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Jeudi 3 juillet 2008

Séance de 11 heures 15

Compte rendu n° 66

Présidence de M. Serge Poignant Vice-Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Sandrine Mathy, Présidente du Réseau Action Climat (RAC) et de Mme Marie-Anne Robert Kerbrat, conseillère du RAC

Commission
des affaires économiques, de
l’environnement et du territoire

La commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire a entendu Mme Sandrine Mathy, Présidente du Réseau Action Climat (RAC) et de Mme Marie-Anne Robert Kerbrat, conseillère du RAC.

M. Serge Poignant, vice-président, a souhaité la bienvenue à Mme Sandrine Mathy et à Mme Marie-Anne Robert Kerbrat. Le Réseau Action Climat-France ayant participé au Grenelle de l’environnement, sont point de vue ne peut que contribuer à éclairer grandement la commission.

Mme Marie-Anne Robert Kerbrat, conseillère du Réseau Action Climat-France (RAC), a indiqué que deux documents ont été préparés à l’intention des commissaires : une note du RAC sur le projet de loi de programme article par article ainsi qu’une version provisoire des amendements proposés par le Réseau.

Mme Sandrine Mathy, présidente du Réseau Action Climat-France, a indiqué que le RAC représente l’ensemble des associations environnementales travaillant sur les questions liées au changement climatique. Créé en 1996, il participe en tant qu’observateur aux négociations internationales et élabore un certain nombre de perspectives sur les mesures prioritaires devant être selon lui appliquées. Le RAC a par ailleurs coordonné le collège d’associations du Groupe 1 du Grenelle de l’environnement.

Le Grenelle de l’environnement, précisément, doit faire face à la confluence de plusieurs crises majeures : énergétique – le baril est aujourd’hui à 145 dollars –, climatique – objectif de diviser par quatre les émissions des gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050 et, a minima, de 20 % d’ici 2020 –, financière – subprimes, prix des matières premières –, alimentaire – émeutes de la faim en Haïti ou au Cameroun. A cela s’ajoute une crise de la biodiversité avec la menace d’extinction massive de nombreuses espèces. Non seulement le système qui a été construit est très vulnérable mais il faut apporter une solution cohérente globale à l’ensemble de ces crises à travers la mise en place de synergies. Il convient en particulier d’appliquer des mesures qui permettront de se prémunir contre la crise énergétique et l’augmentation des prix du pétrole mais, aussi, de lutter contre le réchauffement climatique tout en diminuant la part du budget des ménages consacrée à l’énergie, au chauffage et aux transports. Or, tout ceci ne peut passer que par un allègement de la consommation énergétique et une gestion sobre des ressources. Il est par ailleurs possible, aujourd’hui, de profiter des technologies faiblement consommatrices d’énergie tout en maintenant le même niveau de confort.

En 2007, la facture énergétique de la France s’élevait à 45 milliards ; hors énergie, la balance commerciale serait excédentaire de 5,6 milliards ; avec l’énergie, elle est déficitaire de 39,2 milliards. En revanche, lorsque la facture pétrolière augmente, les revenus fiscaux issus de la TIPP restent constants – à hauteur de 25 milliards environ. La somme de 45 milliards représente 2 000 euros par ménage et par an, 1,2 million d’emplois, le montant du déficit public, 15 fois ce que rapporte l’ISF à l’État et presque autant que ce que génère l’impôt sur le revenu. Le remplacement de toutes les ampoules électriques d’éclairage par des ampoules à basse consommation permettrait par exemple d’économiser la consommation équivalant au coût d’une centrale EPR ou à 25 centrales thermiques ou 11 centrales nucléaires au plan européen. L’installation dans chaque ménage des appareils électroménagers les plus efficaces permettrait quant à elle d’économiser 40 % de l’électricité consommée.

Une rupture est donc nécessaire dont le Grenelle doit être le moteur, comme l’avait affirmé le Président de la République – de même qu’il avait promis de faire du climat une priorité de la présidence française de l’Union européenne. Ce projet aurait paru conforme à un tel souhait voilà dix ans mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Outre que les risques liés au changement climatique s’accélèrent, ils exacerberont les crises alimentaires et les solutions apportées seront vraisemblablement contraintes et non décidées démocratiquement. De plus, c’est aujourd’hui que les ménages sont pris à la gorge et c’est donc maintenant qu’il faut leur apporter des réponses. Les parlementaires se sont certes déjà mobilisés, notamment dans le cadre de la mission d’information sur l’effet de serre présidée par M. Jean-Yves Le Déaut et dont Mme Nathalie Kosciusko-Morizet était la rapporteure, mais il faut maintenant aller plus loin : le temps n’est plus au constat mais aux décisions. Or, le texte proposé, hélas, n’est pas à la hauteur des enjeux.

