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Mercredi 7 octobre 2009

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition de M. Guillaume Pepy, Président de la SNCF

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Guillaume Pepy, Président de la SNCF.

M. le président Christian Jacob. Nous avons le plaisir de recevoir pour la première fois M. Guillaume Pepy, président de la SNCF, qui souhaitait depuis longtemps venir devant notre commission. D’autres auditions déjà programmées, dont celle de M. Jean-Louis Borloo, ont retardé sa venue jusqu’à aujourd’hui.

Je vous laisse la parole, Monsieur le président Pepy, pour un exposé liminaire.

M. Guillaume Pepy, président de la SNCF. Je suis très heureux et honoré de pouvoir m’exprimer devant cette nouvelle commission. Cette audition est très importante pour la SNCF car, non seulement elle appartient au pays, mais encore elle n’existe qu’au travers du dialogue qu’elle entretient avec l’ensemble des élus de la République, puisque bien plus de la moitié de son activité s’effectue par délégation des autorités organisatrices et qu’il n’y a de toute façon aucun sujet ferroviaire qui ne soit pas vôtre.

Dans mon propos liminaire, je me contenterai de mettre en exergue quelques points présentant un intérêt particulier, afin de laisser plus de temps aux échanges entre nous.

Je dirai, tout d’abord, quelques mots de la situation actuelle de l’entreprise.

Occupée à une transformation formidable, la SNCF va bien, en vertu d’un diagnostic que je formulerai de la façon suivante : « le pays a besoin à l’avenir, non de moins, mais de plus de SNCF », c’est-à-dire de plus de transports collectifs, de mobilité durable et de solutions intelligentes de transport pour les voyageurs et pour les marchandises. Dans la nouvelle croissance qui sera issue de la crise, nous devrons jouer un rôle encore plus important qu’avant. Les élus que je rencontre poussent l’entreprise à réaliser les études et les projets plus rapidement. La SNCF ne souffre donc pas d’une insuffisance de travail. Elle doit, au contraire, faire face à un trop plein de projets.

En même temps, l’entreprise est, en ces années 2009-2010, frappée de plein fouet par la crise, comme Renault, avec ses 2,7 milliards d’euros de pertes au premier semestre, ou comme Air France, qui en enregistre entre 300 et 500 millions par trimestre.

L’évolution du transport suit, en gros, celle de la croissance, mais au carré. Quand la croissance est au rendez-vous, sa situation est très bonne. Quand il n’y a pas de croissance, ses résultats sont négatifs – au carré ! D’où des chiffres qui nous effraient : le transport ferroviaire de marchandises en Europe a baissé, au premier semestre, de 36 % par rapport à l’année dernière. En Russie, c’est de 45 %.

Dans des pans entiers de notre activité, au premier rang desquels le fret, on assiste à un effondrement des volumes, que connaissent également toutes les entreprises de transport de marchandises.

L’effet de la crise sur le transport de voyageurs est également très important. Mais on est passé là de la croissance à la stabilisation. C’est ce que vous constatez pour les réseaux urbains et, si, grâce à la dynamique des achats de matériels, les TER sont restés légèrement positifs, c’est aussi le cas pour les grandes lignes.

Au premier semestre, le groupe a enregistré une perte de 500 millions d’euros, dont les deux tiers sont imputables au transport ferroviaire de marchandises. C’est pourquoi sa transformation présente un tel caractère d’urgence. Le dernier tiers tient à l’effet de ciseaux résultant de l’augmentation de nos charges, de l’ordre de 2 à 3 % en valeur, tandis que nos recettes sont stables. La SNCF sera en déficit en 2009. Nous préparons 2010 de manière à en sortir. De toute façon, l’entreprise a devant elle un chantier de développement considérable, à la fois dans l’urbain, les relations interurbaines, la grande vitesse et la transformation du fret, dont je vais dire maintenant quelques mots.

Je suis dans l’entreprise depuis vingt ans et j’ai été le bras droit des présidents successifs. Sur la question du fret, nous avons complètement échoué, pour deux raisons essentielles.

La première est que la France investissait presque tout dans le réseau voyageurs et presque rien dans le réseau fret. C’est pourquoi je salue la décision du Gouvernement qui a été prise d’investir 7 milliards d’euros dans le réseau fret de Réseau ferré de France – RFF. C’est un premier pas vers un rééquilibrage entre les infrastructures voyageurs et les infrastructures de fret. À cet égard, le Grenelle de l’environnement et l’action de Jean-Louis Borloo marquent, pour moi, un tournant historique.

La seconde raison pour laquelle nous avons échoué est que nous étions malheureusement positionnés sur les produits en perte de vitesse : le fameux wagon isolé auquel nous sommes attachés d’un point de vue à la fois sentimental, industriel et social. Ce transport de détail, emblématique du savoir-faire des cheminots et de la technique ferroviaire, est peu à peu « sorti du marché », d’une part, parce que, l’industrie française s’étant concentrée dans la moitié est de la France, nos clients nous ont peu à peu quittés et, d’autre part, parce que, du fait de la sophistication de cette technique, les coûts de production ont rendu ce service inaccessible, les clients payant un prix équivalent à la moitié de son coût de revient.

Deux solutions étaient possibles. La première était la subvention publique. C’est la solution qu’a choisie la Suisse. C’est un choix politique. L’autre solution consistait dans la transformation de l’activité du wagon isolé. C’est celle qui a été retenue en France.

Il n’est pas question d’abandonner le wagon isolé mais il faut le transformer, c’est-à-dire, en gros, le « massifier ». Quand il est possible de rassembler les marchandises, on transporte des wagons par lots. Quand ce n’est pas possible, on se rabat sur la solution du combiné rail-route : on achemine les marchandises en train jusqu’à la gare la plus proche de la destination puis, pour les derniers vingt, trente ou quarante kilomètres, on place la caisse sur un camion écologique – répondant à la norme Euro 4. Si cette dernière solution n’est pas possible, on discute avec les industriels pour rechercher des solutions logistiques nouvelles. On peut, par exemple, décider de livrer moins souvent mais par train entier. Il faut alors aménager des zones de stockage avec ces industriels.

Nous trouverons, client par client, des solutions pour transformer cette activité.

L’activité de fret, financée, il faut le rappeler, par l’argent des Français, a consommé trois milliards d’euros au cours des cinq ou six dernières années. Si nous ne faisions rien, deux milliards d’euros supplémentaires seraient consommés dans les prochaines années, soit 5 milliards d’euros en tout.

J’ai proposé à l’État actionnaire et aux pouvoirs publics de transformer cette perte, qui n’apporte rien au développement durable, car elle ne génère aucun transfert de la route au rail, en un investissement volontariste dans du transport ferroviaire permettant de faire passer des camions de la route au rail. J’ai, par exemple, pris l’engagement d’investir, au cours des quatre ou cinq prochaines années, un milliard d’euros dans des produits et services ferroviaires d’avenir : autoroutes ferroviaires, transport combiné, développement de la logistique urbaine pour l’acheminement des pondéreux par rail jusqu’au cœur des villes, création d’entreprises locales et d’entreprises portuaires de fret.

Le développement du transport ferroviaire écologique de marchandises sera l’un des principaux chantiers de mon mandat. Il marquera un tournant dans l’histoire du pays et de la SNCF, jusque-là orientée essentiellement vers le transport de voyageurs.

J’aborderai encore deux sujets : l’aménagement du territoire et le Grand Paris.

Nous ressentons très fortement l’exigence sociale et politique qui pèse sur nous en matière d’aménagement du territoire. Le développement du transport collectif est, à juste titre, sous le projecteur et nous recherchons des solutions permettant à la SNCF d’être présente sur la totalité du territoire.

J’illustrerai mon propos par deux exemples.

