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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 16 février 2010

Séance de 17 heures 10

Compte rendu n° 10

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de M. Didier Maus, président émérite de l’Association française de droit constitutionnel, sur les projets de loi relatifs à la création des conseillers territoriaux

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition sur les projets de loi relatifs à la création des conseillers territoriaux, de M. Didier Maus, président émérite de l’Association française de droit constitutionnel.

L’audition débute à 17 h 10.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mes chers collègues, nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui M. Didier Maus, président émérite de l’Association française de droit constitutionnel, pour poursuivre notre réflexion sur les projets de loi relatifs à la création des conseillers territoriaux.

Nous souhaiterions tout d’abord vous entendre à propos du mode de scrutin proposé pour l’élection des futurs conseillers territoriaux. Quelle en est votre analyse sur le plan constitutionnel, en particulier au regard de l’article 1er de la Constitution ? Quelles sont les incidences, en termes de parité, des différents types de scrutin et de l’instauration du « ticket paritaire » pour les cantonales ? Quels sont les aménagements possibles ou les conditions indispensables permettant d’aboutir à un résultat paritaire ? Quid de l’application de la loi de 2007 imposant la parité dans les exécutifs régionaux ?

Nous aimerions d’autre part recueillir votre sentiment sur l’extension de l’obligation paritaire aux communes de 500 à 3500 habitants, proposée par le même projet de loi.

M. Didier Maus, président émérite de l’Association française de droit constitutionnel. Je vous remercie de m’inviter à vous faire part de mon point de vue sur les questions liées à la réforme des collectivités territoriales.

Ayant une propension à défendre parfois une position hétérodoxe, je me permets d’abord de suggérer, concernant le projet de loi enregistré au Sénat sous le numéro 61 qui est relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, de ne pas se fier à ce qui est dit tant dans l’exposé des motifs, que dans l’étude d’impact. J’ai en effet le sentiment que sur un certain nombre de points, l’avenir y est un peu déformé. En particulier, les affirmations concernant la parité m’apparaissent discutables. C’est donc au texte lui-même que je me référerai.

Je commencerai par votre dernière question, qui est la plus facile. Sans discussion possible, l’extension aux communes de 500 à 3500 habitants, pour les élections municipales, de la loi électorale actuellement en vigueur dans les communes de plus de 3500 habitants est une mesure favorable à la parité. Pendant très longtemps, je n’ai pas été en faveur de ce changement, considérant que dans les petites communes, il valait mieux que les électeurs puissent choisir nominativement leurs élus. Cependant, la question de l’intercommunalité a fait évoluer mon point de vue : en désignant les membres du conseil municipal, on choisit en même temps, par un système de « fléchage », les personnes qui seront appelées à siéger dans les organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) –système analogue à celui qui est en vigueur à Paris, Lyon et Marseille, où le conseil de la ville est composé des conseillers élus dans les arrondissements.

Mme Catherine Coutelle. Pensez-vous qu’il soit judicieux de diminuer le nombre d’adjoints, alors que les maires ont souvent de lourdes charges sur les épaules, ou le nombre de vice-présidents dans les intercommunalités des grandes villes ?

M. Didier Maus. Dans un certain nombre de communes et d’intercommunalités, le nombre des adjoints ou des vice-présidents me paraît un peu élevé au regard des tâches à accomplir.

J’en viens au principal sujet, l’élection des conseillers territoriaux.

Il est écrit dans l’exposé des motifs du projet de loi que « le mode de scrutin retenu est un scrutin mixte, inspiré d’un système défendu dans une proposition de loi déposée par Léon Blum le 8 février 1926, puis par le député socialiste de la Quatrième République Etienne Weill-Raynal : un scrutin majoritaire pour l’essentiel, doublé d’une dose significative de représentation proportionnelle ».

