Accueil > Travaux en commission > Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 8 février 2012

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 38

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, tendant à modifier la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés (n° 4194) (M. Élie Aboud, rapporteur)

– Amendements examinés par la Commission

La séance est ouverte à 10 h 30

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission procède à l’examen sur le rapport de M. Élie Aboud de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, tendant à modifier la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés (n° 4194 rectifié).

M. Élie Aboud, rapporteur. Nous sommes saisis ce matin d’une proposition de loi déposée en février 2010 par le sénateur Raymond Couderc et adoptée le 19 janvier dernier par le Sénat. Ce texte vise à réprimer pénalement les injures publiques et les diffamations publiques commises contre les harkis et, plus généralement – nous verrons que le choix des termes a son importance –, contre l’ensemble des anciens membres des formations supplétives de l’armée française.

Telle qu’elle nous est présentée ce matin, cette proposition de loi modifie la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Mais je vous présenterai tout à l’heure deux amendements visant à dissocier le nouveau dispositif du texte de la loi de 2005, car celle-ci concerne les rapatriés tandis que le présent texte concerne les anciens supplétifs.

Sur le fond, cette proposition de loi vise à répondre aux difficultés qu’ont rencontrées nombre de harkis confrontés à des mises en cause publiques. À cet égard, les propos tenus en 2006 par un ancien président de région ne sont – malheureusement – pas un exemple isolé.

Plusieurs décisions de justice ont, ces dernières années, montré les lacunes de notre droit pénal en matière de protection des harkis et autres supplétifs.

D’abord, lorsqu’une injure est proférée à rencontre d’un groupe, un particulier n’est recevable à agir qu’à la condition de pouvoir prouver qu’il a été lui-même personnellement visé, ce qui est loin d’être évident en pratique.

Ensuite, les harkis ne constituent pas un groupe bénéficiant d’une protection pénale renforcée, telle que celle permettant de réprimer les injures et diffamations commises à raison de l’ethnie, de la race, de la religion, etc. Des associations de défense des harkis se fondant sur ces dispositions pénales ont donc vu, à plusieurs reprises, leurs recours rejetés par la Cour de cassation.

Enfin, s’il existe bien, dans la loi de 2005 sur les rapatriés, une interdiction d’injurier ou de diffamer des personnes « à raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d’ancien membre des formations supplétives ou assimilés », cette interdiction n’est assortie d’aucune sanction pénale.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à remédier à l’ensemble de ces lacunes, en apportant deux innovations.

La première constitue une avancée majeure : pour la répression de l’injure et de la diffamation publiques, telle est qu’elle est prévue par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les formations supplétives seront dorénavant assimilées à l’armée régulière.

C’est une reconnaissance symbolique assez forte de l’engagement de tous ceux qui ont fait le choix de se battre pour la France.

Mais, surtout, une telle disposition aura des conséquences pénales très précises : à l’instar des délits commis envers les armées et, plus généralement, envers les administrations publiques, la diffamation contre les formations supplétives sera désormais punissable de 45 000 euros d’amende, tandis que l’injure sera punie de 12 000 euros d’amende.

Je précise que ces dispositions résultent de l’adoption en séance par le Sénat d’un amendement de M. Raymond Couderc, sous-amendé par la commission des Lois. Initialement, seuls les harkis et les anciens supplétifs ayant servi en Algérie étaient mentionnés dans la proposition de loi, ce qui pouvait poser un problème d’égalité devant la loi, d’autant plus que la protection pénale dont ils auraient bénéficié était calquée sur celle existant contre les atteintes en raison de l’ethnie, de la race ou de la religion.

Au contraire, le texte finalement adopté par le Sénat dispose d’un fondement beaucoup plus solide : c’est parce que les harkis et l’ensemble des autres supplétifs se sont engagés pour la France qu’ils méritent, à l’instar de l’armée régulière, d’être spécialement protégés contre les injures et diffamations publiques. Et c’est d’ailleurs pourquoi mes deux amendements déconnectent ce nouveau dispositif de la loi de 2005 sur les rapatriés.

