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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 11 janvier 2012

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Arno Klarsfeld, président du conseil d’administration de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII)

– Examen de la proposition de loi de M. Bernard Carayon visant à sanctionner la violation du secret des affaires (n° 3985) (M. Bernard Carayon, rapporteur)

– Amendements examinés par la Commission

– Examen de la proposition de loi de M. Sauveur Gandolfi-Scheit et plusieurs de ses collègues visant à consacrer le droit au rapprochement familial pour les détenus condamnés (n° 2282)

– Amendements examinés par la Commission

– Informations relatives à la Commission

La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, de M. Arno Klarsfeld, président du conseil d’administration de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). 

M. le président Jean-Luc Warsmann. Au nom des membres de notre Commission, je souhaite la bienvenue à M. Arno Klarsfeld, président du conseil d’administration de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), accompagné de M. Jean Godfroid, directeur général de l’OFII.

Cette audition, ouverte à la presse, a été organisée à la demande du groupe SRC, qui m’a fait connaître son souhait par une lettre de M. Manuel Valls. J’ai fait droit bien volontiers à cette demande, comme cela a été le cas tout au long de cette législature.

Monsieur le président, vous avez pris vos fonctions en septembre dernier et il serait intéressant que vous évoquiez votre conception du rôle de l’OFII. Lors du dernier débat budgétaire, le rôle, les missions et les moyens de l’Office ont été abordés par plusieurs membres de notre Commission, pour qui votre intervention revêtira donc le plus grand intérêt.

M. Arno Klarsfeld, président du conseil d’administration de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, l’OFII a cinq principales missions que l’État lui a déléguées. La première est la gestion des procédures de l’immigration régulière pour le compte des préfectures et des postes diplomatiques et consulaires. La deuxième est l’accueil et l’intégration des immigrés autorisés à séjourner durablement en France et signataires à ce titre d’un contrat d’accueil et d’intégration avec l’État. La troisième mission est l’accueil des demandeurs d’asile, la quatrième l’aide au retour et à la réinsertion des étrangers dans leur pays d’origine et la cinquième une présence d’aide dans les centres de rétention administrative.

Pour ce qui concerne les procédures de l’immigration régulière, l’OFII gère les procédures de l’immigration professionnelle et familiale, en particulier la visite médicale. Procédure obligatoire pour la délivrance d’un titre de séjour de plus de trois mois, cette visite consiste en une radiographie des poumons visant à détecter la tuberculose et en divers examens permettant, le cas échéant, d’orienter les personnes vers les structures de soins de droit commun.

L’OFII instruit aussi les dossiers de regroupement familial, c’est-à-dire le dépôt, l’instruction et la vérification des critères de logement et de ressources. Il transmet ensuite ces éléments aux préfets, qui prennent la décision. Les maires peuvent eux aussi intervenir. En fait, l’OFII n’intervient dans les enquêtes que si la municipalité ne veut ou ne peut pas le faire. Concrètement, ses agents se rendent au domicile de ceux qui veulent bénéficier d’un regroupement familial, aident le demandeur à rassembler les pièces nécessaires et vérifient que le nombre de mètres carrés du logement est suffisant. Il peut arriver – je l’ai personnellement constaté – que, dans certaines cités, ces agents soient agressés verbalement ou physiquement, non par les demandeurs, mais par de petits caïds qui n’aiment pas voir entrer des agents de l’État sur leur territoire. Ces cas sont encore rares mais ils existent et il est à l’honneur des agents de l’OFII de continuer à remplir cette mission sans se plaindre.

L’OFII est également l’interlocuteur des entreprises et les accompagne dans la procédure d’introduction en France de leurs futurs salariés étrangers, après que l’employeur a démontré qu’il n’a pas pu embaucher sur le marché du travail français la personne dont il avait besoin.

L’OFII est par ailleurs, sur une grande partie du territoire, le guichet unique pour les bénéficiaires des nouveaux dispositifs de l’immigration professionnelle pour les cas où la situation de l’emploi n’est pas opposable. Ces dispositifs sont la carte de séjour temporaire portant la mention « compétences et talents », dont environ 300 sont délivrées chaque année, la carte de séjour temporaire portant la mention « salarié en mission » – environ 2 500 par an –, les jeunes professionnels dans le cas d’accords bilatéraux et l’introduction de salariés dans des métiers en tension figurant dans des listes ministérielles ou relevant d’accords internationaux.

Dans le cadre de la simplification des formalités imposées aux étrangers autorisés à venir en France depuis le 1er juin 2009, une grande majorité des titulaires de visas de long séjour et des bénéficiaires de cartes pluriannuelles – à l’exception des ressortissants algériens, qui ne sont pas soumis au code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), mais à l’accord franco-algérien de 1968 – ne sont plus astreints à demander une carte de séjour en préfecture, car leur visa vaut titre de séjour. Ils doivent cependant faire valider ce titre et acquitter leur droit de timbre lors de leur arrivée en France. En 2010, ont été délivrés 111 902 visas de long séjour valant titre de séjour.

Au titre de la lutte contre le travail illégal et le séjour irrégulier, l’OFII est chargé de la mise en œuvre des contributions spéciales et forfaitaires de réacheminement, amendes administratives à la charge des employeurs ayant engagé des salariés étrangers dépourvus de titre les autorisant à travailler ou à séjourner en France. Il est aussi, depuis la transposition de la directive européenne de 2009 par la loi de juin 2011, l’autorité chargée du recouvrement de certaines créances salariales d’étrangers en situation irrégulière reconduits à la frontière.

La loi de finances pour 2012 prévoit la revalorisation de certaines taxes sur les titres de séjour affectées à l’Office : la taxe de première délivrance d’un titre de séjour « salarié » passe de 70 à 349 euros, la taxe supplémentaire payée par le demandeur d’un titre préalablement en situation irrégulière, également appelée « visa de régularisation », passe de 220 à 340 euros. Pour les étudiants étrangers, la taxe est inchangée ou presque, passant de 55 à 58 euros. Pour l’étranger récemment diplômé souhaitant obtenir pour la première fois un titre de séjour « salarié », c’est-à-dire un changement de statut, la taxe perçue passe de 85 à 349 euros, soit le tarif de droit commun d’une première délivrance d’un titre de séjour « salarié ». Des tarifs similaires sont appliqués en Allemagne, en Angleterre et aux Pays-Bas.

Le produit de ces droits de timbre, auquel il faut ajouter la taxe payée par les entreprises qui recrutent de la main-d’œuvre étrangère, s’élève à 151,7 millions d’euros. Outre ce produit, les subventions de l’État et de l’Union européenne et le produit des diverses contributions spéciales permettent de financer 179 millions d’euros de dépenses, dont celles relatives à l’intégration pour 67,1 millions d’euros.

L’OFII est en effet – c’est là sa deuxième mission – l’opérateur de droit commun des formalités d’accueil et du parcours d’intégration auquel doit se soumettre l’étranger.

Il accueille le primo-arrivant et organise son parcours d’intégration, qui débute dès le pays d’origine et se prolonge sur le territoire national avec la signature du contrat d’accueil et d’intégration. En 2011, environ 102 000 de ces contrats ont été signés. Le contrat d’accueil et d’intégration, qui s’adresse à ceux qui souhaitent résider durablement en France, date de 2003, a été généralisé en 2006 et a été rendu obligatoire en 2007. Avant cette date, il n’existait rien de systématisé.

À l’étranger, préalablement à la délivrance du visa par le consulat, l’OFII – ou ses délégués – soumet le bénéficiaire potentiel du regroupement familial ou le conjoint de Français à un test d’évaluation de ses connaissances du français et des valeurs de la République. Si son niveau est jugé insuffisant, il lui propose une formation dans les deux mois qui suivent cette évaluation.

L’OFII accueille le migrant à son arrivée en France. Durant une demi-journée, celui-ci bénéficie d’une séance de formation collective, d’une visite médicale et d’un entretien individuel avec un auditeur, permettant de définir les formations dont il pourrait avoir besoin. À l’issue de cette demi-journée, le migrant s’engage dans une relation de confiance et d’obligation réciproque avec la France en signant le contrat d’accueil et d’intégration. Signé avec le préfet, ce contrat l’oblige à suivre une formation civique présentant les valeurs et les principes de la République française et, si nécessaire, une session d’information pratique sur la vie en France, un bilan de compétences professionnelles, une formation linguistique et une formation aux droits et devoirs des parents, qui concerne environ 2 500 personnes.

M. Bernard Roman. Nous ne sommes pas là pour entendre énumérer les mesures que nous avons votées. Parlez-nous plutôt de ce que vous faites !

M. Arno Klarsfeld. Si la personne ne respecte pas les obligations de formation qui lui sont prescrites, elle peut se voir refuser par le préfet le renouvellement de son titre de séjour ou la délivrance de sa carte de résident.

Dans le domaine linguistique, l’objectif fixé par les pouvoirs publics est, à partir de 2012, d’atteindre à la fin du processus d’accueil le niveau A1 – celui qu’on enseigne aux enfants des écoles primaires, consistant à communiquer de façon simple si l’interlocuteur parle lentement et distinctement et se montre coopératif – ; pour obtenir la carte de résident, ce sera le niveau A2, permettant de communiquer lors de tâches simples et habituelles ne demandant qu’un échange d’informations simple et direct sur des sujets familiers et habituels, et pour accéder à la nationalité, aux termes du décret du 11 octobre 2011 entré en vigueur le 1er janvier dernier, le niveau B1 de fin de scolarité obligatoire, jugé à l’oral et qui correspond à la capacité de produire un discours simple et cohérent sur des sujets familiers et dans ses domaines d’intérêt. Le niveau n’est plus évalué au cours d’un entretien individuel par un agent de préfecture et l’étranger doit en justifier la maîtrise par la production d’un diplôme ou d’une attestation délivrée par un organisme reconnu par l’État ou un prestataire agréé.

L’OFII permettra aux candidats à la nationalité française, accueillis dans le cadre du dispositif hors contrat d’accueil et d’intégration qu’il finance, d’atteindre ce niveau requis. Il met à disposition des formations gratuites en dehors du contrat d’accueil et d’intégration, dans la limite d’un budget annuel de 16 millions d’euros. L’augmentation des taxes qui lui sont affectées, inscrite au projet de loi de finances pour 2012, lui permettra de consacrer 10 millions d’euros à l’élévation du niveau linguistique des primo-arrivants, cette fois dans le cadre de ce contrat.

