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Mercredi 14 novembre 2007

Séance de 11 heures 15

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Patrick Ollier Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel-Edouard Leclerc, président des centres Edouard Leclerc, de M. Arnaud Mulliez, président d’Auchan France, et de M. Jérôme Bédier, président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FECD)

Commission
des affaires économiques, de
l’environnement et du territoire

La commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire a entendu M. Michel-Edouard Leclerc, président des centres Edouard Leclerc, M. Arnaud Mulliez, président d’Auchan France, et M. Jérôme Bédier, président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FECD).

Le président Patrick Ollier a remercié MM. Michel-Edouard Leclerc, Arnaud Mulliez et Jérôme Bédier pour leur présence et leur a demandé de bien vouloir donner leur point de vue sur le texte important de M. Luc Chatel qui concerne à la fois les relations commerciales, les communications électroniques et le secteur bancaire.

M. Arnaud Mulliez, président d’Auchan France, a tout d’abord rappelé que les clients des magasins Auchan sont, comme les autres, préoccupés par leur pouvoir d’achat. Cette inquiétude s’accroît compte tenu de la hausse des matières premières. En 2006, les tarifs des fournisseurs ont augmenté de 4,6 % et en 2007 de 7 %. En 2008, les prix du fromage augmenteront de 13 %, ceux de la crèmerie de 11 %, ceux des boissons non alcoolisées, des aliments pour bébé et de l’épicerie de 6 %, des légumes en conserve et surgelés de 10 %. Cette tendance ne s’inversera pas en raison des stratégies boursières des gros industriels qui veulent augmenter leurs marges alors que cela ne se justifie pas.

Si Auchan suivait le même mouvement, le prix de la bière devrait par exemple augmenter de 2,55 % quand Kronenbourg l’augmente de 4 % et Heineken de 7,80 %. De même, la hausse du prix du camembert Président, fabriqué par Lactalis, est de 17 % alors que la hausse du prix du lait est de 10 %. Aujourd’hui, les distributeurs ne peuvent plus contenir ces hausses : le résultat net courant d’Auchan a ainsi régressé de 9,97 % et faire des efforts supplémentaires reviendrait à remettre en cause la politique de partage des résultats ou de formation.

Une étude réalisée par Natixis révèle que les marges des distributeurs ont fondu depuis 2005 pendant que celles des industriels augmentaient fortement. Depuis le mois de juin 2005, les prix des grandes marques ont en fait baissé de 3,3 % quand les consommateurs, eux, ont l’impression que les prix ne cessent d’augmenter : cela s’explique en raison de la hausse des dépenses contraintes telles que les transports, l’éducation ou la santé, mais aussi en raison d’un grand appétit de consommation. La vente des téléviseurs a ainsi augmenté chez Auchan de 110 % au mois de septembre, même si l’entreprise les vend deux fois moins cher que l’an dernier.

M. Jean-Paul Charié a demandé si ce n’était pas grâce aux fournisseurs.

M. Arnaud Mulliez a répondu que c’était grâce aux importations. Par ailleurs, la vente des produits multimédias a également augmenté, de même que celle des parfums, des produits de soins masculins ou des produits bio. Les sociologues parlent à ce propos de l’« insouciance assumée » des consommateurs.

Le projet Chatel, quant à lui, ne règlera pas les problèmes d’inflation car il ne permettra pas aux distributeurs de négocier les hausses injustifiées des fournisseurs. Si Lactalis augmente donc ses tarifs de 17 %, le distributeur ne peut qu’accepter ou refuser et, dans ce dernier cas, la loi permet aux fournisseurs d’arrêter de livrer le distributeur.

En outre, les PME risquent de souffrir de l’application de la loi Chatel puisque les marges arrière demeureront, avec la coopération commerciale qui les accompagne, et que l’augmentation de cette dernière se fera à leur détriment par rapport aux grandes marques. Les PME ne doivent pas être instrumentalisées dans ce débat. Auchan réalise 30 % de ses achats avec les 25 plus gros industriels du secteur, mais cela ne représente pour eux que 0,5 % de leur chiffre d’affaires : ce sont les distributeurs qui sont pieds et poings liés face aux industriels, pas l’inverse.

Il convient donc de pouvoir négocier les tarifs et les conditions générales de vente, les CGV. Il faut également supprimer les marges arrière dans le cadre d’un contrat unique, la réduction des tarifs apparaissant sur facture. L’interdiction de vente à perte doit par ailleurs être maintenue et il est indispensable de pouvoir vendre des produits à ce jour interdits à la vente chez les distributeurs : patchs, produits anti-rides, tests de grossesse, parfumerie etc. Jusque là, il est entendu que le fournisseur fixe les CGV. Auchan est une entreprise responsable qui a tout intérêt à ce que les PME françaises se développent.

Selon M. Michel-Edouard Leclerc, président des centres Edouard Leclerc, la loi Chatel n’aura qu’un impact limité. Par ailleurs, il confirme les chiffres donnés par M. Arnaud Mulliez et se dit en accord avec la plupart des préconisations du rapport Attali, sauf s’agissant de l’autorisation de la vente à perte.

