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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 5 mai 2009

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 21

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

Audition sur le thème de l’accès des femmes aux responsabilités sociales et professionnelles :

– M. Michel Miné, professeur de droit du travail au Conservatoire national des arts et métiers.

– M. Jean-Christophe Baudouin, Président de l’Association des administrateurs territoriaux de France.

– Mme Midori-Laure Bourger, direction des ressources humaines du ministère des Affaires étrangères

Audition sur le thème de l’accès des femmes aux responsabilités sociales et professionnelles :

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de M. Michel Miné, professeur de droit du travail au Conservatoire national des arts et métiers.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous vous remercions, monsieur Miné, de venir nous apporter votre éclairage sur le dispositif législatif actuel de lutte contre la discrimination sexuelle et sur la proposition de loi n° 1533 tendant à favoriser l’égal accès des femmes aux responsabilités professionnelles.

M. Michel Miné, professeur de droit du travail au Conservatoire national des Arts et Métiers. Le colloque qui a eu lieu au Conseil économique, social et environnemental a montré que le bilan était très insuffisant.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est aussi mon avis. Il faut procéder à une évaluation précise de l’application des lois, en particulier celle de 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

M. Michel Miné. D’autant que la loi de 2006 relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes prévoit, ce qui est unique dans notre législation, une obligation de résultat en requérant la suppression des écarts de rémunération entre femmes et hommes au 31 décembre 2010.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Quelles sont les sanctions existantes ? Sont-elles suffisantes ?

M. Michel Miné. Il faut souligner que des sanctions existent même si elles ne sont pas spécifiques : l’idée selon laquelle il n’y en aurait pas, est fausse. Si une entreprise ne respecte pas l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes pour un travail de valeur égale, le code du travail prévoit des sanctions civiles et pénales. Et, quand les juridictions sont saisies, ces sanctions sont appliquées.

Très récemment, une entreprise a été condamnée pour discrimination sexuelle en raison de la prise en compte des congés de maternité dans le déroulement de carrière. La Cour de cassation a rendu un arrêt très important (chambre sociale, 16 décembre 2008, AFPA) dans cette affaire où la femme s’était vue refuser, à fonction équivalente, la même classification et la même rémunération que les autres salariés au motif qu’elle avait été recrutée comme sténodactylo alors que ses collègues, masculins, avaient des diplômes d’informaticien. L’employeur n’ayant pu apporter la preuve qu’un diplôme obtenu dans le passé suffisait pour apporter au travail effectué une valeur ajoutée supérieure, la Cour en a déduit qu’il n’y avait pas de justification à la différence de rémunération. Elle a donc confirmé le jugement de la cour d’appel qui avait condamné l’entreprise à reclasser la salariée et à effectuer un rappel de salaire de plus de 241 000 euros.

Cette affaire met en lumière des modes de raisonnement qu’il faut mettre en œuvre. Les sanctions existent et, en outre, les juridictions civiles, en application de la jurisprudence communautaire, octroient non seulement des dommages et intérêts, mais opèrent une « réparation intégrale », c'est-à-dire qu’elles procèdent à des requalifications, des modifications de contrat de travail et de rémunération. Elles replacent la personne dans la position qui aurait dû être la sienne si l’acte discriminatoire n’avait pas eu lieu.

La question est de savoir pourquoi il y a si peu de recours.

Le premier point consiste d’abord à mieux cerner les processus discriminatoires.

Il faut pouvoir identifier les discriminations sexuelles dans l’entreprise et d’abord comprendre que la règle d’égalité des rémunérations vaut pour un travail de valeur égale. C’est ce que prévoient la Constitution de l’OIT de 1919 et sa convention sur l'égalité de rémunération de 1951, l’article 141 du traité d’Amsterdam depuis 1997, la directive communautaire de 1975, la loi française depuis 1972. « À travail de valeur égale, salaire égal ». Ce point est capital et fonde de nombreuses décisions de justice.

Il ne s’agit pas de savoir s’il s’agit du même travail. Bien sûr, les hommes et les femmes ne font pas le même travail car le marché du travail est sexué. Bien sûr, au sein d’une même entreprise, les hommes et les femmes n’ont souvent pas les mêmes tâches, quand bien même ils auraient les mêmes fonctions. La question est de savoir si ces tâches différentes sont de valeur égale. Et en cas de rémunération inégale c’est à l’entreprise de démontrer qu’elles ne le sont pas. Si elle ne le peut pas, cela montre a contrario qu’une disparité de rémunération ne se justifie pas. Qu’il n’y ait pas de malentendu : devant le juge civil, il n’y a pas de recherche d’intention, la discrimination peut ne pas être volontaire, mais simplement le fruit des habitudes.

Deuxième point à prendre en compte, l’appréciation des situations dans le temps. Au lieu de se contenter d’une photographie à un moment donné, il faut faire le film, comme au cinéma, du déroulement des carrières et comparer leurs évolutions. Or on le fait peu. Les indicateurs, tels que la durée moyenne entre deux promotions, qu’il est prévu de suivre dans la nouvelle version des rapports de situations comparées marquent une première étape, mais ne sauraient suffire. Replacer l’évolution des carrières dans le temps, mettra en évidence, un peu partout, des plafonds de verre, dont on ne soupçonne pas toujours l’existence. On connaît celui qui bloque l’accès des femmes aux fonctions de cadre supérieur, de direction et à la gouvernance des entreprises. Mais il en existe aussi dans les filières très féminisées. Au bout d’un certain nombre d’années, des femmes aux compétences reconnues n’ont plus aucune perspective de carrière et elles plafonnent très rapidement. Ces cas de figure sont beaucoup plus rares dans les professions très masculinisées, sans doute à cause du mode d’élaboration des grilles de classification : description de postes et critères des emplois. Cela signifie que le problème de l’égalité salariale ne sera pas réglé tant que ces grilles n’auront pas été retravaillées et que leurs critères n’auront pas été passés au peigne fin.

