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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 11 mai 2010

Séance de 19 heures

Compte rendu n° 18

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition sur la réforme des retraites de Mme Danièle Karniewicz, présidente de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et secrétaire nationale de la CFE-CGC

L’audition débute à dix-neuf heures.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l’audition, sur la réforme des retraites, de Mme Danièle Karniewicz, présidente de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et secrétaire nationale de la CFE-CGC.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous sommes heureux d’accueillir Mme Danièle Karniewicz, Présidente de la CNAVTS.

La question de la retraite des femmes qui est depuis longtemps une préoccupation de la délégation aux droits des femmes n’est pas du tout abordée dans le débat actuel, ce qui me paraît tout à la fois déplorable et extrêmement préoccupant.

On nous dit que c’est un problème d’égalité au travail et que les retraites ne peuvent, en tant que telles, régler toutes les difficultés en la matière. C’est sans doute vrai, mais force est de constater qu’un grand nombre de femmes, aujourd’hui âgées de cinquante à soixante-cinq ans, encourent, pour différentes raisons – les aléas de carrières ou encore le travail à temps partiel – un risque important de précarité et de paupérisation.

Mme Danièle Karniewicz, Présidente de la CNAVTS et secrétaire nationale de la CFE-CGC. Plus généralement, on n’aborde pas aujourd’hui la question pourtant fondamentale du niveau des retraites, et donc encore moins du niveau des retraites des femmes. Si l’on demande aux Français des efforts pour équilibrer les régimes de retraite – ce qui me semble une nécessité –, il faut aussi se poser la question du niveau des pensions pour lesquelles on cotise. Or, les trente millions de salariés du privé ne jouissent d’aucune visibilité en la matière.

Si le niveau des pensions a augmenté en valeur absolue depuis l’après-guerre, il a diminué en valeur relative depuis la réforme de 1993. Le taux de remplacement, qui se définit comme le rapport entre la première pension de retraite et le dernier salaire d’activité - sachant d’ailleurs qu’aujourd’hui, le dernier salaire d’activité n’est plus forcément le salaire le plus élevé perçu au cours de la carrière - n’a pas cessé de baisser pour les salariés du privé, sans qu’il existe la moindre garantie et la moindre visibilité à terme. Les seules exceptions concernent des personnes qui ayant fait toute leur carrière au SMIC, touchent 85 % de celui-ci à la retraite et celles qui bénéficient du « minimum contributif ». Ces dernières ont effectué une carrière complète, mais la retraite à laquelle elles devraient avoir droit étant inférieure à un montant minimal, aujourd’hui fixé à environ 690 euros, leur pension est portée à hauteur de celui-ci.

Les femmes, qui perçoivent les plus faibles salaires, bénéficient de ces dispositifs, mais ceux-ci ne garantissent que des minima. Elles restent les premières victimes de la situation actuelle, d’autant qu’elles pâtissent de certaines évolutions sociologiques. De plus en plus de couples se séparent au moment de la retraite, ce qui place de nombreuses femmes dans des situations très difficiles. Et pourtant, le niveau de leur retraite n’est pas du tout au cœur du rendez-vous Retraite 2010.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Comment peut-on y remédier ?

Mme Danièle Karniewicz. La vraie question ne consiste pas à demander aux Français s’ils veulent travailler plus. Il faut, avant tout, s’interroger sur notre pacte social : de quel niveau de vie doit-on bénéficier une fois qu’on est à la retraite ? Cette question n’étant jamais posée, elle ne sera pas réglée et l’on va continuer à réduire considérablement le niveau des pensions.

On invoque sans cesse le principe d’égalité de traitement entre les salariés du privé et ceux des autres régimes, mais il n’existe déjà pas en termes de lisibilité.

Il faudrait donc commencer par poser la question du niveau des retraites, puis celle des moyens permettant de le garantir. On ne parle du niveau des retraites que dans la fonction publique. Dans la perspective d’un calcul des pensions sur la base des vingt-cinq dernières années, et non plus du salaire perçu au cours des six mois précédant la retraite – mesure destinée à faire croire que la question de l’inégalité de traitement sera ainsi résolue –, les fonctionnaires demandent que l’on raisonne en termes de taux de remplacement. Afin d’obtenir un taux proche de 75 %, ils souhaitent en particulier que l’on intègre leurs primes, parfois d’un montant élevé, sur lesquelles ils n’ont pas cotisé. Si l’on pose aujourd’hui la question de la lisibilité, on le fait seulement dans le secteur public, là où elle existe déjà, et non dans le secteur privé.