Le projet manque en effet de cohérence : le développement des énergies renouvelables implique la rationalisation des usages mais à travers la recherche de la sobriété énergétique ; il est par ailleurs possible de diviser au moins par quatre les émissions de GES dans le secteur du bâtiment - lequel peut d’ailleurs créer entre 100 000 et 300 000 emplois afin de répondre aux objectifs fixés par le Grenelle – mais une formation des professionnels s’impose ; la reconversion écologique du système économique français doit quant à elle s’accompagner de la mise en place des règlementations et des outils fiscaux nécessaires ; la dimension territoriale, de plus, doit être au cœur de la nouvelle gouvernance. Des éclaircissements, enfin, doivent être apportés quant aux financements et, notamment, aux dotations budgétaires de l’État ainsi qu’à leur inscription dans le projet de loi de finances triennale.

Par ailleurs, le calendrier prévisionnel annoncé n’a pas été respecté : la mise en place d’un groupe de travail sur la contribution climat énergie (CCE) devant rendre ses conclusions au printemps de 2008 n’a toujours pas été créé ; de même que le schéma national des nouvelles infrastructures de transport pourtant prévu pour la même période.

L’examen de ce projet comporte deux défis : obtenir le retour à l’équilibre du texte tel qu’issu des préconisations du Grenelle de l’environnement ; faire du pouvoir d’achat une priorité en sachant que ce texte n’est pas une dépense mais un investissement.

Lors de son discours du 25 octobre 2007, le Président de la République avait énoncé deux principes fondamentaux : l’intégration du coût environnemental dans le choix de tous les grands projets et les décisions publiques ; le renversement de la charge de la preuve – les défenseurs d’un projet non écologique devant prouver qu’il n’est pas possible de procéder autrement. Cette double annonce ne figurant pas dans le texte, le RAC propose de créer un Préambule en faisant état. Il propose également, dans l’article 2, de faire un rappel à l’engagement juridique de la loi de programme fixant les grandes orientations de politique énergétique (POPE) de juillet 2005 prévoyant de réduire de 3 % les émissions de GES chaque année. Il est notable, par ailleurs, que la France a été le premier pays à écrire dans le marbre « le facteur quatre » - division par quatre des émissions de GES à l’horizon de 2050. Cet article constitue en fait un net recul par rapport à l’esprit du Grenelle. Le projet de directive européenne sur les énergies renouvelables prévoit une part des énergies renouvelables de 20 % au total sur le territoire communautaire ; une répartition étant proposée pour chaque État membre en fonction de ses caractéristiques, la Commission européenne a prévu que la France devra porter la part des énergies renouvelables à 23 % de sa consommation d’énergie finale. Or, le projet avance une part de 20 % seulement. Ce chiffre remet de plus en cause les dispositifs d’accroissement de l’efficacité énergétique qui, mécaniquement, permettent d’atteindre les 23 %. Cette modification est donc cruciale.

Concernant l’attribution aux enchères des droits à polluer, le RAC note que l’engagement du Grenelle « jusqu’à 100 % si le secteur le permet » a disparu. En outre, l’affectation de ces sommes - 40 milliards par an pour les 27 pays de l’Union européenne – n’est pas prévue. Or, il convient qu’elles soient affectées pour moitié au financement de la transition vers une économie sobre en carbone et pour moitié au soutien des pays en voie de développement, pour la réduction des émissions de GES, la lutte contre la déforestation et l’adaptation aux impacts du réchauffement.

La CCE constitue l’une des mesures structurantes de ce texte. Objet de très nombreuses discussions, elle avait été finalement actée avant d’être remisée dans le projet au rang d’étude.

Le chapitre premier, quant à lui, vise à organiser une rupture pour réduire la consommation d’énergie des bâtiments.

La rédaction de l’article 3 demeure floue et n’engage pas le Gouvernement. Afin de rendre à cet article toute sa force, la RAC propose de prévoir un « plan de rénovation thermique » ainsi que « la mise en œuvre d’un programme de rénovation accélérée du parc de bâtiments existants » avec des objectifs chiffrés quant aux logements rénovés et un seuil de performance à atteindre.

