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Mardi 6 octobre 2009

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 1

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat

– Information relative à la commission

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.

M. le président Christian Jacob. Nous avons le plaisir de recevoir pour la seconde fois M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'Écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Nous vous entendrons avec intérêt, Monsieur le ministre d’État, faire un tour d’horizon des sujets d’actualité et notamment nous dire l’état d’avancement des négociations préalables au sommet de Copenhague sur le changement climatique qui aura lieu en décembre.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'Écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Je voudrais souligner en premier lieu que la France s’est dotée d’une ingénierie publique à la mesure des défis du XXIème siècle. La configuration n’est plus celle de quatre ministères travaillant côte à côte mais d’une administration unique organisée pour affronter ces défis. Un seul exemple : hier les services de l’habitat et de l’urbanisme géraient Rouen et Le Havre, ceux des transports s’occupaient des transports, d’autres encore de la gestion de l’eau, de la Seine, de la mer, de l’énergie ; aujourd’hui, une seule et même administration s’occupe des Boucles de la Seine.

Une administration de ce type est unique au monde, et l’organiser n’a pas été facile. De 23 directions on est passé à six directions opérationnelles, de très nombreux regroupements fonctionnels ont eu lieu, si bien que les méthodes de travail ont été radicalement modifiées. Une mutation d’une telle ampleur est assez rare, et je ne sais quelle autre institution a vécu pareille transformation. C’est que les missions assignées au ministère sont elles-mêmes très vastes, puisqu’il s’agit d’organiser l’espace, l’urbanisme, le logement, l’habitat, l’énergie pour répondre aux enjeux du siècle, en économisant toutes les ressources naturelles – eau, forêts… – et en divisant par 4 nos émissions de gaz carbonique à l’horizon 2050. La nouvelle organisation du ministère, désormais opérationnelle, nous a d’ailleurs valu le prix mondial des ressources humaines, décerné par un grand cabinet international. Nous pouvons être fiers de notre fonction publique qui, quand elle se met en marche comme elle l’a ainsi fait, ne peut être arrêtée. De même, des progrès considérables ont été accomplis au sein du ministère, dans tous les domaines – déplacements, locaux, politique d’achat – pour que l’État soit, conformément à sa mission, « exemplaire ». Ainsi, à ce jour, 80 % des entités de mon administration ont achevé leur bilan carbone, à la fin de l’année toutes l’auront terminé, et les décisions prises vont permettre de réduire de 5 à 7% par an les émissions de CO2 du ministère. La France s’est donc dotée d’un outil sans équivalent dans le monde. Dans les départements, nos services sont en outre progressivement couplés avec ceux de l’agriculture.

Je suis d’autre part fasciné par l’allant général. Il n’est pas une collectivité, une organisation syndicale, une organisation professionnelle qui ne se soit mise en ordre de marche pour contribuer à une économie plus sobre en carbone, plus performante, plus respectueuse de l’environnement. Le rythme de la mutation est, objectivement, très supérieur à ce qu’on observe partout ailleurs en Europe. Ainsi, pour ce qui concerne les énergies renouvelables, on installe chaque trimestre l’équivalent du stock photovoltaïque d’il y a dix-huit mois. De même, dans le bâtiment, le nombre de chantiers thermiques, dont le montage est pourtant complexe, s’établit entre 7 000 et 8 000 par mois, et on atteindra 15 000 à 18 000 par mois à la fin de l’année. Pourtant, il y a deux ans, ces sujets étaient totalement absents des préoccupations des architectes !

S’agissant de la mobilité individuelle, les annonces relatives aux véhicules propres faites la semaine dernière signent l’aboutissement d’un processus long d’une année. Les constructeurs automobiles ont compris que le dispositif du bonus-malus écologique visait à instaurer une économie sobre en carbone ; ils ont compris aussi qu’il y avait une réelle demande de la part des consommateurs. Mais pour aboutir, il fallait une action concertée ; producteurs et distributeurs d’énergie, fabricants de batteries, représentants des collectivités locales et de l’État se sont donc réunis autour d’une table. Cela nous a permis de mettre au point un plan de très grande ampleur. Il en résultera que les deux seules sociétés de taille internationale au monde vont lancer, dans neuf à douze mois, un produit de milieu de gamme et de grande consommation en France au même prix que les voitures thermiques, ce qui était inimaginable il y a deux ans et demi. La décision de créer une filiale d’ERDF dotée de 1,5 milliard d’euros, afin d’assurer l’équipement en prises de rechargement partout en France et se mettre d’accord sur un standard européen et de permettre une gestion intelligente du réseau, ainsi que le regroupement de 500 chercheurs à Chambéry montrent que la mécanique est lancée.

De même, les collectivités ont répondu en masse à l’appel à projets de transport collectif en site propre – les TCSP. Les projets présentés portent sur quelque 400 km de lignes supplémentaires, à comparer aux 329 km – hors Paris – construits au cours des 34 dernières années.

Quant aux lignes TGV, il est prévu que le réseau double en cinq ans – période pendant laquelle on construira donc autant que l’on avait construit au cours des 40 années précédentes.

Alors, donc, qu’on envisageait une réduction de 25% des émissions de CO2 d’ici à 2020, on peut raisonnablement penser que la diminution atteindra 35% ou 40%, et cela sans drame : il s’agit d’une mutation de l’économie globalement heureuse, et celui qui maîtrisera cette économie maîtrisera le monde.

Au fond, on en revient à une forme du génie français. Il s’agit de produire des énergies et de les stocker, et ce sont des domaines où la France a longtemps montré son savoir-faire, elle qui a inventé l’énergie hydraulique, les usines marémotrices et n’avait pas négligé le solaire, même si elle s’est laissée dépasser. Les trams, les trains, les turbines, le traitement de l’eau, le traitement des déchets sont autant de systèmes des Arts et métiers, assortis d’une relation public-privé par le biais de la délégation de service public, invention française elle aussi. Ni le marché ni le secteur public ne pouvant gérer seuls ces mutations, une articulation est indispensable.

Le moment est étrange, car notre pays est probablement le plus performant pour ce qui est des métiers du XXIème siècle, mais dans le même temps il connaît des faiblesses structurelles qu’il faudra corriger au plus vite, en matière de formation notamment.

