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Mercredi 19 décembre 2007

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Patrick Ollier Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Lauvergeon, présidente d’Areva

– Informations relatives à la commission

Commission
des affaires économiques, de
l’environnement et du territoire

La commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire a entendu Mme Anne Lauvergeon, présidente d’Areva.

Le président Patrick Ollier, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, accueille Mme Anne Lauvergeon, présidente du directoire d’Areva. Les sujets stratégiques auxquels Areva est partie prenante sont nombreux : l’environnement, la sécurité, l’indépendance énergétique de la France et de l’Europe, le coût de l’approvisionnement en énergie. Areva est désormais parmi les groupes internationaux les plus performants.

Qu’en est-il de l’ouverture du capital du groupe ? Areva verse des dividendes supérieurs à ses résultats et finance ainsi un effort de recherche important. Quelles seraient, en la matière, les répercussions des différents scénarios envisagés pour l’évolution du capital ?

Les réseaux d’électricité tiennent une place de plus en plus grande dans l’activité d’Areva. Quelles solutions peut-elle apporter aux enjeux de sécurité et d’efficacité énergétique ?

Les propositions de la Commission européenne pour approfondir la libéralisation du marché intérieur et améliorer la coopération entre les autorités de sûreté nucléaire sont-elles adaptées à la situation ?

Comment le groupe fait-il face à l’enjeu de l’approvisionnement en matières premières ?

Mme Anne Lauvergeon indique que le groupe Areva propose à ses clients des solutions de production d’électricité sans émanation de CO2 et d’acheminement d’électricité en toute fiabilité. Il est leader mondial dans le nucléaire et numéro trois dans les activités de réseau électrique. Il emploie près de 65 000 collaborateurs à travers le monde et a procédé à 10 000 recrutements en 2007. Il est présent dans quarante et un pays sur le plan industriel. Son chiffre d’affaires a atteint 10,3 milliards d’euros en 2006 et il a connu une croissance de 7 % sur le seul premier semestre de 2007. Son carnet de commandes dépasse trois ans et progresse de plus de 30 % semestre par semestre. Son résultat net, en 2006, s’est établi à 649 millions d’euros. Le groupe investit énormément, dans l’industrie mais aussi en recherche et développement (R&D) : en 2008, il consacrera plus d’1 milliard d’euros à ce domaine. Il ne croît donc pas en profitant du passé, mais il est en plein essor et investit massivement pour l’avenir.

Areva suit un modèle intégré : c’est le seul groupe présent à tous les maillons de la chaîne du nucléaire, de la mine d’uranium jusqu’au recyclage, ce qui l’aide à gagner des parts de marché.

La renaissance du nucléaire résulte de la conjonction de plusieurs facteurs. L’accroissement de la population mondiale crée des besoins considérables en énergie. Au sein du mix énergétique, l’électricité augmente, dans les pays développés comme dans les pays en développement, de 3 % en moyenne. Le prix des énergies fossiles se renchérit car elles ne sont pas éternelles et leur production devient plus coûteuse. Enfin, la croissance dans les grands pays en développement tire les prix de l’énergie vers le haut et il faudra doubler la production d’énergie tout en divisant par deux les émissions de CO2, ce qui enferme tous les acteurs dans l’obligation de respecter un « facteur quatre ».

Il convient donc d’accomplir beaucoup d’économies d’énergie mais cela sera insuffisant pour faire face à la demande. La deuxième solution consiste à développer les énergies qui ne produisent pas de CO2 – l’hydraulique, le nucléaire, l’éolien, le solaire et la biomasse –, qui présentent le second avantage d’être domestiques, c’est-à-dire insensibles aux tensions internationales du Moyen-Orient, du Proche-Orient ou de l’Amérique latine.

La demande de nucléaire est extrêmement forte, dans des pays qui avaient déjà employé cette technologie dans les années soixante-dix et quatre-vingts comme dans des pays émergents qui revisitent le sujet, au Proche-Orient, au Moyen-Orient, en Asie du sud-est, en Amérique latine et sur le pourtour méditerranéen.

Sous l’angle des réseaux, le sujet est généralement assez sous-estimé : on oublie qu’il faut acheminer l’énergie là où elle est consommée, dans les grandes villes, chez les industriels et les particuliers. Or les investissements des électriciens sont répartis à 50 % sur la génération d’énergie et à 50 % sur les réseaux, soit la somme astronomique d’environ deux fois 6 000 milliards d’euros d’ici à 2030.