Il importe de rappeler que, dans de nombreux pays européens comme l’Allemagne, l’Angleterre ou les Pays-Bas, la mise à niveau linguistique est à la charge de l’immigrant, qui paye ces cours sur sa cassette personnelle et n’entre pas dans le pays tant qu’il n’est pas au niveau.

L’accueil des demandeurs d’asile est la troisième responsabilité de l’OFII.

La demande d’asile a progressé de 45 % de 2008 à 2010, affectant ainsi les délais d’instruction des dossiers et la prise en charge des demandeurs d’asile, ainsi que le financement des structures d’hébergement d’urgence et de l’allocation temporaire d’attente. Au cours des neuf premiers mois de 2011, cette progression des demandes a été de 10 % par rapport à la même période de 2010 et les délais de traitement sont aujourd’hui d’un peu moins de vingt mois. Les moyens supplémentaires octroyés récemment, par le Gouvernement, à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et à la Cour nationale du droit d’asile sont à cet égard des dépenses d’investissement : ils devraient permettre de ramener à un an le délai de traitement des dossiers.

La responsabilité de l’OFII en matière d’asile s’exerce à deux niveaux.

Au niveau territorial tout d’abord, avec la gestion, le financement et le pilotage des plates-formes d’accueil des demandeurs d’asile. Il s’agit de services d’information, d’orientation et d’accompagnement des primo-demandeurs, afin que ceux qui en ont besoin puissent être informés et aidés dans les démarches qu’ils doivent entreprendre auprès de la préfecture.

On compte 34 plates-formes réparties sur l’ensemble du territoire métropolitain ; elles fonctionnent avec les moyens en personnel de l’OFII ou en recourant à des opérateurs extérieurs. Il existe 25 plates-formes associatives, gérées par des associations telles que France terre d’asile, l’AFTAM, Forum Réfugiés et d’autres plus locales.

Ces structures sont hétérogènes. Leur offre de service varie selon les territoires, en fonction de leur mode de développement initial plus que d’un cadre de référence.

Les montants des subventions allouées par l’OFII aux plates-formes associatives, complétées par les crédits du Fonds européen pour les réfugiés, gérés par le ministre en charge de l’asile, étaient en 2010 de 9 millions d’euros et en 2011 de 9,5 millions, dont respectivement 5,5 et 6,2 millions de subventions de l’Office.

La disparité dans l’offre de service est regrettable, car elle engendre des mouvements de concentration et un traitement inégal. L’OFII a donc commandé un audit des plates-formes gérées tant par ses propres services que par les associations, avec le double objectif de définir une offre de prestations de premier accueil compatible avec les engagements internationaux de la France et des modalités de financement et de tarification adaptées et sécurisées aussi bien pour les opérateurs extérieurs que pour l’administration en général et l’OFII en particulier.

La responsabilité de l’Office s’exerce aussi dans la coordination du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés, entièrement financé par l’État. Ce dispositif se compose aujourd’hui de 270 centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) ouverts, d’une capacité d’accueil de 21 410 places, de 27 centres provisoires d’hébergement et de plusieurs milliers de places d’hébergement d’urgence des demandeurs – l’OFII en gère 16 000.

La mission de coordination du dispositif national d’accueil qui incombe à l’OFII consiste à assurer un suivi de l’offre et de la demande d’hébergement en CADA et à assurer la gestion opérationnelle des admissions nationales dans ce dispositif.

La quatrième mission de l’OFII est d’aider au retour volontaire des étrangers en situation irrégulière. En 2011, environ 10 000 étrangers auront bénéficié d’une aide de sa part et environ 375 projets d’une aide à la réinsertion.

Cette aide au retour a pris des formes différentes. Pour plus de 7 500 des 10 000 bénéficiaires, elle a eu un caractère humanitaire. Ces étrangers sont presque tous roumains ou bulgares. Il s’agit principalement de personnes qui séjournent sur des sites ou dans des campements illicites et dont les retours s’inscrivent dans le cadre d’opérations d’évacuation de campements. Ces retours ont été principalement opérés sur des vols affrétés directement par l’OFII, ce qui permet de réduire les coûts de transport. En 2011, environ 50 vols ont été affrétés par nos directions territoriales. Plus de 4 000 personnes ont bénéficié d’une aide au retour volontaire. Ce dispositif bénéficie en premier lieu aux demandeurs d’asile déboutés, qui sont essentiellement russes, kosovars, chinois, algériens, égyptiens, afghans et moldaves. Il y a enfin une aide au retour sans pécule, concernant quelques centaines de personnes. Ces aides interviennent dans 30 % des cas de reconduite à la frontière

L’OFII assure enfin une mission de médiation sociale dans les centres de rétention administrative, en application du décret du 30 mai 2005 relatif à la rétention administrative et de certains articles du CESEDA. Dans ces centres, le médiateur de l’OFII assure l’information sur les aides apportées par l’Office, explique au retenu la procédure dont il a fait l’objet, voit ce dont il a besoin pour les démarches nécessaires, assure l’écoute et effectue des achats de première nécessité. Il engage également des démarches tendant à l’organisation matérielle du départ – récupération de bagages et de sommes d’argent, fermeture de comptes bancaires ou recouvrement des salaires.

En conclusion, j’ajouterai à cette présentation du fonctionnement de l’OFII quelques mots personnels.

Si la création de l’OFII dans sa forme actuelle ne remonte qu’à un peu plus de deux ans, l’histoire de cette institution est longue. Cette année marque en effet le 65e anniversaire du décret du 26 mars 1946 qui a institué l’ONI (Office national de l’immigration), dont il est issu.

Les institutions ont cette chance, par rapport aux êtres humains, d’être jeunes encore à 65 ans. Non, l’OFII n’a pas d’arthrose, ni de sciatique, ni de souffle au cœur et dans ses veines coulent le courage, l’humanisme et l’abnégation et je voudrais rendre hommage au travail remarquable de ses agents.

Nous sommes dans une période où le Gouvernement, grâce à une politique ferme et humaine, garde le cap entre deux extrêmes : l’un qui consisterait à ouvrir toutes grandes les portes de la France sans se soucier de son identité, sans savoir si nous disposons d’assez d’emplois, de budgets sociaux et de logements, et l’autre qui serait de refuser tout étranger, qu’il soit réfugié, qu’il vienne régulièrement rejoindre sa famille, ou qu’il soit un atout pour notre République – un extrême qui conduirait à faire de la France un pays xénophobe, un pays rabougri.

L’étranger qui s’intègre ou s’assimile en faisant siennes nos valeurs enrichit sa personnalité en ajoutant à tout ce qu’il vit et à tout ce qu’il sait de nouvelles connaissances et un nouveau mode de vie. Et cela permet de maintenir la cohésion nationale. Il ne s’agit donc nullement d’une trahison de son passé, mais d’une transformation positive.

Sans l’acquisition de la langue française, rien n’est possible. C’est elle qui permet de s’intégrer, de trouver un travail ou de se faire des amis, de ne pas dépendre des autres et de vivre pleinement l’aventure française. C’est la langue française qui permet d’être libre.

Nos coutumes sont le fruit de siècles de vie commune. C’est un héritage global auquel nous nous identifions, même s’il se modifie progressivement au gré des influences et au fil du temps qui passe. Il en va de même pour l’héritage historique et héroïque de la France qui, réalité unique dans le monde, se manifeste par un monument aux morts dans chacune de nos 37 000 communes. Il exprime la volonté indéfectible de la France et des Français, au prix des plus grands sacrifices, de demeurer libres et français.

Cette France quasi immuable des arts, des armes et des lois est, le plus souvent, immensément généreuse et parfois – mais rarement – mesquine, quand des préjugés pas encore extirpés cherchent à blesser ou stigmatiser. Mais cette France de l’extrême n’est pas la France que l’on aime, que l’on chérit et qui nous remplit le cœur de fierté lorsqu’on entend les premières notes de la Marseillaise.

Maintenant que la France est intégrée dans une Europe pacifiée, qu’elle bénéficie de tout ce que les régimes précédents ont laissé de positif, que, grâce à la sécurité sociale, sa population bénéficie d’un niveau de protection de la santé parmi les meilleurs au monde et que l’accès à l’éducation est quasi gratuit y compris dans l’enseignement supérieur, ces devoirs, en dépit des différences d’origine, de religion et de couleur de peau et des inégalités sociales, doivent s’exprimer autour de la volonté de vivre ensemble un destin commun appuyé sur les spécificités du passé de la France : l’antiracisme et les droits de l’homme pour contrebalancer Vichy et les aspects négatifs de l’héritage colonial, la priorité donnée à l’éducation pour tous, pour que chaque Français puisse travailler, une laïcité tolérante à vocation universelle, un intérêt actif au cadre de vie quotidien et écologique, la connaissance de l’histoire de la France et la compréhension du fait que la France reste une grande puissance en raison de ses valeurs, de son statut politique international, de son déploiement géographique sur tous les continents et de l’attraction qu’elle exerce sur des multitudes d’êtres humains.

M. René Dosière. Laissons là les généralités. Quelles sont les attributions concrètes du président du conseil d’administration de l’OFII ? Quel temps hebdomadaire pouvez-vous consacrer à cette fonction, compte tenu de vos autres occupations au Conseil d’État ? Quel est le montant de la rémunération qui vous est allouée et quels sont les éventuels avantages en nature qui l’accompagnent ?

M. Bernard Roman. Mon père, Juif polonais sortant des camps de déportation, ne parlait pas français à ma naissance et a mis plusieurs années à apprendre notre langue. Il a été naturalisé sans avoir atteint le niveau B1 requis aujourd’hui. Je n’en suis pas moins citoyen français et élu du peuple. Il y a une certaine fierté à ce que la France puisse porter de tels témoignages.

Par ailleurs, votre témoignage semble contredire les chiffres avancés hier par M. Guéant, qui indiquait que le nombre de reconduites à la frontière – qu’il appelle « retours vers le pays » – avait augmenté de 17 %, passant à 32 917. Vous avez en effet indiqué que 10 000 de ces reconduites, soit à peu près 30 % du total, concernaient des Européens – pour l’essentiel des Roms et des Bulgares. Ces expulsions n’ayant pas eu lieu l’année précédente, il conviendrait de les déduire des chiffres dont se félicite M. Guéant, de sorte qu’il n’y aurait pas eu en 2011 l’augmentation qu’il dit – ce dont on ne peut pas se plaindre ! On ne peut comparer que ce qui est comparable…

En troisième lieu, lors du débat sur le vote des étrangers aux élections locales, les ministres, soulignant le lien entre droit de vote et citoyenneté, ont déclaré qu’il fallait favoriser l’acquisition de la nationalité afin de permettre aux étrangers d’obtenir le droit de vote. Comment, alors, se féliciter de la baisse de 30 % du nombre d’acquisitions de la nationalité en 2011 ?