Deuxième innovation apportée par la proposition de loi : les associations de défense des anciens supplétifs pourront désormais se constituer partie civile en cas de diffamation ou d’injure publique.

Je vous invite à adopter cette proposition de loi ainsi que les deux amendements que j’ai déposés. Ainsi, les harkis et les autres anciens supplétifs ne pourront plus être publiquement injuriés ou diffamés – comme cela a trop souvent été le cas dans le passé – sans que de tels propos soient pénalement sanctionnés. En votant ce texte, nous rétablissons l’équité et faisons œuvre de justice républicaine.

M. Bernard Derosier. On l’a bien compris, l’initiative de notre collègue sénateur Couderc est une réponse aux propos tenus en 2006 par Georges Frêche.

M. le rapporteur. J’ai évité de le nommer.

M. Bernard Derosier. Pour ma part, j’hésite d’autant moins à le faire que les députés socialistes, à l’époque, avaient exprimé leur désapprobation.

Il est vrai qu’il y a deux ans, M. Couderc conduisait la liste d’opposition à Georges Frêche, ce qui pouvait représenter une motivation supplémentaire pour déposer cette proposition de loi. Et compte tenu du moment où elle est examinée – quelques jours avant la fin de la session parlementaire, et à la veille d’une élection présidentielle qui plonge nos collègues de la majorité dans une véritable angoisse existentielle –, on peut parler de texte d’opportunité.

Mais c’est aussi un texte qui se justifie, et c’est pourquoi les sénateurs, après quelques modifications, l’ont adopté à l’unanimité.

Nous nous préparions nous-mêmes à le voter en termes identiques, de façon à le rendre définitif. Or notre rapporteur a déposé deux amendements, ouvrant la voie à une navette parlementaire. N’est-ce pas faire peser un risque sur l’adoption de la proposition de loi ? Quand pouvons-nous espérer une adoption définitive ?

Par ailleurs, je rappelle que les harkis et fils de harkis sont confrontés à bien d’autres problèmes qu’il conviendrait sans doute d’évoquer aussi.

Mme Brigitte Barèges. La France a reconnu les militaires qui ont versé leur sang pour elle, ainsi que ceux qui, aux heures les plus sombres de son histoire, se sont engagés dans la Résistance. Mais elle n’a pas reconnu les forces supplétives, qui ont pourtant joué un rôle indispensable. Il était donc temps que les harkis, en particulier, se voient reconnaître le même statut que les forces armées.

Par ailleurs, après la polémique déclenchée par les propos de Georges Frêche, traitant les harkis de « sous-hommes », la chambre criminelle de la Cour de cassation avait jugé l’infraction non punissable, au nom d’un principe constant du droit pénal : nullum crimen sine lege, on ne peut incriminer sans texte de loi.

Cette proposition a donc l’intérêt de combler un vide juridique, en qualifiant pénalement les injures portées à l’égard des forces supplétives. Cela étant, le mot « harki » ne figure pas dans le texte, ce qui me paraît regrettable. Si nous voulons éviter un nouvel écueil sur le plan pénal, la loi doit se montrer plus précise.

M. Éric Diard. Je me félicite de cette initiative destinée, en effet, à combler un vide juridique. Il était temps d’assimiler les forces supplétives à l’armée régulière : en attendant aussi longtemps pour exprimer une telle reconnaissance, la droite comme la gauche ont manqué à leurs devoirs.

Par ailleurs, je tiens à rappeler que lors de l’affaire Georges Frêche, des harkis avaient planté une tente devant le siège du Parti socialiste, rue de Solférino. Ils y sont restés plusieurs mois, de jour comme de nuit, pendant l’hiver, sans jamais y être reçus.

Mme Maryse Joissains-Masini. Seul un vide juridique a permis à Georges Frêche d’échapper à une condamnation. Aucun parlementaire, en effet, n’aurait pu prévoir la décision de la Cour de cassation du 31 mars 2009 lorsque la loi du 23 février 2005 a été adoptée.

Il est vrai que cette proposition de loi aurait pu être examinée plus tôt, mais l’essentiel est que nous l’adoptions dans l’enthousiasme.