Certes, des points de blocages subsistent, mais ils sont finalement assez peu nombreux. Tout au long du débat au Sénat sur la gouvernance territoriale, j’ai entendu s’exprimer une grande envie d’agir. Le parcours moral du pays, la prise de conscience des enjeux ont été spectaculaires et la seule question qui vaille maintenant est de définir les moyens qui nous permettront d’être efficaces le plus vite possible. L’industrie et les services français sont désormais convaincus que les adaptations sont vitales. Tout le monde est donc d’accord sur le principe. Ensuite, on peut, bien sûr, discuter du rythme de la mutation, mais il est certain que parmi les pays industrialisés, nous assurons un leadership technique, assorti de faiblesses que nous nous employons à corriger. Ainsi, je suis convaincu que, d’ici fin 2010, nous aurons repris la tête de la filière professionnelle « du vent et du soleil ». C’est d’ailleurs ce qu’ont pensé les 136 pays qui ont porté Mme Hélène Pelosse, qui était ma conseillère diplomatique pour les négociations sur le « paquet climat-énergie », à la direction générale de l’Agence internationale des énergies renouvelables.

Dans un autre domaine, j’ai été frappé par l’impressionnante évolution de l’agriculture française, qui a notamment beaucoup diminué sa consommation d’intrants. Même si les mutations sont plus difficiles à mettre en œuvre dans certains secteurs, l’agriculture est devenue une force motrice dans la lutte pour la préservation de l’environnement. Aucun secteur n’est à l’écart des mutations : ainsi, si vous avez l’occasion de recevoir M. Jean-Charles Naouri, le président de la société Casino, il vous dira qu’au premier trimestre 2009 l’achat de produits « bio » a augmenté de 23 % en France, contre seulement 1,5 % en Allemagne et en Europe. La tendance qui s’exprime ainsi ne diffère pas de celle que l’on observe quant à l’évolution du photovoltaïque ou de la consommation d’eau. Certes, il faudra aller beaucoup plus loin encore mais, comme je vous l’ai dit, nous sommes parfaitement armés pour le faire.

J’en viens au panorama international. Pour commencer, la préparation du sommet de Copenhague nous a fait mesurer la prouesse extraordinaire qu’a représenté l’adoption du « paquet énergie-climat ». A observer les négociations en cours pour savoir qui est prêt à quoi, on se rend compte que ce fut véritablement un exploit de parvenir à l’accord auquel nous sommes parvenus à vingt-sept. Je réitère donc mes remerciements pour le soutien que vous m’avez manifesté un certain vendredi et qui m’a permis ensuite de négocier de manière détendue avec mes homologues européens.

Votre appui a été crucial car en réalité tous les chefs d’État et de gouvernement voulaient le « paquet énergie-climat »… et aucun n’en voulait car, dans chaque pays, des secteurs économiques étaient épouvantés à l’idée d’un accord de ce type. Les demandes de report, pour divers prétextes ou raisons, n’ont pas manqué. Ce projet a été à l’origine de fortes tensions politiques dans certains États, des gouvernements on été mis en difficulté, certains sont tombés, et des manifestations ont eu lieu dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale. Rien de tel ne s’est produit en France car le consensus était acquis : les objectifs du « Grenelle de l’environnement » ne sont guère différents de ceux du « paquet énergie-climat ». On ne mesurera jamais à quel point ce consensus national puissant a permis à la présidence française de l’Union de boucler ce dossier : elle a pu commodément faire valoir que la sidérurgie française, les constructeurs automobiles français, les fondeurs français, les transporteurs français n’étaient pas plus stupides que ceux des autres pays européens, et qu’ils avaient avalisé les dispositions en discussion.

Nous sommes maintenant à huit semaines d’un processus du même type, et nul ne doute que 90% des dirigeants du monde sont convaincus de la nécessité que le sommet de Copenhague soit un succès. En réalité, point n’est besoin de les persuader : il faut les « désangoisser » en soulignant que l’Union européenne n’est pas traumatisée d’avoir adopté le « paquet énergie-climat ». Pour autant, on peut comprendre qu’il soit difficile d’aller expliquer cela dans le Michigan ou dans les États démocrates producteurs de lignite.

Les négociateurs sont actuellement réunis à Bangkok. Ils ont en main la feuille de route fixée à Bali, qui est un document de principe dont je rappellerai les grandes lignes : une responsabilité commune mais diversifiée ; pour les pays industrialisés, un objectif de réduction, d'ici 2020, des gaz à effet de serre de 25 à 40 % par rapport aux niveaux de 1990, pour avoir une chance de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre à moins de 450 ppm ; le financement de l’adaptation dans les pays vulnérables ; la définition des engagements à prendre par les pays émergents, et celle du cofinancement de la technologie.

Mais si tel est le plan d’action, l’engagement est si important que tout se jouera au niveau des chefs d’État et de gouvernement. Je considère que les États-Unis, avec une émission de 24 tonnes de gaz à effet de serre et 21 tonnes de CO2 par habitant et par an, sont en difficulté à ce sujet. Il faut donc accepter que la chose y soit réglée un peu différemment, tant dans la forme que dans la vitesse, de la manière dont elle l’est en Europe mais que, même si un traité n’est pas signé, on trouve les moyens d’un engagement unilatéral contraignant au regard de son propre droit.

Dans ce contexte, que viser ? Qu’aucun pays ne se fixe un objectif de réduction des gaz à effet de serre inférieur à 25 % ; que l’on définisse l’objectif pour 2030 ; que l’on mette au point un programme très puissant d’aide aux pays les moins avancés –PMA – en distinguant financement de l’adaptation et financement de l’atténuation de l'effet de serre. Pour les PMA – 33 pays africains, 15 pays d’Asie et Haïti – il est indispensable de prévoir de l’argent public, destiné en particulier à mettre en œuvre un programme d’équipement en énergies renouvelables de l’Afrique. La nuit, hormis au Cap et autour de Marrakech, l’Afrique est dans l’obscurité complète, alors que le reste du monde est illuminé. Cela en dit long sur l’accès à l’énergie sur ce continent. Or, sans accès à l’énergie, il n’y a pas d’accès aux soins, au savoir, à l’agriculture, à l’eau. C’est un drame absolu que seul un Africain sur cinq ait accès à l’énergie, et le sommet de Copenhague doit impérativement se conclure par l’adoption d’un plan de « justice climatique ».

