monsieur le ministre, c’est afin que nous puissions aborder ensemble un certain nombre d’éléments et de suggestions qui pourraient figurer dans ce rapport.

Après avoir rencontré les « cadets de la République » – pour la plupart des jeunes non titulaires du baccalauréat –, et les responsables de leur formation, il m’a paru souhaitable, en premier lieu, que le dispositif permette de valider des modules du baccalauréat professionnel « sécurité et prévention » grâce à la validation des acquis de l’expérience. Le niveau de formation est, en effet, tout à fait comparable à celui du baccalauréat. J’observe, par ailleurs, que très peu de lycées professionnels franciliens proposent cette formation alors que la région Île-de-France est le premier bassin d'emploi pour les métiers de la sécurité.

J’en viens à la question de la durée de formation. Celle des cadets – presque une année – est très appréciée, et elle me semble tout à fait adaptée. Celle des adjoints de sécurité et des gendarmes adjoints volontaires pourrait, en revanche, être un peu allongée afin que des personnels encore plus efficaces puissent être affectés dans les brigades et les commissariats.

Sur le plan matériel, j'ai été surpris d’apprendre que les cadets perçoivent une rémunération inférieure à celle des adjoints de sécurité (ADS) en formation, alors qu’ils ont le même statut lorsqu’ils sont en poste dans la police nationale. Leur formation est aujourd’hui plus longue, mais leur rémunération est plus faible. Afin d’y remédier, la période de formation des cadets correspondant à celle des ADS pourrait être prise en charge de manière identique sur le plan financier. Je dois préciser, cependant, que cette question n’a été évoquée par aucun des jeunes que j’ai rencontrés : ils n’ont pas choisi leur voie de formation en fonction de la rémunération proposée.

La police et la gendarmerie étant désormais réunies sous votre autorité, monsieur le ministre, je m’étonne, par ailleurs, que les cadets et les ADS ne bénéficient d’aucun tarif réduit en matière de transports pour rejoindre leur famille le week-end, contrairement aux gendarmes adjoints volontaires, qui sont des militaires.

Je voudrais insister, en outre, sur l'importance de la reconversion des adjoints de sécurité et des gendarmes adjoints volontaires. Une partie d'entre eux espère, en particulier, réussir le concours de sous-officier de la gendarmerie ou celui de gardien de la paix. Or, le nombre décroissant des places offertes à ce dernier concours risque de décourager les cadets. J’observe, d’ailleurs, que la date du concours a été décalée et qu’elle ne correspond plus à la fin de leur formation. Il ne faudrait pas que les très grands espoirs suscités chez ces jeunes se traduisent par une déception proportionnelle à leurs attentes.

J’ajoute que les cadets titulaires d'un baccalauréat peuvent aujourd’hui passer le concours externe en cours de formation, tandis que les autres doivent attendre l'année suivante pour se présenter. Ne pourrait-t-on pas envisager de mettre un terme à cette situation en décalant de deux mois le concours interne de gardien ?

Je tiens à rappeler, en dernier lieu, que le ministère de l'intérieur a pris à bras-le-corps la question de la reconversion des jeunes en fin de contrat : leur accompagnement, qui va être prochainement renforcé, suivant un dispositif sur lequel vous pourrez peut-être revenir, me semble essentiel.

Voilà les premières réflexions que je voulais vous livrer. Je ne manquerai pas de les compléter grâce au jeu des questions-réponses qui devrait suivre cette rapide présentation.

M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Je vous remercie d’avoir choisi le thème de la promotion et de la diversité dans la police et la gendarmerie nationales : ce sont des valeurs que ces deux services cultivent depuis longtemps, et qui sont essentielles pour la cohésion de notre société.

Il convient, tout d’abord, de bien distinguer le programme des « cadets de la République » d’une part, de celui des adjoints de sécurité et des gendarmes adjoints volontaires d’autre part. Le premier programme a été conçu dans la perspective d’une mise à niveau en matière de formation et d’une préparation à des concours dont certains jeunes seraient exclus sans supplément de formation compte tenu de leur niveau initial. Ce dispositif permet ainsi à des jeunes mal adaptés aux cursus scolaires traditionnels et à la recherche d’une orientation de découvrir les opportunités offertes par une carrière dans la police tout en bénéficiant d’une préparation aux concours et d’une remise à niveau générale.

C’est pourquoi les cadets de la République, qui sont nombreux – près de 900 sont incorporés, ce mois-ci, dans les écoles de police –, ne disposent pas de la même allocation que les ADS, recrutés dans une logique de service et de professionnalisation, et non de préparation aux concours, même s’ils bénéficient de modules particuliers pour le concours de gardien de la paix.

J’en viens plus particulièrement au dispositif concernant les gendarmes adjoints volontaires et les adjoints de sécurité. L’objectif est d’offrir une deuxième chance : alors que le concours de gardien de la paix exige d’être titulaire du baccalauréat, ce dispositif permet de recruter des jeunes sans cette condition, après une évaluation de leur aptitude et de leur volonté de servir dans la police ou la gendarmerie. Depuis 1997, le dispositif des ADS a permis de recruter plus de 57 000 jeunes, dont 84 % ont un niveau d’études équivalent ou inférieur au baccalauréat, et 46 % sont issus de zones urbaines sensibles – c’est le résultat d’une action résolue des services.

D’une durée de trois mois, la formation comporte l’apprentissage des principes fondamentaux des métiers et des règles d’intervention sur la voie publique. On peut encore la perfectionner, comme vous le suggérez, mais il semble qu’elle convienne aux services employeurs, d’autant qu’elle est prolongée par un accompagnement professionnel permettant à ses bénéficiaires de se perfectionner pendant la durée de leur contrat – 100 heures annuelles de formation sont ainsi dispensées.

Ainsi que vous l’avez indiqué, le ministère de l’intérieur veille à la reconversion professionnelle des ADS et des gendarmes adjoints volontaires, notamment au sein de la police nationale : un deuxième concours d’accès au corps des gardiens de la paix a ainsi été spécialement conçu pour les ADS, les places offertes à ce titre représentant 50 % des effectifs recrutés, contre 40 % à l’origine. S’agissant de la gendarmerie, 55 % des sous-officiers de gendarmerie recrutés en 2010 étaient à l’origine des gendarmes adjoints volontaires. Un nouvel itinéraire est donc en train de se créer, en complément du système des concours. Ce dernier a certes de nombreuses qualités, mais il souffre aussi de défauts que nul n’ignore. Avec ces dispositifs, nous recrutons des candidats qui ont déjà été testés, et qui ont pu vérifier leur propre intérêt pour le métier vers lequel ils s’orientent.

J’ajoute que la reconversion professionnelle concerne d’autres métiers de la fonction publique – la formation continue permet, en effet, de se diriger vers les concours organisés par d’autres administrations –, de même que le secteur privé, en particulier grâce aux partenariats instaurés avec les professionnels de la sécurité privée, les entreprises de transports ou la grande distribution.

Au total, près de 85 % des personnes ayant bénéficié d’un poste d’ADS ont réussi leur reconversion professionnelle. La police nationale contribue donc significativement à l’insertion des jeunes dans une activité professionnelle. Depuis 2002, le taux de reclassement des gendarmes adjoints dans le secteur public ou privé est également de 85 %, ce que je tiens à saluer.

Deux autres éléments témoignent du volontarisme de la police et de la gendarmerie.

La féminisation des forces de sécurité, tout d’abord, va grandissant : on compte actuellement 25 % de femmes dans la police nationale, et j’ai eu la surprise de constater, à mon retour au ministère, que des femmes occupaient désormais des postes dans tous les services – des femmes commandent des CRS, ce qui était encore difficile à imaginer il y a quelques années. On compte, en outre, 15 % de femmes au sein de la gendarmerie nationale.

En ce qui concerne les personnes handicapées, les forces de sécurité ont pleinement atteint leur l’objectif fixé par la loi en matière d’emploi : la police atteint le seuil de 6 % prévu, tandis que la gendarmerie le dépasse largement. Il est vrai que nous avons développé une politique systématique de réorientation des personnels blessés dans l’exercice de leurs fonctions et qui souhaiteraient continuer de travailler dans des services qu’ils affectionnent.

