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Mardi 1er juillet 2008

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 62

Présidence de M. Patrick Ollier Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Mestrallet, Président-directeur général de Suez, et de M. Jean-François Cirelli, Président-directeur général de Gaz de France

– Information relative à la commission

Commission
des affaires économiques, de
l’environnement et du territoire

La commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire a entendu M. Gérard Mestrallet, Président-directeur général de Suez, et de M. Jean-François Cirelli, Président-directeur général de Gaz de France.

Le président Patrick Ollier s’est réjoui d’accueillir MM. Mestrallet et Cirelli, que la commission des affaires économiques a déjà entendus à plusieurs reprises. La commission souhaiterait avoir des informations sur le déroulement de la fusion entre Suez et Gaz de France, en ce qui concerne notamment les synergies en matière d’approvisionnement gazier, les perspectives d’emploi et les éventuels motifs d’inquiétude du personnel, ou encore la place des énergies sans CO2 dans la stratégie du futur groupe.

Les auditions destinées à préparer la discussion du projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, débuteront demain. La commission des affaires économiques, saisie au fond, y consacrera tout le mois de juillet. Quelles sont les appréciations des dirigeants de Suez et GDF sur les perspectives tracées par ce texte ? Comment jugent-ils les négociations en cours à Bruxelles sur le paquet « énergie climat » et sur le troisième paquet « énergie » destiné à libéraliser le marché intérieur ?

M. Gérard Mestrallet a remercié la commission des affaires économiques de l’inviter pour la quatrième fois, avec M. Jean-François Cirelli, pour faire le point du projet de fusion. La commission a joué un rôle très actif au cours de l’ensemble du processus : non seulement pendant la phase législative, bien entendu, mais aussi avant et après. Dans les moments un peu difficiles que les deux groupes ont traversés, l’attention qu’elle a portée au projet a été d’une grande utilité. Qu’elle en soit remerciée.

Le calendrier est le suivant :

Le 16 juillet, le projet sera soumis au vote des deux assemblées générales des actionnaires, le matin pour Suez et l’après-midi pour Gaz de France. Pour ce qui concerne Suez, il y a lieu d’être confiant. Les dirigeants des deux entreprises ont effectué un road show pour présenter le projet aux actionnaires internationaux et français. L’accueil est positif.

Ce même jour, à l’issue de l’assemblée générale de Gaz de France, le Gouvernement devrait signer le décret de privatisation.

Le 22 juillet, les deux entreprises n’en feront plus qu’une. Juridiquement, c’est Gaz de France qui va absorber Suez.

Le 22 juillet également, Suez Environnement, dont les actions auront été distribuées, pour les deux tiers, aux actionnaires de Suez, sera cotée pour la première fois.

Cette opération mettra en évidence deux leaders mondiaux : Suez Environnement, co-leader mondial dans le domaine de l’environnement avec une autre entreprise française, et GDF Suez, qui sera l’un des leaders mondiaux dans le domaine de l’énergie.

La contrepartie du délai de deux ans et demi qui aura été nécessaire pour faire aboutir cette fusion, c’est que les deux entreprises ont eu le temps de se préparer et que le nouveau groupe est en ordre de marche. Les organigrammes sont prêts. Cinquante chantiers d’intégration réunissent depuis plusieurs mois les équipes des deux groupes.

La réussite de l’intégration est essentielle. C’est une fusion entre égaux qui se fait dans le respect des deux entreprises et de leur culture. Elle comporte un projet industriel mais aussi un projet social. Elle représente une étape stratégique majeure, pour Suez dans le domaine du gaz et pour Gaz de France dans celui de l’électricité. Pour le pays, cela signifie aussi la création de la troisième entreprise industrielle française après Total et EDF. Pour résumer, on peut dire que la Compagnie française des pétroles, qui a donné naissance à Total, a été créée dans la première moitié du XXème siècle, qu’EDF a été bâtie dans la deuxième moitié du XXème siècle et que la troisième entreprise de taille comparable, GDF Suez, aura été bâtie au début du XXIème siècle.

Il est à noter que ces trois premières entreprises françaises sont aussi les trois premières entreprises d’Europe continentale par leurs dimensions. Sur la base des capitalisations actuelles, GDF Suez dépasse toutes les entreprises allemandes et se situerait au onzième rang des entreprises américaines.

La création du nouveau groupe a suscité, à juste titre, des questions d’ordre social et politique. Cette opération d’envergure essaie d’apporter quelques réponses, à l’échelle d’une entreprise, aux mouvements qui ont récemment affecté le secteur énergétique et au grand enjeu de la sécurité des approvisionnements énergétiques européens. Dans quinze ou vingt ans, l’Europe n’aura plus de pétrole, plus de gaz et très peu de charbon. La hausse et l’instabilité du prix des hydrocarbures provoquent d’importants chocs dans le secteur énergétique. Il est important de renforcer la capacité de l’Europe à résister à ces chocs alors qu’elle devient peu à peu complètement dépendante de l’extérieur pour ses approvisionnements en énergies fossiles.

L’ouverture des marchés dans toute l’Union européenne depuis le 1er juillet 2007 constitue également un élément nouveau. Depuis l’annonce de l’opération de fusion au début de 2006, les autres groupes ne sont pas restés inertes. Iberdrola a racheté Scottish Power. Une énorme bataille boursière a opposé, dans le sud de l’Europe, Gas natural, E.ON, Endesa et ENEL. Ces opérations de consolidation ont leur explication : la taille peut ne servir à rien dans certains secteurs mais elle est utile dans le secteur énergétique, où des investissements considérables et de long terme sont nécessaires – le nouveau groupe prévoit 10 milliards d’investissements industriels par an – et où il faut nouer des contrats de longue durée et portant sur de grosses quantités de gaz avec les États fournisseurs.