Voilà ce qu’il faut viser, plutôt que de fixer des objectifs chiffrés en apesanteur comme le fait la Banque mondiale et comme on l’a fait dans le protocole de Kyoto, dont le bilan est celui que je vais vous dire : à ce jour, 13 ou 14 pays seulement ont respecté les objectifs fixés – dont une douzaine, en Europe centrale et orientale, parce que leur économie s’est effondrée ! Ce n’est pas la nature de l’engagement qui est en cause, puisqu’il s’agissait d’un traité, mais le manque de contrôle, de suivi et de sanctions. Cela dit, il faut être prudent quand on institue des sanctions, au risque sinon que des pays refusent de signer un traité.

Il y a, je l’ai dit, un problème américain, mais il existe aussi une spécificité chinoise. La Chine est très engagée dans une évolution sobre en carbone de son économie, à la fois pour des raisons vitales – il lui faut contenir une pollution considérable – et pour des raisons stratégiques : avec une économie produisant 3 tonnes de CO2 par habitant et par an quand les Etats-Unis en produisent 24 tonnes, la Chine bénéficie d’un avantage compétitif qu’elle souhaite amplifier. C’est pourquoi, n’en doutez pas, les Chinois seront les leaders de l’économie sobre en carbone au cours des années à venir. Cela étant, il reste à définir pour ce qui les concerne une formule autre qu’un traité ou un engagement contractuel à l’européenne, parce que ce type d’engagement n’est pas dans leur culture et qu’ils ne se sentent pas responsables de la situation actuelle. Il faudra donc mettre au point, pour la Chine, un engagement unilatéral mais contraignant.

Je pars cette semaine à Addis-Abeba rencontrer le premier ministre éthiopien, qui dira la position de l’Afrique à Copenhague. La France souhaite que l’accord passé entre l’Union européenne et l’Afrique s’applique et que ce qui touche à l’eau, à l’énergie, à l’arrêt de la déforestation, à la lutte contre le changement climatique en Afrique soit financé par le budget public ou par des financements innovants. A ce sujet, il y a deux hypothèses : taxer les transactions financières internationales à hauteur de 0,015 % ou le baril de pétrole à 1 dollar. Tout cela est en cours de discussion. J’espère que nous pourrons boucler ce dossier et qu’à Copenhague, l’Afrique exprimera ce que sont ses objectifs, et non pas pourquoi elle doit être aidée.

Pour conclure, rien n’est fait pour que le sommet de Copenhague réussisse puisqu’il s’agit de rendre obligatoires des mutations qui paraissent angoissantes aussi longtemps que l’on ne les entreprend pas, mais dont nous savons néanmoins qu’elles ne sont pas difficiles. Je suis convaincu que sans le « Grenelle de l’environnement », il n’y aurait pas eu de « paquet énergie-climat », et que sans le « paquet énergie-climat », le sommet de Copenhague n’aurait pas été possible. Nous sommes résolument déterminés à agir et nous espérons que des parlementaires nous accompagneront dans cette bataille.

M. le président Christian Jacob. Merci, Monsieur le ministre d’État.

Vous avez évoqué l’Afrique, cette Afrique où un habitant sur cinq n’a pas accès à l’énergie. Dans le monde, chaque année, disparaissent 13 millions d’hectares de forêt, soit que le bois soit utilisé pour chauffer soit que la déforestation vise à planter, avec de mauvais résultats. Dans un monde qui compte 2,7 milliards d’individus mal nourris, le traitement de la question énergétique doit obligatoirement prendre en considération la sécurité alimentaire. Il faut insister avec force sur cet enjeu global dans le débat avec les États-Unis, car si l’on peut comprendre qu’il ne soit pas possible de leur demander de faire chuter leurs émissions de gaz à effet de serre de 24 tonnes par an et par habitant à 12 tonnes, on ne peut se satisfaire que dans le même temps ils injectent 20 milliards de dollars dans le farm bill – la loi agricole. La parole est maintenant aux représentants des groupes présents dans la salle, et pour commencer, à M. Jean-Paul Chanteguet pour le groupe socialiste.

M. Jean-Paul Chanteguet. Monsieur le ministre d’État, on vous écoute toujours avec grand intérêt et vous êtes très souvent convaincant. A vous entendre, les choses semblent simples et faciles ; néanmoins, il n’est pas certain qu’il en soit tout à fait ainsi.

Pour mettre en œuvre la loi Grenelle 1, des sommes considérables devront être mobilisées. Elles le seront par l’État, par les particuliers, par les organismes HLM et aussi par les collectivités territoriales. Mais comment vont faire ces dernières, dès lors qu’à partir du 1er janvier 2010, leurs ressources seront essentiellement constituées de dotations de l’État ? L’on ne peut prétendre faire tout avancer très vite, et, dans le même temps, étrangler les collectivités territoriales ; c’est pourtant ce qui va se produire, et vous ne pouvez évacuer cette question d’un revers de la main.

L’agriculture fait des efforts, c’est exact. Cependant, la loi prévoit qu’en 2012 la moitié des exploitations devront bénéficier d’une certification environnementale. Je ne sais ce que cette notion recouvre précisément ; quoi qu’il en soit, cet objectif sera-t-il atteint ?

Pour ce qui concerne le sommet de Copenhague, vous avez mentionné qu’il faudra résoudre les difficultés auxquelles se heurteront les pays les plus vulnérables pour assurer leur développement et contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique. Selon les chiffres avancés par la Commission européenne, 100 milliards d’euros par an seraient nécessaires pour financer les actions en matière d’atténuation et d’adaptation dans les pays en développement. L’Union européenne envisage de mobiliser des crédits pour permettre le transfert aux pays du Sud de technologies à faible intensité carbone et pour mettre au point des projets de développement propre – mais combien ?

Pour faire face à ces besoins considérables de financement, plusieurs solutions sont envisagées : la taxation à hauteur de 0,1 % des transactions financières internationales, la taxation des échanges de quotas d’émission de carbone, ou encore une contribution calculée en fonction du PIB de chaque pays et de ses émissions de gaz à effet de serre. A quoi va votre préférence, monsieur le ministre d’État ?