L’article 4, consacré aux bâtiments neufs, est en retrait par rapport aux engagements du Grenelle. Son premier paragraphe est trop imprécis et laisse toute latitude à des solutions technologiques non durables. Outre que les seuils fixés doivent prendre en compte l’ensemble de la chaîne, il faut également spécifier le poste de consommation d’énergie auquel ils renvoient. Le RAC propose donc la rédaction suivante : les constructions neuves « présentent une consommation moyenne annuelle en énergie primaire inférieure à un seuil de 50 kilowattheures par mètre carré et par an de surface chauffée pour le chauffage/rafraîchissement et l’eau chaude sanitaire. Ce seuil sera modulé en fonction de la localisation, de l’usage des bâtiments ainsi que de l’impact environnemental et l’efficacité du système de production, de transport et de distribution de l’énergie consommée. » Contrairement aux engagements d’octobre 2007, la référence aux bio-matériaux a de surcroît disparu alors qu’il en était question dans les dernières versions du projet. Enfin, l’« avantage supplémentaire » lié à l’acquisition d’un logement dont la consommation énergétique moyenne est plus performante que les normes applicables étant trop imprécises, il serait préférable de parler de « prime à l’acquisition ». D’une manière générale, les incitations fiscales sont intéressantes mais nettement insuffisantes car non accompagnées de mesures contraignantes.

L’article 5 prévoit la réduction des consommations énergétiques du parc de bâtiments existants d’au moins 38 % d’ici 2020. Or, le raisonnement en pourcentage est inadapté et risqué car il peut conduire à des opérations d’isolation partielle ; il faut donc fixer des objectifs de rénovation par bâtiment et non globalement. Ainsi, il semble plus efficace de revenir à la formulation initiale qui prévoyait le doublement du nombre de logements et bâtiments anciens à rénover chaque année. A partir de 2012, l’objectif sera de 400 000 rénovations thermiques par an, à hauteur de 80 kWh par m² et par an. Le paragraphe qui planifie la rénovation des bâtiments publics les plus « énergivores » doit préciser, en outre, que ce sont les bâtiments de classe F et G qui sont visés. Par ailleurs, la rénovation initialement prévue en cinq ans est désormais étalée sur dix ans, ce qui entraînera inéluctablement un retard des objectifs français et européens de réduction des émissions de GES. A cela s’ajoute la suppression des dotations budgétaires pour la rénovation du parc de bâtiments de l’État par rapport à l’avant-projet qui prévoyait, lui, 28,9 milliards. La rénovation des logements sociaux doit être prioritaire compte tenu de la fragilité financière des ménages mais, là encore, les ambitions ont été revues à la baisse puisque le seuil préconisé par le texte vise 150 kWh par m² et par an quand il faudrait atteindre 80 kWh. Cette norme, enfin, doit être introduite dans les programmes de rénovation urbaine.

Le grand absent de l’article 6 est le financement du volet formation dans le secteur du bâtiment. Entre la formation initiale, relevant du budget de l’Éducation nationale et de celui de l’enseignement supérieur, et la formation continue, qui relève des entreprises pour les personnes en activité et se trouve sous la responsabilité des régions pour les personnes sans emploi - notamment les jeunes - une clarification s’impose.

Le chapitre II concerne l’urbanisme.

Il est en l’occurrence impératif de donner la priorité à la notion d’autonomie énergétique des territoires. A l’article 7, l’obligation pour chaque niveau d’organisation territoriale d’élaborer des plans climats énergie territoriaux (PCET) doit être établie. Il est par ailleurs nécessaire d’inciter les territoires de projet - parcs naturels régionaux (PNR) et pays – à s’engager dans ces PCET. Quid, en la matière, des engagements financiers ? Ces dispositifs risquent d’être fragilisés faute de pouvoir assurer la formation des acteurs territoriaux aux démarches du PCET. Par ailleurs, un certain nombre de dispositions affaiblissent les dispositifs prévus dans les documents d’urbanisme en matière de lutte contre le changement climatique – il est en particulier essentiel de réintroduire un paragraphe annonçant l’introduction obligatoire dans ces documents d’objectifs de lutte contre le changement climatique, d’adaptation à ces changements et de maîtrise de l’énergie. Par ailleurs, des outils essentiels de lutte contre l’étalement urbain disparaissent alors qu’il conviendrait de faire référence à des zones de densification environnementale (ZDE) avec augmentation des coefficients d’occupation des sols (COS) en cas de proximité des transports en commun ou de la présence de quartiers à performance énergie/climat élevée. Quid, également de la mention de la généralisation et du renforcement du caractère opposable des schémas de cohérence territoriale (SCOT) dans les zones sensibles ainsi que de l’introduction de critères de performance énergétique et d’émission de GES dans ces SCOT ? Il conviendra, en outre, de réorienter la fiscalité locale et les incitations financières dans le domaine du logement et de l’urbanisme vers un urbanisme plus durable qui garantira une gestion plus économe des ressources de l’espace. Enfin, la mention d’un plan volontariste d’éco-quartiers ne figure plus explicitement dans le texte.