Troisième point, l’évaluation des professions très féminisées. Très longtemps, on a estimé qu’il ne pouvait pas y avoir de discrimination dans ces professions. Mais le droit communautaire, en s’inspirant de dispositifs en vigueur dans d’autres pays, nous conduit à nous demander comment ces emplois seraient traités s’ils étaient occupés par des hommes. Les cabinets spécialisés dans les bilans de compétence sont en mesure d’identifier les compétences que ces emplois exigent, et de les évaluer de la manière la plus objective possible en cherchant à se débarrasser de tous les stéréotypes sexués. Faute d’avoir accompli ce travail en amont, il ne sera pas possible ensuite de réévaluer les emplois au regard de la grille de classification qui existe dans la branche et ils seront oubliés.

Pour attaquer ces trois chantiers, il faut que ceux qui négocient dans l’entreprise – l’employeur et les délégations syndicales – aient été préalablement formés. Sinon, ils passeront à côté du sujet, même avec la meilleure volonté du monde. Toute une série d’arguments qui sont présentés pour expliquer la différence de traitement– la différence de travail, de diplôme,…– ne résistent pas à l’analyse. Ils continuent pourtant à être utilisés, malgré les quelque 200 décisions rendues par le juge communautaire depuis le début des années soixante-dix. Tout le monde ne peut pas les connaître, évidemment, mais l’enjeu est de taille. La chaire de droit social du CNAM propose un cycle de formation sur ces questions puisque les négociateurs ont besoin d’être formés. À défaut, ils concluront des accords dépourvus de véritable portée.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les syndicats en sont-ils conscients ?

M. Michel Miné. Les directions confédérales plus ou moins, car elles travaillent la question depuis longtemps. Mais les équipes qui négocient les conventions collectives de branche n’étant pas formées, risquent fort de passer à côté du sujet quand elles examinent les grilles de classification, les descriptions de poste, les critères de compétence.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le problème est le même pour les organisations patronales. L’une d’entre elles réclamait un canevas pour savoir comment s’y prendre.

M. Michel Miné. On ne peut fournir un livre de recettes. Il faut forcément en passer par une étape de formation. Elle est essentielle, ne serait-ce que pour déconstruire les processus discriminatoires.

Au sein du groupe Adecco, où j’ai été désigné comme expert à la fois par la direction et par les organisations syndicales. La négociation a commencé par un temps de formation en commun. Au moins les délégations ont-elles pu parler ensuite la même langue, éliminant par là même une série de fausses questions qui, en général, empoisonnent la discussion et empêchent de traiter du vrai sujet. C’est particulièrement vrai dans le domaine de l’égalité entre les femmes et les hommes qui met en jeu la représentation que les personnes se font de l’autre.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. J’ai l’impression que tout est une question de volontarisme en la matière.

M. Michel Miné. Tout à fait.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Depuis une dizaine d’années, la médiatisation a progressé et l’expertise aussi. C’est bon signe.

M. Michel Miné. La jurisprudence montre que les femmes qui ont saisi le juge, l’inspecteur du travail, et maintenant la HALDE, ont dû faire preuve de beaucoup de constance. Avant d’en arriver là, elles ont épuisé toutes les voies de conciliation. Parfois, les entreprises seraient prêtes à reclasser les personnes, mais elles renâclent devant le rappel : 240 000 euros par exemple pour une salariée, ce n’est pas négligeable. Or il est difficile de passer outre, d’autant que la jurisprudence parle de « réparation intégrale », laquelle suppose de mettre à néant la discrimination en termes de classification et d’apurement du passif. Beaucoup de discriminations se cachent derrière des intitulés de poste différents pour des fonctions qui sont, en fait, équivalentes.

Des affaires de discrimination syndicale ont conduit à une réparation du préjudice subi par les syndicalistes, avec apurement du passif. Mais les femmes discriminées dans les entreprises concernées ne bénéficient pas du même traitement. Le paradoxe réside dans le fait que le droit s’est construit au niveau européen contre la discrimination sexuelle, mais qu’en France, il est trop peu utilisé en ce sens. Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, il sert à agir contre la discrimination syndicale, ce qui prouve qu’il n’y a pas de difficulté technique à l’utiliser. C’est une question de volonté de la part des organisations syndicales et des directions d’entreprise. Il y a des directeurs de ressources humaines prêts à jouer le jeu, mais la direction générale ou financière freine.

Pour en venir à la proposition de loi, j’aurais quelques remarques s’agissant de la représentation des salariées par le biais de la représentation du personnel.

Tout d’abord, il ne me semblerait pas juste d’exiger plus des organisations syndicales de salariés que des entreprises. Ainsi, il faudrait des règles équivalentes dans les instances représentatives du personnel et dans les conseils d’administration et autres structures commerciales.

Pour la représentation du personnel – délégués du personnel, comité d’entreprise et selon des modalités spécifiques comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) – il faudrait obtenir une même proportion d’hommes et de femmes sur les listes de candidats que dans l’entreprise. Il faut à la fois atteindre cette proportionnalité et éviter que les femmes ne se trouvent en fin de liste, en prévoyant une alternance relative pour que les femmes et les hommes soient répartis de manière équilibrée sur l’ensemble de la liste. On ne peut pas instaurer autoritairement l’équilibre, mais, s’il n’est pas suffisamment respecté, la liste pourrait ne pas être recevable, comme la proposition le prévoit pour les listes prud’homales.

On peut aussi étaler dans le temps la mise en œuvre de ces dispositions en fonction de l’effectif de l’entreprise, par exemple dans quatre ans – soit la durée des mandats – dans les entreprises de plus de 1 000 salariés et moduler ensuite par tranche d’effectif.

Si une évaluation de l’application des lois de 2001 et 2006 est réalisée, il faudra qu’elle soit aussi bien quantitative que qualitative.