M. Serge Grouard. Votre exposé frappait par sa hauteur de vues, qu’il s’agisse des défis à affronter, du rythme et de l’ampleur de l’action à mener ou du panorama international. De fait, l’action ne peut qu’être collective. Les émissions de gaz à effet de serre de la France ne représentant que 1 % du total des émissions, ses efforts, aussi louables soient-ils, resteraient vains si elle agissait seule. Le groupe UMP considère donc que le sommet de Copenhague est indispensable, comme l’a été le Grenelle de l’environnement et les décisions qui ont en découlé, et comme l’est le « paquet énergie-climat ». On perçoit à vous entendre qu’il sera bien difficile de parvenir à Copenhague à un traité « classique » et qu’il faut donc trouver d’autres formes d’accords reposant sur des engagements nationaux unilatéraux, notamment de la part des États grands émetteurs de gaz à effet de serre. Pourriez-vous préciser quelle forme prendraient de tels engagements ?

D’autre part, n’y a-t-il pas un risque que les efforts que nous consentons pour « verdir » notre économie n’aient aussi pour effet la délocalisation d’activités polluantes pressées de se mettre « à l’abri » dans les États qui ne jouent pas le jeu ?

Il arrive que le Parlement traite de l’éphémère. Nous ne sommes pas dans ce cas, tant s’en faut, avec le sujet qui nous occupe aujourd’hui, qui est le sujet du siècle. Le groupe UMP – mais il n’est pas le seul – en mesure bien l’enjeu. La France s’honore de porter ce sujet ; de même qu’elle a fortement contribué à l’adoption du « paquet énergie-climat », elle oeuvrera au succès du sommet de Copenhague. Depuis que s’est tenue en 1972, à Stockholm, la première conférence des Nations unies sur l’environnement humain, de nombreuses réunions internationales ont eu lieu et de nombreux textes ont été signés, mais force est de constater que l’on patine. La représentation nationale s’honorera de contribuer à la définition de solutions qui permettront d’envisager l’avenir de manière « désangoissée ».

M. Stéphane Demilly. Pour aboutir, le sommet de Copenhague doit avoir été bien préparé. Vous avez dit, Monsieur le ministre d’État, que des progrès sont perceptibles s’agissant de la Chine ; pourriez-vous nous donner quelques précisions à ce sujet, et nous dire aussi quel est l’état des négociations avec l’Inde ?

La réflexion est engagée sur une taxe carbone à l’importation sur le marché européen. Quelle forme prendrait-elle, et comment serait-elle calculée ? Serait-elle compatible avec les règles de l’OMC ? Le groupe Nouveau Centre espère que toute taxe de ce type concernera essentiellement le « pur fossile » et pas les biocarburants.

M. le ministre d’État. Je vous remercie, Monsieur Chanteguet, pour vos aimables propos à mon endroit. S’agissant des ressources financières à mobiliser, je ne porte pas de jugement sur la conviction que vous avez exprimée, selon laquelle la DGF sera la ressource dominante des collectivités territoriales. Je me limite à évoquer le financement du programme particulier dont nous traitons, en soulignant qu’il s’agit ici d’investissements rentables à terme. J’ai longtemps été maire ; je prendrai un seul exemple, celui de la performance de votre parc de lumières publiques. Je suis prêt à prendre le pari avec vous que, d’ici cinq ans, vous aurez réduit votre facture de 40 %. Les dispositions adoptées au terme du Grenelle de l’environnement ont été arrêtées ensemble, les collectivités territoriales étant présentes. Il s’agit maintenant de faire des investissements très significatifs mais qui, pour l’essentiel, correspondent à des économies à terme. Cela étant dit, indépendamment des contrats signés avec l’État dans le cadre du Grenelle de l’environnement, une collectivité qui, après en avoir délibéré, se dote de transports collectifs en site propre, prend ce faisant une décision politique, et cet aménagement urbain nouveau aura un coût de fonctionnement, quelle que soit par ailleurs la nature de la recette. On est là dans le cadre du libre choix des collectivités. Pour autant, il s’agit d’investissements productifs et rentables. En d’autres termes, on n’a pas le choix et, dans le même temps, il s’agit d’investissements économiquement intelligents.

S’agissant de l’agriculture, le programme fixé est suivi par nos collègues d’un autre ministère. Le secteur est à la fois très diffus et très bien organisé. Cent mille exploitations devront avoir achevé les audits de certification d’ici à 2011. Je pourrai vous donner ultérieurement les précisions chiffrées dont je ne dispose pas aujourd’hui.

S’agissant du financement européen envisagé pour les programmes de lutte contre le réchauffement climatique, j’appelle votre attention sur le fait que l’on mélange allègrement, et peut-être avec moins de naïveté qu’il y paraît, le coût de l’accompagnement de la transition et celui de la réduction des gaz à effet de serre. C’est pourquoi j’insiste sur la nécessité de distinguer le programme destiné aux pays les moins avancés, celui de la « justice climatique » – qui doit être uniquement financé par des fonds publics – des programmes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour lesquels les partenariats public-privé sont évidemment possibles. L’estimation faite par la Commission européenne – 100 milliards d’euros par an d’ici 2020 – concerne tout à la fois les mesures d’adaptation, les mesures d’atténuation des émissions et travaux, et c’est pourquoi il est, pour moi, sans signification réelle. J’ai le sentiment que les besoins seront considérablement plus élevés : n’évalue-t-on pas à quelque 400 milliards d’euros les sommes nécessaires à la seule adaptation, en France uniquement ?

Dans ces conditions, quels fonds seront consacrés aux pays pauvres ? La solidarité climatique, puisque c’est de cela qu’il s’agit, est une obligation morale, mais c’est aussi une chance pour les pays industrialisés que les pays les moins avancés puissent se développer. Le marché des échanges de quotas d’émission de carbone doit être réservé aux grands pays émergents et aux pays en situation intermédiaire entre l’annexe I et l’ancienne annexe II. Pour le Conseil européen, la clef de répartition des contributions financières budgétaires devrait être fixée en pondérant le PIB de chaque pays et sa part de responsabilité, actuelle et historique, dans les émissions de gaz à effet de serre. Tous les pays contribueraient à ce budget, à l’exception bien sûr des pays les moins avancés.

