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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 28 janvier 2009

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 14

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de Mme Françoise Milewski, co-auteure du rapport « Les inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de la précarité »

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Françoise Milewski, co-auteure du rapport « Les inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de la précarité ».

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie, Madame d’avoir répondu à notre invitation.

Vous êtes économiste à l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE). Vous avez été rapporteure du Comité de pilotage pour l’égal accès des hommes et des femmes aux emplois supérieurs des fonctions publiques et co-auteure du rapport « Les inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de la précarité ». Vous êtes également membre du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle. Celui-ci se réunit-il régulièrement ?

Mme Françoise Milewski. Après une période pendant laquelle cette instance ne se siégeait plus, le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle a été réuni de très nombreuses fois à l’occasion, de la Conférence sociale sur l’égalité salariale entre les hommes et les femmes de novembre 2007 et, surtout, à l’occasion du travail effectué sur les indicateurs du rapport sur la situation comparée des femmes et des hommes (RSC). J’ai fait partie d’un groupe de travail sur les petites entreprises, chargé de mettre au point les indicateurs pertinents du RSC pour ces entreprises. Jusqu’en août 2008, nous avons été réunis quasiment tous les mois. Depuis, il n’y a pas eu de réunion.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Lors de la Conférence sociale de 2007, Xavier Bertrand a promis la présentation en 2008 d’un projet de loi tendant à instituer des sanctions financières. Ce projet n’a pas encore été déposé.

Mme Françoise Milewski. D’après le Service des droits des femmes et à l’égalité – SDFE –, la loi devait en effet être présentée avant l’été. Mais elle a été reportée à l’automne puis à nouveau, si j’ai bien compris…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Au sein du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, avez-vous comme mission de réaliser un suivi de la loi ?

Mme Françoise Milewski. Le conseil est un organisme consultatif, encore faut-il qu’il soit consulté…

Le RSC doit opérer une comparaison entre les salaires des hommes et des femmes. Je suis intervenue plusieurs fois pour dire qu’il fallait prévoir que cette comparaison soit effectuée en « moyenne et médiane », les deux apportant des informations importantes sur l’écart et la dispersion des salaires. La majorité des entreprises ayant un fichier de paie informatisé, ce calcul est très simple et immédiat. Or les décrets publiés fin août précisent que la comparaison s’effectue en « moyenne ou médiane ». Les représentants du patronat ont refusé tout indicateur supplémentaire jugé contraignant. On peut comprendre cet argument pour les petites entreprises, mais pas pour les grandes ! Cette correction n’était même pas sujette à discussion ! On peut espérer que les grandes entreprises feront les deux calculs.

J’ai proposé d’inscrire d’autres indicateurs, comme la nécessité de comparer la durée écoulée entre deux promotions pour les hommes et pour les femmes, mais je n’ai pas non plus été entendue.

Pour dire les choses brutalement, j’ai parfois eu le sentiment de faire partie d’une chambre d’enregistrement. Néanmoins, je souhaiterais que le Conseil supérieur continue d’être réuni… Et, j’aimerais que le rapport de situation comparée soit amélioré, il a le mérite d’exister !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Est-il différent de celui de la loi de 2001 sur l’égalité professionnelle ?

Mme Françoise Milewski. Il comporte quelques indicateurs supplémentaires mis en œuvre dans le secteur privé – mais qui ne le sont plus dans la fonction publique, comme je vais vous l’expliquer.

Mme Catherine Coutelle. Ce que vous avez dit des indicateurs est important. C’est la preuve que nous nous battons sur des amendements, mais que les décrets d’application reviennent l’intention du législateur !

Mme Françoise Milewski. Selon moi, les décrets d’application du rapport de situation comparée ne tuent pas la loi. Même s’il ne comporte que quelques indicateurs nouveaux par rapport au bilan social annuel que doivent faire les entreprises, ce rapport reste un progrès car il est un point d’appui pour faire le constat, mesurer les progrès et lancer des actions. À l’heure actuelle, mon sentiment est que les choses bougent davantage dans le secteur privé, les responsables des ressources humaines étant motivés sur ce thème pour la simple raison que l’encadrement des entreprises se renouvelle profondément à l’occasion des départs à la retraite des baby-boomers. Pour le secteur public, je suis très dubitative.