J’ai eu accès à un document de travail établi par un consultant pour l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) qui pourrait servir à la négociation de branche. Il vise à permettre de mettre en lumière des différences de rémunération pour des fonctions identiques, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : quid des discriminations si les fonctions ne sont pas identiques, et du déroulement de carrière ? La jurisprudence a pourtant montré que des solutions existent en la matière. Quant à la question des emplois très féminisés, le même document ne comprenait pas de disposition particulière. Dans l’affaire Buscail contre IBM, la cour d’appel de Montpellier a adopté la méthode du juge communautaire, et mis en lumière que vingt ans environ après avoir été embauchés à des niveaux de qualification et de formation comparables, parmi un ensemble de salariés, tous les hommes étaient cadres, alors qu’aucune femme ne l’était. On s’aperçoit que les femmes restent beaucoup plus longtemps à chaque échelon sans que l’entreprise ne soit en mesure de fournir la moindre explication rationnelle.

Il faut d’ailleurs savoir que la salariée dont je vous ai parlé précédemment, avait, dans un premier temps, été déboutée par le conseil des prud’hommes. Les conseillers prud’homaux salariés n’étant pas habitués à détecter les discriminations sexuelles, le plus souvent ne les voient pas et, d’autre part, les conseillers prud’homaux employeurs sont extrêmement réticents à condamner une entreprise pour ce motif.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le faible nombre de femmes parmi les conseillers joue-t-il ?

M. Michel Miné. Oui. On l’a vu lors d’affaires de harcèlement sexuel : les plaignantes ont été déboutées par des juridictions masculines avant d’obtenir gain de cause devant une cour d’appel. La formation des conseillers, tant salariés qu’employeurs, constitue aussi un enjeu

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La présence des femmes est en faible progression.

M. Michel Miné. Il est souhaitable qu’il y ait davantage de femmes mais il faudrait surtout des conseillers formés sur cette problématique. Dans le monde des représentants des entreprises, les différences sont considérables entre les directeurs de ressources humaines partisans du volontarisme et ceux qui restent sur des schémas anachroniques.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il me semble que la HALDE elle-même a évolué.

M. Michel Miné. L’environnement ne l’y incitait guère. Le monde associatif féministe ignore encore largement le droit. Il ne constitue pas à ses yeux une ressource pour penser et agir. Les associations sont donc condamnées à une posture protestataire, à la dénonciation, au lieu de l’action. Du coup, la HALDE est très peu sollicitée. Or, tel un juge, elle répond aux questions qu’on lui pose. Il y a désormais des instruments, des modes de raisonnement qui ont été élaborés au niveau européen pour agir contre la discrimination sexuelle et que l’on utilise contre la discrimination syndicale ou raciale, mais trop peu à ce pour quoi ils ont été conçus. Ce n’est pas acceptable. Le « transfert de technologies » s’est fait, mais pas suffisamment, et pas là où on l’attendait.

La question des représentations est extrêmement importante. Dans les entreprises, les discriminations se cachent dans les intitulés de poste. Il arrive que les hommes et les femmes exercent des fonctions équivalentes, mais avec des intitulés différents selon le sexe auquel ils appartiennent. Il faut commencer par là. Et cela ne date pas d’hier. Je vous renvoie à l’arrêt Bocama de 1988 de la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Qui, dans l’entreprise, peut se rendre compte de telles discriminations ?

M. Michel Miné. Les salariés en ont une connaissance empirique mais il y a beaucoup de déni et les stéréotypes cachent la réalité. Les délégués du personnel ont un droit d’alerte en matière de discrimination depuis la loi du 30 décembre 1992 et ils commencent à l’exercer. Ils saisissent l’employeur qui doit alors mener une enquête et prendre des mesures pour faire cesser la discrimination. S’il ne le fait pas, le délégué du personnel peut saisir directement le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui peut ordonner, selon la forme du référé, toute mesure pour faire cesser la discrimination. La procédure est extrêmement efficace quand elle est mise en œuvre, mais elle suppose que les acteurs aient été formés à ces questions.

S’agissant de l’accès des femmes aux responsabilités, certains outils du droit français sont de nature à produire des discriminations indirectes. Les règles sur le temps de travail : par exemple, le régime particulier applicable aux cadres dirigeants et les forfaits jour qui allongent le temps de la semaine de travail – à tel point que le Conseil de l’Europe considère que la France viole la Charte sociale européenne révisée –, sont de nature à dissuader les femmes d’accéder à certains niveaux de responsabilité où elles ne bénéficieront plus, ou presque, de certaines dispositions protectrices.

En outre, eu égard à la répartition sociologique des tâches entre femmes et hommes, ces derniers pourront, eux, accepter des dossiers qui exigent des durées de travail extrêmement importantes si bien que, de manière très objective, l’employeur accordera la promotion à celui qui aura le plus travaillé sur certains dossiers. Le droit favorise cette discrimination, en ne fixant plus de limite.

Les parlementaires ont transposé dans le code du travail l’interdiction des discriminations indirectes en votant la loi du 27 mai 2008. Mais, dans le même temps, ils adoptent des mesures qui produisent de la discrimination indirecte, et qui sont contraires à certains engagements internationaux de la France. Pourtant, on ne peut pas se contenter du statu quo si l’on veut traiter la question de l’égalité professionnelle.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le professeur, nous vous remercions.

*

* *

Ensuite, la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l’audition de M. Jean-Christophe Baudouin, Président de l’Association des administrateurs territoriaux de France.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous accueillons M. Jean-Christophe Baudouin, président de l’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF) pour nous parler de l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique territoriale.

M. Jean-Christophe Baudouin. Appelés à exercer leurs fonctions dans les collectivités locales importantes – villes de plus de 40 000 habitants, établissements publics de coopération communale, centres communaux d’action sociale, départements et régions –, les administrateurs territoriaux constituent le vivier des cadres supérieurs de la fonction publique territoriale.

Concernant l’approche statistique de la question de l’accès des femmes aux responsabilités dans les collectivités, nous ne disposons que de très peu d’outils.

