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Compte rendu Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 10 décembre 2008

Séance de 9 h 45

Compte rendu n° 8

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

•  Audition de Mme Caroline de la Marnierre, présidente de Capital Com sur l’accès des femmes aux responsabilités sociales et professionnelles 2

La Délégation a procédé à l’audition sur l’accès des femmes aux responsabilités sociales et professionnelles de Mme Caroline de la Marnierre, présidente de Capital Com.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La loi de mars 2006 sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes comprenait des dispositions relatives à la fixation d’un quota de 20 % de femmes dans les conseils d'administration, avant que cet article ne soit déclaré contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Mme de La Marnierre, présidente de Capitalcom, à qui je souhaite la bienvenue, nous souhaiterions faire le point avec vous de cette question et des mesures qui pourraient être prises pour accélérer cette évolution. L’exemple de la Norvège montre le rôle décisif de la législation en cette matière. Certains considèrent qu’il faudrait « féminiser sans discriminer ». Ce n’est pas mon sentiment, et je ne conçois pas que l’on puisse attendre simplement une évolution qui ne se fera pas de manière spontanée.

Mme Caroline de La Marnierre. Pour travailler depuis vingt ans avec des entreprises, je me suis forgé une opinion sévère. Je pense, comme vous, que nous n’avons rigoureusement aucune chance d’arriver à un pourcentage de femmes dans les conseils d’administration de l’ordre de celui qu’avait fixé la loi, une proportion au demeurant assez faible, si la législation n’est pas renforcée. Sans aller jusqu’à instituer une discrimination positive, comme le souhaitent certains, il faut faire davantage pour parvenir à un minimum d’équilibre dans les instances dirigeantes des entreprises.

À ce jour, on ne compte encore que 10 % de femmes dans les conseils d’administration et 6 % dans les comités exécutifs des entreprises du CAC 40. Cette situation est parfaitement inacceptable. Nous sommes très loin de celle qui prévaut au Canada et aux États-Unis, où la proportion des femmes dans les conseils d’administration et les comités exécutifs des cent plus grandes entreprises est respectivement de 16 et de 19 %. À l’autre bout du spectre, toujours pour les cent plus grandes entreprises, on ne compte que 2 % de femmes dans des fonctions exécutives au Japon et 4 % en Chine. En Europe, la disparité est très marquée selon que l’on considère les pays du Nord, notamment la Norvège, où la loi a fixé un quota de 40 %, ou les pays du Sud. En Norvège, la législation a permis de porter la proportion de femmes à 27 % dans les instances dirigeantes, conseils d’administration et comités exécutifs confondus. À ce jour, seules la Norvège et tout récemment l’Espagne ont légiféré. Aux États-Unis et au Canada, c’est une ferme incitation à la discrimination positive en faveur des femmes qui a permis un progrès significatif.

Les conseils d’administration sont, par nature, des instances très fermées, ouvertes seulement à un certain profil de responsables et encore moins aux femmes. Même si les chasseurs de têtes ont pour consigne de proposer aux postes exécutifs des candidatures pour moitié masculines et pour moitié féminines, au terme du processus, c’est le plus souvent un homme qui est recruté. La démarche est largement hypocrite. L’argument selon lequel il n’existerait pas de femmes aptes à remplir de telles fonctions est irrecevable, car le gisement de compétences est immense, et très nombreuses sont les femmes intéressées, disponibles, et prêtes à s’investir.

Le fait que les dirigeants ne souhaitent pas recruter des femmes à ces fonctions peut s’expliquer par un certain conservatisme, par une appréhension, par le fait aussi que les femmes n’hésitent pas à mettre les pieds dans le plat quand elles l’estiment nécessaire… Quoi qu’il en soit, l’ouverture ne se fait pas et bien trop nombreuses sont les entreprises qui se satisfont de pouvoir se « vanter » de compter une femme au sein de leur conseil d’administration.