La stratégie du groupe doit prendre en compte un temps long et un temps court. En effet, d’un côté, les retours sur investissement sont considérables, mais attendus à quinze, vingt ou vingt-cinq ans, et, de l’autre, l’environnement économique, financier, technique et industriel est très changeant.

Mme Anne Lauvergeon insiste sur les valeurs d’Areva, la sûreté, la sécurité et la qualité, qui doivent être garanties en tout temps et en tout lieu. La réputation d’Areva est en effet l’un de ses premiers atouts. Ce triptyque ne peut être assuré que si des progrès sont accomplis, sans quoi l’entreprise régresse. Le programme interne Areva Way a été conçu à cet effet : tous les managers sont jugés sur leurs résultats financiers mais également sur leurs résultats en matière de sûreté, de sécurité et de qualité.

La stratégie du groupe est de vendre des solutions qui valorisent ses savoir-faire et fidélisent ses clients. Il a pour objectif de conquérir un tiers des parts de marché sur les ventes de nouvelles centrales, c’est-à-dire un tiers des cent à trois cents réacteurs qui devraient être construits, sur le marché accessible – dans les pays acceptant l’intégralité des contrôles de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) – d’ici à 2030. Deux modèles de troisième génération sont aujourd’hui disponibles : l’EPR, réacteur de 1 600 mégawatts développé avec Siemens ; l’ATMEA 1, réacteur de 1 100 mégawatts développé avec Mitsubishi. Areva entend aussi maximiser la standardisation de ses produits et de ses process, en s’appuyant sur l’atout de son intégration industrielle : les gros composants sont assemblés chez Areva, par des salariés extrêmement qualifiés. C’est ainsi que les Chinois ont acheté à Areva deux îlots nucléaires avec l’ensemble du cycle du combustible.

Néanmoins cet objectif requiert l’alignement des capacités de l’amont du cycle sur les parts de marché visées. Areva doit donc accroître sa production d’uranium, s’imposer parmi les principaux acteurs sur le marché de la vente d’uranium voire se hisser au premier rang, développer ses ventes d’enrichissement pour arriver à un tiers des parts sur ce marché, tout en continuant d’assurer la sécurité de l’approvisionnement du parc électronucléaire français.

S’agissant de l’aval du cycle, le traitement-recyclage est une bonne solution à la non-prolifération. En vendant l’ensemble du cycle et en garantissant la reprise des matières pour le recyclage, Areva évite toute prolifération.

Sur les réseaux électriques, la croissance du groupe dépasse celle du marché puisqu’elle suit un rythme supérieur à 7 %. Les trois premiers réseaux mondiaux, ABB, Siemens et Areva, sont européens. Il convient de renforcer ce positionnement, de rester l’un des acteurs les plus dynamiques et les plus rentables. Areva se positionne en particulier sur les secteurs les plus technologiques, les automatismes et les systèmes permettant d’économiser de l’énergie.

L’un des grands enjeux planétaires est de réduire les émissions de CO2. Areva vend du nucléaire et ne s’intéresse guère aux approches idéologiques, qui n’ont plus grand sens. Le vrai sujet est de trouver des mix énergétiques équilibrés et intelligents sur le long terme. Areva est donc soucieuse de proposer à ses clients toute une gamme d’offre énergétique sans CO2 : des éoliennes off-shore de 5 mégawatts ; la biomasse, avec des petites centrales assez rustiques de 6 à 15 mégawatts valorisant les débris végétaux en Inde, en Afrique du Sud, au Brésil et bientôt en Europe ; les piles à combustible ; l’énergie de la houle, qui en est au stade du projet.

La croissance extrêmement forte d’Areva la soumet à plusieurs défis.

Le premier est celui des ressources humaines. À périmètre inchangé, Areva devrait encore recruter 10 000 collaborateurs en 2008 et atteindre environ 100 000 salariés à l’horizon de 2010 ou 2011. En France, elle recrute de nombreux ingénieurs et techniciens : elle est au cinquième rang des embauches d’ingénieurs.