Nous demandons, pour notre part, l’instauration d’un « bouclier retraite » en s’entendant sur un niveau minimal de pension. Je pense notamment aux jeunes, de plus en plus nombreux à commencer à travailler après trente ans. Mais il faut être conscient que ce serait une mesure coûteuse, exigeant des efforts supplémentaires.

Il est aujourd’hui question de modifier l’âge de la retraite et/ou la durée de cotisation et de ne toucher que très peu aux recettes. Comme cela ne suffira pas, le niveau des pensions diminuera nécessairement. Cela rend, en outre, toute réflexion sur la solidarité du système plus difficile. On ne sait déjà plus très bien, aujourd’hui, si l’on cotise en vue de sa propre retraite ou pour financer des efforts de solidarité.

Le cumul emploi-retraite mérite aussi réflexion. Il est aujourd’hui possible de cumuler sa pension de retraite avec des revenus du travail, mais seulement lorsqu’on dispose de droits propres à la retraite, et non quand on bénéficie de droits dérivés. Une veuve qui a renoncé à travailler pour élever ses enfants touche une pension de réversion sous conditions de ressources. Si elle travaille, elle va perdre tout ou partie de sa pension de réversion. Le cumul emploi-retraite est donc impossible pour ceux qui sont le plus dans le besoin, notamment les femmes. Je rappelle que le montant des pensions de réversion versées par la CNAV ne dépasse pas 800 euros et qu’il y a aujourd’hui une volonté d’étendre la condition de ressources, qui aujourd’hui n’existe pas pour les retraites complémentaires. Sans être favorable au système des pensions de réversion en tant que tel, je considère que c’est aujourd’hui une nécessité et que nous devons absolument le préserver.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Comme je l’indiquais, je suis très inquiète pour la tranche d’âge qui va bientôt prendre sa retraite. Je pensais que les difficultés allaient progressivement se résoudre, mais nous avons appris au cours de précédentes auditions qu’elles allaient, au contraire, s’aggraver du fait de la multiplication des emplois précaires.

Mme Danièle Karniewicz. Il existe une forme de solidarité dans le système actuel, car les périodes de maternité et de maladie sont prises en compte. Cependant, elles ne sont pas valorisées de la même façon que les salaires, ce qui pose problème quand le calcul de la pension repose sur les vingt-cinq meilleures années.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. On ne s’était pas rendu compte, en 1993, des problèmes auxquels cette réforme allait conduire.

Mme Catherine Coutelle. Loin de se résoudre, les problèmes pourraient se poursuivre jusqu’en 2040. En effet, les inégalités de retraite résultent de trois facteurs : la précarité, le temps partiel et les interruptions d’activité.

Comment faire en sorte que les femmes bénéficient d’un niveau de pension décent sans grever le budget ? Un tiers d’entre elles perçoit le minimum vieillesse, y compris des femmes qui ont travaillé. J’ai récemment rencontré une femme, ancienne travailleuse indépendante, qui percevait la même retraite que sa mère alors que celle-ci n’avait jamais eu d’activité.

Mme Danièle Karniewicz. Il existe deux formes de minimum : le minimum vieillesse, versé aux personnes ayant travaillé, mais pas suffisamment pour avoir accumulé les annuités requises, et le minimum contributif, destiné aux personnes ayant travaillé pendant 41 annuités, sans pour autant atteindre le seuil minimal des retraites. Bien qu’ils aient été récemment réévalués, comme le gouvernement s’y était engagé, les montants en cause sont inférieurs à 700 euros, et il n’y a pas plus de 50 euros de différence entre eux.

Il existe en parallèle d’autres mécanismes de solidarité, plus classiques, comme la majoration de durée d’assurance pour enfant. Pendant longtemps, seules les femmes pouvaient en bénéficier, mais il a fallu ouvrir le système aux hommes pour respecter le principe de non-discrimination issu du droit européen. Nous avons obtenu un certain nombre de garde-fous en faveur des femmes, mais un couple peut désormais partager ce droit s’il le souhaite. À cela s’ajoutent la prise en charge des périodes de maternité, l’assurance vieillesse des parents aux foyers (AVFP) ainsi que la bonification de pension accordée aux femmes ayant élevé trois enfants.