Récemment, une jeune fille scolarisée dans un collège d’Aix-en-Provence a été maltraitée par des personnes originaires de l’autre rive de la Méditerranée et qualifiée de « traître » parce qu’elle est fille de harkis. De tels faits sont une réalité, et il est temps d’y mettre fin.

Après l’avoir examinée sur le rapport de Sophie Joissains, le Sénat a adopté cette proposition de loi à la quasi-unanimité. Il serait dommage que l’Assemblée nationale n’en fasse pas autant.

M. Christian Vanneste. Je me réjouis de voir M. Derosier prendre de la distance à l’égard des déclarations insupportables et inexcusables de Georges Frêche. Mais je constate qu’une fois de plus, il fait un procès d’intention à la majorité en lui prêtant des intentions électoralistes. Dès 2005, en dehors de toute préoccupation électorale, j’avais rappelé dans un texte la place éminente des troupes issues de l’outre-mer dans l’armée française. La proposition de loi que nous examinons est le prolongement de cette réflexion : si elle est adoptée, une injure proférée à l’encontre des harkis sera considérée comme une injure faite à des membres de l’armée française.

Les harkis se sont vus dénier ce titre pendant cinquante ans. Aujourd’hui, ils ont le droit d’être considérés non seulement comme des Français à part entière, mais comme des Français particulièrement honorables, étant Français par le sang versé. C’est pourquoi le retard pris pour leur adresser notre reconnaissance doit être compensé par une très grande sévérité de la justice. Il est regrettable qu’elle ne puisse aujourd’hui punir ceux qui se permettent d’insulter ces personnes, qui ont souffert plus que d’autres et ont un titre plus grand que d’autres à la possession de la nationalité française.

M. Michel Hunault. Cette proposition de loi fait l’unanimité. Mais notre collègue Derosier pose une vraie question : si elle est modifiée par des amendements, serons-nous en mesure de l’adopter définitivement avant la fin de la législature ?

M. Philippe Gosselin. La France a une dette envers ceux qui ont fait le choix de notre pays et ont risqué ainsi leur vie à un moment particulièrement difficile. Après cinquante ans, il n’est que temps de payer cette dette, et cette proposition de loi en est un moyen. Elle est aussi une façon de rendre leur honneur à ceux qui, comme l’a dit M. Vanneste, sont Français par le sang versé – la plus belle façon d’acquérir, non seulement la reconnaissance de la Nation, mais aussi la nationalité.

M. Noël Mamère. Il paraît difficile de nier le caractère électoraliste de cette proposition de loi : elle est examinée à un moment précis et est destinée à attirer une partie de l’électorat.

Par ailleurs, je trouve dangereux d’affirmer que les harkis seraient plus français que d’autres et qu’ils le seraient devenus par le sang.

M. Philippe Gosselin. Le sang versé ! C’est la façon la plus éclatante de tout donner à son pays !

M. Noël Mamère. Traditionnellement, dans notre pays, le sol prime sur le sang en matière de nationalité.

Certains jeunes gens, dont les parents n’ont pas versé leur sang pour la France, mais pour l’indépendance de leur pays, …

M. Philippe Gosselin. Vous ne pouvez pas les mettre sur le même plan : les premiers ont fait le choix courageux de la France !

M. Noël Mamère. …ont énormément de difficultés à se faire reconnaître comme Français, alors qu’ils sont nés sur notre sol et ont la nationalité française. Je le rappelle aux membres de la commission des Lois : on acquiert la citoyenneté par le sol, non par le sang.

M. Olivier Dussopt. Les propos de Bernard Derosier, que les députés socialistes partagent sans réserve, allaient dans le sens d’un vote unanime et apaisé. Je regrette donc de voir d’autres intervenants relancer le débat sur certains sujets – comme celui de la nationalité – éloignés du cœur de la proposition de loi, dont l’objectif est la réparation.

Le caractère vif de certains propos rappelle combien il peut être dangereux de légiférer sur les questions de mémoire. Heureusement, tel n’est pas le cas aujourd’hui.