Parallèlement, la terminologie a évolué, ce qui marque un progrès bienvenu. En effet, on ne parle plus tant de la place des femmes dans l’entreprise que de la nécessaire mixité et de l’enrichissement qu’apporterait un équilibre réel dans des conseils d’administration plus ouverts.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est bien entendu que vous distinguez le terme de « mixité » de celui de « diversité » ?

Mme Catherine Coutelle. Je serais également rigoureusement opposée à l’idée que l’on prétende faire des femmes une catégorie alors qu’elles constituent la moitié de l’humanité.

Mme Caroline de La Marnierre. J’en suis d’accord, et c’est bien pourquoi j’ai parlé de « mixité ».

Mme Catherine Coutelle. Je constate qu’en dépit d’une législation très stricte imposant un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration, on n’est parvenu, en Norvège, qu’à une proportion de 27 %.

Mme Caroline de La Marnierre. Il s’agit là de la proportion moyenne de femmes, conseils d’administration et comités exécutifs confondus. Mais toutes les entreprises norvégiennes devront être en conformité avec la loi le 1er janvier 2009.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Elles le devront en effet, puisque la sanction prévue est très dure – la dissolution de l’entreprise. C’est pourquoi j’avais été très surprise des réactions, notamment celle du MEDEF, à l’obligation faite aux entreprises françaises d’instaurer un quota de 20 % seulement de femmes au sein des conseils d’administration - un minimum, me semble-t-il.

Mme Caroline de La Marnierre. Quels sont les arguments avancés ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Qu’il ne faut pas instaurer de quotas et que les femmes aptes à occuper ces postes manquent… Ce sont pourtant les organisations professionnelles qui devraient, au contraire, participer activement à la dynamique de l’égalité entre hommes et femmes au sein de l’entreprise, à tous les niveaux, pour qu’elle devienne la norme.

Mme Caroline de La Marnierre. Les onze femmes qui, l’année dernière, ont été cooptées au sein des conseils d’administration des entreprises du CAC 40 ont un véritable profil d’administrateur et sont parfaitement à leur place là où elles ont été nommées.

Mme Catherine Coutelle. Je vois deux autres freins à la présence de femmes dans les conseils d’administration : le premier est qu’une fois arrivées à des postes de responsabilité, elles ne font pas nécessairement la promotion des autres femmes ; le second est que les femmes, par manque de confiance en elle, hésitent à prendre des responsabilités.

Mme Caroline de La Marnierre. Cette explication vaut davantage pour les comités exécutifs que pour les conseils d’administration, dont les membres n’ont pas de responsabilités opérationnelles, et si la question se pose effectivement, c’est de moins en moins fréquemment. Il est vrai, par ailleurs, que les femmes sont beaucoup moins enclines que les hommes à se coopter.

M. Guénhaël Huet. On constate les mêmes réticences pour les instances politiques. Je m’en suis rendu compte en voulant constituer une liste électorale. Un homme accepte la proposition d’y figurer en dix minutes mais il faut des heures pour convaincre une femme. Manifestement, l’appréhension de ne pas réussir est très forte. Il en résulte une grande difficulté à constituer plusieurs listes dans les petites communes. La loi sur la parité, qui représente un progrès démocratique a donc aussi pour effet paradoxal « d’assécher » la démocratie car le refus des femmes de s’engager peut empêcher la constitution de listes.

Mme Catherine Coutelle. Les freins proviennent aussi, on le sait, des relations dans le couple. Un mari refuse souvent que sa femme accepte une fonction élective. L’insuffisance persistante du partage des tâches domestiques joue de manière évidente. Par ailleurs, il n’est pas toujours facile d’être le mari d’une élue.

Mme Caroline de La Marnierre. C’est exact. Il est souvent difficile pour un homme d’accepter que sa femme ait des responsabilités supérieures aux siennes.

M. Guénhaël Huet. Cela peut jouer, mais cette appréciation doit être nuancée car il peut arriver aussi que la notoriété de la femme conforte celle de l’époux.