En atteignant une taille mondiale sur les marchés gaziers, GDF Suez pourra optimiser ses approvisionnements. Sans faire de miracles, le groupe, premier acheteur de gaz en Europe, pourra négocier dans de meilleures conditions. La fusion contribuera également à diversifier les sources de gaz, Suez et GDF disposant chacune d’une palette assez large. S’agissant notamment du gaz naturel liquéfié – GNL –, les positions détenues par Suez et par GDF feront du nouveau groupe le premier opérateur du segment. Gaz de France, déjà présent en Inde, a annoncé ce matin même une opération à Singapour. En Europe, les positions des deux groupes sont très fortes, de même que l’implantation de Suez aux États-Unis, où l’entreprise est leader dans l’importation.

Par son chiffre d’affaires, 74 milliards d’euros, le groupe sera la première des entreprises d’utilités en Europe et dans le monde. En retranchant de ce montant les 12 milliards de l’environnement, le groupe serait numéro deux, derrière EON mais devant EDF.

Le groupe sera un groupe européen avec des atouts particuliers : une très grande puissance dans le domaine du gaz, une production d’électricité très diversifiée, performante et peu polluante, avec du nucléaire, de l’hydraulique, du renouvelable, des turbines à gaz à cycle combiné et de la cogénération, une position de leader mondial non seulement dans le domaine du GNL, mais aussi dans les grands projets électriques internationaux : Suez est le premier développeur au Moyen-Orient, au Brésil, en Thaïlande et est très puissant aux États-Unis. Enfin, dans le domaine des services à l’énergie, les deux groupes, avec l’expérience de COFATHEC pour GDF et Suez Énergie Services pour Suez, constitueront le leader mondial de l’efficacité énergétique, avec 80 000 personnes et 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Prochainement cotée en bourse, Suez Environnement bénéficiera du meilleur des deux mondes. En accédant aux marchés financiers, elle acquerra davantage de visibilité et se construira une image distincte de celle de GDF Suez ; en même temps, elle bénéficiera de la protection d’un actionnariat fort et stable puisque le nouveau groupe gardera 35 % du capital et ses grands actionnaires – Caisse des dépôts et consignations, Caisse nationale de prévoyance, groupe Bruxelles Lambert, SOFINA et AREVA – se verront attribuer 12 % au total. Un pacte de stabilité a été signé pour cinq ans. De toute façon, pour des raisons fiscales, tous ces grands actionnaires ne peuvent vendre leurs titres pendant trois ans.

Le conseil d’administration de GDF Suez comprendra vingt-quatre administrateurs, dont sept désignés par l’État. Les cinq comités du conseil d’administration seront tous présidés par des administrateurs indépendants. L’État détiendra 35,7 % du capital et disposera donc de la minorité de blocage. La séparation entre le rôle de l’État actionnaire et le rôle de l’État régulateur n’est pas modifiée. L’État bénéficiera d’une action spécifique qui lui permettra de s’opposer aux décisions de cession d’actifs situés en France lorsque celles-ci peuvent porter atteinte aux intérêts essentiels de la France dans le secteur de l’énergie. Sont visés les canalisations de transport de gaz, les actifs liés à la distribution, le stockage et les terminaux.

M. Jean-François Cirelli a indiqué que son propos porterait sur la stratégie industrielle du nouveau groupe, les aspects sociaux de la fusion et le contrat de service public.

En matière gazière, le groupe a la responsabilité de l’équivalent de la consommation totale de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne, soit 100 milliards de mètres cubes par an – un peu plus du double de la consommation française. C’est ce volume qu’il lui faudra aller chercher chaque année pour approvisionner plus de 22 millions de clients, dont 11 millions en France.

Dans le domaine de l’électricité, on a peu investi au cours de vingt dernières années. Il faudra donc rénover et construire, tout en développant les énergies renouvelables. L’ambition du groupe est d’être un grand acteur de l’électricité en se basant sur la force actuelle de Suez, notamment en Belgique.

Enfin, les compagnies énergétiques vont devoir tirer les conséquences de l’insuffisance de la fourniture d’énergie même si, chaque année, la diminution de la demande est de 1 % et tend vers 2 %. Cette diminution est le résultat des efforts des clients pour consommer moins une énergie qui devient rare et chère. C’est pourquoi le groupe se doit d’apporter des services autour de la vente du gaz et de l’électricité.

La stratégie du groupe est soutenue par un programme d’investissements de 10 milliards d’euros par an.

Sur ce montant global, le futur groupe consacrera 1 à 1,5 milliard à la production d’électricité en France. Il construira ainsi quatre centrales – deux à Fos, une en Loire-Atlantique et une en Bretagne – tout en développant des projets dans l’éolien, la biomasse et, même si cela est cher et compliqué, le solaire. À l’étranger, l’investissement dans la génération électrique sera de 4 à 4,5 milliards d’euros, l’objectif étant d’avoir en 2013 un parc de production atteignant une capacité de 100 gigawatts, pour 55 actuellement et 10 en construction. La puissance de 100 gigawatts est l’équivalent de la capacité totale installée en France, où le groupe a un objectif de 10 gigawatts, pour 5 ou 6 actuellement.

Dans la branche « global gaz et GNL », qui regroupe l’approvisionnement, l’exploration-production et la stratégie mondiale du GNL, il est envisagé d’investir entre 1 et 1,5 milliard d’euros, dont une grande partie dans l’exploration-production où l’objectif à terme est de 1 500 millions de barils équivalent-pétrole, soit plus du double de la production actuelle du groupe. Dans ce domaine extrêmement capitalistique et cher, il faut avoir les reins solides puisque chaque projet exige l’investissement de 1,5 ou 2 milliards d’euros par an. Le groupe souhaite également se développer dans tous les maillons de la chaîne du GNL, ce qui l’oblige à adopter une vision mondiale. Il a pris des positions dans les terminaux aux États-Unis. Il est très bien implanté en Europe – France, Belgique, Espagne, Grande-Bretagne, avec des projets en Italie. Il regarde aussi vers l’Asie, notamment l’Inde, et GDF a annoncé hier qu’il construirait à Singapour le premier terminal dans cette partie de l’Asie. L’objectif est que 30 % du gaz du groupe parvienne sous forme liquide dans un avenir assez proche.

