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Mercredi 7 novembre 2007

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 11

Présidence de M. Patrick Ollier Président

– Communication de M. Jean Proriol, président de la sous-commission Industrie-énergie-recherche

– Audition, ouverte à la presse, dans le cadre du comité de suite sur le chlordécone de M. le professeur Dominique Belpomme, cancérologue, des docteurs Luc Multigner (INSERM), Juliette Bloch (INVS) et Daniel Eilstein (INVS) et de Mme le professeur Marie Favrot, (AFSSA)

Commission
des affaires économiques, de
l’environnement et du territoire

Communication de M. Jean Proriol, président de la sous-commission Industrie-énergie-recherche sur le programme de travail de la sous-commission.

M. Jean Proriol a fait un premier point sur les travaux de la sous-commission sur l’industrie, l’énergie et la recherche.

La sous-commission a effectué trois auditions, couvrant chacun de ses centres d’intérêt :

L’Union des industries chimiques (UIC) a rappelé que la France est le 5ème producteur dans le monde et évoqué la mise en œuvre du règlement européen REACH, qui renforce considérablement les contraintes sur l’exploitation des produits chimiques. Ses représentants ont souligné les difficultés que la complexité de ces nouvelles règles posaient aux PME, et les coûts supplémentaires pour les entreprises. Ils ont formulé des propositions, comme la prise en compte dans le crédit d’impôt recherche des dépenses nécessaires pour l’adaptation des entreprises à ces nouvelles règles, et l’extension au monde entier des principes de REACH. Ils ont également présenté les engagements des industriels de la chimie dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Dans ce cadre, l’UIC a présenté quatre engagements :

– présenter un bilan carbone de leurs activités et procédés d’ici 2010, alors que leurs émissions de CO2 ont diminué de 43% depuis 1990 ;

– porter à 15 % la part des matières premières renouvelables dans les approvisionnements à l’horizon 2017, contre 7 % aujourd’hui ;

– certifier 400 sites selon un référentiel environnemental reconnu d’ici 2011 ;

– développer un dialogue permanent entre les industriels de la chimie et la société.

M. Dominique Maillard, le président du Réseau de transport d’électricité (RTE), est venu présenter le bilan prévisionnel de l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité en France à l’horizon 2020, sur lequel s’appuient les pouvoirs publics pour définir la programmation pluriannuelle des investissements (PPI) de production d’électricité. Cet équilibre est assuré de manière satisfaisante jusqu’en 2012, mais il faudra développer de nouveaux moyens de production. Ont également été abordés la contribution des différentes énergies renouvelables (l’éolien notamment) à cet équilibre, et la lutte contre les émissions de CO2. Une augmentation des émissions est prévisible jusqu’en 2015, du fait de la nécessité de construire des centrales fortement émettrices pour répondre à la demande ; la situation devrait s’améliorer après 2020, grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables, essentiellement l’hydraulique.

Les rapporteurs budgétaires chargés de la recherche ont ouvert aux membres de la sous-commission l’audition des responsables de l’Agence nationale de la recherche, qui ont pu décrire les modalités du financement par projet qui est la spécificité de l’Agence, et les domaines de recherche prioritaires, notamment en ce qui concerne les nouvelles technologies agricoles et gestion des territoires, l’alimentation, la génomique, les contaminants, les écosystèmes et la santé, la biodiversité.

Le programme de travail à venir est en cours d’élaboration. L’audition de responsables d’organisme comme l’INRA ou l’école vétérinaire de Maisons-Alfort dans le domaine de la recherche, ou de l’autorité de sûreté nucléaire (ASN) dans celui de l’énergie seraient sans doute intéressantes, comme la présentation du rapport du Centre d’analyse stratégique sur les Perspectives énergétiques de la France à l’horizon 2020-2050.

Enfin, à l’initiative de Claude Gatignol, les commissaires ont été conviés à une visite du site de Flamanville, qui aura lieu le 22 novembre.