Par ailleurs il faut supprimer complètement la loi Galland et les marges arrière, et garantir la liberté de négocier : il s’agit de réintégrer le système français de concurrence dans le système européen, le particularisme national étant en la matière folklorique. Une telle réforme ne sera pas facile, tant les corporatismes sont importants : la liberté des prix n’a été effective en France que de 1986 à 1997, grâce d’ailleurs à une ordonnance prise par M. Edouard Balladur, sans que le Parlement ait été impliqué. Si le but de la loi Chatel est de redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs par une baisse des prix, c’est loupé.

A cela s’ajoute, sur un plan économique, le fait que les « conditions particulières de vente », les CPV, n’ont pas eu l’impact souhaité auprès des fournisseurs ; sur le plan juridique, en outre, l’administration a poursuivi les distributeurs pour requalifier les CPV en coopération commerciale lorsque des remises ont été obtenues. La négociation d’un tarif passe donc par l’augmentation de la coopération commerciale, dont le niveau est déjà très élevé, alors qu’elle ne constitue en rien un outil de négociation ! Dans l’immédiat, il convient d’ouvrir un espace de négociation directe des prix, à travers la revalorisation des CPV. C’est ainsi que l’on pourra se battre contre les grands industriels multinationaux afin de faire bénéficier le consommateur d’une baisse des prix sans prendre de risque juridique. Les centres Leclerc comptent rester les moins chers mais demander d’augmenter les marges arrière pour en restituer tout ou partie avec un risque juridique qui perdure, ce n’est pas très fair-play.

M. Jérôme Bédier, président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FECD), a rappelé que, pour la quatrième fois en dix ans environ, un texte sur la concurrence sera bientôt débattu : il y a eu tout d’abord la loi Galland, qui a entraîné un fort développement des marges arrière, puis la loi sur les nouvelles régulations économiques, qui a abouti à un contrôle accru de ces marges, et la loi Dutreil, qui a encore renforcé le contrôle pénal des marges arrière et qui a permis aux distributeurs d’en tenir compte dans le prix de vente public.

Le projet Chatel, quant à lui, vise à développer le « trois fois net » - réincorporation des marges arrière dans les marges avant - tout en réprimant la coopération commerciale par le contrôle administratif et pénal. Néanmoins, et alors qu’il faut réformer vite, il ne règlera pas fondamentalement les problèmes et le Parlement devra se saisir à nouveau de ce sujet, comme le Président de la République en convient lui-même.

Le système actuel est déréglé : certes, les prix ont globalement baissé, mais les marges arrière continuent, elles, d’augmenter et continueront d’augmenter si l’on ne fait rien. Avant la loi Dutreil, les industriels augmentaient leurs tarifs en tenant compte de la répercussion que cela aurait dans le prix de vente au consommateur. Aujourd’hui, les fournisseurs peuvent augmenter leurs tarifs en considérant que c’est aux distributeurs d’inclure une partie de ces marges dans l’élaboration du prix. Cependant, pour baisser les prix de vente, les distributeurs doivent également négocier la coopération commerciale, déjà élevée pour les PME, ce qui leur fait courir des risques juridiques majeurs. Il faut donc supprimer les marges arrière et mettre en place un contrat unique où figurent les engagements réciproques des distributeurs et des fournisseurs, notamment s’agissant de la réduction des prix.

Le « trois fois net » peut favoriser un tel système : le consommateur bénéficiera d’une plus large concurrence, le distributeur pourra négocier plus librement, la suppression de la « facturologie » des coopérations commerciales et des contrôles, ce qui entraînera une simplification des procédures et, enfin, il sera possible de renoncer à des promotions fractionnées au bénéfice de prix bas en permanence.

Les PME sont inquiètes quant à leurs responsabilités, à leur trésorerie et aux engagements. Or la coresponsabilité est totale. Par ailleurs les distributeurs sont prêts à neutraliser les problèmes de trésorerie et les engagements demeureront, même si ce n’est plus sous la forme de la coopération commerciale, comme en témoigne la permanence des contrôles de non discrimination abusive.

Le problème du pouvoir d’achat des Français est tel qu’il faut être prêt à faire une grande réforme.

Le président Patrick Ollier a considéré que les augmentations de tarifs par les industriels constituent un problème majeur dont il faudra tenir compte dans le texte. Les propositions qui viennent d’être formulées sont claires, le contrôle de la discrimination abusive permettrait de conserver un regard sur la négociation et sur le contrat unique, même si le projet proposé ne va pas exactement en ce sens. La préparation du futur projet de loi de modernisation de l’économie sera l’occasion de débattre de ces sujets.

M. Michel Raison, rapporteur, a tout d’abord déclaré que les parlementaires respectent les entreprises de distribution et leurs dirigeants. Néanmoins, ils ne les croient pas lorsque ces derniers prétendent que leur seul but est de faire baisser les prix pour les consommateurs. La loi Chatel, indépendamment des amendements qui pourront être présentés en séance, ne saurait être fondamentalement modifiée puisqu’il importe au premier chef de maintenir un équilibre dans toute la chaîne de la consommation. Le Gouvernement a, par ailleurs, constitué un groupe de travail sur les CGV dont la réflexion doit être poursuivie.

Le code de commerce prévoit que les CGV peuvent être différentes selon les catégories d’acheteurs, leurs chiffres d’affaires, la nature de la clientèle, le mode de distribution, le volume etc. Il est donc faux de prétendre qu’il ne reste aucune marge de négociation des tarifs et la loi Chatel vise à réintégrer l’ensemble de ces paramètres dans le prix de vente. Par ailleurs, il n’est pas possible de prétendre que la loi ne suffira pas pour répercuter sur les prix de vente le produit des négociations avec les fournisseurs. Il est à craindre, de surcroît, que la négociabilité des CGV ne relève de la législation sur la discrimination tarifaire. Pourquoi les représentants de la grande distribution découvrent-ils tout à coup le problème des marges arrière ?