Mme Caroline de La Marnierre. Dans les entreprises, le blocage se produit lorsque la femme atteint un niveau de responsabilité plus élevé que celui de son époux. Cela peut dissuader certaines femmes de rechercher des promotions.

Mme Catherine Coutelle. Un autre problème tient à l’organisation du temps, sujet auquel je me suis toujours intéressé et qui m’a conduite à créer l’Agence des temps à Poitiers. Au contraire de ce qui se passe au Canada, où l’on considère que devoir travailler tard prouve l’inefficacité du travail fait pendant la journée, il est bienvenu, dans les entreprises françaises, de travailler tard le soir. Pourtant, un effort minime des directeurs de ressources humaines suffirait pour prendre en compte les contraintes personnelles des salariés. J’irai jusqu’à dire qu’en tenir compte dans l’organisation du travail ne peut qu’augmenter l’efficacité du travail car les salariés sont alors moins stressés. La deuxième loi sur les 35 heures comportait un article visant à mieux concilier vie professionnelle et vie familiale

Mme Caroline de La Marnierre. Soixante-dix entreprises et associations viennent de signer la Charte de la parentalité en entreprise. Ce faisant, elles se sont notamment engagées à libérer tous leurs salariés à 18 heures 30 au plus tard. Une évolution est donc perceptible, qui profite aux femmes et aux hommes indifféremment. C’est le concept de la mixité en action.

Nous avons étudié l’application de la loi de mars 2006 : nous n’avons pas trouvé un mot sur les dispositions qui auraient prises par les entreprises du CAC 40 pour se mettre en conformité avec celle-ci ! Aucune mention, aucun audit, aucune étude ! Dans ces conditions, comment se fera la parité salariale, qui ne peut être que progressive ?

Mme Catherine Coutelle. Une conférence tripartite sur l’égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes tripartite s’est pourtant tenue sous l’égide de M. Xavier Bertrand !

Mme Caroline de La Marnierre. Peut-être, mais quelles sont les sanctions prévues ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Lors de l’élaboration du texte de 2006, la délégation aux droits des femmes avait demandé que des sanctions fortes et d’application immédiate soient prévues, celles qui figuraient dans la loi de 2001 lui semblant insuffisantes. Le texte finalement adopté avait laissé aux entreprises jusqu’au 31 décembre 2010 pour s’adapter, en prévoyant la promulgation d’une nouvelle loi pour fixer les sanctions applicables après cette date. A la suite de la conférence tripartite de novembre dernier, il a été annoncé que les entreprises qui ne sont pas mises en conformité avec la loi au 31 décembre 2009 seront sanctionnées et le ministre a annoncé le dépôt d’un projet de loi pour créer ces sanctions. Si les rapports de situation comparée ne sont pas publiés, il est impossible de savoir si les entreprises se conforment à la loi. D’évidence, un travail doit être mené pour rappeler aux entreprises leurs obligations.

Mme Caroline de La Marnierre. Les entreprises respectent la loi lorsque les sanctions prévues les y obligent. En outre, de faibles sanctions pécuniaires sont insuffisantes car le rattrapage salarial met en jeu des sommes considérables. Seule du CAC 40, la Société générale a chiffré l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes en son sein et a défini une politique de rattrapage. Encore faudrait-il analyser de manière plus fine les mesures décidées, mais au moins cette entreprise-là déclare-t-elle faire quelque chose. Dans 80 % des cas, il n’y a même pas cela.

Mme Catherine Coutelle. Une entreprise qui recrute un cadre fixe une fourchette de salaire. Comment peut-on expliquer que si la personne recrutée est un homme, son salaire sera supérieur à celui d’une femme ?

Mme Caroline de La Marnierre. Tout tient au déroulement de la négociation d’embauche. Un homme sera vraisemblablement plus accrocheur ; une femme négociera moins spontanément son salaire.