D’abord, les outils statistiques disponibles sont élaborés par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), par l’intermédiaire de son Observatoire de l'emploi, des métiers et des compétences, puis repris par la Direction générale des collectivités locales (DGCL). D’ailleurs, le rapport 2005 du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, dont Mme Évelyne Boscheron était rapporteure, s’appuie sur des éléments quelque peu disparates.

Ensuite, il faut faire attention au fait que le périmètre d’étude peut varier d’une année sur l’autre ce qui rend les comparaisons dans le temps très délicates. C’est ainsi qu’à partir de l’Acte II de la décentralisation, 100 000 TOS – personnels techniciens, ouvriers et de service – ont été intégrés dans les départements et les régions, ce qui a eu une incidence forte en termes statistiques dans la mesure où ce personnel est essentiellement masculin.

De même, lorsque les départements ont eu à gérer la partie allocation du RMI, l’appareil statistique a également été déformé, car ce sont essentiellement des agents féminins qui ont intégré les collectivités.

Enfin, l’appareil statistique est également déformant en fonction des collectivités : il n’a quasiment pas bougé pour les communes et les intercommunalités, mais a énormément varié pour les départements et les régions. Aussi, certaines évolutions constatées dans le rapport devraient être précisées.

Le Comité de pilotage pour l'égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques, dit Comité Le Pors, avait d’ailleurs regretté à l’époque, de ne pas disposer d’un appareil statistique permettant de réaliser une évaluation précise, ce qui, à ma connaissance, est toujours le cas. Je tenais à appeler votre attention sur ce point de méthodologie, car il faut être très prudent sur les évolutions et, partant, sur les constats.

Le comportement des collectivités n’est pas plus exemplaire que celui d’autres employeurs. On constate que, a priori, une forme de féminisation métiers perdure certains, y compris pour les emplois à responsabilité. Ainsi, traditionnellement, les postes de directeur général adjoint (DGA) dans les collectivités sont plutôt féminins dans les domaines social et culturel, et masculins dans les domaines plus techniques. Cette division sexuée existe toujours.

Cela dit, je parle des agents aujourd’hui en poste mais il faut, là encore, être très prudent concernant la situation actuelle.

D’abord, pour le concours d’administrateur territorial – deuxième concours le plus présenté après celui de l’ENA à Sciences Po Paris et avant celui de l’École de santé de Rennes, la moyenne de l’ensemble des dernières promotions – Cervantès, Monod, Aubrac et Galilée – donne un pourcentage de 51 % d’hommes et donc de 49 % de femmes.

Ensuite, en termes de flux, commence à apparaître une génération de jeunes femmes accédant directement aux fonctions de direction générale des services, c’est-à-dire avant trente-cinq ou quarante ans, ce qui est nouveau.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Comment cette évolution a-t-elle été rendue possible ?

M. Jean-Christophe Baudouin. C’est à la fois la marque d’une envie et d’un processus naturel.

En fait, les derniers postes de direction générale des services qui ont été ouverts au sein de la même promotion sont allés pratiquement autant à des jeunes femmes qu’à des jeunes hommes. Autrement dit aujourd’hui, le comportement en matière de recrutement est presque paritaire. Il ne l’est pas totalement, car davantage de jeunes hommes issus de la même promotion accèdent, et un peu plus rapidement, aux postes de direction générale, soit une moyenne non pas de 51 % – 49 %, mais plutôt de 60 % – 40 %.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Qu’est-ce qui empêche la parité ?

M. Jean-Christophe Baudouin. Le taux des femmes accédant aux postes de direction générale est tout de même passé de 5 à 10 % il y a une quinzaine d’années, à 40 % aujourd’hui !

Concernant la parité, le rapport de Mme Boscheron avait pointé une difficulté.

Après un parcours classique – Sciences Po ou Master 2 –, ces étudiants suivent une formation pendant dix-huit mois. Âgés de vingt-cinq ou vingt-six ans, ils doivent alors attendre six ou sept ans pour accéder à un premier poste de directeur général des services. Or, l’âge de la maternité – même s’il a reculé – est de trente-deux à trente-cinq ans. C’est un point de blocage, mais sans outre mesure. Aujourd’hui, les jeunes femmes DGS me semblent se trouver dans cette posture.

M. la présidente Marie-Jo Zimmermann. Quelle est leur moyenne d’âge ?

M. Jean-Christophe Baudouin. Celles auxquelles je pense ont entre trente-deux et trente-cinq ans. L’approche des jeunes couples en matière d’organisation de vie consiste à se débrouiller pour concilier un ensemble d’« injonctions paradoxales ». Aujourd’hui, on saisit les opportunités, puis on fait avec. Cette modification dans les comportements est récente : elle date de cinq ou six ans. Le reste suit, y compris l’organisation collective du travail. Il ne me viendrait jamais à l’esprit d’organiser une réunion à dix-huit heures quarante-cinq sachant que le meilleur de mes cadres ne pourrait y assister. On s’organise autrement.

Il faut dire que le nomadisme en matière de travail a considérablement changé la donne. À notre époque, on peut travailler avec des moyens dont on ne disposait pas voilà simplement quinze ans : le télétravail, les messageries électroniques et autres outils ont donné un sérieux coup de vieux au bureau des temps, que nous avons expérimenté, comme moi à Nantes il y a quelques années.

L’individualisation du travail et au travail – qui rend précisément les choses possibles – donne aussi un coup de vieux aux propositions du Comité Le Pors et du rapport Boscheron. Désormais, la régulation du travail des femmes et des hommes jeunes va au-delà du cadre collectif. Toutes les jeunes femmes ayant accédé aux responsabilités que je connais sont en phase avec leur temps, notamment avec les nouveaux moyens de communication, et dans leur rapport au travail, en voulant tout, elles organisent non pas leur temps au travail, mais leur temps de vie.