Enfin, dans une interview donnée en octobre dernier à La Voix du Nord, vous déclariez à propos des Roms : « Ils vivent avec huit enfants dans une pièce. Lorsqu’on n’a qu’une pièce, on ne fait pas huit enfants. J’assume ce qui est une évidence : ils devraient s’abstenir d’avoir huit enfants. Pour que les enfants puissent s’intégrer, il faut que les parents puissent s’en occuper. Ils sont aussi victimes d’eux-mêmes, responsables de ne pas avoir suscité une véritable élite qui ne soit pas cette ploutocratie qui vit de trafics et n’a pas intérêt à sortir son peuple de l’horreur ». Regrettez-vous ces déclarations ?

M. Arno Klarsfeld. Monsieur Dosière, je suis détaché du Conseil d’État et ne touche que mon traitement. Je n’ai pas d’avantages en nature, sinon une voiture. Quant à mes horaires hebdomadaires, – je suis tous les jours à l’OFII – ils sont de l’ordre de 50 à 60 heures ; je visite actuellement toutes les directions territoriales.

Sur les Roms, j’assume complètement mes propos. (Protestations de la part de plusieurs députés du groupe SRC). En 1991, alors que l’extrême droite allemande brûlait les foyers de réfugiés tsiganes et que l’Allemagne s’apprêtait à expulser des Tsiganes vers l’ex-Yougoslavie alors en guerre, j’ai manifesté à Rostock avec mes parents et une cinquantaine de fils et filles de déportés juifs de France et j’ai été emprisonné par la police de l’ancienne Allemagne de l’Est, qui n’était pas encore formée à la démocratie. Il y avait alors un risque vital pour les Roms. Quand il n’y a pas de risque vital, qu’y a-t-il d’amoral ou d’inhumain à les renvoyer dans un pays où ils ne courent pas de risques ? (Vives protestations de la part de plusieurs députés du groupe SRC)

Quant aux huit enfants, je crois en effet qu’il ne faut pas les faire quand on ne dispose que d’une pièce. Ces propos ont été tenus après la visite d’un ghetto rom proche de Bucarest, où une grande partie des filles sont sur le trottoir. Il existe une mafia rom qui exploite la misère humaine et les Roms n’ont pas encore su susciter une élite qui pousse les gens à sortir de leur condition, car la ploutocratie n’y a pas intérêt. J’ai constaté la même situation à Haïti, où une ploutocratie s’ingénie à faire en sorte que le peuple ne puisse pas s’en sortir. Si les Roms n’étaient pas misérables, cette mafia ne pourrait pas s’enrichir.

Les députés du groupe SRC et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine se lèvent.

Quant à votre père, qui ne parlait pas français,…

M. Bernard Roman. Je ne vous autorise même pas à l’évoquer !

Les députés du groupe SRC et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine quittent la salle.

M. Patrice Verchère. De quels moyens l’OFII dispose-t-il pour vérifier la bonne utilisation des aides accordées ? Combien d’étrangers ayant bénéficié d’une aide au retour sont-ils revenus en France ? Ceux qui reviennent peuvent-ils bénéficier à nouveau de ces aides ? Si c’est le cas, une réforme ne s’impose-t-elle pas ? Enfin, l’objectif fixé par le Gouvernement d’une réduction de l’immigration légale de l’ordre de 20 000 titres de séjour environ peut-il être atteint avec les moyens législatifs et réglementaires dont vous disposez ?

M. Jacques Alain Bénisti. Monsieur le président Klarsfeld, les députés de la majorité sont scandalisés par les propos de l’opposition parlementaire. Plusieurs d’entre nous ont vu hier le documentaire consacré par une chaîne publique à l’action de vos parents, à qui je tiens à rendre un hommage soutenu pour le combat qu’ils ont mené à la recherche des criminels nazis. Je souhaite que ce documentaire soit diffusé le plus largement possible afin que cette mémoire douloureuse pour notre pays et pour l’Europe soit indélébile.

Votre combat contre les mafias organisées sur le continent européen est l’équivalent de celui que votre famille a mené. On pourrait en effet établir des comparaisons entre les tortionnaires nazis et les mafieux qui organisent l’arrivée sur notre territoire des personnes les plus démunies, que nous retrouvons dans nos quartiers sensibles.

Quelle action et quel suivi l’OFII assure-t-il à l’égard des familles qui, entrées avec un titre de séjour en règle, n’ont pas repris contact avec les autorités préfectorales et sont hébergées dans la plus totale illégalité dans les quartiers sensibles ?

M. Claude Goasguen. J’élève une protestation solennelle contre l’attitude de certains membres du Parti socialiste, qui sont incapables de mener une discussion de fond sur l’immigration et la réinsertion et, du fait de leur position idéologique fermée, refusent le débat et lui préfèrent l’invective. Au nom de tous les parlementaires, je vous prie, monsieur le président Klarsfeld, d’excuser ce comportement inadmissible. Alors que nos collègues socialistes sont allés poursuivre leur campagne électorale dans les couloirs devant la presse, le groupe UMP demande que cette protestation soit formellement inscrite au compte rendu de nos débats.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Il vous en est donné acte.

M. Arno Klarsfeld. M. Roman a cité le cas de son père. Dans les années 1930, l’enseignement linguistique aujourd’hui dispensé par l’OFII pour permettre aux étrangers de s’intégrer, et qui coûte chaque année 60 millions d’euros, n’existait pas : les étrangers qui souhaitaient s’intégrer le faisaient sur leur temps libre. M. Roman ayant indiqué que son père était juif, je rappellerai l’expression juive « heureux comme Dieu en France », qui exprimait un véritable amour de notre pays.

Aujourd’hui, il est certes bon que les étrangers en situation régulière bénéficient des mêmes avantages sociaux que les Français, mais ces avantages attirent beaucoup de gens : si les portes de la France étaient ouvertes comme semblent le souhaiter les députés qui ont quitté la salle, il pourrait y avoir cinq milliards d’êtres humains en France ! Il est donc normal qu’il y ait des contrôles aux frontières et que les gens soient refoulés quand ils ne courent pas un risque vital. Les tribunaux administratifs et le Conseil d’État permettent des recours et des régularisations sont possibles quand les personnes concernées ont toutes leurs attaches en France. Je rappelle que je suis intervenu en 2006 auprès de M. Nicolas Sarkozy pour qu’il rédige la circulaire visant à régulariser les parents d’enfants scolarisés ayant toutes leurs attaches en France. Les enfants deviennent français parce qu’ils sont là depuis un certain temps. On évoque souvent les enfants scolarisés, mais la situation d’un enfant de trois ans qui vient d’arriver à l’école et celle d’un enfant de douze ans qui est arrivé à l’âge de trois ans sont très différentes. Le second est comme un petit Français, alors que le premier est encore avec sa mère et son père et n’est pas encore intégré. Il faut avoir une vision pragmatique, et non pas idéologique comme il semble que ce soit le cas pour les députés qui viennent de sortir. D’ailleurs, quand ils sont au pouvoir, ils finissent par faire plus ou moins comme les autres, par la force des choses.

Monsieur Verchère, les aides destinés à la réinsertion des Roms peuvent atteindre 2 000 euros. Elles ne sont pas dispensées sous forme d’argent, mais de matériel. À Timisoara, j’ai constaté que des Roms avaient utilisé cette aide pour rénover des maisons. À long terme, on ignore si ces personnes restent ou non. Dans les antennes dont dispose l’OFII à Bucarest et à Timisoara, en coopération avec l’ambassade, une assistante sociale vient observer le fonctionnement de ces projets, qui sont au nombre d’une cinquantaine. Mais, au-delà de deux ans, on manque de visibilité.

Le système OSCAR, qui permet de prendre les empreintes biométriques des bénéficiaires, rend impossible de toucher deux fois l’aide au retour.

Quant à réduire l’immigration, c’est possible en renforçant le contrôle de l’immigration familiale et en luttant contre les mariages frauduleux. De fait, comme l’a rappelé hier M. Claude Guéant, des ambassades et consulats ont alerté le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l’Intérieur en faisant état de nombreux mariages « blancs » – certaines personnes reçoivent de l’argent pour se marier dans un pays, puis rentrent, divorcent et repartent. Je ne dirai rien des mariages « gris » destinés à obtenir des papiers – ne faudrait-il pas alors annuler des mariages d’intérêt conclus dans la bourgeoisie ? Contre les mariages blancs, en revanche, le Gouvernement peut agir et j’espère qu’il le fera.

Quant à la falsification des cartes de séjour, c’est un sujet qui relève, non de l’OFII, mais du ministère et des préfectures.

M. Claude Goasguen. Avez-vous vérifié l’information selon laquelle de nombreux Roms seraient chassés de Hongrie, de Serbie, de Moldavie et d’Ukraine vers la France cependant que des pays de l’Union européenne contribueraient à ce mouvement ?

M. Arno Klarsfeld. Non. L’Italie, peut-être.

Je m’intéresse depuis longtemps aux Roms et je suis sans doute l’un des seuls dans cette salle à être allé en prison pour avoir manifesté en leur faveur – ce n’est le cas de personne à gauche. C’est un peuple très doué, persécuté tout au long des siècles. Lorsqu’au XIXe siècle chaque minorité a voulu avoir son territoire, les Roms ne possédaient pas l’élite qui le leur aurait permis et ils sont le seul peuple européen qui ne dispose pas d’un territoire propre. Ils ont ainsi été persécutés : durant la Seconde Guerre mondiale, entre 200 000 et 500 000 d’entre eux ont été exterminés par les nazis et 312 déportés de France vers des camps d’internement où certains sont morts et d’autres sont restés jusqu’en 1946.