M. Michel-Edouard Leclerc a rappelé qu’une campagne de publicité avait été organisée dès 1997.

M. Michel Raison, rapporteur, a poursuivi en demandant si, dans un premier temps, ce cercle vicieux des marges arrière et de la coopération commerciale a été le fait du distributeur plutôt que du fournisseur. Le législateur, quant à lui, essaie de régler les problèmes que rencontrent les grandes marques et les distributeurs tout en essayant par là même de moraliser les relations entre fournisseurs et distributeurs : si la morale était respectée, il n’y aurait pas besoin de lois.

M. Jean Gaubert, s’exprimant au nom du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, a relevé l’évolution des positions de la grande distribution, qui, à une exception près, ne demandait pas avec la véhémence actuelle la suppression des marges arrière. Quoi qu’il en soit, tout ce qui permettra une plus grande clarté sera bienvenu. Le système des marges arrière décrit par les intervenants est devenu totalement opaque et ne peut plus durer. Il est surprenant, à cet égard, que certaines entreprises montent à nouveau au créneau pour le défendre.

Il faut désormais se fonder sur la vérité des prix. Les grands distributeurs doivent s’en tenir à leur métier de commerçant et organiser la communication pour les produits qu’ils ont en magasin.

Pour commencer, sont-ils prêts à s’engager à ne plus réclamer 1,2 tonne de pommes pour le prix d’une tonne au motif qu’il y a de la perte sur les pommes ? C’est aussi le rôle des commerçants que d’assumer les pertes, notamment celles qui résultent de la dégradation des produits frais. De même, s’engagent-ils à ne plus renvoyer les produits invendus parce qu’ils en ont commandé trop ? Sont-ils prêts à abandonner le système actuel de référencement, lui aussi très contestable et opaque, sinon mafieux ? Sont-ils prêts à rediscuter des délais de paiement, pour lesquels on a trouvé des astuces permettant de les prolonger jusqu’à 59 ou 60 jours ? On rapporte aussi que les groupes de distribution demandent parfois de dater la facture trois semaines après la date de livraison. Si l’on veut pouvoir se proclamer, comme on le fait, « plus blanc que blanc », il faut jouer franc jeu !

Par ailleurs, l’intervention de M. Jérôme Bédier comportait une expression dont on peut supposer qu’il s’agit d’un lapsus : qu’est-ce qu’une « non-discrimination abusive » ? Un « racket raisonnable » ?

M. Jean-Paul Charié, au nom du groupe UMP, a précisé que la commission avait pensé demander aux représentants des fournisseurs de participer à la réunion, mais que l’ordre du jour très resserré ne l’avait pas permis. S’ils avaient été là, ils se seraient défendus en faisant valoir que les hausses de tarifs proposées ne correspondent pas aux hausses qui sont réellement appliquées.

Aussi bien M. Attali que MM. Mulliez, Leclerc et Bédier affirment que les lois sont inefficaces et qu’il faut les changer. On leur opposera une autre vision des choses : si les lois sont inefficaces, c’est que, bien souvent, elles ne sont pas appliquées ou que les pénalités en cas d’infraction ne sont pas versées. M. Michel-Édouard Leclerc a même affirmé un jour : « Je ne détourne pas la loi : je m’assois dessus. »

Par ailleurs, on ne peut comparer les marges des industriels, qui sont contraints de faire des investissements très lourds, et celles des revendeurs de la grande distribution.

Dans cet univers que les intervenants s’accordent – enfin ! – à trouver inique, deux attitudes sont désormais possibles.

On peut d’abord dresser la liste de ce qui est en effet inadmissible et qui est imputable pour partie à la grande distribution. À qui est-il arrivé de demander aux fournisseurs d’augmenter leurs tarifs pour accroître ses propres marges arrière ? Qui a allongé les délais de paiement ? Qui a inventé les pénalités dans les conditions générales d’achat, lesquelles dépassent parfois 20 % ? Qui a inventé les centrales d’achat installées en Suisse ? Il est notoire que toute entreprise, grande ou petite, doit aujourd'hui payer pour que le distributeur mette à l’étude une éventuelle commande, puis payer pour bénéficier de la commande, payer encore pour que le produit soit mis en rayon, etc. Et il faut aussi convenir que les fournisseurs et le monde politique ne sont pas exempts de reproches.

Toutefois il est une autre façon d’envisager les choses : un accord général pourrait se faire pour tout remettre à plat. La règle fondamentale devrait être la non-discrimination tarifaire, comme c’est le cas dans le Robinson-Patman Act aux États-Unis. Si, malgré tout, on accepte la négociation tarifaire - après tout, elle est pratiquée par les industriels et les marques de distributeurs ainsi que pour certains produits -, il faut à tout le moins que la grande distribution s’engage à en finir avec les fractures émises par le client au fournisseur. Ce serait une avancée appréciable de sa part. Si elle s’engage sur un contrat unique, sur un engagement courant sur plusieurs mois et sur une remise en cause de ses pratiques, peut-être pourrait-on arriver à la situation qui est celle du système allemand, souvent cité en exemple.