De plus en plus de collectivités contractualisent aujourd’hui sur cette base. Une DGA m’a demandé au moment de son recrutement de pouvoir prendre un train à dix-huit heures dix, mais il faut savoir que le matin, elle arrive au bureau à sept heures quarante-cinq et que nous communiquons parfois le week-end par mails.

Les jeunes pères avec qui je travaille sont également en phase avec cette évolution, ce qui traduit un profond changement en termes d’approche du temps de vie par rapport aux générations précédentes. C’est important car si les chiffres en termes de stock semblent nous montrer une situation négative, elle ne l’est pas en réalité.

Une question se pose à nous aujourd’hui, celle de l’accompagnement du vieillissement au travail, notamment chez les éléments féminins ? Ce ne sont pas cependant les femmes cadres qui nous posent le plus de problèmes, même si celles qui ont entre cinquante-neuf ans et soixante-trois ans ont dû sacrément se battre pour arriver aux postes de direction générale.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La génération des cinquante - soixante-cinq est en effet celle qui s’est le plus battue.

M. Jean-Christophe Baudouin. Elles en ont tellement vu pour arriver où elles sont qu’elles sont inoxydables ! Elles ont en tout cas un mode de management totalement différent des éléments plus jeunes. Elles ont fait un choix de vie, parfois douloureux, mais assumé : les jeunes femmes d’aujourd’hui, elles, veulent tout.

Mais toutes ne sont pas cadres les femmes dont je parle sont plutôt les agents âgés de cinquante à soixante ans, usés par le travail. Les plus grosses pathologies osso-musculaires touchent les femmes, notamment les personnels d’entretien et de cantine dans les communes. En revanche, les pathologies anxio-dépressives, qui concernent les métiers sociaux, en particulier les travailleurs sociaux, métier fortement féminisé, apparaissent plus tôt : alors qu’elles touchaient les femmes de quarante-cinq à cinquante ans auparavant, elles frappent celles âgées de trente-huit à quarante ans aujourd’hui.

Un problème juridique, pas encore tranché, se pose : le statut de la fonction publique n’autorise pas ces agents, notamment les travailleurs sociaux, à évoluer vers un autre métier. Mme Boscheron parle d’une inégalité d’accès à la formation ce qui est très vrai, mais le problème majeur n’est pas là. Si des entreprises peuvent très facilement faire évoluer leurs salariés d’un métier à l’autre, la fonction publique ne le fait pratiquement pas, car le problème statutaire complique les choses et ne peut souvent être réglé que sous l’angle médical – ce qui est dommage car il faut attendre le déclenchement de la maladie.

Le travail réalisé en 2005 doit donc absolument être reconsidéré eu égard aux nouvelles donnes, comme le travail nomade ou le comportement des jeunes générations, notamment chez les administrateurs. Si certaines propositions telles que la demande d’éléments statistiques et d’évaluation et l’aménagement des temps étaient intéressantes, il faut reprendre l’ensemble des préconisations.

Au sein de l’Association, nous avons créé un groupe « égalité des chances », ce terme étant, je l’admets, un peu daté.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est malheureux.

M. Jean-Christophe Baudouin. Ce terme recouvre en effet cette vieille idée un peu messianique, alors que les jeunes femmes ne demandent absolument pas cela : elles veulent contractualiser leur vie. Or le rapport Boscheron ne dit quasiment rien sur le contrat, et ses préconisations sont surtout d’ordre unilatéral. Les jeunes femmes, je le répète, n’en sont plus du tout là.

M. Danielle Bousquet. Concernant la contractualisation, vous parlez uniquement des métiers d’administrateurs ?

M. Jean-Christophe Baudouin. La contractualisation a plutôt été ouverte aux emplois d’encadrement. L’évolution en ce sens est très nette. Cela étant, cette nouveauté tend à s’étendre.

Les collectivités ont une chance par rapport à l’État : ce sont elles qui ont inventé le marché de l’emploi.

Mme Danielle Bousquet. Les créations d’emploi y sont très importantes.

M. Jean-Christophe Baudouin. Pour autant, on ne va pas dans une collectivité sans le vouloir : autrement dit, on se choisit mutuellement. La contractualisation porte, dès le départ, sur un parcours de vie, et pas seulement un parcours de travail. Je suis toujours étonné que l’État ne s’approprie pas ce système extraordinaire. 

Entre des assemblées politiques composées respectivement de neuf hommes et une femme, de six hommes et quatre femmes, de cinq hommes et cinq femmes, voire de six femmes et quatre hommes, les conséquences ne sont pas les mêmes. Mais si les femmes sont à présent plus nombreuses, les jeunes hommes d’aujourd’hui portent également d’autres valeurs. Certains élus vice-présidents m’ont ainsi demandé d’organiser des réunions de commission bien avant l’heure habituelle – les fameux vingt heures ou vingt et une heures – pour pouvoir être à la maison à vingt heures et s’occuper des enfants !

Certes, l’évolution observée dans les collectivités est encore minoritaire en raison de la différence de générations et d’emplois. En outre, toutes les collectivités n’en sont pas au même stade car si les établissements publics de coopération intercommunale, les communes et les régions sont en phase avec la société, je ne suis pas aussi sûr que les départements le soient.

Mme Danielle Bousquet. C’est logique car la représentation des femmes élues dans les communes et les régions est bien supérieure à celle des départements. Dans les conseils généraux, les hommes ne sont pas confrontés aux réalités de leurs collègues élues femmes puisqu’elles sont très peu nombreuses et ont souvent l’âge d’être grand-mère ! La question de la parité ne se pose donc pas dans les mêmes termes pour eux.

M. Jean-Christophe Baudouin. Autre point important : le regard des hommes politiques sur les jeunes femmes qu’ils recrutent est également en train de changer. En effet, pour qu’elles accèdent aux postes de directrice générale, comme c’est le cas aujourd’hui, il faut bien que les hommes – encore majoritaires – les recrutent.