Les trains Corail posent des questions restées sans réponse depuis vingt ans. Tout le monde reconnaît leur utilité, au point de les considérer comme un vrai service public. L’ennui est qu’il ne font pas l’objet de contrat de service public. La SNCF applique en ce domaine la péréquation, ce qui est un beau mot pour dire qu’elle se débrouille. Avec l’arrivée de la concurrence cette solution n’est plus possible. Il faut que les élus et l’État définissent les besoins en trains Corail, établissent un contrat de service public et précisent leur mode de financement.

Je suis heureux de vous annoncer que ce dossier est aujourd’hui sur la table, l’ensemble des forces politiques estimant le temps venu de le traiter. J’espère que nous pourrons, bientôt, trouver, dans cette enceinte même, la bonne solution. Celle-ci consisterait pour nous en un contrat de service public financé par une ressource venant soit des voyageurs – ce qu’on appellerait dans notre langage une taxe de solidarité –, soit de ressources financières et fiscales – taxes sur les matériels, taxe carbone...

Mon second exemple est celui de la multimodalité. Si la SNCF croit au train, elle croit surtout à la complémentarité des modes de transport. Le service public entend jouer intelligemment de cette complémentarité pour être partout et non seulement promouvoir le train, mais également devenir votre partenaire dans la mise en place de « modes doux », de vélos, de bus verts, d’autocars de complément ou de rabattement supportables écologiquement. La SNCF va changer de braquet dans sa relation avec les élus pour aider les agglomérations et les régions à construire un système de transport efficace et écologiquement performant.

Le Grand Paris est un dossier vital pour la SNCF. Maintenant qu’elle est à la fois française et européenne, elle a pu constater que l’attractivité des grandes capitales – le Grand Londres, le Grand Berlin, Madrid, Barcelone – repose largement sur les réseaux des systèmes de transport qui les desservent et sur la combinatoire entre ces derniers.

Pour nous, l’addition RATP + SNCF doit faire 3, l’une contre l’autre risquant de donner un résultat négatif. Nous recherchons les moyens, d’une part, de rendre les deux entreprises publiques les plus complémentaires possible et, d’autre part, de traiter le problème clé que constitue la desserte de la grande couronne, qui est aujourd’hui fortement désavantagée par rapport au reste de l’Île-de-France. Les personnes qui y habitent paient aujourd’hui très cher un service qui ne leur assure ni ponctualité, ni fréquence, et vivent des désagréments quotidiens difficilement supportables. Il faut donc améliorer la qualité et les services rendus par les réseaux d’Île-de-France.

Le projet de « grand huit » ou « double boucle », qui est le projet phare du Grand Paris, ne doit pas faire oublier le maillage et la rénovation de tout ce qui existe. Ma priorité, depuis un an et demi, est la rénovation des RER existants. Chaque jour, 500 000 voyageurs empruntent la ligne C, 550 000 la ligne D et 1,1 million la ligne A. Si nous ne trouvons pas rapidement des réponses pour améliorer ces plus de 2 millions de voyages quotidiens, personne ne croira en nos capacités de réaliser le Grand Paris. Je mets l’essentiel des moyens de la SNCF, les meilleurs cadres, les gens qui en veulent le plus sur la rénovation du RER car, après avoir été un fleuron de notre pays, il est devenu un handicap. Il est urgent de traiter cette question.

M. Philippe Duron. Nous attendons beaucoup de la SNCF et elle est sollicitée sur des sujets variés et complexes.

Vous avez reconnu son échec dans le domaine du fret et évoqué la reconfiguration du modèle économique nécessaire pour régler cette question. Cette nouvelle bataille du fret s’articule autour de deux grands éléments : le plan de 7 milliards d’euros en faveur essentiellement des infrastructures, et donc au profit de RFF, et l’effort d’un milliard d’euros de la SNCF que vous avez appelé, de façon très significative, plan de sauvetage du fret.

Nous ne pouvons que souscrire à ce plan mais il soulève trois questions.

La première est d’ordre social. La réduction du modèle géographique du fret et le renoncement au wagon isolé entraîneront, selon certaines estimations, la disparition de 5 000 à 6 000 postes. Confirmez-vous ces chiffres ? Comment comptez-vous gérer cette difficile question sociale ?

Deuxièmement, l’abandon du wagon isolé va reporter sur la route une partie du trafic actuellement assuré par la SNCF. Vous avez insisté sur l’importance d’avoir une approche multimodale mais comment comptez-vous tenir les objectifs fixés par le Grenelle en matière de lutte contre le réchauffement climatique et l’émission de gaz à effet de serre ?

Troisièmement, vous avez exprimé le souci de rester présent sur l’ensemble du territoire mais le déplacement de la géographie industrielle vers l’est de la France ne risque-t-il pas d’entraîner une désertification de la moitié ouest du territoire sur le plan ferroviaire ?

Les pertes que vous avez enregistrées l’année dernière et que vous enregistrerez cette année ne vont-elles pas pénaliser vos capacités d’investissement pour d’autres chantiers et, notamment celui des lignes à grande vitesse ? On dit que vous pourriez réduire cette année la commande de rames TGV à Alsthom. Est-ce exact ?

Je connais les problèmes des trains Corail pour les subir de temps en temps en Normandie. Ils sont dus à la fois à des questions d’infrastructure, qui ne sont pas de votre ressort, et à des questions de matériel, bien que l’accord passé entre les régions et Dominique Perben ait permis de moderniser les voitures. Ma région, par exemple, a participé pour moitié au financement de la rénovation des trains Corail. Mais la situation reste précaire, à la fois parce que le matériel de traction est souvent insuffisant et fragile et parce que les personnels sont en nombre insuffisant, ce qui entraîne un certain nombre d’incidents qui exaspèrent les consommateurs.

Bien qu’elle soit aujourd’hui au centre d’un grand débat et fasse l’objet de colloques auxquels vos collaborateurs participent, vous n’avez pas évoqué la question de l’évolution du mode de gestion des gares. Pouvez-vous nous indiquer votre vision de la gare du XXIe siècle ?

M. Serge Grouard. Je vous remercie, Monsieur le président Pepy, pour votre intervention sans tabou. Si l’on remarque toujours le train qui n’arrive pas à l’heure, je veux insister sur le fait que la SNCF fonctionne globalement bien.

Le Grenelle I a marqué, comme vous l’avez indiqué, un tournant historique en faveur du fret. Avez-vous progressé avec RFF dans l’élaboration des autoroutes ferroviaires et le choix de lieux de stockage, notamment dans le Sud parisien ?

Le Grenelle comporte un schéma ambitieux de lignes à grande vitesse. Permettez-moi une question un peu impertinente : est-ce un bon choix ? Je ne remets pas en cause tel ou tel tracé, encore que certains posent des problèmes environnementaux car ils passent dans des espaces boisés ou sur des terres agricoles, mais je m’interroge sur le concept même de ligne à grande vitesse alors que le TGV fonctionne sur des lignes classiques. Le réseau LGV coûte très cher. Ne serait-il pas préférable de faire rouler les TGV sur des lignes classiques ? Même s’ils ne roulent pas à très grande vitesse, cela permettrait un raccordement à l’ensemble du réseau européen, ce que me semblent rechercher en priorité de nombreux territoires plutôt que de gagner dix minutes ou un quart d’heure entre telle et telle ville.

Pouvez-vous nous préciser comment la SNCF voit la question des transports urbains hors d’Île-de-France ?

Vous avez annoncé que la SNCF entendait améliorer ses relations avec les élus locaux. Je profite de ce que nous sommes entre nous pour vous encourager – amicalement – en ce sens car il y a encore à faire !

On vous demande de relier tout à tout en allant de plus en plus vite. Mais les projets de la SNCF, qu’il s’agisse du Grand Paris ou de tout autre chantier, ne doivent-ils pas, avant toute autre chose, être envisagés dans une vision stratégique d’aménagement du territoire, celle-ci devant être, à chaque fois, la coiffe de la fusée ?

