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Mardi 13 octobre 2009

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 3

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition de M. Patrick Gandil, directeur général de l’Aviation civile, sur le contrôle aérien

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Patrick Gandil, directeur général de l’Aviation civile, sur le contrôle aérien.

M. le Président Christian Jacob. Monsieur le directeur général, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation, qui fait suite au référé de la Cour des comptes sur la politique des ressources humaines menée au sein de la DGAC, ainsi qu’à certains articles de presse et au rapport que vous avez remis au secrétaire d’État chargé des transports.

Pouvez-vous nous faire part des réflexions actuelles sur le régime indemnitaire des personnels, dans la perspective du prochain protocole triennal ? Où en est-on des systèmes d’évaluation et du suivi personnalisé des contrôleurs aériens que vous souhaitez mettre en place ? Un tel suivi sera-t-il lié à la prorogation de la licence de ces contrôleurs ?

M. Patrick Gandil, directeur général de l’Aviation civile. Merci de me donner l’occasion de dire ce qui va et ce qui ne va pas dans notre système de contrôle aérien, et de revenir sur des réalités qui ont été considérablement déformées par certains journaux.

Le temps de travail des contrôleurs aériens, tel qu’il découle de différents textes réglementaires, est de 1 420 heures par an et de 32 heures par semaine, en moyenne, avec 56 jours de congé. Mais ces personnels doivent en outre assurer un service 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et ne peuvent prendre comme d’autres leurs congés en juillet ou en août, qui font partie des quatre mois les plus chargés de l’année, où un service maximal doit être assuré. Sur ces points, la réglementation française est comparable à celle des autres pays européens.

Je précise que ce temps de travail n’est pas consacré en totalité au seul contrôle aérien. Ces personnels doivent obligatoirement suivre un certain nombre de formations, pour entretenir leurs compétences techniques et leurs compétences en anglais. Ils peuvent en outre avoir à participer à des groupes de travail : en ce moment, par exemple, certains testent sur des simulateurs les nouvelles procédures d’un système extraordinairement complexe, dans le cadre d’une étude sur le relèvement des trajectoires en Île-de-France. Si l’on déduit ces activités de leur temps de travail, on obtient le potentiel disponible de contrôle aérien, le temps maximal qu’il est possible de consacrer à ce contrôle.

Mais on n’a pas forcément besoin de tout ce temps de travail. Dans les grands aéroports, la programmation des compagnies est connue à l’avance et l’on peut prévoir, en s’assurant une marge de sécurité, les besoins maximaux. Il faut faire en sorte de réunir, sur les plateformes, un effectif suffisant pour y faire face. Cependant, l’activité réelle est fonction du nombre d’avions qui se présentent. Sur les grandes plateformes, la réalité est proche de la programmation mais il peut se produire que les avions soient en retard, qu’ils soient moins nombreux à une heure donnée, et plus nombreux à l’heure suivante. De telles fluctuations peuvent être relativement importantes. Voilà pourquoi, tout en prenant nos précautions pour être à même d’affronter les pointes de trafic, une partie du personnel peut être placée « en pause supplémentaire », en salle de contrôle ou de repos, pendant les creux de ce même trafic.

Si je parle de pause « supplémentaire », c’est que l’activité de contrôle aérien est source de stress, à l’égal de celle de pilote de long courrier, ce qui oblige les contrôleurs à observer régulièrement des pauses. C’est là une caractéristique inhérente à leur métier.

L’organisation du contrôle n’est donc pas une affaire simple. Il convient de prendre en considération plusieurs éléments : le potentiel réglementaire disponible de contrôleurs, la programmation des vols et le contrôle réalisé. Intervient alors ce qu’on appelle « clairance » : l’écart entre la programmation, les besoins maximaux estimés, d’une part, et le potentiel théorique à un moment donné, d’autre part. C’est dans un tel contexte que le chef d’équipe peut être amené à laisser partir un agent ou même à lui accorder un jour de liberté – c’est une forme d’autorisation d’absence qui n’est sans doute pas ce qu’on peut souhaiter de mieux, mais qui s’explique par un tel écart. Aucun chef d’équipe ne prendrait d’ailleurs le risque de laisser partir un agent en s’exposant à tomber en dessous de l’« armement » nécessaire pour assurer le bon contrôle du trafic. Il n’y a rien qui puisse corroborer ce qui a été écrit à ce propos dans la presse, à savoir que cette pratique compromettrait la sécurité des vols. Il est exact, en revanche, que les contrôleurs peuvent ne pas travailler jusqu’à trois jours par mois en raison de ce phénomène de clairance. C’est sans doute plus que la dizaine de jours par an d’autorisations d’absence accordées aux agents de la fonction publique, mais très loin de ce que prétendait un certain article, à savoir que les contrôleurs aériens ne travaillaient que la moitié du temps réglementaire.

Puisqu’il a été reproché une « gabegie » préjudiciable à la sécurité, je vais esquisser une comparaison avec les autres systèmes de contrôle aérien.

Pour ce qui est de la sécurité même, nous disposons d’assez peu d’éléments pour des comparaisons internationales : on n’a pas, pour le contrôle aérien, le même suivi que pour l’aviation en général. La raison en est que les accidents de contrôle sont très rares. En revanche, nous faisons des suivis très détaillés de nos propres « événements de sécurité ». Ceux-ci sont systématiquement signalés au BEA, le Bureau d’enquêtes et d’analyses, qui intervient dès lors qu’ils lui semblent dignes d’intérêt au regard de ses critères. Nous soumettons également à un suivi systématique ce que nous appelons les « airprox », situations dans lesquelles des avions se retrouvent trop proches l’un de l’autre : réduction de la distance de 50 %, événement sérieux (HN50), ou de 70 %, événement relativement mineur (HN 70). Je me fais donner régulièrement les chiffres de la navigation aérienne sur le sujet et je dois dire que nous constatons une amélioration continue : le nombre d’« airprox » a été divisé par deux en quelques années. Cette évolution n’était pourtant pas aisée : à Roissy, les deux doublets de pistes n’ont pas l’écart correspondant aux paramètres de séparation des avions en vol. Autrement dit, si deux avions décollaient en même temps sur les deux pistes parallèles des doublets nord et sud, une fois en l’air, ils se trouveraient en « airprox » – en HN 70. Il faut donc décaler les décollages dans le temps ou décaler les avions en altitude.

Sans remonter à l’affaire du plan « Clément-Marot » à Nantes, au milieu des années soixante-dix – affaire exceptionnelle, une situation de grève ayant conduit à faire appel aux contrôleurs militaires –, nous ne recensons que deux vrais accidents de sécurité dus au contrôle aérien. Le 5 décembre 1989, il y a eu une collision à Lille entre un A320 et un avion léger, qui avait pénétré sans autorisation sur une piste. Le contrôle aérien a demandé à l’A320 de remettre les gaz, mais cela n’a pas évité qu’il touche de son train l’avion léger, dont les occupants ont été tués. Le 25 mai 2000, un petit avion de transport, de type SHORT 330, est entré en collision avec un MD-83. Cette fois, le premier avait l’autorisation d’accéder à la piste, ce qu’il a fait. Le MD-83 a alors « décapité » le petit avion, tuant les deux pilotes.