Le chapitre III concerne les transports.

Si l’objectif de réduction de 20 % des émissions de GES en 2020 est rappelé, le RAC déplore le très net affaiblissement de l’engagement pris sur l’augmentation de la capacité routière en France. Le texte est passé de : « Le paradigme actuel fondé sur la priorité accordée aux infrastructures routières et autoroutières doit être abandonné. La capacité routière globale du pays ne doit plus augmenter sauf pour éliminer les points de congestion et des problèmes de sécurité ou d’intérêt local », à : « L’État veillera à ce que l’augmentation des capacités routières soit limitée au traitement des points de congestion, des problèmes de sécurité ou des besoins d’intérêt local ». Depuis octobre 2007, plusieurs arbitrages favorables aux infrastructures routières ont en outre corroboré ce revirement de stratégie – autoroute A 65 entre Pau et Langon, contournement de Strasbourg etc. Il faut revoir ces projets et les projections de trafic à l’aune d’un nouveau contexte énergétique car ils risquent de devenir des gouffres financiers si la demande n’est pas au rendez-vous. La politique durable des transports doit optimiser l’utilisation des réseaux et équipements existants par des mesures d’exploitation et des tarifications appropriées.

Plusieurs engagements du Président de la République et du Grenelle de l’environnement ne figurent pas non plus dans le texte en matière de transport de marchandises. Ainsi a disparu de l’article 10 l’objectif de ramener l’ensemble du fret non routier de 14 % aujourd’hui à 25 % en 15 ans. L’augmentation de la part du fret ferroviaire de 25 % d’ici 2012 s’est quant à elle transformée en « part du fret non routier », ce qui diminue mécaniquement l’objectif sur le fret ferroviaire compte tenu du développement prévisible du fret fluvial et maritime. Il est par ailleurs fondamental de réaffirmer comme priorité la nécessaire mise à niveau préalable du réseau ferroviaire classique existant. A disparu également l’objectif de transférer deux millions de camions de la route vers le rail en 2020 – soit 50 % du trafic et, à terme, son intégralité. Il est par ailleurs important d’inclure dans cet article l’objectif de retirer des routes un million de camions d’ici 2020 grâce à un plan d’investissement massif dans les liaisons fluviales. Le texte repousse par ailleurs la mise en place de la taxe kilométrique sur les poids lourds de 2010 à 2011. Il conviendra également de remplacer « pourra » par « sera mise en place ». Pire encore : le projet ne comporte aucune précision sur les critères de calcul et l’affectation de cette taxe qui devrait aller à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) afin de développer les alternatives à la route.

Le RAC regrette, à l’article 11, la disparition de l’étude d’une taxation du kérosène sur les lignes intérieures et il est opposé à l’inclusion du secteur aérien dans le marché de quotas actuellement réservé aux secteurs industriels et énergétiques.

Dans l’article 12, la politique durable des transports urbains et périurbains doit inscrire l’amélioration de la gouvernance actuelle des transports et, notamment, l’évolution des compétences des autorités organisatrices concernant les « péages urbains » et la « gestion du stationnement ». Le code de la rue a été par ailleurs transformé en « charte des usagers de la rue » et l’actualisation de l’éco-pastille a disparu. Il conviendrait également de rajouter la défense de l’objectif communautaire de 120 g contre 130 g de CO2 par kilomètre pour les véhicules neufs d’ici 2012. L’industrie automobile française, qui emplois 300 000 personnes aurait intérêt à cesser de « jouer la montre » en proposant des véhicules moins « énergivores » au lieu de chercher à imposer des véhicules toujours plus gros. Les collectivités territorialités ont souhaité développer les transports collectifs en sites propres (TCSP) afin de les porter, en 15 ans, de 329 à 1 800 kilomètres et contribuer ainsi, avec l’État, au désenclavement des quartiers sensibles. Or, les aides de l’État pour le financement des 1 500 kilomètres de lignes nouvelles de TCSP sont considérablement réduites puisqu’elles passent de 4 à 2,5 milliards. Enfin, un paragraphe doit être introduit sur les financements nouveaux et, notamment le versement transport.