Le président Patrick Ollier a annoncé que la prochaine réunion du bureau de la commission permettrait aux présidents et vice-présidents des sous-commissions de tirer les leçons des premières expérimentations et de déterminer ensemble les programmes de travail, conformément aux perspectives de travail connues de la commission, et notamment de ses travaux de suivi du Grenelle de l’environnement.

M. François Brottes a déploré qu’une des sous-commissions tienne au même moment une réunion au Sénat. Sur le chlordécone, il a souhaité que les modalités de poursuite des travaux du ‘comité de suite’ soient fixées dans un délai d’un mois.

M. Jean Proriol a indiqué que les députés de l’opposition avaient été particulièrement présents aux réunions de la sous-commission.

M. Daniel Fidelin a suggéré que la sous-commission se penche sur le développement, controversé, des ports méthaniers en France.

◊ ◊

Puis la commission a procédé à l’audition, dans le cadre du comité de suite sur le chlordécone, de M. le professeur Dominique Belpomme, médecin cancérologue à l’hôpital Georges Pompidou, et des docteurs Luc Multigner (INSERM) et Juliette Bloch (INVS).

Le président Patrick Ollier a indiqué que l’audition du professeur Dominique Belpomme, cancérologue et président fondateur de l’Association pour la recherche thérapeutique anti-cancéreuse (ARTAC), ainsi que celle de plusieurs autres scientifiques sur la question des conséquences de l’utilisation du chlordécone aux Antilles, poursuivait deux objectifs : d’une part, établir la réalité des risques, de façon objective et la moins contestable possible, d’autre part déterminer le rôle des autorités publiques dans les actions à mener. Pour ce faire, la commission des affaires économiques avait déjà, en 2005, diligenté une mission d’information sur le sujet. Son rapport (n° 2430) comportait un certain nombre de recommandations précises, couvrant tous les aspects du spectre des risques sanitaires et environnementaux, dont il convient maintenant de regarder dans quelle mesure elles ont été suivies d’effets. C’est pourquoi, la commission vient de créer en son sein un « comité de suite », que préside Jacques Le Guen. L’opposition a demandé de son côté la formation d’une commission d’enquête. Celle-ci n’a pas semblé nécessaire tant que le comité de suite n’a pas déposé ses conclusions. Lorsque celles-ci seront établies, il sera temps de décider pour la suite, en fonction des conclusions du comité.

Entre-temps, un rapport de l’ARTAC et certaines déclarations, dans la presse, du professeur Dominique Belpomme ont jeté l’émoi dans la communauté scientifique et auprès des populations antillaises. Beaucoup ont jugé intempestifs et inopportuns des termes tels que « désastre sanitaire », « empoisonnement », « affaire plus grave que celle du sang contaminé »,…. Or, personne n’a intérêt à alimenter des polémiques en la matière. La seule chose qui compte est de répondre efficacement aux légitimes inquiétudes des populations et des exploitants agricoles antillais.

M. Jacques Le Guen a rappelé les travaux et les conclusions de la mission d’information, qui appellent une évaluation des initiatives, publiques et privées, prises depuis lors. Le comité de suite procède actuellement à des auditions de scientifiques et de responsables d’organismes publics et privés concernés. Leurs travaux ont parfois été mis en cause par le professeur Dominique Belpomme sans qu’il apporte à ses affirmations de preuve irréfutable. L’urgence est de ne pas céder à la psychose et de rétablir la confiance aux Antilles.

Le professeur Dominique Belpomme a précisé que le rapport réalisé par l’ARTAC en juin 2007 n’était pas une étude scientifique au sens strict de ce terme mais le résultat d’une expertise et d’un audit externe concernant la pollution par les pesticides en Martinique, faits à la demande de l’association « Pour une Martinique autrement » (PUMA).

On a souvent parlé de ce rapport sans l’avoir lu sérieusement. Leurs auteurs ne demandent qu’à voir prouvées les parties que l’on conteste. Compte tenu des informations complémentaires recueillies depuis lors, ils ne renient rien de ce qu’ils ont écrit.

