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Commission
des affaires économiques, de
l’environnement et du territoire
La commission a examiné le rapport sur l’application de la loi n°2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (M. Jacques Kossowski, rapporteur, et M. Maxime Bono, rapporteur-adjoint).
Avant de passer à l’examen du rapport sur l’application de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres de voyageurs, le Président Patrick Ollier a tenu à souligner la diversité et la richesse des sujets traités par la commission des affaires économiques, estimant qu’il appartenait à chaque commissaire de se saisir des possibilités ouvertes par le vaste champ de compétence de la commission pour s’investir et obtenir des résultats concrets. La diplomatie économique est un domaine passionnant et les voyages réalisés par la commission dans ce cadre portent leurs fruits : ils ont ainsi permis l’obtention de 2 millions d’euros pour le Laos ou encore l’envoi de hauts fonctionnaires en Mongolie pour contribuer à la rédaction du code minier local.
Le développement des activités de contrôle de l’application de la loi, pour lequel la commission des affaires économiques a été pionnière en systématisant la mise en œuvre de rapports d’application six mois après la promulgation des textes et en confiant cette activité, par essence non partisane, à deux parlementaires, de la majorité et de l’opposition, constitue également un axe majeur d’intervention pour les députés de la commission. MM. Jacques Kossowski et Maxime Bono vont nous présenter les conclusions de leurs travaux sur le travail minimum garanti, sujet sur lequel la commission travaille depuis trois ans, mais qui s’est trouvé récemment mis en lumière par les événements de la gare Saint-Lazare.
M. Jacques Kossowski, rapporteur. Parfois improprement appelée loi sur le service minimum, la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres de voyageurs a été plutôt bien appliquée. Elle a été respectée par les salariés, ce qui, rappelez-vous, n’allait pas toujours de soi en 2007. Elle a contribué à accroître le dialogue social et à consolider les acquis de la négociation collective à la RATP et à la SNCF. Ce sont les expériences menées dans ces deux entreprises qui ont inspiré la commission Mandelkern, puis le législateur. Cette loi a également atteint un autre de ses objectifs qui était d’améliorer la prévisibilité du trafic en cas de grève, en rendant obligatoire une déclaration d’intention de faire grève 48 heures avant. Elle a aussi amélioré le service assuré aux usagers en cas de grève. Vous trouverez dans le rapport un certain nombre de statistiques à l’appui de ce constat. Le bilan de l’application de cette loi que nous avons réalisé montre bien qu’elle a su concilier deux principes d’essence contradictoire, d’une part le droit de grève et, d’autre part, la continuité du service public, ces deux principes étant de valeur constitutionnelle.
La loi n’a pas pour autant atteint les objectifs qu’elle ne s’assignait pas. Elle n’a tout d’abord pas créé, je le répète, de service minimum, lequel suppose l’usage du droit de réquisition, qui est une voie ni praticable ni justifiable. La loi n’avait pas non plus pour objet de réglementer les grèves illégales. Le droit positif permet, d’ores et déjà, en tant que de besoin, de sanctionner un usage abusif du droit de retrait, souvent abusivement invoqué, pour justifier des grèves émotionnelles à la suite, en particulier, d’agressions de conducteurs. En réalité, je le développerai tout à l’heure en présentant nos propositions, le principal remède à apporter à ces situations de crise consiste à traiter les problèmes de sécurité de la manière la plus efficace possible. La loi de 2007 n’avait pas non plus vocation à régler les questions liées à l’insuffisance d’investissements. Sans que ce soit le seul cas en France, il est clair que c’est une des causes des problèmes rencontrés sur le RER en Île-de-France.
Nous avons constaté des détournements de la loi contraires à son esprit sinon à sa lettre. La question la plus médiatique est celle des grèves de courte durée, souvent appelées dans la presse « grèves de 59 minutes ». Elles ont pour effet de désorganiser assez profondément le transport pour un coût très limité pour le gréviste. La seule solution juridiquement envisageable serait de rétablir une règle de non proportionnalité entre la durée de la grève et la sanction. Cette pénalité pourrait être égale à la demi-journée ou à la journée entière. C’est la règle du trentième indivisible appliquée dans la fonction publique d’État. Juridiquement, la jurisprudence du Conseil constitutionnelle permettrait probablement d’appliquer cette règle à des catégories précises de personnel, ainsi les conducteurs. Nous ne pensons pas que cela soit une bonne solution. En premier lieu, cela rendrait systématique les grèves de 24 heures. Or, en dehors des conducteurs, les grèves de courte durée, par exemple aux guichets, ne sont pas très pénalisantes pour l’usager.