Le deuxième défi est celui des capacités industrielles. Areva a l’originalité d’investir massivement en France, à Chalon-sur-Saône, au Creusot, à Pierrelatte ou à Narbonne. L’usine d’enrichissement Georges-Besse II représente à elle seule un investissement de plus de 3 milliards d’euros.

Le troisième défi est celui du financement. Les besoins d’investissements très élevés ne peuvent pas être uniquement satisfaits par la dette. C’est pourquoi une ouverture et une augmentation du capital de l’entreprise sont nécessaires.

Areva a deux positions très stables dans les deux grands domaines d’investissements des électriciens : un pied dans la génération sans CO2, qui sera le driver principal du XXIe siècle, et un pied dans les réseaux électriques. Dans le nucléaire, Areva a cinq ans d’avance sur ses concurrents : c’est le seul groupe du monde à construire des réacteurs de troisième génération – le premier en Finlande, le deuxième à Flamanville, 2 autres en Chine. Pour poursuivre cette course en avant, il faut continuer d’investir fortement. Cela nécessite que le management d’Areva ne se trompe pas trop dans ses choix. En tout cas, il est clair qu’Areva a été bâtie au bon moment, lorsque le nucléaire était considéré sans avenir. Quant à l’actionnaire principal, il devra prendre des décisions judicieuses.

M. François Brottes comprend l’intérêt que Bouygues aurait à un rapprochement mais ne voit pas ce qu’y gagnerait Areva. Un tel partenariat fait-il partie des projets à l’étude ?

Siemens est un partenaire important d’Areva. Dans les projets d’Areva, ce partenariat sera-t-il ménagé ou au contraire mis en question ? La question de l’Europe et de l’énergie, à l’heure du troisième paquet « Énergie », est majeure, et la filière nucléaire a évidemment un rôle à jouer. Dans une phase de tractations ou de discussions, tout ne peut certes pas être dit, mais Mme Lauvergeon est connue pour parler clair.

Les ressources en uranium sont-elles pérennes ? Qu’en est-il des réacteurs de quatrième génération ?

Le bilan de l’énergie nucléaire au regard de l’effet de serre est positif mais ses détracteurs estiment que la filière, prise dans son ensemble, est plus polluante que les autres, dans la mesure où la fourniture est assurée en base mais pas en pointe, où les pertes en ligne sont importantes lorsque l’énergie électrique doit être transportée à l’autre bout du pays et où les centrales sont régulièrement arrêtées.

À propos des déchets, l’approche d’Areva sous l’angle de la non-prolifération est très intéressante.

Le volume des recrutements est rassurant car des craintes se faisaient jour quant à la capacité de la filière nucléaire à régénérer ses compétences en ingénierie.

M. Claude Gatignol rappelle que l’énergie nucléaire a longtemps été décriée alors qu’elle a été couronnée de succès. C’est le résultat de la politique du général de Gaulle puis des Présidents Pompidou et Giscard d’Estaing.

Areva exerce tous les métiers de la filière nucléaire, depuis l’extraction de l’uranium et la fabrication du combustible jusqu’à la chaudière nucléaire et, grande originalité française, au retraitement – tri, recyclage, séparation des déchets et stockage en containers stables. Les délégations étrangères sont toujours stupéfaites que la France ait été capable d’assurer cette maîtrise industrielle.

Le renouveau de l’énergie nucléaire conduit à des usages multiples : on imagine maintenant des réacteurs nucléaires pour la désalinisation de l’eau de mer. Selon certains experts, deux énergies seulement resteront disponibles au XXIIe siècle : le charbon et le nucléaire.

Des bilans environnementaux sont-ils dressés sur les différents sites d’Areva ?

La production des cuves gigantesques requiert des compétences en métallurgie mais aussi en chaudronnerie. La gestion des personnels passe par des volumes d’embauches considérables. Comment ces compétences sont-elles maintenues ? Dans les métiers de la métallurgie et de la chaudronnerie, les entreprises emploient beaucoup de femmes, dont la méticulosité fait des merveilles.

Où en sont les ressources en uranium ? Comment Areva parvient-elle à maîtriser les prix, qui ont énormément augmenté ces dernières années ?

Comment évolue la société Helion, pour laquelle la pile à hydrogène est devenue un enjeu majeur ? Où Areva en est-elle s’agissant de l’énergie marine ?

