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Mercredi 23 janvier 2008

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 32

Présidence de M. Patrick Ollier Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Attali, président de la commission pour la libération de la croissance française

Commission
des affaires économiques, de
l’environnement et du territoire

La commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire a entendu M. Jacques Attali, président de la commission pour la libération de la croissance française.

M. le président Patrick Ollier s’est déclaré heureux d’accueillir M. Jacques Attali et les membres de la commission qu’il préside. Il s’est félicite de la qualité et du sérieux des travaux accomplis par chacun d’entre eux, auxquels il a rendu hommage.

Le rapport a été présenté le matin même au Président de la République. Il contient des préconisations qui, selon la commission des affaires économiques, vont globalement dans le bon sens, ce qui n’implique évidemment pas un accord absolu sur les 316 propositions formulées. Ce travail est particulièrement important pour le Parlement qui doit être au cœur de l’exigence de réforme tout en prenant connaissance attentivement des avis des experts.

Afin de mieux cerner l’ensemble de ces propositions, un séminaire gouvernemental est prévu dans quinze jours ; la commission créera quant à elle un comité de suivi et elle sera heureuse d’entendre à nouveau M. Jacques Attali s’il le veut bien.

M. Jacques Attali s’est également déclaré ravi de poursuivre le dialogue avec la commission des affaires économiques.

La commission pour la libération de la croissance a voulu avant tout formuler des préconisations qui « marchent » car c’est cela qu’attendent les citoyens, indépendamment de toute considération idéologique ou politique. Elle a travaillé librement, sans aucun parti pris, et a reçu nombre d’approbations, certaines personnes regrettant par avance de ne pas pouvoir la soutenir publiquement, voire, de devoir la contredire à leur corps défendant, y compris sur la question des départements.

La commission a également essayé d’œuvrer dans le sens de la justice - des propositions ont été formulées concernant les taxis ou les coiffeurs, mais aussi s’agissant du recrutement des grands corps de l’État - notamment en faveur des personnes les plus fragiles et des jeunes, afin que ces derniers ne supportent plus le poids de la dette ou des déséquilibres écologiques qui leur sont légués. Enfin, elle a travaillé de façon pragmatique avec les administrations, les associations, les syndicats.

Toutes ses propositions sont réalisables et finançables sans augmentation des prélèvements obligatoires et dans le cadre de la poursuite de la baisse des dépenses publiques. Il n’est certes pas question de les accepter ou de les rejeter en bloc puisque ce sera au Gouvernement et au Parlement de prendre leurs responsabilités, néanmoins la commission préfèrerait qu’elles soient toutes retenues car lever les freins à la croissance suppose d’agir sur tous les fronts, dans le sens d’une plus grande liberté et d’une plus grande justice. L’efficacité des mesures préconisées repose en effet sur un équilibre d’ensemble : des taxis aux départements, tout est lié.

La France est un îlot de relatif déclin dans un monde en pleine croissance. Les perspectives de la croissance se situent en l’occurrence dans l’économie de la connaissance, la formation, la recherche fondamentale et appliquée ainsi que dans un nouveau positionnement sur des secteurs majeurs : le numérique, la santé, les ports et les aéroports, les industries de l’environnement, du tourisme, de la finance, des services à la personne, de l’énergie. Les différents acteurs doivent être mobiles géographiquement, socialement - renouvellement des élites -, économiquement, internationalement, c’est-à-dire avec l’accueil des étrangers pour gagner la « guerre des cerveaux ». La sécurisation des emplois est également fondamentale, la commission étant par exemple opposée à la rupture du contrat de travail à l’amiable si elle ne s’accompagne pas de mesures de stabilisation des conditions de rémunération de ceux qui sont à la recherche d’un accompagnement pour trouver un nouvel emploi. De même, il est absurde de renforcer la liberté de la concurrence dans la grande distribution sans conforter la situation du petit commerce et des fournisseurs indépendants.

L’État et les collectivités territoriales doivent participer à ce mouvement en se modernisant. La réduction du nombre de niveaux de collectivités territoriales, pour se rapprocher de la situation de la plupart des autres pays, accélèrerait les prises de décision et permettrait de réduire les dépenses. Comment, par ailleurs, des élus du peuple pourraient-ils demander aux Français d’accepter des réformes si eux-mêmes ne se remettent pas en question ?