L’Europe a évidemment envers les Roms une responsabilité, qu’elle s’efforce d’assumer, bloquant notamment 20 milliards d’euros à Bruxelles pour leur insertion en Roumanie, à charge pour ce pays de produire des projets destinés à employer ces fonds. Un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères a été envoyé en Roumanie pour presser le mouvement. Y aurait-il une mauvaise volonté du côté roumain ? Pour le dire clairement, les Roumains, même s’ils ne les persécutent pas, n’aiment pas les Roms et ne les aident guère. La natalité dans cette minorité est plus forte que celle des Roumains, qui ont donc intérêt à les intégrer. J’ai dit à l’ambassadeur de France récemment nommé à Bucarest que c’était une belle mission que de contribuer à trouver les moyens de régler ce problème, ce qui ne peut se faire qu’au niveau européen, avec le soutien de la France, qui a des rapports privilégiés avec la Roumanie.

Les Roms sont un peuple doué, je le répète, mais cela fait mal au cœur de voir que des enfants qui ont tant d’intelligence dans les yeux et tant de vivacité n’ont, vingt ans plus tard, plus de dents et que les femmes de trente ans semblent en avoir cinquante. La responsabilité en incombe en partie aux mafias, mais aussi à l’Europe qui, même si elle leur consacre un budget, n’a pas déployé la forte volonté politique qui convient, et aux Roumains qui n’ont pas fait le nécessaire.

On peut toutefois dire sans être blessant que les Roms aussi doivent se prendre en main et pousser leurs enfants à aller à l’école. Si triste que ce soit, il est difficile, dans l’Europe d’aujourd’hui, de vivre en marge. J’ai beaucoup d’affection pour les Roms, mais il faut poser clairement les problèmes pour pouvoir les résoudre.

Mme Brigitte Barèges. À la suite du printemps arabe, l’Italie a délivré des titres Schengen illégaux. Dans la région Midi-Pyrénées, dont je suis élue, on a vu arriver en masse, au moment de la récolte des fruits, des personnes venues du Maghreb avec des titres de séjour, sans doute également illégaux, délivrés par l’État espagnol qui souhaite se débarrasser d’eux. Ces personnes ont ensuite disparu.

M. Arno Klarsfeld. Cette situation ne relève pas de l’OFII. Les personnes possédant un titre de séjour dans l’espace Schengen ont le droit de circuler librement. C’est précisément la raison pour laquelle M. Guéant souhaitait, au printemps dernier, renforcer ou rétablir provisoirement les contrôles aux frontières. En cas de vastes mouvements migratoires, ces contrôles seront rétablis ponctuellement – cela relève du bon sens.

Mme Brigitte Barèges. Par ailleurs, Montauban a été durant deux ans la deuxième plate-forme régionale d’accueil des demandeurs d’asile et je remercie M. Guéant d’avoir mis fin à cette situation à compter du 31 décembre 2011. La ville a en effet vu affluer des étrangers de toute sorte, venus d’Europe de l’Est, d’Asie et d’Afrique et j’ai découvert à cette occasion que l’État avait sous-traité à des associations l’accueil et la prise en charge des demandeurs d’asile. Pour ma part, j’ai été victime d’une association très militante, qui passe son temps à critiquer le Gouvernement et qui s’est enrichie sur le dos de ces étrangers. Elle a en effet touché plus d’un million d’euros et a compté près d’une vingtaine de salariés, tout en plaçant de l’argent et en réalisant des excédents de trésorerie. Il semble que les services de l’État n’exercent pas vraiment de contrôle sur le milieu associatif.

M. Arno Klarsfeld. Je ne peux pas laisser dire sans preuves que les associations s’enrichissent. Elles font certes un travail militant et affichent parfois une orientation politique. Les gens que je rencontre sur le terrain sont sympathiques et les CADA sont très bien tenus, même par des associations politiques. Cependant, il est vrai que certaines, financées exclusivement par l’argent du contribuable, critiquent continuellement l’action du Gouvernement et ont assurément leur agenda politique.

La grande hétérogénéité des plates-formes d’accueil, qui peuvent consacrer aussi bien deux heures que huit à rédiger les projets destinés à l’OFPRA et consacrent des sommes très variables à la rémunération des avocats, peut attirer les demandeurs d’asile, bien informés par des filières, par leur famille ou par des amis, dans certaines régions plutôt que dans d’autres parce que l’accueil y est meilleur. Une standardisation s’impose par conséquent. Les personnes qui travaillent sur le terrain ont à cœur d’aider les demandeurs d’asile, mais ont également tendance à considérer que tous sont des réfugiés. Or, sur 60 000 personnes qui demandent l’asile, 10 000 seulement reçoivent le statut de réfugié politique. Qu’elles viennent pour des raisons économiques ou politiques, toutes les familles sont sympathiques, mais l’État ne peut laisser s’implanter une filière économique sous le paravent du droit d’asile.

Mme Maryse Joissains-Masini. Comme Mme Barèges, je considère que le contrôle des associations destinées à aider ces personnes est insuffisant.

À Aix-en-Provence, de nombreux enfants sont utilisés par les femmes pratiquant la mendicité. J’ai alerté les services de l’État sur cette pratique, car il est évident que de très jeunes enfants qui restent ainsi plusieurs heures dans les bras de ces femmes se sont vu administrer des médicaments à cet effet. L’État peut identifier les enfants non scolarisés et utilisés pour ces trafics, organisés par des mafias. Il est étonnant que les associations, qui reçoivent des fonds importants, ne luttent pas davantage contre ces comportements. L’OFII a-t-il la capacité d’agir en ce domaine ou faut-il saisir le ministère de l’intérieur ?

M. Michel Hunault. Comment coordonnez-vous l’action de l’OFII avec la lutte contre les filières d’immigration clandestine qui exploitent les détresses humaines ?

M. Guénhaël Huet. Je regrette moi aussi ce qui s’est produit tout à l’heure. À entendre M. Bernard Roman, on peut se demander si l’on n’est pas en train de restaurer dans notre pays le délit d’opinion.

Sur le fond, est-il possible de réduire les délais d’instruction des demandes de statut de réfugié politique ? De fait, plus le délai est long, plus les associations militent et mobilisent.

M. Arno Klarsfeld. C’est en effet regrettable car, au bout de vingt mois, les enfants des déboutés, qui ont été scolarisés, commencent à avoir des attaches. Or, comme l’a souligné M. Guéant, on ne peut expulser des gens dont toutes les attaches sont en France. Soixante-quinze personnes ont été affectées à l’OFPRA et quarante à la Cour nationale du droit d’asile en vue de raccourcir les délais, qu’il est prévu de ramener en 2012 de vingt à douze mois à un an, puis à six, comme en Allemagne. Il incombe ensuite à l’OFII d’offrir une aide au retour de quelques milliers d’euros – qui devrait idéalement être individualisée en fonction des besoins et du pays concerné, et non pas forfaitaire quelle que soit la situation. Des expulsions devraient également intervenir pour éviter la création de filières d’immigration économique.

Pour ce qui concerne les associations, un cahier des charges devra être défini. C’est en effet à l’État et à la représentation nationale qu’il appartient de fixer la mission des associations, et non à ces dernières d’imposer leur agenda au Gouvernement.

Quant aux enfants qui mendient dans les rues, il convient de saisir la préfecture. À Paris, que je traverse souvent à vélo, je constate que les enfants portés dans les bras des femmes qui mendient, nombreux il y a deux ou trois ans, ont presque disparu, ce qui laisse penser que des mesures ont été prises.

M. Jean Tiberi. La police a fait à Paris un effort considérable en la matière, mais on observe depuis plusieurs mois une recrudescence tant d’enfants que d’adultes qui font notamment signer des pétitions.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Monsieur le président Klarsfeld, je vous remercie.

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* *

La Commission examine ensuite, sur le rapport de M. Bernard Carayon, la proposition de loi visant à sanctionner la violation du secret des affaires (n° 3985).

M. Bernard Carayon, rapporteur. François Mitterrand, dans sa Lettre à tous les Français, évoquait en avril 1988 la « guerre économique mondiale », soulignant que « l’économie mondiale [n’est qu’un] champ de bataille où les entreprises se livrent une guerre sans merci », où la guerre est « totale et générale » et où le « relâchement ne pardonne pas ». Ce constat est plus vrai que jamais dans une économie mondialisée, dont le caractère conflictuel a été accru par l’exacerbation de la concurrence entraînée par la crise, et où le patrimoine des entreprises prend de plus en plus la forme d’informations dématérialisées, faciles à dérober.

Dans ce contexte, je tiens à souligner à quel point le sujet que nous abordons, loin d’être partisan, est d’intérêt national ; c’est la raison pour laquelle j’ai entamé mon propos par une citation de François Mitterrand. Protéger le secret des affaires, c’est protéger des emplois, des technologies sensibles et des investissements ; c’est lutter contre la désindustrialisation. Certains pays l’ont bien compris : aux États-Unis, la loi sur l’espionnage économique de 1996 est issue d’une initiative bipartisane, présentée par un représentant républicain et deux représentants démocrates, tout comme la proposition de loi adoptée le 8 décembre dernier par la commission des lois du Sénat américain, qui renforce cette première loi en portant les sanctions prévues de quinze à vingt ans d’emprisonnement. Il serait heureux qu’il en soit de même en France. Le soutien apporté à ce texte par notre collègue Jean-Michel Boucheron, ancien président de la commission de la Défense, constitue un signe encourageant à cet égard ; j’espère qu’il sera suivi de nombreux autres.

Cette proposition de loi vise à combler une lacune de notre droit. En effet, face à la multiplication des atteintes au secret des affaires, l’arsenal juridique apparaît inadapté. Les violations du secret des affaires se sont multipliées au cours des dernières années. Quelques affaires fortement médiatisées l’ont illustré : en 2005, une étudiante de nationalité chinoise ayant effectué un stage au sein de l’équipementier Valeo a exporté plusieurs fichiers informatiques confidentiels de cette société sur son disque dur personnel ; en 2007, un ancien ingénieur de Michelin, qui travaillait dans un centre de recherche classé « établissement à régime restrictif », a collecté un nombre considérable d’informations confidentielles et cherché à les vendre à des entreprises étrangères, concurrentes de Michelin.

Ces exemples ne constituent que la partie émergée de l’iceberg : dans de nombreux cas, les entreprises préfèrent ne pas porter plainte pour ne pas ébruiter l’attaque dont elles ont été victimes ; dans d’autres, le parquet décide de ne pas poursuivre car l’atteinte ne pourrait être réprimée par les infractions existantes, dont les éléments constitutifs ne sont pas réunis.

