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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 27 avril 2010

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 16

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de M. Jean-Michel Hourriez, responsable des études au Conseil d’Orientation des Retraites, sur la réforme des retraites.

– Informations relatives à la Délégation

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Jean-Michel Hourriez, responsable des études au Conseil d’Orientation des Retraites, sur la réforme des retraites.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous accueillons aujourd’hui M. Jean-Michel Hourriez, responsable des études au Conseil d’orientation des retraites (COR).

Alors qu’il est indispensable que la réflexion en cours sur la réforme des retraites prenne en compte l’ensemble des problématiques liées à l’activité professionnelle féminine, il semble que la feuille de route occulte cette question et, en particulier, ignore le phénomène du temps partiel, apparu dans les années 1980. Les femmes qui avaient alors une trentaine d’années arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite, sans que les avertissements que notre délégation a lancés dès 2004 sur ce point aient été entendus.

Nous souhaiterions aborder avec vous les questions relatives à l’évolution démographique de la population féminine âgée et très âgée, à l’évolution du niveau de vie des femmes retraitées et à l’incidence sur celui-ci des séparations conjugales. En quoi les spécificités des carrières des femmes pèsent-elles sur le niveau des pensions qui leur sont servies ? De quel ordre est la compensation opérée par les droits familiaux et conjugaux ?

En termes de durée de cotisation, quels sont les écarts observés entre les hommes et les femmes ? Ont-ils tendance à se résorber ? Pourriez-vous dresser un premier bilan des effets de la réforme de 1993 et nous dire quelles sont les conséquences d’un allongement de la durée de cotisation sur les pensions des femmes ?

M. Jean-Michel Hourriez. Il est bien connu que les pensions des femmes sont sensiblement inférieures à celles des hommes. En 2004, les pensions de droit propre des générations de femmes actuellement à la retraite représentaient 48 % de celles des hommes. Même si l’on constate un net rapprochement des pensions moyennes des hommes et des femmes, cet écart n’est malheureusement pas appelé à disparaître. Les modèles de projection dont nous disposons, fournis notamment par l’INSEE, montrent que pour les jeunes générations les pensions des femmes demeureront inférieures d’environ un quart à celles des hommes.

Cet écart est dû à trois facteurs, le taux de participation au marché du travail des femmes, le temps partiel et les écarts salariaux.

L’activité féminine a progressé depuis la fin des années soixante, effectuant un bond pour les générations du baby boom. Parmi les générations plus jeunes, ce taux continue de progresser, mais plus lentement, car les formes de l’inactivité féminine ont changé.

Le modèle de la femme au foyer sans profession n’a pas complètement disparu, puisqu’il concerne encore 5 % des femmes, mais l’inactivité prend davantage la forme d’une interruption d’activité après la naissance d’un enfant, la fréquence de ces interruptions augmentant avec le rang des naissances : au troisième enfant, un peu plus d’une femme sur deux interrompt son activité professionnelle. La durée de l’interruption tend toutefois à se réduire. Si, par le passé, il n’était pas rare qu’une femme interrompe définitivement son activité après une naissance, ou qu’elle reprenne son activité après une dizaine d’années d’interruption, la durée d’interruption est désormais inférieure ou égale à trois ans, calée sur celle de l’allocation parentale d’éducation (APE).

Le temps partiel, apparu dans les années 1980, a beaucoup augmenté, notamment sous l’effet de politiques d’incitation, tant du côté de l’offre, avec l’APE, que de la demande, par des allègements de charges ciblés. A la fin des années 1990, le taux s’est stabilisé à un niveau élevé, 30 % des femmes étant employées à temps partiel. Les effets du temps partiel sur la retraite commencent à s’observer.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est très important de prendre en compte ce problème et, surtout, de trouver une solution pour ces générations qui s’apprêtent aujourd’hui à liquider leur retraite.

M. Jean-Michel Hourriez. La progression du travail à temps partiel est venue annuler les effets de la hausse du taux d’activité féminine. Le COR a consacré, en 2008, son sixième rapport aux droits familiaux et conjugaux en matière de retraite. Il y figure une analyse qui montre à la fois l’évolution de l’activité féminine, celle du taux d’emploi moyen et celle du taux en équivalent temps plein (ETP). Si l’activité féminine progresse régulièrement, celle du taux d’ETP stagne à partir de la génération 1955. La progression de l’activité féminine est alors contrariée par le chômage et le temps partiel.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est inquiétant que ce problème soit ignoré.