Pour ce qui est des infrastructures, gazières notamment, le groupe investira 1,5 à 2 milliards d’euros par an. La France est actuellement concernée au premier chef puisque des efforts considérables sont consentis pour le réseau de transport. GDF a multiplié par trois ses investissements dans ce domaine entre 2004 et aujourd'hui, ce qui prouve que la séparation patrimoniale n’est pas nécessaire pour investir. L’investissement portera également sur les actifs du stockage, qui prennent de plus en plus une valeur stratégique. GDF est déjà le deuxième stockeur en Europe. La géologie freine un peu le développement en France, mais le groupe investira en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Roumanie, avec pour objectif d’augmenter de 35 % sa capacité de stockage à l’horizon 2013. Il faudra en outre augmenter les capacités de regazéification pour accompagner le développement du GNL.

Le secteur des services à l’énergie, qui emploie un nombre considérable de personnes, nécessite moins de capitaux. L’objectif d’investissements est de 300 à 500 millions d’euros par an.

Suez Environnement devrait pour sa part investir 1 à 1,5 milliard d’euros par an dans les prochaines années.

Il est important de remettre en perspective la fusion en soulignant, outre ses aspects industriels, que l’on n’a parfois pas bien saisis, son volet social.

Le nouveau groupe comprendra 130 000 collaborateurs dans l’énergie et les services énergétiques et 62 000 collaborateurs dans l’environnement. Son principal défi est sa pyramide des âges, dans la mesure où 25 % de ses personnels ont plus de cinquante ans et partiront donc à la retraite dans les prochaines années. Or, dans les secteurs concernés, on a besoin d’expérience et de transmission des compétences.

Par ailleurs, les recouvrements de compétences ou de personnels entre les deux entreprises sont très limités. Ils concernent, par définition, les deux sièges sociaux. Sur les 80 000 personnes employées dans les services à l’énergie, une étude du cabinet Secafi Alpha commandée par le comité d’entreprise de GDF a estimé que les doublons concernaient 600 ou 700 collaborateurs. C’est pratiquement négligeable quand on sait que le turnover dans ce secteur est de 8 000 ou 9 000 personnes par an.

Cela dit, Suez et Gaz de France ont pris des engagements vis-à-vis des syndicats et leur ont donné des garanties sociales : il n’y aura aucun licenciement dû à la fusion et les collaborateurs qui devront changer d’emploi seront accompagnés. Les négociations concernant ces mécanismes d’accompagnement sont d’ores et déjà engagées. Le groupe souhaite poursuivre cette concertation sociale avec les représentants de ses salariés.

Enfin, ce n’est pas parce que le groupe change de nature qu’il n’a plus d’obligations de service public. Un nouveau contrat de service public – le troisième – est en cours de discussion avec l’État. L’entreprise prend des engagements volontaires mais ses obligations de service public sont également renforcées en ce qui concerne les clients démunis, en ce qui concerne la sécurité des infrastructures, notamment gazières, et dans le domaine du développement du territoire. Ce projet de contrat fait actuellement l’objet de discussions avec les associations représentatives des élus – Association des maires de France, Association des régions de France, etc. L’actuel contrat de service public est toujours valable dans l’intervalle.

En tout état de cause, c’est une entreprise exceptionnelle qui est en train de naître, tant par sa taille que par ses ambitions, ses investissements et par le rôle qu’elle va jouer dans un secteur essentiel pour les Européens et pour les Français.

M. François Brottes, au nom du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, a rappelé que l’opposition parlementaire n’est pas étrangère au fait que GDF et Suez ont bénéficié de temps pour bonifier leur projet et qu’elle a droit, à cet égard, à sa part de remerciements. (Sourires) Pour la quatrième fois, les responsables des deux groupes annoncent à la commission l’arrivée du « temps des merveilles » pour les entreprises, pour les actionnaires et même pour les consommateurs – voire ! M. Cirelli ne vient-il pas de réclamer une fois de plus à l’État une augmentation des tarifs du gaz ?

Le projet mis en œuvre aujourd'hui n’est pas tout à fait le projet initial, notamment en ce qui concerne Suez Environnement. Comme le groupe socialiste l’avait reconnu à l’époque, un des rares intérêts du rapprochement était le développement du GNL. Mais combien la « fusion entre égaux » aura-t-elle coûté aux consommateurs ? On a bien compris que les augmentations de prix successives avaient pour objet de maintenir le cours de l’action GDF et de permettre ainsi la fusion.

M. Cirelli a reconnu que ce sont les États qui négocient la fourniture de gaz. C’est par exemple le cas de l’Algérie, de la Russie, de l’Iran. Il était donc important que l’État français conserve sa capacité de négocier à ce niveau. Certes, nous avons aujourd'hui un nouveau président de l’Union européenne qui se transforme en VRP d’entreprises privées, mais il s’agit d’un dévoiement de la fonction…

Quel regard MM. Mestrallet et Cirelli portent-ils sur la séparation patrimoniale ? Il est vrai que le réseau de transport de gaz n’a pas coûté trop cher à GDF puisqu’il aura fallu débourser une somme de l’ordre de l’euro symbolique. Que l’on réalise maintenant des investissements est une bonne chose, mais l’investissement de base était relativement faible !

Un argument souvent invoqué par le président Ollier pour soutenir la fusion était que le nouveau groupe pourrait acheter le gaz moins cher. Le temps est venu d’annoncer précisément à combien se montera l’avantage retiré de la fusion et quelle incidence cela aura sur le prix payé par le consommateur. Comment peut-on annoncer que l’on va mieux négocier les achats et demander dans le même temps une augmentation des tarifs ?

