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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 23 février 2010

Séance de 14 heures 15

Compte rendu n° 12

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de Mme Andrée Rabilloud, vice-présidente de l’Association des maires ruraux de France, sur les projets de loi relatifs à la création des conseillers territoriaux

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Andrée Rabilloud, vice-présidente de l’Association des maires ruraux de France, sur les projets de loi relatifs à la création des conseillers territoriaux.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Madame Rabilloud, vous êtes vice-présidente de l’Association des maires ruraux de France, chargée des finances, et maire de Saint-Agnès-sur-Bion, une commune iséroise de 775 habitants. Nous avons souhaité recueillir le point de vue de votre association sur les questions que pose, en terme de parité, le projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale.

Mme Andrée Rabilloud. Si l’on ne considère que l'élection des conseillers municipaux et des délégués communautaires, l'accès des femmes à ces mandats locaux se trouvera très nettement facilité par le projet.

En premier lieu, l’abaissement, de 3 500 à 500 habitants, du seuil à partir duquel s'appliquerait le scrutin de liste proportionnel, concernerait 13 360 communes et 210 000 conseillers municipaux environ. En vertu de l’exigence de parité des listes, la moitié de ces derniers seraient des femmes. En outre, cette disposition permettrait la représentation de la minorité au sein des conseils. La démocratie y gagnerait donc. Il est vrai cependant, que ce renouvellement des élus et cette féminisation des conseils se heurtent aux difficultés inhérentes aux conditions d'exercice des responsabilités publiques. En effet, pour les femmes, peut-être encore plus que pour les hommes, il n'est pas toujours aisé de cumuler vie professionnelle, vie familiale et engagement public. Par choix ou par nécessité, rares sont actuellement les femmes qui ne travaillent pas et, même si l'air du temps est au partage des tâches ménagères, je ne crois pas que celui-ci soit encore parfait ! Aussi, je crains que nous n’ayons beaucoup de mal à trouver des candidates.

Lassés par les inconvénients du panachage, les maires des petites communes rurales demandaient depuis longtemps – bien avant que n’intervienne la loi sur la parité – que les conseillers municipaux soient élus au scrutin de liste, quelle que soit la population de la commune, et quitte à diminuer le nombre de conseillers. Le projet fixe ce seuil à 500 habitants : n'est-ce pas trop bas pour garantir une représentation des femmes résultant d’un véritable choix de leur part ? Ne serait-il pas plus sensé de fixer ce seuil à 1 000 ou à 1 500 ?

S'agissant de l’élection des délégués communautaires, elle se fera désormais au suffrage universel direct dans les communes dont les conseils seront élus au scrutin de liste, puisque seront désignés les candidats figurant en premier sur les listes. Celles-ci comportant alternativement un candidat de chaque sexe, le projet ouvre largement aux femmes la participation aux conseils communautaires. De la même manière, il assure la représentation des minorités au sein des conseils communautaires, puisque y siégeront les personnes figurant dans les premières places de la, ou des listes, autres que la liste arrivée en tête. Ici encore, on ne peut que se réjouir d’un progrès pour notre démocratie locale et d’une plus grande ouverture aux femmes.

Il en va tout autrement de l’élection des conseillers territoriaux, qui résultera, quant à elle, de la combinaison de deux modes de scrutin : pour 80 % d’entre eux, elle se fera au scrutin uninominal majoritaire à un tour, avec obligation de présenter, dans chaque canton remanié, un titulaire et un suppléant de sexe opposé ; pour les 20 % restants, au scrutin de liste proportionnel, les listes incluant, alternativement, des candidats des deux sexes.

Or, si le scrutin majoritaire a le mérite d'être simple et clair, je ne suis pas sûre qu'instiller dans cette élection une dose de proportionnelle soit très compréhensible pour les électeurs. De plus, alors que le premier favorise l’ancrage local des élus, quel lien avec le territoire auront les conseillers territoriaux élus à la proportionnelle ? Les habitants des territoires ruraux tiennent à avoir des élus proches d’eux, qu'ils rencontrent régulièrement. Ne pourrait-on, à l'image des élections sénatoriales, envisager pour ces cantons, un scrutin uninominal, et un scrutin de liste pour les cantons urbains où les élus sont plus anonymes ?