Il s’agit là des seuls accidents liés au contrôle. Dans d’autres cas, comme celui de la catastrophe du mont Sainte-Odile, le contrôle n’a joué que pour une part, parmi bien d’autres éléments. Il en fut de même avec l’A310 de la TAROM en 1994 : alors qu’il ratait son interception d’ILS, il s’est livré à des évolutions dignes d’un avion de voltige et a fini par se récupérer ; le contrôle l’avait fait descendre trop vite et intercepter l’axe d’ILS en descente sans que la trajectoire ait été préalablement stabilisée. Dans cette affaire, il y a une composante de contrôle et une composante de pilotage. Il en fut de même encore avec un DHC-8 311, à Roissy, en 1993 : le contrôle a proposé trop tard une baïonnette, que le pilote a acceptée, mais ce qui a provoqué un accident se soldant par quatre morts.

Je ne peux donc pas prétendre qu’il n’y ait pas d’accidents de contrôle, mais ils restent une composante secondaire de l’accidentologie aérienne. On ne peut pas considérer qu’il y ait des raisons de s’inquiéter quant à la sécurité du contrôle aérien, ce qui ne nous empêche pas de demeurer vigilants.

La comparaison entre le fonctionnement global du système français et celui d’autres systèmes fournit un autre élément d’appréciation. Si la majorité de nos effectifs passait son temps en congés, les effets devraient s’en faire sentir sur la qualité de service ou sur les résultats économiques. Tous les personnels du contrôle aérien sont rémunérés sur les redevances de navigation aérienne qui, en France, sont les moins élevées d’Europe. Le système de comptabilité analytique étant le même dans toute l’Europe, les comparaisons sont possibles d’un pays à l’autre. Or nos résultats économiques sont tout à fait présentables. Depuis quinze ans, le contrôle aérien français est quasiment le moins coûteux d’Europe – seule l’Espagne a fait mieux au début, mais elle est maintenant la plus chère de tous les pays d’EuroControl, les salaires s’étant envolés après toute une série de grèves.

Une unité de service sert à évaluer le coût du contrôle aérien pour le transport en route ; il est assez proche du coût, pour les compagnies aériennes, de ce contrôle rapporté à l’heure de vol. Nos coûts sont restés à peu près constants sur toute cette période, aux alentours de 60 euros. En Allemagne et en Italie, ils sont de 63 euros ; en Belgique et au Royaume-Uni, de 75 euros ; en Espagne, de 85 euros – soit une moyenne de 70 euros pour nos voisins. L’écart avec ceux-ci est donc assez substantiel et se maintient dans la durée.

La comparaison des coûts est possible en Europe, EuroControl assurant à la fois les recouvrements des redevances et la surveillance de l’ensemble des autorités nationales de navigation aérienne. En revanche, l’exercice est impossible avec les États-Unis, dans la mesure où le contrôle aérien n’y est pas facturé de la même façon – il l’est en partie sur la base du coût du kérosène – et où il n’y existe pas de système comparable de comptabilité analytique. Mais, au vu du nombre de contrôleurs de la FAA rapporté au trafic, je doute fort qu’ils soient plus productifs que nous.

On nous a opposé que ces comparaisons n’avaient pas beaucoup de valeur, au motif que l’espace aérien du Benelux et de l’Allemagne, notamment, serait beaucoup plus « chargé » que le nôtre. Je conteste cette assertion : Roissy est le premier aéroport d’Europe pour le nombre de mouvements.

Nous avons également essayé d’apprécier ce que l’on a appelé « l’heure composite », tenant compte à la fois des survols et des opérations d’atterrissage et de décollage par rapport à une composition moyenne du trafic. Elle est calculée par EuroControl pour l’ensemble des États. Bien que les écarts soient un peu plus faibles, la DSNA – direction des services de la navigation aérienne – française reste la moins chère, à 389 euros pour cette heure de vol composite tenant compte, en outre, des opérations terminales ; les Allemands et les Anglais se situent respectivement à 419 euros et à 428 euros, et les Espagnols à 577 euros.

Cela s’explique si l’on rapporte le temps de travail des contrôleurs à leur salaire. Un contrôleur français travaille 155 jours par an en activité effective de contrôle, un contrôleur de l’espace de Maastricht – Benelux et nord de l’Allemagne – 160 jours et un contrôleur suisse 200 jours. Le coût du contrôleur français est de 105 000 euros, celui du contrôleur espagnol est de 330 000 euros – le triple ! –, celui du contrôleur de Maastricht de 184 000 euros, celui du contrôleur allemand de 155 000 euros, celui du contrôleur anglais de 136 000, celui du contrôleur suisse de 140 000 et celui du contrôleur italien de 143 000 euros.

Pour résumer, le contrôleur français n’est certes pas un stakhanoviste, mais son temps de travail n’est pas ridicule si on le compare à celui de ses collègues européens et son niveau de salaire est plus faible, malgré un niveau de formation plutôt plus élevé. L’évaluation du coût rapporté au temps de travail est favorable au système français, sans que la sécurité de notre système n’ait jamais été mise en cause par EuroControl et la qualité de notre service est parmi les meilleures de tous les pays. Ainsi, Charles-de-Gaulle, dont j’ai déjà dit qu’il détenait le record de mouvements en Europe, est rarement dans le « top 20 » des retards, à la différence de Londres. On n’y tourne plus avant de se poser, sauf en situation de crise, et les retards dus au contrôle sont inférieurs à une minute par vol, ce qui fait partie des très bons scores européens.

Voilà pourquoi j’ai réagi parfois un peu vivement à l’article qui mettait en cause notre organisation. Notre système est sûrement critiquable sur certains points, mais pas suffisamment pour le vilipender de cette façon, surtout en comparaison avec la situation dans les autres pays.

M. le président Christian Jacob. Pour le groupe socialiste, radical et citoyen, je donne la parole à M. Jean-Claude Fruteau qui se trouve également être rapporteur pour avis sur les crédits du transport aérien.

M. Jean-Claude Fruteau. Monsieur le directeur général, merci pour cet exposé très complet. Il est dans votre rôle de défendre la qualité du contrôle aérien français, mais, de mon côté, il n’est pas dans mon propos de dénigrer ce dernier. La fonction de contrôleur aérien, délicate et stressante, ne saurait être comparée à un travail de bureau.