Des hommes politiques, des présidents recrutent aujourd’hui des femmes, ce qui était difficile pour d’autres il y a une dizaine d’années. C’est aussi une question de génération.

Il ne faut culpabiliser ni les collectivités ni les autres employeurs. Les choses doivent venir naturellement : encore une fois, sans doute par le contrat. Or dans les années 2000 notamment, on a pris le problème par le mauvais bout en posant la responsabilité sociale de l’employeur.

En 1991, j’avais proposé pour la première fois la création d’une crèche à un président de conseil général, en utilisant des arguments d’efficacité et de management, qui se sont d’ailleurs avérés. Tout ce qui est collectif, unilatéral et culpabilisant ne marche pas, il faut agir autrement : par le management, l’efficacité et le contrat. Comme le bureau des temps, le thème de la culpabilisation ne marche pas. De toute façon, les jeunes femmes cadres refusent tout simplement cette conception des choses.

À cet égard, la demande des personnels féminins de pouvoir poser leurs congés par rapport à ceux de leurs conjoints est un grand classique ! Comme si l’administration et les collectivités devaient toujours se plier aux contraintes du secteur privé, comme si les contraintes de l’efficacité n’y existaient pas !

Autre point irritant : la masculinisation des termes. Hier encore, je lisais dans le journal Le Monde : « recrutons directeur développement homme/femme » ! C’est symbolique !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. À partir de là, d’autres habitudes vont se créer dans la vie au travail. C’est encourageant et positif.

M. Jean-Christophe Baudouin. Oui, car c’est prendre le travail pour ce qu’il est : un élément de la vie.

Seuls les bureaux des temps axés sur l’urbanité – la place des piétons, les établissements publics, etc. – et la société, comme en Italie, ont fonctionné. Des concepteurs de bureaux des temps ont mené une vraie réflexion, notamment en matière de crèches parentales, après s’être aperçus de la nécessité d’avoir à proximité des lieux de travail des structures de garde d’enfants. Aujourd’hui, les urbanités travaillent sur la mobilité durable. À Nantes par exemple, les équipements publics, notamment les bibliothèques, et les passages des tramways ont été examinés sous l’angle du trajet domicile-travail.

Quant au flux, l’évolution est rapide du fait du départ des babys boomers et de l’arrivée en masse des jeunes générations.

Mme Danielle Bousquet. En tant que président de l’Association des directeurs administrateurs territoriaux, parlez-vous exclusivement des administrateurs ou des fonctionnaires territoriaux en général ?

M. Jean-Christophe Baudouin. Mon propos repose sur l’expérience de mes deux casquettes de directeur général de collectivité et d’ancien DRH pendant dix ans dans de grandes collectivités.

Autres Points : l’allongement de la durée de vie a un impact très important sur les comportements. Autrefois, les femmes cadres n’anticipaient pas leur parcours. Les jeunes femmes d’aujourd’hui sont conscientes de la nécessité de gérer leur temps car, en arrivant aux responsabilités à trente-deux ou trente-trois ans, elles devront « tenir » trente-cinq ans. C’est aussi un élément nouveau et donc une raison supplémentaire qui les fait ne pas choisir : travail, mari, enfants, autant avoir tout, car ce sera très long et elles ne peuvent pas préjuger l’avenir. C’est un discours que j’ai entendu de multiples fois.

Mme Danielle Bousquet. Elles ne veulent pas être dans la victimisation d’emblée !

M. Jean-Christophe Baudouin. Voilà pourquoi, encore une fois, la responsabilité sociale de l’employeur est révolue car il s’agit toujours d’une démarche unilatérale, d’un comportement descendant.

Mme Danielle Bousquet. Ces jeunes femmes estiment que c’est à elles de s’organiser, pas à l’employeur de le faire. Mais si chacun doit trouver ses propres solutions, avec toutes les inégalités qui en découlent, on prend la marche inverse de l’évolution vers l’égalité ! Sans organisation sociale collective, c’est le chacun pour soi, l’individualisme le plus total.

M. Jean-Christophe Baudouin. Sur ce point, la marge de manœuvre des syndicats est très étroite car, si le cadre est collectif, les jeunes aspirent à une contractualisation, à une régulation individuelle. C’est un des aspects de la crise de la représentation syndicale, notamment dans les collectivités.

La notion de cadre collectif mérite certainement d’être légitimée en elle-même. Mais je ne sais pas comment doit se faire la régulation.

Mme Danielle Bousquet. Le chacun pour soi est producteur de frustrations, de difficultés, d’inégalités entre les individus, les personnes et les territoires. Des réflexions sont-elles engagées sur la question de la régulation collective ?

M. Jean-Christophe Baudouin. Bien entendu. C’est bien pour cette raison d‘ailleurs que je suis président d’association ! Nous sommes heureusement encore quelques-uns à croire au cadre collectif. Pour ma part, j’ai remplacé trois vice-présidents masculins par trois femmes – ce qui n’est pas allé de soi.

Mais le cadre collectif n’est plus le même aujourd’hui. La force des collectivités locales est d’avoir un cadre collectif suffisamment petit pour être gérable. Elles peuvent incarner un territoire donné, un cadre de vie immédiatement repérable. Elles sont donc bien plus souples que l’État, car les problèmes sont immédiatement identifiables. La contractualisation marche parce que nous pouvons identifier les choses.

Mme Danielle Bousquet. Pour moi, la régulation ne peut être que collective. Si tout le monde réussit individuellement, c’est la fin du sens d’une société constituée.

M. Jean-Christophe Baudouin. C’est bien mon avis.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci beaucoup, monsieur Baudouin, pour cet exposé très intéressant.

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Enfin, la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l’audition de Mme Midori-Laure Bourger, direction des ressources humaines du ministère des Affaires étrangères.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous accueillons Mme Midori-Laure Bourger, pour nous présenter les actions mises en œuvre au sein du ministère des affaires étrangères et européennes (MAE) en faveur de l’égalité femmes-hommes.