Il est également possible de réaliser de formidables économies : chambres de commerce et de métiers, organisations de formation professionnelle ou d’assistance technique, offices d’HLM, tribunaux de commerce sont autant de sources de gaspillages qui favorisent de surcroît le développement d’une société de connivence et de privilèges.

Il faut agir vite, après les élections municipales et avant les élections régionales et européennes, soit entre avril 2008 et juin 2009. Ce qui ne sera pas lancé à ce moment-là ne le sera plus et le retard de la France se sera encore accru. En outre, il n’est pas une mesure proposée qui ne soit déjà appliquée dans l’un ou l’autre des pays concurrents.

Ce rapport, enfin, est politique, au sens noble du terme, car il doit permettre de décider de ce qui est bon pour la France indépendamment de toute considération partisane : si, par exemple, la France peut faire aujourd’hui de Roissy le premier aéroport d’Europe, c’est grâce à l’action successive et déterminée de MM. Pons, Gayssot et de Robien.

Ce rapport a été adopté à l’unanimité ; il y a urgence.

M. Attali a ensuite présenté plusieurs membres de la commission : M. Mario Monti, M. Théodore Zeldin, M. Jean Kaspar, M. Jacques Delpla, M. Pierre Ferracci, M. Hervé Le Bras, M. Éric Labaye, M. Jihade Belamri, Mme Dinah Weissmann, M. Luc-François Salvador, M. Arnaud de Belloy, M. Stéphane Boujnah, M. Bruno Lasserre. Il a également salué le travail de Mme Josseline de Claussade et de M. Emmanuel Macron, respectivement rapporteur général et rapport général adjoint de la commission.

M. le président Patrick Ollier a remercié M. Attali pour ses propos fort convaincants même si, bien entendu, cela n’implique pas une adhésion systématique. La cohérence du système est globale, certes, mais dans chacun des ordres envisagés, par exemple s’agissant de la mise en place d’une nouvelle organisation de la concurrence. Il n’est pas néanmoins certain que cette « totalité » soit substituable en quelques mois à ce qui existe aujourd’hui. L’essentiel est de faire avancer les idées.

M. Jean-Paul Charié, au nom du groupe UMP, a indiqué que ce n’est pas par hasard si le Président de la République a demandé à M. Attali de s’entourer d’un certain nombre d’experts afin d’amener les parlementaires à sortir du cadre dans lequel ils sont trop souvent enfermés malgré un contexte en évolution considérable. La commission des affaires économiques, de ce point de vue-là, est également pionnière puisqu’elle travaille neuf fois sur dix en dehors de toute considération politicienne. Le seul problème, c’est que ses rapports sont beaucoup moins médiatisés que celui de M. Attali.

En outre, ce n’est pas parce que l’UMP est d’accord avec l’essentiel des préconisations qu’elle en a accepté l’intégralité ni même que, dans cette perspective, tout serait possible.

Enfin, c’est au Parlement qu’il appartient en dernière analyse de trancher, quelle que soit la valeur des expertises.

Affirmer n’est pas prouver : les parlementaires ont besoin d’informations supplémentaires quand il est par exemple question des « modèles » étrangers. Au-delà, et même s’il faut bannir un certain nombre de rigidités, un minimum de règles s’impose : le « tout libéral » serait contreproductif.

M. François Brottes, au nom du groupe socialiste, a remercié M. Attali de sa présence, même s’il aurait été appréciable de pouvoir bénéficier d’un peu de temps afin de pouvoir prendre connaissance du rapport plus complètement. Il a salué le travail accompli sur les plans économique, social ou environnemental et a noté qu’il se fonde sur une double cohérence : la cohérence d’ensemble et la cohérence intrinsèque de chaque domaine. Néanmoins, M. Sarkozy ayant affirmé qu’il était d’accord sur l’essentiel et M. Fillon ayant considéré ce rapport comme une base de travail, que faut-il exactement privilégier entre « cohérence d’ensemble », « essentiel » et « base de travail » ?