Ces différents mécanismes étant limités, on ne parviendra pas à faire progresser la solidarité tant que le débat ne portera pas sur le niveau des retraites des salariés du secteur privé, notamment ceux qui contribuent beaucoup.

Mme Catherine Coutelle. Quelle serait la différence si l’on prenait en compte le niveau des retraites ?

Mme Danièle Karniewicz. Le rapport entre la première pension versée et le dernier salaire est aujourd’hui d’environ 72 %, mais ce n’est qu’une moyenne : ceux qui ont touché le SMIC pendant toute leur carrière percevront 85 % du SMIC, et d’autres entre 55 et 60 % de leur dernier salaire. L’éventail est très large. Le système actuel offre davantage de garanties aux bas salaires, et donc aux femmes, mais nombre d’entre elles risquent de percevoir moins de 700 euros – soit le minimum – si elles ont arrêté de travailler.

C’est pourquoi la question du seuil est essentielle. On ne peut pas dire aux jeunes qu’ils vont cotiser pendant toute leur vie pour toucher 40 % de leur dernier salaire, voire moins. Il faut redonner confiance dans le système des retraites.

Mme Catherine Coutelle. Il y a effectivement de grandes inquiétudes : il faut maintenant cotiser toute sa vie sans avoir la moindre idée de la retraite qu’on percevra plus tard.

J’ai lu que le système suédois permettait d’indiquer aux jeunes, dès l’âge de vingt-huit ou de trente ans, de quelle retraite ils pourront bénéficier. Qu’en pensez-vous ?

Mme Danièle Karniewicz. C’est un système qui repose sur des comptes notionnels et qui dépend donc de la durée de la vie. Il fait, en outre, appel à des retraites complémentaires sous forme de placements financiers. Dans ces conditions, la lisibilité offerte peut changer très vite. Vous comprendrez que ce n’est pas un système que je défends. On peut obtenir les mêmes résultats dans un système par répartition, pour un coût moindre et en protégeant mieux les personnes, même si cela nécessite des efforts supplémentaires de notre part, notamment en matière de recettes.

Il est beaucoup question d’assurer une égalité de traitement entre le public et le privé en rapprochant les modes de calcul. Or ce n’est pas la question pertinente ; seul compte le résultat. Les enseignants, par exemple, ont des salaires très réguliers et partent à la retraite avec 75 % de leur dernière paie, alors que les salariés du privé n’ont aucune certitude sur le niveau de leur retraite : ils peuvent très bien partir avec 50 % de leur dernier salaire et demain encore moins. En outre, de nombreux salariés perdent leur emploi entre cinquante et cinquante-cinq ans pour retrouver, par la suite, un travail moins bien rémunéré. Le taux de remplacement n’a donc pas grand sens dans le secteur privé. Quitte à demander un effort aux salariés, il faudrait introduire un peu de transparence dans le système actuel afin d’apaiser les inquiétudes.

Il faudrait, en particulier, donner aux femmes une lisibilité sur les niveaux de retraite. Pour dégager du temps pour leurs enfants, elles continuent souvent leur activité professionnelle de façon moins intense, sans imaginer les conséquences que cela aura. En général, elles n’envisagent pas qu’elles pourraient se retrouver seules pendant cette période de leur vie, ce qui est souvent le cas aujourd’hui. Je rappelle également que les femmes qui vivent en PACS ou en concubinage ne bénéficient d’aucune protection, les pensions de réversion étant réservées aux personnes mariées. On peut envisager une évolution du système, mais elle coûterait cher et pourrait conduire à une baisse des pensions versées – comment faire autrement compte tenu des déficits actuels ?

Pour ma part, je suis plutôt favorable à la construction de droits propres par les femmes, au cours de leur carrière, y compris pendant les périodes où elles arrêtent de travailler. Je suis hostile au système de la réversion, car il ne rend finalement pas service aux femmes. Il reste toutefois à inventer un autre système, ce qui n’est pas l’objet du débat actuel.

Mme Edwige Antier. Les femmes cotisent pendant leur congé de maternité, mais seule est prise en compte la durée de cotisation, et non leur salaire. Leur retraite diminue donc. Ne trouvez-vous pas que c’est injuste ?

Mme Danièle Karniewicz. Un même principe vaut pour toutes les périodes prises en compte au titre de la solidarité, comme la maladie et le chômage, et cela pour tout le monde.

Mme Edwige Antier. Sauf que la maternité n’est pas une période de maladie ou de chômage. Ne faudrait-il pas prendre en compte les indemnités journalières au prorata du salaire, comme nous l’avions envisagé ?