Mme Midori-Laure Bourger, direction des ressources humaines du ministère des Affaires étrangères. L’égalité de l’accès des femmes aux responsabilités est une question qui ne s’est posée que très récemment au ministère : la première ambassadrice n’a été nommée qu’en 1972 et la première directrice d’administration centrale qu’en 1985.

Depuis, des progrès ont été réalisés. On compte aujourd'hui 24 femmes sur 174 ambassadeurs, soit 13 %. Elles étaient 17 en 2006 et 20 en 2007. L’augmentation est donc régulière. Les femmes représentent plus de la moitié des effectifs du MAE, cependant elles ne comptent que pour 31 % des catégories A. En outre, leur nombre diminue à partir du grade de directeur adjoint.

Le progrès est en revanche notable au sein du cabinet ministériel. Le nombre des conseillères techniques a ainsi augmenté de près de 200 %.

Le ministre s’est par ailleurs engagé, à la suite des Journées de la femme 2008 et 2009, à favoriser la parité dans les nominations et à promouvoir un nombre de femmes proportionnellement supérieur au vivier disponible. C’est ainsi qu’en 2008, les femmes ont représenté, dans la catégorie B, 52 % des 42 % promus, et, dans la catégorie A+, celle des conseillers hors classe, 35 % des 20 % promus.

Le faible nombre de femmes dans l’encadrement supérieur est dû à de nombreux obstacles. Le premier est d’ordre culturel : le modèle du diplomate s’est construit sur celui de l’homme diplomate et de la femme qui assure l’intendance.

D’autres obstacles proviennent des méthodes de travail : le Quai a toujours favorisé une organisation fondée, d’une part, sur des horaires très étendus qui ne permettent pas, surtout pour les catégories A, de concilier vie familiale et vie professionnelle, et, d’autre part, sur des réunions de travail tardives autorisant de longues prises de parole. Enfin, il ne faut pas oublier l’existence, plus ou moins souterraine, de réseaux entre hommes.

Une politique a donc été mise en place depuis quelques années pour changer cet état de fait.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les femmes ambassadeurs ont-elles été nommées à des postes prestigieux ?

Mme Midori-Laure Bourger. De nombreuses femmes figurent au sein de la représentation permanente française à Bruxelles auprès de l’Union européenne. Mais aucune ambassadrice n’a été nommée dans un pays du G8.

Outre un effort en matière de promotion, les deux premières Journées de la femme, qui ont réuni les agents du ministère sous la présidence du ministre, ont permis des avancées opérationnelles en termes de méthodes de travail.

Après la Journée de 2008, le ministre a signé, en juin de la même année, une circulaire tendant à interdire après dix-sept heures, les réunions interservices non motivées par l’urgence. La création d’une crèche a par ailleurs été décidée – elle sera prête à la rentrée 2009 au sein des locaux du ministère, rue de la Convention. Enfin, les horaires ont été limités – sauf au quai d’Orsay – à La Courneuve, à Nantes, à Convention, afin d’éviter des pratiques obligeant les agents, dans certains services, à rester très tard pour montrer leur engagement dans le travail.

La Journée de la femme 2009, en tirant le bilan de cette politique, a permis de se rendre compte que la circulaire n’avait pas été appliquée partout. Aussi le Secrétaire général du Quai a-t-il adressé une note à tous les chefs de service pour leur rappeler l’importance de la rationalisation des méthodes de travail. Par ailleurs, une charte de bonne organisation des réunions a été rédigée. De même, il a été jugé nécessaire de poursuivre les efforts engagés en matière de nomination et de promotion, d’augmenter éventuellement les places de crèche et d’étendre les possibilités de télétravail pour permettre une meilleure conciliation entre vie privée et vie professionnelle. Tous les agents de catégorie A qui le demandent peuvent bénéficier de cette dernière possibilité – ce sont en effet eux qui ont les horaires les plus lourds.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Quels sont ces horaires justement ?

Mme Midori-Laure Bourger. La journée débute assez tard, vers neuf heures trente, mais certains services terminent leur travail à vingt et une heures, voire vingt-trois heures. À la Convention, l’heure limite est vingt et une heures.

Mme Danielle Bousquet. Cette organisation est-elle due aux relations que les agents doivent entretenir avec les ambassades tout autour de la planète ou simplement à l’organisation interne du ministère ?

Mme Midori-Laure Bourger. Elle n’est pas forcément liée au décalage horaire. mais plutôt due à une culture qui valorise la présence.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les femmes n’ont pas essayé de changer cet état de fait ?

Mme Midori-Laure Bourger. C’est difficile quand elles sont une minorité. En tout cas les choses ont évolué depuis que le ministre s’est saisi du problème.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il a donc fallu une volonté politique.

Mme Midori-Laure Bourger. Au-delà des Journées de la femme, deux plans triennaux – 2004-2007 puis 2008-2011 – ont été adoptés en faveur de l’égalité femmes-hommes. Les chefs de service devront bientôt se justifier s’ils décident d’organiser des réunions tardives. En outre, le ministre a signé, en mars 2009, la charte de l’égalité professionnelle et de l’égalité des chances qui inclut l’ouverture du ministère à plus de diversité sociale ou ethnique.

Mme Danielle Bousquet. À terme, le souci d’égalité exprimé par le ministre devrait ainsi rejoindre celui de la rationalisation du travail.

Mme Midori-Laure Bourger. L’objet de la deuxième Journée de la femme portait d’ailleurs sur les méthodes de travail propres à favoriser l’égalité femmes-hommes et une meilleure conciliation entre vie privée et vie professionnelle. On s’est rendu compte à cette occasion que les hommes s’appropriaient cette thématique, se plaignant également des horaires très lourds, d’une culture trop individualiste et du culte de la présence. Nous comptons par ailleurs, nommer un médiateur Diversité qui pourrait recevoir les plaintes de personnes qui s’estimeraient discriminées ou victimes de harcèlement.