M. Jean-Michel Hourriez. La faiblesse des pensions féminines est corrigée par les droits familiaux. L’allocation vieillesse des parents au foyer (AVPF), la majoration de durée d’activité (MDA) et les majorations de pension pour trois enfants représentent en moyenne, 16 % des pensions pour les générations actuellement à la retraite. Sans l’apport de ces droits familiaux, la pension moyenne de droit propre des femmes représenterait non pas 48 %, mais seulement 42 % de celle des hommes.

Or les droits familiaux, qui permettent d’accorder des trimestres supplémentaires, appréhendent mal les conséquences du temps partiel : les femmes concernées peuvent valider quatre trimestres par an, mais la faiblesse de leur salaire de référence n’est pas compensée. L’une des pistes d’évolution, évoquée par le COR dans son rapport, serait, à long terme, de passer d’un système de majoration de durée à un système de majoration de montant.

Mme Catherine Coutelle. Je ne suis pas certaine que le phénomène du temps partiel soit en stagnation. Il tend plutôt à s’accentuer, avec la multiplication des emplois d’aide à domicile et d’aide à la personne, qui sont à temps ultra partiel et difficilement cumulables.

Par ailleurs, la prise en compte des 25 meilleures années au lieu des 10 meilleures a touché de plein fouet les femmes, qui connaissent de nombreuses interruptions dans leur carrière. Existe-t-il un bilan comparatif des effets de la loi de 2003 sur les retraites des hommes et des femmes ?

M. Jean-Michel Hourriez. Je n’ai pas dit que le taux des emplois à temps partiel tendait à diminuer. Nous nous situons sur un plateau, à un niveau élevé puisqu’un tiers des femmes sont employées à temps partiel. Il n’est pas impossible que le phénomène reprenne sa progression avec la promotion des emplois à domicile.

Mme Danielle Bousquet. Les chiffres montrent que, dans leur très grande majorité, les premiers contrats ne sont plus à durée indéterminée, et très rarement à temps complet. Nous sommes encore sur une courbe ascendante.

M. Jean-Michel Hourriez. Il est vrai que les générations récentes sont davantage concernées par le temps partiel. Le problème se pose moins pour les générations qui liquident leur retraite actuellement que pour celles qui prendront leur retraite dans cinq ou dix ans, avec un effet maximal pour les générations les plus jeunes.

Quel impact a eu la réforme de 1993 en matière de retraite des femmes ? Les effets sont multiples, parfois contradictoires et difficiles à analyser. A priori, l’allongement de 37,5 à 40 annuités a pénalisé les femmes puisqu’elles connaissent des durées d’activité plus courtes que celles des hommes. Le calcul du salaire annuel moyen (SAM) sur les 25 meilleures années, plutôt que sur les 10 meilleures, pénalise les carrières courtes, donc les femmes, mais également les carrières ascendantes, donc les cadres qui sont souvent masculins. Par ailleurs, les femmes sont assez nombreuses à bénéficier du minimum contributif, qui joue son rôle d’amortisseur. Isabelle Bridenne et Cécile Brossard, de la CNAVTS, ont publié dans Retraites et société de juin 2008 un bilan comparé de la réforme en matière de niveau de pension au régime général : contre toute attente, l’impact moyen est plus important pour les hommes parce qu’ils sont plus nombreux à être affectés par la réforme, mais parmi les personnes affectées, la baisse de la pension est plus importante pour les femmes que pour les hommes.

A ma connaissance, le bilan global des effets différentiés des nombreuses dispositions de la réforme de 2003 n’a pas encore été dressé. Si l’allongement de la durée d’assurance au-delà de 40 ans pénalise certainement les femmes, elles profitent plus largement de la baisse du taux de décote de 10 à 5 %. En revanche, l’instauration de la surcote puis sa majoration de 3 à 5 % avantage les hommes, plus nombreux à faire valoir des trimestres supplémentaires. Le dispositif de retraite anticipée a plutôt bénéficié aux hommes qu’aux femmes. Les règles relatives à la réversion ont été modifiées, une condition de ressources remplaçant désormais la condition de non-cumul. La loi prévoyait que la condition d’âge minimum pour qu’une veuve puisse bénéficier d’une pension de réversion disparaisse à terme, mais elle a été restaurée suite au rendez-vous de 2008.