M. Daniel Paul constate qu’Areva se porte bien, si l’on en juge les résultats du premier semestre 2007 : le chiffre d’affaires progresse de 6,7 %, le résultat net de 20 % et le carnet de commandes de 31 %. La dette nette ressort à 1 565 millions d’euros au 30 juin 2007 contre 865 millions au 31 décembre 2006, mais ces montants sont à mettre en regard des capitaux propres, qui s’élevaient à 7 286 millions d’euros au 30 juin 2007. Dès lors, à quoi bon remettre en cause la structuration actuelle du capital, se précipiter dans les bras du « diable » ?

Un ministre des finances, il y a quelques années, s’était engagé à ce que jamais EDF et GDF ne soient privatisées, malgré l’ouverture de leur capital. La même logique ne risque-t-elle pas de s’imposer concernant Areva ? Le développement d’Areva a été construit sur des partenariats. Pourquoi ne pas poursuivre dans cette direction, au lieu de s’enfermer dans une relation capitalistique avec un ou plusieurs acteurs français ou européens qui pourraient s’avérer gênants ? Il ne faut pas laisser le « grand méchant loup » s’introduire dans le capital d’Areva, qui doit rester public.

Areva est un peu responsable de la perception du nucléaire par la population française. Même si la situation a évolué positivement, il n’est pas certain qu’un référendum ferait apparaître un soutien massif pour la poursuite du nucléaire. Or il convient de développer les moyens de production d’énergie, en particulier le nucléaire.

La disponibilité du parc nucléaire français est de 82 % ; en Belgique, elle atteint 90 %. La construction du deuxième réacteur EPR est-elle d’ores et déjà envisageable ?

Où en est l’EPR finlandais ? Le retard accumulé a beaucoup fait jaser. Les mêmes difficultés sont-elles à craindre pour le site de Flamanville ?

Pourquoi avoir fermé le site de Montrouge ?

Il semblerait que les déchets soient réimportés afin de maîtriser l’intégralité de la chaîne. Est-ce bien le cas ? Si oui, une fois récupérés, que deviennent-ils ?

Le président Patrick Ollier souligne que, en 2003, les parlementaires n’étaient pas si nombreux à défendre le choix de l’EPR. La mission parlementaire organisée en Finlande et les interventions politiques auprès du Premier ministre ont été déterminantes.

M. François Loos demande si la production d’énergie n’émettant pas de CO2 est suffisamment rapide. Que faut-il faire pour l’accélérer ?

Areva a-t-elle les moyens de payer le programme du réacteur de quatrième génération ?

Est-elle en mesure de conduire une politique plus agressive pour aller au-delà de ses 30 % de parts de marché dans le nucléaire ? Est-elle à la hauteur des ambitions pour lutter contre le réchauffement climatique ?

M. Jean-Paul Anciaux s’enquiert des besoins financiers d’Areva et du calendrier prévu pour l’ouverture de son capital. La France, grâce à Areva, est le leader mondial. Il importe par conséquent de se projeter dans le temps.

Quel pourcentage de la R&D est affecté au nucléaire et aux autres énergies ?

Quelle est la stratégie du groupe en matière de sous-traitance ?

Le Creusot est le berceau du nucléaire civil français. Areva trouvera sans aucun doute la solution économique la plus adaptée pour les salariés des deux unités industrielles localement concernées.

Mme Geneviève Fioraso s’interroge sur le redémarrage du nucléaire aux États-Unis et sur la stratégie commerciale dans les pays qui émettent le plus de gaz à effet de serre, notamment la Chine.

Quel rôle joue le groupe Areva dans le démantèlement des centrales nucléaires françaises ?

Comment le groupe s’engage-t-il dans les recherches sur la microélectronique et les nanotechnologies ?

Quelle est son action en matière de photovoltaïque et de biomasse ?

La dédiabolisation du nucléaire est d’autant plus justifiée que cette énergie est vertueuse du point de vue des émissions de gaz à effet de serre.

Il faut remercier le président de la commission qui propose des auditions d’une telle qualité, comme celle de Jacques Attali.

M. Jean-Paul Charié compare l’aménagement de petites centrales en Inde pour que les villages produisent leur propre électricité à la construction de petites usines de yaourts par Danone.

Dans le cas d’Areva, il semblerait que ce ne soit pas la concurrence mais, au contraire, la concentration qui améliore le service rendu aux consommateurs.