Par ailleurs, l'élection se faisant à un seul tour, c'est le candidat arrivé en tête qui sera déclaré élu, quel que soit le pourcentage des suffrages obtenu. Quelle sera sa légitimité si c’est avec, par exemple, 25 % des voix, en raison de candidatures multiples ? Le scrutin majoritaire à deux tours, si l’on fait abstraction des accords intervenant avant le deuxième tour, a, lui, le mérite de dégager des majorités sans appel.

Mais venons-en à l'impact de ce mode de scrutin sur la représentation des femmes, sachant déjà que la limitation du nombre des conseillers territoriaux entraînera sans doute une réduction du nombre de personnes susceptibles de se porter candidates. Conformément au second alinéa de l'article 1er de la Constitution qui dispose que « la loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives », le projet prévoit que, pour les sièges à pourvoir à la représentation proportionnelle, toute liste sera composée alternativement d'un candidat de chaque sexe et que, pour les sièges à pourvoir au scrutin majoritaire, le candidat et son remplaçant seront de sexe différent. C'est ce qui se pratique actuellement, soit pour les élections régionales, soit pour les élections cantonales. Mais l’effet de ces dispositions sera différent ici dans la mesure où 20 % seulement des élus le seront à la proportionnelle : nul besoin d'une boule de cristal pour prédire que, pour les autres, nous serons loin de la parité…

Supposons par exemple qu’un département ait à élire cent conseillers territoriaux, soit dans l’idéal 50 femmes et 50 hommes. Si, grâce au scrutin de liste, on sera théoriquement assuré de l’élection de dix femmes, combien y en aura-t-il parmi les 80 candidats élus au scrutin majoritaire ? Combien d'hommes seront prêts à n'être que suppléants ? On le sait très bien, ce type de scrutin rend caduc le principe même de la parité puisqu'il laisse candidats et partis politiques libres d'agir à leur guise. Faudrait-il imposer un quota dans ces 80 % ? D’ailleurs, pourquoi avoir fixé un ratio de 80/20 ? Pourquoi pas 50/50 ?

Certes, les formations politiques sont incitées financièrement à présenter des femmes, mais peut-on considérer le but comme atteint quand on voit le nombre de députées, de sénatrices ou de conseillères générales ? Ainsi, on ne dénombre que cinq femmes parmi les 58 conseillers généraux de l'Isère ! N’en irait-il pas différemment si les partis avaient un intérêt financier substantiel, sous forme d’un avantage plutôt que d’une pénalité comme aujourd’hui, à présenter une femme en position éligible ?

Après avoir essuyé les affres des « quotas » et les critiques de la parité, voici que, par cette réforme rétrograde, les femmes seront à nouveau obligées de se mobiliser pour exister en politique, quitte à être ensuite « exhibées ».

Pour autant, je m'inquiète aussi des difficultés que rencontreront les maires ruraux des communes de plus de 500 habitants quand, en 2014, ils devront appliquer la parité.

Une femme qui s’engage dans la vie publique, c’est une chance pour sa collectivité car elle le fait avec beaucoup d’assiduité, d’efficacité et de détermination. Mais elle ne prend pas cette décision à la légère : elle se renseigne préalablement sur l’ampleur de la tâche qui l’attend, elle en mesure l'impact sur sa vie familiale, personnelle et professionnelle. Y en a-t-il beaucoup qui soient partantes ? Pour ma part, j’ai souvent eu beaucoup de mal à en recruter pour constituer ma liste aux élections municipales. Alors, plutôt que de vouloir à tout prix compléter des listes avec des personnes peu motivées, ne serait-il pas plus judicieux de tout faire, avec l’appui des formations politiques, pour que celles qui en ont la volonté et la possibilité puissent s'engager ?