Si le diagnostic porté peut être largement partagé, il est également heureux que M. Attali considère que l’éducation ne doit plus être uniquement ciblée sur l’apprentissage des fondamentaux, mais qu’elle doit également favoriser la créativité et promouvoir l’apprentissage des langues ainsi que des disciplines artistiques. Il est par ailleurs notable que la grande réforme de l’université, selon lui, reste à venir, mais également que l’implication de l’État dans les infrastructures, les nouvelles techniques de communication ou l’énergie est importante et, enfin, que les cadeaux fiscaux ne s’imposent pas.

Néanmoins, la dimension macro-économique de certaines analyses pèche par un défaut de proximité : quid de l’aménagement du territoire compte tenu des spécificités géographiques de la France ?

Les réserves sont également importantes s’agissant de la TVA sociale, de la suppression des départements, de la déréglementation complète dans le secteur de la grande distribution, de la vente à perte ainsi que de l’abandon du principe de précaution.

M. André Chassaigne a remercié M. Charié pour avoir relevé le caractère très libéral de ce rapport. En ce qui le concerne, il le considère comme étant « sur le fil du rasoir » : d’une part il s’agit d’apporter des solutions libérales aux problèmes qui se posent et, d’autre part, de les contrebalancer par des interventions étatiques.

Le rapport préconise ainsi d’accroître la concurrence dans le secteur de la distribution tout en protégeant les petits commerçants. Quid, dans ce contexte, des producteurs, PME, PMI ou paysans ? Par ailleurs, le rapport ne remet pas en cause les collectivités qui ne respectent pas la loi SRU s’agissant des logements sociaux, mais indique que ce serait à l’État de se réapproprier le foncier disponible. Le pouvoir d’achat, en outre, ne résulte pas selon la commission présidée par M. Attali de l’augmentation des salaires, mais de la baisse des prix. Or cela ne permettra pas à terme de surmonter les difficultés des plus modestes. Quid, enfin, du monde rural alors que le rapport préconise la densification de l’espace urbain ?

La cohérence de ce rapport, au final, est sujette à caution. Le libéralisme ne peut apporter les solutions qui conviennent à long terme.

M. Michel Piron s’est demandé si la formulation de 316 propositions n’entraîne pas un fort risque d’éclectisme. Quelles sont donc les priorités ?

Par ailleurs, quelle perspective sociétale dans le départ entre responsabilité et solidarité ? Un rééquilibrage en faveur de la solidarité n’est-il pas nécessaire ? Quid de la gouvernance, entre centralisation et décentralisation ? Le rapport souhaite la réalisation de dix pôles universitaires d’excellence, mais celle-ci sera portée par combien de régions, vingt ou dix ?

Le domaine réglementaire, enfin, ne pourrait-il pas permettre de diversifier les réponses apportées en fonction des différentes situations ?

M. Daniel Fasquelle a félicité M. Attali pour cet excellent travail, qui contribue à remettre la France en mouvement. La mise en avant de la formation et de la recherche, mais également le souci d’équité et d’équilibre du rapport sont de bonne politique.

Ce rapport s’inscrit dans une perspective européenne et mondiale bien que son introduction ne fasse pourtant que peu de cas de celle-ci. Est-il possible toutefois de réformer de la même manière dans tous les pays ? Comment peut-on par exemple organiser uniformément l’ensemble des professions juridiques alors que les droits nationaux diffèrent ? Dans quelle mesure est-il possible de tenir compte des spécificités nationales ? La France, enfin, est la première destination touristique au monde, mais la troisième en valeur : comment libérer la croissance dans ce secteur ?

M. Philippe Plisson a considéré que la relance de la croissance sera non seulement sans effet, mais qu’elle entre en contradiction avec le Grenelle de l’environnement et les besoins de la planète. Libérer les fauves de la distribution et du commerce en supprimant les lois Galland, prôner le développement des aéroports, supprimer le principe de précaution contredit par ailleurs la logique des propositions Borloo et Bussereau.

La critique de l’école publique est quant à elle contradictoire avec les préconisations de diminution des effectifs de la fonction publique, le seul moyen de faire réussir les enfants étant de diminuer les effectifs dans les classes et non parmi les enseignants.