Je souhaite vous interroger sur la clairance. Vous nous avez fourni des chiffres très précis, mais vous avez déclaré qu’il était difficile de quantifier ce phénomène. La Cour des comptes, dans son référé, fait de même : « L’ampleur du phénomène est difficile à mesurer puisque officieux et sans doute variable d’un centre à l’autre, voire d’une équipe à une autre. »

Il n’est pas question de mettre en cause le professionnalisme des contrôleurs aériens. Mais s’il est un domaine où l’on ne peut pas se satisfaire du flou et de l’à-peu-près, c’est bien le trafic aérien. Quelles mesures envisagez-vous pour clarifier le système ? Est-ce d’ailleurs possible ?

La crise s’est traduite par une baisse importante du trafic aérien dans le monde entier, notamment à Charles-de-Gaulle. Mais la reprise aura lieu et l’on prévoit un accroissement considérable de ce trafic d’ici à 2020. Vous indiquez vous-même qu’une reprise aura lieu dès 2010. Or l’ACNUSA, l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, souligne dans son rapport d’activité que le dossier du projet OPERA, qui doit permettre une gestion plus efficace des flux d’arrivées et de départs de la région parisienne, avance peu. Pourquoi ? En raison de quelles pesanteurs ? Quels sont les éléments susceptibles de contribuer à une montée en puissance en 2010 ? La réalisation du projet OPERA est indispensable pour le trafic auquel nous aurons à faire face en 2020.

M. le président Christian Jacob. Pour le groupe Union pour un mouvement populaire, la parole est à M. Yanick Paternotte.

M. Yanick Paternotte. Mes questions auront trait successivement au cadre contractuel, à la sécurité et à la protection de l’environnement.

Le nombre de mouvements gérés par heure a augmenté ces dernières années, malgré l’opposition des contrôleurs aériens. Comment appréciez-vous la situation de Roissy par rapport à celle des États-Unis ? Y a-t-il des convergences possibles ? Pensez-vous que le cadre contractuel européen puisse changer ?

On entend dire que de nombreux contrôleurs ont un deuxième travail. Dans quelles proportions ? Nous connaissons tous des cas semblables. Moi-même, j’ai rencontré un contrôleur aérien qui était aussi moniteur de ski !

À Roissy, cas unique, les contrôleurs ont imposé la construction d’une troisième tour de contrôle. Va-t-on désaffecter la première ou maintenir les trois, ce qui supposerait de déployer un effectif égal dans chacune ?

Ne croyez-vous pas aussi que le mélange, au terminal 2G de Roissy, des A380 d’Air France avec des Fokker de 12 ou 25 places ou de petits avions de transport régional risque de poser des problèmes de sécurité ?

Aujourd’hui, on concentre les vols sur une plage horaire. L’ACNUSA et certains organismes prévoient une saturation physique pour 2025. Va-t-on un jour réserver des terrains dans le Bassin parisien, ou va-t-on prendre le risque de provoquer des accidents dont seront victimes les riverains ? Lorsqu’on discute avec les contrôleurs et les pilotes, notamment d’Air France, on s’aperçoit que la limitation de l’impact sonore n’est pas la priorité du système aéroportuaire. Envisage-t-on d’organiser des stages de formation à une gestion des mouvements préservant les populations survolées, en particulier au moment des approches ?

Enfin, vous avez évoqué l’espacement des doublets et l’obligation de divergence. On va aborder la descente lisse, et donc intercepter plus haut. Cela suppose une descente en parallèle plus longue. Allez-vous prendre des approches courbes dans la descente lisse ou aligner définitivement en prenant un espacement longitudinal, et non pas latéral ? Dans ce dernier cas, le nombre de mouvements se trouvera réduit et la question de la saturation physique sera posée avec d’autant plus d’acuité.

M. le président Christian Jacob. Pour le groupe Nouveau Centre, la parole est à M. Stéphane Demilly.

M. Stéphane Demilly. Lointain successeur d’Henry Potez, je suis à la tête d’une ville qui ne vit que par et pour l’aéronautique – et qui s’est d’ailleurs dotée récemment d’un très bel aéroport – et je tiens à rendre hommage au travail de l’aviation civile et des contrôleurs aériens.

Vous avez dit que les doublets de pistes à Roissy interdisent les décollages concomitants. Est-ce dû à un problème de conception à l’origine, ou est-ce que les normes ont évolué depuis ?

Existe-t-il un indicateur international permettant d’établir des comparaisons entre les pays en matière d’accidentologie ? Si oui, où se situe la France ?

Enfin, j’ai participé en 2002 à la mission d’information créée à l’initiative de la commission des affaires économiques sur l’opportunité de créer un troisième aéroport. À cette occasion, nous avions auditionné vos homologues britanniques qui nous ont expliqué que Roissy était sous-utilisé au regard des possibilités de mouvements qu’il offrait. Est-ce exact ? Peut-on encore accroître les cadences à Roissy ?

M. Didier Gonzales. Je vous remercie, Monsieur le directeur général, pour la clarté de votre propos.

Les populations riveraines d’aéroports sont inquiètes. On prévoit 600 000 mouvements aériens supplémentaires en Île-de-France sur seulement deux aéroports alors que la situation est déjà potentiellement accidentogène, notamment à Orly où ont déjà eu lieu deux accidents – avec les Boeing 707 d’Air France et de la Varig – et où deux autres catastrophes ont été évitées de justesse – avec l’Airbus de la Tarom et le Boeing 747 de Minerve. L’avion est sans doute le moyen de transport le plus sûr du monde pour ceux qui sont dans la carlingue. Mais, pour ceux qui sont à terre et voient, dans le cas d’Orly, 115 000 mouvements aériens par an au-dessus de leur tête, les risques d’accidents sont multipliés par ce même chiffre. Je vous demande d’en tenir compte.

La Direction générale de l’aviation civile nous assure, dans son rapport du 24 septembre, que tout va bien dans le ciel francilien, qu’elle qualifie de plus sûr, de plus régulier et de moins coûteux. Mais le rôle des aiguilleurs du ciel est également essentiel en vue d’appliquer les approches et les décollages provoquant le moins de nuisances. L’organisation du contrôle aérien – notamment la descente continue, le respect des volumes de protection environnementale et le relèvement des altitudes à l’arrivée – est-elle configurée pour être également la plus efficace du point de vue environnemental ?

M. Christophe Priou. L’implantation d’un aéroport sur le site de Notre-Dame-des-Landes est envisagée depuis quarante ans. Elle pose des problèmes de sécurité liés au survol de la ville de Nantes, mais la réunion des aéroports de Nantes et de Rennes ne peut-elle être considérée comme une des solutions à l’engorgement de la plateforme Charles-de-Gaulle ? Quel est votre avis sur ce nouvel aéroport en faveur duquel de nombreux élus, toutes tendances confondues, ont pris position ?

M. Stéphane Demilly. D’autres élus se sont exprimés en défaveur de cet aéroport.

M. Christophe Priou. Il y a une grande majorité d’élus qui ont pris position en sa faveur, du parti socialiste à l’UMP.

M. Jean-Paul Chanteguet. Deux questions on ne peut plus brèves : combien y a-t-il de contrôleurs ? Combien d’avions un contrôleur suit-il en même temps ?