La loi sur la parité sert un objectif louable. Elle est absolument nécessaire pour permettre aux femmes d’exister davantage en politique, pour les aider à s'imposer. Mais notre société est-elle réellement prête, aujourd’hui, à voter pour elles ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il n’y a rien à ajouter à votre discours, qui est fidèle à la réalité du terrain et il serait à souhaiter que le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités locales vous entende ! Ainsi d’ailleurs que ces maires ruraux qui, devant moi, faisaient valoir que l’abaissement du seuil de la parité à 500 habitants était, la plupart du temps, irréalisable.

Mme Andrée Rabilloud. J’ai rencontré un de ces maires qui m’a assuré qu’il était parvenu à former un conseil paritaire – peut-être n’avait-il pas pu convaincre suffisamment d’hommes de se présenter sur sa liste ! – mais la plupart m’ont dit qu’ils n’y arrivaient pas. Personnellement, chaque fois que j’ai voulu constituer une liste, et j’en suis à mon quatrième mandat, les femmes que j’ai sollicitées m’ont répondu qu’elles ne pouvaient prendre un tel engagement à cause de leur mari ou de leurs enfants, ou tout simplement parce que, ayant fini d’élever ces derniers, elles avaient besoin de penser un peu à elles-mêmes – ce qu’on ne peut leur reprocher.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Combien y a-t-il de femmes dans votre conseil municipal ?

Mme Andrée Rabilloud. Avec moi, cinq, soit le tiers du conseil.

Quand je me suis présentée pour la deuxième fois à la mairie, je me suis retrouvée tête de liste avec une autre femme. Nous nous sommes déclarées candidates aux postes de maire et de première adjointe. En dépit des pronostics, nous avons été élues avec un bon pourcentage de voix. Aux élections suivantes, nous nous sommes demandé si nous devions faire appel à d’autres femmes. Ma première adjointe a refusé, parce qu’elle craignait que ces arrivantes ne viennent perturber notre entente. Depuis, elle est partie. Les deux dernières élections ont permis de faire entrer cinq femmes au conseil municipal, mais je ne pouvais faire plus.

Mme Catherine Coutelle. Il ne faudrait pas que le secrétaire d’État nous dise que la parité dans les petites communes vaut « parité globale ». J’ai moi aussi entendu des maires de ma circonscription faire état de la difficulté de recruter des femmes dans leur conseil. Certains ont constaté que des maris, disposés à se présenter eux-mêmes, étaient beaucoup plus réticents lorsque c’était leur épouse qui était sollicitée : ils craignaient qu’elle ne soit plus assez présente à la maison pour préparer les repas et s’occuper des enfants ! Mais c’est aussi aux femmes à ne pas « s’autocensurer » au prétexte qu’elles ne peuvent tout assumer : courses, ménage, enfants, vie professionnelle et vie publique. La parité est un combat, mais le partage des tâches aussi. Si une femme fait de la politique, au mari de s’occuper davantage des tâches ménagères. Il faut changer les mentalités. C’est un point sur lequel je me suis beaucoup battue et qui nous a d’ailleurs conduits à demander qu’une partie du congé de parentalité ne puisse être prise que par les pères.

Enfin, les responsabilités municipales constituent un tremplin pour les femmes : nombre de conseillères générales ou de députées ont commencé par exercer un mandat local.

Je connais donc vos arguments et j’en reconnais le bien-fondé. D’assez nombreuses femmes s’engagent dans la vie publique, mais il est vrai qu’elles se demandent toujours si cela ne va pas être au détriment de la vie familiale. On entend plus rarement un homme se poser cette question lorsqu’il est sollicité.

Mme Andrée Rabilloud. Je suis d’accord avec vous, mais ce qui m’a particulièrement étonnée, c’est d’entendre, en 2008, certaines femmes me répondre que maintenant que leurs enfants étaient élevés, elles avaient envie de penser à elles et qu’on verrait plus tard. C’est un peu inquiétant.

