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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 25 novembre 2009

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 6

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de M.  Reza Deghati, reporter-photographe et président de l’ONG Aïna pour l'éducation des enfants
et des femmes afghanes et la formation aux métiers de l'information

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes avec le groupe d’amitié France-Afghanistan ont procédé à l’audition de M. Reza Deghati et président de l’ONG Aïna pour l'éducation des enfants et des femmes afghanes et la formation aux métiers de l'information.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann : Je souhaite la bienvenue à M. Reza Deghati et je le remercie de sa présence.

Mme Geneviève Levy, présidente du groupe d’amitié : Je vous remercie également, M. Deghati, d’avoir répondu à notre invitation pour nous présenter l’association Aina, que vous présidez, et je souhaite la bienvenue aux membres de l’association qui vous accompagnent.

M. Reza Deghati : C’est un grand honneur pour moi de pouvoir vous exposer notre activité en Afghanistan. En ma qualité de reporter-photographe, j’ai travaillé de longues années en zones de conflit. Au fil du temps, ma conviction s’est faite, toujours plus forte : les guerres sont à l’origine de destructions matérielles et de pertes humaines, mais le drame est aussi dans la destruction de la culture des peuples et des relations communautaires. Les peuples qui ont connu une situation de conflit doivent pouvoir se remettre de ce traumatisme, sous peine que les blessures de l’âme, restées béantes, n’empêchent les identités de se reconstruire. À cette fin, il m’a semblé nécessaire de créer une organisation humanitaire visant à former des Afghans et des Afghanes afin qu’ils deviennent eux-mêmes les vecteurs du changement au travers des media. Aina est une organisation humanitaire « de troisième génération », en ce qu’elle a été conçue pour aider la population à prendre sa destinée en main.

La démocratisation est un processus qui prend du temps. Elle suppose en particulier la liberté d’expression et, pour cela, des médias indépendants. Dans la droite ligne de mon travail de journaliste, c’est ce que j’ai cherché à promouvoir en créant Aina en 2001. À cette époque, je travaillais en Afghanistan depuis plus de vingt-cinq ans. J’y ai vu l’invasion russe, la prise de pouvoir par les talibans, l’arrivée des forces de la coalition…

La présentation en images qui va suivre vous expliquera plus sûrement comment se réalise l’idée qui sous-tend « Aina, une aventure humaine », celle du développement par les médias et la culture. (Un court film intitulé « Aina une aventure humaine » est projeté).

Au sortir de vingt années de conflit, il s’agissait de contribuer à la réémergence d’une société civile. C’est ce à quoi nous avons contribué en formant un millier d’Afghanes et d’Afghans, qui réalisent désormais un magazine destiné aux enfants, des publications destinées aux femmes, des revues d’information, des revues de société et une revue satirique. Un certain nombre de nos anciens élèves travaillent aussi aujourd’hui pour d’importantes organisations internationales. Des femmes ont été formées à la vidéo ; ainsi peuvent-elles interviewer et filmer d’autres femmes, et, ce faisant, faire découvrir un autre Afghanistan jusqu’alors occulté. De même, Aina, qui a permis la formation de journalistes radio, soutient La Voix des femmes d’Afghanistan, qui est la première radio de femmes en Afghanistan. L’association forme aussi à la production des médias de l’image. Elle a fondé l’unique école de photojournalisme afghane ainsi qu’une agence de photo. Aina a aussi créé le premier cinéma itinérant, qui projette des films éducatifs jusque dans les villages les plus reculés. Elle organise des expositions de photos et de peinture ainsi que des concerts – bref, tout ce qui peut donner un souffle de vie.

Dans tous ses domaines d’intervention, l’association s’appuie sur des outils technologiques de pointe, qui sont autant d’outils de liberté. Le soutien des acteurs de la vie culturelle participe de l’éducation à la paix – la paix, cette plante fragile, qui puise ses racines dans la riche culture afghane et dont Aina voudrait parvenir à faire un arbre.

Mais l’idéal qui sous-tend Aina vaut pour tous les pays en développement. Au cours des sept premières années d’existence de l’association, l’Afghanistan a servi de laboratoire, dans les conditions les plus difficiles qui soient. Nous avons formé un millier d’Afghans, dont près de 30 % de femmes, à tous les métiers des médias, créant ainsi une armée de journalistes et de techniciens au service de la culture et du savoir. Nous avons aidé les femmes à lancer des projets : le premier magazine afghan pour femmes, la première association des femmes journalistes d’Afghanistan, la radio La Voix des femmes d’Afghanistan… Selon moi, l’époque n’est plus où une ONG peut se satisfaire d’importer des machines à coudre pour inciter les femmes à faire de la broderie, ou proposer aux hommes de se faire menuisiers. Mieux vaut, et de loin, créer une station de radio entendue par cinq millions de femmes. Nous avons aussi distribué 5 000 transistors dans des villages, et permis que la radio devienne un vecteur d’information de premier plan pour les femmes.

