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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 14 janvier 2009

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 12

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition sur le thème de l’accès des femmes aux responsabilités sociales et professionnelles de Mme Reine Prat, chargée de mission pour l’égalité et contre les exclusions à la direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles du ministère de la culture et de la communication

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition sur le thème de l’accès des femmes aux responsabilités sociales et professionnelles de Mme Reine Prat, chargée de mission pour l’égalité et contre les exclusions à la direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles du ministère de la culture et de la communication.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmerman. Nous sommes heureux d’accueillir Mme Reine Prat, agrégée de lettres modernes et responsable de la mission Égalité des femmes et des hommes dans le secteur du spectacle vivant à la direction de la musique, de la danse et du théâtre.

En 2006, vous avez accompli un travail important sur « l’égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilités, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation ».Vous dressiez alors le constat d’une situation fortement inégalitaire. A-t-elle évolué depuis ?

Votre rapport évoquait aussi la possibilité de « fixer des objectifs quantifiés de progression », sans qu’il soit question d’imposer des quotas. Ne pensez-vous pas que ce soit pourtant la seule manière de briser le plafond de verre ?

Enfin, avez-vous d’autres suggestions pour favoriser l’accès des femmes à des postes de responsabilités sociales et économiques ?

Mme Reine Prat. Je suis très honorée de me trouver parmi vous et je vous remercie de m’avoir invitée.

Ma mission a commencé en 2005. Le premier rapport, paru en 2006 et publié sur le site du ministère de la culture, a eu un impact retentissant – la question de l’égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités était sans doute devenue sensible. Cette mission, qui se poursuit, a pour objectif de faire évoluer la situation respective des hommes et des femmes dans le secteur de la culture. Le secteur culturel est un tout petit milieu sur le plan quantitatif, mais il a un poids économique important car il recouvre également d’autres secteurs, par exemple le tourisme. Ses évolutions constituent un levier pour l’économie. De plus, il propose à la société une des représentations d’elle-même.

J’ai défini plusieurs axes d’intervention dans le milieu des arts du spectacle (théâtre, musique, danse) : l’égalité professionnelle, les enseignements artistiques et les formations aux métiers de la culture, l’accès aux moyens de production, aux réseaux de diffusion, à la visibilité médiatique et la représentation sur les plateaux.

Deux exemples illustreront l’évolution en cours : en 2006, aucun des cinq théâtres nationaux – la Comédie française, le Théâtre national de Strasbourg, l’Odéon, Chaillot et La Colline – n’était dirigé par une femme, et cela ne s’était d’ailleurs jamais produit depuis la création par Molière de la Comédie française, au XVIIe siècle. Aujourd’hui, trois d’entre eux sont dirigés par une femme. Il s’agit sur ce point précis d’une évolution fracassante !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmerman. Quelle en est la raison ?

Mme Reine Prat. Certains responsables de ce secteur au ministère de la culture ont pris conscience de la nécessité de nommer des femmes aux postes de responsabilités, et un mouvement d’opinion a amené les ministres successifs à aller dans ce sens. C’est ainsi qu’ont été nommées Muriel Mayette à la direction de la Comédie française, Dominique Hervieu à Chaillot et Julie Brochen à Strasbourg. Certes, c’est un peu l’arbre qui cache la forêt, car le bilan est très différent dans d’autres secteurs : alors qu’en 2006, les dix-neuf centres chorégraphiques nationaux comptaient 41 % de directrices, elles n’en représentent plus en 2008 que 32 % et pourraient n’être plus que 25 % en 2009, si elles continuent à être systématiquement remplacées par des directeurs comme cela est le cas depuis quelques mois.

Si l'État est le seul décisionnaire pour les théâtres nationaux, ce n’est pas le cas dans les autres établissements, où il est co-décisionnaire avec les collectivités territoriales. Et là, paradoxe étonnant, si de nombreuses collectivités locales ont adopté des plans en faveur de l’égalité des hommes et des femmes– notamment la ville de Rennes, qui a récemment obtenu le label Égalité –, elles ne se préoccupent pas, au moment de nommer une personne à la direction d’un théâtre, d’un orchestre ou d’un opéra, de cette question dont l’impact n’est visible qu’au niveau national. Le système de codécision, qui ne saurait évidemment être remis en cause, pose donc un problème particulier. Il faut, par conséquent, convaincre les collectivités territoriales de la répercussion de chaque nomination au niveau national (ou régional, éventuellement local mais seulement pour les grandes villes) et de la nécessité de rééquilibrer les réseaux. Actuellement, les réunions de directeurs de centres d’art dramatique d’orchestres ou d’opéras, sont largement non mixtes, presque entièrement masculines.

Par ailleurs, les milieux culturels fonctionnent en réseaux de connaissances et d’affinités – on pense spontanément plus souvent à un homme qu’à une femme, et de ce fait les femmes ont du mal à se porter candidates, à s’imaginer à des places généralement tenues par des hommes.