A ce jour, la place du curseur n’est pas déterminée, mais à quoi servirait de dire à ce stade combien tel ou tel grand pays industrialisé devra payer alors que l’on parviendra, j’en suis sûr, à des financements innovants ? Il pourrait s’agir d’une taxe sur les transactions financières ; pour collecter 20 milliards d’euros par an, une taxe de 0,015 % serait nécessaire, hypothèse tout à fait supportable et que la France soutient. Si l’on envisage de taxer le pétrole, il faudrait, pour atteindre les mêmes 20 milliards, prélever un peu plus d’un dollar par baril. On peut aussi envisager, comme le propose la Suisse, d’instaurer une taxe carbone internationale. On peut encore, comme le suggèrent plusieurs pays, taxer le fuel utilisé pour le transport maritime, actuellement intégralement détaxé et dont la qualité est pour le moins incertaine ; on collecterait 20 milliards d’euros en taxant ce fuel brut à 10 %. La France privilégie raisonnablement la taxation des transactions financières, mais nous ne sommes pas fermés aux autres hypothèses. Une solution devra être trouvée quoi qu’il en soit, et les sommes ainsi collectées devront être automatiquement affectés à des fonds spécifiquement consacrés à la solidarité climatique, sans qu’aucun autre considérant puisse intervenir. Alors, les opinions publiques des pays d’Europe de l’Ouest, ceux qui seront appelés à faire le plus d’efforts, en admettront le bien-fondé.

M. Serge Grouard m’a interrogé sur la forme que pourraient prendre les engagements nationaux unilatéraux contraignants. Dans ce domaine, on avance par itérations. Les pays signataires de l’accord de Kyoto qui figurent à l’annexe I sont parties à un traité international contraignant sur lequel il n’est pas question de revenir : ce dont il s’agit, c’est d’établir des contrôles, qui n’existent pas à ce jour. S’agissant des États-Unis, nous savons que si nous poussons à la signature d’un traité, nous partirons de Copenhague en n’ayant rigoureusement rien obtenu. Il faut donc mettre au point un système par lequel l’exécutif américain, avec l’Agence de l’environnement, peut s’engager à faire appliquer des législations contraignantes – en bref, une sorte d’autre « paquet climat-énergie ». Il va sans dire que je préfèrerais un traité, mais l’important est d’entraîner dans un même mouvement le plus grand nombre possible de pays, y compris ceux dans lesquels des peurs s’expriment – en particulier celle de fermetures d’usines. Dans tous les cas, il faudra instituer des contrôles mesurables et vérifiables.

La Chine non plus ne voudra pas d’un traité. Cependant, la concernant, je suis en désaccord avec la presse. J’observe que dans son discours de vingt minutes devant l’Assemblée générale des Nations Unies, le président Obama n’a pas dit un mot sérieux sur le sommet de Copenhague. Le président Hu Jintao, en revanche, a eu des mots très forts, à mon sens insuffisamment relevés, puisqu’il s’est engagé à découpler l’intensité carbone du PIB, ce qui est un progrès capital.

Il faudra donc trouver la bonne formule, en tenant compte des contraintes culturelles. Tout cela n’est pas facile, mais il n’est pas question d’un recul : nous devons avancer, ensemble et toujours plus nombreux. L’Inde, la Corée du Sud et l’Australie se sont engagées à respecter un calendrier qui prévoit des objectifs et des délais ; c’est une obligation internationale évaluable par les tiers. Le sommet de Copenhague n’est pas la conférence de Bali : il ne s’agit plus d’une feuille de route, le niveau d’engagement sera tout autre, et nous devons impérativement trouver une méthode.

L’Inde est très concernée par le changement climatique en matière de précipitations. Son niveau d’émission de CO2 étant inférieure à une tonne, nous n’avons rien à lui demander en ce domaine, mais elle souhaite néanmoins faire sa mutation. Elle tient absolument à ce que l’on reste dans le cadre de Kyoto.

Sur la taxe carbone, la France a défendu la même thèse depuis le début ; l’année dernière, elle était seule en Europe à le faire, probablement parce qu’elle était la seule à croire qu’on allait aboutir sur le « paquet ». L’expression « taxe carbone » est sans doute inadaptée, et nous avions d’ailleurs parlé à l’époque de mécanisme d’inclusion carbone. Les Américains ont voté la mise en place d’une taxe équivalente il y a quatre mois. L’idéal serait en fait de s’en passer car cela voudrait dire que l’on a réussi le sommet de Copenhague. En tout cas les biocarburants ne seraient pas concernés.

M. Philippe Martin. Monsieur le ministre d’État, nous sommes à un peu plus de soixante jours de l’ouverture du sommet de Copenhague et à sept ans de la date limite donnée par les experts du GIEC pour inverser la courbe du réchauffement, au-delà de laquelle on entrerait dans une phase irréversible. Le Président de la République partage-t-il votre optimisme quant aux résultats qui pourraient être obtenus ? On voit bien que pour parvenir à une moyenne mondiale raisonnable, ce sont surtout les pays riches qui doivent faire des efforts, et que la position des États-Unis va donc être déterminante.

A Bali, l’ancien vice-président Al Gore nous avait dit que c’était moins l’hôte de la Maison Blanche qu’il fallait changer que les Américains eux-mêmes. De fait, on voit aujourd’hui que la loi sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre ne sera pas votée avant l’ouverture du sommet de Copenhague. Et pourtant, ses objectifs ne sont pas très ambitieux : il ne s’agit que de parvenir en 2020 à des émissions réduites de 20 % par rapport à 2005, soit de 5 à 7 % seulement par rapport à 1990.

Ne pensez-vous pas que les États-Unis souhaitent en rester au bilatéral, et non s’engager dans une négociation multilatérale, redoutent des règles internationales allant plus loin que leurs lois internes – bref abhorrent l’idée qu’on pourrait en quelque sorte, s’agissant du climat, fusionner l’OMC et le TPI ? Pendant que l’Élysée veut « twitter » sur ce sommet, n’allez-vous pas devoir « twister » à Copenhague entre les uns et les autres ?

M. Pierre Lang. Une politique environnementale doit aussi être acceptée par la population et les collectivités territoriales. Sur les grands objectifs, je vous suis, mais certaines choses me hérissent… Dans la ville minière dont je suis maire, nous voulons récupérer 300 hectares de friches industrielles issues de Charbonnages de France pour y construire un lotissement, conformément au Grenelle 1 ; or les associations extrémistes de protection de la nature ont trouvé des crapauds installés sur des dalles de béton et, avec la complicité active des DIREN, sont en train de faire classer ces dalles comme étant l’espace naturel de ces crapauds en voie de disparition ! J’en appelle au bon sens…

M. Philippe Tourtelier. Je conviens qu’un mouvement est lancé, Monsieur le ministre d’État, mais pour atteindre l’objectif de 23 % d’énergies renouvelables en 2020, on aurait besoin de l’éolien… Or les permis de construire d’éoliennes sont en chute libre. D’autre part, j’appelle à nouveau votre attention sur les problèmes de formation : aurons-nous assez de diagnostiqueurs pour atteindre l’objectif de rénovation de 400 000 logements par an à partir de 2013 ?