Mais comme pour les autres détournements de la loi, notre position est une position de principe. Légiférer dans l’urgence et la précipitation parce que des événements inacceptables ont eu lieu gare Saint-Lazare ou à Nice constituerait une triple erreur. Une erreur de méthode tout d’abord. La loi n’a qu’un peu plus de dix-huit mois d’existence. Elle est aujourd’hui globalement acceptée. Il faut lui laisser le temps de vivre. Les solutions durables sur le long terme supposent qu’elle soit acceptée socialement.
Cela constituerait ensuite une erreur de diagnostic. Légiférer immédiatement est une bonne solution si l’on pense que l’on réduira ainsi les conflits. En l’espèce, outre que toute modification de cette loi conduirait probablement au résultat inverse, cela serait surtout méconnaître les causes du problème. Une des causes majeures des problèmes rencontrés tient à la complexité du dialogue social dans ce secteur et à la difficulté éprouvée par ses acteurs pour faire face au changement. Nous avons constaté un sentiment de perte de repères des salariés dans un contexte en pleine mutation. La peur de l’avenir, et de l’ouverture à la concurrence en particulier, est très forte. Il est tout aussi certain que, du fait de son caractère national, la SNCF constitue une très grosse structure, avec un pouvoir assez concentré, qui ne facilite pas toujours le dialogue au niveau adéquat. Il est aussi avéré que beaucoup d’entreprises éprouvent des difficultés à faire face aux attitudes et aux attentes de leurs jeunes salariés.
Ce serait enfin une erreur politique de légiférer dans la précipitation. Les changements de règles trop fréquents ne pourraient qu’inciter les partenaires sociaux à rester dans l’expectative.
M. Maxime Bono, rapporteur adjoint. La loi dont nous examinons l’application n’a pas été votée par le groupe socialiste et les critiques que celui-ci avait émises à l’époque de l’examen du texte restent toujours valables. Le constat fait ici n’y change rien. Il convient néanmoins de souligner que la loi a été acceptée par les partenaires sociaux et par les salariés, comme en témoignent les chiffres de la RATP pour l’année 2008 : sur 3051 grévistes, seuls 63 n’ont pas déféré à l’obligation qui leur était faite par la loi de déclarer leur intention de faire grève. Le texte a également au un impact positif sur le dialogue social et la diminution de la conflictualité. Dans les transports, le nombre de journées perdues en raison de conflits sociaux est le plus bas depuis quatre ans. Enfin, il a également eu un effet bénéfique sur la prévisibilité des mouvements de grève et l’information des usagers des services de transport, et a permis de conforter les accords qui avaient été signés à la RATP dont il s’était d’ailleurs inspiré.
Toutefois, il ne faut pas se tromper de cible : les principales causes des désagréments subis par les voyageurs ne sont pas liées à la grève. Le sous-investissement dans l’entretien du réseau est le premier responsable. Aujourd’hui encore, une rupture de caténaire a entraîné d’importantes difficultés sur le réseau SNCF. Ce type de difficultés est en revanche inconnu au Japon, qui investit 2,5 fois plus que la France en la matière. Rappelons également que les causes de retard à la RATP sont dans l’ordre : les suicides, les signaux d’alarme tirés intempestivement, les malaises de voyageurs et les colis suspects. Enfin, il ne faut pas sous-estimer le rôle des conflits sociaux qui surviennent hors du cadre légal de la grève, comme l’utilisation abusive du droit de retrait, qui doit être conditionné à un danger grave et imminent, et les grèves dites « émotionnelles » qui peuvent paraître légitimes dans leur contexte mais ne correspondant pas à la définition légale de la grève. Il appartient alors aux entreprises concernées de prendre leurs responsabilités. Concernant le rôle de l’Etat, j’estime que dans le cadre de la relance économique, les investissements dans les transports urbains et péri-urbains devraient être encouragés. En effet, même si ceux-ci n’ont pas d’impact immédiat, ils permettraient néanmoins de donner des perspectives à des bureaux d’études et de contribuer à ancrer sur le territoire national l’activité d’entreprises fournissant le matériel nécessaire à l’élaboration d’infrastructures de transports.