M. Guénhaël Huet. Un autre facteur joue, qui n’est pas sciemment sexiste car tout recruteur demande aux candidats combien ils gagnent dans leur emploi actuel. Les femmes gagnant moins que les hommes, l’écart se perpétue. Cela vaut pour les femmes comme pour les jeunes cadres.

Mme Caroline de La Marnierre. La différence étant que ce qui se conçoit pour les jeunes cadres qui n’ont qu’une expérience restreinte, est injustifiable pour les femmes.

M. Guénhaël Huet. C’est vrai, mais c’est d’abord une économie qui est recherchée.

Mme Caroline de La Marnierre. À compétences égales, les écarts de salaires entre hommes et femmes n’ont aucune raison objective et elles sont anormales. Capitalcom mène des études à ce sujet de sa propre initiative, mais il manque un observatoire chargé de procéder à l’état des lieux nécessaire. Aussi longtemps que l’on ne mesurera pas le progrès accompli, aussi longtemps que l’on ne dira pas les insuffisances de l’application de la loi, les entreprises continueront d’agir comme elles le font. Tous les chiffres relatifs à la proportion des femmes dans les entreprises doivent être publiés. Cela aurait une efficacité immédiate car il est difficile de nier des données objectives.

M. Guénhaël Huet. À condition toutefois que certaines entreprises ne considèrent pas comme un progrès triomphal le fait de compter 10 % de femmes au sein de leurs conseils d’administration, au motif qu’il n’y en avait aucune auparavant !

Mme Caroline de La Marnierre. Bien entendu. À mon sens, l’important est de légiférer, et de légiférer vigoureusement. Si c’est le cas, une évolution significative aura lieu à l’horizon de trois ou quatre ans, le délai de renouvellement du mandat des administrateurs.

M. Guénhaël Huet. Avec le recul, je constate que la loi sur la parité était une heureuse initiative, qui nous a fait gagner trente ou quarante ans. Je ne doute plus que sans ce texte, on en serait encore à 5 % seulement de femmes dans les instances élues.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. De même, en Norvège, les chefs d’entreprises déclarent que, sans la loi, ils n’auraient rien fait et que le texte a eu des effets positifs sur le fonctionnement de leur entreprise.

Mme Catherine Coutelle. C’est pourquoi l’opposition a apporté ses voix à la révision de l’article premier de la Constitution, qui dispose désormais que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »

Mme Caroline de La Marnierre. Que l’on impose un quota de 30 % de femmes au sein des conseils d’administration ne me paraîtrait pas choquant. À dire vrai, je pense que cela ne choquerait plus personne. D’immenses gisements de compétences existent, les chasseurs de têtes en sont convaincus, et ils n’auraient aucun mal à trouver ces 30 % de femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Lorsque la loi a été promulguée en Norvège, certains considéraient ses dispositions irréalistes. Il apparaît aujourd’hui que la mesure était applicable, et que bien peu d’entreprises ne respectent pas ce texte qui, à l’époque, avait paru révolutionnaire.

Mme Caroline de La Marnierre. La moindre des choses serait que les entreprises qui n’appliquent pas la loi soient contraintes de se justifier. C’est ce que résume l’expression anglaise « Comply or explain » – pliez-vous à la loi, ou expliquez-vous.

Si la loi est assortie de sanctions rigoureuses, elle sera appliquée. Certaines dispositions qui paraissaient, de prime abord, inapplicables, sont finalement appliquées sans encombre. On l’a vu lorsqu’il s’est agi de publier la rémunération des dirigeants, ce qui semblait inconcevable. Une loi déclenchera des réactions mais elles s’apaiseront et, à terme, ceux-là mêmes qui la vilipendaient admettront que le texte était bon. Et pour cause : c’est le sens de l’histoire. Aucun argument recevable ne peut justifier la différence d’accès des femmes et des hommes aux instances dirigeantes des entreprises.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie.

——fpfp——