M. Michel Havard. Je poserai une question et apporterai une réponse.

Ma question porte sur la gestion des arrivées et des départs. Des polémiques ont eu lieu sur l’existence de files d’attente imposées aux compagnies aériennes au décollage. Où en est-on aujourd’hui ?

Ma réponse est pour rassurer l’ensemble de mes collègues : le troisième aéroport français existe ! C’est, bien sûr, celui de Lyon-Saint-Exupéry, qu’il faut chercher à développer, d’autant qu’il est en lien avec le TGV.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Ma question porte sur les difficultés que connaissent une grande majorité d’aéroports de province.

Les demandes d’OSP – obligations de service public – sont très nombreuses. Avez-vous des informations sur les critères qui présideront au choix de celles qui seront retenues et sur le financement des subventions d’équilibre ? Peut-on considérer comme acquis que ce dernier sera assuré pour moitié par l’État et pour moitié par les collectivités territoriales ? Pensez-vous que les lignes Paris-province qui desservent des territoires ne bénéficiant pas de la grande vitesse ferroviaire et donc beaucoup plus dépendants de l’aérien, puissent être privilégiées pour l’obtention d’un statut OSP ?

M. François Pupponi. Pourquoi le PEB – plan d’exposition au bruit – a-t-il été assoupli sur Orly ? Pourquoi est-il si figé sur Roissy ? S’il continue à l’être à ce point, n’est-il pas possible d’imaginer des indemnisations pour les collectivités ainsi pénalisées ?

M. Yves Albarello. Il n’existe pas de plan d’exposition au bruit pour l’aéroport du Bourget qui connaît pourtant une activité très importante puisqu’il est le premier aéroport d’affaires. Est-il envisagé de combler cette lacune ?

M. Patrick Gandil. Pas plus que mes prédécesseurs, je ne me satisfais des clairances, Monsieur Fruteau. C’est le résultat d’un certain équilibre social qui a ses avantages et ses inconvénients.

L’avantage de ce système est le travail par équipe, reconnu comme bénéfique par la Cour des comptes, un chef d’équipe ayant la responsabilité d’absorber les aléas : arrêt maladie, prolongation de stage, changement dans la charge de travail à cause de problèmes d’exploitation, etc. Il dispose d’un potentiel forcément un peu surdimensionné, d’où le phénomène des clairances, mais, si l’on avait, à la place, des règles strictes, cela conduirait à un jeu du chat et de la souris auquel on serait, je pense, perdant in fine.

Ce système rend difficiles le calcul du service fait et l’établissement de la comptabilité. Mais ce que la Cour des comptes lui reproche surtout, c’est d’être imparfait du point de vue du suivi des règles de la licence. Premièrement, un contrôleur, comme un pilote, doit avoir travaillé un certain nombre d’heures pour maintenir sa qualification. Deuxièmement, il doit recevoir une formation continue, laquelle est liée à un plan de formation qui doit être déposé auprès de l’autorité de surveillance. Or, pour que celle-ci puisse avoir un avis précis sur ce plan, il faut qu’elle sache ce que les contrôleurs ont réellement fait.

Pour garder sa licence, un contrôleur doit avoir contrôlé 200 heures par an. Or, la moyenne est plus proche des 400 heures que des 200. Il existe donc une marge suffisante pour que je ne sois pas inquiet à ce sujet. Par contre, ce serait un mauvais signe à donner que de se reposer sur cet acquis. Il nous faut entendre les remarques de la Cour des comptes. Comme je l’ai indiqué aux personnels lors d’un comité paritaire réuni il y a quelques jours, la situation actuelle ne peut plus durer. Je propose d’instituer, à l’instar des carnets de vol des pilotes, que l’on compare ensuite aux carnets de bord des avions, des cahiers de tenue des positions remplis par les responsables hiérarchiques que sont les chefs d’équipe et déposés ensuite auprès de l’autorité de surveillance. Le contrôle ne portera pas tant sur le temps de travail au regard de la rémunération – si je joue trop sur cet aspect, je risque de déclencher une grève majeure pour peu de chose – que sur la rigueur du suivi des qualifications, de la présence aux positions et de la partie contrôle de sécurité.

Je ne suis pas très fier de ce que je vous dis. Mais c’est la réalité. Je dois composer avec un certain climat social qui rend la situation assez désagréable mais les contrôleurs rendent un service assez performant quand on le considère dans sa globalité. Le chef d’équipe a des marges de manœuvre reconnues par ses pairs pour arriver à gérer et à équilibrer l’ensemble. Mon problème est de veiller, premièrement, à la sécurité, deuxièmement, à ce qu’il n’y ait pas de gabegie.

Pour éviter les risques de gabegie, un second paramètre doit être introduit : le temps d’ouverture des positions – que l’on connaît par des moyens électroniques – par rapport au potentiel disponible. Quand on se livre à un calcul théorique tenant compte des temps de pause, de formation et autres, on arrive à un paramètre, appelé I1, donnant le temps théorique passé devant la position, de 70 %. Ce taux est actuellement de 50 %. Il me paraît difficile, dans le système social actuel, de le porter à plus de 60 % mais je dois parvenir à atteindre ce taux. C’est le second élément que j’ai indiqué à la Cour des comptes : je compte profiter du prochain protocole social pour remonter le niveau de productivité de 10 %. Il a déjà été augmenté de cinq points dans le protocole précédent, ce qui prouve la constance de nos efforts. La mise en place d’un indicateur nous donnera la capacité d’atteindre ce nouvel objectif.

Ma tâche consiste donc, sans créer de drame social qui serait une catastrophe pour les compagnies, d’une part, à améliorer la productivité d’ensemble et, d’autre part, à mettre en place tous les paramètres de contrôle de sécurité nécessaires.

Le projet OPERA – Organisme Parisien d’En Route et d’Approche – n’est pas aisé à mettre en œuvre, mais il progresse. Un terrain a été trouvé et un partenariat public-privé est à l’étude. Une méthode dite des pionniers a été définie pour essayer de faire travailler ensemble des contrôleurs de Roissy et d’Orly. Des contrôleurs qualifiés ont été trouvés dans les deux aéroports pour mener cette expérience qui a pour but, d’une part, d’identifier des possibilités d’amélioration, car le contrôle n’est pas une activité théorique et planifiée mais une activité de terrain et, d’autre part, de montrer aux contrôleurs de chaque aéroport qu’il est possible de travailler avec des collègues de l’autre aéroport. Ces deux catégories de personnels ont des structures syndicales différentes à l’antagonisme fort. Tant que nous n’aurons pas réussi à résoudre ce problème, le projet ne fonctionnera pas. Mais l’expérience montre que toutes les tentatives de fusion de centres ont pris du temps. Au Tracon du Potomac, à Washington, il a fallu plus de dix ans.