Quant à l’outil administratif qu’est votre ministère, il ne va pas pouvoir grossir indéfiniment… Et surtout, c’est sur le plan politique qu’il y a un problème : dans le faux régime présidentiel dans lequel nous sommes, on ne sait plus qui prend les décisions. Il en résulte des contradictions fondamentales entre la démarche du Grenelle et d’autres démarches, par exemple celle qui favorise la consommation dans les grands magasins, avec la loi LME et le travail du dimanche, ou encore, au moment même où nous votions le Grenelle 1, la poursuite du regroupement des hôpitaux, les tribunaux, les services, sans procéder aux analyses demandées dans la loi que nous étions en train de voter.

En ce qui concerne Copenhague, j’aimerais avoir davantage de précisions sur la manière dont on peut transférer des technologies. Comment procéder avec les pays qui n’ont pas les moyens de les payer ?

Ce que vous avez proposé correspond-il à la position que la France veut voir défendre par l’Union européenne ou à celle qu’elle adopte pour elle-même ? Dans ce dernier cas, cela veut-il dire que nous allons enfin augmenter notre aide aux pays en développement pour atteindre 0,7 % du PIB ?

Vous dites que pour les pays les moins avancés, il faut de l’argent public. A la conférence internationale sur le climat de Poznan, on a vu les problèmes que posait la récupération de l’argent tiré de la mise aux enchères des droits d’émission de CO2 ; mais l’argent ainsi récupéré par la France dans son budget public pourrait-il être « fléché » sur l’aide aux pays africains ? Entre leur dette financière à notre égard et notre dette écologique envers eux, on rétablirait ainsi un équilibre, sans déséquilibrer notre budget.

M. le ministre d’État. Monsieur Tourtelier, le plan justice climat ne se substitue pas à la politique de soutien au développement : il ne faut pas tout mélanger. Par ailleurs, il ne faut pas partir des chiffres, mais des projets. L’occasion est inespérée de faire de l’Afrique un continent autonome en énergies renouvelables – parce que celles-ci sont relativement peu complexes et peu chères. Le seul potentiel énergétique du Congo rendrait l’Afrique intégralement autonome en énergies renouvelables. C’est à partir de cette analyse qu’on doit établir un programme global pour une génération, décliné ensuite par année.

Est-ce la position française ou celle de l’Union européenne ? Le « paquet climat » a été adopté sous présidence française de l’Union ; nous agissons maintenant avec nos partenaires, mais c’est néanmoins le président français qui parle à l’ONU. Ce leadership permet d’avancer.

Quant à mon optimisme, Monsieur Martin, il est surtout inspiré par la vitesse de la mutation qui s’opère en France. S’agissant des négociations internationales, si l’on veut obtenir des résultats à Copenhague il faut, comme l’a demandé le Président de la République à la tribune de l’ONU, un sommet des principaux pays pollueurs à la mi-novembre.

Enfin, Monsieur Lang, les contradictions se rencontrent dans l’action publique comme dans toutes les actions humaines… Néanmoins nous savons dans quelle direction nous voulons aller !

M. Bertrand Pancher. Je vois trois défis à relever.

Tout d’abord, au-delà de la mobilisation des acteurs, qui s’est faite à travers le Grenelle de l’environnement, il faut obtenir l’adhésion de la population. Comment envisagez-vous la déclinaison des objectifs du Grenelle au niveau territorial ?

Ensuite, au niveau international, il faut entraîner les grands pays producteurs de gaz à effet de serre. Le bâton, c’est la taxation aux frontières ; cette idée est-elle liée à la mise en place d’une organisation mondiale de l’environnement ? Si oui, pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

S’agissant enfin de la politique de développement, vous avez évoqué le plan de justice climatique. Il est également nécessaire de coordonner les actions de notre pays en matière de coopération ; comment s’opère cette coordination dans vos services – puisque, par exemple, 1 % du budget des agences de l’eau doit en principe est affecté à des opérations de coopération ?

M. Philippe Plisson. J’essaie de mettre en place la première zone de développement éolien (ZDE) en Aquitaine. Après trois ans d’euphorie et d’unanimisme, la perspective de voir apparaître des éoliennes devant ses yeux en fait reculer plus d’un… Il semble que des complicités à cette opposition existent au plus haut niveau de l’État. Un discours clair serait donc nécessaire : si l’on souhaite le développement des énergies renouvelables, il faut aider ceux qui, comme moi, essaient de passer de l’incantation à l’action.

Au niveau global, c’est la même chose. Nous avons des objectifs chiffrés de diminution des gaz à effet de serre d’ici à 2050, mais le problème n’est pas technique, il est politique. Pensez-vous que ces objectifs puissent être atteints si les pays développés n’adoptent pas un autre mode de développement ?

M. François Grosdidier. Je conviens avec mon collègue qu’il y a en France un réel écart entre les objectifs politiques et la pratique administrative en matière de développement des éoliennes. On y oppose toujours des arguments d’ordre esthétique, lesquels n’ont jamais été opposés aux châteaux d’eau ou aux lignes à haute tension.

En ce qui concerne le sommet de Copenhague, vous avez évoqué le problème américain et les avancées de la Chine ; pourriez-vous nous dire quelques mots sur la position de l’Inde et sur celle du continent sud-américain ?

Enfin, vous avez évoqué la possibilité d’une taxation du fuel maritime, mais quid du kérosène ?

M. le ministre d’État. Monsieur le président, je ne vous avais pas encore répondu au sujet de la forêt, ou plutôt des forêts, étant entendu, bien sûr, que le problème se pose de manière très différente en Amazonie, dans le bassin du Congo ou en Indonésie. C’est un sujet majeur, inscrit comme tel à l’ordre du jour de la conférence de Bali sous l’impulsion de Brice Lalonde ; les pays concernés ont trouvé chez nous un relais très important. La question qui se pose est moins financière que méthodologique. Alors que la déforestation dans les tropiques est responsable d’environ un cinquième des émissions de CO2, le coût du système de la « déforestation évitée » ne dépasserait pas 5 à 7 milliards de dollars par an. Fort heureusement, nous avons des négociateurs très compétents, et l’action des ONG est très pertinente. Reste la revendication nationale : nos amis brésiliens, en particulier, considèrent qu’il s’agit de leur patrimoine et que les tiers n’ont pas à se mêler de ce sujet.