Un tel cas de figure suppose que soient apportées des réponses claires à une série questions :

La grande distribution s’engage-t-elle à ne pas renvoyer les marchandises qu’elle a en trop et à supporter les pertes éventuelles ?

S’engage-t-elle devant le Parlement à tout faire pour empêcher un groupe de distribution, quel qu’il soit, d’enfreindre la loi ?

Quelles sont les solutions qu’elle trouvera pour financer l’expansion des groupes en l’absence de marges arrière ?

Supprimera-t-elle les pénalités dans les conditions générales de ventes ?

Quel sera le devenir des centrales d’achat ?

Il faut savoir en effet que les centrales d’achat résultent, ni plus ni moins, d’ententes entre concurrents, alors qu’en face les fournisseurs n’ont pas le droit de s’entendre. La logique voudrait qu’on les supprime pour revenir, comme en Allemagne, à un ensemble de pratiques simples et respectueuses d’un minimum de valeurs.

M. Jean Dionis du Séjour, au nom du groupe Nouveau Centre, a rappelé la constance de la position de son groupe sur ce dossier : les marges arrière doivent être supprimées, delendae sunt ! Il est clair qu’elles constituent un mécanisme inflationniste et résultent d’une entente entre les grands industriels et les distributeurs contre les consommateurs et les PME. On peut donner acte aux intervenants qu’ils n’ont pas inventé ce système, mais ils doivent convenir qu’ils l’ont récupéré et qu’ils s’en sont très bien accommodés. Or c’est un système si profondément artificiel et faux que le législateur se fait un impératif de le supprimer. La qualification de « nid de la corruption à la française », formulée en 2005, ne peut qu’être maintenue. Dans ce débat tout à la fois moral et pénal, le groupe Nouveau Centre, tout en étant favorable à la négociabilité, adoptera une position très ferme, d’autant que, si le texte de M. Luc Chatel va dans le bon sens, il ne poursuit pas jusqu’au bout la logique de la suppression des marges arrières.

M. Jérôme Bédier a usé d’un néologisme habile, « facturologie », pour demander aux députés de ne pas trop exiger de la grande distribution en matière de factures. On pourra lui répondre par une métaphore : le rugby a réellement progressé lorsque l’on a introduit l’arbitrage vidéo. La coopération commerciale continuera certes d’exister entre distributeurs et fournisseur : les premiers continueront de vendre aux seconds l’emplacement dans les catalogues, dans les gondoles, etc, mais il faut que ces pratiques figurent dans les contrats et soient vérifiables. Il faut que la DGCCRF, et, peut-être un jour, l’Autorité de la concurrence, puissent y mettre le nez. Si les distributeurs ne bougent pas sur ce point, ils ne seront plus entendus.

Un arbitrage a été rendu sur le calendrier législatif. Cela n’empêchera pas un débat parlementaire ouvert et des votes. Il faut, à cet égard, cesser de dramatiser le calendrier. La grande distribution a toute liberté pour repartir en marges avant dès aujourd'hui, mais est-elle seulement d’accord pour que le détail de la coopération commerciale figure dans le contrat unique ? D’autre part, si la formule d’un parcours législatif en deux temps est adoptée, qu’entend-elle faire pour anticiper les dispositions de la loi entre novembre 2007 et avril 2008 ?

M. Christian Jacob a indiqué qu’il renonçait à son intervention, impatient d’entendre des réponses précises à des questions précises et craignant que les intervenants n’invoquent l’heure tardive pour ne pas répondre.

Le président Patrick Ollier a assuré M. Jacob qu’il veillerait à ce que MM. Bédier, Leclerc et Mulliez disposent d’un temps suffisant pour répondre en détail aux questions.

M. Jean-Yves Le Déaut a rappelé qu’il s’intéresse depuis longtemps, de même que M. Jean-Paul Charié, à la question de la distribution et qu’il a remis en 2000 un rapport intitulé : « De la coopération commerciale à la domination commerciale ». L’évolution de certains, nouveaux convertis en la matière, est heureuse.

Cependant, les questions demeurent. Les grands distributeurs se disent les meilleurs défenseurs des PME françaises or, dans les linéaires, les plus vastes emplacements et les meilleures places sont réservées aux produits des grands groupes, ceux-là même qui viennent d’être critiqués. Il y avait environ cent soixante marques de pâtes il y a dix-huit ans, contre dix seulement aujourd'hui. Toute une partie de la richesse de notre pays a disparu parce que l’on a privilégié les gains commerciaux immédiats au détriment du développement économique.

Au surplus, à qui ont profité les gains de productivité ? Certainement pas au consommateur, n’en déplaise à M. Michel-Édouard Leclerc et même si on peut lui concéder qu’une partie de ces gains a été consacrée aux investissements. Il faut pourtant rappeler que la grande distribution est le secteur économique qui a réalisé le plus d’investissements sur fonds propres.

Que comptent faire les distributeurs pour se détourner de cette sorte de monopole qu’ils détiennent moyennant une entente avec les multinationales ? Que comptent-ils faire en matière de délais de paiement, de référencements, de centrales d’achat ? Comment envisagent-ils la conduite à adopter en cas de baisse excessive des prix, notamment agricoles ? Sont-ils favorables à des organisations économiques de producteurs ? Bref, sont-ils favorables à la véritable évolution qui pourrait être menée parallèlement à la suppression des marges arrière ?