Aux heures de pointe, il doit y avoir 114 mouvements aujourd’hui, Monsieur Paternotte. Ce nombre augmente régulièrement mais il n’y a pas, en ce moment, de pression extraordinaire du trafic, ce qui donne un peu de temps pour essayer de stabiliser les choses.

Pour donner un point de comparaison, on dénombre pour l’aéroport d’Atlanta environ 140 mouvements. Cela représente un écart assez important mais les deux chiffres, en fait, ne recouvrent pas la même réalité car le système de programmation de créneaux existe très peu aux États-Unis : d’un côté – les 140 –, il s’agit du nombre réel d’avions qui passent ; de l’autre – les 114 –, il est question d’heures programmées, c’est-à-dire du nombre d’heures que les compagnies aériennes sont autorisées à vendre à leurs clients : en d’autres termes, du nombre de créneaux qu’elles vont pouvoir utiliser dans l’heure. À cause des incidents d’exploitation, quand il y a 114 heures programmées, il y a couramment entre 120 et 125 avions à certaines heures et, corrélativement, moins à d’autres heures. Le nombre de 114 est, au fond, le potentiel qu’on s’offre en gardant une petite marge de manœuvre pour absorber les écarts : quand il y a 120 avions en l’air, on ne les fait pas tourner ; on arrive à les poser. Donc on a une marge par rapport à l’opérationnel. Comparer les 140 mouvements d’Atlanta aux 114 mouvements en France revient donc à comparer du réalisé à du programmé.

Ce constat ouvre une piste pour des améliorations. La réduction de l’écart entre le programmé et le réalisé rendrait le système plus productif. Autrement dit, on arriverait à gagner un peu si l’on pouvait avoir un accord avec les compagnies aériennes – et, notamment, avec Air France qui réalise la moitié du trafic – afin qu’elles occupent mieux leurs créneaux en avançant ou en retardant certains vols d’une dizaine de minutes pour occuper la capacité de contrôle disponible. En effet, quand des avions sont en retard, le contrôle est quand même assuré et ça « coince » l’heure d’après.

Si l’on arrivait à des systèmes de décisions collaboratives de ce type, on pourrait espérer monter jusqu’à 120 mouvements à l’heure. Aller au-delà nécessiterait un changement des méthodes de contrôle. SESAR – Single European Sky ATM Research – nous donnera quelques outils en la matière mais le maximum à espérer, en programmé – pour tenir compte de ce qui, multiplié par le nombre de jours dans l’année, donne la capacité de l’aéroport – se situe, à mon avis, aux alentours de 130, compte non tenu des gains de productivité résultant de l’entraînement des contrôleurs sur un nouvel outil.

Le nombre de mouvements ne dépend pas que du système technique et de la capacité des contrôleurs. Il est aussi lié – et vous l’avez souligné – à la composition des flottes, le système idéal consistant à avoir autant de départs que d’arrivées d’avions de même catégorie. Quand il y a de grosses différences de taille entre les avions, il faut prévoir un grand espace derrière les gros porteurs pour éviter que les petits appareils ne soient pris dans les tourbillons qu’ils créent. Cet espace doit être maximum entre un gros-porteur – comme l’A380 ou le Boeing 777, quoi qu’en disent les Américains – et un Fokker 100. Le nombre de mouvements sera donc d’autant plus grand que la flotte sera plus homogène.

Dans le même temps, un aéroport comme Roissy fonctionnant fondamentalement en hub, du fait à la fois du système européen et de la taille de notre pays, – ce qui nous permet d’avoir accès au monde entier, avec une capacité de connectivité fantastique –, la composition de la flotte est forcément un mixte de gros-porteurs et d’A 320. D’ailleurs, si l’emport moyen à Roissy est plus faible qu’à Londres, c’est parce que la taille moyenne des avions à Roissy est de 120 passagers, contre 160 à Londres.

Faut-il, pour autant, accepter des Fokker ? Aujourd’hui, ils ne gênent pas particulièrement. Si l’on arrivait, un jour, à saturation, on ne prendrait pas de risques. D’ailleurs, les contrôleurs ne l’accepteraient pas – c’est l’un des facteurs qui conduiraient à des réactions sociales –, et la DGAC non plus.

Au début, comme à Londres, on laissera des avions tourner pour les insérer dans les creux du trafic et avoir l’utilisation maximale de la capacité de trafic. Puis on sera forcément amené à refuser des avions. L’outil existe pour cela : ce sont les créneaux – on n’offre pas aux compagnies aériennes plus de créneaux que ne le permet la capacité de contrôle.

Comme vous l’avez souligné, l’impact sonore n’est pas la première des priorités car celle-ci est la sécurité. Nous travaillons, cependant, pour que la deuxième priorité soit l’environnement, et non la capacité. Cela ne marche pas partout entièrement car cette deuxième priorité doit être intégrée dans la pratique usuelle du contrôleur et dans celle de son premier usager qu’est le pilote. En tout cas, nous travaillons très activement sur les procédures de descente continue et sur le relèvement des altitudes de survol dans la région parisienne, qui sont deux changements très importants dans l’activité du contrôle à finalité environnementale.

Le 15 novembre, sera lancée une enquête publique sur le relèvement des trajectoires en arrivée à Orly face à l’est, vent arrière sud. Cette trajectoire présente l’avantage d’être découplée des autres alors que celles-ci sont très entremêlées. Nous entreprenons une étude énorme qui devrait conduire à mener une enquête publique étendue à toute la région. Il n’y a pas moyen de faire autrement. L’objectif est que les avions n’utilisent plus le niveau le plus bas actuel et volent au moins 1 000 pieds au-dessus, ce qui devrait être d’intérêt général.

Après avoir expérimenté les descentes continues à Marseille où elles sont maintenant assez généralisées, nous en faisons un assez grand nombre à Orly dans les arrivées face à l’ouest. J’ai pu vérifier, comme passager particulier, que les pilotes les demandaient et le commandant de bord m’a indiqué que les consignes d’Air France allaient clairement en ce sens. Les pilotes obtiennent ces descentes continues chaque fois que les conditions de contrôle le permettent, c’est-à-dire à peu près deux fois sur trois actuellement. La situation est donc en train d’évoluer. Nous comptons la faire progresser autant que nous le pourrons tant que nous ne disposerons pas de l’application SESAR. Ma deuxième étape sera de faire de la descente continue à Roissy la nuit et de la généraliser ensuite autant que possible.

L’espacement des doublets de piste ne nous aide pas, mais nous aurons pour la descente continue la même contrainte que nous avons aujourd’hui : il faut décaler les avions soit en espace, soit en niveau – et rattraper ensuite le niveau. La situation actuelle vient du fait que les deux pistes sont séparées de 2,5 milles nautiques. Tant qu’on est aligné sur l’ILS – Instrument Landing System –, il n’y a pas de problème. Avant d’être aligné, la norme est de trois milles nautiques.