En conclusion, le principal intérêt de la loi réside dans le dialogue social qu’elle a permis de renouer. Il ne faut donc pas la modifier dans l’immédiat mais lui laisser le temps d’entrer pleinement en application.
M. Jacques Kossowski, rapporteur. Notre première proposition consiste à créer un observatoire des relations sociales dans les transports terrestres. Il serait chargé de constater l’état du dialogue social dans les transports terrestres tout en procédant à un examen impartial de la situation dans telle ou telle entreprise qui connaîtrait une situation difficile. Nous nous inspirons de manière assez libre des travaux de la commission Mandelkern. Dans un premier temps, cet organisme n’aurait qu’une durée temporaire. Son président pourrait être nommé par décret et il serait entouré d’un collège composé de personnalités compétentes qu’il aurait choisies lui-même. Afin d’éviter que cet organisme ne soit instrumentalisé par tel ou tel parti, il ne serait en aucune manière obligé de répondre aux sollicitations. J’en profite pour dire un mot de la médiation qui ne nous paraît pas devoir être plus développée qu’elle ne l’est actuellement. Nos interlocuteurs ont bien souligné qu’utilisée de manière autre que ponctuelle, cette solution avait le grave inconvénient de déresponsabiliser les partenaires sociaux. Certains ont ajouté qu’il était aisé d’instrumentaliser un médiateur.
Notre deuxième proposition consiste à renforcer le dialogue social sur la sécurité. Beaucoup de grèves illégales sont en fait des grèves émotionnelles liées à des questions de sécurité. Or, la rumeur tient parfois lieu d’information et favorise les pires dérives. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit lors des événements du mois de janvier à la gare Saint-Lazare. Il est donc essentiel que l’information exacte soit diffusée le plus vite possible à tous les agents concernés afin que la rumeur ne soit amplifiée et ne tienne lieu d’information. Il faut ensuite assurer la prise en charge la plus efficace possible des agents victimes d’une agression. Il faut aussi préparer les conducteurs aux situations tendues auxquelles ils sont parfois confrontés. Il est enfin souhaitable d’accentuer le rôle du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) et du CLS (comité local de sécurité) sur ces questions tout en développant les négociations et les accords collectifs au niveau de chaque entreprise sur le sujet. Lors de l’entretien que nous avons eu avec M. Dominique Bussereau, celui-ci nous a fait part d’une piste à laquelle il réfléchissait et qui nous a paru intéressante. Il s’agirait de prévoir la possibilité pour les usagers de faire part de leur soutien au personnel victime d’une agression, par exemple sur un site internet ouvert à cette fin ; l’entreprise pourrait ainsi susciter chez ses clients de l’empathie à l’égard des personnes agressées qui recevront de cette manière le témoignage de leur solidarité.
La troisième proposition consiste à renforcer le dialogue avec les usagers.
Nous proposons en quatrième lieu d’engager des négociations collectives dans toutes les entreprises relevant du champ de la loi afin de faire en sorte, même si cela est difficile, que lorsque le service du matin a été assuré, celui du soir le soit aussi.
Notre cinquième proposition consiste à souhaiter que par la voie conventionnelle soit interdit tout nouveau préavis, quel qu’en soit le motif ou l’origine avant l’expiration des négociations.
La sixième proposition est de poursuivre activement la politique de décentralisation et de déconcentration engagée à la SNCF. Les directeurs de ligne ou de réseau devraient ainsi être dotés de plus de pouvoirs en matière de négociation.
En septième lieu, il est impératif de définir des indicateurs permettant de suivre sur le long terme l’application de la loi. Il pourrait par exemple s’agir, ligne par ligne, réseau par réseau, de la comparaison entre le service assuré en temps normal et le service en cas de perturbation.