Je considère, personnellement, que cela a été une erreur de créer, dans les années 1960, des villes nouvelles dans la région parisienne. Mieux aurait valu desservir les villes du très grand bassin parisien où existait une structure urbaine pouvant accueillir de nouveaux venus. Cela aurait peut-être évité l’embolisation de la région parisienne. N’êtes-vous pas face à un choix de même nature avec le RER ? Sa rénovation et son amélioration concourent encore au développement de la région parisienne, première et deuxième couronnes. Ne faudrait-il pas aller vers les structures urbaines existant dans le très grand bassin parisien ?

M. Daniel Paul. La SNCF entre sans doute, comme vous l’avez indiqué, Monsieur le président Pepy, dans une phase nouvelle. Je suis content que vous ayez dit que le pays avait besoin de plus de SNCF. Si vous aviez dit plus de ferroviaire, cela aurait été ambigu car il peut y avoir, à l’intérieur du ferroviaire, une grande diversité d’opérateurs. Je suis personnellement, comme un certain nombre de mes collègues dans cette commission, partisan d’une présence de plus en plus forte de la SNCF.

L’engagement de l’État à hauteur de 7 milliards d’euros après tant d’années où il n’a pas investi ne laisse pas de surprendre et on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a anguille sous roche. En même temps, j’y vois le signe d’un changement : l’ouverture effective à la concurrence, la remise en cause des conditions sociales de la SNCF, évoquée par mon collègue Duron. Plus généralement, c’est l’édifice même de la SNCF qui est remis en cause et la manière dont elle a fonctionné depuis sa création en 1934. Quel rôle a-t-elle dans l’aménagement du territoire, si toutefois on lui en reconnaît un ?

Jusqu’à présent, la péréquation était appliquée : ceux qui perdaient de l’argent étaient plus ou moins pris en charge par ceux qui en gagnaient. C’est de moins en moins le cas. Après une année de déficit, qui sera probablement suivie d’une autre car vous avez besoin, pour vous développer, de la croissance industrielle et celle-ci n’est pas prévue pour l’année prochaine, comment envisagez-vous de renouer avec un peu de « boni » pour pouvoir investir un peu plus ?

Les gares jouent aujourd’hui un rôle stratégique car elles sont devenues des acteurs multimodaux. Comment envisagez-vous cette évolution ?

Je ne peux éviter d’évoquer avec vous, d’autant que nous sommes réunis en conclave, vos négociations avec les partenaires sociaux, si je puis utiliser ce terme qui me semble impropre. J’ai cru comprendre qu’ils n’étaient pas tout à fait contents. Vous les avez rencontrés lundi et une grève est annoncée pour un mardi, ce qui n’arrange pas les parlementaires que nous sommes, surtout s’agissant de la ligne Le Havre-Paris qui connaît déjà de nombreuses difficultés dont l’anecdote suivante donnera une idée : pour me rendre à Paris dernièrement, le train Le Havre-Paris étant bloqué à Rouen, je suis retourné au Havre. J’ai mis six heures et demie pour faire Le Havre-Rouen-Le Havre ! J’ai failli effectuer le trajet retour en stop. Mais je dois à la vérité de préciser que, ce matin, je suis arrivé à l’heure et ai même failli arriver en avance.

Un quotidien de droite, dans un article intitulé « Les syndicats de la SNCF appellent à la grève », fait référence à la création d’un opérateur ferroviaire de proximité – OFP – au port du Havre. La SNCF sera-t-elle présente, en tant que telle ou par une filiale, ou est-ce la porte ouverte à l’implantation d’un opérateur privé plus ou moins mâtiné de SNCF ? Que l’entreprise publique SNCF soit absente du premier port de conteneurs de France serait extrêmement symbolique !

Vous nous avez dit, lors d’une rencontre dans vos bureaux, il y a quelques mois, ne pas souhaiter voir se développer de nouvelles lignes TGV, la question de la pertinence de l’investissement au regard des coûts engendrés et des recettes envisagées ayant fini par se poser. Or le Président de la République a annoncé, il y a quelques semaines, que la région capitale allait devoir se doter d’une façade maritime et a demandé pour ce faire la mise en circulation d’un TGV entre Paris et Le Havre. Êtes-vous prêt à envisager de nouveaux développements de lignes à grande vitesse, comme M. Bussereau, qui s’était pourtant déclaré, avant l’annonce du Président de la République, opposé à une telle ligne ?

M. Stéphane Demilly. J’ai apprécié, Monsieur le président Pepy, comme tous mes collègues, votre intervention directe, pédagogique et, je le pense, sincère. Vous n’employez pas la langue de bois et je m’en réjouis.

Regardant dans le rétroviseur, vous avez cité deux raisons principales à l’échec du fret : le fait, d’une part, que la France investissait essentiellement dans le secteur voyageurs et pas assez dans celui du transport de marchandises ; le fait, d’autre part, que l’activité était centrée sur des produits un peu « has been ». N’y a-t-il pas un troisième facteur qui a joué, à savoir le scepticisme du monde des entrepreneurs quant à la capacité de la SNCF à respecter le cahier des charges, et notamment la clause principale du délai qui, dans le monde économique, imprégné du dogme des flux tendus, est primordiale ?

Et si cette question a quelque fondement, en voici une autre : quel est votre plan d’action pour gagner – ou regagner – la confiance des acteurs économiques privés ?

M. Guillaume Pepy. Je prends l’engagement devant vous, comme je l’ai pris devant M. Jean-Louis Borloo et devant les organisations syndicales, que la transformation du fret ferroviaire en France aura un bilan carbone positif dès la première année. Nous mettrons en place, à cet effet, de nouvelles offres d’autoroutes ferroviaires et de transport combiné dès le 13 décembre. L’évaluation réalisée par le cabinet indépendant Carbone 4 montre que la transformation du fret remettrait, en 2010, 60 000 camions sur les routes, et en enlèverait à peu près 100 000. Nous nous soumettrons à une expertise indépendante pour attester que la transformation conduit effectivement à moins de camions sur les routes.

Quiconque connaît mon passé, mon expérience à la SNCF depuis vingt ans et mes convictions, sait que l’emploi est pour moi une question déterminante. Une transformation comme celle qui est prévue ne peut réussir qu’avec les cheminots. La discussion que je mène avec les organisations syndicales est fondée sur le fait qu’il n’y aura aucun licenciement ni, compte tenu de la politique du pays sur l’emploi des seniors, aucun plan de départ à la retraite anticipé. En revanche, la SNCF doit mener une politique plus active de l’emploi en remettant des personnels là où il en manque : dans les gares, dans les trains, sur des emplois verts, dans la lutte contre la fraude, etc. Elle devra réinternaliser des fonctions qu’elle a beaucoup externalisées, parce que c’était la mode. Elle a ouvert un chantier afin d’étudier la manière dont elle pourra permettre à chaque cheminot de trouver de nouvelles missions et de nouvelles tâches dans la transformation du fret. Il n’y a pas, chez les personnels, d’anxiété liée à leur emploi mais des inquiétudes sur leurs nouvelles tâches et la localisation de celles-ci. Tout cela va devoir se négocier et le fait que la SNCF soit une entreprise à statut est, de ce point de vue, un atout.

Si, en 2009, la SNCF a enregistré des pertes pour les raisons que j’ai indiquées, elle avait fait 575 millions d’euros de bénéfices en 2008, Monsieur Duron. Notre objectif est évidemment de faire à nouveau du bénéfice en 2010. Mais la SNCF n’est pas hors du monde. Elle est, elle aussi, touchée de plein fouet par la crise, comme toutes les grandes entreprises françaises.