Plusieurs députés. Pourquoi n’a-t-on pas conçu d’emblée les deux pistes à trois milles nautiques ?

M. Patrick Gandil. La conception de l’aéroport est ancienne. Une chose est sûre, c’est que, si cela aurait grandement facilité le contrôle aérien, on y aurait beaucoup perdu en roulage au sol.

S’il n’existe pas de suivi du contrôle aérien, il en existe un tout à fait sérieux de l’accidentologie du transport aérien. Assuré, dans le monde entier, par l’OSEI – Operational Significant Event Imagery –, il permet d’avoir des éléments statistiques chaque année.

Il est à noter que cela fait de nombreuses années que le chiffre de 1 000 morts par an n’a pas été atteint dans le monde entier en transport public aérien, c’est-à-dire pour les avions de plus de vingt places. Aucun autre mode de transport n’approche un tel résultat. Dans les statistiques du ministère, le nombre d’accidents mortels dans les transports ferroviaires français, toutes causes confondues comme dans l’aérien, est de 300 par an en France. Le transport aérien ne connaît que quatre ou cinq catastrophes par an dans l’ensemble du monde, faisant chacune entre 150 ou 200 morts. Concernant l’aviation générale en France – petits avions de transport public, aviation légère et aviation d’affaires compris –, on compte une soixantaine de morts par an.

En qualité de directeur général de l’aviation civile, je suis très attentif à l’accidentologie de l’aviation en général, qu’il s’agisse des avions légers amateurs ou des hélicoptères pilotés par des professionnels. On compte, d’ailleurs, un nombre non négligeable d’accidents d’hélicoptères du fait qu’ils volent près du sol et que ce sont des engins relativement plus dangereux que les avions. Les accidents de transport aérien étant heureusement rares, ils sont d’autant plus difficiles à traiter. De même qu’en accidentologie en centrale nucléaire, ce n’est pas du tout la même chose de traiter des cas récurrents comme les accidents de la route que de traiter des cas rarissimes. Du coup, on enquête non seulement sur les accidents mais également sur les incidents. Quand un petit avion d’aéroclub casse son train, un agent de la DGAC délégué par le BEA se rend sur place. Bien qu’il ne s’agisse que d’un accident matériel, c’est un événement anormal qu’il faut étudier pour mieux en comprendre les causes.

Deux causes d’accidents qui ont été mises en évidence sont les trajectoires non stabilisées et les incursions de piste. Nous avons été amenés récemment à organiser des formations et des colloques sur ces sujets.

L’aéroport de Roissy n’est pas vraiment sous-utilisé. Il a encore une marge de croissance. Il est néanmoins l’un des premiers aéroports du monde et le premier d’Europe. À côté de la charge que cela induit, il faut aussi voir la richesse sur le plan économique et international que représente le fait que la porte d’entrée en Europe se situe en France.

Je ne me prononcerai pas sur la manière de gérer un troisième aéroport dans un système de « hub ». J’ai étudié la question, il y a quelques années, quand je dirigeais les bases aériennes. La DGAC envisageait alors d’implanter un troisième aéroport dans le sud de Paris du fait de l’extrême encombrement du ciel aérien au nord de la capitale, puisque se croisent dans ce secteur les vols de Paris, premier aéroport européen par le trafic, ceux de Londres, deuxième aéroport d’Europe, et ceux de Francfort, troisième aéroport d’Europe – sans parler d’Amsterdam, Bruxelles, Lille ou Beauvais. En tout état de cause, cet aéroport aurait eu vocation à remplacer Orly plutôt que Roissy. Dans ce dernier, l’effet « hub » est, en effet, vital pour Air France et d’autres compagnies essaient d’ailleurs d’en profiter. La décision politique ne m’appartient pas mais la question du fonctionnement d’un troisième aéroport et de la répartition des compagnies aériennes sur celui-ci n’est pas une question facile.

Il est malheureux qu’il y ait trois tours de contrôle à Roissy. Il est même prévu une quatrième antenne autour du terminal 2 G. Cela vient certainement d’un problème de conception de l’aéroport au départ. On n’aurait jamais dû construire un aéroport de cette taille avec une seule tour de contrôle. L’accidentologie grave est due à des incursions sur piste – c’est notre première source de crainte. L’expérience prouve, en effet, que le télescopage de deux avions en l’air est plus rare que le télescopage au sol. Les deux catastrophes de Lille et Paris entrent dans cette catégorie. Nous sommes donc très attentifs à la position des avions au sol. Tous les mobiles, qu’il s’agisse d’avions ou de voitures, sont en contact avec la tour et doivent pouvoir être vus par l’opérateur. Or, quand le contrôleur passe d’une image télé à une image directe, il y a un certain nombre de ratés, qui font courir des dangers aux avions sur les pistes. Le fait qu’il y ait une tour pour chacun des deux doublets de pistes est donc une formule raisonnable. Quant à la troisième tour, on aurait pu, assurément, en faire l’économie. Elle n’a qu’un intérêt économique : quand le trafic est beaucoup plus faible, c’est-à-dire entre une certaine heure le soir et la première plage du « hub » le matin, elle permet de rassembler le contrôle dans une seule tour au lieu d’en armer deux. En tout état de cause, on n’arme jamais les trois tours en même temps.

Le rôle des aiguilleurs dans la lutte contre le bruit est important puisque les descentes continues et les remontées des altitudes passent par eux. Il est une autre profession qui joue un rôle important en la matière et qui est exercée en majorité par des ingénieurs des études et de l’exploitation de l’aviation civile : ce sont les personnels qui réalisent les analyses de déviation de trajectoire par rapport au VPE et qui font, en fait, l’instruction du dossier pour le compte de la commission nationale de prévention des nuisances, puis pour le compte de l’ACNUSA. Ils participent à la lutte contre le bruit au travers de la sanction.

Le contrôleur peut être amené, par contre – dans des cas très rares car ils sont formés à ne pas le faire pour un oui ou pour un non –, à autoriser un pilote à sortir du VPE. Si, par exemple, un cumulo-nimbus se trouve, comme cela arrive parfois, dans l’axe de la piste, mieux vaut que l’avion l’évite.

Le projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes répond à des motivations quasi exclusivement environnementales. L’aéroport actuel pourrait en effet absorber un trafic beaucoup plus important, de quatre millions, voire de six millions de passagers, selon la composition du trafic. Mais, comme la piste est tout près de Nantes et axée sur le centre de la ville, la DGAC souhaite le transférer d’un emplacement où les nuisances ne sont pas maîtrisables à un endroit où elles gêneront beaucoup moins de personnes.

Qu’il n’y ait pas d’ambiguïté à ce sujet : il n’est pas question d’avoir deux aéroports. Celui de Nantes-Atlantique sera fermé. On se pose simplement la question de savoir si l’on doit garder la piste pour les besoins de l’usine d’Airbus mais, si tel est le cas, ce ne sera qu’une ligne à l’usage privatif du groupe.