Mme Catherine Coutelle. Le rapport de la délégation sur Les femmes et leur retraite soulignait qu’un grand nombre d’entre elles – 46 % – étaient contraintes de travailler jusqu’à 65 ans pour bénéficier d’une pension acceptable. Cela donne une idée des effets de la décote et des carrières incomplètes. Certaines d’entre elles, surtout quand elles ont travaillé en libéral, perçoivent une pension qui n’est pas plus élevée que celles des femmes n’ayant jamais travaillé.

M. Jean-Michel Hourriez. Les professions libérales et les métiers indépendants perçoivent de façon générale des pensions plus faibles.

Mme Danielle Bousquet. Il semble aussi que dans le calcul des droits, le cumul de petits temps partiels soit pénalisé. Une personne ayant travaillé trois heures par semaine chez cinq employeurs différents aura moins de droits qu’une personne ayant effectué quinze heures hebdomadaires.

M. Jean-Michel Hourriez. Le fait de cumuler plusieurs emplois ne pose pas de problème si l’on reste dans le cadre du même régime de retraite. C’est le total des salaires de l’année qui compte et la règle des « 200 heures SMIC » qui s’applique : pour valider 4 trimestres, il faut avoir travaillé 800 heures rémunérées au SMIC, soit entre cinq et six mois à temps plein, dans l’année.

Le COR a analysé cette règle dans son septième rapport, paru en janvier 2010. Elle est plutôt favorable aux personnes qui ont eu des carrières relativement longues, (d’une durée de plus de 25 ans), puisqu’à chaque trimestre supplémentaire validé sur la base des « 200 heures SMIC » s’applique un salaire de référence, celui des 25 meilleures années, qui n’est pas dégradé.

En revanche, pour les personnes dont la carrière est plus courte (moins de 25 ans) et plus précaire (temps très partiels), les règles de calcul des pensions peuvent s’avérer pénalisantes : d’une part ces personnes ne parviennent pas à valider 4 trimestres par an (du fait du temps partiel, elles travaillent moins de 800 heures dans l’année) ; d’autre part leur salaire de référence est faible dans la mesure où le salaire annuel d’une personne travaillant à temps partiel est faible (en effet le salaire de référence – ou SAM – est calculé comme la moyenne des salaires annuels des 25 meilleures années).. Ces personnes se trouveront pénalisées à la fois en termes de trimestres et de salaire de référence.

S’agissant de l’âge de départ à la retraite, le COR a demandé à la CNAVTS des statistiques croisées des durées validées et des âges de départ, en distinguant les hommes et les femmes. Pour la génération de 1943, on note plusieurs éléments de dissymétrie. Les femmes sont beaucoup plus nombreuses à avoir dû travailler jusqu’à 65 ans pour éviter la décote (femmes liquidant à 65 ans en ayant validé moins de 40 annuités) : elles sont 36 % dans ce cas, contre 12 % chez les hommes. Par ailleurs, deux tiers des hommes ont liquidé leur retraite à 60 ans alors que seulement la moitié des femmes y sont parvenues. Les personnes qui liquident entre 61 et 64 ans, exactement à l’âge où elles atteignent le taux plein, sont plus souvent des hommes. Enfin, les hommes sont plus nombreux à liquider au-delà de 60 ans pour bénéficier de la surcote : 10 % des hommes contre 7 % des femmes.

Pour ce qui est de la durée d’assurance, il apparaît que les femmes, qui participent de plus en plus au marché du travail et qui connaissent des interruptions de carrière plus courtes, vont valider de plus en plus de trimestres. A contrario, elles sont concernées, au même titre que les hommes, par des facteurs entraînant une diminution tendancielle du nombre de trimestres validés : entrée de plus en plus tardive sur le marché du travail – 22 ans pour les générations nées dans les années 1970, contre 19 ans pour les générations qui liquident actuellement leur pension –, montée du chômage et de la précarité. Les études citées par le COR dans son 6e rapport (simulations de la CNAVTS et de l’INSEE) montrent, cependant, que le rapprochement du nombre de trimestres validés par les hommes et par les femmes va se poursuivre. Pour les générations qui ont liquidé leur retraite en 2004 au régime général, l’écart était encore de l’ordre de 37 trimestres, hors MDA, et de 20 trimestres, MDA incluse.