Comment être sûr que les technologies nucléaires civiles vendues à l’étranger ne sont pas exploitées à des fins militaires ?

Le chiffre d’affaires réalisé à l’étranger par les entreprises françaises n’est pas compris dans les chiffres des exportations françaises. Cela doit concerner également Areva.

M. Serge Poignant insiste sur l’enjeu pour le futur que recouvre le réacteur de quatrième génération.

M. Jean-Yves Le Déaut fait observer que la réussite du système nucléaire dépend de la qualité du dispositif de traitement des déchets. Or le seul laboratoire spécialisé est situé en Meuse et en Haute-Marne, à cheval sur deux départements et deux régions. Les élus de Lorraine et de Champagne-Ardenne ont fait preuve de beaucoup de responsabilité en acceptant de recevoir ce laboratoire ainsi qu’un éventuel centre de stockage. Or ni le CEA ni les grands organismes de recherche ne disposent de la moindre implantation dans l’est de la France. Ce désert est intolérable. Comment le groupe Areva entend-il traiter le problème ?

La même question sera posée au CEA.

Mme Anne Lauvergeon apporte les réponses suivantes :

– dès la création d’Areva, en 2001, il avait été prévu d’ouvrir son capital. La société n’est pas totalement publique : 4,2 % de ses actions sont sur le marché et il existe une structure historique d’actionnariat salarié. Son capital, sans être liquide, est donc ouvert. La décision d’ouverture du capital à 30 ou 40 % a effectivement été prise par Nicolas Sarkozy, ministre des finances, en octobre 2004. Les remaniements ministériels successifs ont amené à un report sine die de la mesure.

– l’évolution du capital est d’abord nécessaire pour préserver le modèle intégré, qui permet de faire des offres globales aux clients : 80 % d’entre eux achètent au moins trois produits ou services chez Areva. La répartition des marges sur les différents secteurs permet aussi d’être plus compétitif. Le deuxième impératif est la poursuite d’investissements massifs. Le plan d’action stratégique pour 2012 et 2020 prévoit plus de 10 milliards d’euros d’investissements d’ici à 2012, niveau qui ne pourra être atteint par le seul endettement. Le développement d’Areva sur ses ressources propres et le versement de dividendes élevés à l’État ne pourront pas être garantis durablement. À capital inchangé, Areva irait vers une lente attrition. Une troisième dimension est le rôle particulier de l’État, qui a défendu la politique nucléaire de manière presque ininterrompue pendant quarante ans. Le nucléaire pose des questions spécifiques liées à la souveraineté et un désengagement complet de l’État serait étonnant.

– l’EPR, réacteur de troisième génération, a été conçu, financé, développé et construit sur partenariat franco-allemand. En 2000, les activités nucléaires de Siemens ont été intégrées dans Areva NP, société détenue à 66 % par Areva et à 34 % par Siemens. Ce partenariat a permis à Areva de devenir numéro un en Allemagne. Même si l’activité nucléaire des électriciens en Allemagne est encadrée par une loi qui engage vers la sortie, E.ON et RWE ont des projets en dehors de l’Allemagne, en Grande-Bretagne et en Europe centrale. Rendre le marché allemand conflictuel aurait forcément des conséquences très lourdes aussi bien sur le chiffre d’affaires d’Areva en Allemagne que sur ses futurs chiffres d’affaires en Europe. Les clients allemands ont du reste annoncé une solidarité totale avec Siemens dans l’hypothèse où il serait décidé de faire sortir cette société. En tant que partenaire, Siemens s’est au demeurant toujours montré régulier.

– quels sont les scénarios envisageables ? La solution initiale de l’augmentation du capital en stand-alone, arrêtée en 2005, permettrait de lever les capitaux nécessaires tout en favorisant le développement de partenariats internationaux, en finançant le démantèlement du CEA, en maintenant le rôle de l’État et en préservant le partenariat franco-allemand.

– la deuxième proposition intéressante est la fusion avec Alstom, promue par les dirigeants d’Alstom et de Bouygues. Une fusion doit répondre à une vraie logique industrielle. Avec Alstom, la logique serait de prime abord conglomérale. Quelles seraient alors les synergies industrielles ?