L’article 14 fixe les principes de la politique des transports inscrits dans la loi d’orientation sur les transports intérieurs (LOTI) mais il faut y inclure l’intérêt général pour le développement du fret ferré, maritime et fluvial.

L’article 15 concerne le comité interministériel pour l’aménagement du territoire (CIADT) mais il est en recul par rapport à l’engagement 14 du Grenelle. Il avait en effet été décidé de « réaliser d’ici mars 2008 en concertation avec les parties prenantes le schéma national des nouvelles infrastructures de transport » ; ce point est devenu dans le projet : « A titre expérimental, un groupe de suivi des projets d’infrastructures majeurs est mis en place jusqu’en 2013. » Non seulement l’objectif de révision du schéma national avant mars 2008 n’a pas été respecté mais, en plus, la réalisation de cette révision écarte les parties prenantes du Grenelle. La loi ne permet pas d’avoir une bonne lecture du processus définissant le schéma national des infrastructures, contrairement aux engagements du Grenelle qui prévoyait une révision du CIADT de décembre 2003 avec les parties prenantes. Le texte doit également préciser un calendrier pour la réalisation d’un nouveau schéma et préciser les modalités avec lesquelles tous les projets d’infrastructures soumis à enquête publique seront examinés par les cinq collèges du Grenelle. Enfin, la mise à niveau préalable et nécessaire du réseau ferroviaire classique existant et le développement du transport ferroviaire régional – modernisation et amélioration de l’intermodalité – ne figurent pas non plus dans le projet.

Le chapitre IV, consacré à l’énergie, devrait être cohérent avec l'engagement de la France au niveau européen, ce qui suppose que l’on porte à 23 % la part d’énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie d'ici à 2020. Le texte propose un objectif de seulement 20 %.

À l’article 16, pourquoi l’interdiction des lampes à incandescence n'est-elle plus programmée dans le temps ? On constate également un net affaiblissement en ce qui concerne le bilan des consommations énergétiques et émissions de gaz à effet de serre pour les personnes morales employant plus de 250 salariés d'ici à 2013. Nous sommes passés d'une « obligation » à « l'étude d'une possibilité par l'État ».

Il faut introduire dans le I de l’article 17 un engagement consensuel du Grenelle sur le nucléaire : « La part du nucléaire sera adaptée à la baisse de la demande en électricité et la montée en puissance des énergies renouvelables. » D'autre part, le RAC demande que toute exportation de technologie nucléaire civile ou tout projet de coopération nucléaire civile fasse l'objet d'un vote au Parlement.

Dans le II du même article, une phrase sur les énergies renouvelables devrait être supprimée : « Le développement des énergies renouvelables ne peut se faire au détriment des autres objectifs du développement durable, et en particulier des autres objectifs environnementaux. » Non seulement il faut maintenir le système du tarif d'achat, mais il faut l’étendre à toutes les énergies renouvelables électriques et le renforcer en créant un fonds chaleur renouvelable.

L’article 18 oublie le problème que pose le développement des agrocarburants au regard du « défi alimentaire » mentionné par Nicolas Sarkozy. Pourtant, les pays les plus en difficulté ont dit et redit au congrès de la FAO – Food and Agriculture organization – à Rome le 5 juin 2008 que la remise en question des politiques de développement des agrocarburants devait être immédiate. L'obligation d'expertise exhaustive et contradictoire du bilan écologique et énergétique des agrocarburants est un minimum dans cette perspective. Il convient donc de la réintroduire dans cet article.

L’article 19 prévoit le financement par des fonds publics de la recherche sur le captage de CO2. Pour le RAC, ce n'est pas une priorité : nous sommes là très en dehors du compromis du Grenelle.

Le processus du Grenelle a suscité tour à tour enthousiasme et scepticisme. Nous assistons aujourd'hui à la concrétisation des conclusions de cette mise à plat des urgences écologiques et de la co-construction d'un projet d'avenir écologique et durable. Cependant, le projet de loi de programme a le goût du Grenelle, la couleur du Grenelle, mais n'est pas la fidèle traduction du Grenelle.

Au-delà de la question de sa fidélité aux 273 mesures, le texte que le Parlement a désormais entre les mains annonce-t-il une réorientation majeure de l'économie et des politiques publiques vers la lutte contre les changements climatiques, la protection de la biodiversité et la santé des personnes ? Oui, assez.