Enfin, c’est notre dernière proposition, nous souhaiterions revenir devant vous d’ici la fin de l’année prochaine afin de dresser un bilan de l’application de nos préconisations et de l’évolution du dialogue social et de la conflictualité en France. En effet, Maxime Bono et moi-même avons formulé un certain nombre de propositions dans ce rapport et sommes tombés d’accord sur la nécessité de ne pas toucher à la loi et ne pas avoir recours à la réquisition. Que le ministre nous suive ou pas, il nous paraît important de pouvoir continuer la réflexion ainsi engagée.
M. Maxime Bono, rapporteur adjoint. Les auditions que nous avons conduites ont été très fertiles, précisément parce que nous avions annoncé nos intentions dès le début. Le dialogue aurait été tronqué si nous avions affiché l’objectif de modifier la loi.
M. le Président Patrick Ollier. J’accepte bien volontiers votre huitième proposition. Votre binôme doit continuer à travailler, sa mission doit se poursuivre, et le lien avec les partenaires sociaux et les responsables des entreprises doit être maintenu. L’administrateur de la SNCF que je suis souscrit à votre constat de la nécessité d’une plus grande proximité et d’une régionalisation ; or ces évolutions se heurtent à d’énormes réticences, liées à une culture syndicale ancienne. Vous devez jouer le rôle de « médiateurs permanents » jusqu’à votre prochain rapport, car toutes les questions ne sont pas réglées. M. Yannick Paternotte est responsable du groupe de travail sur le fret ferroviaire, je vous encourage à vous rapprocher et à travailler de concert. Notre rôle est de pousser à ce que des solutions soient trouvées, et, s’agissant d’une entreprise publique, nous nous devons d’exercer nos responsabilités.
M. Michel Havard. Je me félicite de cette initiative du Président Ollier, qui nous permet de jouer pleinement notre rôle non seulement dans le vote de la loi, mais aussi dans son évaluation et son contrôle, en particulier s’agissant d’un sujet aussi sensible que le service garanti.
Le rapport qui nous est présenté met en évidence trois éléments positifs : le premier concerne l’acceptation de la loi par les salariés des entreprises de transport ; le second a trait au dialogue social, incontestablement favorisé par ses dispositions. Il s’agit là d’un facteur essentiel et d’un signe très encourageant. Troisième élément : l’amélioration de la prévisibilité du trafic pour les usagers. Le sentiment d’être « pris en otage » est ressenti moins fortement qu’auparavant ; la bonne application de la loi contribue à faire baisser les tensions sociales, sans mettre en cause le droit de grève.
S’agissant des propositions du rapport, je suis assez réservé sur la création d’un observatoire, et la mission que le Président Ollier propose d’assigner aux deux rapporteurs me parait de nature à assurer le nécessaire suivi de la conflictualité et du dialogue social.
Par ailleurs, le renforcement du dialogue social sur la sécurité constitue en effet une étape essentielle. Comment ces discussions peuvent-elles s’engager ?
Enfin, il me parait essentiel de donner du temps au temps. Laissons vivre ce texte, qui a déjà produit de nombreux effets positifs.
M. le Président Patrick Ollier. Si les rapporteurs ne parviennent pas à obtenir du Gouvernement la création d’un tel observatoire dans un délai raisonnable, je pourrai transformer leur mission en comité de suivi, qui pourrait se réunir deux à trois fois par an, avec les partenaires sociaux, par exemple.
M. Daniel Paul. Nous avons longuement débattu de cette loi, certains s’y sont opposés, mais maintenant qu’elle est votée, il ne me parait pas outrancier de juger la manière dont elle s’applique.
Les rapporteurs l’ont fait en parvenant à conjuguer leurs différences pour aboutir à une vision cohérente.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, le cœur du problème n’est pas lié aux grèves. Ainsi sur la ligne Le Havre/Paris, de nombreux retards sont encore recensés, mais sont moins liés aux conflits sociaux qu’aux aléas de trafic ou d’infrastructure. Ce sont ces incidents qu’il faut réduire.
En outre, je me trouvais dans le train lorsqu’est survenu le problème en gare Saint Lazare ; l’annonce de l’arrêt du train à Mantes n’a pas soulevé de protestation parmi les voyageurs, et permettre aux usagers de manifester leur solidarité me semble une très bonne idée. En revanche, la « balade » du train en petite couronne parisienne a exaspéré les voyageurs.