Supprimer la limite d’âge pour le départ à la retraite est non seulement illogique quand tant de Français recherchent un emploi, mais également dangereux car cela sous-tend la suppression des retraites par répartition. L’augmentation préconisée de la CSG et de la TVA pour diminuer les charges des entreprises ne va pas dans le sens de l’équité sociale car seul l’impôt direct payé proportionnellement au revenu est juste : c’est lui qu’il conviendrait d’augmenter quand le Gouvernement préfère accorder 15 milliards de cadeaux fiscaux aux plus favorisés.

Enfin, qu’est-ce qui peut justifier la suppression des départements ?

(M. Philippe Plisson remet à M. Attali un bilan de quatre pages concernant 314 dossiers mis en œuvre en 2007 par le département de la Gironde - indépendamment de l’action sociale, première compétence qui engage 60 % du budget.)

M. Alain Gest a noté que le diagnostic du rapport et sa philosophie sont partagés par un grand nombre de personnes, celui-ci ayant le mérite de lancer le débat.

Quel lien, par ailleurs, entre la suppression des départements et la croissance ? Cette proposition, loin d’être « phare » est « ben ordinaire », comme dirait un chanteur canadien : voilà certes des années qu’il en est question, mais il faut tenir toujours compte des spécificités françaises, la France n’ayant pas, à la différence d’États voisins, une structure fédérale. Le problème essentiel est que les collectivités territoriales limitent leurs dépenses aux seuls domaines qui relèvent de leur compétence.

Dans le secteur de l’éducation, un effort supplémentaire doit être en effet accompli en faveur de l’enseignement primaire, mais comment procéder précisément une fois que la nécessité de maîtriser le français et les mathématiques a été affirmée ? Enfin, il est important d’initier rapidement les plus jeunes à l’économie.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, a remercié les membres de la commission pour la libération de la croissance et a salué la qualité de leur travail. La justice sociale et le financement des dépenses de santé ont besoin de compétitivité et de croissance. Il faut en effet mettre un terme définitif à cette société de connivences, de privilèges et de rentes.

Il est également nécessaire d’évoluer progressivement sur la question des départements, tant le système est devenu aujourd’hui illisible. Pourquoi ne pas tenter dès à présent une première expérimentation sur les départements les plus importants ? A tout le moins, il convient de délimiter les compétences.

S’agissant de la TVA sociale, il faut prendre garde à ne pas dépasser un taux de 20 % du fait des risques de contournement de la TVA dans beaucoup de régions.

Quant à faciliter l’immigration, pourquoi ne pas déjà régulariser les immigrés qui travaillent depuis longtemps en France ?

M. Pierre Méhaignerie a enfin déclaré qu’il soutiendrait l’essentiel de ces propositions qui tendent à restaurer la confiance dans l’avenir de la France.

M. Jean-Yves Besselat a salué à son tour M. Jacques Attali et les imminentes personnalités qui composent la commission pour la libération de la croissance, se félicitant de la place importante des sujets maritimes dans le texte du rapport, avant de souligner la nécessité de faire gagner des parts de marché aux ports français. Après avoir longtemps investi sur la terre, la France doit investir sur la mer, moteur de croissance exceptionnel : 10 % par an depuis dix ans. La France a le deuxième domaine maritime mondial ; elle est présente sur tous les océans du monde.

Comment rétablir par ailleurs la confiance des Français dans l’avenir. La France a de précieux atouts mais, disait M. José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, elle est un malade imaginaire.

M. Jean-Marie Morisset, revenant sur la question des départements, s’est interrogé sur les motivations de M. Jacques Attali, qui fut pourtant à l’origine de la décentralisation dans les années 1980-1982. Que deviendraient les services de l’État, les préfectures ? Le calendrier prévu n’est-il pas trop serré ? Comment le très haut débit pourrait-il voir le jour, puisque ce sont les départements qui en ont la charge ?

M. Benoist Apparu s’est déclaré favorable à la plupart des propositions, et à la nécessité d’agir vite, avant les prochaines présidentielles. Il faudra cependant aller plus loin s’agissant des collectivités territoriales et, à terme, choisir entre la ville et les intercommunalités.