Eh bien, voici ce que M. Michel Charasse disait de ce système le 18 juin 2008, dans l’hémicycle du Sénat : « Mes amis socialistes, les plus anciens en tout cas, s’en souviennent sans doute comme moi – je suis peut-être l’un des derniers à l’avoir connu –, alors que j’étais jeune secrétaire du groupe à l’Assemblée nationale, un ancien député socialiste de l’Oise, normalien, très brillant, avait inventé un système électoral absolument génial. Il s’appelait Etienne Weill-Raynal et c’était un esprit extrêmement fin. Il avait mis au point un système électoral qu’il essayait à tout prix de vendre à Gaston Defferre et à François Mitterrand – il faut le dire, un peu réticents – et qui avait un avantage formidable : en effet, il permettait au parti socialiste d’avoir des sièges, même quand il obtenait zéro voix ! Seulement, le groupe socialiste n’a jamais accepté de déposer une telle proposition, ce système lui paraissant trop peu démocratique ». Cette citation me paraît intéressante quant à l’inspiration de ce projet.

À titre personnel, je suis extrêmement réservé, pour ne pas dire plus, sur la création de conseillers territoriaux. Il y a eu un débat constitutionnel au Sénat sur le point de savoir si les mêmes élus pouvaient siéger dans deux assemblées, ce qui revient à un « cumul obligatoire ». Ce débat n’a pas été conclu sur le plan purement juridique, mais il l’a été sur le plan politique par le vote positif du Sénat. Il reprendra à l’Assemblée nationale le moment venu.

Dès lors que l’on crée des conseillers territoriaux, il faut choisir le mode de scrutin qui permettra de les élire. La discussion de celui-ci est prudemment renvoyée après les élections régionales – ce qui peut conduire certains à modifier leur point de vue. En tout état de cause, il ne serait applicable qu’en 2014, par conséquent après l’échéance politique de 2012. Beaucoup d’incertitudes demeurent donc.

Tel qu’il est, le système proposé n’est pas favorable à la parité, et cela pour une raison simple : plus un système est majoritaire, moins il y est favorable. Ce n’est pas là un effet juridique automatique – ce qui a d’ailleurs conduit le Conseil constitutionnel à rendre la décision que l’on sait à propos du Sénat –, mais c’est une situation de fait. Si 80 % des élus territoriaux sont élus au scrutin majoritaire, il est évident, compte tenu de la sociologie actuelle des conseils généraux – qui fourniront l’essentiel des candidats, les élections devant avoir lieu dans le cadre de cantons remaniés – et de la pesanteur des partis politiques, que l’on sera loin de la parité, tant parmi les candidats qu’au sein des élus. Le respect de la parité pour les 20 % de conseillers qui seront élus à la proportionnelle ne pourra avoir qu’un impact très limité sur la physionomie des assemblées.

Alors, quid des exécutifs régionaux ?

La loi du 31 janvier 2007 tendant à promouvoir l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ne s’appliquera, en ce qui concerne les exécutifs régionaux, qu’à l’issue des élections régionales de mars. Mais comment constituer un exécutif paritaire si l’assemblée elle-même ne l’est pas ? Maintenir la parité dans des exécutifs régionaux issus d’assemblées bien loin de la respecter, ce serait donner un avantage très net au sexe minoritaire ! En effet le principe d’égalité entre les membres du conseil régional pour l’accès aux fonctions exécutives ne serait plus respecté.

Mon sentiment est que les auteurs du projet ont oublié cette problématique de la parité, comme vous l’avez signalé dès le mois d’octobre, madame la présidente.

Le système proposé est-il critiquable du point de vue constitutionnel ?

Je n’en suis pas réellement convaincu. Que dit, en effet, l’article 1er, alinéa 2, de la Constitution ? « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Le Conseil constitutionnel a interprété cette phrase comme étant la levée du verrou dont il avait fait état dans sa décision du 18 novembre 1982 relative aux quotas par sexe ; mais selon la formule d’un commentateur autorisé, il a considéré que cette disposition « n’impose pas d’imposer » la parité, qu’il s’agisse d’égalité ou d’alternance dans la constitution des listes.