J’observe que les moyens nécessaires ne sont pas mis en œuvre. Les craintes des personnels sur l’ouverture du trafic à la concurrence, les évolutions métier et les incertitudes diverses sont légitimes, et ne trouvent pas de réponse.
Or, sans réponse, les agents auront le sentiment d’être agressés.
La sagesse commande de ne pas aller plus avant dans le renforcement de la loi, sous le coup de l’émotion, ce qui serait vécu par les agents comme une provocation.
S’agissant des suicides, peut être devrions nous nous inspirer d’exemples étrangers, car dans d’autres pays le trafic n’est pas arrêté comme il l’est en France.
Enfin, une question demeure : qu’une pause législative sur ce sujet soit préconisée, je m’en félicite. Il n’en reste pas moins que l’objectif qui sous-tendait cette loi, c’est-à-dire réglementer encore plus le droit de grève, demeure. Nous restons donc vigilants.
Une dernière observation : s’il y a moins de grévistes, les non grévistes concourront ainsi plus efficacement au transport des grévistes, assurant ainsi le succès des manifestations !
M. Philippe Meunier. Je souscris au constat qu’il convient de ne pas légiférer de nouveau sur la question du service garanti. Mais il faut tout de même appliquer la loi, en particulier pour ce qui concerne le « droit de retrait ». Celui-ci n’est légal qu’en cas de « motif raisonnable ». Créer un observatoire social, stimuler le dialogue sur la sécurité sont des objectifs légitimes, mais nous devons également veiller à la l’application de la loi et apprécier la légitimité des motifs des grèves.
En outre, la voie conventionnelle préconisée par les rapporteurs me semble la meilleure voie possible, même si la voie législative peut s’y substituer en cas d’échec.
M. Daniel Boisserie. Je tiens à féliciter à mon tour le président Ollier d’avoir pris cette initiative qui place notre commission à l’avant-garde du débat sur ces questions. Permettez-moi aussi de dire qu’après déjà deux mandats, je suis lassé d’entendre toujours parler de « majorité » et d’« opposition ». Il y a certes une majorité présidentielle et une opposition – laquelle ne s’oppose du reste pas systématiquement – mais lorsqu’il s’agit de faire avancer des dossiers essentiels, il est toujours bon que les différentes sensibilités travaillent ensemble. Merci par conséquent au président Ollier de nous permettre de travailler dans un climat apaisé et constructif…
M. le président Patrick Ollier. Puisse notre commission continuer d’être un îlot de sérénité dans l’Assemblée nationale !
M. Daniel Paul. N’exagérons rien !
M. Daniel Boisserie. Comme cela a été dit, nombre d’incidents sont liés au mauvais entretien du réseau et des matériels roulants, lui-même imputable à des années de sous investissement. Alors que le plan de relance va entrer en application, est-il prévu d’y remédier ? Il semble que RFF a relâché son effort et la situation n’est pas meilleure dans le transport aérien où certaines compagnies exploitent une flotte dont l’état est parfois inquiétant.
S’agissant de l’observatoire des relations sociales dans les transports terrestres, j’ai bondi en entendant que le président choisirait librement tout son entourage. Il ne faut pas retenir une approche aussi verticale ! Prenons garde aussi à ce que ce président n’en profite pas pour placer ses copains car pour que l’instance soit efficace, il faut que sa composition soit équilibrée.
Enfin, j’appelle l’attention sur le manque d’information sur les vols annulés dans les aéroports, même si cela ne relève pas directement du présent rapport.
Mme Françoise Branget. Il est vrai que les tensions sociales parmi les personnels reflètent aussi une inquiétude sur le devenir d’un service public en profonde mutation. A cet égard, comment les rapporteurs appréhendent-ils l’ouverture à la concurrence, tant pour le fret que pour le transport de voyageurs ? Comment faire en sorte que cette évolution inéluctable soit anticipée dans la sérénité ? Vous avez insisté à juste raison sur la dimension émotionnelle des problèmes et je serais heureuse de vous entendre à ce sujet.