Mme Catherine Coutelle. La loi est-elle bien connue par les entreprises ?

Mme Françoise Milewski. Je pense que oui. En revanche, les entreprises n’ont pas conscience qu’elles seront soumises à sanction financière si elles n’élaborent pas le rapport de situation comparée.

Désormais, l’administration fournit aux petites entreprises de moins de 50 salariés, par l’intermédiaire des déclarations annuelles des salaires, les indicateurs qu’elles doivent présenter aux partenaires sociaux. Cette démarche très intéressante aide les petites entreprises à surmonter une contrainte importante et donc à maintenir l’obligation annuelle de négocier.

Il semble que les discussions ont avancé plus vite sur les sanctions financières concernant les seniors…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le problème est là : on ne met jamais l’accent sur l’égalité hommes-femmes !

Mme Françoise Milewski. C’est le problème posé par la diversité. Les discriminations à l’encontre des femmes sont spécifiques et ne peuvent pas être combattues de la même manière que les autres, parce qu’elles s’imbriquent à la fois dans la sphère professionnelle et dans la sphère privée – avec les questions de non partage des tâches familiales, etc.

Certaines entreprises ont reçu le label « égalité » ; d’autres, de plus en plus nombreuses, mettent en place des « pôles diversité ». On ne peut dire qu’elles ont tort ! Mais il faut leur demander ce qu’elles peuvent faire concrètement pour combattre les inégalités hommes-femmes ?

Mme Catherine Coutelle. Un certain nombre d’hommes – mais aussi quelques femmes – ne veulent pas comprendre la différence entre diversité et égalité. La femme est un genre, pas une catégorie ! On peut être femme et handicapée, femme et immigrée. Dans le public, il ne doit pas y avoir d’inégalité salariale entre les hommes et les femmes : à même statut, même salaire.

Mme Françoise Milewski. Le problème vient de ce que la définition des postes n’est pas la même pour les hommes et les femmes.

Quelques expériences intéressantes ont été menées dans le secteur public. La municipalité de Rennes s’est battue pour qu’une femme ayant la responsabilité de quinze personnes dans le secteur sanitaire et social ait le même salaire qu’un homme encadrant quinze personnes dans le secteur des travaux publics. À définition de fonctions équivalentes, le salaire est le même, mais en pratique c’est beaucoup plus compliqué. D’où la question centrale de la définition et de la valorisation des postes. De ce point de vue, les actions de la HALDE peuvent être intéressantes, j’en reparlerai.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Sans parler de la loi de 1972 sur l’égalité de rémunération et celle de 2001 sur l’égalité professionnelle ; depuis on piétine.

Mme Françoise Milewski. On avance à pas de tortue. C’est la raison pour laquelle j’ai personnellement évolué dans mes positions et suis maintenant favorable aux quotas ! Pour la fonction publique, on ne constate que 0,5 ou 1 point de progression par an de la place des femmes dans les emplois supérieurs ! Il arrive un moment où il faut une action volontariste pour monter une marche d’escalier !

Mme Catherine Coutelle. L’écart de salaire entre les hommes et les femmes, après un tassement depuis les années soixante-dix jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix, ne semble plus se réduire. Confirmez-vous cette évolution, sachant que les femmes sont davantage concernées par le travail partiel, choisi ou non, et par les contrats à durée déterminée ?