Pour ce qui est des dix pôles d’enseignement supérieur de taille mondiale, s’agit-il bien de fusionner, de regrouper les universités, les grandes écoles et les centres de recherche ?

M. Serge Poignant a demandé à M. Jacques Attali s’il considérait toujours l’ensemble de ses propositions comme un bloc à prendre en intégralité ou à laisser, ou s’il serait possible au Gouvernement ou au Parlement de faire des choix ?

Concernant l’aménagement du territoire, le transfert des crédits de la TACA sur le FISAC, l’intégration dans les PLU de la protection du petit commerce, suffiront-ils à protéger le petit commerce face à la libération du commerce de grande distribution ?

M. Jean-Marie Sermier a regretté que la commission, à l’aube de la révision de la politique agricole commune, n’ait pas engagé une réflexion de fond sur l’avenir de l’agriculture, son rôle dans l’alimentation, l’environnement, l’énergie. L’agro-alimentaire est un élément essentiel de l’aménagement du territoire.

Enfin, il faudra en effet revoir la taille des régions, plus faibles que dans les autres pays européens, et, sans doute, se poser la question du devenir des pays.

Mme Laure de La Raudière a salué le travail en profondeur réalisé par les membres de la commission, et les propositions concrètes qui en sont ressorties. Le calendrier est certes ambitieux, mais la France a besoin de se réformer rapidement.

S’il est vrai que la concurrence peut favoriser le retour de la croissance, comment concilier concurrence et aménagement du territoire ? Ainsi, si la puissance publique n’intervient pas dans la mise en place du très haut débit, et laisse pleinement jouer la concurrence, il est fort probable que le territoire ne sera pas intégralement couvert, comme c’est le cas pour l’internet moyen et haut débit. Dans quelle mesure la puissance publique doit-elle intervenir ?

Mme Annick Le Loch a souligné qu’il était en effet essentiel de préparer la jeunesse à l’économie du savoir et de la prise de risque, d’où l’importance de l’école primaire. Cependant, malgré les multiples rapports et réformes, les résultats n’ont pas progressé : 10 % des enfants ne savent toujours pas lire à leur entrée en sixième. Dans ce cadre, l’école maternelle joue un rôle fondamental. Or elle n’a pas été abordée par la commission, qui a proposé en revanche de doubler la formation des assistantes maternelles, aujourd’hui prise en charge par les conseils généraux. Qui s’en occupera, une fois les départements supprimés ?

Par ailleurs, quid de la prise en charge des enfants gardés à domicile dans des familles, souvent défavorisées, qui ne maîtrisent pas la langue française ?

M. Louis-Joseph Manscour a rappelé que l’Outre-mer représentait 125 000 km2 – un quart de la France –, 2 500 000 habitants, un taux de chômage et de personnes au RMI trois fois supérieur à la moyenne nationale. Faut-il, dans ce contexte, adapter les propositions de la commission au particularisme de l’Outre mer ?

M. Christian Jacob s’est inquiété de la mise en pratique des propositions et de leurs conséquences. Ainsi, toute l’argumentation en faveur de la libéralisation du commerce de grande distribution et de la suppression des lois Royer, Raffarin et Galland repose sur un postulat de baisse des prix et de création d’emplois. Or ce n’est pas la grande distribution qui créé des emplois, mais les enseignes de centre-ville. Une telle libéralisation risque de déboucher sur des monopoles, contre lesquels les commerces de centre-ville ne pourront pas lutter, malgré les subventions issues du transfert des fonds de la TACA, normalement affectés, du reste, au traitement des déchets animaux dans les abattoirs.

M. le président Patrick Ollier a remercié l’ensemble des parlementaires pour leur contribution au débat. La commission des affaires économiques souscrit à l’élan général de ce rapport, même si elle peut émettre certaines réserves. Dans un système libéral, quel rôle doit jouer l’État pour préserver les équilibres, et continuer à défendre les faibles contre les forts ?