M. Claude Bodin. Un des dispositifs que nous avons adoptés dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) permet désormais de s’engager dans la réserve civile de la police nationale sans en être un retraité : tous les citoyens âgés de 18 à 65 ans sont potentiellement concernés. Pouvez-vous nous indiquer comment le nouveau dispositif se met en place, et quelles sont les tâches dévolues aux réservistes ?

M. Philippe Goujon. Le dispositif dit « passerelle » autorise une autre forme de diversification des profils : grâce au rapprochement, très réussi, entre la police et la gendarmerie, un gardien de la paix peut aujourd’hui être détaché dans la gendarmerie, et réciproquement, ce qui permet aux personnels de diversifier leurs perspectives de carrière et d’enrichir leur expérience. Pouvez-vous revenir sur ce dispositif en nous indiquant ce que vous en attendez pour les personnels des deux forces ?

M. le ministre. Le décret ouvrant la réserve civile au-delà du seul vivier des anciens policiers, en application de la LOPPSI 2, est actuellement en cours d’examen au Conseil d’État – il fera l’objet d’une délibération le 4 octobre prochain. On peut s’attendre à ce qu’il soit publié dans le courant du mois d’octobre.

Les réservistes pourront se voir confier des fonctions de surveillance générale, des fonctions exercées aux côtés des officiers de police judiciaire, des fonctions relevant de la police de la route, ainsi que des fonctions techniques ou scientifiques, et cela d’autant plus facilement qu’ils auront une compétence professionnelle dans ce domaine. On peut ainsi envisager d’attirer dans nos rangs des compétences aujourd’hui absentes. Ces missions pourront être exercées pendant des périodes comprises entre 45 et 90 jours par an. J’ajoute que les réservistes seront dotés d’un uniforme, mais pas d’une arme.

S’agissant de la passerelle entre la police et la gendarmerie, nous avons mis en œuvre cette possibilité, pour la première fois, au cours de cette année : 45 policiers ont ainsi fait l’objet d’un détachement dans la gendarmerie, et 43 gendarmes dans la police nationale. Alors qu’on aurait pu imaginer que les choix soient guidés par des considérations plutôt géographiques, nous avons observé, le plus souvent, un souhait de renouvellement des méthodes de travail, après un certain temps de service dans une unité. Tout cela en dit long sur la motivation de ces agents, ce qui est très encourageant.

M. Manuel Valls. Changeons maintenant de sujet : dans un courrier du 2 septembre dernier, j’exprimais le souhait, au nom des membres de mon groupe, que notre Commission puisse auditionner plusieurs personnalités impliquées dans les repérages de communications téléphoniques visant un journaliste du Monde. Nous vous remercions, monsieur le président, de nous donner l’occasion d’interroger le ministre de l’intérieur sur cette affaire, mais nous ne devons pas en rester là.

La gravité des faits commis exige, en effet, que l'Assemblée nationale puisse auditionner l’ensemble des protagonistes de cette affaire. Qu’ils en aient été des agents actifs, des témoins passifs ou des spectateurs impuissants, tous doivent pouvoir être entendus sur ces atteintes qui ont été portées à la liberté de la presse et à la loi de 1991 relative au secret des correspondances. Dans un contexte marqué par la défiance à l’égard du politique et par bien d’autres révélations, au cours des derniers jours, de telles pratiques ne font qu’éloigner davantage les Français de leurs représentants. Pour restaurer la confiance, il est donc impératif que les institutions républicaines se montrent à la hauteur de leur rôle : la garantie de l’indépendance de la justice et de la liberté de la presse est une priorité essentielle. Il appartient à tous les parlementaires de montrer qu’ils sont les gardiens vigilants des lois et des valeurs !

Cette interpellation n’a rien d’exceptionnel : conformément à sa mission de contrôle, il est naturel que la commission des Lois s’interroge sur cette affaire et qu’elle puisse obtenir des éclaircissements de la Chancellerie, de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) et du directeur de cabinet du Premier ministre. Mais il importe, avant tout, que nous puissions entendre dans les meilleurs délais M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur au moment des faits incriminés, M. Bernard Squarcini, chef de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), ainsi que M. Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale. À défaut, notre groupe envisage de demander la création d’une commission d’enquête conformément aux articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale.

Dans l’immédiat, les membres du groupe auquel j’appartiens vous poseront plusieurs questions, monsieur le ministre, visant à établir non seulement le degré d’information et de responsabilité du ministère de l’intérieur, mais aussi le vôtre dans les fonctions de secrétaire général de l’Élysée que vous exerciez à l’époque. Pour ma part, je voudrais rappeler quelques évidences et un principe.

La première évidence concerne l’infraction légale. Le 1er septembre 2011, vous avez confirmé que la direction centrale du renseignement intérieur avait effectué des repérages de communications téléphoniques au sujet d’un journaliste du Monde, Gérard Davet, pour tenter d’identifier ses sources dans le cadre de l’affaire « Woerth-Bettencourt », qui concerne le financement d’une formation politique. Ces pratiques sont d’autant plus inquiétantes qu’elles concernent des journalistes et mettent en cause la liberté de la presse : en se procurant des informations confidentielles auprès d’un opérateur téléphonique, Orange, sans impératif prépondérant d’intérêt public et hors de toute saisine de l’autorité judiciaire, la DCRI a délibérément violé la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes. J’observe, par ailleurs, qu’aucun des motifs prévus par la loi de 1991 ne peut être retenu : il ne nous a pas semblé, au cours des derniers mois, que l’affaire « Woerth-Bettencourt » avait le moindre rapport avec la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, la prévention du terrorisme, la criminalité et la délinquance organisée, ou la reconstitution et le maintien de groupements dissous. Après avoir démenti qu’il avait été saisi, le délégué général de la CNCIS a d’ailleurs indiqué qu’il n’aurait jamais donné son accord à une telle procédure.

La seconde évidence concerne l’intention, qui est indigne. De l’aveu de Frédéric Péchenard, les fadettes du journaliste ont été demandées à l’opérateur avant qu’un membre de la Chancellerie, en l’espèce M. David Sénat, ne soit mis en cause. Il y a un an, le directeur général de la police nationale ne reconnaissait qu’une brève et ponctuelle vérification ; invité par France Info, le 9 septembre dernier, ce même haut fonctionnaire, qui semble progressivement faire office de fusible dans cette affaire, est allé un peu plus loin en reconnaissant qu’il avait demandé à la DCRI d’identifier la personne qui, soumise au secret professionnel et ayant un accès à des documents sensibles, divulguait des informations confidentielles dans une affaire judiciaire en cours, ce qui constituait une infraction pénale, indiquait-il ; il aura presque fallu un an pour que le Gouvernement reconnaisse, par votre voix, monsieur le ministre, que la DCRI avait effectivement procédé à la surveillance électronique des communications d’un journaliste du Monde.

La loi a donc été violée à plusieurs reprises et la liberté de la presse a été bafouée. Dans quel but ? À quelles fins ? Qui a donné l’ordre de procéder ainsi ? A quel niveau ? Étiez-vous au courant, à votre poste de secrétaire général de l’Élysée ? Votre prédécesseur au ministère de l’intérieur, Brice Hortefeux, a-t-il été informé ? La gravité des faits justifie pleinement nos questions, et appelle des réponses précises. Je demande que nous prenions le temps nécessaire pour en parler avec vous, mais aussi que nous puissions auditionner les personnes dont j’ai rappelé les responsabilités directes et indirectes dans cette affaire, en vue de faire toute la lumière.

Quand la loi est violée, il convient, à tout le moins, que notre Commission puisse poser les questions précises qui s’imposent, et surtout qu’elle obtienne, pour l’opinion publique, des réponses aussi précises que possible.

M. Julien Dray. Au-delà des remarques et des questions qui viennent d’être formulées, je voudrais appeler l’attention sur les explications déjà données dans cette affaire et sur l’absence de réponse du Gouvernement à leur sujet. Quand, d’une part, le directeur général de la police nationale se permet de dire à la radio que, face à une infraction pénale, il a été amené, compte tenu de l’urgence, à en commettre une autre, en allant au-delà de ce que permet la loi, et que, d’autre part, cette déclaration ne suscite pas la moindre réponse des ministres chargés de diriger les hauts fonctionnaires concernés, cela signifie tout simplement que le Gouvernement avalise le fait qu’un haut fonctionnaire de la police, agissant dans le cadre d’une situation urgente que l’on peut comprendre – divulgation de procès-verbaux et instrumentalisation de ces derniers – se permette de s’émanciper du cadre fixé par la loi.