Mme Danièle Karniewicz. C’est techniquement possible, mais qui paiera ? C’est un choix politique.

Mme Edwige Antier. Les jeunes mamans ne pensent pas nécessairement à leur retraite. Celles d’entre elles qui sont des cadres supérieures négocient parfois des indemnités pour quitter leur entreprise, avant de s’apercevoir qu’elles n’ont pas cotisé. Pourraient-elles le faire volontairement sur la base de leur ancien salaire, ou bien vaudrait-il mieux qu’elles souscrivent une assurance-vie ?

Mme Danièle Karniewicz. Il existe des mécanismes de rachat permettant de compenser les périodes d’activité manquantes, mais ils coûtent cher – d’autant plus cher qu’on s’y prend tard.

Mme Edwige Antier. Pour éviter ces rachats, effectivement coûteux, ne serait-il pas préférable que les femmes continuent à cotiser au titre de la part salariale et de la part patronale, le cas échéant avec un effort conjoint de leur mari ? C’est une solution qui ne coûterait rien à la société.

Mme Danièle Karniewicz. Un tel système permettrait aux femmes d’obtenir des droits propres à la retraite, mais il a un coût pour les intéressées : il faut cotiser davantage. La collectivité pourrait cependant apporter une contribution à cet effort. On peut en effet penser que les mécanismes de solidarité devraient, avant tout, être mis au service de l’acquisition de droits propres.

La situation que vous décrivez est théoriquement compensée grâce aux majorations pour enfant, mais on se contente en réalité de prendre en compte les périodes de cotisation, et non les valeurs. La situation risque, en outre, d’être de plus en plus compliquée pour les femmes : pour avoir une pension de retraite à taux plein, elles doivent non seulement avoir soixante ans, mais aussi avoir cotisé pendant 40 annuités – 41 en 2012.

Deux solutions sont envisageables dans le cadre de la réforme à venir : on peut soit reporter l’âge de la retraite, soit augmenter le nombre d’annuités nécessaires. Si l’âge moyen de la retraite pour les femmes est aujourd’hui de 61,5 ans, c’est que les femmes n’ont pas cumulé suffisamment d’annuités pour prendre leur retraite à 60 ans : elles doivent attendre d’avoir 65 ans pour bénéficier du taux plein. Si l’on porte l’âge légal de la retraite à 62 ou 63 ans, le « taquet » restera-t-il à 65 ans, ou bien passera-t-il à 68 ans ? C’est l’hypothèse retenue par les travaux du COR, le Conseil d’orientation des retraites. Si c’est le cas, la situation des femmes sera encore plus difficile.

Mme Edwige Antier. Imaginons une mère travaillant à mi-temps ou à temps partiel. Pourquoi ne cotiserait-elle pas pour compenser la différence ?

Mme Danièle Karniewicz. Il n’est pas facile de payer davantage, surtout quand on est seul.

La vraie question du rendez-vous de 2010 est de savoir si l’on doit allonger la durée d’activité pour tout le monde. De nombreux acteurs estiment qu’il serait plus juste d’augmenter le nombre d’annuités, car cela permettrait à ceux qui ont commencé à travailler plus tôt de partir plus tôt à la retraite. Or, cela ne me paraît pas juste. Cela nuirait en particulier aux femmes, car il arrive fréquemment qu’elles n’aient pas le nombre d’annuités requis. C’est l’âge de départ à la retraite qu’il faut augmenter, et non le nombre d’annuités. Puisque beaucoup de femmes attendent déjà d’avoir soixante-cinq ans pour prendre leur retraite, on peut plus facilement envisager d’aller jusqu’à soixante-deux ans en ce qui les concerne.

Tous sexes confondus, il manque déjà, à l’âge de trente ans, sept voire huit trimestres de cotisation aux salariés non qualifiés, car ils ne parviennent pas à s’insérer dans le marché du travail. Ils ne partiront pas à la retraite avant soixante-dix ans si on les oblige à cotiser pendant 43 annuités ! Il faut donc jouer sur l’âge, ce qui d’ailleurs est le facteur qui rapportera le plus. Les travaux du COR montrent qu’on ne finance pas mieux le système en combinant des mesures portant sur l’âge de la retraite et sur le nombre d’annuités. La situation sera peut-être différente en 2050, mais nous n’y sommes pas encore.