M. Jacques Attali, en réponse aux intervenants, a tout d’abord souligné qu’il avait symboliquement souhaité intervenir devant les députés le jour même où il rendait son rapport au Président de la République.

Il a par ailleurs déclaré qu’il préférait que l’on ne parle pas de commission d’ « experts », car les experts sont des gens qui « savent », mais pas forcément des gens qui « font ». Aucun des membres de cette commission, n’est, en ce sens, un « expert ». M. Franco Bassanini est non seulement un grand universitaire, mais aussi le ministre qui a mené la réforme de la fonction publique italienne. M. François Salvador est arrivé sans diplôme dans une société d’informatique dont il est aujourd’hui le Président directeur général. Et il en va de même de tous les autres membres de la commission, qui ont à cœur de mettre leur expertise d’action au service d’une action.

La commission s’est attachée en permanence à proposer des mesures faisables, équilibrées, politiquement vendables, acceptables par la société française, justes, et susceptibles d’être mises en œuvre rapidement.

Ce rapport met l’accent sur la nécessaire intervention de l’État, dont le rôle est essentiel pour l’avenir, rôle qui ne se mesure pas seulement en termes de curseur.

Répondant au président Patrick Ollier, M. Attali a rappelé que la part des dépenses publiques devait descendre à 49 %, ce qui correspond à la moyenne européenne. L’État doit être beaucoup plus efficace, avec moins de compétences partagées, moins de doubles emplois, plus d’administrations qui servent, et moins qui contrôlent d’où l’Agence pour les petites entreprises des rémunérations au service rendu plutôt qu’à l’ancienneté, plus d’agences et moins d’organes pyramidaux etc. Dans le cadre de cet État plus puissant et efficace, l’on pourra réhabiliter la politique d’aménagement du territoire, la politique industrielle et le rôle central de l’État, en particulier en matière de politique sociale.

Si le rapport ne préconise pas d’augmenter la charge fiscale, il propose de réduire de trois points les charges pesant sur les entreprises, et de relever la TVA et la CSG, ce qui permettrait d’augmenter le pouvoir d’achat et de favoriser l’emploi.

Concernant les départements, M. Attali s’est demandé si les députés étaient bien objectifs sur cette question. Réagissent-ils du fait qu’ils sont directement concernés ou d’un point de vue général ? Considèrent-ils réellement le département comme une structure essentielle à la République ? L’État doit se réformer ; il y a trop d’élus. De nombreux membres de la commission souhaitaient d’ailleurs aller beaucoup plus loin, jusqu’à interdire le cumul des mandats, et accélérer les rotations pour faire surgir de nouvelles élites. A terme, il conviendra sans doute de revenir sur les pays, pour ne conserver que les agglomérations et les régions. Il faudra rassembler les communes dans des agglomérations, et transférer les responsabilités. Si tout le département est couvert par une succession d’agglomérations, les services de proximité seront préservés. Il ne s’agit pas de faire disparaître les départements du jour au lendemain, mais d’étaler cette « évaporation », pour reprendre le terme de M. Edouard Balladur, sur dix ans, en conférant progressivement une partie des compétences à la région, une autre aux agglomérations. Ce n’est qu’alors que seront réduits les niveaux qui paralysent la croissance, en ralentissant les processus de décision et en alourdissant les coûts.

S’adressant à M. Chassaigne, il a précisé que la commission avait, en permanence, recherché l’équilibre, car la vie est un compromis entre deux formes de mort, la mort par excès de désordre ou la mort par excès d’ordre.

S’agissant des salaires, si le rapport propose plusieurs mécanismes susceptibles de conduire à leur augmentation, celle-ci ne saurait se décréter. Le Gouvernement a commis une grave erreur tactique, théorique et pratique en choisissant le thème du pouvoir d’achat, lequel est une conséquence de la croissance, mais ne se décrète pas.

Concernant les priorités, M. Jacques Attali a répondu à M. Piron que si le rapport présentait 316 mesures, il avait dégagé 20 priorités, depuis l’école maternelle jusqu’à la réduction de la dette publique. Ce matin a d’ailleurs été remis au Président de la République, au Premier ministre et aux ministres un document annexe, sorte de mode d’emploi très détaillé pour la mise en œuvre de ces vingt mesures fondamentales.