Si cela a eu lieu dans un cas, qui nous dit qu’il ne s’agit pas d’une méthode générale, utilisée dans d’autres affaires, et que, suivant une sorte de logique horizontale, un certain nombre de hauts fonctionnaires n’ont pas échangé des informations dans des conditions pour le moins discutables ? Nous ne serions plus alors dans un État de droit.

On voit bien la philosophie sous-jacente : la fin justifie les moyens, il faut tenir compte de l’urgence, de certains impératifs et de l’intérêt général, etc. Or l’essence de l’État de droit est de ne pas confondre les infractions en commettant d’autres infractions. Nous en sommes pourtant là dans cette affaire.

L’accumulation des révélations et des déclarations, dont plus personne n’arrive à comprendre la réalité, ne peut que jeter le trouble, car vous n’avez pas pris la décision élémentaire qu’aurait dû adopter tout ministre de l’intérieur : quand le directeur général de la police nationale dit à la radio qu’il s’est permis d’outrepasser les lois, le ministre de l’intérieur doit prendre les décisions qui s’imposent dans l’heure qui suit, à moindre d’être le complice de ce type de décisions et d’y avoir participé lui-même, ce que je n’ose pas croire de la part d’un ministre de la République. Votre silence et celui du ministre de la justice sont malheureusement inquiétants. Dans ces conditions, la question est de savoir si les « cabinets noirs » n’ont pas été reconstitués tout au long des années qui viennent de s’écouler.

Plusieurs députés du groupe UMP. Vous en êtes des spécialistes !

M. Julien Dray. Il ne s’agit pas de revenir sur l’histoire…

M. Marcel Rogemont. Des lois ont été votées depuis lors !

M. Julien Dray. La question est simple : couvrez-vous de votre autorité, monsieur le ministre, le fait qu’un haut fonctionnaire n’ait pas respecté la loi ?

M. le ministre. Il va de soi, pour le Gouvernement, que toutes les lois doivent être respectées, celle qui concerne la protection des sources de la presse comme les autres, même si l’on a tendance à les négliger quelque peu – je pense, en particulier au respect du secret de l’instruction et au respect du secret des procédures judiciaires. Pour beaucoup, ces lois, qui sont pourtant extrêmement protectrices des libertés individuelles et tendent à sauvegarder les droits de la défense, ne présentent visiblement plus aucun intérêt, puisqu’elles peuvent être foulées aux pieds tous les jours. Or, et je le répète, pour le Gouvernement, toutes les lois doivent être respectées.

Même si j’ai déjà eu l’occasion de le faire en séance publique, vous me permettrez de rappeler brièvement ce qui s’est passé : au mois de juillet de l’année dernière, un certain nombre de procédures judiciaires, couvertes par le secret de l’instruction, ont fait l’objet de publication dans la presse ; la DCRI ayant eu connaissance du fait qu’un haut fonctionnaire pouvait être l’organisateur de ces fuites, la décision a été prise de mener une enquête pour confirmer ou infirmer cette information.

Compte tenu des éléments en cause – la protection du secret de l’instruction et l’obligation de secret qui s’impose à tout fonctionnaire dans le cadre de son activité professionnelle –, le directeur général de la police nationale a déclenché une enquête, comme il l’a répété publiquement il y a quelques jours. J’entends maintenant dire qu’il servirait de fusible et que ses propos seraient inexacts. Avant de revenir sur les insinuations et les amalgames, qui me semblent graves pour notre vie démocratique, j’aimerais rappeler ce qui s’est produit, à savoir une vérification des communications téléphoniques grâce aux fadettes, lesquelles permettent d’établir l’existence de communications entre des personnes, sans prise de connaissance du contenu de ces mêmes communications.

Personne ne l’a affirmé ici, mais j’ai entendu dire en d’autres lieux que des écoutes auraient été réalisées. Or ce ne fut pas le cas du tout : aucune conversation n’a été écoutée, ni a fortiori enregistrée.

Puisque vous vous érigez en professeurs de morale, permettez-moi de rappeler que 3 000 conversations téléphoniques, concernant 150 personnes, ont été enregistrées entre 1983 et 1986.

M. Manuel Valls. C’est pour cette raison que la loi de 1991 a été votée !

M. le ministre. Je crois que cela valait la peine d’être dit.

M. Marcel Rogemont. Appliquez plutôt les lois !

M. le ministre. Nous les appliquons toutes. Une vérification a ainsi été réalisée. Une plainte ayant été déposée par le journal Le Monde, la justice est saisie, et c’est maintenant à elle de se prononcer.

Vous affirmez, pour votre part, que la loi a été violée et que M. Péchenard devrait être sanctionné pour ce motif. Or, c’est au juge de se prononcer sur la réalité d’une infraction. Nous sommes heureusement dans un pays où les infractions pénales ne sont pas constatées par voie de communiqués de presse ou par des débats entre journalistes, mais par un tribunal. Attendons qu’il se prononce ! Le directeur général de la police nationale et le directeur central du renseignement intérieur ont lancé cette enquête en toute bonne foi, suivant leur interprétation des textes en vigueur. Si une erreur a été commise, c’est à la justice de l’établir.

M. Christian Eckert. Vous n’ignorez pas, monsieur le ministre, que l’obtention des fadettes auprès des opérateurs téléphoniques est régie par la loi, au même titre que les écoutes téléphoniques. Envisagez-vous des sanctions disciplinaires contre ceux qui auraient commis des fautes ? Je précise que ces sanctions ne sont pas seulement pénales : en tant que ministre de l’intérieur, vous êtes le supérieur hiérarchique des personnes citées, qui ont reconnu avoir transgressé la loi de 1991.

Vous avez indiqué, par ailleurs, que vous respectiez le secret de l’instruction et celui des procédures judiciaires. Or, selon Le Monde, le directeur d’un grand journal aurait été invité à l’Élysée, le 8 juillet 2010, quelques heures avant la publication par son quotidien, Le Figaro, d’extraits des procès-verbaux réalisés lors de l’audition de Claire Thibout dans l’affaire « Woerth-Bettencourt ». L’existence de ces fuites n’a pas été contestée, mais vous allez peut-être le faire devant la représentation nationale. Une première série de fuites a fait l’objet d’une enquête, tandis que d’autres semblent avoir été orchestrées par l’Élysée pour démonter le témoignage de Claire Thibout.

Ma question est donc la suivante : le 8 juillet 2010, avez-vous communiqué à la presse, vous ou l’un de vos collaborateurs au secrétariat général de l’Élysée, des extraits de procès verbaux ?

M. Patrick Bloche. Vous faites référence, monsieur le ministre, à des faits condamnables remontant à 25 ans, mais vous oubliez que deux lois ont été votées depuis : celle de 1991, modifiée en 2004 et relative au secret des correspondances, puis celle du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes, « vendue » à grands renforts médiatiques par le Gouvernement et le Président de la République au nom de l’objectif, fixé en 2007, de rendre la République française « irréprochable ». On sait ce qui est arrivé : ces deux lois ont été délibérément violées. Vous avez beau affirmer que Gérard Davet n’a pas été « écouté », la seule consultation de ses fadettes est une violation caractérisée de la loi de 2010. Il n’existait pas, en effet, d’impératif prépondérant d’intérêt public en l’espèce, et l’enquête a eu lieu en dehors de toute procédure judiciaire.

Comme Manuel Valls l’a rappelé, M. Péchenard et son entourage avaient indiqué en septembre 2010 que la police était intervenue « dans le cadre de sa mission de protection des institutions » et que les vérifications techniques avaient été réalisées après consultation d’une personne qualifiée désignée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Or, le délégué général de la CNCIS, Rémi Récio, a démenti cette information, le 14 septembre 2010, dans des déclarations au Monde et au Parisien. Il a rappelé que, conformément à la loi du 23 janvier 2006, ce type de requêtes ne pouvait être recevable que dans le cadre de la prévention du terrorisme, ce qui n’était bien sûr pas le cas. Que pouvez-vous répondre à cela ?

J’aimerais savoir, en outre, comment vous expliquez que M. Squarcini ait attendu le 2 septembre, soit plus d’un mois après l’intervention de la DCRI, pour saisir le procureur de la République par une note, alors que le haut fonctionnaire soupçonné d’être la source de Gérard Davet avait déjà été prié de quitter son poste. Pourquoi un tel retard ?