– lorsque Areva vend un îlot nucléaire, l’électricien achète généralement la turbine séparément auprès d’Alstom ou de l’un de ses concurrents. Ainsi, aux États-Unis, Constellation Energy a fait le choix de la turbine un an et demi après avoir opté pour l’EPR. Se marier avec un seul constructeur de turbines pourrait signifier qu’Areva renoncerait à certaines ventes. Par ailleurs, Alstom réalise seulement 5 % de son chiffre d’affaires sur les turbines nucléaires ; les synergies industrielles seraient donc forcément limitées. En revanche, si cette fusion intervenait, Areva pourrait craindre que l’État ne désire conserver un contrôle sur certaines activités, ce qui conduirait au démantèlement du groupe, c’est-à-dire à la destruction du modèle intégré qui a fait son succès. De plus, les activités menées en partenariat avec les électriciens allemands, qui représentent 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel, seraient menacées. Enfin, une fusion Areva-Alstom devrait être soumise à la direction générale de la concurrence de Bruxelles.

La dernière expérience de ce type fut l’examen de la fusion des activités nucléaires de Framatome et de Siemens, en 2000. À l’époque, le niveau d’exigence de Bruxelles avait été limité, l’industrie nucléaire étant considérée en déclin. Aujourd’hui, il sera un peu difficile de plaider le déclin. Cependant, il avait été fait obligation à EDF d’ouvrir le marché du combustible. Il est à craindre que, devant ce mariage franco-français, EDF serait là encore contrainte à ouvrir le marché nucléaire ; le marché domestique français serait donc lui aussi en péril, ce qui serait contre-productif.

De toute façon la fusion avec Alstom apporterait-elle des financements supplémentaires à Areva pour son développement ? Globalement, cette proposition ne semble pas répondre à l’ensemble des enjeux. Quoi qu’il en soit, les modalités et le calendrier dépendent des décisions gouvernementales.

– les réserves d’uranium couvrent soixante-dix ans de consommation et l’énergie nucléaire est recyclable : en France, une lampe sur dix fonctionne grâce aux électrons produits par le recyclage nucléaire. L’uranium est donc en quantité suffisante, d’autant que la quatrième génération permettra de produire davantage de combustible.

– d’ici à 2030, ce seront essentiellement les émissions de CO2 des pays de l’OCDE et des big five qui poseront problème. La bonne solution est un mix énergétique, mais quatre centrales nucléaires EPR par pays de l’OCDE et des big five suffiraient pour parvenir à un niveau ambitieux de mise en œuvre du Protocole de Kyoto. Le nucléaire est donc un élément important de la réponse à apporter collectivement.

– toutes les productions d’énergie en pointe sont polluantes, que la base soit produite par le charbon, l’hydraulique, le gaz ou le nucléaire. Raison de plus pour que celle-ci ne soit pas polluante.

– les pertes en ligne sur les réseaux nécessitent d’accomplir des progrès supplémentaires.

– les centrales peuvent être utilisées à leur maximum. Aux États-Unis, dans les années quatre-vingt, les centrales fonctionnaient à 75 % de leur capacité ; le taux dépasse maintenant 90 %, grâce, en particulier, à la rapidité record des changements de combustibles.

– le traitement-recyclage est une solution à la non-prolifération des technologies et des matières. Un pays qui veut développer du nucléaire n’a pas besoin des technologies de l’enrichissement ou du traitement-recyclage, car Areva peut lui fournir tous ces services extrêmement coûteux. Quant à la prolifération des matières, elle peut intervenir tout au long du cycle ou bien à la fin du cycle, sur les combustibles usés. Or Areva recycle 96 % des matières et vitrifie les 4 % résiduels, qui deviennent absolument inertes et irrécupérables.

– des bilans environnementaux sont établis sur tous les sites d’Areva, qui est favorable à la transparence et au débat. Des commissions locales d’information communiquent systématiquement et Areva publie des rapports locaux environnementaux ainsi qu’un rapport développement durable, qui a reçu plusieurs prix. Areva devrait devenir dès cette année l’un des premiers groupes industriels mondiaux à ne pas produire de CO2.

– la maîtrise des aciers spéciaux est la spécialité d’Areva. Les pièces forgées et les tubulures sont de plus en plus complexes.