Si la SNCF doit prendre sa part dans l’échec du passé, il faut aussi que nos collègues et amis de RFF changent leur vision sur le transport de marchandises, Monsieur Grouard. Cela leur a été signifié avec la même force par Jean-Louis Borloo et Dominique Bussereau. Priorité doit être donnée aux équipements destinés au transport écologique de marchandises. Se pose notamment la fameuse question des sillons, c’est-à-dire des horaires. Si nous ne faisons pas de la place aux trains de fret, ça va « frotter ».

Je suis content que MM. Duron, Grouard et Paul aient souligné l’importance croissante des gares. Elles jouent deux rôles importants : d’une part, elles sont de nouveaux centres villes ; d’autre part, elles sont un point de jonction entre le train et les autres transports collectifs et les transports « doux ». Nous allons donc changer la façon de les développer. Mme Fabienne Keller a proposé d’associer à leur gestion les élus, les syndicats mixtes, les établissements publics, les SEM. Cela me semble une très bonne idée d’ouvrir les gares à une gouvernance avec les élus – et c’est ce que nous faisons.

Il est également proposé de faire de la gare SNCF la gare de tous les transports collectifs, ce qui me paraît une idée excellente. La décision prise par le Parlement dans le récent projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires de maintenir les gares sous gestion SNCF me paraît sage parce que nous avons un savoir-faire en la matière et que nous avons envie de le faire. Nous allons de plus y consacrer des ressources financières sous forme d’investissements.

Lorsque j’ai pris mes fonctions il y a dix-huit mois, je me suis fixé une ligne d’action, à savoir qu’on gagne plus par la négociation que par la grève. Cette dernière est, certes, un droit constitutionnel mais ce serait tellement mieux si les négociations permettaient de l’éviter. Sur la transformation du fret ferroviaire, j’ai dû faire, depuis un an, une trentaine d’audiences et de réunions avec les organisations syndicales, dont je veux saluer devant vous la prise de conscience et l’esprit de responsabilité. Mais la transformation est tellement lourde, après quinze ou dix-huit ans d’échec, que des inquiétudes, des questions et, parfois, des oppositions se manifestent.

Oui, il y aura peut-être grève. Mais, premièrement, tous les syndicats n’ont pas décidé d’y participer : la deuxième organisation syndicale de la SNCF, l’UNSA, ne devrait pas s’y joindre. Deuxièmement, une négociation avait été engagée avant. Elle continuera après car je crois au dialogue social à la SNCF.

De nombreuses questions posées par M. Serge Grouard sont également les nôtres. Mais celles portant sur les choix collectifs s’adressent moins au patron de la SNCF qu’aux élus et au pouvoir politique lui-même. Sur la stratégie TGV, par exemple, je ne suis amené qu’à donner mon avis. Ce n’est pas moi qui décide.

La France est aujourd’hui pionnière, et sans doute championne avec l’Espagne, du développement TGV. Très franchement, je ne regrette rien. Le train à grande vitesse rapproche les gens et les villes et favorise l’économie. Les villes reliées par TGV ont un argument de compétitivité sans égal. D’une certaine manière, le TGV est une réponse que tous les élus peuvent et doivent souhaiter.

M. Philippe Duron. C’est un facteur de modernité.

M. Guillaume Pepy. Et d’attractivité des villes. Un patron américain très puissant a remarqué qu’avec le TGV-Est, il était plus facile d’aller de l’aéroport Charles-de-Gaulle à la gare de Champagne-Ardenne TGV de Reims qu’à Paris. Le statut de Reims et de sa région a été bouleversé par l’arrivée du TGV. Ce n’est plus la même ville ni la même région.

Cela étant posé, j’alerte sur l’inadéquation du mode de financement. Pour moi, celui-ci ne peut être qu’intermodal. On ne peut pas poursuivre les programmes autoroutier, routier et aéroportuaire en continuant à consacrer autant d’argent et d’énergie au TGV. J’imagine qu’il y a là un choix très difficile à faire pour la représentation nationale et les pouvoirs publics, mais on ne peut pas tout faire en même temps. Les collectivités locales se plaignent de ne plus y arriver. L’État, de son côté, fait valoir qu’il ne peut pas tout faire. Pour moi, ce n’est pas une question d’opportunité, mais une question de choix entre les différents modes.

Oui, Monsieur Demilly, une des raisons des difficultés de la SNCF est le scepticisme de ses clients à son égard. Le plan qualité qu’elle doit appliquer pour regagner la confiance de ces derniers passe par des réformes internes importantes : réforme d’organisation, de fonctionnement, d’organisation du travail, dans le respect à la fois des lois de la République et des normes européennes, et du statut de ses personnels.

L’entrée dans la concurrence est un fait sur lequel je ne porte aucun jugement mais dont je tiens compte. Je note cependant qu’elle n’a pas répondu à tout. Notre grand confrère et concurrent Veolia Cargo a vendu, après trois ans, l’activité fret à la SNCF. Celle-ci a revendu l’activité française de fret de Veolia à Eurotunnel, parce qu’elle n’a pas le droit de le garder, mais a conservé les autres entités implantées en Europe. C’est la preuve que l’intervention de nouveaux acteurs privés ne suffit pas à résoudre les problèmes. La SNCF que je représente ici doit assumer tout son rôle dans la priorité nationale que doit être le transport écologique des marchandises.

Oui, Monsieur Paul, un OFP sera implanté au Havre, avec des cheminots, dans le cadre d’une filiale. Et la SNCF sera présente !

M. Daniel Paul. J’ai bien entendu qu’il s’agissait d’une filiale, ce qui, pour nous, est une catastrophe !

M. Marc-Philippe Daubresse. M. Yanick Paternotte, spécialiste du sujet, m’a chargé d’excuser son absence.

Je constate avec beaucoup de satisfaction que le rapport que j’ai écrit en 1992 sur l’intermodalité et les voies de l’avenir du transport de marchandises est exaucé à 95 %. Il est rassurant pour les parlementaires en mission – anciens, actuels ou futurs – de savoir que, même s’il faut attendre dix-sept ans pour se faire entendre, on finit par y arriver.

Je me félicite qu’un plan de 8 milliards d’euros ait été présenté. Vous levez enfin, Monsieur le président Pepy, le tabou de l’autoroute ferroviaire. On m’avait demandé de ne pas en parler dans mon rapport. J’avais passé outre car les autoroutes ferroviaires, bien qu’elles coûtent très cher, sont essentielles. Vous annoncez un renforcement du transport combiné et avez fait allusion à la messagerie urbaine. Si vous voulez avoir un bilan carbone positif, vous devrez faire des efforts en ce domaine. Quelle est la part de ces différents postes dans l’investissement global ?

Quelles sont les lignes pertinentes pour le fret sur de longues distances ? Dans les rapports que j’ai écrits en 1992 et 1993, j’avais identifié un axe qui me semblait majeur : l’axe Nord-Ouest/Sud-Est – c’est-à-dire, pour résumer, Londres-Turin-Milan, en passant par le Nord-Pas-de-Calais, la région parisienne et Lyon –, qui présente l’avantage de franchir deux obstacles physiques – la Manche d’un côté, les Alpes de l’autre –, ce qui le rend très pertinent pour le transport ferroviaire. Il représentait à l’époque à peu près 8 % du transport global. Ce pourcentage a dû augmenter depuis. Qu’en pensez-vous ? Le plan m’a paru peu affirmatif sur ce point.

Vous avez souligné, à juste titre, qu’il est impossible de financer les trois modes de transport principaux en même temps. Il faut choisir de financer un mode pertinent sur un domaine pertinent.

Sans songer à une privatisation de la SNCF – Dieu nous en garde –,…

M. Daniel Paul. Pour cela, mieux vaut compter sur nous-mêmes, cher collègue !

M. Marc-Philippe Daubresse. … n’estimez-vous pas opportun de procéder à des rapprochements stratégiques avec un certain nombre d’autres entreprises européennes qui peuvent être, elles aussi, publiques, comme la Deutsche Bahn ? En clair, la SNCF seule a-t-elle la taille critique européenne ?