L’action spécifique détenue par l’État protège un certain nombre d’infrastructures mais pas le réseau de distribution. La nouvelle entreprise pourra cependant conserver le monopole de la distribution du gaz en France. Lors de la discussion du projet de loi relatif au secteur de l’énergie, à l’automne 2006, le groupe socialiste a dénoncé la fragilité de cette construction, qui risque de ne pas résister à une attaque en règle menée par n’importe quel autre opérateur. Maintenant que le projet est arrivé à maturité, quelle est l’appréciation des dirigeants sur la situation des concessions en matière de réseaux de distribution de gaz.

Enfin, la situation internationale nous oblige à tourner nos regards vers la Russie et Gazprom, vers l’Algérie, vers la Turquie et vers l’Iran. Il semblerait qu’un débat agite les parlementaires de l’UMP au sujet de la Turquie. Or ce pays doit accueillir des infrastructures importantes qui pourraient nous donner un peu plus d’autonomie. Se peut-il qu’il existe, entre la diplomatie et l’énergie, des discordances malvenues ?

M. Serge Poignant, au nom du groupe UMP, a constaté que la fusion est sur le point d’aboutir et s’en est félicité. Les projets industriels du nouveau groupe sont très forts. On aimerait des précisions supplémentaires au sujet de l’exploration-production. Qu’en est-il, par ailleurs des gazoducs South Stream et North Stream et du projet européen Nabucco dans la stratégie du groupe ?

Concernant l’articulation entre le troisième paquet « énergie » et la loi de mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, le groupe prévoit-il de travailler sur la capture et le stockage du carbone ? De quel quota d’émission de CO2 aura-t-il besoin, sachant qu’il fait partie des nouveaux entrants pour ses projets dans le secteur de l’électricité ?

Enfin, où en est-on des contreparties à la fusion exigées par la Commission européenne, parmi lesquelles la cession de Distrigaz ENI ?

M. Jean Dionis du Séjour a rappelé que le groupe Nouveau Centre avait voté contre le projet mais a salué la vision et la ténacité dont les dirigeants des deux groupes ont fait preuve.

Le Nouveau Centre a reconnu très tôt l’intérêt industriel du rapprochement de Suez et de Gaz de France. En revanche, la synergie entre un groupe d’environnement et un groupe d’énergie ne paraît pas évidente. Les convictions de MM. Mestrallet et Cirelli sont-elles toujours aussi fortes, ou ne risque-t-on pas d’assister, dans trois ou quatre ans, à la cession de Suez Environnement pour permettre d’accroître les investissements dans l’énergie ?

Quel est l’état de la réflexion sur les prix de l’énergie, en particulier les prix à la consommation. Le président de l’Institut français du pétrole, M. Olivier Appert, a affirmé que le baril serait sans doute à 200 dollars à la fin de l’année, contre 140 aujourd'hui. Quelle est l’articulation entre le prix du pétrole et celui du gaz au niveau des achats ? À échéance de six mois ou un an, quelle sera l’évolution du prix du gaz pour le consommateur ?

Enfin, l’image environnementale et énergétique du gaz semble se dégrader. Comment le groupe défendra-t-il cette ressource, dont la position est en quelque sorte intermédiaire ?

M. Daniel Paul, au nom du groupe de la gauche démocrate et républicaine, a affirmé ne pas regretter les quelques dizaines de milliers d’amendements déposés sur le projet de loi. Le but n’était pas de freiner quoi que ce soit mais d’obliger le Gouvernement à expliciter certains considérants. Cet effort n’a malheureusement pas été couronné de succès mais il n’aura pas été totalement vain. Il aura permis de graver dans le marbre les promesses que les dirigeants des deux entreprises ont été amenés à faire. Tant le groupe GDR que les consommateurs et les salariés du groupe veilleront à ce qu’elles soient respectées.

Cela aura donc été une bonne bataille, les questions énergétiques étant des sujets politiques au sens plein du terme.

Les plus grands fournisseurs de gaz et de pétrole sont des États, via des entreprises où ils détiennent une part prépondérante. Il y a quelques jours, Dubaï a pris des participations dans un groupe énergétique russe. Or, face à cette consolidation du rôle des États dans le monde, l’Europe construit des projets privés. Cette contradiction risque de coûter très cher.

Le groupe d’études sur les énergies a auditionné récemment M. Charles Beigbeder, qui a affirmé sa foi dans le marché et a souhaité que les tarifs réglementés disparaissent pour que la concurrence puisse jouer pleinement, même si cela doit se traduire par une augmentation des prix pour les particuliers et les entreprises. Il espère que son entreprise deviendra un acteur important du secteur énergétique. Que pensent MM. Mestrallet et Cirelli des tarifs réglementés et de la concurrence. Quelle est leur opinion sur le tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché – TARTAM ? La Commission européenne, pour sa part, semble de plus en plus défavorable aux tarifs réglementés.

Lors de la première des auditions, M. Mestrallet avait affirmé que le mariage perdait beaucoup de son intérêt si l’on ôtait le réseau de transport. Quelle est sa réflexion actuelle, compte tenu de l’évolution du dossier et de la persistance des incertitudes ?

Lors de la discussion parlementaire en 2006, on faisait valoir deux arguments : la lettre de grief de la Commission européenne sur les tarifs réglementés et la position trop importante de GDF dans le domaine des terminaux de GNL. En conséquence, la plupart des projets d’extension ou de construction de terminaux gaziers sont revenus à d’autres groupes. Cela a été le cas pour Antifer. Dans ces conditions, comment le nouveau groupe fera-t-il pour acheminer vers notre territoire des quantités accrues de GNL ?

M. Daniel Paul a précisé que, à titre personnel, il n’est pas favorable à l’installation d’un terminal gazier à Antifer : utiliser le gaz pour produire de l’électricité, comme on le fait largement aujourd'hui, n’est sans doute pas la meilleure utilisation possible de cette ressource.