Mme Françoise Milewski. On constate une interruption de la résorption des écarts, pour deux raisons. D’abord, en haut de l’échelle, les femmes progressent peu pour franchir le plafond de verre. Surtout, vous l’avez dit, le travail précaire touche beaucoup de femmes. Depuis quelques années, alors que le taux d’emploi des hommes régresse – les emplois industriels non qualifiés étant détruits massivement –, celui des femmes progresse dans les services, mais dans des emplois fortement déqualifiés et à temps partiel contraint. Cette tendance risque de se poursuivre avec le développement des emplois de service de proximité, notamment des emplois familiaux, où les femmes sont surreprésentées. Cette évolution – porteuse de création d’emplois, mais aussi de précarité – est constatée dans beaucoup de pays.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. À quel niveau se situe la France s’agissant de l’écart entre les salaires ? Par ailleurs comment voyez-vous l’avenir et quelles actions préconisez-vous pour accélérer les évolutions ?

Mme Françoise Malewski. La France est à peu près dans la moyenne européenne.

S’il faut voter la loi sur les sanctions financières, l’arsenal législatif paraît suffisant et l’essentiel est donc de faire preuve d’une volonté politique forte qui suppose que la fonction publique serve d’exemple au secteur privé. Avec la loi sur l’égalité salariale et l’éventualité des sanctions, le secteur privé n’aura pas le choix. Si, en plus, on incite les partenaires sociaux à se saisir du rapport annuel et à mettre en œuvre des programmes pour remédier aux inégalités, les choses peuvent évoluer, et c’est à cela que je crois.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. L’amendement sur l’obligation d’étude d’impact pour les projets de loi, que nous avons fait passer dans la loi organique de 2009, est-il selon vous une avancée ?

Mme Françoise Milewski. C’est une avancée si l’étude d’impact est réalisée !

Je suis convaincue que toute politique publique devrait être soumise à évaluation. Le problème est que le Comité national d’évaluation n’existe plus et que le Comité de pilotage sur la fonction publique a existé cinq ans mais que personne n’a évalué son action ! D’ici quelques années, ce sera impossible dans la fonction publique car on n’aura plus les chiffres !

Le Comité de pilotage, dont j’ai fait partie, a été créé en 2000. Nous avons présenté trois rapports, nous avons mis en œuvre des outils statistiques, ce qui nous a pris beaucoup de temps, et fait un certain nombre de propositions – justes ou pas. Or au bout de cinq ans, personne n’a examiné si elles étaient intéressantes, le ministre ne nous a pas reçus, et le Comité s’est interrompu en novembre 2005. Depuis, aucune autre équipe n’a été nommée. Formellement, le comité doit exister, mais il n’a pas de réalité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Qui en nomme les membres?

Mme Françoise Milewski. Je pense que c’est le ministre de la fonction publique. À l’origine, c’était Michel Sapin.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vous n’avez jamais été reçu par les suivants ?

Mme Françoise Milewski. M. Delevoye nous a reçus et s’est intéressé, en particulier, à la retraite des femmes. Nous avons parfois été reçus par un membre de cabinet. Espérons que, d’ici à quelques années, quelqu’un s’intéressera à ce sujet et renommera un comité pour refaire un rapport…

À la Direction générale de l’administration et de la fonction publique – DGAFP –, une personne est chargée de la « diversité », donc des inégalités hommes-femmes. Ne faisant pas partie de la fonction publique, je peux simplement vous faire part de quelques éléments tirés des rapports statistiques que j’ai compulsés et des travaux que nous avons réalisés.

Contrairement à une idée très répandue, la fonction publique – qui comprend 58 % de femmes – n’assure pas plus que le secteur privé l’égalité d’accès aux emplois supérieurs entre les hommes et les femmes. Qui plus est, les obstacles, directs ou indirects, spécifiques ou non à la fonction publique, perdurent.

Dans la haute fonction publique, les femmes sont très minoritaires : 12 % pour l’ensemble des trois fonctions publiques et 14 % pour les administrations civiles de l’État. Surtout, la proportion des femmes dans les emplois supérieurs ne progresse que très peu pour la simple raison que les nominations, en termes de stock comme de flux, ne permettent pas de modifier la situation. En 2003, 11,5 % de femmes ont été nommées dans l’ensemble des trois fonctions publiques, à peine plus de 14 % dans les administrations civiles de l’État et 12,5 % pour les emplois à la décision du gouvernement, dans lesquels les femmes ne sont que 11,9 %. Enfin, la part des femmes dans les viviers de promotion n’est que de 25 %. Une de nos propositions consistait donc à ce que la part des femmes dans les nominations soit au moins proportionnelle à la part des femmes dans les viviers.