Le nouvel aéroport sera plus près de Rennes et de Vannes, ce qui entraînera probablement une concentration de trafic, et donc une offre de destinations plus importante qu’avec un système éclaté entre un gros aéroport à Nantes et deux petits aéroports à Rennes et à Vannes.

Cela dit, je le répète, la raison, à 90 %, du déplacement de l’aéroport est la nécessité, d’une part, de le sortir d’un endroit où il ne peut se maintenir et, d’autre part, de doter la métropole de Nantes d’un aéroport de taille suffisante.

La DGAC compte environ 4 000 contrôleurs, sur un effectif total de 12 000 personnes. C’est le corps le plus nombreux parmi ceux de l’aviation civile.

Le nombre d’avions qu’un contrôleur peut gérer en même temps dépend de la complexité de son secteur et de sa situation par rapport à l’aéroport. Il peut en contrôler jusqu’à vingt, et une douzaine sur un secteur complexe.

Il faut se rendre compte de la tâche qui incombe au contrôleur. Je la compare souvent à celle d’un pilote, même si cela suscite parfois quelques doutes. Je suis moi-même pilote de petits et moyens avions et, pour passer beaucoup de temps dans les cockpits, j’ai une assez bonne idée de ce que c’est que de piloter un gros avion. Il y a des moments très intenses – le décollage, la préparation de l’atterrissage, certains types de changements de niveau ou de préparation de procédure – et d’autres beaucoup moins : quand on est arrivé en palier et qu’on a tout réglé, il faut simplement s’assurer, de temps en temps, que tout va bien. Il en va différemment pour un contrôleur sur un centre encombré : pendant son temps de travail, il a une charge permanente. Il a un peu de mal à l’anticiper car chaque nouvel avion qui arrive le met en présence d’un nouveau pilote aux demandes bien précises. Son métier consiste à surveiller la position des différents avions sur son image radar : pour chaque avion, il a une étiquette qui donne le nom de l’appareil et sa vitesse et indique s’il monte ou s’il descend. Mentalement, il déforme cette image car il extrapole afin d’anticiper l’évolution de la situation dans les cinq ou dix minutes qui suivent. Même s’il peut avoir quelques aides, cela représente un travail intellectuel très prenant. C’est à partir de celui-ci qu’il va éventuellement détecter des rapprochements dangereux et, si c’est le cas, agir en conséquence.

Les files d’attente au décollage sont la contrepartie du fait que les avions ne tournent plus au-dessus des aéroports. L’Europe d’EuroControl – c’est-à-dire celle qui regroupe 44 États européens – a créé un organisme assez extraordinaire : la CFMU – Central Flow Management Unit –, c’est-à-dire un système de gestion centralisée des flux en Europe. Cet organisme, situé à Bruxelles, connaît en temps réel la capacité de tous les aéroports et de tous les centres en route et gère les plans de vol : il ne donne l’autorisation de décollage à un avion que s’il est certain que cet avion, non seulement va pouvoir décoller mais également, va trouver, ensuite, une succession de centres en route qui aient la capacité de l’accueillir et, au bout de son vol, un aéroport d’arrivée, lui aussi en capacité de l’accueillir. Si toutes ces conditions ne sont pas remplies, il bloque l’avion au sol. Cela présente de gros avantages, d’une part, en matière de sécurité car mieux vaut que des avions restent au sol plutôt que de tourner comme des piles d’assiettes au-dessus de l’aéroport d’arrivée, qui est forcément le plus chargé, et, d’autre part, en matière de consommation de carburant et d’effets environnementaux. Mais cela conduit à des temps d’attente plus ou moins longs. Le temps moyen d’attente dû au contrôle aérien en France est inférieur à une minute. La situation n’est donc pas catastrophique. Les compagnies aériennes nous ont d’ailleurs demandé de mettre en place, pour l’année prochaine – ce que nous allons faire – un indicateur sur le nombre de vols retardés de plus de quinze minutes parce qu’un retard de cette durée commence en revanche à désorganiser l’exploitation.

M. Yanick Paternotte. C’est aussi une question d’argent.

M. Patrick Gandil. Oui, mais nous ne sommes pas encore au stade où il faut indemniser les passagers. L’avion n’attend pas au sol moteur tournant. Il a une position d’attente.

M. Yanick Paternotte. Les temps d’attente sont volontairement allongés sur les court- courriers pour éviter de rembourser les passagers.

M. Patrick Gandil. C’est exact. Mais cela concerne les horaires commerciaux.

L’aéroport de Lyon peut-il être le troisième aéroport ? Je ne le dirai pas comme cela. Les grands aéroports de province ont connu un changement extraordinaire depuis 1985 ou 1990 : ils sont devenus des aéroports « multidestinations européennes ». Celui de Lyon est, de ce point de vue, un cas exemplaire parce que, bien qu’il n’ait, grâce au TGV, que relativement peu de liens avec Paris, il est un « hub » européen, avec une diversité de destinations tout à fait remarquable.

Les situations des aéroports de Marseille et de Nice sont un peu différentes. Celui de Nice est relié à de nombreuses destinations européennes mais le flux dominant est Paris-Nice. Et à Marseille, si le flux Paris-Marseille n’est pas dominant, il est néanmoins très important. Le TGV a pris une grande place et est dominant jusqu’à deux heures de trajet mais, à partir de trois heures, il y a un équilibre qui se fait entre le train et l’avion.

Beaucoup de passagers du grand Lyon, « hinterland » de plus de 4 millions de passagers, empruntent maintenant des vols directs vers de nombreuses destinations européennes alors qu’il n’y a pas si longtemps, ils devaient pour ce faire transiter par Paris.

Par contre, sur les destinations long-courrier qui sont le propre du « hub » de Roissy – où le court-courrier alimente le long-courrier –, il y a beaucoup moins de passagers et ils sont emportés dans de gros avions puisqu’il faut, pour couvrir ces longues distances, embarquer beaucoup de carburant, sous peine de se retrouver dans un mode d’organisation ruineux. Il y a très peu de destinations vers lesquelles on peut remplir plus d’un avion par jour de la France – et encore, c’est en regroupant des passagers grâce au phénomène de « hub ». Il en existe une douzaine, dont New York, Washington et Tokyo, vers lesquelles sont organisés plus de deux vols par jour. Les « hubs » n’ont pas toujours existé et ils n’existeront peut-être pas toujours mais ils sont aujourd’hui une valeur sûre et semblent partis pour se maintenir durablement.

Dans le cadre des demandes d’OSP, nous essayons de traiter en priorité les aéroports les plus enclavés.

L’enclavement d’un territoire se mesure successivement par rapport à sa desserte par le TGV, par rapport à un train de qualité du type TEOZ, puis par rapport à sa desserte autoroutière, en tenant compte du temps de trafic.