Selon les services de l’État, le nombre de ces attaques est en forte croissance. Il s’élèverait à environ 1 000 par an, un quart d’entre elles constituant des atteintes au secret des affaires. Les secteurs les plus touchés sont l’aéronautique, la filière nucléaire, les laboratoires de recherche, le secteur automobile et la sidérurgie. Le préjudice économique causé est impossible à évaluer avec précision. Pour donner un ordre de grandeur, aux États-Unis, la justice américaine a condamné un concurrent coréen du groupe DuPont de Nemours à verser à ce dernier 920 millions de dollars pour lui avoir dérobé des secrets d’affaires relatifs au Kevlar – en d’autres termes la fibre d’aramide.

L’arsenal juridique français ne permet pas de réprimer efficacement ces violations du secret des affaires. En premier lieu parce que ni les textes, qu’ils soient législatifs ou réglementaires, ni la jurisprudence, qu’elle soit judiciaire ou administrative, ne définissent ce qu’est le secret des affaires, bien que l’expression soit fréquemment employée dans les codes du commerce, de la consommation ou des postes et communications électroniques.

En second lieu, les infractions existantes, potentiellement applicables, sont inadaptées. Le vol, par exemple, ne peut être appliqué à un bien immatériel : le terme employé à l’article 311-1 du code pénal étant celui de « chose », il ne peut porter, en dépit des efforts de la Cour de cassation, sur une information. L’abus de confiance a permis certaines condamnations car il peut être appliqué à tout « bien quelconque », mais une « remise préalable », donc un lien contractuel en l’espèce, est requise, ce qui est loin d’être toujours le cas. Le secret professionnel ne concerne qu’un nombre limité de professions et la révélation de faits appris dans l’exercice de l’activité professionnelle. La révélation de secrets de fabrique ne concerne que les salariés et les directeurs, et seuls sont visés les procédés de fabrication industriels. Les infractions applicables sont très nombreuses, mais elles ne permettent pas de répondre efficacement au phénomène. Mon rapport fournit une analyse détaillée de ces limites.

Il existe, par ailleurs, des actions civiles en réparation du dommage, fondées sur l’article 1382 du code civil et sur la concurrence déloyale. Elles sont utiles mais insuffisantes, car elles n’exercent pas d’effet dissuasif : il s’agit de réparer, non de prévenir ; or, ce que veulent les entreprises, c’est éviter le préjudice, lequel, une fois subi, est difficile à évaluer car il consiste souvent en la perte d’une opportunité ou d’un avantage concurrentiel.

Le texte qui vous est proposé vise à combler cette lacune afin d’assurer la sécurité économique des entreprises. Il s’inspire du droit international et européen, l’un et l’autre très protecteurs du secret des affaires. En droit international, celui-ci est protégé par l’article 39 de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce, dit accord ADPIC, annexé à l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994. Ce texte définit le secret des affaires et impose aux États parties, dont la France évidemment, de le protéger. La proposition de loi répond ainsi à une obligation internationale. Le droit de l’Union européenne est également très protecteur : le secret des affaires y est protégé au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, par les traités eux-mêmes, en l’occurrence l’article 339 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

La proposition de loi s’inspire également des législations de nos partenaires, qui sont présentées en détail dans le rapport. Outre de la loi américaine sur l’espionnage économique de 1996, dont les peines déjà lourdes – quinze ans d’emprisonnement et 500 000 dollars d’amende – seront peut-être renforcées prochainement, je me suis inspiré des législations allemande, autrichienne et italienne.

Enfin, ce texte est l’aboutissement d’un long travail de réflexion et de maturation engagé en 2003 avec la remise d’un rapport au Premier ministre de l’époque, M. Raffarin, sur l’intelligence économique. Fruit de près de 1 500 auditions depuis huit ans, il tient également compte des travaux préparatoires menés par le Gouvernement depuis 2009 – deux groupes de travail ont ainsi été créés –, ainsi que de l’expertise juridique du Conseil d’État, consulté cette année par le Gouvernement sur les principes qui doivent guider une nouvelle législation en ce domaine.

Cette proposition comporte trois volets. Le premier, pédagogique et préventif, vise à renforcer la prise de conscience, par les entreprises, des menaces existantes et à les inciter – sans obligation – à entreprendre une démarche visant à protéger leurs informations. La définition qu’il est proposé d’inscrire à l’article 226-15-1 du code pénal est précise et circonscrite. Elle repose sur la combinaison de cinq critères cumulatifs : une liste des biens susceptibles d’être couverts par le secret des affaires ; la nature des informations, qui peut être « commerciale, industrielle, financière, scientifique, technique ou stratégique » ; le caractère confidentiel des informations ; le fait que « la divulgation non autorisée [de ces informations] serait de nature à compromettre gravement les intérêts de cette entreprise en portant atteinte à son potentiel scientifique et technique, à ses positions stratégiques, à ses intérêts commerciaux ou financiers ou à sa capacité concurrentielle » – cette liste correspond strictement, selon les éléments qui m’ont été transmis, aux recommandations du Conseil d’État – ; les mesures de protection spécifiques dont ces informations ont fait l’objet, qui sont destinées à informer de leur caractère confidentiel et à garantir celui-ci. Ces mesures seront prises après une information préalable du personnel et déterminées par un décret en Conseil d’État, ce qui constitue une garantie supplémentaire et indispensable, dès lors qu’elles font partie des éléments constitutifs d’une infraction pénale. Elles devraient inclure, par exemple, l’établissement d’une liste des personnes autorisées à prendre connaissance des informations, un stockage des documents en papier dans des coffres ou des locaux sécurisés, ou la mise en place de dispositifs de cryptage et de codes d’accès. Il conviendra bien entendu qu’elles ne créent pas de lourdeur excessive pour les entreprises concernées.

La précision de cette définition en assure la conformité au principe de légalité des délits et des peines. J’ai été particulièrement vigilant sur ce point. Les éléments retenus correspondent, comme je l’ai dit, aux recommandations du Conseil d’État. J’ai aussi consulté un pénaliste, le professeur Didier Rebut, de l’Université Panthéon-Assas, qui me l’a confirmé.

Le deuxième volet est la création du délit de violation du secret des affaires, qui figurera à l’article 226-15-2 du code pénal. L’infraction sera précisément définie. L’élément matériel consiste dans la révélation d’une information protégée qui relève du secret des affaires. La notion de « révélation », que l’on retrouve en différentes parties du code pénal, est encadrée par la jurisprudence. La tentative ne sera pas incriminée. Seules les personnes dépositaires de l’information ou celles qui en ont eu connaissance, ainsi que des mesures de protection qui l’entourent, pourront être sanctionnées : l’infraction visée est intentionnelle ; elle exclut toute faute commise par imprudence.

Parallèlement, d’importantes garanties sont prévues. Ce n’est en aucun cas l’entreprise qui déterminera le champ de l’infraction. L’adoption de mesures de protection n’est en effet qu’un critère, certes indispensable, mais secondaire. Elle ne suffira pas à conférer la nature d’information protégée à l’information en cause : il n’en sera ainsi que si toutes les autres conditions sont réunies ; c’est le juge pénal, et lui seul, qui sera compétent sur ce point. Cet élément est essentiel aux yeux du Conseil d’État.

Par ailleurs, à la différence du secret de la défense nationale, le secret des affaires sera inopposable à la justice, de même qu’aux autorités administratives dans l’exercice de leur mission de surveillance, de contrôle ou de sanction, ce qui inclut notamment les services de police, de douane, de renseignement et les autorités administratives indépendantes.

Trois faits justificatifs sont prévus : aucune sanction n’est applicable si la divulgation répond à un ordre ou à une permission de la loi – l’information des représentants du personnel, par exemple –, à la dénonciation de faits susceptibles de constituer une infraction ou un manquement, ou si le juge a ordonné ou autorisé la production de la pièce concernée. Aucune sanction disciplinaire ne pourra être prononcée en cas de signalement aux autorités compétentes dans ces conditions. Ainsi, un salarié d’une entreprise qui dénoncerait des pratiques contraires au code de la santé publique – est-il besoin de nommer les entreprises auxquelles je songe ? – n’encourrait aucune sanction, ni pénale, ni disciplinaire, même si l’entreprise considérait que le procédé de fabrication – par exemple de ses prothèses médicales – relevait du secret des affaires. C’est dire l’importance de ces garanties.

Les peines prévues dans le texte initial sont celles qui existent en cas de violation du secret professionnel : un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Cependant, tous les praticiens que j’ai auditionnés ayant souligné le caractère insuffisant de ces peines et préconisé leur alignement sur celles prévues en cas d’abus de confiance, c’est-à-dire trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende, j’ai déposé un amendement en ce sens.

Le troisième volet est la réforme de la loi du 26 juillet 1968, oubliée et méconnue de beaucoup, relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques morales ou étrangères, telle qu’elle a été modifiée par la loi du 16 juillet 1980. Elle est appelée « loi de blocage » parce que son objectif était, selon les explications de notre regretté collègue Alain Mayoud, de fournir une excuse légale aux entreprises françaises confrontées à des demandes d’informations émanant d’autorités étrangères, et d’obliger ces dernières à faire usage des canaux de coopération judiciaire prévus par la Convention de La Haye du 18 mars 1970. Étaient visées, en particulier, les procédures américaines dites de « discovery », qui ont trop souvent pour objet d’aller à la « pêche » à la preuve et aux informations confidentielles détenues par nos entreprises.

Cet objectif n’a pas été atteint ; la loi est inefficace et obsolète. Les juridictions britanniques et surtout américaines ont en effet jugé qu’elle ne pouvait faire obstacle aux procédures, le risque pénal invoqué par les entreprises françaises n’étant pas réel. La jurisprudence américaine, établie dans une décision de la Cour suprême de 1987 relative à Aérospatiale, est très claire sur ce point. Cette position n’est pas dénuée de tout fondement, il faut bien le reconnaître : en plus de trente ans d’existence, la loi visée n’a conduit qu’à une seule condamnation pénale, en 2007 ! Son champ d’application est trop large et insuffisamment précis, car elle interdit la communication de tout renseignement d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique tendant à la constitution de preuves en vue de procédures judiciaires ou administratives étrangères.

La réforme proposée par les nouveaux articles 226-15-4 et 226-15-5 du code pénal vise à refonder cette « loi de blocage » par l’abrogation de son article 1er bis, lequel serait remplacé par une disposition nouvelle, assez proche de la rédaction actuelle mais recentrée sur les seules informations protégées relevant du secret des affaires. Cette rénovation redonnerait une vraie crédibilité au dispositif, d’une part en démontrant l’importance que les pouvoirs publics lui accordent, de l’autre en le resserrant autour des seules informations qui méritent réellement d’être protégées. L’enjeu, comme celui du texte dans son ensemble, est de permettre à notre pays de lutter à armes égales dans une compétition internationale agressive.