M. Jacques Kossowski, rapporteur. Maxime Bono ne me démentira pas lorsque je dis que nous souhaitons que l’observatoire des relations sociales soit totalement indépendant. D’accord, Monsieur le président Ollier, pour le rencontrer très régulièrement mais il faut que nous restions à l’extérieur, ne serait-ce que pour ne pas lui donner un caractère trop politique.
S’agissant du choix du président, nous pourrions retenir la procédure qui a été suivie récemment pour désigner le président de l’Autorité de la concurrence. La commission pourrait émettre un vote, par lequel elle choisirait une personnalité reconnue et incontestable. Après, le président est libre de s’entourer comme il le veut.
J’estime que le député n’est plus dans son rôle s’il tend à s’immiscer dans les affaires internes des entreprises. Comme me l’a dit le président Ollier en me délivrant ma lettre de mission, nous avons vocation à nous comporter en juge d’instruction pour mettre au jour certaines réalités, pas à participer à la gestion quotidienne des entreprises. La qualité de notre intervention tient aussi à sa rareté. C’est pourquoi je préfère la formule d’un observatoire extérieur, dont le président serait nommé par décret après avis des parlementaires.
M. le président Patrick Ollier. Comprenez bien le sens de mes propos précédents : je n’ai jamais dit qu’il était préférable que notre commission se substitue à l’observatoire que vous proposez de créer. Je dis simplement que si le Gouvernement refuse de la mettre en place, nous avons les moyens de créer cette instance à partir de nos propres forces. Il ne faut pas que le Gouvernement imagine que nous allons renoncer à cette bonne idée si lui-même n’y donne pas suite.
S’agissant de la composition et du périmètre d’action de l’observatoire, je vous engage à être beaucoup plus précis. Il ne faut pas en rester au stade du principe de la création mais en détailler les prérogatives et la composition, de manière notamment à veiller qu’elle soit équilibrée, comme l’a demandé M. Boisserie.
M. Maxime Bono, rapporteur adjoint. A l’instar de M. Kossowski, je considère qu’il est indispensable de créer cet observatoire car les législateurs que nous sommes sont trop parties prenantes dans ces questions pour l’animer en gardant le recul nécessaire.
Ce que nous avons voulu éviter en n’allant pas plus avant dans la description de ses prérogatives et de sa composition, c’est de susciter un système de cogestion classique entre les employeurs d’un côté et les syndicats de l’autre. Ce faisant, l’on tendrait à recréer des postures qui paralysent l’action. Notre idée, c’est de désigner un président incontestable et de lui laisser une certaine marge de manœuvre pour animer l’organe, dont l’indépendance doit être totale.
M. le président Patrick Ollier. Dans la mesure où notre commission est appelée à approuver vos conclusions, je vous demande de modifier ce point en vue de bien orienter l’action du Gouvernement. Il faut fixer le périmètre d’action de l’observatoire, exprimer notre attachement à son indépendance et à l’équilibre de sa composition et demander, comme vient de le faire Jacques Kossowski, que notre commission désigne son président par un vote à bulletin secret.
M. Jacques Kossowski, rapporteur. Nous en prenons bonne note. Pour être tout à fait transparents, nous ne savions pas trop qui mettre autour du président pour ne pas retomber dans les écueils qu’a évoqués Maxime Bono. Mais nous allons prendre le temps d’y retravailler, pour garantir en particulier l’indépendance de la structure.
S’agissant, Monsieur Daniel Paul, des infrastructures et des investissements attendus pour « votre » ligne (sourires), je vous renvoie aux propos qu’avait tenus en son temps Mme Idrac : le renouvellement des motrices coûte 2 milliards pas an ; l’âge moyen du parc doit être ramené de 35 à 5 ans avant 2010, de manière à limiter les incidents techniques. M. Pépy a confirmé que des commandes avaient été passées, notamment pour le fret, et que le programme de renouvellement se poursuivait.
Il faut persévérer dans l’effort d’entretien des réseaux. Pour ce qui concerne l’information dispensée aux voyageurs, nous avons constaté au cours de nos auditions que la situation à la RATP était relativement satisfaisante et que des efforts restaient à accomplir à la SNCF. Chacun est bien conscient du fait que l’information la plus complète possible de l’usager est une priorité.