Mme Catherine Coutelle. Vous voulez dire qu’on pourrait prendre sa retraite à soixante-deux ans, quel que soit le nombre de trimestres de cotisation ?

Mme Danièle Karniewicz. En application de la loi « Fillon » de 2003, il faudra cotiser pendant 41 annuités en 2012 et 41,5 annuités en 2020. Il convient de s’arrêter là si l’on fait jouer un critère d’âge en même temps. Il faut cesser d’augmenter le nombre d’annuités pour agir plutôt sur l’âge. Cela permettrait de ne pas opposer les parcours professionnels, notamment ceux des femmes et ceux des hommes. On peut très bien imaginer de garder les 41 annuités actuelles et de porter le critère d’âge de soixante à soixante-deux ou soixante-trois ans.

Mme Catherine Coutelle. Vous garderiez donc le nombre d’annuités prévu ?

Mme Danièle Karniewicz. Oui, sans continuer à l’augmenter. Les travaux du COR jouent sur les deux tableaux et il semble que cela corresponde aux intentions du Gouvernement, mais cela pénaliserait les femmes.

Elles ont été moins fréquemment touchées que les hommes par la réforme de 1993 : pour 77 % des hommes, les pensions versées auraient été supérieures sans cette réforme, contre 44 % de femmes. Mais ces dernières ont perdu davantage, alors même que les montants perçus sont plus faibles – la baisse est de 9 % pour les hommes et de 10 % pour les femmes. Dans les deux cas, la réforme de 1993 a fait baisser les pensions de retraite.

Mme Edwige Antier. Les femmes qui ont le plus d’enfants sont les plus pénalisées, ce qui est une injustice profonde : plus il y aura d’enfants, mieux on préparera les retraites, et plus on s’occupera des enfants, mieux ces retraites seront financées – ce n’est pas avec des enfants qui toucheront plus tard le RSA qu’on avancera.

Mme Danièle Karniewicz. C’est vrai, mais il existe déjà beaucoup de compensations, surtout dans les régimes de retraite complémentaires. Les avantages familiaux et conjugaux seront d’ailleurs la cible du prochain rendez-vous des retraites complémentaires.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ne pensez-vous pas que la situation sera pire encore lors du prochain rendez-vous, dans dix ans, si l’on ne prend pas en compte la question du niveau des retraites dès maintenant ?

Mme Danièle Karniewicz. Il faut agir. Si on ne le fait pas, ce sera à l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et à l’Association pour le régime de retraite complémentaire (ARRCO) d’y veiller lors du rendez-vous qui aura lieu cet automne.

Nous devons jouer à la fois sur l’âge et sur les recettes – il faudra bien s’y résoudre, à moins de consentir à une baisse du niveau des pensions. Les travaux du COR montrent que l’on ne couvrira que la moitié des besoins de financement si l’on se contente de porter l’âge de la retraite à soixante-trois ans et d’augmenter le nombre des annuités demandées.

L’âge de la retraite étant de soixante-cinq et non de soixante ans dans les régimes complémentaires, qui revêtent une importance considérable pour les salariés du secteur privé, il faut un accord entre les partenaires sociaux pour permettre les départs à la retraite avant cet âge. Or, on risque fort de ne pas avoir d’accord à la fin de l’année si le Gouvernement n’avance pas de son côté. On félicite souvent les partenaires sociaux pour la bonne gestion des régimes complémentaires, mais elle consiste en réalité en une baisse des pensions : l’AGIRC et l’ARRCO se heurtent aux mêmes problèmes démographiques que les autres régimes, mais elles n’ont pas la faculté de recourir à la dette. Avec la crise actuelle, elles sont obligées de ponctionner sur les réserves depuis le début de l’année.

Je le répète, les négociations sur les retraites complémentaires risquent d’être très difficiles. Le problème est que l’État ne négocie que pour la CNAV et non pour les retraites complémentaires des salariés du secteur privé.

Mme Catherine Coutelle. Avez-vous des propositions précises à faire en ce qui concerne les retraites des femmes ?

Mme Danièle Karniewicz. Comme on ne parvient pas à financer les retraites à l’heure actuelle, il n’est pas question de se demander ce que l’on peut faire de plus en matière de solidarité. Or, les retraites des femmes relèvent très souvent de la solidarité. C’est pour cette raison que nous devons inventer un autre système leur permettant de construire elles-mêmes leurs droits à retraite. Ce n’est malheureusement pas l’objet du débat actuel.