M. Jean-Luc Pérat. Je suis élu depuis trente-trois ans. J’ai toujours essayé de convaincre les femmes qu’elles avaient toute leur place dans la vie publique, quel que soit leur âge. Sans doute est-ce parce que je viens du milieu enseignant, où les femmes sont nombreuses. J’ai également constaté que dans les conseils d’école, il y avait 90 % de femmes.  J’ai été maire d’une commune de moins de 3 500 habitants. Il m’a semblé nécessaire d’« oxygéner » mon conseil municipal, en y renforçant la présence des femmes. Elles sont en effet souvent plus assidues que les hommes, plus constantes et ont des réactions moins épidermiques. Elles constituent une force de proposition, alors que les hommes ont parfois des œillères sur un certain nombre de sujets. Il faut donc leur confier des responsabilités. Dans quelques domaines, la porte leur est ouverte, mais au-delà d’un certain niveau, ce n’est plus la même chose, sans doute parce que subsiste une conception traditionnelle de la répartition des rôles sociaux. Cependant, j’ai l’impression que la situation évolue.

Mme Andrée Rabilloud. Lorsqu’il s’agit de postes un peu honorifiques, les hommes ne cèdent pas volontiers leur place. Les maires ruraux en laissent, il est vrai, beaucoup aux femmes. Reste que l’on préfère nous voir en seconde position plutôt qu’en première.

M. Jean-Luc Pérat. Il est vrai aussi qu’on ne fait pas de cadeau à une femme et que sa parole a souvent encore moins de poids que celle d’un homme.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Bien que le sujet soit tabou, je remarque qu’une femme conseillère municipale dans une commune de 700 ou 800 habitants ne touche pas un euro d’indemnité, alors qu’un conseiller territorial touchera plus de 1 000 euros. C’est un des points que je compte soulever : une femme qui sera conseillère territoriale peut envisager de prendre un mi-temps professionnel…

Mme Andrée Rabilloud. C’est l’indemnité du délégué communautaire. Le conseiller territorial percevra probablement, lui, à peu près 2 500 euros, comme les conseillers généraux et régionaux.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Si l’on abaisse le seuil de la parité à 500 habitants, les femmes seront encore plus vouées à s’occuper du quotidien et on ne les trouvera pas dans les assemblées qui sont les lieux de décision pour l’aménagement du territoire, la politique sociale, les infrastructures, les collèges, les lycées, etc. Si l’on maintient la proportion de 80 % d’élus au scrutin uninominal, et votre analyse était excellente, il n’y en aura pas parmi les conseillers territoriaux.

Mme Andrée Rabilloud. Au mieux, il y en aura 20 %.

Mme Catherine Coutelle. En Poitou-Charente, les projections ne donnent même qu’une proportion de 14 %.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il ne faut pas oublier que les conseillers territoriaux viendront en bonne part du conseil général, l’assemblée qui compte le moins de femmes. Les hommes vont déjà commencer par se battre entre eux pour savoir qui sera titulaire et qui sera suppléant mais, en tout état de cause, les femmes ne seront au mieux que suppléantes !

Mme Andrée Rabilloud. Je voudrais revenir sur la composition des conseils communautaires. Le problème, là, n’est pas celui de la parité, qui y est assurée, mais celui de la représentation des communes au sein du bureau : toutes voudront y avoir un vice-président, ce qui va faire exploser l’enveloppe financière. Je serais d’accord pour qu’il y ait autant de vice-présidents qu’on le souhaite, mais il faut que ce soit à enveloppe constante.

S’agissant maintenant des conseillers territoriaux, je n’ose imaginer qu’au motif qu’ils seront à la fois des conseillers généraux et des conseillers régionaux, ils touchent une double indemnité…

Mme Catherine Coutelle. Rien ne s’y oppose dans le texte.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. De surcroît, on parle de plus en plus d’accorder un statut au suppléant, ce qui implique qu’on le rémunère au moins un minimum. Or, croyez-vous que les conseillers territoriaux vont accepter de partager leur indemnité ?

Mme Catherine Coutelle. Accepteront-ils d’avoir double travail sans avoir double indemnité ?

Mme Andrée Rabilloud. Que, à la fois conseiller général et conseiller régional, on perçoive une indemnité peut-être un peu plus élevée que l’indemnité actuelle – par exemple 3 500 euros –, je serais d’accord. Mais que l’on double les indemnités me semblerait immoral.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Madame, je suis heureuse de vous avoir entendue confirmer ce que je ne cesse de dire depuis des mois. Je vous remercie.

La séance est levée à quinze heures.