Cette jurisprudence résulte de deux décisions.

Dans celle du 3 avril 2003, le Conseil a eu, à propos de la Corse, un raisonnement en deux étapes : on ne devrait pas traiter l’assemblée de Corse différemment des assemblées régionales, donc on devrait appliquer le principe de l’alternance homme/femme ; mais, a-t-il ajouté, si on censurait la disposition de la loi qui ne prévoit pas cette alternance, on reviendrait à une situation qui est encore pire. Le Conseil ne l’a donc pas fait, tout en indiquant qu’il serait nécessaire de la modifier à l’occasion d’une prochaine loi.

Dans sa décision du 24 juillet 2003 sur la loi portant réforme de l’élection des sénateurs, à la question de savoir si la réduction du nombre de départements dans lesquels l’élection aurait lieu à la proportionnelle était ou non contraire à la disposition de l’article 1er – article 3 à l’époque – de la Constitution, le Conseil constitutionnel a apporté une réponse négative. Il a en effet considéré que le législateur devait rester maître du régime électoral des assemblées parlementaires. Il ferait certainement le même raisonnement pour les assemblées locales.

Que déduire de tout cela ?

Il faut se projeter dans une dizaine d’années, et donc ne pas oublier que les esprits auront changé et qu’une jurisprudence n’est jamais figée, comme le Conseil constitutionnel le dit lui-même.

Le mode d’élection proposé pour les conseillers territoriaux est, concernant la parité, une vraie régression pour les conseils régionaux, mais in fine, une amélioration pour les conseils généraux – assemblées très peu féminisées –, du fait de l’application de la parité pour les 20 % de conseillers élus à la proportionnelle.

Il faut, je pense, soutenir l’idée que, lorsque la Constitution dit que la loi « favorise » l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, elle veut dire que la modification de la législation ne doit pas avoir pour conséquence un recul de la parité. C’est ce que l’on appelle l’effet de cliquet ; mais je ne suis cependant pas totalement certain qu’on puisse l’appliquer ici, car il s’agit d’une question d’ordre institutionnel, et non d’un problème de protection des droits et libertés fondamentaux. Je regrette de ne pas pouvoir être plus affirmatif … Je suis prêt à défendre que l’objectif de l’article 1er, alinéa 2, de la Constitution est mal rempli par ce projet de loi et à argumenter en ce sens, mais je ne me prononcerai pas sur la position que pourrait adopter le Conseil constitutionnel. 

Mme Catherine Coutelle. Le mode de scrutin proposé ferait quand même incontestablement reculer la parité dans les conseils régionaux.

M. Didier Maus. Oui, mais on vous répondra que le texte concerne d’abord les conseillers généraux, les conseillers régionaux n’étant désignés que par ricochet : l’élection se fera dans le cadre départemental, au niveau de cantons redécoupés ; ce sont ces conseillers élus sur une base départementale qui seront, par voie de conséquence, conseillers régionaux. Ce système, d’ailleurs, n’est pas bon pour la région.

Alors, peut-on mieux faire ? Oui, certainement.

La première solution, qui aurait ma préférence, serait l’abandon de la création des conseillers territoriaux. On conserverait, pour les conseillers régionaux, un système proportionnel, proche de celui qui existe aujourd’hui ; et on ferait en sorte d’améliorer le mode d’élection des conseillers généraux. Mais cela ne me semble pas dans l’air du temps…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Que pensez-vous de l’idée de M. Marleix de permettre à chaque conseiller d’avoir un suppléant doté d’un statut pour le représenter dans l’autre assemblée ?

M. Didier Maus. Je ne pense pas que ce soit une idée très sérieuse.

Si l’on s’en tient à la création de conseillers territoriaux, je vois deux possibilités d’amélioration, au-delà de l’organisation d’un scrutin à deux tours – qui semble se profiler dans les discours actuels.

Un premier moyen d’accroître la parité serait de passer, concernant le rapport entre conseillers élus au scrutin majoritaire et conseillers élus à la représentation proportionnelle, de 80/20 à 50/50. Es-ce imaginable ?