M. Joël Giraud. J’ai apprécié, Monsieur le président Pepy, vos propos sur la multimodalité et la complémentarité des modes de transport parce que c’est un discours nouveau à la SNCF. Mais notre collègue Daubresse a démontré qu’en matière de rapports parlementaires, il fallait également tabler sur le développement durable pour arriver à ses fins.

J’interviens à un double titre : à la fois en tant qu’unique représentant élu français à la Convention alpine, notamment à son groupe transport, et en tant que vice-président de la mission opérationnelle transfrontalière.

Quand on habite dans des territoires « en marge du royaume », on s’aperçoit que les chaînons manquants en matière de transport – ce ne sont pas forcément des tunnels ferroviaires à creuser : il s’agit quelquefois de lignes de bus – sont connus de serveurs étrangers, comme ceux de la Deutsche Bahn, des chemins fédéraux et, maintenant, de Trenitalia, mais sont parfaitement inconnus de la SNCF. L’information n’est pas disponible en France si bien qu’il vaut mieux consulter le site de la Deutsche Bahn plutôt que celui de la SNCF pour avoir des informations fiables sur les moyens de déplacement dans notre pays. Ce point a été dénoncé par le groupe transport de la Convention alpine et la SNCF est montrée du doigt à ce sujet par un certain nombre d’élus et de responsables politiques des autres pays européens.

Le facteur majeur d’augmentation de l’émission de gaz à effet de serre dans le massif alpin, ce sont les migrations touristiques de voyageurs qui, faute d’informations sur les moyens de transport à leur disposition, sont obligés de prendre leur voiture. Une meilleure intégration des différents réseaux s’impose donc.

En tant que transfrontalier – et seul député obligé de payer son billet de train, parce que je le prends en Italie, alors que ceux qui le prennent en Suisse bénéficient de la gratuité de transport –, j’appelle votre attention, Monsieur le président Pepy, sur l’intérêt que présentent, pour l’information des usagers, les établissements de proximité de la SNCF. Leur suppression serait dommageable.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Six ans après l’abandon du projet POLT – Paris-Orléans-Limoges-Toulouse – par le gouvernement Raffarin, nous avons été informés que vous envisageriez de revoir l’infrastructure ferroviaire sur la ligne Paris-Limoges-Toulouse. Pouvez-vous nous préciser vos intentions à ce sujet car, pour nécessaires que soient des améliorations sur cet axe, il semble que le remplacement des matériels soit bien prioritaire ? Surtout, il ne faudrait pas que cette perspective vienne à l’encontre du grand programme LGV Sud Europe Atlantique, auquel le barreau Limoges-Poitiers est rattaché et pour lequel les études vont bon train.

Nous avons eu du mal à faire notre deuil du projet POLT mais nous croyons, maintenant, à l’avenir de notre territoire avec ce barreau LGV. Vous avez dit, Monsieur le président Pepy, que « le TGV est une réponse que tous les élus peuvent et doivent souhaiter ». C’est notre cas. L’important engagement financier, dès le premier tour de table, de l’ensemble des collectivités territoriales des régions concernées – dans un contexte financier très délicat – est la preuve que cette infrastructure est, pour nous, une impérieuse nécessité.

M. Daniel Paul s’est interrogé sur la pertinence de certains investissements TGV au regard de leur utilité et de leur coût. Cette question a été, dans notre cas, tranchée par le débat public. Pouvez-vous nous assurer, Monsieur le président Pepy, que les annonces concernant les améliorations de la structure POLT sont compatibles avec la réalisation, dans le délai imparti – qui est de moins de dix ans –, du barreau LGV ?

Les perspectives du marché du fret à trois ans ne sont pas bonnes. Quelle influence auront vos propositions à court terme ? Sur les 7 milliards du plan annoncé, rien n’est prévu pour notre région. Quels critères d’attribution ont été retenus ?

L’amélioration de l’infrastructure POLT n’influera en rien sur les parts de marché du fret si votre politique commerciale n’évolue pas.

J’espère, Monsieur le président Pepy, que le plan annoncé ne relève pas d’un simple affichage « grenello-compatible », ou n’est destiné qu’à afficher la paix sociale, mais qu’il est le signe d’une réelle volonté de développer le fret ferroviaire.

M. François-Michel Gonnot. Au dixième mois de l’année, pouvez-vous nous donner une estimation des pertes de la SNCF pour 2009 ? Par ailleurs, vous n’avez fixé aucun objectif précis concernant le fret – à part compter les camions la première année, ce qui ne paraît de nature ni à justifier les milliards qui seront nécessaires, ni à mobiliser le personnel, condition pourtant indispensable de votre propre aveu, pour gagner la bataille du fret. Quels objectifs vous donnez-vous donc, sachant que vous allez commencer par perdre des parts de trafic sur le wagon isolé, puis en regagner ensuite… Enfin, quelle est la part de la Deutsche Bahn dans la LGV-est ?

M. Maxime Bono. D’abord, qu’en est-il de la création autour de la SNCF d’un champion français du combiné, qui était prévue pour la fin de l’année ? Ensuite, il est clair que les discussions entre SNCF et collectivités vont se multiplier sur plusieurs sujets : création des opérateurs ferroviaires de proximité, débat sur l’aménagement du territoire ou sur le contrat de service public des trains Corail, lignes à grande vitesse – que les collectivités financent largement –, question des gares… Comment comptez-vous fluidifier ces relations, qui ne sont pas toujours simples ? Enfin, selon vous, la RATP et la SNCF devraient être complémentaires dans le projet du Grand Paris. Pourtant, l’amendement de sept pages qui a été hâtivement déposé laisse plutôt craindre une certaine éviction de la SNCF…

Mme Françoise Branget. Nous avons bien compris que l’on est à un tournant historique pour le fret, mais il faudra adapter les infrastructures à son développement : les autoroutes fret restent largement à créer, la libération des sillons est parfois très difficile du fait d’un trafic TER en constante augmentation, et les infrastructures ne sont pas toujours au gabarit B+ requis pour les conteneurs, dont le trafic est lui aussi en hausse régulière. Par ailleurs, à propos de la complémentarité avec les autres modes de transport, qu’en est-il du transport fluvial ? Il faudra mettre en place des plateformes multimodales, au Havre et ailleurs. Enfin, avec quelle énergie roulent vos trains ? Quelles sont vos ressources propres et celles qui dépendent du marché, européen ou national ?

M. Guillaume Pepy. Pour ce qui est de la logistique urbaine, évoquée par M. Daubresse, je vous lance un appel à projets. Il faut faire arriver les trains au cœur des villes, ou au plus près, jusqu’à une plateforme de transfert vers des camions roulant au carburant vert ou au gaz naturel, ou demain à l’électricité. Cela se pratique déjà à Paris – comme dans toute la Scandinavie – et nous souhaitons l’étendre à l’agglomération lyonnaise ou lilloise : lorsque le train arrive au plus près des centres commerciaux et des supermarchés, le bilan écologique du transport est meilleur. Nous attendons donc vos projets, et nous avons dégagé plusieurs dizaines de millions pour vous aider à les financer.

La troisième autoroute ferroviaire Londres-Calais-Lille-Lyon-Italie est essentielle à l’engagement national pour le fret ferroviaire. Reste à trancher entre le tracé nord, qui suivrait la frontière de la Belgique et du Luxembourg pour descendre ensuite par la Lorraine, et celui qui contournerait l’Île-de-France de plus près pour reprendre ensuite l’ancienne ligne PLM jusqu’à Lyon. Il faut examiner de près chacune de ces solutions.