Comme l’a relevé M. Brottes, l’émergence d’un très grand groupe devrait amener des contrats de long terme permettant de limiter la hausse du prix du gaz, voire de le faire baisser. Après avoir demandé une augmentation de 9,5 % et avoir essuyé, semble-t-il, un refus du Gouvernement, que dira M. Cirelli à ses actionnaires ?

Après avoir considéré que la fusion était une bonne chose, M. Michel Havard s’est interrogé sur les perspectives qui s’ouvrent au nouveau groupe sur les marchés américain et asiatique, sachant que les 10 milliards d’investissements concernent surtout l’Europe et la France.

En matière d’énergies renouvelables, le choix semble plutôt porter sur l’éolien. Quelles sont les perspectives dans ce domaine ?

M. Robert Lecou a souhaité élargir la perspective aux défis alimentaires, énergétiques et environnementaux du futur. Comment MM. Mestrallet et Cirelli analysent-ils la raréfaction annoncée des ressources dans tous les domaines ?

En matière de déchets ménagers, quelles sont les évolutions techniques ? Quelles perspectives pour la « torche à plasma » ?

M. Yanick Paternotte a évoqué la stratégie d’intégration des métiers. À quel pourcentage de maîtrise des gisements le groupe espère-t-il parvenir et quels investissements compte-t-il y consacrer ?

Quelle est la part des énergies renouvelables dans l’objectif de production de 100 gigawatts ?

Le nouveau groupe se conçoit comme un géant afin de pouvoir peser dans les négociations. Comment ses dirigeants vivent-ils la montée en puissance de la Chine au Moyen-Orient et en Afrique et quelle stratégie prévoient-ils en la matière ?

M. Jean-Pierre Nicolas a remarqué que le développement de la demande de gaz est freiné par l’évolution des prix. Les extensions marquent également le pas. Quel avenir peut-on imaginer pour Gaz réseau distribution France – GRDF ?

M. Jean-François Cirelli a estimé que la séparation patrimoniale fut l’une des plus grandes erreurs jamais inventées. En effet, elle ne fait nullement baisser les prix et conduit à des caricatures qui mettent les entreprises en situation de faiblesse. Heureusement, les efforts déployés par M. Jean-Louis Borloo ont permis de maintenir les réseaux de transport dans les entreprises intégrées. Les problèmes du marché unique de l’énergie ne seront pas réglés en changeant le régime de propriété des réseaux de transport. Si des compagnies se conduisent mal et exercent des discriminations à l’encontre des nouveaux entrants, il suffit de leur appliquer des sanctions.

On ne peut pas reprocher à Gaz de France de respecter la loi adoptée par la représentation nationale en 2003, relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au service public de l’énergie, qui dispose que les tarifs doivent couvrir les coûts. Pour qu’il en soit ainsi, GDF émet des demandes sur l’aspect matière et l’aspect hors matière, le régulateur de l’énergie contrôle si elles sont justifiées et ses conclusions sont publiées au Journal officiel. Les comptes de Gaz de France en témoignent, l’activité de commercialisation du gaz auprès des clients français n’est pas bénéficiaire : en 2007, elle a généré 80 millions d’euros sur un bénéfice de 2,492 milliards ; en 2006, GDF avait même perdu quelque 500 millions d’euros sur ce segment. Le prix du gaz acheté par GDF est indexé par contrat sur le cours du pétrole, qui change tous les mois. Or le prix du pétrole a augmenté de près de 50 % depuis le 1er janvier. GDF est un intermédiaire ; si l’entreprise refusait cette indexation, Gazprom cesserait immédiatement de lui fournir du gaz. L’impact de l’augmentation du prix du pétrole doit être répercuté mais, pour GDF, obtenir des augmentations de tarif n’est jamais aisé.

Affirmer que les tarifs ne vont plus augmenter serait un mensonge mais aucune prévision ne peut être avancée car tout le monde est perdu. Le prix du baril était de 50 dollars au 1er janvier 2007, de 90 dollars au 1er janvier 2008 et de 140 dollars au 1er juillet. Les équipes de GDF tablent sur 150 à 170 dollars à la fin de l’été – M. Alexeï Miller a même parlé de 250 dollars.

Mme Marylise Lebranchu l’ayant interpellé à propos de l’origine des 2,492 milliards de bénéfice de GDF, M. Jean-François Cirelli a indiqué qu’ils provenaient de l’exportation de la production et des réseaux, lesquels offrent un retour sur investissement de 7 à 9 %. Tous les chiffres figurent dans les comptes de GDF.

Le marché du gaz est un marché de vendeur, ce sont les producteurs qui font la loi, mais le groupe, qui achète 120 milliards de mètres cubes par an, devient incontournable. GDF peut accomplir des économies par le foisonnement des points de livraison, qui ferait chuter le coût de transport du gaz. Bien que la France n’en produise pas, les consommateurs y paient leur gaz moins cher qu’en Allemagne, en Belgique, en Italie ou en Espagne – mais plus cher qu’en Grande-Bretagne. Dans ces conditions, il est dur d’être critiqué en permanence.

Quant à l’infrastructure de transport, GDF l’a payée 4 milliards d’euros.

Le monopole de la distribution procède de la législation, confirmée en 2006 et validée par le Conseil constitutionnel. Bruxelles pourrait casser ce monopole mais ce n’est pas à l’ordre du jour.

GDF Guez est intéressé par toutes les nouvelles routes gazières susceptibles d’être tracées vers l’Europe. Plus elles sont nombreuses, mieux la sécurité d’approvisionnement est assurée. La route du Nord Stream, qui passe par la mer Baltique, verra le jour ; le projet du South Stream, qui traverserait la mer Noire, est un peu compliqué techniquement mais les études semblent avancer. Ces projets coûteraient de 6 à 8 milliards de dollars. Nabucco présente un double intérêt car ce serait une nouvelle route acheminant un nouveau gaz ; il reste à trouver ce gaz, car la production azérie ne suffit pas, et à surmonter les obstacles techniques, juridiques et géopolitiques qui compliquent la traversée de la mer Caspienne.