Mme Marie-Louise Fort a remarqué que M. Michel-Édouard Leclerc s’est offert des encarts publicitaires dans divers grands quotidiens nationaux. Il y affirme son souhait de redonner du pouvoir d’achat aux Français. Il qualifie la réforme proposée par le Gouvernement de « réformette », se plaint de l’encadrement excessif des relations commerciales, se dit favorable à la suppression de la loi Galland et précise que les hausses excessives des tarifs des produits sont le fait des industriels, qui se retranchent derrière le fallacieux prétexte de l’augmentation du prix des matières premières. Il milite enfin pour la mise en place du principe de la liberté de négociation des tarifs avec les fournisseurs. Ces derniers sont contre cette solution, considérant qu’elle détruirait le seul rempart contre la toute-puissance des six centrales d’achat.

Ils prennent aussi la défense des petits fournisseurs qui, sans cette faculté de fixer les tarifs, seraient voués à disparaître des rayons, donc à disparaître purement et simplement. Les producteurs laitiers ont répondu à M. Leclerc par encart publicitaire.

Les fournisseurs précisent en outre que les dispositifs adoptés au cours de la précédente législature ont permis la baisse des prix des marques des industriels de 3,2 %, comme des études le démontrent, mais que, dans le même temps, les prix des marques de distributeurs ont augmenté de 1 %. L’Association nationale des industries alimentaires (ANIA) le dit ouvertement.

Que répondent les distributeurs à cela ?

Mme Corinne Erhel, se référant aux propos des intervenants selon lesquels les marges des distributeurs baissent tandis que celles des industriels augmentent, a demandé ce qu’il en est pour les PME travaillant sous marque de distributeur, qui ont bien souvent des marges très serrées et des difficultés pour négocier.

On remarque par ailleurs que telle ou telle enseigne est présente dans certaines régions et pas dans d’autres, alors qu’elle investit par ailleurs beaucoup à l’étranger. Quelle en est la cause ? Existe-t-il un « partage du territoire » entre enseignes ?

M. Jean-Charles Taugourdeau a dit comprendre qu’il faille procurer aux distributeurs des armes et des armures contre les vingt-cinq groupes face auxquels ils ne représentent que 0,5 % de chiffre d’affaires. En retour, les distributeurs doivent comprendre que l’on doit également donner des armes et des armures aux petits producteurs, dont ils peuvent représenter jusqu’à plus de 50 % du chiffre d’affaires.

M. William Dumas a aussi évoqué la question des petits producteurs, qu’ils soient indépendants ou organisés en coopérative. Dans le département de Gard, où l’on produit beaucoup de fruits et légumes et de vin, la situation est catastrophique depuis des années. Or les baisses de cours subies par les producteurs ne sont jamais répercutées sur les rayons des grandes surfaces. Ne pourrait-on organiser des rencontres entre élus, distributeurs et producteurs pour organiser une concertation permettant de maintenir les prix à un niveau correct et de préserver l’activité ? On parle beaucoup d’aménagement du territoire, mais les prix pratiqués par la grande distribution organisent un « désaménagement du territoire ».

M. François Brottes a observé que les intervenants déplorent l’archaïsme du système français par rapport à d’autres pays alors que ce même système a permis le big deal passé entre eux pour les implantations et a servi de base pour leur développement international, en consolidant leur capacité d’investissement. Il ne faudrait tout de même pas « cracher dans la soupe » : les distributeurs se sont longtemps satisfaits de cette situation avant de vouloir la faire évoluer.

Qu’a modifié pour eux l’autorisation qui leur a été récemment donnée de passer de la publicité à la télévision ? Cela a-t-il changé leurs relations avec certains de leurs fournisseurs ? Cela a-t-il jeté un trouble complémentaire dans leurs relations avec les grandes marques qui, jusqu’à présent, pouvaient seules accéder aux écrans publicitaires ?

Enfin, leur arrive-t-il d’avoir quelque égard pour la survie des commerces de proximité dans les centres-villes et les villages ? Alors que certaines de leurs marques développent quelques structures dans cette direction, mesurent-ils bien l’incidence que peut avoir sur ces commerces un bouleversement des conditions générales de vente de la grande distribution ?

M. Yves Albarello a remarqué que M. Michel-Édouard Leclerc va répétant qu’il est toujours le premier et entend le rester. Cependant, qu’est-ce qui garantit la fiabilité de l’indice des prix qu’il pratique ? En outre, la volonté d’être le premier grâce à sa politique de prix a forcément des répercussions sur la politique sociale de l’entreprise. M. Mulliez l’a d’ailleurs reconnu lorsqu’il a affirmé être « au taquet » et évoqué les incidences que cela pourrait avoir en matière sociale. Qu’en est-il dans les établissements Leclerc ?

M. Michel-Édouard Leclerc a fait valoir que le nombre des questions interdisait que l’on réponde en détail à chacune d’entre elles.

Il a ajouté que les membres de la commission des affaires économiques ont certainement conscience, même vaguement, du caractère extrêmement « impactant » des questions qu’ils soulèvent. Or, au moment où la discussion du projet de loi va s’engager, la commission ne dispose d’aucune étude d’impact ! Il n’est pas normal, dans une grande démocratie, que les commissions parlementaires n’aient pas les moyens pour effectuer un tel travail. On est certes dans l’urgence mais cela ne justifie pas cette situation.