L’essentiel est de mettre fin à la politique de l’autruche en face des menaces graves pesant sur les populations antillaises. La pollution de la terre et des eaux est indiscutable et ne cesse d’augmenter avec l’accroissement continu, depuis cinquante ans, des déversements de pesticides. L’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) et l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) ont effectué, sur ce sujet, des travaux remarquables. Il faut rendre hommage à M. Michel Barnier et à Mme Roselyne Bachelot qui ont perçu l’ampleur des dégâts et ont pris des décisions courageuses depuis la publication de ce rapport.

La rémanence du chlordécone est particulièrement longue : au moins un siècle. Mais d’autres polluants persistants contaminent également l’eau douce aux Antilles. Il faut insister sur les risques affectant les fœtus et sur la cancérologie : on a posé aux Antilles une bombe sanitaire à retardement.

Le professeur Dominique Belpomme nie par ailleurs avoir prononcé les mots de « désastre sanitaire » « actuel ». Toutefois, ce désastre pourrait advenir si on ne met pas en place un plan d’urgence.

La gravité particulière du cancer de la prostate aux Antilles est avérée par plusieurs études scientifiques ; les facteurs ethnographiques, mentionnés par une étude américaine, ne sont pas démontrés ; dans les pays voisins des Antilles, on constate un nombre moindre de cancers de ce type ; le rapport de l’ARTAC n’affirme pas que le chlordécone est responsable de cette particularité : c’est une possibilité, non encore démontrée ; les cas de cancers de la prostate à la Martinique sont plus élevés dans certaines zones que dans d’autres, sans qu’il y ait une relation établie avec la présence, plus ou moins forte, de chlordécone : des études plus approfondies sont donc nécessaires. Le conseil régional de la Guadeloupe vient de missionner l’ARTAC à cet effet. Il conviendrait que l’Etat facilite l’ensemble des recherches et octroie des moyens suffisants pour l’optimisation du registre des cancers en Martinique et la mise en place d’une unité de biologie moléculaire. Car il ne suffit pas d’étudier la cancérologie de la prostate : la Martinique présente d’autres particularités épidémiologiques, notamment des hémopathies, sur lesquelles il faudrait se pencher. Il est nécessaire pour cela de renforcer les moyens de recherche en toxicologie et de doter la Martinique de laboratoires supplémentaires et performants. Ce qui exige un plan de sauvetage majeur des Antilles, comportant aussi des actions de dépollution et de changement des pratiques agricoles.

Il ne faut pas opposer les intérêts économiques aux exigences de la santé car les premiers sont également menacés par la pollution. Il faut tenir compte, d’une façon générale, de la plus grande vulnérabilité des îles à celle-ci.

Le docteur Luc Multigner, chercheur à l’INSERM de Rennes, a tout d’abord regretté qu’au cours de sa mission d’audit, le professeur Dominique Belpomme n’ait pas cru nécessaire de consulter la communauté scientifique consacrant ses travaux aux incidences du chlordécone sur la santé, ce qui altère les conditions dans lesquelles le rapport a été élaboré, notamment en ce qui concerne les conclusions qui ont pu en être tirées. Une plus grande concertation aurait permis de mieux mesurer et nuancer les implications du chlordécone sur la santé publique.

D’un point de vue sanitaire, on observe quelques spécificités liées aux populations antillaises, que ce soit en matière d’hypertension et de diabète, comme d’un point de vue épidémiologique, notamment une plus forte concentration de drépanocytoses. S’agissant des taux de cancer, il convient de noter que, dans l’absolu, les populations des Antilles présentent un nombre de cancers inférieur à celui de la population métropolitaine, à l’exception des cancers de la prostate et de l’utérus, si l’on s’en tient aux données tirées du registre départemental du cancer martiniquais.

Il ressort des études conduites localement par les scientifiques que la Guadeloupe fait partie des régions où les taux de cancer sont les plus élevés, proches de ceux enregistrés aux États-Unis dans des populations ethniques comparables.