Propose-t-il une mise en œuvre cohérente avec les objectifs affichés ? La réponse est non.

Constitue-t-il la rupture annoncée ? Là encore, la réponse est non.

Ce texte est désormais un matériau que le Parlement va examiner, enrichir et auquel il va donner force de loi. Il doit donc préférer les véritables mesures contraignantes aux simples incitations, toujours aléatoires, et prévoir des échéanciers plus ambitieux, plus resserrés, et des budgets en adéquation avec les projets. Bref, il s’agit tout simplement de se donner avec courage les moyens d’ambitions communes.

M. Serge Poignant, vice-président, a remercié Mme Sandrine Mathy pour cette analyse, même si l’on n’est pas forcé de la partager entièrement. La loi de programme sera en effet suivie d’autres lois et de textes réglementaires, et la loi de finances en intégrera certains aspects.

M. Christian Jacob, rapporteur, a félicité le RAC pour son travail. Assurer la coordination d’autant d’associations et de fondations ne doit pas être facile. Si l’on ne partage tous les points de vue, il existe aussi des points d’accord.

Il conviendrait tout d’abord d’éclaircir la question de l’inversion de la charge de la preuve, à laquelle le RAC semble très attaché.

Le RAC invoque une incohérence entre l’objectif de baisse de la consommation d’énergie et celui du développement des énergies renouvelables. Pourquoi ?

Pour ce qui est de la vente aux enchères des droits à polluer, il est en effet préférable de s’orienter vers un système de rachat, fondé sur une économie de marché, plutôt que vers un système de taxations permanentes. Pour autant, cela signifie-t-il que le RAC est favorable à l’élargissement du dispositif aux projets domestiques ? Quelle est sa position sur la perspective de création d’une banque d’achat et de revente ?

Le RAC se réfère à la norme de 50 kilowattheures par mètre carré et par an ; il propose d’aller plus loin que le projet de loi. Ne vaudrait-il pas mieux articuler les contraintes – telle la diminution des émissions de gaz à effet de serre – par un « ou » plutôt que par un « et » ?

Il faut se fixer pour principe, dans la discussion de ce texte, de garder les yeux rivés sur l’objectif des « trois fois vingt » – du reste, porter la part d’énergies renouvelables à vingt-trois ne devrait pas poser de problème majeur –, mais aussi de veiller à ne pas s’enfermer dans une filière plutôt qu’une autre. Le choix de telle ou telle filière ne relève pas de la responsabilité du Parlement : il faut laisser toute leur place à la recherche et à l’innovation. Il est arrivé que l’on se trompe en arrêtant son choix trop rapidement.

Enfin, si l’une des réussites du Grenelle a été d’associer largement les ONG, comment s’assurer de la représentativité réelle de celles-ci et de leur transparence financière ? Le réseau action climat demande-t-il à chacune de ses associations de donner avec précision l’origine de tous ses financements et le mode de rémunération de ses représentants, comme c’est le cas pour les partis politiques ou les organisations syndicales ? Les adhérents sont-ils des personnes ou des groupes industriels ?

Ces questions sont volontairement provocatrices mais, comme le sujet sera immanquablement évoqué, autant l’aborder tout de suite.

M. Serge Poignant, vice-président, a demandé pourquoi le RAC contestait le financement de la recherche sur la captation et le stockage du dioxyde de carbone.

Mme Sandrine Mathy a précisé que le RAC est défavorable à ce que le financement se fasse sur fonds publics car cette technologie ne constitue pas une priorité. Il faut avant tout réduire la consommation d’énergie et développer les énergies renouvelables. En outre, la captation et le stockage ne sont pas encore viables commercialement et entraînent un surplus de consommation d’environ 20 %. Le secteur privé a du reste lancé des projets et va s’emparer du secteur.

M. Christian Jacob, rapporteur, a remarqué qu’il ne s’agissait donc pas d’une opposition de principe mais d’une question de priorité.

Mme Sandrine Mathy a indiqué que des interrogations demeuraient quant à l’impact de la technologie en question : qu’adviendrait-il par exemple en cas de fuite importante et d’émission massive du gaz séquestré ? Dans un pays comme l’Inde, dont le développement repose largement sur le charbon, les sites potentiels de stockage ne sont pas ceux où l’on produit l’énergie. Il faudrait donc transporter le gaz moyennant des surcoûts importants.