Le président Patrick Ollier a rappelé à M. Michel-Edouard Leclerc que la commission avait désigné un rapporteur chargé de collecter les informations, qui était à même de présenter le projet d’une façon satisfaisante.

M. Michel-Édouard Leclerc a répondu qu’il ne parlait pas d’auditions mais d’expertises, notamment d’analyses économiques d’impact. Lorsqu’il leur est dit que la réforme Chatel ne fera pas baisser les prix, les députés mettent en doute ces propos.

M. Michel Raison, rapporteur, a récusé cette façon de résumer le débat. Les députés ont dit que les grands distributeurs avaient les moyens de faire baisser les prix.

M. Michel-Édouard Leclerc a maintenu qu’il était important que les députés sachent s’ils vont faire œuvre utile dans ce débat, qui ne constitue d’ailleurs qu’une étape. Les grands distributeurs, pour leur part, ont déjà fait leurs catalogues et déterminés leurs prix pour janvier et février, et ce dans un contexte d’insécurité juridique qui fait qu’ils ne savent pas où ils vont. Il faut prendre ces éléments en compte dans la discussion, même s’il semble entendu que le texte ne sera pas sensiblement modifié. Les distributeurs ont pris leurs dispositions dans l’idée que la négociabilité ne sera pas adoptée.

À défaut d’étayer la discussion par une étude d’impact économiquement quantifié, les députés devraient au moins concéder que les professionnels sont également concernés par l’intérêt général et par la loi et qu’ils ne viennent pas devant la commission pour faire des plaidoyers pro domo ou pour négocier des avantages !

Pour en revenir à l’impact du projet de loi, il faut rappeler que le texte en vigueur s’est révélé inflationniste pour les prix des grandes marques, lesquelles représentent 80 % de ce qui est vendu dans une supérette ou un supermarché et un peu moins dans un hypermarché. S’il est vrai que les biens de consommation courante ne représentent plus que 15 à 20 % du budget des ménages, pour les ménages les plus modestes cette proportion dépasse de beaucoup la moyenne nationale. D’où l’intérêt de connaître l’impact des nouvelles propositions sur le pouvoir d’achat.

En ce qui concerne la loi Galland, tant le rapport Canivet que le dernier rapport de la DGCCRF en juin, ont démontré que la hausse des prix n’était pas due à l’euro, mais au couple tarifs/marges arrières. La réforme Jacob-Dutreil a permis aux distributeurs de restituer aux consommateurs sous forme de baisses de prix directes – ce qui était fait auparavant sous forme de bons d’achat et de tickets – toutes les marges arrière au-delà de 20 puis de 15 %. Dans les magasins Leclerc, cela s’est traduit par des baisses importantes.

Quoi qu’il en soit, la marge moyenne d’un hypermarché est de 25 %. Même si l’on autorise les distributeurs à reporter les 15 % de marges restants sur les prix, ils pourront certes faire du prix coûtant et de l’animation de marché, mais le rééquilibrage du compte d’exploitation exigera des hausses en compensation. Il n’y aura plus de baisse globale des prix puisque la réforme Jacob-Dutreil a déjà provoqué un réétalonnage. C’est d’ailleurs ce qui explique que les courbes de prix remontent aujourd'hui dans l’ensemble de la distribution française. Étant donné les hausses tarifaires des fournisseurs, les distributeurs, globalement, n’ont plus rien « sous le pied ».

Il faut se garder des querelles corporatistes et ne pas chercher à justifier ou à contester ces hausses. La possibilité qui reste aux distributeurs pour les contrebalancer repose sur leur capacité à réengranger de la coopération commerciale. Les centres Leclerc participent, avec l’allemand REWE, le belge Colruyt, l’italien CONAD et le suisse Coop, à une coopérative européenne d’achat, Coopernic, dont les membres représentent 9 % de la vente de bien en Europe. Les comparaisons tarifaires ont établi que les produits de marque Barilla, entreprise italienne qui fabrique ses pâtes dans une seule usine, ont connu une hausse de 10 % chez tous les partenaires sauf en France, où l’on en est à 32 %. En effet, le système français fait que l’industriel augmente son tarif avec l’idée qu’il proposera ultérieurement de la coopération commerciale. On en est au point que Leclerc va écarter le fournisseur s’il n’aligne pas son tarif sur la hausse moyenne constatée en Europe.

M. Michel-Édouard Leclerc a ajouté que les députés italiens allaient s’émouvoir des conséquences sociales que cela pourrait avoir, comme ce serait le cas en France si l’on procédait ainsi avec les œufs de Loué ou les pâtes Lustucru.

Si les distributeurs reconnaissent qu’ils ne sont pas tout blancs, c’est pourtant bien au législateur de proposer un système qui leur permette de sortir par le haut de leurs querelles corporatistes. Les députés ne peuvent leur reprocher d’utiliser la coopération commerciale pour négocier les tarifs si eux-mêmes en font l’unique creuset de la négociation. Ils doivent assumer leurs responsabilités.

En tout état de cause, les prix des centres Leclerc, dont on conviendra qu’ils ne figurent pas parmi les plus élevés en France, vont hélas augmenter dans les trois mois qui viennent. Les députés qui imaginent faire valoir dans la campagne des municipales une loi supposée renforcer le pouvoir d’achat des Français doivent réfléchir à ce que cela va donner !