Vous venez d’indiquer, par ailleurs, que l’enquête tendait à confirmer ou à infirmer une information faisant de M. Sénat la source des fuites. Dans ces conditions, pourquoi ne pas avoir effectué les vérifications techniques auprès de ce dernier au lieu de le faire auprès de M. Davet, en violation de la loi de 2010 ?

En dernier lieu, pourquoi attendre la fin de l’instruction judiciaire conduite par la juge Sylvie Zimmermann ? N’estimez-vous pas que la responsabilité de M. Péchenard soit suffisamment établie pour qu’il soit administrativement sanctionné par le retrait des fonctions qu’il exerce aujourd’hui ?

Mme Aurélie Filippetti. Lorsque j’ai interpellé le Gouvernement sur cette affaire, le 14 septembre 2010, son porte-parole, Luc Chatel, m’a répondu qu’aucune atteinte n’avait jamais été portée au principe de protection des sources des journalistes, et qu’il était « normal que les journalistes enquêtent et travaillent avec des informateurs ».

Or, les faits viennent aujourd’hui contredire ces affirmations. Aux termes de la loi de 2010, « il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources », c’est-à-dire par l’interception des communications comme par la consultation des fadettes, « que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ». Quel est donc, dans cette affaire, l’impératif prépondérant d’intérêt public ? Il ne s’agissait pas de protéger la sécurité nationale, ni de défendre les intérêts de la nation, mais d’empêcher la divulgation d’informations concernant une affaire en cours. Vous avez ainsi porté une atteinte très grave à la liberté de la presse, dont la protection des sources constitue une des « pierres angulaires » selon la jurisprudence européenne. Au lieu de chercher à identifier, dans le cadre d’une enquête pénale, l’auteur d’une violation du secret de l’instruction, vous avez demandé la communication de la liste des appels d’un journaliste : c’est lui qui a été visé dans l’exercice de ses fonctions, qui consistent à donner au public des informations qui peuvent ne pas faire plaisir au pouvoir en place, ou à l’opposition, mais qui sont nécessaires à la constitution d’une opinion publique éclairée. Vous n’aviez naturellement pas besoin de connaître le détail des conversations, car leur contenu figurait dans la presse : il s’agissait des auditions concernées ; vous souhaitiez seulement savoir à qui ce journaliste pouvait bien parler.

Vous nous dites, monsieur le ministre, que la justice doit se prononcer dans cette affaire. Selon un arrêt rendu, le 5 mai 2011, par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux, la violation du secret professionnel dans le cas d’une enquête pénale est effectivement une « infraction d’un notable degré de gravité » […] « à ce titre, la recherche de l’auteur d’une telle violation pourrait constituer un but légitime de nature à justifier une atteinte, dans certains cas exceptionnels, au droit éminent d’un journaliste à la protection de ses sources ». En l’espèce, l’enquête policière portait toutefois « sur la dénonciation pour le moins hypothétique, par un particulier, de la probabilité, voire simple possibilité, de la commission d’un délit de violation du secret professionnel ». La première condition, à savoir l’existence d’un impératif prépondérant d’intérêt public, n’était donc pas remplie.

Depuis 2010 – Brice Hortefeux était alors ministre de l’intérieur, tandis que vous occupiez la fonction de secrétaire général de l’Élysée –, le Gouvernement a donc menti et organisé une communication variable au fil du temps, à mesure que de nouvelles révélations venaient infirmer les justifications précédemment apportées. Une violation manifeste de la loi relative à la protection du secret des sources a bien eu lieu, et une atteinte très grave a été portée à l’exercice de la liberté de la presse dans notre pays – selon Reporters sans Frontières, la France a d’ailleurs régressé au 44e rang mondial en ce qui concerne la liberté de la presse. C’est pourtant un principe fondamental, reconnu tant au plan constitutionnel qu’au plan européen.

Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour rétablir l’État de droit dans notre pays ?

M. Jean-Jacques Urvoas. Comme je n’ai pas bien compris la position du ministre sur le plan strictement administratif, j’aimerais savoir, en premier lieu, s’il condamne la méthode utilisée par la DCRI, service relevant de son ministère.

En second lieu, est-il possible de croire que le directeur d’une administration centrale d’une telle importance aurait agi sans informer son ministre de tutelle ?

Comment peut-on affirmer, par ailleurs, qu’un haut fonctionnaire aurait éventuellement le droit de s’émanciper du cadre de la loi ? À vous suivre, ce qui s’est passé serait alors illégal, mais pas illégitime.

En quatrième lieu, pouvez-vous nous dire si vous avez donné des instructions à des directeurs d’administration centrale, fussent-ils des préfets, lorsque vous étiez secrétaire général de l’Élysée ?

Enfin, quelle conséquence la mise en examen du directeur général de la police nationale ou du directeur central du renseignement intérieur pourrait-elle avoir, selon vous, sur le fonctionnement des services de la République ?

M. le ministre. Tant les orateurs précédents que ceux qui viennent de s’exprimer ont évoqué à plusieurs reprises l’État de droit dans lequel nous avons la chance de vivre. Je tiens à rappeler que l’État de droit, c’est aussi la protection des personnes et le respect de la présomption d’innocence.

Je le répète : une instruction judiciaire est un cours. Une instance judiciaire dira le droit. Il me paraît très grave, eu égard à l’État de droit que, tous, nous chérissons, de faire des procès à l’avance, d’interpréter des textes, de caractériser des infractions pénales. Je ne vais pas sanctionner le directeur général de la police nationale alors qu’une instance a été déposée qui, peut-être, conclura au caractère irréprochable de la procédure.

Tous, vous affirmez que la loi a été violée. Mais c’est au juge qu’il appartient de le déterminer.

M. Henri Emmanuelli. Le directeur général de la police a lui-même déclaré qu’il avait violé la loi.

M. le ministre. Non, il n’a jamais déclaré qu’il avait violé la loi ! Il a dit qu’il avait donné une instruction…

M. Bernard Derosier. …contraire à la loi !

M. le ministre. Il n’a jamais déclaré qu’il avait violé la loi. Je m’insurge en faux contre ce que vous dites. Il a dit qu’il avait donné une instruction pour vérifier les communications téléphoniques.

Cette affaire concerne également la législation sur les interceptions téléphoniques. Je mets quiconque au défi de trouver dans les textes actuels, qui constituent notre droit positif, une disposition relative aux fadettes, pour la simple raison qu’à l’époque où la loi a été votée, les fadettes étaient technologiquement impossibles.

Face aux insinuations qui commencent à percer – le « vous » a été utilisé à la fois au sens collectif et au sens personnel –, je tiens à rappeler que, n’étant pas, à l’époque ministre de l’intérieur, je n’ai pas donné d’instructions. Je n’en ai pas non plus donné comme secrétaire général de l’Élysée, où il n’y a jamais eu de cabinet noir. Mais la situation est telle que les questions posées deviennent des certitudes ! C’est très grave sur le plan de la vie démocratique.

M. Jean-Jacques Urvoas. Condamnez-vous ce qu’a fait le DCRI ?

M. le ministre. Je ne condamnerai l’action menée par la DCRI que si la justice la déclare irrégulière. La justice ne l’a pas dit.

M. Henri Emmanuelli. Vous attendez que la justice se prononce.

M. le ministre. La justice est une institution qui doit être respectée, et chacun peut en convenir, tout de même. Décider que les procès se tiennent désormais devant l’opinion sans passer par la justice traduirait une dérive considérable.

Il est vrai que, lorsque ce sont les vôtres qui sont concernés, vous n’en tirez pas les mêmes conséquences !

Mme George Pau-Langevin. Vos propos me surprennent, monsieur le ministre : chacun sait en effet qu’en cas d’infraction commise par un fonctionnaire, l’administration peut recourir, à côté de la procédure judiciaire, à la procédure disciplinaire. À partir du moment où la hiérarchie a eu connaissance de certains faits, pourquoi le ministre, qui est l’autorité supérieure, ne pourrait-il pas prendre une décision à l’encontre de fonctionnaires qui n’ont pas respecté le droit ?