Enfin, le rapprochement avec d’autres chemins de fer européens est en effet indispensable. Aujourd’hui, 84 % du transport de marchandises en Europe se fait par la route. Dans ces conditions, on peut certes apprécier que la concurrence entre les entreprises du rail crée de l’émulation, mais on ne saurait s’en tenir là. Il faut absolument bâtir l’Europe du fret, parce que les flux sont européens. Certes, les trajets courte distance sont un sujet passionnant, mais ce ne sont pas eux qui vont changer le bilan écologique. Pour cela, il faut arriver à ce que les pièces de Ford fabriquées en Allemagne et assemblées en Espagne passent par le rail plutôt que par des camions – et donc à ce que les Allemands, les Français et les Espagnols s’entendent.

M. Giraud a entièrement raison : le site internet de la SNCF n’est pas tourné vers le transfrontalier ni vers le multimodal. C’est un chantier à entreprendre, qui nécessitera une transformation radicale.

La ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, Madame Pérol-Dumont, est et restera une grande ligne nationale d’aménagement du territoire. A très long terme, partant de la gare d’Austerlitz, elle se subdivisera vers le nord du Massif Central pour aller vers Nevers et Clermont d’un côté, Bourges et Limoges de l’autre. Mais ce sera dans vingt ans. D’ici là, il faut d’abord changer le matériel actuel – un groupe de travail a été lancé avec les élus – et régler la question du barreau Poitiers-Limoges. Sur ce sujet, nous avons certes été consultés mais ce sont les élus et l’État qui décideront. Ce barreau présente un bilan socio-économique intéressant, mais il suppose un engagement financier très élevé des collectivités locales et de l’État. Par ailleurs, j’ai bien noté votre remarque sur la desserte fret. Mais l’autoroute ferroviaire atlantique partant de Lille pour filer, via l’Orléanais, vers Tours, Bordeaux et l’Espagne, il est tout à fait possible que le Massif Central puisse s’y raccrocher.

Je ne peux pas répondre à la question de M. Gonnot sur nos pertes pour 2009 pour la raison que les résultats des entreprises dépendent désormais largement des dévalorisations d’actifs que les nouvelles règles comptables nous imposent. Le contrat principal de la SNCF est avec RFF : 11 milliards sur quatre ans. Parce que ce contrat est déficitaire, ce qui est une aberration, nous devons dévaloriser intégralement les matériels que nous utilisons pour l’infrastructure, qui représentent des centaines de millions d’euros. À peine le chèque émis, une machine de plusieurs millions vaut zéro dans nos comptes !

En revanche, notre objectif en matière de report modal est très clair : d’ici à 2020, la part des marchandises qui ne sont pas dans notre pays transportées par la route – celles qui utilisent le fluvial et le ferroviaire – doit passer de 17 à 25 %, soit une augmentation de moitié. C’est notre boussole. Cela suppose dans sept ans un million de trajets camion en moins, et 30 à 50 % de trains fret en plus. Enfin, nous gérons le TGV-est à peu près par moitié avec la Deutsche Bahn : les Allemands s’occupent de Francfort et nous de Stuttgart et Munich, mais nous travaillons en coopération.

M. Bono a évoqué le champion du combiné : on y travaille, autour de Novatrans et de Naviland Cargo. Quant aux relations avec les collectivités, c’est vrai, il y a du travail… La SNCF doit apprendre à co-construire les projets avec les élus. Nous avons progressé, mais il reste encore du chemin à parcourir. Enfin, le représentant de l’État au conseil d’administration de la SNCF a indiqué que, dès lors que le monopole de la RATP serait conforté jusqu’en 2039, celui de la SNCF le serait dans les mêmes conditions. Le président Ollier, membre du conseil d’administration de la SNCF, ne pense d’ailleurs pas imaginable de traiter différemment les deux entreprises.

Enfin, je suis d’accord avec Mme Branget : RFF a effectivement un rôle clef à jouer dans le transport multimodal. De son engagement dépendra le succès du transport écologique. Par ailleurs, le bilan carbone de la SNCF est très bon : 80 % de nos locomotives sont électriques et 84 % de notre consommation électrique en France est d’origine nucléaire.

Mme Claude Darciaux. L’abandon du fret local et la création des opérateurs ferroviaires de proximité soulèvent de nombreuses questions. D’abord, l’introduction d’entreprises privées qui seront elles aussi chargées de la gestion des infrastructures pose le problème de la sécurité, notamment dans le transport des matières dangereuses. Les certificats de sécurité sont très difficiles à obtenir pour des entreprises privées. Il est un fait que la France manque d’entreprises ferroviaires : Veolia Cargo a abandonné au bout de trois ans. Il est aujourd’hui bien plus facile de devenir transporteur routier que ferroviaire. Il est notamment extrêmement difficile d’obtenir des sillons. Je crains donc que nous ne nous dirigions vers un transfert de ces entreprises privées vers les collectivités territoriales qui, déjà exsangues et alors qu’une réforme fiscale se prépare, n’auront pas les moyens de se substituer à elles pour assurer le fret local.

J’aimerais aussi évoquer le contournement fret de la région dijonnaise. La branche est de la LGV Rhin-Rhône sera opérationnelle en 2011. Reste à réaliser les branches ouest et sud, mais le plan fret qui vient d’être dévoilé semble donner la priorité à cette dernière, avec le contournement de Lyon. Dans ma commune, plus de dix hectares sont donc gelés, ce qui pose un problème de développement du territoire. Et par ailleurs, que va devenir notre plateforme bimodale, dans laquelle les collectivités territoriales ont investi 17 millions mais qui est aujourd’hui à l’arrêt ?

M. François Grosdidier. Je salue d’abord le tournant de la SNCF vers le développement durable et me réjouis que le fret redevienne une priorité. L’abandon des wagons isolés vient-il de ce que, pour vous, la SNCF est une organisation trop importante pour répondre à des demandes limitées ? Pensez-vous abandonner ce créneau à d’autres opérateurs ferroviaires ou alors, ce qui serait regrettable pour l’environnement, à vos concurrents routiers ?

Ensuite, et en tant que maire de Woippy où se trouve la première gare de triage de France, j’atteste que nous entretenons des rapports difficiles avec les opérateurs. Les gares de triage sont des sites Seveso non déclarés comme tels, mais en attendant les études de danger qui n’arrivent jamais, les élus n’ont qu’à assister à une partie de ping-pong entre RFF et la SNCF, sans avoir leur mot à dire. Les opérateurs ne considèrent l’intérêt général que de leur point de vue et ignorent d’autres projets tout aussi importants, comme un hôpital, alors que de simples modalités d’organisation dans la gare permettraient de rendre tout compatible et de garantir le développement durable. Dans ce domaine donc comme pour les gares de voyageurs, le partenariat avec les élus est attendu.

Par ailleurs, s’agissant justement du transport de voyageurs et de l’intermodalité entre le train et les transports urbains, auriez-vous des préconisations à faire dans le cadre de la réforme des collectivités territoriales ? Enfin, et même si vous avez parlé de redéploiement de personnel, les petites gares manquent cruellement de présence humaine. Comptez-vous continuer de multiplier les guichets automatiques ? Quid alors du développement des équipements de vidéoprotection afin de diminuer l’insécurité ?

M. Jean-Luc Pérat. La SNCF est attendue partout : vitesse, confort, fret, réseaux secondaires… Les risques de désertification des territoires ruraux alimentent de grandes inquiétudes. Quelles relations précises entendez-vous développer avec les collectivités et les bassins de vie concernés ? Ensuite, quelle est votre implication dans les réflexions engagées autour du plan climat-énergie en matière de mobilité ? Par ailleurs, les rames de fret produisent des nuisances sonores indubitables. Le trafic de soirée et de nuit est pénible pour les riverains. Que comptez-vous faire pour moderniser les wagons ? Enfin, il faut déplorer une désinformation des élus pour ce qui est du transport de matières dangereuses, notamment d’origine nucléaire.