Je vous invite donc à adopter cette proposition de loi au bénéfice d’un certain nombre d’amendements, pour l’essentiel de clarification et de précision. Deux d’entre eux sont néanmoins substantiels : le premier, dont j’ai déjà parlé, concerne l’alignement des peines sur celles prévues en matière d’abus de confiance ; le second répond à une préoccupation exprimée par le Syndicat de la presse nationale quotidienne quant aux conséquences de ce texte pour les journalistes. J’ai donc repris l’une de ses suggestions, qui était de permettre à une personne poursuivie pour diffamation de produire des pièces couvertes par le secret des affaires, afin d’établir sa bonne foi ou la vérité des faits, sans être poursuivie pour recel. Cette disposition est déjà prévue par l’article 35 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 2010 sur la protection du secret des sources des journalistes, pour le secret de l’enquête ou de l’instruction et le secret professionnel.

M. Jean-Jacques Urvoas. Votre initiative, monsieur le rapporteur, est pertinente : la protection des entreprises françaises n’est pas un enjeu partisan mais d’intérêt national, et notre pays accuse, en ce domaine, un retard qu’il est temps de combler.

Je ferai cependant deux remarques. La première concerne la difficulté d’établir le diagnostic. Par définition, certaines entreprises peuvent être victimes d’une violation de leur secret sans le savoir ; d’autres peuvent préférer ne pas porter plainte afin d’éviter une publicité fâcheuse. Dans ces conditions, les chiffres mentionnés dans votre projet de rapport – 1 000 atteintes recensées en 2010 par le délégué interministériel à l’intelligence économique – ne sauraient être que de simples indications, d’autant qu’ils proviennent, pour l’essentiel, de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Or celle-ci ne s’intéressant qu’aux ingérences étrangères, nous n’avons aucune donnée sur les attaques intra-nationales, puisque aucun service n’est dévolu à cette mission. Il s’agit d’une carence de notre dispositif de renseignement. C’est là l’une des conséquences dommageables de la précipitation avec laquelle fut adoptée la réforme précipitée qui entraîna la fusion d’une partie de la direction centrale des renseignements généraux avec la direction de la surveillance du territoire (DST) au sein de la DCRI. Le Parlement avait d’ailleurs été totalement exclu de cette réforme décidée entre le mois de septembre 2007 et le 1er juillet 2008. Comme on l’a vu récemment avec Renault, on imagine difficilement une entreprise confier de tels dossiers à des policiers ignorants en la matière.

Vous proposez par ailleurs de réformer la loi de 1968, car vous la jugez ineffective et obsolète. Au regard de votre diagnostic, on ne peut que partager cette analyse. Les arcanes du droit américain me sont inconnus, mais il s’agit, si j’ai bien compris, de permettre à nos entreprises de ne pas répondre à des demandes de renseignements excessives en leur fournissant une excuse légale. Comme vous l’avez rappelé, les sanctions sont théoriques, puisqu’une seule condamnation pénale a été prononcée sur la base de cette loi depuis sa modification en 1980. Il n’y a aucune raison de ne pas vous suivre quant à la nécessité de mieux protéger le secret des affaires, ce qui est prévu à l’article 1er de la proposition. La définition que vous proposez est plus étroite que celle qui figure dans l’accord international d’avril 1994 relatif à la propriété intellectuelle, mais elle reprend les recommandations du Conseil d’État. Par conséquent, nous y sommes plutôt favorables.

En revanche, nous sommes plus dubitatifs sur l’abrogation de l’article 1er bis de la loi de  1968. Vous reprenez, avec cette disposition, une préconisation du rapport du groupe de travail de 2009 présidé par M. Claude Mathon, avocat général à la Cour de cassation. Reste que, comme pour la loi de 1968, l’efficacité du dispositif dépendra de l’attitude des juridictions étrangères, principalement américaines. Or, en l’état actuel de nos informations, la nouvelle rédaction ne nous semble pas pallier l’absence de doctrine de l’État français. Nous n’en discernons donc pas les éventuels avantages. Quels sont, sur ce point, les sentiments de la Chancellerie et du délégué interministériel à l’intelligence économique ?

M. Jean-Michel Clément. Il est utile de conceptualiser la notion de secret des affaires dans notre droit. Dans les pays anglo-saxons, le protectionnisme économique passe aussi par le droit, lequel, faute d’une législation pertinente en France, se retourne contre nos entreprises en les obligeant à dévoiler leurs secrets. J’ajoute que la dématérialisation des relations d’affaires augmente les risques. Cette proposition de loi est donc une heureuse initiative, d’autant qu’en consacrant une vision plus économique que financière de l’entreprise, elle s’avère particulièrement opportune dans le contexte de la crise.

Cependant, si de tels dispositifs seront bien appréhendés par les grands groupes, on peut nourrir quelques inquiétudes pour les PME, qui sont souvent innovantes et compétitives à l’exportation et ce, dans des domaines parfois sensibles. Je crains, à cet égard, qu’elles n’aient pas forcément les moyens de profiter des mesures proposées.

Votre rapport indique que la notion que nous sommes invités à définir sera utilement complétée par la jurisprudence. Certes, le juge est lui aussi créateur de droit ; mais il serait dommage que cette jurisprudence naisse des difficultés d’appréhension du texte par les PME. À ces quelques réserves près, je suis favorable à votre proposition de loi.

M. Jérôme Lambert. Il ne faut pas faire d’angélisme : les questions dont nous débattons sont souvent au cœur de la vie des affaires. Nous devons donc donner à nos entreprises les moyens de mieux se protéger contre les mauvaises pratiques, dans un contexte très concurrentiel.

Cela étant, aux termes de l’article 226-15-1 du code pénal, vous exigez des « mesures de protection spécifiques » qui soient largement divulguées au sein de l’entreprise. Or, par définition, la meilleure façon de protéger une information sensible est de ne pas la rendre publique. Aussi cette idée de « mesures de protection spécifiques, prises après une information préalable du personnel » est peut-être contradictoire dans les termes. Le risque se situe bien souvent dans l’entreprise même et il convient donc de la convaincre de la nécessité de se protéger, en amont même de la loi.

Enfin, un texte comme celui-ci n’est utile que si l’on ne supprime pas, dans le même temps, des milliers d’emplois dans la police et la gendarmerie, lesquelles œuvrent beaucoup dans le domaine de l’intelligence économique. Les suppressions de postes dans la gendarmerie atteindront ainsi 1 300 équivalents temps plein en 2012 ! Comment, dans ces conditions, demander à ces forces d’en faire plus ?

Mme Maryse Joissains-Masini. Je partage l’analyse de M. Urvoas. J’ajouterai cependant deux remarques.

En premier lieu, l’article 1er dispose que l’indiscrétion doit être « de nature à compromettre gravement les intérêts de [l’]entreprise ». L’adverbe « gravement » n’introduit-il pas une part de subjectivité qui risque d’entraîner des difficultés lors des procès ? Le supprimer faciliterait sans doute l’application du texte.

Par ailleurs, les peines encourues – un an d’emprisonnement dans la version initiale, trois si l’amendement CL 5 est adopté – vous semblent-elles vraiment dissuasives, en comparaison des quinze ans d’emprisonnement prévus par la législation américaine ? Je me demande si le risque d’un emprisonnement de trois ans – qui seront de surcroît ramenés à un an et demi, compte tenu des remises de peine – est suffisant, non seulement pour dissuader de voler certains secrets industriels, mais aussi au regard de l’étendue des pertes encourues par une entreprise dont les secrets professionnels sont divulgués.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je souhaite, avant de lui donner la parole, féliciter notre rapporteur pour son initiative et pour la qualité du travail qu’il effectue depuis plusieurs années. Le renforcement de la protection juridique des entreprises françaises est évidemment un puissant enjeu d’intérêt général, pour lequel il reste d’ailleurs beaucoup à faire.

Il est certainement possible, de ce point de vue, d’améliorer encore les dispositions relatives à la loi de 1968 ; mais rassemblons-nous, aujourd’hui, pour saluer la qualité de ce travail en souhaitant qu’il se poursuive.

M. le rapporteur. Je me réjouis que nos collègues socialistes partagent nos analyses sur la conflictualité des relations commerciales et sur la nécessité de donner à nos entreprises les moyens de lutter à armes égales avec des concurrents qui, en utilisant le droit, se comportent parfois de façon déloyale. C’est tout le sens de la politique d’intelligence économique menée depuis 2004.

M. Urvoas a souligné, à juste titre, la difficulté du diagnostic. Mais cette difficulté renvoie à celle, plus générale, du chiffre noir de la délinquance. Je vous renvoie néanmoins à mon rapport, qui évoque une étude de KPMG selon laquelle plus de 15 millions de personnes dans le monde auraient été victimes de vols ou de pertes d’informations en 2010, et plus de 249 millions de piratage d’informations depuis 2007.

Selon une étude réalisée par un autre cabinet de conseil, 61 % des entreprises françaises ont déclaré avoir subi au moins un incident de sécurité en 2011, contre 39 % en 2010. En 2011, 17 % des entreprises auraient par ailleurs été victimes de vol de propriété intellectuelle, contre 6 % en 2008, et 13 % d’atteinte à leur image de marque, contre 6 % en 2008.

Ces chiffres, aussi imprécis soient-ils, témoignent de l’intensité de la guerre économique à laquelle se livrent les entreprises et les États : je vous renvoie, sur ce point, aux ouvrages très éclairants de l’universitaire Christian Harbulot.

Il est vrai, monsieur Urvoas, que nous n’avons pas de données statistiques sur les pratiques de concurrence déloyale entre les entreprises françaises. Mais comment distinguer, dans le droit, ces pratiques selon la nationalité des entreprises ? C’est la DCRI, au travers de sa sous-direction de la protection du patrimoine industriel et scientifique français, qui est compétente pour ces missions ; je vois mal comment un autre service pourrait s’en charger.

La loi de 1968, modifiée en 1980 après avoir été adoptée dans un contexte de conflit commercial et diplomatique avec les États-Unis, est beaucoup trop large puisqu’elle sanctionne la communication de tout renseignement, quelle qu’en soit la nature ; c’est d’ailleurs, disons-le clairement, ce qui la met à la merci d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Dans le cadre des procédures américaines de discovery, préalables aux procès, nos entreprises font parfois l’objet d’investigations dont le caractère est proprement scandaleux : les juridictions étrangères, notamment américaines, profitent du droit pour obtenir d’elles des informations qui n’ont souvent aucun rapport avec les motifs de la saisine.