M. Maxime Bono, rapporteur adjoint. Le vote de la loi de 2007 a donné lieu à certaines formes de détournement du droit de retrait, avec les grèves de 59 minutes et l’alternance de grèves de 24 heures qui désorganisent le service au point de rendre impossible l’établissement de plannings à long terme. Seuls des accords internes aux entreprises permettront de surmonter cette difficulté et il en va de même de la diminution des préavis tournants.
S’agissant plus précisément des mouvements émotionnels, la loi n’autorise pas d’invoquer le droit de retrait, sauf en cas de péril grave et imminent. Tous nos interlocuteurs ont cependant insisté sur les difficultés qui s’attachent à la gestion de tels événements. Il appartient aux entreprises de prendre les décisions qu’elles estiment devoir prendre ; ainsi certaines décomptent les absences fondées sur une invocation abusive du droit de retrait comme illégales.
En droit positif, tous les leviers d’action existent d’ailleurs, mais pour qu’un management conserve sa crédibilité, il doit aussi savoir mesurer la dimension humaine des situations.
M. Philippe Meunier. La situation actuelle n’est pas normale !
M. Daniel Paul. Mais le « remède » serait pire que le mal !
M. Jacques Kossowski, rapporteur. M. Havard a parlé de service minimum garanti mais je rappelle que la loi dont nous sommes chargés de vérifier la bonne application porte sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres de voyageurs. La nuance est d’importance car tendre à garantir un service minimum commanderait de procéder à des réquisitions, ce que nous écartons de nos propositions. Je ne sache pas que les réquisitions de 1963 aient laissé un bon souvenir !
S’agissant de la mise en œuvre du plan de relance, je laisse au président Ollier le soin de préciser les montants.
M. le président Patrick Ollier. Patrick Devedjian a bien confirmé que 4 milliards seront dévolus aux investissements des grandes entreprises publiques, dont 800 millions sous la responsabilité de la SNCF, au titre notamment des réseaux. Quant aux motrices, 60 machines ont d’ores et déjà été commandées et je ne doute pas que la ligne de M. Paul – qui est aussi « celle » de Jacques Kossowski et de moi-même – en profitera aussi. C’est un effort gigantesque !
M. Jacques Kossowski, rapporteur. Madame Branget, vous avez eu raison de soulever la question sensible de l’ouverture à la concurrence du fret et du transport de voyageurs. S’agissant du fret, on se souvient que le président Pépy a choisi de donner plus de temps à l’explication des évolutions programmées. On a aussi des exemples de cahiers des charges d’appels d’offres par lesquels les régions organisatrices de transports ont imposé des clauses sociales, pour exprimer clairement leur volonté de continuité du service et d’organisation d’un service minimum.
Mme Françoise Branget. Excusez-moi, mais entre service garanti et dialogue social, ce n’est pas qu’une question de terminologie : ce qui compte, c’est le service effectivement rendu à la population. L’information, c’est bien mais cela n’est pas suffisant. Ce à quoi nous devons veiller, c’est que la liberté de circuler de l’usager ne soit pas entravée.
M. Maxime Bono, rapporteur adjoint. On l’a vu, les désagréments dont pâtissent les usagers sont liés à bien d’autres phénomènes que les seuls mouvements de grève.
Un mot sur la gestion des mouvements dits « émotionnels » pour dire que les situations sont très variables d’une région à l’autre. Nous avons eu connaissance de cas où le protocole d’accompagnement des agressions de personnels n’avait pas été remis à jour depuis 1998 ! Dans d’autres régions, il y a un effort d’adaptation permanent et les choses se passent mieux.
L’information de l’usager, c’est, Madame Branget, tout à fait essentiel ! Il faut s’en persuader. Au reste, il est fréquent que 50% du service soit assuré et le taux monte parfois à 70%. Mes chers collègues, je souhaite vous rendre attentifs au fait qu’il ne faut pas grossir le problème, même s’il est insupportable lorsqu’il survient. Des progrès sont toujours possibles et je rappelle notamment qu’en Rhône-Alpes, le principe d’assurer le service du soir lorsque celui de matin l’a été est déjà acquis.