Aujourd’hui, GDF produit dans des zones matures : la mer du Nord, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Allemagne. GDF investit en Norvège, où la production est déjà lancée, et dans le Sud de l’Algérie, où le projet en est au stade de la décision de commercialité. Une fois ces deux étapes franchies, GDF cherchera à pénétrer de nouveaux pays comme ceux de la mer Caspienne, la Libye, le Qatar, peut-être un jour l’Iran si les conditions politiques le permettent, voire la Russie ; cette troisième étape nécessitera beaucoup de temps, d’énergie et d’argent.

Si telle est la volonté de la nation, GDF est heureux que les prix soient régulés – ou plutôt administrés –, à condition que les prix reflètent les coûts.

M. Gérard Mestrallet a souligné que la sécurité d’approvisionnement serait un sujet beaucoup plus brûlant si la France, comme tous les autres pays européens excepté la Belgique, avait manqué de gaz durant l’hiver 2003-2004. Le devoir des entreprises est d’aller chercher le gaz où il est, dans les meilleures conditions possibles, pour l’acheminer vers les consommateurs français, européens et américains. Si la France a échappé à la crise de l’hiver 2003-2004 due au ralentissement des approvisionnements venant de l’Est, c’est grâce à la diversification des sources d’approvisionnement de GDF et au stockage, qui représente un actif considérable. Dans le groupe fusionné, la Russie représentera 15 à 16 % de l’approvisionnement français ; ce taux élevé suppose un partenariat fort avec la Russie, qui sera facilité par les bonnes relations tissées dans ce pays par GDF.

Le gaz est une denrée de plus en plus rare. Les négociations avec les pays producteurs passent souvent par des sociétés d’État ou à capitaux majoritairement publics. Par conséquent, à l’instar des États-Unis, de la Russie, de la Chine, de l’Inde ou de l’Algérie, l’Union européenne se doit de bâtir une géostratégie énergétique. Contrairement à ses États membres pris individuellement, elle possède une telle puissance d’achat qu’elle peut peser. Outre les pays cités par Jean-François Cirelli, il convient de tisser des liens de long terme avec le Qatar, le Yémen, le Nigeria, Trinidad-et-Tobago et peut-être demain le Pérou. La diversification contribue à sécuriser l’approvisionnement. Si la France devait recourir au marché dit « spot » pour répondre à la demande de ses consommateurs, ce serait plus cher et moins sûr. Pendant la crise, en Grande-Bretagne, le prix a doublé en une semaine. Il est légitime que les consommateurs réagissent négativement aux hausses de tarif mais que diraient-ils s’il arrivait que le gaz vienne à manquer physiquement ?

Le mix énergétique du groupe comprend du nucléaire. Son souhait est de se développer dans ce secteur afin de stabiliser le taux actuel. Le groupe a signé des accords avec Total et AREVA pour Abu Dhabi, il a investi en Roumanie et en Bulgarie, et, l’année prochaine, il s’engagera probablement dans la construction d’un ou deux European Pressurized Reactor (EPR) en Europe de l’Ouest.

Suez construit de petits barrages en France afin de produire de l’électricité verte. L’objectif, à terme, est de porter le taux des énergies renouvelables, hors hydraulique, à 8 ou 10 % de l’activité du groupe, sachant que l’hydraulique représente près de 20 %, avec des capacités très importantes dans les Pyrénées et dans le Massif central, ainsi qu’au Brésil. Toutefois, la part de l’hydraulique se rétractera nécessairement car il est impossible de créer de nouveaux équipements. Le mix énergétique constitue un autre facteur de sécurité à long terme. L’objectif de 100 gigawatts à l’horizon 2013 représenterait un doublement de la production française actuelle.

Le groupe travaille à la capture et au stockage du carbone sur plusieurs sites d’essais, en collaboration avec Alstom et Schlumberger. Tous les acteurs énergétiques doivent s’impliquer dans ce domaine car le charbon représente encore nettement plus de la moitié de la filière de production de l’électricité mondiale.

Des synergies avec l’environnement existent. La concentration urbaine aboutit à la construction de villes nouvelles qui se veulent écologiques, c’est-à-dire sans rejet de CO2, à énergie positive et à recyclage intégral de l’eau et des déchets. Il y a trois semaines, un accord a été signé avec le Qatar, portant sur une première ville, Lusail. L’Arabie Saoudite a un grand projet semblable avec King Abdallah City, Abu Dhabi a aussi le sien avec Masdar. Le groupe est l’opérateur unique chargé de s’occuper des réseaux électriques, de gaz, d’éclairage, de froid, d’eau, d’assainissement, ainsi que de la collecte et du recyclage des ordures ménagères ; pour la croissance d’une entreprise, cela apporte un plus.

Dans son métier principal, la production électrique, Suez détient plus de capacités de production au Moyen-Orient qu’en Belgique : plus de 12 000 mégawatts, sur un total de 65 000 mégawatts dans le monde – même s’il assume sa « belgitude », le groupe n’est donc pas réductible à la Belgique. Au Moyen-Orient, en cinq ans, il est devenu le premier développeur de projets électriques. S’il a remporté autant de succès, c’est que tous les appels d’offres combinent production électrique et dessalement d’eau de mer, spécialité de Degrémont, son pôle environnement, numéro un mondial dans la technologie de l’osmose inverse. Ce schéma n’était pas prévu mais il est bon car il permet de conserver le lien entre GDF Suez et Suez Environnement.

Dans le secteur de l’électricité comme dans celui du gaz, le groupe, avec le temps, aspire à se développer davantage en Chine et en Inde, les deux seuls grands pays où sa présence n’est pas significative. Cependant, les modalités futures de la régulation des prix de l’électricité sont inconnues. Contrairement à AREVA ou Alstom, qui vendent des usines clé en main, si GDF Suez s’engage, c’est sur vingt ou cinquante ans et pour commercialiser un seul produit, le kilowattheure ; la prudence s’impose car mieux vaut savoir à quel prix il sera vendu.