Par ailleurs, pourquoi vous a-t-il semblé utile de dénoncer la délinquance des Comoriens à Marseille ? Un grand nombre de personnes d’origine comorienne se sont effectivement installées à Marseille : elles sont, pour la plupart, venues après l’indépendance, et ont réintégré la nationalité française – leurs enfants sont donc français. À quelle méthode statistique avez-vous recouru pour isoler la délinquance commise par cette catégorie de la population ? De plus, quel est l’intérêt, dans la lutte contre la délinquance, d’isoler telle ou telle catégorie de la population ?

De même, à la suite de votre évocation de la délinquance roumaine, notamment sur les Champs-Élysées, nous avons eu à déplorer que notre pays ait été critiqué par les instances européennes pour sa conception assez particulière de la politique à mener à l’égard des Roms. Quel est du reste l’intérêt pour vous de mettre l’accent sur la nécessité de reconduire des Roumains dans leur pays dans la mesure où, demain, avec l’entrée de la Roumanie dans l’Espace Schengen, une telle reconduite sera de l’histoire ancienne ? N’existe-t-il pas un autre moyen de lutter contre la délinquance des mineurs ?

M. Claude Goasguen. La question que je souhaite poser s’adresse à vous, monsieur le président de la commission des Lois.

On ne cesse, ce matin, d’évoquer la violation de la loi : or nous la violons, en ce moment, et nous violons même la loi fondamentale, celle qui garantit la séparation des pouvoirs. La vocation du pouvoir législatif n’est pas de se substituer au pouvoir judiciaire lorsqu’une instance est introduite devant un tribunal. Que la commission des Lois se transforme en parodie de tribunal alors qu’un vrai tribunal enquête sur une affaire très grave, c’est absurde. Il est vrai que nos collègues sont en période électorale : cela ne les autorise pas à utiliser la commission des Lois pour leurs primaires ! Ou alors, il faut faire venir M. Hollande et Mme Aubry pour respecter l’égalité entre les candidats. Nous perdons beaucoup de temps à vous écouter…

Mme Delphine Batho. La responsabilité pénale n’exclut pas la responsabilité politique. Le Gouvernement est responsable devant le Parlement. Le ministre de l’intérieur et le directeur général de la police nationale s’exprimeraient devant les médias sur cette affaire et le seul endroit où il serait interdit d’en parler, ce serait l’Assemblée nationale ?

M. le président Jean-Luc Warsmann. Ce n’est pas le cas.

Mme Delphine Batho. Monsieur le ministre, vous arguez du fait que la justice est saisie : encore heureux qu’elle le soit ! Dois-je vous rappeler que la plainte du journal Le Monde a été, dans un premier temps, classée sans suite ?

Vous avez par ailleurs insisté sur le fait que le secret de l’instruction doit être respecté : dans ces conditions, comment se fait-il que le parquet ait été saisi le 7 septembre 2010 pour un délit commis le 19 juillet 2010 ?

Vous avez également affirmé que c’est une information de la DCRI qui aurait déclenché l’enquête : or les faits ont établi que la vérification téléphonique a été effectuée le 19 juillet, jour de la parution de l’article dans Le Monde, sur le téléphone du journaliste de ce même quotidien.

Je ne peux pas non plus vous laisser dire – M. Daniel Vaillant interviendra peut-être sur le sujet – que les fadettes sont l’objet d’un vide juridique : elles sont régies par l’article 22 de la loi de 1991. Matignon, dans sa note, comme le délégué général de la CNCIS ont largement expliqué qu’on se trouvait en dehors de tout cadre légal.

Monsieur le ministre, un policier ne peut pas se procurer de fadettes, surtout de la part d’un service de renseignements, sans instruction écrite de son ministre de tutelle ou du Premier ministre. Pouvez-vous nous dire qu’aucune instruction de ce genre n’a été donnée ?

N’étant pas ministre de l’intérieur à l’époque, vous avez également déclaré : « Je pourrais le savoir, mais je me refuse à le savoir ». Pourquoi, monsieur le ministre ?

M. le ministre. Précisez : savoir quoi ?

Mme Delphine Batho. Enfin, à la question visant à déterminer si d’autres journalistes avaient été surveillés, vous avez répondu : « À ma connaissance, non. Une telle enquête, c’est tout à fait exceptionnel. » Ce propos confirme bien l’existence d’une enquête et le fait que vous en connaissiez les tenants et les aboutissants.

M. le ministre. Il m’arrive de lire les journaux !

M. Daniel Vaillant. Je m’exprimerai avec réserve puisque je suis membre, au nom de l’Assemblée nationale, de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Je parle également sous le contrôle de M. Bernard Derosier, qui a été membre de cette institution bien avant moi.

Je me réjouis tout d’abord de l’adoption de la loi de 1991, après qu’un certain nombre de turpitudes eurent été commises. Elle a donné satisfaction puisque, depuis son application sous différents gouvernements, nous n’avons pas été saisis de problèmes aussi graves que celui que nous examinons aujourd'hui.

Cette loi a, de plus, été complétée par celle de 2006 sur le terrorisme, dont l’article 6 prévoit qu’une personnalité qualifiée encadre de manière autonome, sous le contrôle de la CNCIS et de Matignon, les nombreuses demandes relatives à la lutte contre le terrorisme.

Certains éléments du dossier sont troublants.

Chacun a connaissance du rappel à l’ordre, ou du moins du conseil bienveillant du président Jean-Louis Dewost – c’était avant que M. Hervé Pelletier ne le remplace à la tête de la CNCIS – : on subodorait déjà que des opérateurs tels que SFR, Orange ou Bouygues avaient pu être directement sollicités. Le cabinet du Premier ministre avait du reste rappelé aux trois ministères qui ont l’occasion de saisir Matignon et, à travers Matignon, la CNCIS, que les opérateurs ne peuvent pas donner en direct des informations ou des fadettes. Je me place ici, non pas sur le plan judiciaire, mais sur les plans de la loi et des procédures administratives.

Le directeur de cabinet du Premier ministre, après que la réponse du délégué général de la CNCIS, M. Récio, eut paru dans Le Monde, a fait lui-même un rappel à l’ordre au nom du Premier ministre.

Il est facile de mettre en cause le seul directeur de la police nationale du fait qu’il ait déclaré à la radio : « C’est moi. » Ce que je reproche aux fonctionnaires impliqués, si on leur a demandé de contrevenir à la loi, c’est leur non-désobéissance. Il est facile, je le répète, de prétendre que MM. Péchenard et Squarcini ont pris cette décision sous leur bonnet sans en référer à l’autorité politique. Je rappelle que le ministère de l’intérieur est placé sous l’autorité du Premier ministre. Si tel n’est plus le cas depuis quelques années, c’est une erreur. Le Premier ministre ou son directeur de cabinet ont-ils été saisis préalablement de la demande de renseignements de repérage technique auprès de l’opérateur Orange ? Pour le savoir, il nous serait utile d’auditionner le directeur de cabinet du Premier ministre, MM. Péchenard et Squarcini et, de nouveau, vous-même, monsieur le ministre. J’ai le sentiment que c’est à juste titre que Matignon ne se sent pas concerné par cette affaire. Je peux en tout cas témoigner que jamais la CNCIS n’a été saisie d’une demande du Premier ministre en vue de donner une autorisation préalable.

L’année dernière, dans la précipitation, M. Péchenard avait invoqué, dans un premier temps, l’article 6, relatif à la personnalité qualifiée chargée d’encadrer les demandes liées au terrorisme. Il ne s’agissait pas, en l’occurrence, de fadettes, mais de fadaises ! Puis, on a invoqué l’article 22 avant de se rabattre sur l’article 20 ! Une hiérarchie administrative placée sous une autorité politique ne peut pas se permettre un tel flottement !

Cette affaire a créé un vrai malaise au sein de la CNCIS. Son nouveau délégué général, M. Olivier Guérin, a dû, il y a peu, rappeler dans Libération que, si la Commission avait été saisie, elle aurait donné un avis défavorable. Je peux vous le confirmer : ni le président Hervé Pelletier, ni le sénateur Jean-Jacques Hyest ni moi-même n’aurions donné suite à une telle demande venue de Matignon. Cela signifie, à mes yeux, qu’aucune demande n’est venue de Matignon et je subodore même que l’Hôtel de Matignon n’a lui-même reçu aucune demande. Indépendamment des conclusions de la procédure judiciaire, une faille dans le dispositif administratif est évidente. Lorsque j’étais ministre de l’intérieur, les demandes d’écoute administrative transitaient par les voies régulières, c'est-à-dire le directeur de cabinet de Matignon : aucune autorisation n’est passée par une autre voie.