Si l’on compare les taux de cancers de la prostate aux Antilles françaises à ceux des autres îles caraïbes, on observe que la population antillaise présente des risques supérieurs. Toutefois la rigueur scientifique oblige à constater que ce type de maladie affecte des personnes âgées de 60 à 75 ans et que, dans les Antilles, les populations de Guadeloupe et de la Martinique jouissent d’une espérance de vie de loin supérieure à celle de la Jamaïque et de la Barbade, par exemple.

L’INSERM a conduit plusieurs recherches sur les corrélations susceptibles d’être établies entre la présence de pesticides et leurs éventuels effets sur les populations. En 2003, une étude a été conduite sur la fertilité de la population agricole exposée au chlordécone. Elle a constaté que quelques effets cliniques pourraient être dus au pesticide, notamment la présence du chlordécone dans le sperme de volontaires soumis à analyse, dont il importait de connaître les conditions de vie et d’exposition au polluant persistant. Une étude plus récente n’a pas démontrée l’existence de corrélation directe entre d’éventuelles pathologies concernant des personnes non exposées directement et le chlordécone.

Une étude est également réalisée sur 1 000 femmes enceintes, au cours de leur dernier trimestre de grossesse, et 200 bébés sont suivis. Une autre est également en cours sur le cancer de la prostate portant sur 600 cas de cancer et sur 600 hommes témoins non malades. Le fait que les études aient surtout été faites en Guadeloupe et non en Martinique ne résulte que d’un concours de circonstances. Les études sur le cancer de la prostate ne portent pas seulement sur le chlordécone mais sur d’autres pesticides et déterminants environnementaux.

Il est regrettable qu’avant la mention des études épidémiologiques dans le rapport de l’ARTAC, aucune concertation préalable n’ait été faite avec un certain nombre d’experts de santé publique ayant dans leur domaine déjà travaillé sur cette question, tels ceux, par exemple, de l’unité 625 de toxicologie de l’Inserm, de l’unité 292 « Fertilité » du même institut, ou les services de néonatalogie et de pédiatrie du CHU de Pointe-à-Pitre, ou encore des urologues s’agissant de l’évolution des cas de cancers de la prostate.

Mme Marie Favrot, directrice de l’évaluation des risques nutritionnels et sanitaires de l’AFSSA, a indiqué que l’AFSSA avait mis en place un laboratoire d’analyse dès 2002, et que celui-ci avait formé les chercheurs de 17 autres laboratoires, afin de doser la présence de chlordécone dans les liquides biologiques avec les normes de qualité et de contrôle requises. L’AFSSA a fait intervenir aussi une unité méthodologique pour une évaluation quantitative des risques, c’est-à-dire pour déterminer comment, quantitativement, la population antillaise a été exposée. Grâce au travail d’un collectif de 30 experts, plusieurs avis de l’AFSSA ont été publiés, dont le plus récent ne date que de quelques mois. Comment évalue-t-on une exposition d’un sujet à travers l’alimentation ? On caractérise déjà le danger, en déterminant la dose maximale possible sans risque de toxicité chronique. Les prélèvements sanguins faits aux Antilles ont révélé que les taux sanguins de chlordécone étaient 10 fois inférieurs au taux maximum. Un autre axe de recherche a été de connaître le nombre d’aliments contaminés consommés. Une enquête sur les pratiques alimentaires a ainsi été réalisée sur 1 500 personnes dont le tiers était des enfants.

Les conclusions de ces travaux mettent en avant la nécessité de fixer une limite pour les résidus de chlordécone présents dans les aliments. Celle-ci pourrait être de 50 microgrammes pour les produits de la mer. On estime que 3 à 5 % des aliments sont effectivement contaminés. Subsistent plusieurs problèmes. Tout d’abord, celui de l’autoconsommation : 97 % de la population antillaise mange un produit issu du jardin ou de la pêche familiale. Or, il n’existe pas de moyens de contrôler ces produits. L’AFSSA a cependant émis plusieurs recommandations, les concernant telles que celle de ne pas consommer plus de 2 fois par semaine des patates douces ou des ignames, ou encore de ne pas consommer plus de 4 fois par semaine des produits issus de circuits de distribution courts. Un travail a été mené en collaboration avec l’INSERM sur le problème des nourrissons. Les mesures faites sur le lait maternel ne sont pas alarmantes et il a été décidé de ne pas recommander d’interrompre l’allaitement. Des études sont cependant en cours sur la phase de diversification de l’alimentation du nourrisson.