Mme Danielle Bousquet. Cela représente une décote de quel ordre ?

M. Jean-Michel Hourriez. Cinq années d’écart représenteraient à terme 25 % de décote/surcote selon la législation issue de la loi de 2003. Cependant, il est difficile de faire ce calcul pour les personnes ayant liquidé en 2004 : l’écart entre la durée d’assurance moyenne des femmes et celle des hommes est bien de cinq ans, mais cela ne signifie pas que les femmes ont en moyenne cinq ans de décote ; par ailleurs les taux de décote et de surcote varient selon les générations.

Il convient de noter que les comportements féminins en matière de durée de carrière, très disparates pour la génération de 1943 – entre des femmes ayant définitivement interrompu leur activité professionnelle à la naissance du premier enfant et des femmes ayant travaillé entre 14 et 60 ans – tendent à devenir de plus en plus homogènes. Les carrières sont moins longues, mais les carrières courtes se font beaucoup plus rares.

L’écart entre les durées d’assurance tend à se résorber puisqu’il n’est plus, hors MDA, que de 20 trimestres, pour la génération de 1950. Les projections montrent que pour les générations nées entre 1970 et 1980, l’écart hors MDA devrait tendre vers zéro. Pour les femmes bénéficiant de la MDA, la durée d’assurance serait donc plus importante que celle des hommes. Les générations les plus jeunes n’auront alors plus besoin de trimestres supplémentaires, par contre le salaire de référence constituera toujours un facteur d’écart.

Mme Catherine Coutelle. Pourtant, bien des facteurs d’inégalité demeurent : précarité, salaires, temps partiel. Il semble que cela ne s’améliore guère !

M. Jean-Michel Hourriez. Nous avons bien noté une panne du rapprochement entre hommes et femmes sur le marché du travail, qui reflète d’ailleurs l’évolution au point mort du partage des tâches domestiques au sein du couple.

Mme Pascale Crozon. Il faut aussi prendre en compte le facteur de paupérisation que représente le divorce pour les femmes retraitées. J’ai reçu dans ma permanence une femme qui a travaillé pendant quinze ans auprès de son mari sans être déclarée. Elle touche aujourd’hui une retraite de 480 euros et doit attendre le décès de son ex-conjoint pour toucher la pension de réversion.

Notre délégation avait recommandé dans son rapport de 2008 de mettre en oeuvre un partage des points entre ex-conjoints lors du départ à la retraite. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Michel Hourriez. Un chapitre du rapport du COR est consacré à ces questions importantes.

Un problème se posera de plus en plus à l’avenir : la montée des divorces ou, plus généralement, la fragilisation des unions conjugales.

Si l’on observe une progression des pensions personnelles des femmes et une diminution progressive des écarts entre les hommes et les femmes au fil des générations, la fragilisation des unions se développe avec, d’une part, la montée des divorces, d’autre part, la baisse des mariages chez les plus jeunes générations – et le grand succès du PACS, lequel n’ouvre pas droit à réversion, ni à prestation compensatoire. Par ailleurs, les femmes se remettant moins souvent en couple que les hommes, elles risquent plus de finir leur vie isolée au moment de la retraite, avec des problèmes de niveau de vie.

Mme Pascale Crozon. Si l’on veut être cynique, le veuvage est la meilleure solution pour les femmes, car elles touchent une retraite au prorata des années durant lesquelles elles ont vécu avec leur mari.

M. Jean-Michel Hourriez. Nous avons comparé le niveau de vie des veuves à celui des femmes divorcées ou célibataires au moment de la retraite.

Le divorce était peu fréquent chez les générations nées avant 1945 : neuf personnes sur dix se mariaient et c’est surtout le veuvage qui posait problème. Les générations du baby-boom ont davantage divorcé : sur dix femmes nées en 1950, une ne s’est pas mariée, trois ont divorcé, les six autres se sont mariées et n’ont pas divorcé. D’après les projections des démographes, le parcours matrimonial des femmes plus jeunes, nées en 1970, serait le suivant : trois femmes sur dix ne se marieraient pas – vivraient en union libre, éventuellement se pacseraient et n’auraient donc pas de droit à réversion dans le cadre de la législation actuelle –, trois divorceraient, et quatre auraient un parcours de mariage jusqu’à la fin de la vie ou de veuvage.