Oui ou non, monsieur le ministre, y a-t-il eu une entorse à cette règle ?

M. le ministre. Avant la loi de 1991, les écoutes visant des particuliers n’étaient quand même pas encouragées par les lois de la République ! La loi sur le secret des correspondances est ancienne : elle a toujours dû être respectée.

Il est clair aux yeux de tous, monsieur Vaillant, qu’il n’y a pas eu saisine officielle auprès de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.

M. Bernard Derosier. La loi n’a donc pas été respectée.

M. le ministre. Mme Pau-Langevin a affirmé qu’il y avait eu violation manifeste de la loi : je le répète, c’est au juge qu’il appartient d’apprécier s’il y a violation de la loi.

Monsieur Vaillant, j’ignore si le cabinet du Premier ministre a été saisi.

J’ajoute qu’aucune loi n’évoque la technique des fadettes.

Mme Aurélie Filippetti. Si, puisque la loi fait référence à la protection des sources.

M. le ministre. Le mot n’y figure pas.

À mes yeux, du reste, compte tenu du véritable vide juridique dont ce type de recherche fait l’objet et de son caractère très particulier, il conviendrait de recourir à un texte législatif pour l’encadrer. Une fadette, c’est la lecture d’une enveloppe, non de son contenu. C’est la loi sur les correspondances qui régit la question.

M. Julien Dray. Pour une fois, ce n’est pas le contenu de l’enveloppe qui est important !

M. Marcel Rogemont. Le nom de l’expéditeur n’est pas toujours mentionné au dos de l’enveloppe !

M. le ministre. Les services du ministère de l’intérieur estiment avoir appliqué correctement les textes en vigueur. Or vous affirmez le contraire – tel est, du moins, le sens de vos interventions. Je le répète : il appartiendra aux tribunaux de dire si les textes ont été correctement appliqués ou non. Il conviendra également de combler le vide juridique existant en la matière.

Mme Batho a prétendu que je refusais de savoir, sans préciser le contexte de mes propos ni ce que je refuse de savoir. Ce que je refuse de savoir, c’est la manière dont la recherche a été effectuée – si elle a commencé par la personne soupçonnée ou par des journalistes –, parce qu’il appartient à la justice de déterminer ce qu’il en est. Je refuse d’apprécier une question d’ordre juridique à la place de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas. Votre travail est de diriger l’administration !

M. le ministre. Mais pas de me substituer à la justice, comme m’y a invité Mme Batho. Laissons la justice faire son travail !

Mme Sandrine Mazetier. Assumez vos responsabilités !

M. le ministre. Je refuse de me substituer à la justice.

M. Daniel Vaillant. Il vous appartient de diriger votre ministère.

M. Jacques Alain Bénisti. Monsieur le président, les commissaires aux lois ont été convoqués sur un ordre du jour précis : nous avons tous fait l’effort, hors session, de venir évoquer, avec le ministre de l’intérieur, notamment la question de la diversité dans le recrutement des forces de sécurité. Or nous avons l’impression d’être tombés dans un traquenard. J’ignore qui en est à l’origine.

M. le rapporteur. C’est M. Valls !

M. Jacques Alain Bénisti. L’ordre du jour de la Commission ayant été détourné, il aurait fallu, monsieur le président, lever la séance pour évoquer, avec l’accord du ministre, un autre sujet qui n’a rien à voir avec notre Commission. Comme M. Goasguen l’a rappelé, nous sommes totalement hors la loi. La commission des Lois ne saurait se substituer à la justice sans laisser entendre que la justice ne peut pas prendre à bras-le-corps les questions qui la concernent ! Demander à des commissaires aux lois de se substituer à la justice est inadmissible !

M. Jean-Jacques Urvoas. Vous oubliez l’article 24 de la Constitution : il revient au Parlement de contrôler l’action du Gouvernement.

M. Jacques Alain Bénisti. Monsieur le président, si vous nous autorisez à débattre de n’importe quel sujet en dehors de l’ordre du jour, pourquoi ne pas évoquer l’affaire Strauss-Kahn, l’affaire Guérini, l’affaire Patrick Sève dans mon département, ou tout autre sujet ? L’ordre du jour de la commission des Lois doit être respecté.

Les Français sont plus préoccupés de problèmes de sécurité publique que de fadettes.

Nous pouvons nous réjouir, monsieur le ministre, qu’une étape supplémentaire ait été franchie dans la mutualisation et l’harmonisation des corps de l’État chargés de la sécurité – la gendarmerie et la police nationales, auxquelles il convient d’adjoindre les EPIDE (établissements publics d'insertion de la défense), dans le cadre desquels de jeunes retraités de l’armée travaillent à la prévention de la délinquance, conformément à ce que j’ai préconisé dans mon rapport. J’y observais que les EPIDE réussissaient auprès des 18-25 ans : c’est pourquoi j’ai proposé d’y recourir également pour les 15-18 ans. Toutes les générations doivent être mobilisées pour assurer notre sécurité : les jeunes générations avec les cadets de la République, les adjoints de sécurité et les jeunes retraités de l’armée. Sur ce sujet majeur, les Français attendent des décisions du ministre de l’intérieur et des parlementaires.

Delphine Batho et moi-même préparons un rapport qui met en valeur la mutualisation des services de la gendarmerie et de la police nationale dans le cadre du nouveau fichier TPJ (traitement des procédures judiciaires), très performant, qui, associant l’ancien Judex et le STIC, optimisera tous les systèmes de recherche des auteurs de délits.

Quant à la réorganisation de la police nationale dans la région parisienne, elle est un élément très positif qui permettra de renforcer la sécurité de nos concitoyens grâce à une augmentation et à une meilleure répartition des effectifs.

Je pensais que nos collègues de gauche, qui sont aussi des élus de terrain, étaient mobilisés sur les problèmes de sécurité, mais ils préfèrent s’occuper de fadettes : je suis déçu.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je ne laisserai jamais la commission des Lois devenir un tribunal. Nous ne sommes pas une instance judiciaire. Nous n’avons pas à juger. Il est en revanche légitime que nous auditionnions les ministres et que ces derniers répondent aux questions des députés. Nous jouons ce matin notre rôle, tout notre rôle, rien que notre rôle.

M. Alain Vidalies. Monsieur le ministre, selon vous, la loi ne traiterait pas des fadettes et il appartiendrait à la justice de dire s’il y a eu faute. Cela signifierait que la loi, à vos yeux, ne protégerait que le contenu des sources. Or la loi ne parle pas du « contenu » des sources, mais de la « protection » des sources.

M. le ministre. Je n’ai jamais rien dit de tel ! Ne continuez pas dans ce travers qui consiste à transformer mes propos pour les mettre systématiquement en cause.

M. Alain Vidalies. Je comprends que mon observation vous agace…

M. le ministre. Oui, parce qu’elle ne repose sur rien.

Monsieur le président, ces insinuations sont absolument scandaleuses, on me prête des propos que je n’ai jamais tenus !

M. Alain Vidalies. Le débat vous énerve peut-être, monsieur le ministre, mais je continuerai de m’exprimer.

M. le ministre. Quand on me fait dire quelque chose que je n’ai pas dit, je m’insurge !

M. Alain Vidalies. C’est la démonstration juridique que vous venez de faire vous-même : on ne sait pas si la loi traite du contenu des sources ou traite des sources en général. Or, en réalité, la loi n’évoque que les sources et les moyens d’investigation des sources. C’est la raison pour laquelle vous vous trouvez confronté à une violation de la loi.

Pour vous en sortir, vous, ou d’autres, prétextez que vous n’avez pas violé les sources mais procédé uniquement à du repérage. C’est génial : vous inventez un concept qui n’est pas inscrit dans la loi – le repérage –, pour mieux vous mettre à son abri ! Envisagez-vous de présenter un projet de loi visant à protéger les citoyens des repérages ou à créer une Commission nationale de contrôle des repérages ?

Il en est du repérage comme des vols qualifiés par leurs auteurs d’emprunts forcés ! Le repérage n’existe pas plus que l’emprunt forcé : c’est une violation des sources.