Avec l’appui des services statistiques du ministère, nous avions ainsi pu mettre au point un tableau de bord statistique pour chacun des ministères et pour les trois fonctions publiques. Le poursuivre aurait permis de voir l’efficacité des actions entreprises.

Le constat est évident : la situation évolue peu et traduit l’absence d’effort déterminé et surtout régulier pour corriger les déséquilibres. Il faut avoir une culture de résultats, c’est-à-dire d’évaluation et de chiffres – c’est tout le débat sur l’évaluation des politiques publiques.

Comme ailleurs, les inégalités dans la fonction publique dépendent de la société dans son ensemble, le partage des tâches familiales, l’école, la famille faisant que les femmes ne se dirigent pas facilement vers des filières type ENA ou Polytechnique – nous avons étudié en détail ces concours – et accèdent donc très peu aux emplois supérieurs. C’est également vrai pour les IPAG – instituts de préparation à l’administration générale – et les IRA – instituts régionaux d’administration – nos études ayant montré que les femmes cadres B sont moins nombreuses que les hommes à se saisir des opportunités de promotion.

Le statut de la fonction publique reproduit et amplifie des inégalités – des mesures égalitaires pouvant produire des inégalités. Les critères formalisés de déroulement de carrière et les conditions d’âge et d’ancienneté pénalisent les femmes sont pénalisées qui, en interrompant leur activité pour cause de congé de maternité, prennent du retard dans leur déroulement de carrière, sachant qu’elles ont reporté l’âge de leur première maternité. Par ailleurs, faute de mesures de soutien, l’obligation de mobilité dans la fonction publique pénalise les femmes. Enfin, les modes de nomination informels jouent beaucoup : on nomme dans les réseaux d’appartenance, les anciens de tel corps, de telle grande école, ce qui a des effets d’inertie importants.

L’égalité de droit ne suffit donc pas à assurer l’égalité de fait ; il faut – je le répète – une volonté politique.

Le dispositif existant dans la fonction publique est déjà important. La loi de 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, dite « loi Génisson », prévoit une représentation équilibrée aux jurys de concours. Elle prévoyait également la remise tous les deux ans aux assemblées parlementaires d’un rapport sur la situation comparée des hommes et des femmes. Ce rapport spécifique n’existe plus.

Tous les ministères doivent avoir un plan pluriannuel d’accès aux emplois supérieurs mais les règles d’évaluation font là aussi défaut. Ces plans varient beaucoup d’un ministère à l’autre : certains portent sur trois ou cinq ans, d’autres sur dix ans, certains sont chiffrés, d’autres pas. Qui plus est, ils ne sont pas tous mis en œuvre. Malgré nos propositions, aucune structure n’a été créée pour tenter d’harmoniser les plans ou pour se donner de nouveaux objectifs.

Il existe dans les ministères des coordonnateurs de l’égalité hommes femmes. Mais le poste est souvent occupé par une femme motivée, qui fait cela en plus du reste. Quand elle s’en va, il ne se passe plus rien.

Le Comité de pilotage qui s’est interrompu en 2005 a aussi fait des propositions : ne pas organiser de réunion après dix-huit heures, harmoniser et évaluer les plans pluriannuels, mettre en œuvre la loi de 2001, engager des démarches d’actions positives, faire un effort pour que le pourcentage de nominations soit au moins égal à celle des viviers…

Ce qui est frappant, c’est l’absence de cohérence des politiques publiques. Les mesures prises ne s’inscrivent ni dans la durée ni dans une démarche d’évaluation. Or, sans objectifs concrets, évalués au moins une fois par an, on ne progressera pas.