Le président Patrick Ollier a précisé que la médiatisation du rapport Belpomme avait conduit des scientifiques de l’AFSSA et de l’INSERM à rédiger une lettre de protestation adressée au directeur général de la Santé le 16 août dernier.

Le docteur Daniel Eilstein, de l’InVS, a soulevé la question de la responsabilité des scientifiques par rapport à la population. Il est toujours difficile pour un médecin d’annoncer une grave maladie, mais il n’est pas possible de garder le silence La question est de savoir comment faire. Un épidémiologiste est confronté aux mêmes problèmes. Sur le plan scientifique, il s’agit de connaître l’effet du chlordécone sur toute une population ainsi que par individu. Or, en matière de santé environnementale, il est difficile de mettre en évidence une relation de cause à effet. On a réussi à le faire, tardivement, avec les polluants de l’air, pour lesquels on arrive à déterminer une relation exposition/risque. Mais en ce qui concerne les pesticides, si la revue de littérature en la matière est d’une grande richesse, elle montre la difficulté de déterminer l’existence ou non d’une responsabilité. Il est donc nécessaire d’être prudent, d’autant plus que les conditions expérimentales en matière d’épidémiologie sont toujours délicates à réunir.

L’ensemble du monde scientifique est inquiet sur le fond mais il est nécessaire de dépassionner le débat. Le rapport de l’ARTAC et les déclarations de son président peuvent générer beaucoup d’angoisse au sein de la population, ce qui n’est pas une bonne chose. On le voit, par exemple, avec le dépistage du cancer du sein : s’il est mal pratiqué, on se retrouve avec de nombreux faux positifs.

Mme Juliette Bloch, chef du département des maladies chroniques à l’InVS, a estimé que si un taux d’incidence et une mortalité élevés étaient effectivement constatés aux Antilles s’agissant du cancer de la prostate, il n’y avait pas de spécificité des Antilles pour le cancer du sein.

Le professeur Dominique Belpomme a fait remarquer qu’il était selon lui possible que nombre de malformations congénitales aux Antilles soient dues au chlordécone et précisé, qu’en toute hypothèse, les épidémiologistes doivent travailler avec les toxicologues.

Mme Juliette Bloch a indiqué que certaines analyses conduisaient parfois à mélanger certaines notions, telles que la fécondité et la fertilité, en l’absence de véritables données scientifiques.

Le professeur Dominique Belpomme a estimé que son rapport souffrait de certaines imperfections, même si toutes les publications de l’AFSSA et tout ce qui concernait le chlordécone avait été étudié en profondeur.

Pour le cancer du sein, il a estimé qu’il avait été trompé par certaines données épidémiologiques dont il disposait et a insisté sur la difficulté de collecter des données aux Antilles, mais a précisé qu’il était lié déontologiquement par le secret concernant le sujet du registre antillais.

Le président Patrick Ollier a demandé au professeur Dominique Belpomme quel comité scientifique avait évalué et validé le protocole de son étude.

Le professeur Dominique Belpomme a répété que son rapport d’audit était un simple relevé de l’existant, nourri des entretiens faits sur place avec tous les responsables et acteurs concernés.

M. Victorin Lurel a déploré que l’on semble oublier la résolution adoptée par 204 députés demandant la création d’une commission d’enquête parlementaire. Il a rendu hommage au professeur Dominique Belpomme, grâce à qui l’opinion publique a pu être informée de la gravité du problème. La question fondamentale est de déterminer dans quelles conditions la pollution a pu se produire, quelle est la responsabilité des distributeurs de pesticides et des services de l’État.