Il est indispensable d’alerter sur cette évolution des unions conjugales, car elle risque d’entraîner une dégradation des niveaux de vie des femmes au moment de la retraite.

Les veuves de plus de soixante-cinq ans ont peu de problèmes de niveau de vie. Si leur niveau de vie est en retrait par rapport à celui des couples à la retraite, l’écart n’est que de 16 % et il est surtout dû à des effets de structure : le risque de veuvage est plus important pour les femmes de catégorie sociale modeste, les hommes ouvriers mourant plus jeunes.

En outre, le conjoint survivant conserve à peu près le niveau de vie antérieur si l’on se réfère à la convention standard utilisée par les statisticiens, selon laquelle les besoins d’un couple seraient 1,5 fois ceux d’une personne seule, ce qui revient à considérer qu’une veuve qui conserve deux tiers des revenus du couple antérieur a le même niveau de vie.

Certes, les personnes devenues veuves ressentent spontanément une dégradation de leur niveau de vie, surtout celles qui désirent – et elles sont nombreuses – conserver leur logement, les charges d’habitation demeurant inchangées.

Mme Pascale Crozon. Des femmes m’ont expliqué être obligées de vendre leur appartement, acheté depuis très longtemps, à cause de travaux de copropriété. C’est un vrai drame pour celles dont les retraites sont minimes.

Mme Danielle Bousquet. Il faut rétablir les choses : si les femmes sont fragilisées, c’est parce qu’elles n’ont pas la même vie professionnelle que les hommes – la perte de leur mari ne fait qu’augmenter cette fragilité.

M. Jean-Michel Hourriez. Des cas types sont présentés dans le rapport. À la suite du décès de son mari, si la femme n’a pas travaillé, elle subit une perte de niveau de vie ; au contraire, son niveau de vie est comparable, voire supérieur à celui du couple antérieur, s’il y a eu parité de salaire ou de retraite dans le couple.

Ayant vérifié que le niveau de vie moyen des veuves n’est pas très inférieur à celui des couples, nous nous sommes posé la question de savoir si le divorce allait engendrer des situations où des femmes âgées se retrouveraient avec un niveau de vie très faible.

Aujourd’hui, les femmes célibataires ou divorcées à la retraite ont un niveau de vie légèrement inférieur à celui des couples, mais à peu près comparable à celui des veuves. Cela s’explique par le fait que le divorce, peu fréquent pour les générations nées avant 1945, a d’abord touché des milieux sociaux relativement favorisés, où les femmes étaient plus diplômées ou davantage intégrées au marché du travail que la moyenne. Par conséquent, aujourd’hui les femmes de plus de soixante-cinq ans, divorcées à la retraite, compensent les effets du divorce par une carrière personnelle relativement favorable.

Ce constat ne se vérifiera sans doute plus à l’avenir, car les divorces, les séparations et la vie en couple sans mariage concernent aujourd’hui tous les milieux sociaux. Ainsi, de plus en plus de femmes cumuleront le double handicap de leur divorce et d’une pension personnelle relativement faible par rapport à celle d’un homme. On peut alors se demander si, dans les générations les plus jeunes – celles nées dans les années cinquante jusqu’aux années quatre-vingt –, un certain nombre de femmes divorcées ou isolées, célibataires, divorcées ou séparées au moment de la retraite, ne seront pas confrontées à un faible niveau de vie.

Dans nos travaux de simulation, le modèle Destinie de l’INSEE nous a aidés à y voir plus clair. Les deux mouvements contraires – progression des pensions féminines et fragilisation accrue des situations conjugales au fil des générations – semblent se compenser, plus ou moins, écartant dans l’absolu une franche dégradation du niveau de vie moyen de l’ensemble des femmes vivant seules au moment de la retraite. Néanmoins, ces estimations sont fragiles, et la question reste posée d’un risque accru pour les générations futures d’une paupérisation d’une partie des femmes isolées au moment de la retraite.