Le magazine pour enfants Parvaz est considéré comme un des meilleurs au monde, notamment par le National Geographic. Il est conçu par des Afghans que nous avons formés. La formation est notre œuvre fondatrice ; ensuite, la population prend les choses en main. En réalité, Parvaz, plus largement, diffuse des informations pour la famille. Les fillettes n’ont pas accès à l’école, mais ce sont les mères de demain. Comment les former ? On peut décider de construire des écoles ; on peut aussi décider de faire entrer la formation à la maison. En Afghanistan, la construction d’écoles connaît un certain échec, car elles sont devenues les cibles des talibans, qui les détruisent, assassinent des enseignantes et harcèlent les filles qui vont à l’école. En revanche, Parvaz entre dans les maisons, ce qui permet de diffuser des informations sur les droits des femmes ou la santé, par exemple.

Le cinéma itinérant est aussi devenu un vecteur d’information important. Dans certains des villages où le camion arrive avec écran et matériel de projection, les gens n’ont jamais vu d’images animées. Tous les films projetés ont été tournés par des Afghans que nous avons formés ; ils reprennent des histoires du folklore local pour essayer de faire passer des messages de l’Unicef ou de l’OMS.

L’idée fondatrice d’Aina -permettre à la population des pays en développement de prendre en main l’information, la communication et la culture est en passe d’être reprise dans d’autres pays. Ainsi, je me suis rendu au Sri Lanka, où un magazine pour enfants a été lancé selon le même mode opératoire. En formant quelques centaines de personnes, on parvient à faire parler bien des gens qui ne parlaient pas.

Certes, la situation se dégrade de jour en jour en Afghanistan, et les talibans sont déjà à Kaboul. L’important, c’est que nous diffusions 300 000 exemplaires d’un de nos magazines ; l’important, c’est que chaque numéro de Parvaz soit vu par 100 à 150 enfants. Ces réalisations s’expliquent aussi par vingt-cinq années passées en Afghanistan, et une grande connaissance de tous les acteurs. Le problème, c’est que la création de médias indépendants et de journaux pour les femmes ne sont pas des initiatives qui attirent particulièrement les donateurs. Notre financement provient pour l’essentiel des ventes de mes photos, de mes livres, et de mes posters que j’organise, et nous tenons bon car il le faut - les Afghans et les Afghanes en ont besoin.

Pendant des années, les journalistes qui venaient en Afghanistan étaient, pour 98 % d’entre eux, des hommes. Ils ne pouvaient filmer que des hommes, si bien que la moitié de la population afghane est restée ignorée des médias. Pourtant les femmes – et les enfants – sont les principales victimes des guerres – c’est à elles qu’il faut donner les moyens de s’exprimer. Nous avons formé un groupe de femmes vidéastes qui réalisent des documentaires. Le premier de la série, Regards d'Afghanes, a été montré dans de nombreux festivals internationaux et sélectionné pour les Emmy Awards en 2005. Farzana Wahidy, une Afghane formée par Aina, est l’une des lauréates du concours photographique « All Roads Festival » du National Geographic. Dans tous les cas, les formations sont très pointues et faites avec les meilleurs équipements.

Voilà ce que nous avons fait et ce que nous comptons faire dans d’autres pays. Je suis convaincu que le XXIe siècle sera meilleur si nous aidons les femmes non seulement à prendre le pouvoir mais aussi à se saisir des médias, de l’éducation et de l’information. Rien de tout cela n’est aisé, singulièrement en Afghanistan ; la fondatrice d’une des premières radios communautaires gérées par des femmes a été assassinée une nuit par des hommes encagoulés qui se sont introduits chez elle. Mais, le lendemain, 300 femmes journalistes se sont réunies pour montrer qu’on ne les ferait pas taire par la terreur. Cela démontre que, quoiqu’il arrive désormais, les Afghanes et les Afghans qu’Aina a formés continueront de se battre contre les ténèbres.

Mme Geneviève Levy : Je vous remercie pour cette leçon d’espoir.

Mme Françoise Hostalier : Les activités de votre association forcent l’admiration. Le gouvernement afghan a-t-il conscience de l’importance de la tâche que vous accomplissez ? Comment êtes-vous perçus par la population ? Subissez-vous des pressions pour renoncer à ce que vous faites ? Alors que la situation s’aggrave, le fait de former des journalistes est-il considéré comme un acte de résistance face à des talibans auxquels on ne peut s’opposer frontalement ?

M. Reza Deghati : Pour avoir travaillé en Afghanistan depuis les années 1980 en qualité de journaliste, j’ai passé des jours et des nuits dans les tranchées, à des moments particulièrement dangereux, avec des combattants qui ont, par la suite, accédés aux responsabilités. Ils savent que je n’ai pas d’objectifs inavoués. Ils me connaissent et ont confiance en moi. Le ministre de l’information a donné son accord à la création de Parvaz qui, m’a-t-il dit, lui plaît beaucoup. Le problème, c’est le manque de fonds ; trouver les ressources nécessaires à la fabrication de chaque numéro tient du parcours du combattant.