On pourrait aussi aller vers un système à l’allemande – que le Gouvernement rejette au motif qu’il serait trop compliqué. On retiendrait ce rapport 50/50, et de plus, on donnerait à chaque électeur deux voix. On renoncerait ainsi au mécanisme proposé dans le projet, consistant à procéder à une représentation proportionnelle à partir des voix non utilisées dans le cadre du scrutin majoritaire, qui est non seulement extraordinairement complexe, mais critiquable en droit : si des voix se portent sur un candidat individuel non rattaché à une liste départementale, laquelle doit elle-même être rattachée à une liste régionale, elles sont en effet perdues.

Il y a une dizaine d’années, j’avais déjà suggéré ce système – qui, certes, en termes de parité, fait s’arrêter à mi-chemin – pour les conseillers généraux, lorsque M. Jean Puech, qui présidait à l’époque l’Assemblée des départements de France, m’avait demandé de réfléchir avec d’autres à leur mode d’élection. Il va dans le sens de la liberté de l’électeur : on peut très bien imaginer, en effet, qu’un électeur veuille voter pour une personne au niveau territorial, mais exprime un vote politique dans un sens différent dans le cadre du scrutin de liste.

Le débat va se poursuivre, mais permettez-moi de considérer que sur une loi électorale, les arguments juridiques sont de peu de poids par rapport à certaines pensées – exprimées ou non.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je voudrais revenir sur le cumul des mandats qu’implique le système proposé : un conseiller territorial sera conseiller général au conseil général, conseiller régional au conseil régional.

M. Didier Maus. Oui, c’est un cumul obligatoire. Cela dit, le législateur fera certainement en sorte qu’il soit possible de démissionner de l’un des deux mandats – en laissant la place au suivant de liste –, faute de quoi le système serait totalement verrouillé.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le fait que le conseiller territorial siège dans les deux assemblées ne pose-t-il pas problème au regard de l’article 72 de la Constitution ?

M. Didier Maus. Il y a eu un grand débat au Sénat à ce sujet. La combinaison des articles 3 et 72 permet-elle ou non de lier les élections dans deux assemblées ? Ne faut-il pas que ces élections soient distinctes ?

Faire des élections distinctes revient à renoncer à la création des conseillers territoriaux. On peut s’appuyer, pour justifier le système proposé, sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la Nouvelle-Calédonie. Celle-ci me paraît cependant difficilement transposable en métropole. Quant à la comparaison avec Paris, elle n’a pas beaucoup de sens, car la commune et le département de Paris correspondent à un seul et même territoire.

A titre personnel, j’ai soutenu que l’article 72 imposait, au nom de la libre administration des collectivités territoriales, que chaque assemblée de collectivité de plein exercice soit élue de manière distincte. Je ne suis pas sûr d’être suivi sur ce point, mais l’argument me paraît difficile à réfuter. Il sera certainement évoqué devant le Conseil constitutionnel, lequel sera sans aucun doute saisi de l’ensemble des lois relatives à la réforme des collectivités territoriales. Par ailleurs l’article 3 de la Constitution dispose que le suffrage « est toujours universel, égal et secret ». Je ne vois donc pas au nom de quoi on obligerait chacun de nos concitoyens à choisir, d’un même mouvement, une seule personne pour le représenter à la fois au conseil général et au conseil régional. Ce système de « cartes forcées » me paraît totalement contraire à la liberté de l’électeur.

Mme Pascale Crozon. L’électeur qui vote pour une personne – par exemple un conseiller général qu’il connaît bien – n’a pas forcément envie, en cas d’échec de celui-ci, que ce vote soit comptabilisé en faveur de la liste à laquelle il est rattaché… Or on ne lui donne pas le choix.