– Areva favorise la diversité sous toutes ses formes, ce qui l’aide à mieux comprendre ses clients : la diversité des âges, pour les plus jeunes comme pour les plus âgés, la diversité hommes-femmes et la diversité culturelle.

– le groupe investit sur les piles à combustible de taille significative en visant deux marchés : l’industrie et le transport en commun. Il a fondé l’une des deux start-up françaises spécialisées sur ce sujet.

– il ne s’agit pas de se précipiter dans les bras du diable, mais de choisir entre le développement et l’atrophie. Areva développe les partenariats, qui sont consubstantiels de l’activité nucléaire, mais aussi du secteur des réseaux électriques. L’achat d’un réacteur est un investissement considérable, et le pays en question attend des retombées pour les entreprises locales. Cependant cela ne signifie pas que les partenaires locaux vont financer Areva : quand un réacteur est lancé avec Mitsubishi, Areva doit payer ses 50 %.

– en Suisse, il y a un peu plus de trois ans, dans le cadre d’une votation, 70 % de la population s’est exprimée contre l’abandon du nucléaire.

– pour savoir si la construction d’un deuxième réacteur EPR est envisageable en France, il faut s’adresser aux présidents d’EDF et de Suez. Le lobby nucléaire n’existe pas ; Areva n’a pas à se substituer au client pour décider ce dont il a besoin. Il n’en demeure pas moins que M. Gérard Mestrallet a indiqué qu’il voulait investir dans des EPR.

– l’EPR finlandais est une tête de série : le premier réacteur de troisième génération au monde, le premier réacteur construit en Europe depuis plus de quinze ans et le premier réacteur construit en Finlande depuis plus de vingt-cinq ans. Areva a rencontré des difficultés, mais s’est montrée totalement transparente car cela fait partie de son éthique. Toutes les provisions financières correspondant aux problèmes rencontrés ont été prises. Les travaux auront duré six ans au lieu de quatre, mais cela ne nuit pas à l’emploi et les dirigeants n’y gagnent rien, bien au contraire. Simplement, Areva essuie les plâtres, et ses concurrents seront soumis aux mêmes problèmes lors de leur première construction.

– le petit site de Montrouge ne correspond plus du tout aux nécessités industrielles, mais Areva ne laisse jamais personne sur le bord du chemin et met tout en œuvre, formations comprises, pour que chaque salarié retrouve un travail. Un employé d’une entreprise en difficulté du groupe est prioritaire sur tous les emplois Areva.

– le développement du nucléaire en Europe est-il assez rapide ? Les capacités d’Areva et de ses concurrents risquent d’être mobilisées par les grands pays en développement, les États-Unis et de nouveaux États nucléaires, laissant l’Europe un peu à la traîne. L’Europe est en effet très morcelée : chacun des vingt-sept États membres de l’Union possède son organisme de sûreté nucléaire. La Grande-Bretagne ayant décidé de lancer un programme nucléaire important, Areva a dû reprendre à zéro le processus en vue d’obtenir sa licence, comme en France et en Finlande. Cela est très long, très coûteux et contraire à la standardisation. La politique du groupe est suffisamment agressive, mais son efficacité dépend aussi de ses capacités de financement.

– les besoins ont été chiffrés pour 2008-2012 et 2012-2020, en prenant comme hypothèse une ambition collective, avec des idées très précises sur le niveau d’investissement et les besoins.

– les dépenses de R&D sont très significatives dans les secteurs de la mine, des réacteurs, des réseaux électriques intelligents et des énergies renouvelables.

– la sous-traitance est un sujet fondamental. En Finlande, pour l’EPR, Areva emmène 250 PME françaises avec elle et, plus globalement, 3 000 entreprises participent au chantier. Areva cherche à fédérer et à organiser la sous-traitance pour avoir moins d’interlocuteurs directs.

– la solution la plus adaptée aux entités filiales du Creusot est effectivement la sous-traitance.

– le redémarrage du nucléaire aux États-Unis a une résonance forte. L’energy bill qui organise la subvention des six premiers réacteurs nucléaires de nouvelle génération a été signé par les démocrates et les républicains, les deux partis se retrouvant autour de l’enjeu de l’indépendance énergétique.