Mme Pascale Crozon. J’ai rencontré les responsables du Secours catholique : sur le terrain, cette paupérisation commence déjà. Dans dix ans, les pauvres dans ce pays seront principalement les femmes parce qu’elles sont mères célibataires et ne trouvent pas de travail. Florence Aubenas a parfaitement décrit cette situation dans son livre Quai de Ouistreham

M. Jean-Michel Hourriez. Le taux de pauvreté est aujourd’hui important parmi les familles monoparentales, qui sont essentiellement des femmes. Ces générations de parents isolés risquent d’être pauvres à l’avenir.

Mme Pascale Crozon. Un certain nombre n’a aucune ressource et dépend totalement de l’aide sociale.

M. Jean-Michel Hourriez. Le veuvage précoce chez les femmes plus jeunes fait partie du problème général des familles monoparentales ou des parents isolés. Autant les veuves à l’âge de la retraite sont bien protégées par le système social français, autant les personnes de moins de soixante ans qui deviennent veuves connaissent de réels problèmes de pauvreté – leur taux de pauvreté est de l’ordre de 30 %. En effet, en dehors des régimes spéciaux, le système de retraite ne fournit pas, ou très peu, de pension de réversion dans ce cas-là. Les dispositifs de prévoyance des entreprises peuvent accorder des pensions à ces femmes ou à ces hommes. Au total, la prise en charge de ce risque est très disparate, et il y a là un problème spécifique à traiter soit par des dispositifs publics, soit par des dispositifs de prévoyance.

Mme Pascale Crozon. Hier, j’ai reçu une femme de vingt-sept ans dont le conjoint militaire a été tué : elle a un enfant et se retrouve démunie car elle ne touche rien.

M. Jean-Michel Hourriez. Ces situations de veuvage précoce sont assez fréquentes – 12 % des hommes et 6 % des femmes décèdent avant l’âge de soixante ans –, les décès précoces des hommes étant en partie liés aux conditions de travail ou aux accidents.

Mme Catherine Coutelle. Face à cette situation, quelles sont vos pistes de réflexion ?

M. Jean-Michel Hourriez. Il est possible de faire évoluer, d’une part, les droits familiaux, d’autre part, les droits conjugaux – c’est-à-dire la réversion – et de réfléchir au splitting, terme désignant le partage des droits à la retraite entre conjoints.

Les droits familiaux, liés aux enfants, sont essentiellement la majoration de durée d’assurance, l’assurance vieillesse des parents au foyer et les majorations de pension pour trois enfants et plus, mais dont je ne parlerai pas car elles concernent autant les hommes que les femmes.

La troisième partie du rapport du COR évoque des pistes d’évolution de ces droits, à court et à long termes.

À court terme, le droit complexe de l’AVPF gagnerait à être simplifié afin de le rendre plus lisible, car les femmes qui valident actuellement des droits au titre de cette prestation ne semblent pas toujours bien informées. En effet, pour en bénéficier, plusieurs conditions se superposent : interruption de son activité professionnelle, sauf pour les parents isolés et perception de certaines prestations familiales, auxquelles s’ajoute une condition de ressources du ménage.

S’il était nécessaire d’adapter la MDA à la jurisprudence, notamment aux principes formels d’égalité de droits entre hommes et femmes et donc d’ouvrir cette prestation au père, à plus long terme, le COR propose, à plus long terme, une évolution consistant à mieux articuler la MDA et l’AVPF.

Actuellement, l’AVPF peut permettre aux mères de trois enfants de valider un grand nombre d’années. Le COR propose de recentrer cette prestation sur des interruptions courtes d’activité, de moins de trois ans, la tendance actuelle étant que les femmes s’interrompent moins de trois ans après la naissance d’un enfant. Cela éviterait un système où certaines femmes (mères de trois enfants ou plus) valident beaucoup de trimestres au titre de cette prestation.

Concernant la MDA, les femmes des générations futures ayant davantage besoin d’une majoration du salaire de référence que de trimestres supplémentaires, il faudrait réfléchir à des dispositifs de majoration de pension.