Mme Edwige Antier. Celles et ceux qui prennent maintenant leur retraite courent-ils le risque que leurs pensions ne soient pas honorées dans les années à venir ?

Mme Danièle Karniewicz. Je ne le pense pas. Ce n’est jamais arrivé en France, même en cas de crise.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vos propos ne nous ont guère rassurées, bien au contraire. Selon vous, le débat actuel ne pourra pas intégrer la problématique des femmes et le rendez-vous suivant, qui aura lieu à l’automne, ne fera que dégrader leur situation.

Mme Danièle Karniewicz. Si l’on ne règle pas la question de l’âge, ce sera à l’AGIRC et à l’ARRCO de le faire. Je rappelle, en outre, que les travaux préparatoires de l’AGIRC et de l’ARRCO envisagent aussi une évolution des avantages familiaux et conjugaux. Si on opère un alignement des majorations pour enfant versées par la CNAV, l’AGIRC et l’ARRCO, il se fera naturellement vers le bas. Il a même été envisagé, dans certains travaux, de ne plus verser les pensions de réversion qu’au prorata de la durée du mariage – ce n’est aujourd’hui le cas que s’il y a eu plusieurs conjoints. C’est un raisonnement purement assuranciel qui pénalisera celles qui se marient tard.

Mme Catherine Coutelle. Afin de protéger les femmes en cas de divorce tardif – à cinquante ou cinquante-cinq ans – nous avions envisagé de partager les droits à la pension en fonction de la durée du mariage.

Mme Danièle Karniewicz. Certains pays considèrent que les couples acquièrent des droits à la retraite ensemble, qu’ils soient mariés ou non, et qu’il faut donc tout diviser quand ils se séparent – le patrimoine, mais aussi les droits à la retraite. Il est vrai que compte tenu du nombre considérable de divorces au moment de la retraite, certaines femmes risquent de se retrouver sans rien.

Il n’est certes pas absurde de partager les droits acquis, mais on peut choisir une autre solution, qui est de faire en sorte que chacun puisse les acquérir – on entre alors dans un autre système. Il me semble indispensable, pour ma part, que l’on cesse de dépendre de la retraite de son conjoint : le droit à la retraite ne doit plus constituer un droit dérivé. Mais je le répète, c’est une évolution à terme, car la réversion est aujourd’hui toujours indispensable.

Mme Catherine Coutelle. Nous ne prenons pas assez en compte les évolutions de la société – les divorces, par exemple, ou encore l’existence des familles monoparentales. C’est un premier problème.

Je trouve également regrettable que l’on envisage une réforme engageant les vingt, voire les cinquante prochaines années. Certains pays parviennent à faire des réformes en se fixant un cap de cinq ans, avec l’idée que des ajustements sont possibles.

L’essentiel est e savoir si nous pourrons bénéficier de pensions de retraite jusqu’à la fin de notre vie et si elles ne risquent pas d’être insuffisantes. Peut-on, dans ces conditions, garantir un niveau de retraite ? Avec l’allongement de l’espérance de vie, la durée de la retraite devient aussi longue que celle de la vie active. C’est d’autant plus vrai que l’on entre tard dans la vie active.

Mme Danièle Karniewicz. Il manque certains éléments dans le débat actuel, mais il y en a d’autres qui ne devraient pas être abordés. Selon certains acteurs, la prise en compte de la pénibilité du travail devrait être la contrepartie de l’évolution des conditions d’âge. Or, c’est une question étrangère à celle des retraites : la pénibilité se définit comme une usure professionnelle empêchant de continuer à travailler au-delà d’un certain âge dans certains métiers, comme le bâtiment. Or, l’inaptitude relève de la santé au travail, et les mécanismes correspondants, qui sont financés par les entreprises, n’entrent pas dans le cadre de la retraite. Si l’on envisage de prendre en compte ce facteur, c’est avant tout pour mieux faire accepter les évolutions relatives à l’âge de la retraite.

Existe aussi la notion de pénibilité différée consistant en une réduction de l’espérance de vie. Mais c’est oublier que la retraite par répartition ne dépend pas de l’espérance de vie. L’assurance privée et l’assurance-vie peuvent prendre en question ce type de paramètre, mais ce n’est pas l’objet de la retraite par répartition. Ce n’est pas un droit de tirage par année de vie.