M. Jean-François Cirelli a précisé que, en 2005, 15 milliards de mètres cubes étaient disponibles dans les terminaux méthaniers – 5 à Fos-sur-Mer et 10 à Montoir –, pour une consommation française d’un peu plus de 40 milliards. À la fin de l’année, les capacités d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) auront presque doublé, avec 25 milliards, 7 à Fos-sur-Mer, 10 à Montoir et 8 dans le nouveau terminal en construction à Fos-sur-Mer. Le groupe est prêt à porter la capacité de Montoir à 16 milliards. Cet approvisionnement est suffisant puisqu’une grosse partie du gaz arrive sous forme gazeuse par les pipelines de la mer du Nord et le gazoduc russe. C’est pourquoi GDF n’a pas concouru pour Antifer. Cependant, si d’autres compagnies veulent créer des terminaux, c’est leur droit.

Compte tenu de l’évolution du panorama énergétique et des prix, les clients, depuis deux ou trois ans, se posent beaucoup de questions et sont attentistes : ils laissent leurs installations en l’état car ils ne savent pas s’il est opportun de changer leur chaudière ou d’investir dans une pompe à chaleur ou du solaire. GDF a conçu un grand programme de 40 millions d’euros pour promouvoir le gaz naturel. L’une des cibles est la population des 2 millions de ménages qui se chauffent au fuel alors que leur logement est situé à moins de 35 mètres du réseau de gaz : 1 million d’entre eux devraient avoir basculé d’ici à une petite dizaine d’années.

Les directions chargées de la distribution du gaz et de l’électricité ont assez mal vécu la libéralisation du marché de l’énergie car elles se sont vues amputées de certaines fonctions. Le management de GRDF ayant pour seuls objectifs d’entretenir et de développer le réseau du gaz naturel, il est bon d’avoir isolé cette entité. Les canalisations enterrées dans le sol français équivalent à cinq fois le tour de la terre. GDF a un programme de renouvellement considérable de 600 à 700 millions d’euros par an et un programme d’extension plus modeste, sur des sites non rentables. Pour le mener à bien et conférer davantage de flexibilité à la filiale, l’objectif de rentabilité imposé par la CRE doit être assoupli.

M. Gérard Mestrallet a ajouté que Suez a cédé certains de ses actifs, conformément aux exigences de la Commission européenne. Elle s’est séparée de Distrigaz, très belle société de négoce de gaz belge dépourvue d’actifs, qui emploie une centaine de personnes. Elle a vendu à EDF sa participation de 25 % dans la SPE, deuxième producteur électrique belge. Elle s’est aussi séparée d’un petit réseau de chaleur en France.

Distrigaz a été cédée à ENI après une procédure d’enchères, sous le contrôle de la Commission européenne et des autorités boursières belges. Suez ayant indiqué qu’il aimerait avoir la possibilité de procéder à des acquisitions, pour un montant équivalent, dans le pays de l’entreprise qui achèterait Distrigaz, des contreparties très intéressantes ont été obtenues de la part d’ENI : des actifs d’exploration de production ; des capacités de production électrique en Italie ; le réseau de distribution de gaz de Rome ; un contrat d’approvisionnement de gaz en Italie et en Allemagne représentant environ 70 % du bilan gaz de Distrigaz. Ainsi tempérée, la pénalité est devenue acceptable : la concurrence sera renforcée en Belgique mais aussi, du coup, en Italie et en Allemagne.

Sur le marché américain, Suez est présent dans le secteur de l’électricité, avec 5 000 à 6 000 mégawatts de puissance électrique, et vient d’acheter la centrale électrique la plus récente de New York en vue de doubler sa production, qui s’élève actuellement à 500 mégawatts. Dans le secteur du gaz, le groupe est présent au Texas et dans le Nord-Est des États-Unis. À Boston, il possède l’un des plus gros terminaux du pays et en construit un second, flottant, à quinze kilomètres de la côte. Un autre projet de terminal est en cours en Floride et le groupe, avec GDF, dispose d’accès dans des installations du golfe du Mexique. Dans le secteur du GNL, pour s’imposer comme un acteur suffisamment diversifié, il faut être présent sur les trois grands marchés mondiaux : l’Europe, les États-Unis et l’Asie. À cet effet, il faut accéder à un maximum de ressources et posséder des infrastructures de regazéification. Suez en a une, par exemple, au Chili, qui a voulu s’affranchir de sa dépendance par rapport à l’Argentine. Le marché nord-américain est donc l’une des cibles de la stratégie internationale du groupe.

En 2004, Suez avait écrit à tous les responsables politiques français et européens pour réclamer une politique énergétique européenne, avec quatre priorités pour répondre aux défis à long terme : les économies d’énergie, l’efficacité énergétique, qui, avec le baril à 140 dollars, devrait être la priorité absolue de tous ; le nucléaire, composante essentielle de toute solution pour produire de l’énergie bon marché sans rejeter de CO; les énergies renouvelables, surtout celles qui commencent à approcher les seuils d’équilibre économique, comme l’éolien, à condition de préserver les paysages en développant les installations off-shore ; le GNL, très flexible, permettant de ne pas dépendre uniquement des grands producteurs comme la Russie et les pays d’Asie centrale. GDF Suez se trouve positionné sur chacune de ces quatre priorités.

Le groupe travaille sur une torche à plasma expérimentale. Dans le domaine des déchets, une évolution est en cours, non pas vers des solutions technologiquement révolutionnaires mais vers l’économie circulaire. Dans l’économie linéaire, les produits en fin de vie sont envoyés à la décharge. Dans l’économie circulaire, ils sont déconstruits : les matières sont séparées et recyclées ; au fond, il s’agit de chaînes de montage à l’envers. Le groupe a d’ores et déjà signé un accord en ce sens avec Renault, créé des usines de ce type à Romorantin et sur l’ancien site de Metaleurop Nord, sans compter un projet similaire à Toul. Ce concept est extrêmement puissant du point de vue économique car, avec des matières premières chères – acier, aluminium, plastique –, le recyclage devient rentable.