On peut s’inspirer de l’exemple étranger de majoration de pension ouverte, au choix, au père ou à la mère. Ainsi, au moment de la naissance, le couple pourrait choisir entre le père ou la mère pour l’octroi de ce droit supplémentaire, ou un panachage des deux. Dans son sixième rapport, le COR évoquait plutôt des majorations forfaitaires de montants de pension, car une majoration proportionnelle est plus avantageuse pour le père dont la pension est plus élevée.

S’agissant des dispositifs de réversion ou de droits conjugaux, la question de leur adaptation à l’évolution des nouvelles structures conjugales se pose. Deux types d’évolution sont possibles : soit on reste dans le cadre de la réversion, que l’on aménage pour tenir compte de l’évolution des parcours conjugaux ; soit on va vers des formules novatrices, comme le partage des droits.

Le splitting existe dans certains pays, notamment en Allemagne où il a été instauré pour le régime général en cas de divorce. Il consiste à partager, au moment d’un divorce, les droits à retraite acquis par l’homme et par la femme durant le mariage pour que, au moins pour cette période, l’homme et la femme aient acquis autant de droits. Le partage des droits vient alors se substituer à la réversion.

Ces techniques de partage des droits sont beaucoup plus faciles à mettre en œuvre dans un système de retraite par points ou en comptes notionnels, comme en Suède, que dans un système d’annuités comme le nôtre. Il faudrait alors réfléchir à des réformes structurelles de notre système de retraite : c’est l’objet du 7ème rapport du COR paru en janvier 2010.

Dans ces dispositifs de « splitting », les hommes sont souvent perdants car, dans la mesure où ils gagnent plus que les femmes, dans au moins trois quarts des couples, ils doivent rétrocéder des droits à leur femme. Pour autant, les gagnants ne seraient pas systématiquement les femmes, mais plutôt les régimes de retraite qui feraient des économies dans la mesure où ils n’auraient plus de pensions de réversion à verser. En effet, un dispositif de partage des droits n’est pas forcément plus avantageux pour les femmes : si elles optent pour le partage des droits, elles ont une meilleure pension en droits propres, mais n’ont plus droit à la réversion.

Selon les cas, les femmes peuvent être gagnantes ou perdantes. Actuellement, une femme divorcée n’a droit à rien tant que son ex-mari est vivant. Au décès de celui-ci, elle perçoit une réversion, sous réserve d’un partage entre plusieurs ex-épouses. Il n’y a pas de système automatiquement plus avantageux pour les femmes : si le décès de l’ex-mari est précoce, la femme a plus intérêt au système de réversion actuel ; si le décès de l’ex-mari est tardif, elle a plus intérêt au partage des droits. Tout dépend aussi des écarts de pension ou de salaires qui existaient entre l’ex-mari et la femme. Les systèmes de partage des droits sont surtout avantageux pour les femmes de cadre dépendant financièrement de leur mari. En raison de la diversité des situations, il n’y a pas de règle générale.

Afin de rendre le partage des droits plus attractif pour les assurés, il serait intéressant de réfléchir à un dispositif où chaque conjoint obtiendrait plus de 50% de la somme des droits acquis par l’homme et la femme au cours du mariage, en contrepartie de l’abandon du droit à réversion.

Au total, les membres du COR ont jugé, en l’état actuel des réflexions, qu’il serait prématuré d’instaurer en France un dispositif de partage des droits.

Par conséquent, en matière de droits conjugaux, les réformes consisteraient plutôt à aménager les dispositifs de réversion actuels. Plusieurs pistes ont été évoquées dans des rapports, notamment du Sénat.

Par exemple, sachant que le PACS connaît un grand succès, se pose la question de l’extension éventuelle de la réversion aux couples non mariés. Elle n’est pas simple car, cette mesure pouvant entraîner des effets d’aubaine, dont des PACS de complaisance, il faudrait limiter les conditions dans lesquelles la réversion serait ouverte aux pacsés. Un rapport de la mission parlementaire d’information sur la famille et les droits des enfants de 25 janvier 2006, ainsi qu’un rapport de la MECSS du Sénat du 22 mai 2007 évoquaient des conditions pour obtenir le droit à réversion : durée de PACS minimale, union libre avec enfant en commun. Le Conseil d’orientation des retraites suggère, en contrepartie de l’ouverture de la réversion aux pacsés, un engagement de solidarité plus important de la part des conjoints, par exemple une prestation compensatoire en cas de rupture du PACS. En effet le mariage permet d’accorder des droits en matière de protection sociale, comme la réversion, en contrepartie d’une solidarité financière entre ex-époux qui se concrétise lors de la rupture par le versement éventuel d’une prestation compensatoire. Un renforcement de la solidarité entre ex-conjoints pacsés est donc une piste de réflexion.