Jusqu’en 2006, le bilan annuel de la fonction publique, qui comprenait plusieurs chapitres sur la diversité et les inégalités hommes femmes, donnait un certain nombre de chiffres. Il montre ainsi qu’en 2006, les femmes représentaient 16 % des emplois supérieurs dans les fonctions publiques – soit un peu mieux que les 12 % de 2003. Mais les choses n’ont pas changé pour les emplois à la décision du Gouvernement, la part des femmes passant de 11,9 %, en 2003 à 10,4 % en 2004, à 10,6 % en 2005 et à 11,6 % en 2006. Et la part des femmes dans les nominations reste encore bien inférieure à leur part dans les viviers.

Il est inquiétant que ce tableau de bord soit moins étendu que celui que nous avions préconisé. D’ores et déjà, on ne connaît que la part des femmes dans les emplois supérieurs et dans les viviers pour la fonction publique de l’État, mais plus dans les autres fonctions publiques. Je crains fort que, dans un an ou deux, on ne dispose que de la part des femmes dans les emplois supérieurs...

Je suis frappée de constater que des actions exemplaires continuent d’être menées dans un certain nombre d’administrations, où des gens sont motivés. La ville de Rennes, que j’ai citée, est la première administration publique à avoir obtenu le label égalité grâce à ses actions inscrites dans la durée, notamment sur les questions de carrières, de valorisation des postes et de visibilité des femmes.

Au ministère des affaires étrangères, de nombreuses actions intéressantes sont menées non seulement parce ce que la responsable des ressources humaines est motivée, mais aussi parce qu’une association de jeunes femmes « Femmes et diplomatie » pousse à la roue et parce que le ministre est réceptif. La responsable nous a même dit vouloir parvenir non pas des quotas, mais une part de femmes dans les nominations, le cabinet lui ayant conseillé de parler de « représentation équilibrée ».

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans son sens premier, cette dernière expression est pourtant beaucoup plus forte !

Mme Françoise Milewski. Au ministère de la défense, la part des femmes dans les emplois supérieurs est très faible, mais c’est une administration très hiérarchisée et nos rapports avaient montré que le plan pluriannuel était très directif et chiffré et que les décisions prises étaient mises en œuvre.

La fonction publique territoriale fait un rapport – ou faisait, je ne sais pas où elle en est – sur le thème de l’égalité.

On le voit : les choses bougent dans certaines administrations – nationales ou locales – et au niveau territorial.

Au niveau central, je le redis, il n’y a plus de bilan de situation comparée des conditions d’emploi et de formation des femmes et des hommes dans la fonction publique faisant l’objet d’un rapport aux assemblées parlementaires. Ceci aurait été décidé lors de l’avant-dernière loi de finances. Au moment où on impose aux entreprises privées ce rapport de situation comparée avec des indicateurs très intéressants, je ne comprends pas que ce ne soit pas le cas pour la fonction publique. D’ailleurs, un bilan annuel n’est pas un rapport spécifique. C’est bien la raison pour laquelle la loi sur l’égalité salariale avait prévu un RSC. Il n’est pas crédible de demander des choses au privé si l’État ne les fait pas lui-même !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous allons vérifier ce point.

Mme Françoise Milewski. Autre problème : quid des plans pluriannuels d’accès aux emplois supérieurs ? La DGAFP demandait à chaque administration de fournir son plan pluriannuel. Dans notre rapport, nous en avions fait un bilan. Continuent-ils à être mis en œuvre ? Je l’ignore.

On est loin de ce que j’ai appelé une volonté centrale forte et continue.