M. Michel Raison, rapporteur, a demandé à M. Leclerc de s’abstenir d’incriminer la loi pour justifier les hausses de prix. Les causes sont multiples. L’augmentation de certaines matières premières est indéniable et elle a un impact sur les prix quelle que soit la loi.

Le président Patrick Ollier a émis le souhait que les intervenants répondent précisément aux questions posées.

M. Jérôme Bédier a souligné que, sur le fond, on s’accorde à reconnaître que le système a été confortable pour l’ensemble des acteurs de la grande consommation. L’économie administrée, c’est comme la morphine : c’est très agréable mais cela provoque, à la longue, un délabrement de tout l’organisme. Il faut donc sortir du système, et commencer par quitter la spirale infernale par laquelle la hausse des tarifs et la hausse de la coopération commerciale s’entretiennent mutuellement. Or cette spirale est aujourd'hui en pleine action du fait de la hausse des tarifs. Il sera donc difficile de trouver des solutions.

Un consensus semble émerger sur la suppression des marges arrière. Du point de vue des distributeurs, il est possible de le faire dès à présent.

Il faut en outre noter que si l’on supprime la coopération commerciale, le référencement n’est plus une prestation de service et ne peut justifier une réduction de prix sur une facture. Dès lors, on n’aura plus que des engagements liés à l’achat et à la revente.

Les distributeurs souhaitent conserver un système de contrôle de la discrimination abusive, à partir duquel on peut organiser des contrôles garantissant une protection juridique aux petits acteurs. Le contrat comportera, à la base, les conditions générales de vente et le tarif. Derrière, il y aura un contrat unique qui s’exprimera sous forme de réductions de prix ou d’avoirs. Le contrôleur ou le juge pourra vérifier si ceux-ci sont globalement justifiés au regard des catalogues, des têtes de gondole, etc. Ce ne seront plus des prestations de service prétendument indépendantes mais des modalités de la vente sur lesquelles les acteurs se seront engagés. Ne reste que la volonté exprimée dans le plan d’affaires établi directement entre l’industriel et le distributeur.

M. Michel-Édouard Leclerc a ajouté que c’est la pratique qui a cours en Italie et en Allemagne : les prestations de service ne sont plus facturées par le distributeur mais apparaissent sur la facture de l’industriel sous forme de remises. C’est ainsi qu’est établie la coresponsabilité. Il est incompréhensible que l’on s’évertue en France à maintenir la facturation par le commerçant.

M. Jean-Paul Charié a rappelé que, lorsque Procter & Gamble a proposé de supprimer les marges arrière, les distributeurs ont refusé.

M. Jérôme Bédier a répondu que cette proposition était très différente : Procter & Gamble voulait financer ses baisses de tarifs en reprenant intégralement la coopération commerciale des distributeurs : il y a quand même des limites !

Par ailleurs les distributeurs peuvent envisager de discuter les délais de paiement avec les PME dans le cadre d’une réorganisation globale, la suppression des marges arrière revenant en fait à restructurer les tarifs. Si l’on ramenait à trente jours tous les délais de paiements qui dépassent cette durée, cela correspondrait pour la profession à un transfert de 11 milliards d’euros, dont 7 milliards pour les plus grands groupes internationaux. S’agissant de ces derniers, un tel transfert n’est pas une priorité car cela reviendrait à leur offrir une caisse qui leur permettrait, par exemple, de racheter des entreprises. En revanche, les distributeurs sont prêts à discuter avec les PME, éventuellement à l’instigation du Parlement, pour clarifier la question des délais de paiement excessifs. Même si des améliorations ont déjà été apportées, on peut estimer qu’un délai de soixante jours ou plus reste trop long.

La question du retour des produits en excédent au producteur renvoie à la qualité de la contractualisation, notamment pour les marchés de produits frais, où elle est déficiente. Les problèmes d’agréage et de qualité doivent être prévus dans les contrats, de manière à ce que les acteurs soient tenus par des obligations, contrairement à la culture de négociation « au cul du camion ».

Quant aux pénalités, il faut être conscient qu’elles sont l’enfant naturel de la coopération commerciale. Elles se sont développées en raison de la répression pénale et administrative qu’a subie cette coopération et qui a reporté la pression sur une autre catégorie, celle des services distincts – lesquels, dans la rédaction actuelle du projet de loi, feront bientôt l’objet du même contrôle. Les distributeurs sont convaincus que la suppression des marges arrière fera retomber la pression sur les pénalités.

En ce qui concerne la place des produits des PME dans les linéaires, le problème tient à la même difficulté : le but des négociations est devenu l’obtention de coopération commerciale et non la marge avant d’un produit. Dès lors, c’est malheureusement celui qui a les meilleures conditions de coopération commerciale qui l’emporte et non celui qui a le meilleur produit.

Pour toutes ces raisons, la proposition des distributeurs semble bien meilleure. Si elle était adoptée, leurs revenus ne proviendraient plus de la négociation de l’acheteur mais bien, comme c’était le cas dans le passé, de la marge réalisée dans le magasin. Les magasins, au lieu d’être des centres de coût, redeviendraient des centres de profit.