En outre, comme on ne pourra pas prendre en compte tous les cas en raison du coût que cela impliquerait, il faudra se résoudre à ne compenser que certaines formes de pénibilité – celles qui frappent les personnes exposées à certains produits cancérigènes, par exemple, ou celles qui exécutent un travail posté. Or, c’est une solution très contestable, car on pourrait considérer qu’il s’agit d’une discrimination. On peut aussi estimer qu’en autorisant des départs précoces à la retraite parce que l’on meurt plus tôt dans certains métiers, on instaure une sorte de « permis de tuer ».

Si l’on veut bien faire jouer la solidarité, hier pour les carrières longues, et aujourd’hui pour la pénibilité, c’est exclu pour les femmes et l’on oublie, dans le même temps, que la pénibilité n’a rien à voir avec la question des retraites : c’est une affaire de santé, de conditions de travail et de prévention. On ne peut pas laisser des salariés dans de telles situations.

Mme Catherine Coutelle. Si l’on avance la question de la pénibilité, n’est-ce pas pour se dédouaner ? On recule sur l’âge, mais pas pour ceux qui exercent les métiers les plus pénibles.

J’observe, par ailleurs, que nous n’entendons jamais tenir un discours tel que le vôtre. Comment l’expliquer ?

Mme Danièle Karniewicz. Une première raison tient au poids des syndicats représentant les métiers où se posent des problèmes de pénibilité. Il existe, en outre, une demande de prise en compte de la pénibilité et de l’espérance de vie sur le « marché politique ». Le problème est qu’on ne peut pas financer de telles mesures, et qu’elles ne relèvent pas de la problématique des retraites.

Pendant ce temps, la question des femmes reste en dehors du débat. L’augmentation de la durée d’activité par l’intermédiaire du nombre d’annuités requis est une solution plus douloureuse pour les femmes. Il semble que le Gouvernement en soit conscient et qu’il souhaite prendre en compte l’âge de la retraite plutôt que le nombre d’annuités, mais il y a une forte demande des syndicats en faveur de ce dernier critère, y compris dans ma confédération qui regroupe, pour l’essentiel, des cadres. La raison en est qu’il y a aujourd’hui beaucoup de salariés ayant commencé à travailler tôt mais ce phénomène va se réduire. On se prépare donc à faire une réforme des retraites pour les jeunes, avec des seniors, et l’on risque d’oublier que la solidarité n’implique pas forcément de permettre à ceux qui ont commencé à travailler tôt de partir plus tôt à la retraite.

Mme Catherine Coutelle. Si l’on en croit les sondages, 70 % des Français ne souhaitent pas que l’on porte l’âge de la retraite au-delà de soixante ans. Les trentenaires et les quadragénaires nous disent, en revanche, que c’est un faux débat : ils sont convaincus qu’ils seront obligés de travailler jusqu’à soixante-dix ans sans avoir de retraite pour autant.

Mme Danièle Karniewicz. Quand on est en apprentissage, on cotise pour la retraite, même si cela ne compte pas forcément pour beaucoup. Ceux qui font des études et des stages, eux, ne cotisent pas et sortent du cycle des études à vingt-cinq ou vingt-six ans en étant persuadés qu’ils ne partiront pas à la retraite à soixante ans et qu’ils n’auront pas grand-chose de toute façon. Ils seraient sans doute prêts à travailler plus longtemps si cela leur permettait d’avoir une quelconque garantie.

Mme Catherine Coutelle. Pour avoir participé à des programmes Erasmus, j’ai pu constater que les enseignants français étaient seuls à partir à la retraite à 60 ans, qui plus est avec une pension calculée sur les six derniers mois de leur salaire. Ce n’était pas le cas, par exemple, des Islandais, des Britanniques, des Allemands, des Danois et des Espagnols que j’ai pu rencontrer : ils partaient à la retraite à soixante-cinq, voire soixante-dix ans pour les Islandais, et ne percevaient que 50 ou 55 % de leur dernier salaire. Cela ne paraissait pourtant pas leur poser de problème particulier, sans doute parce que les rythmes de travail étaient adaptés en fin de carrière. Il faut non seulement éviter que la retraite soit un couperet, mais aussi veiller à ce que l’on introduise plus de souplesse au travail à partir d’un certain âge.

Mme Danièle Karniewicz. Certaines entreprises proposent déjà à leurs salariés de réduire la durée de leur travail quotidien pourvu qu’ils acceptent de partir plus tard à la retraite.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Cela favorise le passage de relais au sein des entreprises. La disparition de la mémoire et de l’expérience peut poser de graves difficultés.