Autre sujet majeur : la création d’une Organisation mondiale de l’environnement. L’idée du Président de la République est qu’il faudra bien un organisme pour communiquer, évaluer, éventuellement sanctionner. Cela pourrait se faire dès 2011.

Je reviens à l’optimisme que, dites-vous, je manifesterais au sujet de l’aboutissement des négociations, Monsieur Martin. Mon sentiment est que l’essentiel est de parvenir à une proposition très claire, très opérationnelle, donc assez courte : pour qu’il y ait de vrais engagements, il faut arrêter de se perdre dans les détails. L’objectif est de rallier tous les pays ; les modalités d’application par chacun d’entre eux sont un autre sujet.

Concernant les friches industrielles, Monsieur Lang, j’ai un peu de mal à penser que l’on n’arrive pas à trouver une solution acceptable par tous, mais je sais bien que les spécialistes de tous bords peuvent tomber dans l’excès.

Monsieur Pancher, en réalité la territorialisation se fait d’elle-même – même s’il y a une symbolique de la signature. Ce qui me frappe, c’est la mobilisation de tout le monde : je ne peux pas aller quelque part sans que l’on ait de nombreuses réalisations à me montrer.

Oui, il faut créer une organisation mondiale de l’environnement, et il faudrait d’ailleurs en profiter pour donner à l’OIT le statut qui lui manque. Que l’OMC soit la seule instance de régulation internationale est invraisemblable. Il est évidemment indispensable que l’on ne juge pas tout à l’aune de la seule concurrence et que l’on puisse poser une question préjudicielle à un organisme mondial de l’environnement. Faut-il que ce soit une filiale de l’ONU ou une institution indépendante, quel sera son règlement intérieur, ses décisions seront-elles susceptibles de recours, ce sont là des questions qu’il faudra examiner ; mais il faut tirer les leçons de ce que nous voyons, notamment dans un pays voisin : la signature d’un engagement ne sert pas à grand-chose si le non-respect de cet engagement n’a aucune conséquence…

Mme Catherine Quéré. Monsieur le ministre d’État, vous avez souligné la puissante évolution de l’agriculture, en parlant même de son caractère moteur. De fait, les agriculteurs ont entamé très tôt leur mutation écologique, en changeant leurs modes de culture – moins d’intrants, moins de pesticides –, en mettant leurs bâtiments aux normes… Comment sont-ils remerciés ? Ils se retrouvent endettés, les prix se sont effondrés, ils ne gagnent plus leur vie et sont désespérés. Dans ma circonscription rurale, j’ai reçu tous les syndicats depuis un mois. Croyez-vous qu’ils soient en état d’entendre parler de certification environnementale ? Croyez-vous qu’on puisse leur demander encore des efforts et leur imposer de nouvelles contraintes ? Je pense qu’il vous faudra tout votre enthousiasme pour arriver à avoir un contact avec eux et à vous faire écouter…

M. Yanick Paternotte. Le transport aérien, absent du Protocole de Kyoto, représente environ 7 % des émissions de gaz à effet de serre. Est-il prévu d’en débattre à Copenhague ?

Toujours dans le domaine des transports, on parle beaucoup de report modal du fret, mais force est de constater en la matière l’absence de volonté au niveau européen. On sait bien que le transport ferroviaire est efficient surtout sur les moyennes et longues distances, mais on ne nous a parlé au plan communautaire que d’une éventuelle recommandation à l’horizon 2020 sur la réalisation de corridors de fret. C’est un enjeu important, en particulier pour les pays de l’Europe de l’Est. Que fait la France pour initier une réflexion européenne sur ce sujet ?

Dernière question : ne faut-il pas s’atteler à la question de la surpopulation ? Si à l’horizon 2050, alors que le niveau des émissions individuelles a été divisé par deux, la population mondiale a doublé, que se passera-t-il ?

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Monsieur le ministre d’État, vous avez salué à juste titre le parcours accompli dans notre pays en termes de prise de conscience environnementale ; le Grenelle de l’environnement y a contribué, il faut vous en donner acte. Mais la partition étant maintenant écrite, il faut maintenant la jouer ; et il faut pour cela beaucoup de partenaires, en particulier les collectivités territoriales. Or si on leur supprime la taxe professionnelle, ce qui ramènera leur maîtrise fiscale – c’est-à-dire leur possibilité de choix, en dehors des compétences obligatoires – de 35 % à 12 %, comment vont-elles faire ?

Je vous remercie d’avoir inscrit dans la première liste du Grenelle 1 le barreau Limoges-Poitiers du TGV, mais comment les collectivités vont-elles pouvoir, comme elles ont accepté de le faire, participer au financement de cette réalisation ?

Un problème analogue concerne les éoliennes. Face aux réticences suscitées dans les communes par leur installation, la perception de la taxe sur l’éolien constituait une incitation financière ; or cette taxe ne sera plus perçue par les collectivités territoriales. Quel argument pourrons-nous dès lors utiliser ?

Je vous invite à faire bien comprendre à vos collègues du Gouvernement que les collectivités territoriales ne sont pas, vis-à-vis de l’État, des contre-pouvoirs adversaires, mais qu’elles contribuent à mettre en musique des politiques décidées au niveau national. De grâce, donc, que l’on ne nous enlève pas toute possibilité d’intervention !

Enfin, vous avez dit que vous étiez fier de notre fonction publique : nous aussi, nous en sommes fiers, mais alors il faut arrêter de la stigmatiser, qu’elle soit d’État ou territoriale. N’oublions pas que c’est elle qui réalise ce que nous, les politiques, nous décidons.

M. Yves Albarello. J’ai deux questions précises à vous poser, Monsieur le ministre d’État.

La première concerne la labellisation des éco-quartiers. Un certain nombre de villes ont déposé des dossiers auprès de votre ministère. Quand serons-nous fixés ?