Du reste, le délit que vous invoquez comme étant à l’origine d’un tel « repérage » est assez fréquemment commis : aujourd'hui encore, la presse est pleine de comptes rendus de procès-verbaux. Le repérage constitue-t-il une pratique systématique en vue de mettre un terme à ce délit ou cette affaire a-t-elle bénéficié d’un traitement particulier ?

Vous affirmez également que vous ne prendrez de décision qu’après que la justice aura parlé. Vous estimez donc qu’il n’y a pas, à l’heure actuelle, de violation de la loi. En effet, si vous pensiez le contraire, vous pourriez prendre dès aujourd'hui des décisions, en vertu de l’autonomie du pouvoir disciplinaire. À moins de remettre en cause tout l’édifice de notre droit administratif, vous ne pouvez pas prétendre être privé du droit de prendre une décision : le droit positif vous contredit. Si, aujourd'hui, vous ne prenez pas de décision d’ordre disciplinaire, c’est que vous estimez qu’aucune faute n’a été commise. Pouvez-vous, monsieur le ministre, confirmer votre position sur ce point de droit ?

M. Sébastien Huyghe. Je tiens tout d’abord à souhaiter la bienvenue au grand nombre de nos collègues ici présents qui n’appartiennent pas à la commission des Lois, même s’ils se conduisent plus en apprentis procureurs qu’en députés de la nation.

Comme l’a remarqué Claude Goasguen, le parti socialiste est en pleine campagne pour ses primaires : chacun des candidats cherche à mettre en cause un membre de la majorité. Toutefois, cela n’autorise aucun d’entre vous à dire n’importe quoi au sein de cette commission. J’ai ainsi été très étonné d’entendre Manuel Valls affirmer que, si la loi est violée, c’est à la commission des Lois qu’il appartient de se prononcer. Que fait-il de la justice ? C’est à elle que ce rôle appartient ! Sinon, lors de notre prochaine réunion, auditionnons M. Guérini !

Monsieur Valls, vous avez évoqué l’indépendance de la justice. Or, en mettant en cause un des ministres de la République, alors même qu’une instance judiciaire a été introduite, vous cherchez à influer sur le cours de la justice. Il conviendrait de mettre vos actes en accord avec vos paroles. Vous avez également demandé l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire : vous savez très bien que le Parlement ne peut en ouvrir une à partir du moment où une instance judiciaire est ouverte. Vous êtes plus dans la communication politique que dans la recherche de la vérité.

Nous aurions pu aborder avec le ministre de l’intérieur un grand nombre de sujets qui auraient intéressé nos concitoyens. Monsieur le ministre, nous avons voté la réforme de la garde à vue qui est appliquée depuis le 1er juin dernier. Le comité de suivi, mis en place conjointement par le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice, s’est réuni hier : quelles sont ses conclusions sur les trois premiers mois d’application de la nouvelle loi ? Des ajustements au plan réglementaire ou législatif se révèlent-ils nécessaires ?

M. Éric Raoult. Monsieur le président, si je suis venu ce matin, alors que je ne suis pas membre de la commission des Lois, c’est que M. Claude Guéant devait évoquer la diversité dans le recrutement des policiers et des gendarmes car cette question concerne directement les rapports difficiles existant entre la police et la jeunesse. Je voulais également demander à M. le ministre s’il comptait encourager les recrutements au sein des missions locales pour l’emploi. En effet, si les forces de l’ordre étaient à l’image de la diversité de notre pays, les choses pourraient évoluer dans le bon sens ! Je renvoie à ce sujet à l’excellent ouvrage de M. Manuel Valls ou au rapport sur les banlieues de M. Julien Dray.

Quel dommage que vous ayez transformé cette séance en tribunal populaire ! Nous ne sommes plus en 1981, quand les ministres de la majorité précédente passaient devant des commissions composées presque exclusivement d’élus socialistes ! Vous avez, ce matin, dévoyé le règlement ! De manière orchestrée, vous avez tenté de mettre en accusation un ministre, oubliant qu’une commission n’est pas une fosse aux lions.

M. Patrick Bloche. À quoi servirions-nous si nous ne pouvions plus contrôler l’action du Gouvernement ?

M. Éric Raoult. Monsieur Bloche, j’ai bien compris que la meilleure défense, c’est l’attaque. Mais vous auriez dû procéder d’une autre façon.

M. Dominique Raimbourg. Nous sommes d’accord avec vous, monsieur le ministre, lorsque vous affirmez qu’il appartient à la justice de dire si la loi a été violée ou pas.

D’habitude, toutefois, lorsque la justice est saisie d’une infraction et que c’est un fonctionnaire qui est soupçonné, ce fonctionnaire peut être suspendu le temps que la justice rende sa décision. Envisagez-vous de prendre une telle mesure de suspension ? Je rappelle que le conseiller de Mme Alliot-Marie mis en cause dans les écoutes a, lui, immédiatement quitté le cabinet ministériel pour une affectation en outre-mer. Je ne sais s’il s’agissait d’une mesure disciplinaire ou d’un déplacement dans l’intérêt du service, mais le résultat fut identique. Une telle mesure respecte les règles de la démocratie et la séparation des pouvoirs.

M. Manuel Valls. Je respecte l’État de droit, la présomption d’innocence et la séparation des pouvoirs. Comme Mme Batho l’a remarqué, des débats sur l’affaire qui nous occupe ce matin se déroulant en dehors de l’Assemblée nationale, il est normal que nous, députés de la nation, voulions en apprendre davantage sur d’éventuels dysfonctionnements au sein de l’État. J’ai adressé un courrier en ce sens au président de la commission des Lois, qui a lui-même proposé qu’à l’occasion de la venue du ministre de l’intérieur nous puissions en débattre.

Comme Julien Dray l’a souligné, aucune infraction ne saurait en justifier une autre. En l’occurrence, la violation du secret de l’instruction ne saurait légitimer celle de la liberté de la presse. Telle est du moins l’idée que nous nous faisons du fonctionnement de la République et de l’application des lois.

Monsieur le ministre, M. Péchenard, directeur général de la police nationale, a reconnu lui-même avoir demandé à la direction centrale du renseignement intérieur d’identifier le haut fonctionnaire qui, bien qu’il fût soumis au secret professionnel, divulguait des informations confidentielles relatives à une instruction judiciaire en cours : il avait accès à des documents sensibles relatifs à l’affaire Woerth-Bettencourt. « Je trouve cela grave, a-t-il ajouté. Il s’agit d’une infraction pénale ». Le directeur général de la police nationale a donc lui-même reconnu qu’il y a eu infraction et qu’il s’est affranchi des règles, puisque ni le juge ni la commission ad hoc n’ont été saisis.

Le respect de la procédure judiciaire n’interdit pas aux parlementaires d’interroger le ministre de l’intérieur sur les déclarations du directeur général de la police nationale qui s’est, de son aveu même, affranchi de la loi. Assumez vos fonctions, monsieur le ministre.

Quel est le degré de responsabilité qui a conduit le directeur général de la police national à agir ainsi ? S’est-il de lui-même affranchi de la loi ou l’a-t-il fait sur ordre ? Nous connaissons tous suffisamment le fonctionnement de la République, ainsi que l’homme. Il serait étonnant qu’il s’en soit affranchi et qu’il n’ait pas auparavant consulté sa hiérarchie.

Vous vous abritez derrière la procédure judiciaire pour gagner du temps : un ministre de l’intérieur responsable ne saurait éluder nos questions. Si vous n’étiez pas au courant et si vous êtes aujourd'hui certain qu’aucun ordre n’a été donné, à l’époque, par le ministre de l’intérieur et le secrétaire général de l’Élysée, alors, il y a eu faute. Et quand il y a faute de la part d’un directeur d’une administration centrale, celui-ci doit partir.

Quelles sont les erreurs commises par les préfets de police successifs de Marseille – trois en l’espace de quelques mois – ou par M. Paillé, qui ne plaît pas au pouvoir, pour qu’ils aient été dégagés sans aucune procédure ? Monsieur le ministre, compte tenu de la gravité de faits, si aucun ordre n’a été donné au directeur général de la police nationale par sa hiérarchie, vous nous devez une explication. Vous ne pouvez pas prendre pour prétexte la procédure judiciaire pour, je le répète, éluder nos questions.

C’est notre rôle, mes chers collègues, que d’interpeller le ministre de l’intérieur sur le fonctionnement des institutions de la République.