– la stratégie commerciale d’Areva en Chine est suffisamment agressive, mais l’entreprise n’a pas à se substituer aux États pour fixer leur mix énergétique et leur rythme d’investissement. Quand Areva vend un réacteur ou un cycle, elle ne transfère pas la technologie. Par contre, depuis le début de la coopération avec la Chine, à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingts, le transfert de technologie avait été accepté. À la suite de l’accord passé avec la CGNPC, un consortium commun a été installé afin de développer l’ingénierie en Chine et d’y rester durablement.

– Areva démantèle actuellement les usines militaires de Marcoule. Quant aux centrales, elles étaient trop bonnes : vendues pour trente ans, elles ont duré plus longtemps. En fonction des remarques des autorités de sûreté, qui demandent tel ou tel changement, l’électricien décide soit d’investir soit de construire un nouvel équipement. L’allongement de la durée de vie des centrales est un marché très lucratif pour Areva, car il entraîne des réparations.

– Areva détient 11 % de STMicroelectronics, avec le souci de maintenir un haut niveau de recherche.

– le groupe ne fait pas de photovoltaïque.

– il entretient des liens étroits avec le CEA, qui est son principal actionnaire, et la direction de l’énergie nucléaire (DEN).

– les petites centrales produisent de l’électricité à très bon marché, au profit de gens qui, sans elles, n’auraient pas accès à cette énergie.

– Areva n’a pas réduit la concurrence, mais cela n’a pas nui aux consommateurs. Au contraire, plus les économies d’échelle sont importantes, plus le consommateur s’y retrouve. L’EPR, avec 1 600 mégawatts, utilise moins d’uranium et dure plus longtemps. En outre, l’énergie nucléaire permet de produire de l’énergie bon marché et durable.

– les États très proliférants, en général, ne produisent pas un kilowattheure d’énergie nucléaire civile, même s’ils sont en train de construire un réacteur. Celui qui veut acquérir du nucléaire militaire n’a pas besoin de développer du nucléaire civil.

– le nucléaire en est aux prémices de la troisième génération, qui permettra de produire de grandes quantités d’électricité à bon marché pendant très longtemps, avec l’EPR comme modèle de référence. Les réacteurs de quatrième génération, qui devraient arriver vers 2025, 2030 ou 2035, seront plus petits, focalisés sur des besoins spécifiques – hydrogène, chaleur, éventuellement production pétrolière – mais pas forcément compétitifs pour produire de grandes quantités d’électricité. La cinquième génération potentielle reposera sur la fusion, qui n’a guère fait de progrès depuis les années soixante ; ITER permettra d’y voir plus clair, mais le passage de la recherche aux applications industrielles interviendra plutôt dans la deuxième moitié du siècle.

– Areva est très mobilisée en Haute-Marne et dans la Meuse. Le groupe a fait en sorte de fédérer une offre commune entre le CEA, EDF et Areva, sous l’égide de François Loos. Des décisions pratiques ont été prises, concernant l’installation des archives du groupe à Haudelaincourt ou la sélection systématique d’entreprises comme sous-traitants, notamment à Saint-Dizier. Areva travaille aussi à des projets structurants émanant de ces deux départements afin de satisfaire les populations.

Le président Patrick Ollier remercie Mme Lauvergeon de ne pas avoir utilisé la langue de bois et d’avoir apporté des réponses très instructives pour la commission.

Il retient que 6 000 milliards d’euros seront investis dans la génération d’électricité d’ici à 2030, que cent à trois cents réacteurs nouveaux seront construits et que les réserves d’uranium atteignent soixante-dix ans. Par conséquent, tout va bien. Areva est une entreprise florissante et des perspectives extraordinaires s’ouvrent à elle. Les Français ont changé d’avis sur le nucléaire, seule énergie qui ne produit pas de gaz à effet de serre, mais pourquoi se lancer dans l’aventure d’éoliennes de 5 mégawatts ?

Mme Anne Lauvergeon estime que les éoliennes off-shore sont appelées à un développement très important, aussi bien dans les grands pays en développement que dans les pays développés.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné MM. Dino Cinieri, Michel Lejeune, Mmes Catherine Vautrin, Corinne Erhel, Geneviève Gaillard, MM. Pierre Lang et Daniel Paul comme membres de la mission d’information sur la filière canine.

Elle a ensuite désigné M. Antoine Herth rapporteur sur le projet de loi sur les organismes génétiquement modifiés (sous réserve de son dépôt).

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