Il est donc indispensable de préciser la notion de « secret des affaires » dans notre droit ; faute de quoi, la loi de 1968 resterait menacée constitutionnellement. La proposition de loi a pour objet de remédier à ce problème dans le respect du principe de la légalité des délits et des peines. La Chancellerie est réservée, car elle estime que l’on ne peut obliger les entreprises à passer par le canal de la protection du secret des affaires pour bénéficier de la loi de 1968 modifiée. Cela me semble un très mauvais argument, car le but du dispositif est précisément d’inciter les entreprises à consentir de réels efforts pour mieux protéger leurs informations : c’est à ce prix qu’il sera efficace pour celles qui y recourront.

De surcroît, les entreprises sont prises entre le marteau et l’enclume : soit elles refusent de déférer, sous peine de sanctions extrêmement lourdes dans les pays concernés, à des demandes parfois infondées des juridictions étrangères, soit elles s’exposent à des sanctions pénales en France.

La Chancellerie s’appuie sur l’avis du MEDEF ; pour ma part, je me fais l’interprète, non seulement des très nombreux responsables d’entreprise que j’ai rencontrés depuis des années, mais aussi de l’intérêt de l’État, puisqu’il s’agit de résoudre un problème qui ne peut l’être dans un cadre contractuel.

Le secrétaire général du Quai d’Orsay, lui, est favorable à ce texte, et le coordinateur national du renseignement à l’Élysée, M. Ange Mancini, lui a apporté un soutien très marqué.

M. Clément a souligné l’utilité d’une conceptualisation : c’est exactement le terme qui convient. Le droit est une arme comme les autres, et la France a trop longtemps déserté le champ de bataille des normes juridiques, voire des règles professionnelles. Depuis des années, je milite en faveur d’une stratégie publique de normalisation et de certification afin d’identifier les enjeux stratégiques pour nos entreprises, dont les représentants, comme les services de l’État, sont trop peu présents au sein des lieux de production de ces normes et règles.

M. Clément, que je remercie chaleureusement pour son soutien au texte, a aussi souligné la dématérialisation des échanges, phénomène qui, parce qu’il concerne aussi bien les secrets que l’ensemble des informations, doit faire l’objet d’une réponse adaptée.

Il faut sans doute distinguer entre les PME et les grands groupes, encore que ceux-ci ne soient pas toujours exempts de naïveté, comme j’ai pu le constater, y compris chez ceux qui évoluent dans des secteurs stratégiques, tels que l’énergie. S’agissant des PME, le texte vise bien entendu les plus sensibles ou stratégiques d’entre elles, même si, depuis quelques années, le nombre de PME exposées va croissant. À cet égard, il est urgent que les pôles de compétitivité adoptent une vraie stratégie en matière d’intelligence économique et de protection des travaux qui y sont réalisés, puisqu’ils rassemblent les meilleurs talents scientifiques, industriels et administratifs.

S’il ne faut, en matière de secret des affaires, n’être ni naïf ni paranoïaque, il faut à coup sûr, monsieur Lambert, se garder de tout angélisme. Les entreprises qui appartiennent à des secteurs stratégiques connaissent les difficultés de communiquer sur des informations sensibles, et des procédures spécifiques existent déjà. Reste que l’intérêt du présent texte est d’associer dissuasion et pédagogie – au bénéfice, d’ailleurs, de toutes les entreprises, quelle que soit leur taille ou leur spécialité –, mais aussi d’offrir un nouveau support aux magistrats, notamment aux plus jeunes d’entre eux. Les élèves de l’École nationale de la magistrature sont d’ailleurs sensibilisés, en particulier par l’avocat général Claude Mathon, à la politique menée en matière d’intelligence économique.

M. Lambert a aussi souligné le rôle de la gendarmerie nationale, même si celui-ci est plutôt de rassembler les informations portées à la connaissance des services de police spécialisés. Il revient cependant à la DCRI, et à elle seule, de coordonner le travail en la matière.

Le mot « gravement », madame Joissains-Masini, est directement issu de la jurisprudence européenne ; c’est celui qui figure, par exemple, dans un arrêt du tribunal de première instance des Communautés européennes de 1996. Ce terme permet de préciser l’incrimination, d’en souligner le caractère pédagogique et de la rendre plus conforme à notre droit constitutionnel, ce qui me semble être un impératif.

S’agissant du quantum des peines, l’échelle est très différente aux États-Unis et en France ; je n’ouvrirai donc pas ce débat. En ce domaine, le mieux est l’ennemi du bien, et je me permets de solliciter votre confiance : au terme de mes auditions, il m’est apparu que le relèvement des seuils – d’un à trois ans d’emprisonnement, et de 15 000 à 375 000 euros d’amende – était suffisamment dissuasif, ce qui n’était évidemment pas le cas des peines prononcées dans les affaires Michelin et Valeo.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er (art. 226-15-1, 226-15-2, 226-15-3,226-15-4 et 226-15-5 [nouveaux] du code pénal) : Définition et protection du secret des affaires des entreprises

La Commission adopte successivement plusieurs amendements du rapporteur : CL 2, de rectification d’une erreur matérielle, CL 3, rédactionnel, CL 5, relevant les sanctions encourues, et CL 4, rédactionnel.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

Article 2 (art. 1 bis, 2 et 3 de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968) : Coordination

La Commission adopte l’amendement de coordination CL 6 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

Article additionnel après l’article 2 (art. 35 de la loi du 29 juillet 1881) : Diffamation et recel de violation du secret des affaires

La Commission adopte l’amendement CL 1 du rapporteur, qui vise à permettre à une personne poursuivie pour diffamation de produire pour sa défense une pièce couverte par le secret des affaires afin de prouver sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires, sans risquer d’être condamnée pour recel de violation du secret des affaires.

Puis elle adopte à l’unanimité l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

Amendements examinés par la Commission

Amendement CL1 présenté par M. Carayon, rapporteur :

Après l’article 2

Insérer l’article suivant :

« Au dernier alinéa de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les mots : “ou de tout autre secret professionnel” sont remplacés par les mots : “, de tout autre secret professionnel ou du secret des affaires”. »

Amendement CL2 présenté par M. Carayon, rapporteur :

Article 1er

À l’alinéa 1, substituer à la référence : « chapitre IV » la référence : « chapitre VI ».

Amendement CL3 présenté par M. Carayon, rapporteur :

Article 1er

À l’alinéa 5, supprimer les mots : « et destinées à garantir la confidentialité des informations ».

Amendement CL4 présenté par M. Carayon, rapporteur :

Article 1er

À l’alinéa 10, après le mot : « manquements », insérer les mots : « aux lois et règlements en vigueur ».

Amendement CL5 présenté par M. Carayon, rapporteur :

Article 1er

Aux alinéas 6 et 14, substituer aux mots : « d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende », les mots : « de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende ».

Amendement CL6 présenté par M. Carayon, rapporteur :

Article 2

Compléter cet article par le paragraphe suivant :

« II. – Au premier alinéa de l’article L. 363-1 du code des assurances, les mots : “aux dispositions de l’article 1er bis de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales” sont remplacés par la référence : “à l’article 226-15-4 du code pénal”. »

Après avoir nommé M. Sauveur Gandolfi-Scheit rapporteur de ce texte, la Commission procède à l’examen de la proposition de loi de M. Sauveur Gandolfi-Scheit et plusieurs de ses collègues visant à consacrer le droit au rapprochement familial pour les détenus condamnés (n° 2282).

M. Sauveur Gandolfi-Scheit, rapporteur. Cette proposition de loi, déposée en février 2010, vise à favoriser le rapprochement familial des détenus condamnés. La question, récurrente et bien connue, concerne notamment les détenus originaires de Corse, dont l’incarcération sur le continent, loin de leur domicile, rend beaucoup plus difficile le maintien de liens avec leur famille et leurs proches. Une telle situation non seulement complique la réinsertion future, mais de plus étend, de manière indirecte, la sanction pénale aux familles. Ces dernières ne doivent pas être les victimes de l’incarcération d’un de leurs membres.

Cependant, la préoccupation est loin d’être spécifique aux territoires insulaires : le maintien des liens familiaux est un enjeu qui concerne l’ensemble des détenus, sur tout le territoire national. Je rappelle à cet égard que le droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, continue de s’appliquer en cas de privation de liberté.

La proximité du lieu de détention avec le lieu de résidence est également l’un des objectifs fixés par les « règles pénitentiaires européennes » établies dans le cadre du Conseil de l’Europe. Ces règles n’ont certes pas de valeur normative, mais elles n’en constituent pas moins des lignes directrices que chaque État devrait s’efforcer de suivre. Ainsi, la règle pénitentiaire européenne n° 17.1 prévoit que « les détenus doivent être répartis autant que possible dans des prisons situées près de leur foyer ou de leur centre de réinsertion sociale ».

Or, en l’état, notre droit positif reste notoirement insuffisant pour garantir le maintien des liens familiaux des détenus et, plus précisément, pour favoriser une incarcération à proximité de la famille de la personne condamnée.

Certes, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a permis plusieurs avancées en la matière. Elle consacre notamment les droits de visite des détenus, ainsi que l’institution des unités de vie familiale et des parloirs familiaux.

Surtout, son article 34 dispose que « les prévenus dont l’instruction est achevée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement peuvent bénéficier d’un rapprochement familial jusqu’à leur comparution devant la juridiction de jugement ».

Mais cette consécration par le législateur de la notion de « rapprochement familial » ne concerne que les prévenus en attente de jugement, non les détenus condamnés. Or il n’y a pas lieu de priver ces derniers du bénéfice du rapprochement familial. Pire : la loi pénitentiaire de 2009 peut désormais conduire à des situations pour le moins étranges, dans lesquelles un prévenu serait incarcéré loin de sa famille durant l’instruction, puis rapproché de celle-ci dans l’attente de son jugement, avant d’être de nouveau éloigné en cas de condamnation.

La proposition de loi vise donc à remédier à cette lacune de notre législation, en étendant aux détenus condamnés la préoccupation du rapprochement familial.