Autre spécificité, on nomme généralement à la tête de ces établissements des artistes, et cela semble être une raison suffisante pour oublier les bonnes résolutions… C’est un mode de raisonnement qui date du XIXe siècle, car c’est oublier que le talent est lié aux moyens de production, à l’accès aux outils de travail (accueil en résidence par exemple) et de rencontres avec le public (programmation sur de grands plateaux) et à un certain nombre d’actions concrètes propres à favoriser l’éclosion des talents.

Quels sont les objectifs de notre action : la justice sociale, car dans ce secteur les inégalités salariales sont encore très vives, mais également le dynamisme économique. Dans une période de crise financière et économique, il est nécessaire d’utiliser tous les talents disponibles : l’absence de femmes aux postes de responsabilités ne va pas dans ce sens.

En 2006, 92 % des théâtres consacrés à la création dramatique étaient dirigés par des hommes, de même que 89 % des institutions musicales et 86 % des établissements d’enseignement. Dans le même temps, nous disposions de viviers de talents – entre 30 et 70 % selon les réseaux. La non utilisation de nombreuses compétences, essentiellement celles de femmes remet en cause la dynamique économique du secteur, et par là même sa dynamique artistique. Il est dommage de se priver des talents qui existent, que ce soit dans le domaine de la gestion ou dans celui de la création artistique.

Comment remédier à cela ? J’ai défini un ensemble de moyens, qui constituent autant de petits leviers : il faut prendre conscience de ces situations et se fixer des objectifs pour les faire évoluer. Mais comment amener tous les acteurs du secteur à partager cette prise de conscience ? Tout d’abord, en mettant en place des statistiques sexuées, comme le fait la direction des spectacles, qui collationne désormais les chiffres annuels des directions régionales des affaires culturelles, afin de connaître la proportion de structures subventionnées dirigées par des femmes, mais également l’importance des moyens financiers attribués à chacun de ces établissements. On sait désormais que les institutions dirigées par des femmes sont non seulement peu nombreuses mais aussi généralement de petite taille. En 2006, par exemple, les subventions attribuées par la Direction régionale des affaires culturelles de la région Rhône-Alpes profitaient pour 95 % à des structures dirigées par des hommes. C’est un chiffre impressionnant !

Outre la mise en place de statistiques sexuées, associées à la multiplication d’études qualitatives sur ces questions et à leur diffusion dans les milieux concernés, je propose également que l’on veille à ce que la rédaction des textes cadres et des textes législatifs ne se limite pas uniquement au genre masculin, mais introduise l’idée qu’un directeur peut être aussi une directrice. Certes, le masculin est encore considéré comme neutre, mais je pense qu’une telle précision contribuerait à favoriser la mixité en la rendant plus visible.

Il faut ensuite instaurer la mixité dans toutes les instances de décision, notamment au sein des jurys de concours et des jurys de sélection chargés de désigner les directeurs et directrices.Il faut donc se donner pour règle de poser les mêmes questions aux hommes et aux femmes, y compris celles portant sur la vie familiale. Car personne ne pense avoir une attitude discriminatoire à l’égard des femmes, il est clair que l’on pose aux candidates certaines questions que l’on ne pose jamais aux hommes. Par exemple, demande-t-on à un homme s’il a des enfants ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmerman. Ces questions sont-elles posées exclusivement par des hommes ?

Mme Reine Prat. Non, elles sont aussi posées par des femmes ! La mixité n’est pas un but en soi, mais un moyen. Les femmes sont peut-être aussi « sexistes » que les hommes. Pourtant les assemblées mixtes favorisent une prise de conscience de ce phénomène. D’ailleurs, certains de mes collègues qui participent à des jurys exclusivement masculins chargés d’auditionner des jeunes femmes en ressentent maintenant une certaine gêne.

L’approche quantitative est essentielle, mais c’est sur les mentalités qu’il faut agir.

George Sand disait que les mœurs font les lois, mais que les lois ne font pas les mœurs. Je voudrais nuancer cette opinion, car je pense que les lois et les mœurs doivent évoluer ensemble. Dans mon rapport et dans mes préconisations, je m’appuie sur le contexte juridique et contractuel. Les textes votés et la révision de la Constitution nous permettent d’expliquer que les choses doivent changer, mais cela ne suffit pas : chaque individu doit être convaincu de la nécessité de ce changement. Et cela s’applique particulièrement au milieu culturel, où il s’agit de légitimer des artistes. Pourquoi tel artiste est-il reconnu et non tel autre ? Ce n’est pas toujours seulement une question de talent, mais d’impact médiatique et d’efficacité des réseaux. Dès lors, bien souvent les hommes sont favorisés par rapport aux femmes.