Quand un magazine arrive dans un village, il est couramment lu par vingt à vingt-cinq personnes, à condition que la population ne le tienne pas pour un instrument de propagande. À cet égard, les « provincial reconstruction teams » de la coalition ont beaucoup nui aux ONG : imaginez quel effet cela peut faire à des villageois de voir arriver des chars, avec la menace qu’ils représentent, puis d’en voir sortir un officier expliquant qu’il va construire une école… Ce mélange des genres crée de réels problèmes. De plus, il faut agir en fonction des différentes cultures. Si l’école n’est qu’un bâtiment ce n’est pas suffisant en soi et 270 écoles construites grâce à l’aide internationale ont été brûlées, alors que personne ne s’en prend à nos magazines.

Dès l’origine du projet, j’ai dit à mes interlocuteurs qu’Aina serait, à terme, une ONG afghane. Kaboul weekly est ainsi devenu complètement indépendant en octobre 2007, de même que la radio des femmes et l’agence afghane de photos.

Mme Geneviève Levy : Vous avez donc réalisé dans votre secteur ce que tout le monde souhaiterait réaliser dans les domaines politique et économique... Ce défi considérable vous l’avez relevé par une approche différente de celle des ONG traditionnelles. Je pense comme vous que les ONG qui, sous couvert d’action humanitaire, visent d’autres objectifs que ceux affichés portent un fort préjudice aux autres ONG.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann : Je remercie Mme Levy d’avoir pris l’initiative de cette réunion, et M. Deghati de son exposé. Quel est le coût d’un exemplaire de Parvaz, la revue destinée aux enfants ? Et comment peut-on vous aider ?

M. Alain Trémolières : Il est de 1,02 euro, salaire des journalistes, fabrication et distribution compris, 50 000 exemplaires sont tirés -dont chacun est vu par 150 personnes au moins- soit un coût de revient de 51 000 euros par numéro. À cela s’ajoutent les frais de fonctionnement du siège, ce qui porte le total à 55 000 euros.

Nous nous efforçons de trouver les partenaires qui nous permettraient de boucler le n° 13 et qui, plus largement, assureraient la continuité du financement dont nous avons besoin. Aujourd’hui même, une convention de partenariat financier a été signée pour 3 500 euros. Derrière tout cela, il y a des emplois en Afghanistan.

M. Reza Deghati : L’idéal serait de trouver une formule pérenne, avec l’aide d’une fondation par exemple.

Mme Geneviève Levy : On pourrait imaginer que les députés français souscrivent des abonnements virtuels, ce qui serait a la fois une marque d’engagement et un soutien financier.

Mme Françoise Hostalier : L’idée est généreuse mais je crains que cela ne suffise pas.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann : Sans doute, mais cela serait un symbole fort.

Mme Françoise Hostalier : Il faut aussi faire connaître Aina pour lui permettre de s’appuyer sur des partenaires de long terme. Pourquoi ne recevez-vous pas de concours de l’Unicef ?

M. Reza Deghati : L’Unicef en Afghanistan n’a aucun budget qui permettrait un financement direct. Toutefois, quand l’organisation lance une campagne, elle utilise son budget de communication pour acheter une ou deux pages du magazine Parvaz -dont la charte interdit au demeurant l’insertion de toute publicité commerciale- pour passer ses messages auprès des familles afghanes.

Mme Geneviève Levy : Nous chercherons donc à agir dans les deux directions indiquées : sensibiliser nos collègues et vous aider à trouver des partenaires. Quel type de partenariat avez-vous noué avec le Sénat ?

M. Reza Deghati : Après que M. Massoud, que j’accompagnais, a été reçu par le Président du Sénat, la Haute Assemblée, à la demande expresse de M. Poncelet, a accordé un financement à Aina.

Votre appui auprès de fondations ou de chefs d’entreprise nous serait particulièrement utile car votre poids est bien supérieur au nôtre. Pour l’heure, j’organise des expositions de photos en différentes villes de France, ce qui présente le double avantage de sensibiliser les élus et la population à la situation en Afghanistan et à l’action d’Aina et de faire venir la presse.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann : Avez-vous obtenu une aide de l’Union européenne ?

M. Reza Deghati : Oui, pour un ou deux projets. Il s’est aussi produit que l’aide ait une connotation politique implicite. C’est ainsi que USAID a mis fin à tout financement de Kaboul weekly après que ce journal a critiqué l’armée américaine en Afghanistan, de manière pourtant bien plus mesurée que le New York Times

M. Alain Trémolières : Nous éprouvons aussi les plus grandes difficultés à financer notre siège parisien.

Mme Geneviève Levy : Nous avons largement matière à réflexion. Je vous propose une nouvelle rencontre dans quelques mois pour faire le point.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann : Je vous remercie vivement.