M. Didier Maus. Un système à l’allemande améliorerait un peu les choses.

Il faut s’interroger sur la manière dont ces conseillers territoriaux seront élus. J’insiste sur ce point : le fait de créer les conseillers territoriaux n’impose pas de retenir le mode de scrutin proposé par le Gouvernement ; on peut en choisir un plus respectueux tant de nos traditions que de la parité. Ce pourrait être, par exemple, un scrutin proportionnel à deux tours, comme pour les élections municipales, dans le cadre du département. Une solution serait de conserver le mode de scrutin régional actuel, avec des sections départementales ; les conseillers élus dans un département en formeraient le conseil général, et le conseil régional serait formé de l’ensemble des conseillers. Mais c’est sans doute trop simple…

Mme Catherine Coutelle. Ne peut-on arguer du fait qu’un mode d’élection doit être compris des électeurs ? Le système proposé dans le projet est particulièrement complexe…

Par ailleurs, les conseillers généraux ruraux, qui défendent avant tout les intérêts du canton, se disent souvent apolitiques. Que deviendront, dans le cadre de la représentation proportionnelle, les voix qui se seront portées sur ces candidats?

Enfin, il me semble que les électeurs ne pourront plus du tout savoir à quel résultat leur vote peut aboutir en termes de majorité…

M. Didier Maus. Jusqu’à présent, le Conseil constitutionnel s’est montré peu enclin à critiquer ou censurer des modes de scrutin, considérant que le Parlement a en la matière une très grande liberté. Je conviens avec vous que le système proposé est compliqué, et je ne suis pas sûr de l’avoir moi-même bien compris – même si j’ai compris qu’il permet d’être majoritaire en étant minoritaire en voix, ce qui me gêne un peu… Mais je me réfère à la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les notions d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi : depuis qu’il a jugé, en décembre dernier, que la réforme de la taxe professionnelle était intelligible, je ne vois pas quelle loi il pourrait juger inintelligible…

Mme Pascale Crozon. Un candidat qui n’aura pas été élu sur son nom propre pourra-t-il être quand même élu dans le cadre de la représentation proportionnelle ?

M. Didier Maus. Non, au moins dans le projet actuel, il n’est pas possible d’être candidat en même temps à un siège en élection directe et à un siège de liste. Dans les élections législatives allemandes, au contraire, il y a une possibilité de « rattrapage ». On verra ce qui ressortira du débat parlementaire.

M. Jean-Luc Pérat. Les électeurs émettront un seul vote, nominatif, pour un candidat. Et de ce vote pour une personne, il résultera – pour 20 % des sièges – l’élection d’autres personnes figurant sur des listes. Es-ce bien cela ?

M. Didier Maus. Oui. Pour les 80 % de conseillers élus au scrutin uninominal à un tour, c’est le candidat arrivé en tête qui sera élu, même s’il n’a obtenu que 30 % des voix – ce qui est une grande nouveauté dans le système français. Les 20 % restants seront élus sur des listes, à la proportionnelle, après addition, au niveau départemental, des voix obtenues par les candidats qui se seront présentés dans les différents cantons sous une même étiquette. Cela suppose que tous les candidats au scrutin uninominal s’affilient à une liste ; si nécessaire, lorsqu’ils se disent « apolitiques », on les pressera de le faire.

M. Jean-Luc Pérat. Dans un territoire rural comme le mien, certaines personnes sont élues sur leur nom. Je ne doute pas que dans le cadre de ce nouveau scrutin, elles seront capables d’obtenir 30 ou 35 % des voix sans être affiliées à un parti, et donc d’être élues.

M. Didier Maus. Il ne faut pas oublier diverses inconnues. La première est la manière dont on va redécouper les cantons. Il en résultera sans doute des assemblées départementales de taille très variable. En toute logique, le Gouvernement devrait donner des indications sur les seuils démographiques à l’occasion du débat sur ce texte.

Il est également bien difficile d’imaginer ce qu’il adviendra des anciens conseillers généraux. Un conseiller général rural d’un canton de 10 000 habitants, très populaire et qui, en l’absence de réforme, serait sans nul doute réélu, ne le sera peut-être pas s’il se présente dans un nouveau canton de 40 000 habitants, contre quelqu’un qui a une forte notoriété dans une autre partie de celui-ci.