Existe-t-il une médecine ethno-raciale ? On peut contester cette vision aux plans philosophique et scientifique. Tout est affaire de méthode s’agissant des référentiels choisis et des échantillons utilisés. Pourquoi les enquêtes menées n’ont-elles pas été rendues publiques ? N’y a-t-il pas aussi des conflits d’intérêts dont le professeur Dominique Belpomme aurait été la victime ?

Le docteur Luc Multigner, a contesté les analyses menées sur l’existence d’une médecine ethno-raciale et fait valoir que les référentiels retenus s’agissant du chlordécone figuraient dans des revues internationales. L’analyse portant sur d’autres pesticides a bien été conduite en 1998 et figurait bien dans les protocoles. Le chlordécone est une molécule qui s’accumule dans les graisses hépatiques. S’agissant du risque de conflits d’intérêts, il est une règle générale consistant à publier sa déclaration, chaque fois qu’une étude est réalisée.

Le professeur Dominique Belpomme a indiqué être le premier à reconnaître que, sur certains points, son rapport était dans le détail inexact mais que le message global était fondé. Il a considéré que le rapport de l’ARTAC avait permis une véritable prise de conscience du problème, dont témoigne l’interdiction du paraquat, la sensibilisation de la métropole, et notamment des ministres de la santé et de l’agriculture.

Les arguments du rapport, toxicologiques et non épidémiologiques, sont plutôt rassurants sur un point : ils fondent l’hypothèse qu’il n’y a sans doute aucun lien entre le chlordécone et les cancers de la prostate. Cela étant, les études du docteur Luc Multigner doivent se poursuivre. Le Conseil régional de Guadeloupe a d’ailleurs commandé à l’ARTAC d’autres études qui seront notamment conduites en collaboration avec des experts suédois et américains.

M. Victorin Lurel a précisé au président Patrick Ollier que les études commandées par le conseil régional de Guadeloupe au professeur Dominique Belpomme coûtaient 154 000 euros.

Le président Patrick Ollier a rappelé que M. Michel Barnier, ministre de l’agriculture et de la pêche avait pris la décision d’interdire le paraquat quelques jours après avoir discuté avec les députés UMP de la commission des affaires économiques. Il a déploré l’agitation politicienne sans lien avec la réalité scientifique, déclenchée par la présentation du rapport Belpomme au groupe parlementaire S.R.C. le 18 septembre dernier, à l’Assemblée nationale. Les populations des Antilles doivent savoir qu’il n’y a évidemment pas d’action volontaire d’empoisonnement. Les préconisations de l’AFSSA et des scientifiques présents sont de nature à protéger les populations des conséquences des pollutions provoquées par les pesticides.

M. Victorin Lurel a indiqué que le groupe SRC n’était pas à l’origine de cette polémique et regretté la loi du silence qui régnait jusqu’alors au Parlement sur cette question.

M. Alfred Almont a estimé qu’il était de la responsabilité des élus du peuple d’exiger que toute la lumière soit faite sur les conséquences des pollutions persistantes. Les populations sont extrêmement inquiètes. Il a demandé au professeur Dominique Belpomme si les dernières données disponibles pouvaient faire évoluer les conclusions de son rapport.

Le professeur Dominique Belpomme a répondu que c’était le cas en ce qui concernait les cancers du sein. L’important reste toutefois le plan en cinq points proposé pour l’avenir. D’un point de vue scientifique, on peut parler d’empoisonnement, ou en termes plus doux, de pollution généralisée des îles, toujours plus vulnérables que les continents. Un plan d’action coordonné est absolument nécessaire.

M. Serge Letchimy a approuvé la volonté du docteur Eilstein de dépassionner le débat, l’important étant de trouver les bonnes solutions, alors que trop d’incertitudes demeurent. Le président Patrick Ollier et M. Jacques Le Guen doivent préciser les perspectives du « comité de suite ». Si une commission d’enquête est nécessaire, il faut la constituer. L’alerte de l’opinion lancée par le professeur Dominique Belpomme a été efficace. Les souffrances de la population sont grandes, et la question de la dépollution des sols reste entière. Il faut enfin poser la question des responsabilités : le chlordécone a été utilisé en Martinique à partir des années soixante, interdit aux Etats-Unis dans les années soixante-dix, puis en France en 1991 avec une dérogation pour l’outre-mer jusqu’en 1993. Des traces en ont encore été trouvées en 2003. Comment évaluer par ailleurs les conséquences de la combinaison du chlordécone avec d’autres pesticides, en particulier le paraquat, dont l’interdiction en France suit la décision récente de la Cour de justice des Communautés européennes.