Par ailleurs, les règles de réversion en cas de divorce, très différentes d’un régime à l’autre, gagneraient à être simplifiées et homogénéisées. Aujourd’hui, le droit à réversion acquis par une femme divorcée dépend du parcours matrimonial ultérieur de son ex-mari : s’il se remarie, la durée respective des mariages joue car le droit à réversion est calculé au prorata du nombre d’années de mariage. Par exemple, si un homme a eu deux épouses successives, l’une pendant dix ans, l’autre pendant vingt ans, la réversion est partagée un tiers – deux tiers. Il serait plus simple qu’une certaine durée de mariage offre droit à une réversion pleine, et, qu’en cas de durée du mariage inférieure à cette durée pleine, la réversion soit systématiquement proratisée.

Telles sont les pistes d’évolution développées par le COR dans son rapport.

Mme Danielle Bousquet. Le COR a traité uniquement la partie retraite : il n’a pas fait de propositions en ce qui concerne le travail des femmes.

M. Jean-Michel Hourriez. Il n’est pas de notre compétence de faire des propositions relatives au marché du travail. Néanmoins, comme le rappelle notre rapport, nous étudions les corrections susceptibles d’être apportées en aval dans le cadre du système de retraite, mais cela ne dispense pas d’un effort, en amont, de rapprochement des carrières des hommes et des femmes. Les systèmes des droits familiaux et conjugaux se limitent à corriger ce qui n’a pas pu l’être en amont.

M. Jean-Luc Pérat. Si une femme est plusieurs fois veuve, les pensions de réversion se cumulent-elles ou y a-t-il un plafond ? Et si une femme divorce, se remarie et que son premier mari décède, a-t-elle droit systématiquement à la pension de réversion ?

M. Jean-Michel Hourriez. Dans certains régimes, se remarier fait perdre le droit à réversion acquis du premier mariage. Depuis la loi de 2003, le régime général a supprimé la condition de non-remariage, mais l’a remplacée par une condition de ressources : la femme a droit à une réversion en provenance de son ex-mari si les ressources de son nouveau couple sont faibles ; si elles sont suffisamment élevées, elle ne perçoit plus la réversion du régime général.

M. Jean-Luc Pérat. Des ex-conjoints peuvent ne plus se parler depuis des années. Pour le versement de la pension de réversion, la première épouse est-elle systématiquement recherchée ou est-ce à elle de faire la démarche ?

M. Jean-Michel Hourriez. Il est possible qu’un problème d’information existe en la matière, et que des droits ne soient pas réclamés.

M. Jean-Luc Pérat. S’agit-il du « pactole » de retraites non réclamées, évoqué il y a quelque temps ?

M. Jean-Michel Hourriez. Je ne dispose pas de suffisamment d’éléments pour être affirmatif, mais c’est possible. Dans le cas du veuvage précoce, il est possible que les femmes ne connaissent pas toujours leurs droits : la caisse de retraite de la CNAVTS leur indique qu’elles n’ont pas de droits à réversion du régime général en dessous de cinquante-cinq ans ; elles peuvent alors oublier qu’elles ont des droits au titre de la retraite complémentaire et ceux-ci peuvent ne pas être réclamés.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie de cet éclairage très important. Cela conforte ma déception de voir que la feuille de route sur les retraites n’a jamais mentionné celles des femmes.

M. Jean-Michel Hourriez. Effectivement, nous espérions que les choses bougent un peu. Tout au long de nos travaux, nous avons cependant noté un certain conservatisme de la plupart des membres du Conseil sur ces questions.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci beaucoup, monsieur Hourriez.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.

Informations relatives à la Délégation

La Délégation a désigné Mme Pascale Crozon, rapporteure sur la proposition de loi n° 2422 de M. Bruno Le Roux et plusieurs de ses collègues visant à renforcer l’exigence de parité des candidatures aux élections législatives.