Un exemple d’enclavement maximal est donné par les villes d’Aurillac et du Puy qui ne sont desservies ni par le TGV, ni par l’autoroute. Une ville comme Agen qui n’a pas de chemin de fer mais est à une heure et demie d’autoroute de l’aéroport le plus proche souffre d’un niveau d’enclavement assez poussé, mais moindre.

Jusqu’à il y a peu, il y avait un certain équilibre qui permettait de traiter toutes les lignes à obligation de service public avec un niveau de subvention autour de 50 %. Mais, du fait de la crise, un certain nombre de lignes qui s’équilibraient n’y arrivent plus. D’où un nombre de demandes beaucoup plus grand. Mais nous n’avons pas le financement nécessaire. Nous essayons, par des redéploiements internes à notre budget, de trouver des fonds et d’obtenir de la DATAR des moyens d’en trouver également, avec l’espoir de pouvoir traiter toutes les demandes. Mais tout dépendra de l’enveloppe. Si celle-ci n’est pas suffisante, je devrai choisir entre baisser le taux de subvention et opérer des choix en fonction de la hiérarchisation que j’ai indiquée. Mais un taux ridicule n’aurait plus aucun sens. Si on laisse une ligne se fermer, il n’est pas certain qu’elle soit rouverte ultérieurement. C’est pourquoi on essaie de maintenir des lignes qui, bien que dans une situation difficile, paraissent pouvoir être maintenues.

Je dois à la vérité de dire que le PEB n’a pas réellement été assoupli sur Orly. Le trafic est fixe sur cet aéroport mais il y a une amélioration continue des avions, ce qui fait que la tache sonore se réduit de façon considérable. Le pic de bruit a été atteint dans les années 1970, juste avant l’ouverture de Roissy, à l’époque de la Caravelle. Orly est un cas tout à fait unique où le bruit décroît de façon assez importante.

Il existe une grande différence entre Orly et Roissy. Dans ce dernier aéroport, nous y avons stabilisé le bruit de façon autoritaire en créant le plafond d’indice en 1999 et en veillant à son respect. Si l’empreinte sonore n’augmente pas, elle n’en est pas à se réduire. Nous n’avons pas intérêt à relâcher notre garde sur la protection des abords d’un aéroport qui est un poumon économique majeur. Il ne faut pas pour autant refuser des possibilités de modernisation du bâti existant. Un gel complet de la situation ne serait pas bon. Des progrès sont possibles.

Le cas du Bourget est compliqué. C’est un aéroport d’affaires, le premier d’Europe et le deuxième du monde, et, à ce titre, il est absolument essentiel. Mais un aéroport d’affaires brasse très peu de passagers et, comme l’insonorisation est financée par une taxe au passager, nous sommes là très en dessous des seuils. Si on appliquait quand même cette taxe, elle ne rapporterait pas grand-chose. Il faut donc une approche différente, et je rejoindrai plutôt la position de M. Paternotte, qui a déposé un amendement afin de faire du Bourget une annexe de Roissy.

M. Yanick Paternotte. C’est la cinquième piste de Roissy.

M. Patrick Gandil. Mais cet amendement a été bloqué par l’article 40, ce qui est bien dommage.

M. Yanick Paternotte. Mais je vais récidiver !

M. Patrick Gandil. C’est mon vœu le plus cher, Monsieur le député.

Considérer Le Bourget comme la cinquième piste de Roissy est tout à fait fondé du point de vue de la navigation aérienne puisque la distance entre cet aéroport et le doublet sud de Roissy est plus faible que la distance entre le doublet sud et le doublet nord de Roissy.

De plus, il existe des liens très étroits en ce qui concerne les mouvements des avions, ceux du Bourget étant forcés de passer sous les avions de Roissy. Cela a un effet direct, et même déterminant, sur le bruit au Bourget. Les très beaux – mais bruyants – jets d’affaires qui décollent et atterrissent là sont capables de décoller comme des Mirage et, n’était la proximité de Roissy, ils décolleraient dans des conditions beaucoup plus favorables.

Assimiler le Bourget à une cinquième piste de Roissy est une idée réellement prometteuse. Si l’on y parvient, cela ne permettra pas de tout régler mais cela donnera à cet aéroport une capacité d’insonorisation parce qu’un plan d’exposition au bruit n’a pas de sens sans plan de gêne sonore (PGS) : les deux doivent aller de pair.

M. le président Christian Jacob. Nous vous remercions, Monsieur le directeur général. La commission vous demandera de revenir devant elle dans quelque temps pour faire un nouveau point.

M. Patrick Gandil. Je suis à la disposition du Parlement. L’aviation est un sujet enthousiasmant qui permet de toucher à bien d’autres : compagnies aériennes, avions, aéroports, environnement... Elle fait l’objet de débats mondiaux : j’ai ainsi participé, la semaine dernière, à Montréal, à une réunion sur le thème « L’aviation internationale et les changements climatiques », au cours de laquelle se sont exprimées des oppositions nord-sud importantes. C’est l’exemple même des débats complexes mais d’un grand intérêt que suscite cette activité.

◊ ◊

Informations relatives à la commission

M. le président Christian Jacob. J'informe la commission que j'ai reçu trois demandes de constitution d'une mission d'information, une de M. Philippe Meunier sur les mesures de lutte contre le bruit, les deux autres de M. Jean-Paul Chanteguet au nom du groupe SRC, d'une part, sur le marché des quotas d'émissions de gaz à effet de serre, d'autre part, sur la sécurité aéroportuaire. Je vous propose de retenir le principe de la création des deux premières missions mais de surseoir à la désignation de leur rapporteur. En effet, compte tenu du calendrier de travail de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire pour les prochains mois, notamment les textes Grand Paris et Grenelle 2, les effectifs du secrétariat ne permettront pas de lancer les travaux de ces missions avant 2010. 

La commission a procédé à la désignation d’un rapporteur. Elle a désigné M. Yves Albarello rapporteur du projet de loi sur le Grand Paris (n° 1961).

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 13 octobre 2009 à 17 heures

Présents. - M. Yves Albarello, M. Jean-Claude Bouchet, M. Christophe Bouillon, Mme Françoise Branget, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Frédéric Cuvillier, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Lucien Degauchy, M. Stéphane Demilly, M. Raymond Durand, M. Albert Facon, M. Yannick Favennec, M. Jean-Claude Fruteau, M. Didier Gonzales, M. Michel Havard, M. Christian Jacob, M. Jacques Kossowski, Mme Fabienne Labrette-Ménager, Mme Conchita Lacuey, M. Pierre Lang, M. Jacques Le Nay, M. Bernard Lesterlin, M. Gérard Lorgeoux, M. Philippe Martin, M. Philippe Meunier, M. Bertrand Pancher, M. Yanick Paternotte, M. Christian Patria, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, M. André Vézinhet

Excusés. - M. Maxime Bono, M. André Chassaigne, M. Arnaud Montebourg

Assistait également à la réunion. - M. François Pupponi