En tout cas, il est clair que le système est fait pour favoriser les grands partis.

M. Jean-Luc Pérat. A-t-on une idée du nombre d’élus que comptera chacun des départements ?

M. Didier Maus. Pour l’instant, je n’ai pas connaissance de simulations.

Mme Catherine Coutelle. On peut s’interroger sur la place d’un député qui s’astreindrait au non-cumul des mandats, face à un conseiller territorial cumulant un siège de conseiller général et un siège au conseil régional…

Mme Pascale Crozon. Les maires ne seront d’ailleurs pas dans une meilleure situation que les députés.

M. Didier Maus. De toute façon, il faudra trouver le moyen de déconnecter les mandats de conseiller général et de conseiller régional – sinon le système sera ingérable.

Pour en revenir au mode d’élection, on pourrait imaginer un système à deux tours, ce qui donnerait un peu plus de souplesse. Il serait possible d’être élu au premier tour à la majorité absolue, ou au second tour à la majorité relative. Ce serait alors sur le tour décisif – le premier ou le second selon les cas – que l’on ferait les calculs de voix destinés à la répartition proportionnelle. Il pourrait évidemment y avoir des retraits entre les deux tours.

La France est d’ailleurs l’un des rares pays à beaucoup pratiquer le scrutin à deux tours, en vertu du slogan de la Troisième République selon lequel « au premier tour on choisit, au deuxième on élimine ».

Mme Pascale Crozon. C’est sans doute parce que nous avons beaucoup de partis politiques.

Mme Catherine Coutelle. Si on institue un système à un tour, cela changera…

M. Didier Maus. Le Président de la République a indiqué que la question du mode de scrutin restait ouverte. Il faut donc s’attendre à des évolutions par rapport au projet actuel. Elles dépendront notamment des projections que les uns et les autres pourront faire à partir des résultats des régionales. Quant aux partis politiques, ils s’adaptent du jour au lendemain à tout changement de mode de scrutin – et c’est normal.

Quelques mots encore sur la question de la parité.

À la suite des élections cantonales de 2008, les conseils généraux comptaient 12,3 % de femmes. Il ne sera pas difficile de faire un peu mieux… En revanche, dans les conseils régionaux, qui comptent 47,6 % de femmes, l’application du projet actuel aurait certainement un effet inverse : les pesanteurs des partis politiques sont telles que la parité ne peut résulter que d’une contrainte, dans le cadre d’un scrutin proportionnel. Lorsque le Sénat affiche 22 % de femmes, il ne faut pas oublier que la plupart d’entre elles ont été élues à la proportionnelle…

On en revient à la difficulté que j’évoquais tout à l’heure : l’article 1er de la Constitution dit que la loi « favorise » l’égal accès. Une loi qui aboutirait, dans les conseils généraux, non pas à la parité mais à un rapport deux tiers /un tiers serait un progrès, et serait donc parfaitement conforme à la Constitution.

Mme Marie-Jo Zimmermann. C’est bien pourquoi je suis inquiète. La conformité à l’article 72 de la Constitution me parait par contre discutable.

M. Didier Maus. L’article 72 est opérationnel pour contester la création des conseillers territoriaux, mais il ne l’est pas pour contester la loi électorale permettant de les élire, dès lors que le principe de leur création est reconnu.

Enfin, indépendamment du problème de la parité, le système des conseillers territoriaux me paraît peu favorable aux régions. Ces conseillers territoriaux vont en effet être élus, pour 80 % d’entre eux, au scrutin uninominal dans le cadre de cantons rénovés. Les candidats vont donc se faire élire avant tout sur la défense des intérêts du canton et du département : il y a fort peu de chances qu’ils fassent campagne sur les thèmes régionaux…

Mme Marie-Jo Zimmermann. Merci beaucoup pour cet échange.

La séance est levée à 18 h 35.