Mme Danielle Bousquet. Sur le modèle de l’Ombudsman ?

Mme Midori-Laure Bourger. Ce ne serait pas un agent du ministère afin que les personnels, en cas supposés de harcèlement ou de discrimination, puissent s’adresser à quelqu’un d’autre qu’à la direction des ressources humaines (DRH) qui est aussi chargée de les évaluer.

Mme Danielle Bousquet. Une telle nomination est-elle toujours au stade de l’intention ?

Mme Midori-Laure Bourger. Elle devrait être effective d’ici à la fin de l’année.

Nous comptons également changer l’état d’esprit de l’encadrement, en sensibilisant en particulier tous les agents de la DRH à la question des discriminations, en partenariat notamment avec la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE). Cette sensibilisation s’inspire surtout de la charte pour la promotion de l’égalité dans la fonction publique, signée en décembre 2008.

Mme Henriette Martinez. Comment le modèle du diplomate, auquel vous faisiez allusion s’agissant des obstacles d’ordre culturel, évolue-t-il ?

Mme Midori-Laure Bourger. De plus en plus de femmes sont diplomates, et les épouses de diplomates ne veulent plus aujourd'hui forcément arrêter de travailler. Nous avons de nombreux cas d’agents, hommes ou femmes, qui ne veulent plus partir afin de ne pas nuire à la carrière de leur conjoint.

Mme Danielle Bousquet. Nommer une femme à un poste important ne suffit plus : il faut également lui donner les moyens d’assumer sa fonction, comme avant pour un homme qui pouvait compter sur sa femme.

Mme Midori-Laure Bourger. Nous essayons, quand deux conjoints travaillent au MAE, ou quand le conjoint est fonctionnaire, de faire en sorte qu’ils puissent partir ensemble. Tel est l’objet de l’Association française des conjoints d’agents du ministère des affaires étrangères qui tend à éviter les phénomènes de célibat géographique qui peuvent être difficiles à vivre. Nous apportons chaque année 28 000 euros à cette association par le biais d’une convention sur trois ans. Au sein de la DRH des agents s’occupent également de favoriser le travail des conjoints sur place et de faciliter leur vie quotidienne.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Quelle est votre fonction au sein du ministère ?

Mme Midori-Laure Bourger. Je m’y occupe de la question de l’égalité femmes-hommes, ce qui me prend beaucoup de temps, surtout que nous allons bientôt remettre notre dossier de candidature au label égalité professionnelle de l'Association française de normalisation (Afnor). Je participe également à la gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans chaque ministère, une personne est pourtant censée être chargée à temps plein de cette question. Votre travail n’est donc pas uniquement consacré à la question de l’égalité femmes-hommes.

Mme Midori-Laure Bourger. A 75 %. L’un de mes collègues s’occupe de la question des conjoints – nous travaillons donc souvent ensemble – et un autre traite également de celle de l’égalité, mais parmi de nombreuses autres.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est clair, sachant que dans d’autres ministères il n’existe même pas de chargé de l’égalité, que tout dépend en la matière de la volonté politique du ministre.

Mme Danielle Bousquet. Pourrez-vous nous faire parvenir, concernant les statistiques de la parité, des comparaisons avec la situation qui prévalait avant janvier 2009 ?

Mme Midori-Laure Bourger. Je vous ferai parvenir un tableau, sachant que les statistiques en matière de parité ne sont établies régulièrement que depuis 2007.

Mme Danielle Bousquet. La volonté de promouvoir les femmes en plus grand nombre que les hommes, toutes proportions gardées, s’applique-t-elle également à tous ces anciens contractuels qui sont en CDI sans être fonctionnaires ?

Mme Midori-Laure Bourger. Il existe un objectif, assez restreint, de prendre en CDI des contractuels qui sont depuis plus de six ans au ministère, mais je ne dispose pas de la répartition femmes-hommes.

Mme Danielle Bousquet. On constate en tout cas, s’agissant des conseillers techniques, qu’un effort a été réalisé.

Mme Midori-Laure Bourger. Depuis l’arrivée du ministre, sur vingt conseillers techniques, le nombre de femmes est passé de deux au 31 décembre 2006 à neuf au 31 décembre 2008. La parité est presque atteinte.

Mme Henriette Martinez. Vous avez parlé de l’existence de réseaux entre hommes. Qu’en est-il aujourd'hui ?

Mme Midori-Laure Bourger. Nous avons créé d’autres réseaux. Ainsi, nous avons invité à la Journée des femmes des intervenantes extérieures qui ont proposé des solutions tirées du privé. Par ailleurs, l’association Femmes et diplomatie a été créée l’année dernière à l’initiative de jeunes femmes diplomates.

Mme Henriette Martinez. Comment les hommes qui sont majoritaires dans les postes de direction perçoivent-ils cette augmentation substantielle du nombre des femmes ?

Mme Midori-Laure Bourger. Cela varie selon les âges et les tempéraments. S’il y a des résistances, elles ne sont pas formulées explicitement.

Mme Danielle Bousquet. L’ensemble des personnels estime donc avec le ministre que la promotion des femmes est une très bonne idée et que leur présence permet de rationaliser les conditions de travail ?

Mme Midori-Laure Bourger. Cette politique commence à être acceptée, mais elle est encore récente. Dans certains services du quai d’Orsay une certaine culture ancienne se maintient.

Mme Henriette Martinez. Votre rôle est-il connu de tous et comment est-il perçu ?

Mme Midori-Laure Bourger. Des agents qui font l’objet de traitements discriminatoires ou de remarques misogynes viennent me consulter, mais à titre personnel. Nous nous occupons plutôt pour notre part des grandes lignes de la politique en matière d’égalité femmes-hommes. Généralement, lorsqu’il y a un problème, les agents s’adressent à leur service gestionnaire. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous allons créer le poste de médiateur afin qu’ils n’aient plus à se tourner uniquement vers le service qui les gère et qui les note.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il me reste, madame, à vous remercier.