M. le président Patrick Ollier. A ce stade du débat, je rappelle que nous avons travaillé sur ce sujet pendant trois ans et que nous sommes arrivés collectivement à la conclusion qu’un bon accord est préférable à une loi qui ne serait pas appliquée. Dans les entreprises dont nous parlons, une loi de contrainte serait la pire des solutions. Voyez l’exemple de l’Italie qui a cru bon de s’engager dans cette voie : envoie-t-on pour autant les carabiniers pour faire redémarrer les trains ? Il faut tenir compte de la culture des entreprises dont il s’agit avant de proposer des solutions toute faites.
Nos rapporteurs ont bien travaillé et j’approuve sans réserves leurs conclusions. J’ai entendu des voix parler de réquisition : ceux-là ne connaissent pas le dossier !
C’est par un travail patient et attentif aux réalités des entreprises que nous avons fait accepter l’accord sur l’alarme sociale – tout à fait inédit –, signé par la majorité des organisations syndicales. Si les mentalités ont évolué au point que l’on peut souvent assurer 50% du trafic sur l’ensemble des lignes, c’est parce que l’on a su tisser un lien à partir d’équilibres qui restent fragiles. Soyons très attentifs à ne pas couper ce lien.
En tant qu’administrateur de la SNCF, je mesure l’attachement des personnels au service public et à leur entreprise. C’est pourquoi il faut éviter toute approche manichéenne et s’attacher par contre à ne pas troubler une alchimie subtile patiemment élaborée. Tant que des usagers seront – selon la formule convenue – retenus en otages par des mouvements sociaux, nous nous remettrons au travail pour renouer les fils du dialogue et apaiser les tensions. Même si nous n’ignorons pas les évolutions du monde, c’est aussi à cette culture de service public issue de la Libération et de l’héritage gaullien que nous restons puissamment attachés.
M. Maxime Bono, rapporteur adjoint. En effet, l’esprit de service public est toujours très présent dans les entreprises de ce secteur et les organisations syndicales s’attachent à le rendre vivant. Il nous est revenu de certaines auditions que les recrutements récents, parfois massifs, faisaient cependant émerger de nouvelles mentalités, dans lesquelles le sens du collectif est moins développé qu’auparavant. Cela n’est pas sans affecter les relations sociales au sein des entreprises.
M. Jacques Kossowski, rapporteur. Je tiens à préciser à Daniel Paul qu’il ne s’agit pas, dans notre esprit, de proposer une pause. Et il ne s’agit pas non plus, Madame Branget, de simples questions de vocabulaire. Nous ne devons pas laisser croire aux voyageurs qu’ils disposeront demain, grâce à cette loi, d’un service minimum garanti. L’objectif est bien d’enrichir le dialogue social pour agir en amont des conflits. Si le problème pouvait se régler facilement, cela serait déjà fait ! Lorsque nous l’avons auditionné, M. Jean-Paul Bailly – qui a plutôt bien réussi dans ses différents postes – nous a dit combien les personnels de ces entreprises étaient réceptifs à un discours fédérateur sur le service public, lequel fait partie intégrante de leur culture professionnelle. Ensuite, il revient aux dirigeants d’entreprise de faire passer le dialogue social. N’oublions pas qu’à Saint-Lazare, le conflit couvait depuis un mois avant qu’il n’éclate de manière aussi retentissante.
M. Philippe Meunier. Je considère pour ma part que le droit de retrait du salarié en cas de péril grave et imminent est une composante trop essentielle de notre droit du travail pour que l’on tolère que certains le dénaturent en toute impunité. Il convient de le faire respecter intégralement, au risque de le voir s’affaiblir.
M. le président Patrick Ollier. C’est ce que je dis aux partenaires sociaux, qui en sont d’accord à l’exception d’une seule organisation. Laisser certains instrumentaliser le droit de retrait risque de donner un jour au législateur la mauvaise idée de le supprimer ! Il est donc important de ne pas le galvauder.
Il me reste à remercier les rapporteurs pour leur travail sérieux et consensuel et à demander à la commission si elle autorise la publication de leur rapport d’information.
A l’unanimité des présents, la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire autorise la publication du rapport d’information sur la mise en application de la loi n°2007-1224 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres de voyageurs.
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