Quelle perspective sociétale entre responsabilité et liberté ? Il s’agit là d’un choix politique. Le partage entre le public et le privé se mesure par la part des dépenses publiques. La société française fait partie de celles où la part des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques est la plus élevée au monde. Sans doute devra-t-elle les réduire, en sachant que les dépenses de santé vont augmenter la part de ce qui doit être financé, soit par les dépenses obligatoires soit par l’assurance. La frontière ne sera plus entre public et privé, mais entre contribution obligatoire et assurance, ce qui est représentera une barrière beaucoup plus fine entre les différents systèmes, car, pour beaucoup, l’assurance est tout aussi obligatoire que l’impôt.

M Fasquelle ayant regretté que la question de l’Europe n’ait pas été davantage abordée, M. Attali a rappelé que, si elle n’avait pas fait l’objet d’un chapitre, elle avait été abordée tout au long du rapport, au travers de l’école, de l’université, de la recherche, de la réforme de l’État etc.

Concernant la réforme en profondeur des professions juridiques, il a reconnu que la proposition de supprimer les avocats au Conseil d’État risquait d’être mal perçue, mais qu’il lui semblait nécessaire de supprimer aujourd’hui ce qui est devenu, au bout de quelques siècles, une « rente de situation ».

Le droit français peut devenir un grand droit, à condition de moderniser les professions juridiques, de leur permettre de s’ouvrir davantage, en particulier en termes de sociétés de capitaux, de mieux faire valoir leurs compétences. Il faut faire de la France un espace juridique aux compétences modernes, internationales, exportables.

Pour ce qui est du Grenelle, le principe de précaution est très mal rédigé et, par conséquent inapplicable. M. Attali a affirmé ne pas avoir rencontré un seul parlementaire capable de lui expliquer l’article 5 de la Charte, tant il est incompréhensible. Beaucoup a été dit à Grenelle, mais il faut prendre garde qu’il ne s’agisse pas là de fausses promesses qui ne pourront être tenues, faute de financement. Au contraire, la commission sur la libération de la croissance a pris soin de réfléchir à la faisabilité, au financement des propositions fortes et précises qu’elle a formulées en matière d’environnement : énergies renouvelables, développement des voitures électriques, des villes écologiques etc. Grenelle fut une sorte de « happening écologique ».

A M. Besselat qui s’interrogeait sur la restauration de la confiance, M. Attali a expliqué qu’elle était conditionnée par la prise de conscience de la menace, et la confiance en la capacité de l’affronter. Or la France n’a pas conscience de la menace, alors que la crise financière est grave.

Qu’il s’agisse de l’emploi, des brevets, du classement des universités, du départ des élites – la France perd chaque année 50 000 diplômés -, tout témoigne du déclin. Il faut réagir, et tout mettre en œuvre pour conserver les élites, mais aussi pour en attirer d’autres, ce qui ne serait pas contraire à l’intérêt des pays du Sud, comme certains ont pu le prétendre.

L’aide française au développement s’élève officiellement à 8 milliards d’euros, mais, si l’on ne tient plus compte dans ce calcul de la réduction de la dette publique, du financement des bourses aux étudiants étrangers ou de l’asile des réfugiés politiques, l’aide au développement réelle est de 500 millions. En revanche, les migrants renvoient chaque année 9 milliards chez eux : là est la véritable aide au développement. Nous seulement les pays développés doivent accueillir les étrangers, mais il doivent les inciter à venir, car ils ont besoin de leurs compétences. Ce renversement radical de perspective suppose de mettre fin aux procédures particulières aujourd’hui mises en œuvre.

Pour ce qui est des universités et des régions, la France compte vingt-trois régions et dix pôles universitaires. L’Allemagne compte neuf pôles universitaires et l’Angleterre dix. Si la France a beaucoup d’universités, elle n’a pas les moyens d’avoir plus de dix universités de taille mondiale, et dix est peut-être un chiffre encore trop élevé. Cela ne signifie pas que les autres universités doivent décliner. Aux États-Unis, les universités qui ne figurent pas parmi les dix plus grandes sont parfois au premier rang mondial sur une spécialité. Les grandes universités qui fusionnent avec les laboratoires, les centres de recherche, les grandes écoles, n’ont pas besoin de grandir. Les très grandes universités américaines comptent dix ou quinze mille étudiants. Ce n’est pas une question de taille. En revanche, il faut payer correctement les chercheurs, les professeurs, et donner les moyens d’entretenir dignement les campus.