M. Daniel Fidelin. Je me réjouis de la nouvelle orientation vers le fret. Les investissements de RFF au Havre sont très importants, mais je crains qu’ils ne suffisent pas à absorber les douze postes à quai qui seront opérationnels en 2012. Et il n’y a qu’une ligne entre Paris et Le Havre, qui risque d’être à terme saturée. A ce propos, j’espère que la durée du trajet en TGV sera bien d’une heure quinze, comme l’a annoncé le Président de la République… Enfin, les gares de LGV doivent-elles se trouver en centre-ville ou à l’extérieur, comme c’est le cas par exemple pour la ligne qui va à Marseille ?

Mme Martine Lignières-Cassou. Augmenter le trafic de fret et reporter les marchandises de la route vers le rail est effectivement une priorité, mais à vous entendre, on a l’impression qu’il n’y a plus de parts à gagner dans le marché voyageurs. C’est pourtant encore possible, pour le Béarn et la Bigorre en tout cas, à condition toutefois de réaliser les investissements nécessaires, notamment en LGV. Et j’ai peur qu’on fasse marche arrière sur ces lignes dans lesquelles tout le monde, y compris les collectivités territoriales de base, avait décidé d’investir. Ou alors considérez-vous que les LGV doivent être mixtes et servir à la fois pour les voyageurs et les marchandises ? Mais j’attire votre attention sur le fait que les Espagnols notamment associent les LGV au seul trafic voyageurs et ont du mal à penser le transport de marchandises par le rail. Il faudra essayer de convaincre l’Italie et l’Espagne d’adopter la même politique de fret que nous.

M. Philippe Meunier. Nous ne pouvons qu’être d’accord avec ces idées de développement durable, d’augmentation du fret, d’aménagement du territoire respectueux et de partenariat avec les élus… Mais on sait qu’il n’y aura que très peu de lignes dédiées au fret et qu’il faudra donc négocier en permanence le partage avec le trafic de passagers. Avez-vous un début d’idée sur la façon dont cela se passera concrètement ? Et quant au partenariat avec les élus, peut-il déboucher sur des modifications concrètes ? Dans le Rhône par exemple, la gare de Saint-Exupéry, à côté de l’aéroport, ne connaît que très peu de passages pour la simple raison que la SNCF a décidé, il y a des années, de faire transiter tous les trains de passagers par la gare de Lyon Part-Dieu. Êtes-vous prêt à revoir ces priorités avec les élus ?

M. Guillaume Pepy. D’abord, il n’est pas question d’abandonner le wagon isolé, pour la simple raison que certaines marchandises, en particulier dangereuses, ne peuvent être transportées autrement. Mais ne me demandez pas combien il en restera : cela doit être discuté avec chaque industriel. A ce propos, nous avons ouvert une adresse électronique (fret-et-territoires@sncf.fr) dédiée aux élus, qui leur permettra d’obtenir rapidement des éléments de réponse et de suivre chaque dossier. Nous avons aussi créé une sorte de « DATAR du fret » à l’intérieur de la SNCF : une équipe qui, en permanence, se tient à votre disposition pour vous dire si les nouvelles modalités du transport écologique peuvent être appliquées chez vous, et vous informer sur le fret existant.

Nous croyons beaucoup au contournement de Dijon, Madame Darciaux. Quant aux plateformes bimodales, certaines d’entre elles sont effectivement inutilisées pour l’instant, mais elles devraient rouvrir si l’engagement national pour le fret ferroviaire fonctionne, parce que le transport combiné sera une partie importante du transport écologique de demain.

Je pense avoir répondu à M. Grosdidier pour ce qui est du wagon isolé, et j’ai noté ses préoccupations locales. Quant à la vidéoprotection, j’y suis nettement favorable. À chaque fois qu’on l’installe, elle devient un outil de prévention très important. En cas d’agression, elle permet de voir ce qui s’est véritablement passé à bord du train. Les élus ont, dans leur immense majorité, décidé d’en équiper les nouveaux trains. L’enregistrement n’est pas lu en direct. Mais en cas de problème, le juge peut faire saisir le disque qui se trouve en cabine de conduite et le faire lire dans le respect des droits des parties. Cette garantie est indispensable.

La question de M. Pérat illustre bien ce que je disais tout à l’heure : la priorité donnée au fret va causer des désagréments. Le fret fait du bruit. Le remplacement des bogies, des roues ou des disques de nos 130 000 wagons de fret par du matériel en carbone ne se fera pas en quelques jours, et coûtera des centaines de millions d’euros. Le fret circule aussi à n’importe quelle heure : il n’est pas possible qu’il en soit autrement lorsqu’on va de l’Allemagne jusqu’en Espagne. Enfin, il y aura des problèmes d’attribution des sillons, notamment avec les TER. Autant le dire sans ambages : il n’est pas possible d’y arriver sans déranger personne. Les pays qui ont réussi ont dit la vérité à la population : ils ont expliqué que le rail avait 90 % d’avantages, mais aussi quelques inconvénients. Par ailleurs, il faudra aussi construire de nouvelles voies pour le fret – les contournements de Lyon, Dijon ou Nîmes par exemple – mais cela ne se fera pas en un matin. Cela fait vingt ans qu’on parle du contournement de Lyon. Le tracé vient enfin d’être décidé, et je rends hommage aux élus qui ont pris leurs responsabilités, mais il reste dix ou douze ans de travail. Il est d’ailleurs complètement fou que 30 % du fret ferroviaire en France passe par la gare de la Part-Dieu : les voyageurs contournent Lyon, mais les marchandises passent au centre.

Pour ce qui est de l’emplacement des gares, nous devons à la fois conserver des gares de centre ville, parce qu’il serait idiot d’obliger les gens à prendre leur voiture et sortir de ville pour monter dans un TGV, et d’autres situées à l’extérieur, qui permettent d’éviter que des centaines d’automobilistes n’aillent tous les jours dans le centre ville pour y attraper le TGV. En Île-de-France par exemple, nous gardons nos six gares à l’intérieur de Paris et nous allons en créer d’autres – dans le quartier Pleyel par exemple, ou près de Nanterre ou de Melun – pour que les habitants de l’Île-de-France n’aient pas besoin de venir dans Paris pour prendre le TGV.

Je veux rassurer Mme Lignières-Cassou : je ne me désintéresse pas du TGV, mais songez qu’il a 60 millions de supporters en France ! Il n’y a pas de jour sans nouvel engagement des collectivités en sa faveur. Pour ma part, je suis plus utile à rappeler qu’on a abandonné le réseau classique pendant trop longtemps, que les trains de la vie quotidienne transportent 90 % des usagers et que le fret est d’une importance capitale. Quant à la gare de Saint-Exupéry, qu’a évoquée M. Meunier, nous y croyons beaucoup. La desserte sera renforcée lorsque le nouveau tram Lesly entrera en fonctionnement.

Enfin, il est vrai, comme l’a dit M. Fidelin, que la ligne Paris-Rouen-Le Havre est complètement saturée. On ne peut pas rajouter un seul train. La solution pour le fret passe donc par un itinéraire bis. L’électrification de la ligne Serqueux-Gisors, prévue dans le plan gouvernemental, va permettre aux trains de marchandises venant du Havre de contourner l’Île-de-France pour aller vers Dijon et la vallée du Rhône. Reste la question de la sortie du Havre : certains travaux de RFF ne sont en effet pas tout à fait terminés parce que Port 2000 a un peu précédé les investissements ferroviaires.

Mme Annick Lepetit. Une des façons de développer le transport des marchandises par le rail est de le rendre compétitif par rapport à la route. Or, la taxe poids lourds décidée au Grenelle et qui était programmée pour 2011 semble reportée à 2013. Qu’en pensez-vous ? Par ailleurs, j’entends bien votre souci de complémentarité avec la RATP mais je ne vois pas comment la SNCF peut s’inscrire concrètement dans le projet du Grand Paris, qui s’articule principalement autour du métro automatique. En revanche, comment envisagez-vous le prolongement du RER E à l’ouest, inscrit dans la première phase de ce Grand Paris ?