Sa rédaction initiale était très précise : elle prévoyait notamment que les détenus condamnés ne devaient pas être incarcérés « dans un établissement pénitentiaire situé à moins de 200 kilomètres de leur lieu de résidence au moment de leur arrestation ». Toutefois, à la réflexion, cette rédaction est apparue excessivement rigide et très difficile à mettre en œuvre en pratique. Il faut en effet tenir compte de la répartition sur le territoire des différentes catégories d’établissements pénitentiaires – maisons centrales, centres de détention, maisons d’arrêt, etc. –, ainsi que des exigences de sécurité propres à chaque catégorie de personnes condamnées. Par ailleurs, d’autres critères que la proximité du détenu avec sa famille ou son domicile doivent être pris en compte pour déterminer l’affectation dans un établissement pénitentiaire : par exemple l’âge, l’état de santé ou la personnalité du détenu.

C’est pourquoi je vous proposerai tout à l’heure un amendement réécrivant l’article unique de la proposition de loi, afin d’inscrire dans le code de procédure pénale un dispositif plus souple et plus réaliste que le dispositif initial.

Plus précisément, il s’agit d’élever au niveau législatif la procédure dite d’« orientation » des personnes condamnées par l’administration pénitentiaire, figurant aujourd’hui dans la partie réglementaire du code de procédure pénale.

À la différence du droit actuel, cette procédure d’orientation devrait viser à « favoriser le maintien des liens familiaux de la personne condamnée ». Concrètement, l’administration pénitentiaire devrait proposer, « chaque fois que c’est possible », une affectation dans l’établissement qui correspond au profil du condamné et qui est le plus proche de son domicile. La rédaction retenue s’inspire de celle de la règle pénitentiaire européenne n° 17.1, déjà évoquée, selon laquelle les détenus doivent être répartis « autant que possible » dans des prisons situées près de leur foyer ou de leur centre de réinsertion sociale. Pourraient toutefois y faire obstacle les exigences de sécurité des personnes et des biens, ainsi que le projet d’exécution de la peine.

Compte tenu de la nouvelle rédaction de l’article unique, je vous proposerai aussi d’adopter un amendement modifiant le titre de la proposition de loi. Dans un esprit de cohérence, il me semble plus pertinent de l’intituler « proposition de loi visant à favoriser le principe de rapprochement familial des détenus condamnés ».

Ce texte permettra donc de rationaliser la procédure d’affectation des détenus dans les établissements pénitentiaires et, en particulier, de favoriser le maintien des liens entre les personnes condamnées et leur famille. Il vient poursuivre les efforts du législateur qui œuvre depuis des années pour humaniser les conditions de détention dans notre pays tout en préservant les familles des conséquences d’une privation de liberté d’un de leurs membres.

M. Dominique Raimbourg. Je souhaiterais aborder un point de procédure. Lors de l’examen de la loi sur l’exécution des peines, nous avions déposé des amendements similaires, mais ils avaient été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution. L’égalité de traitement imposerait de soumettre cette proposition de loi à la même procédure.

Sur le fond, cependant, on ne peut qu’être d’accord avec le principe du regroupement familial, dès lors qu’il ne s’agit pas d’un droit, mais d’une simple possibilité donnée à l’administration pénitentiaire. Il est souhaitable, en effet, de faire en sorte que l’incarcération des détenus ait lieu dans les meilleures conditions.

Il est vrai que la question s’est posée avec une acuité particulière pour les détenus corses, dans la mesure où le pôle judiciaire antiterroriste est situé à Paris, mais le problème me semble largement réglé : désormais, ces détenus ont été affectés dans des prisons corses. Cela étant, on ne peut qu’approuver le contenu de cette proposition de loi.

M. Claude Goasguen. Enfin, cette proposition de loi est examinée par notre assemblée ! J’ai participé, il y a au moins dix ans de cela, à une commission d’enquête sur les prisons dont une des conclusions était déjà la nécessité de favoriser le rapprochement des prisonniers avec leur lieu de domicile, en Corse comme dans d’autres départements.

Cependant, le nouveau titre proposé par le rapporteur me semble suspect. Que signifie « favoriser un principe » ? C’est souvent avec de telles formules alambiquées que les administrations parviennent à détourner des règles qui les gênent. Mieux vaudrait parler d’une proposition de loi « visant à favoriser le rapprochement familial » pour les détenus condamnés. Il ne faudrait pas, en effet, que le choix du titre ait pour effet d’atténuer la portée de cette proposition courageuse.

M. Dominique Perben. Cette initiative va dans le bon sens, d’autant que des travaux ont déjà été réalisés dans les prisons – en particulier dans les départements corses – qui en rendent la mise en œuvre possible. Une chose, en effet, est de poser un principe ; encore faut-il que l’administration pénitentiaire soit en mesure de l’appliquer dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Je voterai donc sans hésitation le texte proposé pour l’article unique.

En revanche, s’agissant du titre, je suis de l’avis de notre collègue Goasguen. J’imagine que ce changement a été suggéré à notre rapporteur, …

M. Claude Goasguen. Je le suppose aussi !

M. Dominique Perben. …mais je préfère le titre initial.

M. Guénhaël Huet. La nuit dernière, au cours du débat sur l’exécution des peines, l’opposition a tenu des propos excessifs, nous accusant d’opter pour le « tout-carcéral », de vouloir jeter tout le monde en prison, de mener une politique pénale fondée sur la seule répression. Cette proposition de loi, venant après la loi pénitentiaire de 2009, est la preuve du contraire : nous faisons en sorte d’inclure des éléments d’humanité dans notre procédure pénale et de favoriser la réinsertion.

Mme Maryse Joissains-Masini. On ne peut pas poser un principe général en faveur du rapprochement sans l’assortir de conditions relatives à l’âge, à l’état de santé, etc. En effet, il n’existe pas nécessairement un établissement pénitentiaire adéquat à proximité du domicile de chaque détenu. Cela étant, l’expression : « chaque fois que c’est possible » me semble de trop. Dès lors que les conditions sont réunies, il convient d’appliquer la loi.

M. Philippe Houillon. Je partage l’avis des précédents orateurs, y compris sur le titre. Le rapporteur ne devrait-il pas retirer l’amendement CL 2 ?

M. le président Jean-Luc Warsmann. Il va le rectifier dans le sens souhaité.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article unique : Rapprochement familial des détenus condamnés

La Commission adopte l’amendement CL 1 du rapporteur.

L’article unique est ainsi rédigé.

Titre

La Commission est saisie de l’amendement CL 2 rectifié du rapporteur.

M. le président Jean-Luc Warsmann. L’amendement est ainsi rédigé : « Substituer aux mots : “consacrer le droit au rapprochement familial pour les”, les mots : “favoriser le rapprochement familial des”. »

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite à l’unanimité l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

* *

Amendements examinés par la Commission

Amendement CL1 présenté par M. Gandolfi-Scheit, rapporteur :

Article unique

Rédiger ainsi cet article :

« I. – Après l’article 717 du code de procédure pénale, il est inséré un article 717-1 AA ainsi rédigé :

« Art. 717-1-AA. – Pour toutes les personnes condamnées dont le temps d’incarcération restant à subir est supérieur à deux ans ou, pour les mineurs, supérieur à trois mois, l’administration pénitentiaire met en œuvre une procédure d’orientation.

« Cette procédure a pour objet de permettre l’affectation de la personne condamnée dans un établissement pénitentiaire correspondant à son profil. À cette fin, l’administration pénitentiaire constitue un dossier d’orientation comprenant notamment les éléments suivants : l’âge, le sexe, les antécédents, l’état de santé, le projet d’insertion, la situation familiale et, le cas échéant, le comportement en détention.

« En vue de favoriser le maintien des liens familiaux de la personne condamnée, l’administration pénitentiaire propose à cette dernière, chaque fois que c’est possible, une affectation dans l’établissement pénitentiaire correspondant à son profil qui est le plus proche de son domicile. Seules peuvent y faire obstacle des considérations liées à la sécurité des personnes et des biens ou au projet d’exécution de la peine. »

« II. – Le début du deuxième alinéa de l’article 717-1 du même code est ainsi rédigé : « Le régime de détention des personnes condamnées est déterminé... (le reste sans changement). »

Amendement CL2 présenté par M. Gandolfi-Scheit, rapporteur :

Titre

Substituer aux mots : « consacrer le droit au rapprochement familial pour les », les mots : « favoriser le principe de rapprochement familial des ».

M. le président Jean-Luc Warsmann. Pour ceux qui n’ont pu y assister, je tiens à mentionner la très intéressante table ronde organisée hier sur la proposition de loi relative au contrôle des armes à feu, et qui réunissait les représentants des chasseurs, des tireurs sportifs et des collectionneurs d’armes. L’enregistrement de la séance est disponible sur le site Internet de l’Assemblée nationale et le compte rendu des débats sera annexé au rapport. Le travail effectué par Claude Bodin a été accueilli très favorablement.

M. Claude Bodin. Nous allons en effet, grâce à cette proposition de loi qui devrait être examinée prochainement en séance publique, satisfaire très largement tous les utilisateurs d’armes.

La séance est levée à 12 h 10.

*

* *

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné M. Sauveur Gandolfi-Scheit, rapporteur, sur la proposition de loi de M. Sauveur Gandolfi-Scheit et plusieurs de ses collègues visant à consacrer le droit au rapprochement familial pour les détenus condamnés (n° 2282).

La séance est levée à 12 heures 15.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Brigitte Barèges, Mme Delphine Batho, M. François Bayrou, M. Jacques Alain Bénisti, M. Étienne Blanc, M. Émile Blessig, M. Claude Bodin, M. Marcel Bonnot, M. Patrick Braouezec, M. Dominique Bussereau, M. Bernard Carayon, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. François Deluga, M. Bernard Derosier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Olivier Dussopt, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Jean-Paul Garraud, M. Guy Geoffroy, M. Claude Goasguen, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, M. Michel Hunault, Mme Maryse Joissains-Masini, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Charles de La Verpillière, M. Bruno Le Roux, M. Pierre Morel-A-L’Huissier, M. Hervé Morin, Mme George Pau-Langevin, M. Dominique Perben, Mme Sylvia Pinel, M. Didier Quentin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Éric Straumann, M. Jean Tiberi, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. Christian Vanneste, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. Jean-Sébastien Vialatte, M. Alain Vidalies, M. Philippe Vuilque, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Abdoulatifou Aly, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Sandrine Mazetier

Assistaient également à la réunion. - M. Lionnel Luca, M. François Pupponi