Pour le secteur privé, j’ai un point de vue mitigé, mais moins défavorable que pour la fonction publique. Certes, le rapport de situation comparée aurait pu faire un peu mieux – j’ai parlé des indicateurs supplémentaires qui auraient été utiles à la mesure des inégalités. Néanmoins, ce rapport peut servir de point d’appui à la négociation et à l’action. En outre, les entreprises privées sont motivées par le renouvellement des cadres, celles que j’ai rencontrées réfléchissant aux moyens d’attirer des femmes cadres supérieures et de les garder. Dans le cadre de leur participation à l’Observatoire de la parentalité, certaines s’intéressent donc à la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle et à des services liés à la parentalité, comme les crèches d’entreprise. À l’inverse, la fonction publique est en train de louper le coche pour le renouvellement quasi total des cadres supérieurs – qui doit se faire non pas demain, mais aujourd’hui.

À l’étranger, les lois norvégiennes sont très intéressantes. Elles ont imposé en 2003 et 2004 l’existence d’indicateurs, l’équilibre des sexes dans les conseils d’administration des sociétés cotées, mais aussi des sanctions très fortes : on ne peut créer une société qui ne respecterait pas la loi et celles qui existent peuvent être dissoutes... Ces dispositions ont suscité beaucoup de controverses, mais ont attiré l’attention des entreprises sur des talents qu’elles ne voyaient pas – donc sur la présence des femmes dans les conseils d’administration – et ont fait prendre conscience aux parents que leur fille pouvait accéder à des emplois qu’ils n’avaient jamais imaginés pour elle. Dans la foulée, se sont créés des réseaux de femmes, des forums pour croiser les informations sur les entreprises, et les choses sont allées très vite. Puisqu’en 2008 il y avait 40 % de femmes dans les conseils d’administration des sociétés cotées en Norvège. Certes, aucune société n’a été dissoute, mais on voit bien là la nécessité des sanctions, donc d’une volonté politique. Des représentants du ministère de l’égalité de Norvège en ont parlé à Lille, lors de la conférence européenne sur l’égalité professionnelle.

Mme Catherine Coutelle. Il nous manque un ministère ou un secrétariat aux droits des femmes qui, lui, exigerait de produire des statistiques et des bilans sur la fonction publique. Les ministères nous répliquent que ce sont des politiques transversales, mais personne ne s’en occupe ! La France régresse !

Mme Françoise Milewski. La conférence tripartite de l’automne 2007 concernait uniquement le secteur privé. Quand, en tant que membre du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, j’ai posé la question du RSC, des statistiques et des mesures dans la fonction publique, on m’a répondu que cela dépendait de la conférence spécifique sur la fonction publique. Or celle-ci n’a pas du tout abordé la question des inégalités.

Il faut un ministère ou un secrétariat aux droits des femmes, vous avez raison, mais aussi des commissions parlementaires qui servent de poil à gratter en posant des questions, et des instances d’évaluation. Certes, le terme d’évaluation des politiques publiques est revenu à la mode, mais qui va la mener ?

Mme Catherine Coutelle. La crise va-t-elle provoquer une pression sur les femmes touchant de bas salaires pour qu’elles sortent du marché du travail, sachant que les mesures d’accompagnement vont disparaître ? 

Mme Françoise Milewski. Oui, car dans toute période de crise – et celle-ci est très grave – les segments les plus défavorisés sont les plus atteints. Les femmes seront tout particulièrement touchées en termes de choix familiaux, d’indemnités, de revenus, etc. Néanmoins, je ne veux pas tenir un discours misérabiliste selon lequel elles seraient les plus atteintes par le chômage car, même si les nombreux emplois créés dans les services, en particulier d’aide à la personne, sont précaires, elles en ont beaucoup bénéficié lors de la dernière décennie.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La crise actuelle n’est pas comparable aux autres. Auparavant, on disait aux femmes de rentrer au foyer. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus vicieux : tous les accompagnements ayant disparu, elles seront contraintes de choisir.

Mme Catherine Coutelle. Comme la semaine de quatre jours qui oblige les femmes à prendre leurs mercredis !

Mme Danielle Bousquet. Il y a un vrai problème d’évolution des concepts dans la société : l’égalité disparaît, diluée dans la diversité. Les évaluations de la diversité dans la fonction publique ne vont-elles pas porter un mauvais coup supplémentaire à l’égalité ?