M. Didier Gonzales. Je remercie à mon tour le président Pepy pour la clarté de son propos. Le fret représente 40 % du chiffre d’affaires de la SNCF mais 70 % de ses pertes. Le plan de relance présenté en septembre est axé sur les autoroutes ferroviaires et l’abandon d’une partie importante du trafic des wagons isolés. Que deviennent donc les gares de triage par lesquelles ils transitaient, qui sont des infrastructures considérables ? Par ailleurs, les nouvelles lignes vont avoir un impact important sur les communes sans que celles-ci soient toujours desservies. La SNCF, qui considère que « le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous », a-t-elle prévu des mesures d’accompagnement ?

M. Jean-Paul Chanteguet. Dans le cadre du plan fret, vous avez annoncé la création de quatre entités spécialisées, dédiées respectivement au transport combiné et aux autoroutes ferroviaires, aux produits agricoles et de carrière, aux transports de charbon et produits sidérurgiques et, enfin, aux transports d’hydrocarbures, de produits chimiques et d’automobiles. Les activités de fret de ces trois dernières catégories sont-elles bénéficiaires ou déficitaires ? Et le statut de ces entités sera-t-il public ou privé ?

M. Yves Albarello. Je me ferai d’abord le porte-parole de Bertrand Pancher, qui a dû partir précipitamment. La SNCF demande plus de moyens pour développer les trains Corail mais ne conviendrait-il pas, auparavant, de rationaliser les transports, en améliorant la coordination entre les régions ? Ainsi, la ville de Bar-le-Duc est située entre deux régions, Lorraine et Champagne. De nombreux trains régionaux s’arrêtent aux frontières régionales. Les élus s’accordent à considérer que le service s’est dégradé depuis la régionalisation des transports. Alors que le Parlement s’apprête à réfléchir à la réforme des collectivités, quelle est votre vision de la structuration idéale des transports régionaux ? Et comment l’État pourrait-il inciter à la continuité géographique ?

Pour ma part, à propos du Grand Paris, je partage votre avis : il faut améliorer le maillage de l’existant avant toute autre chose. Mais pour le Grand huit, avez-vous une idée de financement à proposer ?

M. Philippe Plisson. Vous dites qu’il faut chercher des ressources pour financer les Corail, développer le fret, rouvrir les lignes désaffectées… Il faudra bien faire des choix ! Il semble que la priorité soit aujourd’hui aux investissements dans les LGV – les passagers vont par exemple gagner une heure sur la ligne Bordeaux-Paris. Mais justement : puisque notre monde doit remettre en cause son modèle de développement, cette course à la vitesse ne doit-elle pas être radicalement abandonnée au profit d’un meilleur maillage du territoire ?

M. Guillaume Pepy. On termine en beauté !

Pour ce qui est de la taxe poids lourds évoquée par Mme Lepetit, ma position est simple : le plus tôt sera le mieux. Quant au Grand Paris, l’accent a été mis sur le Grand huit et les 130 kilomètres de métro automatique, mais il y a mille autres choses dans ce projet : Le Havre, bien sûr, mais aussi la grande couronne, le RER E, les tangentielles, Arc Express et tous les petits morceaux de lignes essentiels, comme la prolongation du T4 vers Clichy-Montfermeil, alors qu’une cité comme celle des Bosquets n’est desservie que par des bus… Le Grand huit sera géré par la RATP, qui maîtrise la technique du métro sur pneus, mais il y a énormément à faire aussi pour les trains sur rails – pour les habitants de la grande couronne, pour tous ceux qui mettent des heures pour aller de banlieue à banlieue – et la SNCF a donc amplement de quoi s’occuper. Le Grand Paris sera jugé autant sur le RER – qui n’est pas concerné par le projet de loi – que sur le Grand huit, et nous devons donc nous atteler tout de suite à la tâche. Nous allons lancer le prolongement du RER E, et ce dans les conditions de gouvernance actuelle, c’est-à-dire avec le STIF, l’État et RFF. Un comité de pilotage devrait d’ailleurs se tenir dans les prochains jours. Nous ne perdons pas une minute.

La situation de l’activité de fret ferroviaire est encore plus dégradée que ce qu’a dit M. Gonzales : au premier semestre, elle représentait 6 % du chiffre d’affaires total du groupe et 65 % de nos pertes. Il y a donc urgence à développer le transport ferroviaire de marchandises autrement. Quant aux gares de triage, ce serait une erreur de les fermer brutalement : non seulement l’entreprise en serait traumatisée, parce que ce sont des lieux chargés d’histoire, mais il faut se donner du temps pour réfléchir aux différents types de réutilisation possibles. Nous serons vos partenaires dans cette réflexion, mais la décision doit être mûrement réfléchie.

Pour ce qui est des quatre nouvelles entités, j’ai considéré avant-hier, à l’issue d’une table ronde avec les syndicats qui a duré cinq heures – le dialogue social à la SNCF n’est pas un vain mot – que la demande de repousser la création de ces filiales était légitime. L’UNSA, second syndicat de la SNCF, y a vu une avancée et ne devrait pas se joindre à l’appel à la grève du 20 octobre. Nous continuons à discuter : ces questions sont suffisamment importantes pour que la direction de l’entreprise pèse ses décisions.

La situation de Bar-le-Duc est effectivement très difficile : la ville est située aux confins du TER, du Corail Intercités et du TGV-Est. Je suis prêt à discuter directement de sa desserte avec M. Pancher. Quant au financement du Grand huit, c’est l’affaire de décideurs publics.

Enfin, pour répondre à M. Plisson, un de mes objectifs est de parvenir à ce que le TGV ait un impact neutre en carbone sur l’environnement. Je pense que c’est faisable – et c’est déjà le cas pour Eurostar. Nous disposons aujourd’hui de bilans carbone pour chaque ligne – celui du TGV Rhin-Rhône, par exemple, est positif sur vingt ans. La question est maintenant de rapprocher le moment où ces bilans basculent dans le positif. Il existe des solutions, comme la conduite économique. Surtout, la question de la vitesse ne doit pas être un tabou : on envisage par exemple que le TGV roule à 360 kilomètres à l’heure au lieu de 320, mais les quelques minutes gagnées valent-elles l’impact en carbone ? Et, grâce au traitement des déchets ou aux mesures d’économie d’énergie dans les bâtiments adoptées par le Grenelle I, la SNCF peut encore améliorer son bilan carbone. Je ne suis pas partisan du tout-TGV mais lorsqu’il est utile pour la compétitivité d’une ville ou d’une région, je pense qu’on peut rendre son impact en carbone neutre et qu’il faut donc y travailler.

M. le président Christian Jacob. Merci pour la précision de vos réponses.

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 7 octobre 2009 à 10 h 30

Présents. - M. Yves Albarello, M. Maxime Bono, M. Christophe Bouillon, Mme Françoise Branget, M. Christophe Caresche, M. Jean-Paul Chanteguet, M. André Chassaigne, Mme Claude Darciaux, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Stéphane Demilly, M. Raymond Durand, M. Philippe Duron, M. Daniel Fidelin, M. Jean-Claude Fruteau, Mme Geneviève Gaillard, M. Joël Giraud, M. François-Michel Gonnot, M. Didier Gonzales, M. François Grosdidier, M. Serge Grouard, M. Christian Jacob, Mme Fabienne Labrette-Ménager, Mme Conchita Lacuey, Mme Annick Lepetit, M. Jean-Pierre Marcon, Mme Christine Marin, M. Philippe Meunier, M. Arnaud Montebourg, M. Bertrand Pancher, M. Jean-Luc Pérat, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Martial Saddier

Excusés. - M. Pierre Lang, M. Yanick Paternotte

Assistaient également à la réunion. - Mme Martine Lignières-Cassou, M. Daniel Paul