Concernant l’inversion de la charge de la preuve, on se reportera au discours du Président de la République : « Deuxième principe : nous allons renverser la charge de la preuve. Ce ne sera plus aux solutions écologiques de prouver leur intérêt. Ce sera aux projets non écologiques de prouver qu’il n’était pas possible de faire autrement. Les décisions dites non écologiques devront être motivées et justifiées comme ultime et dernier recours. C’est une révolution dans la méthode de gouvernance de notre pays totale et nous allons appliquer immédiatement ce principe à la politique des transports. Le Grenelle propose une rupture, eh bien, je propose de la faire mienne. La priorité ne sera plus au rattrapage routier mais au rattrapage des autres modes de transports. » Pour le RAC, le projet de loi n’est pas conforme à ces affirmations.

Pour ce qui est de l’articulation entre le développement des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, il faut considérer que le premier des deux objectifs constituera une part de la consommation d’énergie finale. Plus cette consommation sera élevée, plus la capacité en production d’énergie renouvelable devra être élevée pour atteindre 23 %. Si l’on met en œuvre des mesures d’efficacité énergétique, la consommation finale sera moindre et il sera plus facile d’atteindre l’objectif. C’est une simple règle de trois.

M. Christian Jacob, rapporteur, ayant fait valoir que le texte ne comporte pas d’incohérence sur ce point, Mme Sandrine Mathy a relevé que l’objectif n’est que de 20 % alors que celui de l’Union européenne sera de 23 %.

Mme Marie-Anne Robert-Kerbrat a ajouté que cela revenait à entériner une augmentation énergétique annuelle d’environ 20 mégateps – millions de tonnes équivalent pétrole. Si la France reprend la proposition de la Commission européenne, et l’on imagine mal qu’elle ne le fasse pas, l’équation sera neutre entre l’effort d’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables.

Mme Sandrine Mathy a souligné que beaucoup d’engagements en matière d’efficacité énergétique ne se retrouvent pas dans le texte : ainsi l’interdiction des lampes à incandescence, le renforcement de l’efficacité des appareils électriques, etc.

S’agissant de la mise aux enchères des quotas d’émission, il existe deux positions antagonistes. De nombreuses études économiques démontrent que cette mise aux enchères n’a pas d’incidence primordiale sur la compétitivité des entreprises. La menace de délocalisation brandie par les industriels n’est pas crédible. D’autre part, les industriels du secteur de la production électrique ont répercuté dans leurs prix le coût virtuel des quotas gratuits dont ils ont bénéficié. On a ainsi créé une rente.

Le RAC est favorable à une mise aux enchères de 100 % des quotas et à une affectation du produit – qui peut s’élever à 40 milliards de dollars par an – pour moitié aux entreprises sous forme d’incitations à la mise en œuvre de mesures d’efficacité énergétique, et pour moitié en aide à la réduction d’émissions dans les pays émergents et les pays en développement.

M. Serge Poignant, vice-président, a rappelé que les nouveaux entrants sur le marché de l’électricité ont besoin des quotas gratuits et que ceux-ci sont d’ailleurs prévus dans le deuxième plan national d'affectation des quotas. Si l’on soumettait 100 % des quotas aux enchères, il est probable que les industriels ne réaliseraient pas tous les investissements souhaitables.

Mme Sandrine Mathy a ensuite évoqué la norme de 50 kilowattheures par mètre carré et par an. Dans le texte, ce seuil est lié aux émissions de gaz à effet de serre induites. L’approche du RAC ne se limite pas à cet aspect : certains ménages ont la moitié de leur revenu qui part dans le logement, le chauffage et les transports. La priorité est donc de limiter la consommation énergétique quoi qu’il en soit. Or on continue d’équiper de chauffage électrique les trois quarts des constructions neuves, ce qui se révèle ensuite très coûteux. Il ne faut considérer le problème sous le seul angle du changement climatique.

M. Christian Jacob, rapporteur, a affirmé qu’il partageait ce point de vue et que sa proposition d’articuler les contraintes par un « ou » allait dans ce sens. La ligne directrice du rapport sur le projet de loi sera de ne pas privilégier une filière par rapport à une autre : seuls les résultats comptent.

M. Serge Poignant, vice-président, a insisté sur la nécessité d’assurer la formation de professionnels. Dans le domaine de l’habitat, il faut raisonner globalement et prendre un « bouquet » de mesures, sans quoi la mise de fonds publics ne sera pas efficace.

Mme Marie-Anne Robert-Kerbrat a approuvé l’expression de « bouquet ». Il importe de mettre toutes les politiques à disposition.