Au-delà de la question de l’égalité professionnelle, il est également nécessaire d’agir dans les enseignements et les formations et sur la question des représentations. J’ai fait réaliser une étude sur la représentation des hommes et des femmes, des filles et des graçons, dans les spectacles destinés au jeune public : cette étude montre que les héros sont le plus souvent des hommes, plus rarement des petits garçons et des femmes, mais presque jamais des petites filles ; les rôles masculins sont systématiquement valorisés, et lorsqu’une femme est valorisée, c’est toujours un personnage d’exception – accréditant l’idée qu’une femme normale ne peut exercer de responsabilités ou, tout simplement, ne présente aucun intérêt et que le neutre, universel, est masculin. Le chantier est donc long et complexe.

Vous proposez, madame la présidente, d’instaurer des quotas. A mon tour, je suis prête à en accepter l’idée, mais avec des gradations. Tout d’abord, il faut que les objectifs quantifiés de progression tiennent compte des viviers disponibles. Par exemple, les directeurs et directrices des théâtres consacrés à la création sont généralement des responsables de compagnie. Si 30 % des compagnies subventionnées sont dirigées par des femmes, il est anormal que 5 % de femmes seulement dirigent les institutions d’art dramatique. Voilà le fameux plafond de verre.

Nous devons nous fixer pour objectif, au sein d’un vivier de 30 % de femmes, de nommer 30 % de directrices et cela nécessite un travail de repérage. Dans un petit milieu comme le nôtre, on les connaît : il faut simplement leur faire signe. Je pourrais citer des exemples concrets de femmes récemment nommées à des postes de direction après que leur nom a été évoqué par les services de l’inspection du théâtre.

M. Jean-Luc Pérat. Vous souhaitez que les choses évoluent rapidement. Je pense que nous parviendrons, grâce à un certain nombre de dispositifs, à modifier les comportements. Les musées, par exemple, sont de plus en plus dirigés par des femmes. Peut-être convient-il d’encourager les personnes qui occupent une fonction importante, et qui sont bien placées pour détecter les potentiels, à faire des propositions. Les femmes font trop souvent preuve d’une modestie naturelle qui les amène à se tenir en retrait.

La représentation des hommes et des femmes a changé, notamment dans l’éducation nationale. Si beaucoup d’hommes occupent encore la meilleure place dans les documents scolaires, je pense que demain les femmes y prendront leur place. Je suis convaincu que nous saurons utiliser le potentiel existant, à condition que toutes les actrices se mobilisent. Mais vous ne pouvez le faire seule, il faut élaborer une stratégie d’occupation du terrain.

Mme Reine Prat. Pour établir mon rapport, en 2006, et pour l’approfondir à la suite de sa publication, j’ai rencontré de nombreuses personnes de ce secteur et organisé des groupes de réflexion autour de quelques thématiques. Ces groupes furent d’abord composés uniquement de femmes (pour des raisons stratégiques), à l’exception du groupe chargé des spectacles en direction du jeune public qui s’est trouvé, « naturellement » mixte. Par la suite, des initiatives ont été prises dans les régions : dans la région Rhône-Alpes, une association mixte, HF, a été créée avec pour objectif d’interpeller les pouvoirs publics (collectivités territoriales et DRAC ; en Provence-Alpes-Côte d’Azur, un groupe de musiciennes est à l’origine d’un projet très intéressant, Trobaïritz et cie, pour favoriser la visibilité des œuvre de compositrices. Et j’ai par ailleurs été auditionnée par le comité d’experts en charge de la musique à la DRAC du Nord-Pas-de-Calais et, en Poitou-Charente, par le Coreps. Mon objectif est d’amener les femmes et les hommes à réfléchir ensemble, car il est important d’associer les directeurs à cette réflexion.

Vous évoquez les directrices de musée. Si certains métiers sont réservés aux hommes, d’autres domaines sont assignés aux femmes – je pense aux bibliothécaires, mais également à la danse, que l’on réserve traditionnellement aux petites filles et dont les petits garçons se trouvent, de fait, exclus. Il est donc nécessaire, dans l’intérêt des deux sexes, de faire évoluer ces situations.

M. Jean-Luc Pérat. Il ne s’agit pas d’une guerre entre les hommes et les femmes, mais il est important, dans un esprit d’ouverture, d’utiliser le vivier que constituent les hommes et les femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmerman. Nous suivrons naturellement vos travaux, car l’évolution entre 2006 et 2007 a été frappante.

Mme Reine Prat. Cela relève bien d’une volonté politique. Il faut souhaiter que les choses changent. C’est possible, puisque le vivier des compétences existe.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmerman. Cela dit, même lorsque le vivier existe, en l’absence de volonté politique, rien ne se passe : regardez la situation actuelle au CNRS !

Mme Reine Prat. Il faut donc que nous soyons nombreux à partager cette volonté !

M. Jean-Luc Pérat. Quel est le pourcentage des hommes et des femmes au ministère de la culture ?

Mme Reine Prat. Dans les services administratifs, les femmes sont très majoritaires. S’agissant des directeurs de centrale, c’est relativement équilibré. Toutefois, nous n’avons jamais eu plus de trois directrices régionales. Sur ce plan, le ministère de la culture n’a rien de remarquable.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmerman. Je vous remercie, madame.