Enfin, au-delà des supplétifs de l’armée française, qui ont servi notamment en Afrique du Nord au moment de la décolonisation, nous devons rendre le même hommage à tous ceux que la France a fait venir en métropole ou en Europe pour y combattre – comme les tirailleurs sénégalais – et qui sont parfois morts sur un continent qui n’était pas le leur.

Mme Valérie Boyer. N’étant pas membre de cette commission, je ne pourrai pas prendre part au vote, mais je tiens à apporter mon soutien à cette proposition de loi, et pas seulement en tant que fille de rapatriés ou en tant qu’élue de Marseille.

L’adoption de ce texte permettra en effet de réparer l’injustice commise à l’égard de personnes qui ont consacré leur sang, leur honneur, leur engagement, leur courage, leur fidélité à la France, et qui continuent à le faire en dépit d’une douloureuse histoire. Cette proposition de loi nous grandit autant qu’elle contribue à laver leur honneur : nous pouvons donc en être fiers.

M. le rapporteur. Je constate que ce texte fait l’unanimité. Les divergences exprimées concernent des questions certes importantes – la nationalité, la citoyenneté –, mais qui ne sont pas à l’ordre du jour.

Je répondrai à M. Derosier que la correction technique proposée par mes amendements devrait être facilement acceptée par le Sénat. Je vous le promets : le texte sera adopté définitivement avant la fin de la session.

Mme Barèges a regretté l’absence du mot « harki » dans le texte de l’article unique, mais c’est à la demande d’associations défendant les harkis elles-mêmes que l’expression « formations supplétives de l’armée » a été préférée. Il s’agit de respecter le principe de généralité de la norme législative et d’éviter toute inégalité devant la loi.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article unique (art. 5-1 [nouveau] de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés) : Sanction de l’injure et de la diffamation publiques contre les membres des formations supplétives de l’armée française

La Commission adopte l’amendement CL 2 du rapporteur.

Elle adopte ensuite l’article unique modifié.

Titre

La Commission examine l’amendement CL 1 du rapporteur.

M. le rapporteur. En conséquence de l’adoption de l’article unique modifié, je propose d’intituler le texte : « Proposition de loi relative aux formations supplétives des forces armées ».

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite, à l’unanimité des votants et après que M. Noël Mamère a fait connaître son abstention, l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

La séance est levée à 11 heures.

————

Amendements examinés par la Commission

Amendement CL1 présenté par M. Aboud, rapporteur :

Titre

Rédiger ainsi le titre de la proposition de loi :

« Proposition de loi relative aux formations supplétives des forces armées. »

Amendement CL2 présenté par M. Aboud, rapporteur :

Article unique

I. – Supprimer l’alinéa 1.

II. – Au début de l’alinéa 2, supprimer la référence : « Art. 5-1 ».

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Élie Aboud, M. Manuel Aeschlimann, Mme Brigitte Barèges, M. Émile Blessig, M. Claude Bodin, M. Marcel Bonnot, M. Gilles Bourdouleix, M. Patrick Braouezec, M. Dominique Bussereau, M. Alain Cacheux, M. François Deluga, M. Bernard Derosier, M. Patrick Devedjian, M. Éric Diard, M. Marc Dolez, M. Julien Dray, M. Olivier Dussopt, M. Jean-Paul Garraud, M. Claude Goasguen, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Michel Hunault, M. Sébastien Huyghe, Mme Maryse Joissains-Masini, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Noël Mamère, Mme Sandrine Mazetier, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Yves Nicolin, M. Didier Quentin, M. Bernard Roman, M. Jean-Pierre Schosteck, M. Éric Straumann, M. Jean Tiberi, M. Daniel Vaillant, M. Christian Vanneste, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. Jean-Sébastien Vialatte, M. Philippe Vuilque, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Abdoulatifou Aly, M. Étienne Blanc, M. Guy Delcourt, M. Guy Geoffroy, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Sylvia Pinel, M. Dominique Raimbourg, M. Jacques Valax

Assistaient également à la réunion. - Mme Valérie Boyer, M. Lionnel Luca