La deuxième porte sur la préservation de la ressource en eau. Envisagez-vous une modification de la législation, notamment sur les stations de traitement des eaux usées ? Actuellement, les eaux traitées repartent dans le milieu naturel ; s’il était possible de les réutiliser, on y gagnerait à la fois sur le plan financier et sur celui de l’écosystème. Je vais ainsi inaugurer dans quelques mois une station qui va rejeter dans le milieu naturel 500 000 à 600 000 mètres cubes d’eau de qualité de baignade. Pour faire évoluer la situation sur le plan législatif, il faudrait que vos services se rapprochent de ceux du ministère de la santé.

Mme Geneviève Gaillard. Je voudrais évoquer un thème particulièrement préoccupant, celui de la disparition de la diversité biologique. C’est une réelle menace pour l’humanité. Le « Grenelle de l’environnement » laissait espérer des avancées, en particulier le « Grenelle 2 », avec un schéma de cohérence écologique permettant d’identifier les trames bleues et les trames vertes. Mais où en êtes-vous sur l’opposabilité, seul moyen de faire respecter ces trames ?

Par ailleurs, les zones humides constituant pour la diversité biologique un patrimoine particulièrement important, vous ne serez pas étonné que je vous interroge sur le Marais poitevin. Où en êtes-vous de la labellisation et de la création d’un établissement public de l’eau ? Les deux choses ne pourraient-elles se faire parallèlement ?

M. le ministre d’État. En ce qui concerne les éoliennes, on voit que les Français n’ont pas le même rapport que d’autres avec les paysages. A vrai dire, on a du mal à trouver la solution. Il faut faire de l’éolien, et tant qu’il s’agissait de définir des zones de développement éolien (ZDE), on arrivait facilement au consensus ; mais quand il faut passer à la concrétisation, les choses deviennent beaucoup plus difficiles. Avec le Sénat, nous avons envisagé la possibilité de créer des zones denses, avec une procédure accélérée, et de procéder à une concertation approfondie dans les zones plus paysagères. Je ne sais pas si c’est la bonne formule ; autant sur le photovoltaïque, sur le solaire, sur la biomasse, nous y voyons clair et nous avançons très vite, autant sur ce sujet nous tâtonnons. Nous sommes preneurs des éclairages que vos travaux pourront encore nous apporter, après l’excellent rapport de Serge Poignant.

Des problèmes semblables se posent pour les éoliennes en mer : conflits d’usage, sites remarquables, définition des procédures. Je dois rencontrer les préfets maritimes demain.

Le transport aérien est concerné par les quotas du paquet européen – à hauteur de 50 %. L’idée est d’étendre le dispositif à Copenhague, en mettant en place un quota sectoriel.

L’Europe du XIXème siècle s’est faite par les chemins de fer, mais pour un ensemble de raisons nationales ou nationalistes, on l’a segmentée. Le sujet est néanmoins vital, en particulier pour les Tchèques : la République tchèque n’est aujourd’hui qu’un corridor. Je reconnais bien volontiers le retard qui a été pris ; la Commission européenne a en ce domaine un rôle important à jouer.

Concernant la démographie mondiale, ce dont je suis au moins convaincu est que l’on est capable de nourrir beaucoup plus de gens en étant beaucoup plus respectueux de nos ressources.

Madame Pérol-Dumont, il est prévu dans le PLF 2010 de remplacer la taxe professionnelle sur les éoliennes par une taxe spécifique.

Monsieur Albarello, la labellisation des éco-quartiers et éco-cités se fera avant Noël, j’espère vers le 15 novembre. Quant au ministère de la santé, il faudra voir avec lui le problème général de l’eau, de l’eau traitée et de la récupération des eaux.

Madame Gaillard, parler d’emblée d’opposabilité risque d’être un frein, mais à l’inverse il ne servirait à rien de s’en tenir à quelque chose de purement indicatif. Il faut donc trouver le point d’équilibre : ne pas être dissuasif avant, et obtenir un engagement suffisant après… J’espère que le Sénat va trouver la bonne solution d’ici après-demain soir.

Les zones humides sont en effet un sujet vital. Il y a le dossier des Salins du Midi et de la Camargue, et il y a celui du Marais poitevin, avec, d’une part, la question du niveau de l’eau et d’autre part celle de la labellisation ; nous proposons dans le « Grenelle 2 » de créer un établissement public.

Madame Quéré, je rends hommage aux agriculteurs français, avec lesquels j’ai travaillé pendant six mois. Tout ce dont nous parlons a été signé par les organisations agricoles. Il faut être conscient que c’est en partie la culture environnementale du Grenelle qui sauve, ou en tout cas justifie, la PAC 2013, en lui donnant un fondement de nature un peu différente. Le reste de la population doit comprendre que la gestion des territoires par l’agriculture est décisive ; quant à la puissance publique, il lui revient d’aider à l’établissement de bonnes relations entre tous. Les difficultés structurelles d’adaptation des marchés ne sont pas liées au Grenelle, même s’il faut évidemment y être très attentif.

M. le président Christian Jacob. Merci beaucoup, Monsieur le ministre d’État.

◊ ◊

Information relative à la commission

M. le président Christian Jacob a indiqué qu’en application de l’article 42, alinéa 3, du Règlement sur la présence des députés en commission le mercredi matin, les membres de la commission devront signer une liste d’émargement lors des réunions. Cette liste sera disponible au fond de la salle. Les contestations ultérieures ne seront pas recevables. Ne sont concernées que les réunions tenues le mercredi matin, en session ordinaire, si l’Assemblée ne tient pas séance en même temps.

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 6 octobre 2009 à 16 h 15

Présents. - M. Yves Albarello, M. Jérôme Bignon, M. Philippe Boënnec, M. Maxime Bono, M. Christophe Bouillon, Mme Françoise Branget, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Claude Darciaux, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Stéphane Demilly, M. Raymond Durand, M. Philippe Duron, M. Yannick Favennec, M. Daniel Fidelin, M. André Flajolet, Mme Geneviève Gaillard, M. Jean-Pierre Giran, M. Joël Giraud, M. Didier Gonzales, M. François Grosdidier, M. Serge Grouard, M. Christian Jacob, M. Armand Jung, Mme Conchita Lacuey, M. Pierre Lang, M. Jacques Le Nay, M. Gérard Lorgeoux, M. Franck Marlin, M. Philippe Martin, M. Philippe Meunier, M. Bertrand Pancher, M. Yanick Paternotte, M. Christian Patria, M. Jean-Luc Pérat, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, M. Max Roustan, M. Martial Saddier, M. Philippe Tourtelier

Assistait également à la réunion. - M. Gaël Yanno