Mme Sandrine Mazetier. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser votre vision de vos responsabilités en tant que ministre de l’intérieur, lequel est habituellement surnommé « le premier flic de France » ? Quel exemple donnez-vous à toute la chaîne hiérarchique en cherchant à ce point à échapper à vos responsabilités ? Vous affirmez qu’il ne vous appartient pas d’interpréter la loi : si tous les policiers et les gendarmes se retranchaient derrière un tel argument pour refuser, au quotidien, de décider s’il y a infraction ou non, imaginez la situation dans laquelle se retrouveraient les Français, qui sont déjà exposés à un grand nombre d’incivilités, de délits et de crimes, voire à une explosion de la violence. Que se passerait-il si tous les agents de votre ministère se comportaient comme vous vous comportez, à l’instant, devant nous ?

Par ailleurs, depuis quand la DCRI est-elle particulièrement chargée de la protection du secret de l’instruction ? Trouvez-vous, de plus, efficaces les résultats obtenus ? Je tiens à vous rappeler que vous êtes également le ministre de tutelle de la DCRI.

M. Charles de La Verpillière. M. Manuel Valls, par ailleurs candidat aux primaires du parti socialiste, a rendu hommage aux principes républicains et constitutionnels de la séparation des pouvoirs et de la présomption d’innocence. Cet hommage est un peu tardif, mais il est vrai qu’il est treize heures onze et que le journal télévisé est commencé.

Nos collègues socialistes ont un problème avec le cumul : le cumul des mandats parlementaire et local, tout d’abord. Ils nous assènent des tartuferies en la matière mais ils conservent précieusement tous leurs mandats. Aujourd'hui, ils inventent le cumul de la fonction parlementaire de contrôle de l’action gouvernementale avec la fonction judiciaire…

M. Charles de La Verpillière. …et, qui plus est, au sein de la fonction judiciaire, ils cumulent à la fois les fonctions d’officier de police judiciaire, de juge d’instruction, de procureur, de juge – et bientôt, peut-être, de gardien de prison. On se croirait revenu au temps de Fouquier-Tinville.

M. Manuel Valls. Je comprends votre inquiétude, M. de La Verpillière !

M. Charles de La Verpillière. Robespierre a fini, lui aussi, sur l’échafaud, victime du système qu’il avait mis en place. Alors, faites attention !

Mme Delphine Batho. Je tiens à donner lecture de l’article 29 de la loi du 13 juillet 1983 : « Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. »

Cela signifie que l’attente du résultat d’une procédure judiciaire ne peut justifier le fait que soit éludée la question de la responsabilité d’un haut fonctionnaire. C’est pourquoi, comme l’a noté M. Manuel Valls, si sa responsabilité n’est pas mise en cause, c’est que ce n’est pas à son niveau que les décisions ont été prises.

M. le ministre. Je regrette que la question de la diversité et de la promotion sociale dans la police et la gendarmerie ait été laissée de côté. Il est en effet fondamental que la police et la gendarmerie soient à l’image de la nation et que la promotion sociale soit utilement reconnue.

Monsieur Huyghe, je n’ai pas connaissance des conclusions de la commission de suivi. Je sais en revanche que la police et la gendarmerie estiment que les nouvelles dispositions ne facilitent pas leur travail – c’est le moins qu’on puisse dire. Des précisions devront être apportées, s’agissant notamment des relations entre l’officier de police judiciaire et l’avocat. Une chose est sûre : le nombre de gardes à vue diminue et le taux d’élucidation aussi. Il convient assurément de s’adapter au texte. Autant les droits de la défense doivent être respectés et améliorés – c’est tout le sens de la décision du Conseil constitutionnel et de la loi que vous avez votée –, autant les droits des victimes doivent être respectés, notamment l’espoir que l’agresseur ou le voleur soit identifié et déféré à la justice. Il faudra travailler de nouveau sur ces points.

Il convient également que la police et la gendarmerie poursuivent leur évolution historique, notamment en matière de police technique et scientifique, contre laquelle les socialistes ont toujours voté, alors qu’elle permettra de substituer le règne de la preuve à la tradition de l’aveu.

M. Daniel Vaillant. Vous n’avez jamais eu l’occasion de voter pour ou contre un texte puisque vous n’avez jamais été élu !

M. le ministre. J’ai un souvenir très clair du débat sur le fichier des empreintes génétiques !

M. Bernard Derosier. Vous avez été meilleur préfet que ministre !

M. le ministre. Je vous laisse libre de vos appréciations. Ne tombons pas dans l’injure !

Par ailleurs, monsieur Raoult, nous avons signé une convention avec la Fédération des missions locales, afin d’effectuer un recrutement aussi diversifié que possible. Dans les zones urbaines sensibles, le recrutement va dans le sens d’une intégration de ceux qui seraient, autrement, laissés pour compte.

S’agissant de la protection des sources des journalistes, j’ai été choqué par les propos que j’ai entendus, notamment de la part de Mme Mazetier, préconisant que les policiers se substituent au juge !

Vous avez affirmé, madame la députée, que je devrais me substituer au juge ! Cela me semble énorme !

Mme Sandrine Mazetier. Heureusement que les policiers assument leurs missions !

M. le ministre. Avec votre plus total soutien, ce dont ils sont conscients !

J’en viens à l’essentiel.

Le sort du directeur général de la police national a été évoqué. D’aucuns ici suggèrent que je le sanctionne. Je me refuse à le faire tant que j’ignorerai s’il a commis une faute.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Il l’a lui-même reconnu !

M. le ministre. Non, il a dit qu’il avait donné une instruction. Votre raisonnement néglige un aspect : la validité de la procédure utilisée eu égard aux textes en vigueur. Or, aujourd'hui, je ne suis pas en état de porter une appréciation sur cette validité.

Mme Sandrine Mazetier. Alors, démissionnez !

M. le ministre. De plus, la sanction administrative n’est pas obligatoire. Si les faits sont patents, elle peut intervenir avant la décision judiciaire, mais il est très fréquent qu’une sanction administrative soit suspendue à la décision judiciaire. J’attends en l’occurrence la vérité et la vérité c’est la justice qui la dira, la vérité juridique.

Intenter des procès en place publique alors même que la justice est saisie est une véritable dérive de notre démocratie, surtout dans le cas d’affaires complexes méritant un examen juridique exhaustif.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je vous remercie, monsieur le ministre.

Mes chers collègues, afin que vous puissiez vous organiser, je vous informe que nous nous réunirons certainement le mercredi 28 septembre pour examiner les propositions de loi suivantes :

— proposition de loi de M. Victorin Lurel tendant à adapter la loi de réforme des collectivités territoriales aux caractéristiques et contraintes particulières de la Guadeloupe (n° 3585) ;

— proposition de loi de Mme Sandrine Mazetier pour une urbanité réussie, de jour comme de nuit (n° 3693) ;

— proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives (n° 3706).

— proposition de loi visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants (n° 3707) d’Éric Ciotti.

La séance est levée à 13 heures 20.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Manuel Aeschlimann, Mme Delphine Batho, M. Jacques Alain Bénisti, M. Étienne Blanc, M. Serge Blisko, M. Claude Bodin, M. Patrick Braouezec, M. Dominique Bussereau, M. Bernard Derosier, M. Patrick Devedjian, M. Julien Dray, M. Olivier Dussopt, M. Guy Geoffroy, M. Claude Goasguen, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Charles de La Verpillière, M. Bruno Le Roux, Mme Sandrine Mazetier, Mme George Pau-Langevin, M. Dominique Perben, Mme Sylvia Pinel, M. Dominique Raimbourg, M. Jean-Pierre Schosteck, M. Éric Straumann, M. Jean Tiberi, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Manuel Valls, M. Christian Vanneste, M. François Vannson, M. Alain Vidalies, M. Jean-Luc Warsmann

Excusés. - Mme Brigitte Barèges, M. René Dosière, M. Didier Quentin, M. Jean-Sébastien Vialatte

Assistaient également à la réunion. - M. Dominique Baert, M. Patrick Bloche, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, Mme Aurélie Filippetti, M. Gérard Gaudron, M. Daniel Goldberg, Mme Marylise Lebranchu, M. Jean Mallot, M. Henri Nayrou, M. François Pupponi, M. Éric Raoult, M. Marcel Rogemont