En matière de formation, il était prévu au départ de consacrer des budgets importants à la formation professionnelle continue. Cela a disparu du projet. Or les métiers de la rénovation du bâtiment ne peuvent reposer sur la seule formation initiale. Le taux de renouvellement des ouvriers, artisans et architectes est d’environ 8 %. Si l’on ne fait que de la formation initiale, non seulement il sera difficile de lutter contre cette force d’inertie pour modifier les pratiques, mais on se retrouvera aussi dans une situation où les jeunes détiendront un nouveau savoir-faire et où les anciens, qui pourtant adorent leur métier et s’y investissent pleinement, se sentiront en décalage. Cela s’est constaté dans bien d’autres métiers. En privilégiant la formation continue, on peut espérer constituer une force de frappe professionnelle homogène, solidaire et de qualité. Le RAC entend mobiliser aussi les régions sur ce sujet.

Mme Sandrine Mathy a ensuite abordé la question de la représentativité et de la transparence du financement des ONG, qui a fait l’objet d’un rapport récent. Le réseau action climat met en ligne tous les documents permettant de juger de ces aspects. En outre, un comité opérationnel s’occupe des questions de représentativité dans le cadre du Grenelle.

M. Christian Jacob, rapporteur, a précisé que la loi de programme serait l’occasion de favoriser le dialogue avec les ONG. Dès lors que l’on entre dans cette logique, il faut aborder le sujet de leur représentativité et de leur financement. Ces deux aspects sont strictement encadrés pour la classe politique et les syndicats. Comment s’assurer que les ONG et les fondations ont la même transparence ? Le RAC, que la commission a tenu à entendre en priorité car il rassemble un grand nombre de ces entités, est-il prêt à aller vers une obligation de transparence totale en matière de financement ? Il est important, lorsque l’on auditionne une ONG, de savoir comment et par qui elle est financée et si elle représente tel ou tel groupe industriel ou de simples adhérents et cotisants.

Mme Marie-Anne Robert-Kerbrat a rappelé que la plupart des associations sont reconnues d’utilité publique, ce qui signifie que les cotisations et dons sont déjà encadrés et transparents. Présenter un bilan de fin d’année ou la liste des adhérents – il en faut au moins 250 pour être reconnu d’utilité publique – ne pose pas de problème. D’ailleurs, il existe des organismes qui réalisent des annuaires de toutes les ONG du monde en spécifiant le nombre d’adhérents, le budget, les ressources, l’affectation des dépenses. Sans doute la difficulté tient-elle plus à la communication : ces données restent dans le cercle assez fermé des ONG environnementales et des fondations de protection de l’environnement.

Cela étant, il faut évidemment faire le tri entre certaines associations qui sont les porte-parole déguisés de groupes industriels et celles qui relèvent du code de l’environnement, s’adressent au grand public et sont censées représenter l’opinion publique.

Pour ce qui est de l’objectif de réduire les consommations d’énergie du parc des bâtiments existants d’au moins 38 % d’ici à 2020, il faut rappeler l’expérience du premier programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole – PMPOA –, qui avait fixé le principe d’une réduction globale des pollutions pour améliorer la qualité des eaux. Cela s’est révélé une catastrophe. On a engagé des sommes considérables en les saupoudrant : dans un même bassin versant, certaines exploitations ont été aidées mais pas d’autres, si bien que l’on n’a nullement reconquis la qualité des eaux. On a ainsi gâché beaucoup d’argent. C’est pourquoi le deuxième PMPOA a ciblé des bassins versants et a obtenu des résultats.

L’objectif général de 38 % est une bonne chose mais cela n’empêche pas de dire comment on s’y prend pour y arriver : par exemple la rénovation de x milliers de logements par an, etc. Ces deux aspects ne se contredisent pas. Au contraire, l’un est le gage de l’autre.

Revenant sur l’exemple du PMPOA, M. Christian Jacob, rapporteur, a remarqué que l’on a corrigé le tir au fur et à mesure pour en arriver aujourd'hui à une vraie efficacité. L’important est de ne pas choisir a priori telle ou telle filière.

Dans le cas de l’Inde ou de la Chine, le stock de charbon existe et sera vraisemblablement consommé. S’il existe des méthodes qui permettent de réduire de façon significative les pollutions et émissions que cela entraînera, autant les utiliser !

M. Serge Poignant, vice-président, a remercié les intervenantes pour cet échange intéressant.

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