Il faut que l’État applique la réglementation, particulièrement sur les dosages.

Comment dépolluer les terres ? Que faire contre les produits importés, par exemple les ignames du Costa Rica, qui contiennent des pesticides interdits aux Antilles ?

Personne n’a remis en cause le travail de la mission d’information de 2005, mais deux ans et trois mois se sont écoulés depuis la publication de son rapport, sans être vraiment mis à profit, malgré un travail de terrain outre-mer. Quel est désormais le plan d’action du Gouvernement ? Quelles sont les mesures prévues, avec quels moyens pour les garantir ?

Mme Jeanny Marc a regretté que le message entendu jusqu’à présent soit « Dormez tranquilles, bonnes gens ». Dans sa circonscription, la troisième de Guadeloupe, 87 % de la population est inquiète. Ses questions sont concrètes : que puis-je mettre dans mon assiette ? En quelle proportion ? Comment traduire les conclusions des rapports de l’AFSSA ? En 2003 seuls les produits poussés en terre étaient évoqués, tandis qu’en 2007 sont aussi mentionnés de nombreux autres aliments, poissons de mer et d’eau douce, produits laitiers, etc. Que penser du conseil de la ministre de la santé de ne consommer que deux fruits par jour, ou des arrêtés préfectoraux interdisant la capture de poissons de rivière ? Quel est le contenu de la réunion du Groupe de recherche pour l’éducation et la prospective (GREP) du 23 octobre dernier ? Lors de la présentation du rapport Belpomme, trois mois s’étaient écoulés depuis les élections législatives, et les courriers au Premier ministre sur le rejet sont restés sans réponse.

Le président Patrick Ollier n’a jamais nié les problèmes posés par le chlordécone, la meilleure preuve étant la création d’une mission d’information en 2005. Très sensibilisé à cette question il a juste regretté qu’une exploitation médiatico-politique d’une pollution grave soit à l’origine d’une psychose excessive.

M. Louis-Joseph Manscour est intervenu à trois titres : en tant qu’ancien membre de la mission d’information, parce qu’il a demandé la création d’une commission d’enquête et parce que, dans sa circonscription, neuf communes sur dix présentent une pollution au chlordécone. Cette réunion de la commission aurait dû être ouverte au public, et non seulement à la presse, afin de permettre de lever les inquiétudes et les incertitudes que le rapport du professeur Dominique Belpomme a fait naître dans la population ultramarine concernée. Seul un débat public entre scientifiques est de nature à la rassurer. Le rapport Belpomme a eu le mérite de relancer un débat et d’assurer une meilleure information. Cette étude milite en faveur de la création d’une commission d’enquête parlementaire dont les moyens d’investigation sont supérieurs à ceux d’une mission d’information.

Le Président Patrick Ollier a indiqué que les missions d’information jouissaient de prérogatives proches de celles des commissions d’enquête et a rappelé que lors de la création de la mission d’information, il s’était prononcé en faveur de la transformation de la mission en commission d’enquête en cas de refus d’un responsable de se rendre à une audition, exception faite de la contrainte pour obliger un témoin à se rendre à une convocation et de la possibilité d’investigation forcée sur pièce et sur place.

M. Gérard Bapt a souhaité savoir à quelle date les populations antillaises avaient été mises en garde sur la consommation de produits alimentaires à risques comme le poisson d’eau douce et les légumes racines. Le travail des épidémiologistes suppose un minimum de précautions avant toute présentation de conclusions. Les débats entre scientifiques doivent non seulement apporter un éclairage réel sur les problèmes, mais aussi s’efforcer de livrer des pistes de solutions. Il semble que certains dysfonctionnements soient apparus dans l’application des interdictions d’utilisation du chlordécone, notamment en terme de délais.