M. Attali a précisé à M. Poignant que ces propositions formaient un ensemble cohérent, qui se révèlerait inefficace si n’étaient retenues que les propositions « de gauche », ou les propositions « de droite ».

Concernant l’équilibre entre petit commerce et grandes surfaces, M. Attali a souligné qu’il avait été tenu compte des échanges qu’il avait eus avec les parlementaires, tout d’abord dans la présentation, en commençant par le renforcement de l’aide au petit commerce et aux fournisseurs indépendants, avant la libéralisation des grandes surfaces, mais également dans les mécanismes proposés pour aider les petits commerces.

La question de l’agriculture est également abordée, au travers de son rôle dans l’énergie renouvelable, les OGM.

Selon M. Attali, les « pays » seraient une sorte de leurre, inventé pour protéger le département : s’il faut supprimer une structure, ce sera le « pays », et non le département ! « Bien joué » s’est exclamé M. Attali.

M. le président Patrick Ollier, a précisé qu’il avait été à l’origine de la création des « pays », et a répondu que le calcul évoqué par M. Attali n’avait jamais été envisagé. Il s’agissait simplement de créer des périmètres pertinents de développement. Le « pays » n’a jamais été un enjeu de pouvoir, ni un nouveau niveau de collectivité territoriale. Il n’a jamais été question de le doter d’un président, encore moins de lui conférer des pouvoirs. Les pays qui ne respecteraient pas ce schéma seraient contraires à la loi.

M. Jacques Attali, pour ce qui est de la concurrence et de l’aménagement du territoire, a renvoyé les parlementaires à la proposition 51 de la commission, qui expose les moyens de lutter contre la désertification numérique, notamment grâce au Wimax lequel, en effet, ne peut être laissé entre les seules mains de la concurrence.

Il a confirmé le rôle essentiel de l’école primaire et de l’école maternelle. La commission a insisté sur la question des assistantes maternelles pour montrer qu’elle s’attaquait au problème en amont. Les assistantes maternelles forment en effet des enfants, dont certains deviendront des professeurs, et dont les élèves entreront sur le marché du travail dans plus d’un siècle.

Concernant les collectivités d’Outre-mer, plutôt que de leur consacrer un chapitre particulier, la commission a préféré les considérer comme partie intégrante de la République et donc les intégrer à chaque chapitre, tout en tenant compte du rôle essentiel qu’ils peuvent jouer en matière maritime, dans le tourisme, l’agriculture, etc.

M. Attali a confirmé à M. Jacob que le risque de monopole existait bel et bien dans le domaine commercial, d’où la nécessité de créer l’Autorité de la concurrence, comme l’a bien compris le Président de la République. Elle aura notamment le pouvoir de casser les alliances capitalistiques à l’intérieur des groupes de grande distribution.

Quant au tourisme, il s’agit là d’un secteur très porteur, abordé en détail dans le rapport.

M. le président Patrick Ollier a remercié M. Attali d’être revenu aujourd’hui, après avoir été déjà auditionné à deux reprises par la commission des affaires économiques. Il l’a également remercié d’avoir souligné le rôle essentiel que celle-ci avait pu jouer dans l’élaboration de ce rapport. Il a salué la clarté et la cohérence des explications fournies par M. Attali, suite aux interrogations des députés.

Les députés de la commission des affaires économiques feront des choix, qui ne seront pas forcément ceux du Président de la République. Le débat dans l’hémicycle permettra de finaliser ce travail. Il a souhaité à cet égard que le dialogue se poursuive avec M. Attali qui a permis de préciser un rapport dont la presse n’avait fait ressortir que quelques éléments provocateurs.

M. Jacques Attali s’est déclaré tout à fait disponible et heureux de continuer ce travail avec la commission des affaires économiques.

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