Mme Françoise Milewski. Vous avez raison, c’est un vrai problème de concepts. La situation comparée des hommes et des femmes permet de réfléchir aux fondements des inégalités et aux moyens de les combattre. On ne peut pas le faire si l’égalité est diluée dans la notion de diversité.

Cette dilution vaut partout : dans le discours ministériel, à la DGAFP où une personne est chargée de la diversité, et dans les entreprises.

Autant je suis pour parler d’égalité hommes-femmes dans l’administration et pour réclamer un ministère, des études, des rapports hommes-femmes, et pas seulement un chapitre hommes femmes dans un bilan annuel ; autant, sur un plan tactique, je ne me vois pas dire aux DRH des entreprises privées que la nomination d’un responsable de la diversité ne convient pas. Nous serons fatalement amenés à travailler avec les équipes qui s’occupent de la diversité, dans laquelle il y aura une composante hommes-femmes.

J’ai été auditionnée par Le Conseil économique et social, qui avait rendu un rapport sur l’accès des femmes aux postes de direction aussi bien dans le privé que dans le public et dans les organismes sociaux, mais il n’en est rien ressorti de concret.

Le fait qu’il n’y ait plus de structure de réflexion n’est pas un problème en soi : il n’est pas forcément nécessaire de prolonger un comité ad vitam aeternam si ses propositions sont mises en œuvre, mais ce n’est pas le cas.

Mme Danielle Bousquet. Je partage votre avis sur la tactique : on ne peut pas mettre en cause la volonté des entreprises en matière de diversité. Une réflexion est-elle engagée pour trouver des pistes afin d’éviter que l’égalité ne soit engloutie ?

Mme Françoise Milewski. Les déléguées régionales à l’égalité disent que leur rôle est restreint, qu’elles vont faire partie de pôles « action sociale » sans très bien savoir ce qu’elles vont devenir.

Je le répète : le plus important, pour la fonction publique en particulier, n’est pas d’accumuler les textes, mais d’avoir une vraie volonté politique car, en matière d’inégalités hommes femmes, il est très facile de revenir en arrière. S’agissant de l’application de loi sur la parité en politique, les partis politiques ont préféré payer des amendes. C’est un bon exemple.

Tout cela rend très pessimiste. Nous avons terminé nos travaux en 2005 avec un sentiment mitigé, car nous avions progressé, mais sans appui de notre administration de tutelle, absente lors de notre dernière conférence de presse.

Une de nos propositions, à laquelle je tiens beaucoup, est de ne pas organiser de réunion après dix-huit heures ! Une représentante du ministère des affaires étrangères allemand nous a appris que ses collègues avaient affiché dans leur bureau : « ce n’est pas parce que ma direction est mal organisée que je dois en subir les conséquences ! ».

Si dans un ministère comme les affaires étrangères, certains services peuvent être ouverts tardivement, il n’y a pas de raison que tous fonctionnent sur ce mode. C’est également vrai pour les entreprises privées.

Les plaintes pour discrimination entre les sexes devant la HALDE sont très minoritaires – 6 % du total –, la moitié étant déposée par des hommes, notamment sur des problèmes de pension de réversion.

Cela dit, la démarche de cette autorité en matière d’inégalités salariales est intéressante : si un homme et une femme, entrés dans une entreprise à des postes équivalents, donc à salaires équivalents, ont des situations différentes au bout de quelques années sans que l’entreprise puisse les justifier, alors elle considère que c’est une discrimination et il y a condamnation. Pour le moment, ces cas sont minoritaires, mais s’ils venaient à être davantage connus, les entreprises feraient très attention – comme les entreprises américaines dont les services juridiques sont aujourd’hui très développés.

C’est une piste très intéressante que nous allons essayer de creuser avec la HALDE. Les rapports de situation comparée sont un point d’appui pour les partenaires sociaux qui s’en servent pour les négociations dans l’entreprise, mais si les négociations n’aboutissent pas, il est possible de saisir cette instance.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci beaucoup, madame.