M. Serge Poignant a fait part de sa surprise en apprenant de la bouche du professeur Dominique Belpomme lui-même qu’il y avait des erreurs dans le rapport de l’ARTAC et a proposé que de tels rapports ne soient rendus public qu’après vérification de la véracité des sources.

Répondant aux intervenants, Mme Marie Favrot a rappelé que l’AFSSA travaillait sur la question de la pollution au chlordécone depuis 2002, qu’elle avait organisé dans ce cadre plusieurs missions locales, qu’il s’agissait de trouver des solutions, non d’affoler les populations. L’AFSSA utilise des méthodologies internationales, reconnues et validées. On peut estimer qu’aujourd’hui aux Antilles françaises, 18 % des légumes racines sont contaminés et 13 à 27 % des produits de la mer.

Les études faites par l’AFSSA portent sur 2 000 personnes et 1 000 denrées alimentaires. Si les produits, selon un contrôle aléatoire, ne contiennent pas plus de 50 microgrammes de chlordécone, le risque sur la santé est nul, ce qui conduit à rejeter 3 à 5 % des produits contrôlés.

Le professeur Dominique Belpomme a précisé que le rapport de l’ARTAC avait exploité les données disponibles, qu’il ne s’était pas forgé les siennes propres. Il a justifié une nouvelle fois le terme d’empoisonnement, car il correspond, simplement, à la réalité. Il s’est enfin demandé si les normes évoquées conduisaient vraiment à un risque zéro.

Le docteur Luc Multigner a considéré que :

– le niveau de polluants persistants est plus élevé en métropole que dans les Antilles françaises ;

– ce qui comptait avant tout était de connaître, avec le maximum de précision, les risques de maladies provoqués par ces polluants.

Mme Marie Favrot a confirmé le seuil de risque de 50 microgrammes, soulignant que les normes retenues par les autorités françaises sont encore plus prudentes puisqu’elles sont de finalement 20 microgrammes.

M. Daniel Eilstein a exprimé la nécessité d’associer les populations aux recherches, voire à la définition des protocoles. L’InVS a créé un groupe de travail sur l’exposition aux pesticides afin d’apprécier au mieux leurs incidences sur le corps humain.

Le directeur général de la Santé, M. Didier Houssin, coordonne actuellement une réflexion pour la définition d’un plan d’action sur le chlordécone et envisage, si les moyens lui en sont donnés, de créer un centre de toxico-vigilance aux Antilles.

Le professeur Dominique Belpomme constate l’augmentation du nombre de maladies liées à l’environnement et à la pollution, ce qui a motivé, dès le début, ses recherches.

Si on connaît, grâce aux registres du cancer, les données relatives à la mortalité, on connaît mal les incidences du cancer car les données récoltées dans les registres épidémiologiques sont encore insuffisantes.

Mme Juliette Bloch et M. Daniel Eilstein ont manifesté leur désaccord à ce sujet.

Mme Marie Favrot a indiqué que l’impact de la pollution sur les cancers n’était toujours pas prouvé.

Le président Patrick Ollier a demandé au professeur Dominique Belpomme pourquoi, selon lui, 70 % des cancers étaient dus à la pollution.

Le professeur Dominique Belpomme a indiqué que 85 % des cancers n’étaient pas, aujourd’hui, expliqués, ce qui laisse une large place aux causes probablement liées à l’environnement.

Le président Patrick Ollier a informé la commission qu’il venait de saisir l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) d’une demande d’étude sur les effets des pesticides sur la santé. Il a demandé par ailleurs à Jacques Le Guen, président du comité de suite, de vérifier la réalité des actions entreprises, annoncées et envisagées depuis le rapport de la mission d’information. Il a indiqué que les auditions allaient se poursuivre. Il a enfin évoqué la possibilité d’une mission aux Antilles de la commission des affaires économiques, après la remise du rapport du comité de suite.

——fpfp——