Ce système est simple, facile à mettre en œuvre. On pourrait imaginer de passer au trois fois net dès le 1er janvier et se laisser trois ou quatre mois pour mettre en place un système débarrassé des marges arrière. Renvoyer les acteurs à l’incertitude d’un nouveau débat et de nouveaux délais, dans un contexte très difficile en ce qui concerne le pouvoir d’achat et avec une forte pression sur les prix, c’est passer à côté d’une occasion intéressante de réforme.

M. Arnaud Mulliez a indiqué qu’il souscrivait aux analyses techniques de MM. Leclerc et Bédier.

Il convient de se concentrer sur l’objectif du Gouvernement dans ce projet de loi : l’augmentation du pouvoir d’achat des Français. Les préoccupations des députés sont légitimes et partagées par les distributeurs. Ainsi les PME : le groupe Auchan en a lui aussi besoin. Comment pourrait-il différencier ses magasins autrement ? Dirigeants et employés – notamment les chefs de rayon – assistent régulièrement à des forums organisés dans chaque région par l’entreprise avec cent à deux cents PME pour permettre à celles-ci d’intégrer les linéaires. Il est important que les députés entendent aussi les PME qui font affaire avec les distributeurs et s’en portent bien.

S’agissant du poids du groupe dans les PME, il est toujours demandé aux fournisseurs de ne pas dépasser 30 % de leur chiffre d’affaires avec Auchan.

M. Michel-Édouard Leclerc a précisé que cette limite est de 20 % pour son groupe.

M. Arnaud Mulliez a ajouté que, lorsqu’une décision peut avoir un impact de 10 % sur le chiffre d’affaires d’une entreprise, c’est un autre acheteur qui la prend. Le groupe fait donc très attention à ce que sa collaboration avec les PME perdure. Il n’a aucun intérêt à appauvrir le tissu industriel français.

Auchan regroupe cent vingt magasins fédérés où travaillent cinquante-cinq mille collaborateurs. Sa direction est parfaitement capable de prendre des engagements et de les tenir.

S’agissant du commerce de proximité, ou « petit commerce », il ne faut pas verser dans un faux débat. Le débat de fond a trait à la confrontation entre un commerce moderne et un commerce « ringard », tant chez les grands que chez les petits commerçants. La grande distribution a vu disparaître Genty-Cathiard, Rallye, Euromarché, victimes de leur politique de réinvestissement. À l’inverse, chacun connaît des petits commerçants qui ont réussi parce qu’ils ont réinvesti leurs bénéfices, notamment dans les galeries marchandes des grands magasins et des hypermarchés, où un tiers des boutiques sont des « filiales » du petit commerce de centre-ville. Il faut discuter avec ces commerçants-là : aucun ne se plaindra des grandes surfaces, tous feront valoir la complémentarité. Il faut aussi parler des trains qui arrivent à l’heure. Les petits commerçants qui se plaignent sont fréquemment ceux qui n’ont pas fait les efforts qu’il fallait pour répondre à la demande des consommateurs.

M. Christian Jacob a prié M. Mulliez de cesser de prendre les députés pour des autistes. Ils rencontrent les petits commerçants quotidiennement et connaissent fort bien leurs problèmes.

M. Arnaud Mulliez a insisté sur les conséquences que le projet de loi pourrait avoir sur les salariés. Auchan a distribué l’année dernière 213 millions d’euros au titre de l’intéressement. Est-ce là ce que M. le rapporteur appelle une « marge de manœuvre » ? Depuis quatre ans, Auchan investit en moyenne 180 millions d’euros pour racheter du matériel, refaire les magasins, voire les agrandir ou les transférer. Est-ce là une autre marge de manœuvre ? L’entreprise investit également dans plus d’un million d’heures de formation pour qualifier son personnel, 90 % des postes n’exigeant pas de qualification particulière à l’embauche. Sa politique de formation est une de ses fiertés. Est-ce une troisième marge de manœuvre ? Enfin, on doit mesurer l’impact sur les fournisseurs, ce qui a déjà été évoqué.

M. Michel-Édouard Leclerc, répondant à M. François Brottes sur l’accès des distributeurs à la publicité télévisée, a rappelé que c’est M. François Léotard qui avait instauré l’interdiction par voie législative, dans le but de protéger la presse quotidienne régionale. Cette interdiction a été levée sur injonction de la Commission européenne, mais les distributeurs n’ont toujours pas le droit de parler de leurs prix à la télévision. Aucun impact négatif n’a été constaté sur la PQR. Les budgets publicitaires sont complémentaires et synchronisés. Le cas est cependant exemplaire : voici une mesure, prise pour protéger une corporation à un moment donné, qui a privé la grande distribution de ce dynamisme-là pendant quinze ans. Même si personne n’en a véritablement pâti, la démonstration est faite que l’on peut libérer des activités sans provoquer de catastrophe.

M. François Brottes a demandé si la publicité à la télévision a amélioré les ventes.

M. Michel-Édouard Leclerc a répondu que l’analyse factorielle est impossible. Il ne faut pas oublier que les distributeurs n’ont toujours pas le droit de faire de publicité sur les prix à la télévision ni de concevoir des catalogues comportant des publicités de prix sur les fruits et légumes sans demander son autorisation à l’interprofession agricole, ce qui constitue une entente verticale.

Le président Patrick Ollier a remercié les intervenants d’avoir enduré les critiques et les attaques parfois fortes des membres de la commission. Sans doute serait-il opportun de consacrer toute une matinée, d’ici début 2008, à débattre ensemble de ces problèmes.

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