Par ailleurs, chez Suez, la transformation de déchets biologiques en énergie par la fermentation et le biogaz est déjà une réalité.

M. Daniel Paul ayant regretté que Suez n’ait pas pris en charge le Clemenceau pour le déconstruire, M. Gérard Mestrallet a rappelé que son entreprise avait fait acte de candidature.

M. Daniel Paul s’étant enquis du nom du futur groupe, M. Gérard Mestrallet a répondu qu’il s’appellera « GDF Suez ».

M. Daniel Paul a voulu savoir si le groupe sera candidat pour le deuxième EPR français ou s’il se contentera de prendre une participation.

GDF Suez est-il favorable au partage de la rente nucléaire avec ses futurs concurrents potentiels ?

Mme Fabienne Labrette-Ménager a demandé si GDF Suez serait disposé à accompagner des projets de partenariat public-privé français, notamment dans les secteurs des effluents d’élevage et des déchets.

Où en est la réflexion du futur groupe sur l’hydrolien ?

Aura-t-il une politique en matière de certificats d’économie d’énergie ?

M. François Brottes a fait observer que, si la société privée en voie de constitution se portait candidate pour construire un EPR, l’engagement de maintenir le parc nucléaire français dans le secteur public risquait de ne pas être tenu.

Si Bouygues, via Alstom, faisait l’acquisition d’un nombre significatif de parts d’AREVA, cela modifierait-il l’attitude de GDF Suez vis-à-vis de ce partenaire ?

Un décret en préparation tendrait à autoriser l’acquisition par des opérateurs des concessions hydrauliques remises sur le marché, moyennant des contributions plafonnées, c’est-à-dire à vil prix. GDF Suez sera-t-il candidat à l’achat de quelques-unes de ces concessions ?

M. Gérard Mestrallet a indiqué que le groupe n’avait encore pris aucune décision concernant le nucléaire. Il y a quelques années, Suez avait fait acte de candidature pour prendre une participation dans l’EPR de Flamanville mais sans succès. L’entreprise n’a pas attendu pour opérer son développement nucléaire. Il n’était pas du tout intéressé par British Energy ; néanmoins, le gouvernement britannique s’étant prononcé contre le monopole nucléaire, le futur acquéreur ne sera pas seul. Le marché britannique est intéressant. GDF et Suez ont acquis la plus importante centrale électrique à gaz à cycle combiné d’Europe, située à Teesside. Si les conditions étaient réunies pour construire un EPR ou deux en Grande-Bretagne, il faudrait s’interroger puis prendre une décision, sans doute dans le courant de l’année prochaine.

Comment parler de rente nucléaire pour les entreprises belges, toutes privées, qui ont failli mourir quand elles se sont lancées dans ce secteur ? Elles ont pris des risques énormes car elles ont dû tenir pendant les dix ans de construction avant de percevoir la première recette.

La stratégie d’implantation pour l’Europe de l’Ouest sera définie par le futur conseil d’administration du groupe commun. GDF et Suez ne demandent ni subvention ni garantie d’État mais seulement le droit de construire, d’exploiter et de commercialiser l’électricité.

La qualité du produit EPR est excellente et une modification de l’actionnariat ne l’affecterait en rien.

Suez expérimente le biogaz dans de petites fermes, en Belgique, pour fabriquer de l’électricité au profit de 200 maisons à partir de sous-produits agricoles. Au prix actuel de l’énergie, cette voie est intéressante.

Suez n’est pas spécialiste de l’hydrolien mais exploite un peu d’éolien et beaucoup d’hydraulique ; sa filiale Coyne et Bellier est même le leader mondial dans le domaine de la conception des structures en béton des barrages. Elle possède aussi une filiale commune avec Total dans le secteur solaire.

M. Jean-François Cirelli a confirmé que, dans les secteurs de la biomasse et du biogaz, GDF progresse et se développe en s’intéressant à l’algue verte ou au bois. L’entreprise vient de remporter l’un des vingt-deux projets lancés par l’État et approuvés par la CRE. Ces produits d’avenir doivent faire l’objet de recherches et d’expérimentations pour devenir rentables.

Les filiales de services énergétiques cherchent à récupérer des certificats d’économie d’énergie mais, pour que les clients les paient, ils doivent y trouver un intérêt.

Quand l’occasion se présentera, GDF Suez sera candidat pour acquérir des concessions hydrauliques mais, en attendant la publication des textes réglementaires, les modalités des appels d’offres restent largement méconnues. En tout cas, la capacité et le savoir-faire du groupe en font un acteur reconnu dans le domaine hydraulique.

M. Gérard Mestrallet a signalé que la France a la chance de posséder le premier opérateur nucléaire mondial, EDF, ainsi qu’un constructeur de réacteurs, AREVA, mais qu’elle a aussi la chance de posséder un second opérateur, plus petit mais complémentaire. La France est le seul pays du monde où des exploitants, EDF et Suez, sont prêts à participer au développement de projets dans des États où il n’existe pas encore d’industrie nucléaire. Compte tenu de l’importance que le nucléaire est appelé à prendre dans le mix énergétique mondial des quarante prochaines années, c’est une chance.

Le président Patrick Ollier a remercié MM. Cirelli et Mestrallet d’avoir apporté des réponses aussi directes, franches et complètes, et de ne rien avoir occulté. De grandes perspectives de développement s’ouvrent au nouveau groupe GDF Suez.

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Information relative à la commission

La commission a désigné M. Yves Albarello, rapporteur pour avis sur le projet de loi, adopté par le Sénat en 1ère lecture, relatif aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi (n° 1005).

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