Mme Danièle Karniewicz. Cela dit, il est sans doute nécessaire de mener une réflexion sur le cumul emploi retraite. Les infirmières du secteur public peuvent prendre leur retraite au bout de quinze ans si elles ont trois enfants, mais on constate qu’elles exercent ensuite une activité libérale. Il me semble difficile d’accepter que l’on parte plus tôt à la retraite grâce à des mécanismes de solidarité prenant en compte la pénibilité tout en permettant de continuer à travailler.

Mme Catherine Coutelle. Les militaires sont dans le même cas. Il paraît normal de toucher une retraite quand on a travaillé, mais à partir de quand ? C’est une question qui peut légitimement se poser.

Mme Danièle Karniewicz. Tous les militaires sont assurés de faire une seconde carrière et il existe des systèmes de calcul en fonction des heures de vol et des sauts en parachute, par exemple. Il y a de nombreux dispositifs très généreux dans la fonction publique, ce qui rend le système difficile à comprendre dans son ensemble.

Comme il faudra beaucoup de temps pour assurer une égalité entre les différents régimes, il vaudrait mieux, au lieu d’opposer les salariés, essayer d’offrir une garantie aux salariés du privé. Pour cela, il faudrait que plusieurs acteurs s’engagent en même temps, mais ce serait bien la première fois que cela poserait un problème à l’État.

Le débat ne portant que sur l’âge, sur la pénibilité et, dans une faible mesure, sur les recettes, nous sommes exposés à un ajustement par la baisse des pensions.

Mme Catherine Coutelle. Quelles mesures faudrait-il adopter en ce qui concerne les recettes ?

Mme Danièle Karniewicz. Il faut distinguer les recettes contributives – les cotisations sociales – et celles qui relèvent de la solidarité. Pour financer ces dernières, il conviendrait d’élargir l’assiette des recettes au-delà des salaires – on l’a déjà fait partiellement grâce à la CSG, mais ce n’est pas suffisant. Il faudra consacrer demain beaucoup plus que 13 % du PIB aux retraites, car on ne peut pas continuer à accuser dix milliards d’euros de déficit par an.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Tout cela n’est guère rassurant.

Mme Danièle Karniewicz. Il y a au moins une bonne nouvelle : on vit plus longtemps en bonne santé. Reste à savoir avec quels moyens financiers.

Mme Catherine Coutelle. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il ne serait pas financièrement préférable d’augmenter simultanément l’âge de la retraite et le nombre d’annuités ?

Mme Danièle Karniewicz. Il y a une revendication qui consiste à demander que l’on puisse partir plus tôt quand on a commencé à travailler plus tôt. Cela revient à oublier que les étudiants ne peuvent pas cotiser, alors qu’il n’y a pas lieu d’opposer les uns aux autres. Tous participent à la production de la richesse. Il y a malheureusement de telles pressions sur ce sujet que le Gouvernement utilisera certainement aussi le levier des annuités. Ce ne serait pas la première fois qu’une telle erreur se produit : les mesures relatives aux carrières longues, qui coûtent plus de deux milliards d’euros par an, n’étaient certainement pas opportunes à une période où l'on ne parvient pas à financer les retraites.

Mme Catherine Coutelle. Avez-vous le sentiment d’être entendue et suivie aujourd’hui ?

Mme Danièle Karniewicz. Le Gouvernement nous a fait savoir que notre réflexion sur le seuil minimal était très intéressante, mais il n’a communiqué aucun chiffrage malgré nos demandes. Le COR, de son côté, n’a fait porter ses travaux que sur l’âge de la retraite et sur la durée de cotisation, ce qui est normal puisque le rendez-vous Retraite 2010 a été présenté comme une réforme portant sur l’âge de la retraite.

Or, que se passerait-il si l’on n’agissait que sur un seul paramètre ? Il faudrait, selon le COR, augmenter de cinq ans l’âge de la retraite, augmenter de 8 % les cotisations, ou bien réduire de 20 à 30 % le niveau des retraites. Si l’on ne veut pas se résoudre à cette dernière extrémité, il faudra agir à la fois sur les recettes et sur l’âge de la retraite. Il n’y a pas de recette miracle : il faudra consacrer un peu plus de la richesse produite aux retraites et travailler un peu plus longtemps.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il me reste à vous remercier.

L’audition s’achève à vingt heures vingt-cinq.