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Mercredi 14 octobre 2009

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 4

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition de M. Brice Lalonde, ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique, sur la préparation de la conférence de Copenhague

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Brice Lalonde, ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique, sur la préparation de la conférence de Copenhague.

M. le président Christian Jacob. Monsieur l’ambassadeur, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. La Conférence des présidents a arrêté le principe d’un débat en séance publique sur le changement climatique et le sommet de Copenhague, probablement le 1er décembre. Nous souhaiterions dès à présent faire le point avec vous sur l’état des négociations et la position des différents pays.

M. Brice Lalonde, ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique. Nous sommes dans une négociation complexe, dans le cadre des Nations unies, qui s’organise autour de deux instruments juridiques. Le premier est la convention-cadre sur le climat, adoptée à Rio de Janeiro en 1992, qui demande à chaque État d’agir, mais sans donner d’indication chiffrée sur ce qu’il convient de faire. Le second instrument est le premier protocole d’application de cette convention, le protocole de Kyoto de 1997, entré en vigueur en 2005.

L’un des problèmes politiques majeurs de cette négociation vient du fait que la Convention de Rio répartit les pays en deux catégories, correspondant à la situation géopolitique de l’époque : les pays de l’annexe I, c’est-à-dire les pays industrialisés, qui ont des obligations – lesquelles ont été précisées ensuite dans le protocole de Kyoto –, et les autres pays, à qui on ne demande que de la bonne volonté. Or, dans cette deuxième catégorie regroupant les pays en développement, figurent la Chine, l’Inde, le Brésil, c’est-à-dire les puissances émergentes.

Quant au protocole de Kyoto, il organise une première période d’engagement des pays industrialisés à réduire les émissions de gaz à effet de serre, entre 2008 et 2012.

La négociation actuelle comporte deux volets. D’une part, les pays signataires de la Convention de Rio s’engagent à prendre des dispositions supplémentaires, sans que l’on sache encore lesquelles. Parmi les pays concernés figurent non seulement les grands pays émergents, mais aussi les États-Unis – qui n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto. D’autre part, une négociation est engagée sur l’après-2012.

Une difficulté vient du fait que si le protocole de Kyoto ne concernait déjà au moment de sa signature que 50 % des émissions gaz à effet de serre de la planète – du fait de la défection des États-Unis –, désormais il n’en concerne plus que 30 %, en conséquence de la croissance des émissions des pays émergents : beaucoup de pays renâclent à rester dans le cadre d’un texte qui couvre une part de plus en plus réduite des émissions mondiales.

C’est à Bali, il y a deux ans, que les négociateurs des deux instruments juridiques ont reçu mandat de continuer à travailler sur les prochains engagements, tant des signataires de la Convention de Rio que des signataires du protocole de Kyoto, sur quatre thèmes.

Le premier est la réduction des gaz à effet de serre, appelée mitigation. Le deuxième, objectif devenu aussi important, est l’adaptation au changement climatique, celui-ci étant déjà commencé – et inéluctable puisque les gaz à effet de serre qui sont dans l’atmosphère y restent pendant une centaine d’années – et suscitant une inquiétude croissante, notamment dans les pays en développement et dans les petites îles menacées par la montée du niveau de la mer. Le troisième est le financement, tant de la mitigation que de l’adaptation ; sur ce point, une discussion à caractère très politique porte sur la « responsabilité historique » : les pays en développement réclament des dommages et intérêts pour deux cents ans de pollution provoquée par les pays industrialisés ; à quoi nous répondons qu’il ne faut pas oublier, pour le futur, la responsabilité de l’Inde et de la Chine, dont les émissions ne cessent d’augmenter. Le quatrième thème, enfin, est celui de la technologie : la question est surtout de savoir comment organiser la coopération afin de diffuser les nouvelles techniques, le transfert de celles-ci se heurtant aux droits de propriété intellectuelle.

Nous savons maintenant que pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, la méthode la plus simple, qui malheureusement n’a pas été utilisée suffisamment, est celle de « l’efficacité énergétique » : sur la réduction des émissions de 50 % qui est envisagée d’ici à 2050, 40 % proviendront de l’efficacité énergétique, c’est-à-dire des économies d’énergie dans la production, les bâtiments et les transports. Mais pour y parvenir, il faut envisager des aides et incitations car les investissements dans ce domaine ne sont pas immédiatement rentables. Pour le reste, la réduction des émissions sera obtenue par le développement des énergies renouvelables, par le nucléaire et par la « déforestation évitée ». La forêt est un point important des négociations puisque la déforestation compte pour 20 % des émissions de gaz à effet de serre, les arbres abattus rendant leur carbone à l’atmosphère ; apporter une rétribution pour cette déforestation évitée serait peut-être le moyen le plus rapide, et l’un des moins coûteux, de commencer à réduire les émissions.

Une technologie prometteuse fait l’objet de beaucoup de recherches : le charbon utilisé pour produire de l’électricité est de loin, à l’échelle mondiale, le premier responsable des émissions de gaz à effet de serre ; l’idée est de capturer le gaz carbonique à la sortie de la centrale à charbon et de l’injecter dans le sous-sol. Les pétroliers utilisent cette technique à échelle réduite pour accroître le rendement d’un puits de pétrole.

La négociation actuelle s’organise entre groupes.

Il y a tout d’abord les pays du G 77, essentiellement représentés par la Chine, le Brésil, l’Afrique du Sud, le Mexique, l’Inde ou encore l’Arabie saoudite, qu’il est parfois étonnant de voir parler au nom du Burkina Faso, de la Bolivie ou du Bangladesh. Manifestement, les pays les plus pauvres ne sont pas toujours d’accord avec les puissants qui les représentent et qui cherchent quelque peu à les utiliser dans la négociation ; trouver le moyen de donner aux PMA les moyens de s’exprimer est un objectif politique assez important.

Il y a ensuite, si j’ose dire, un « couple improbable » formé par les États-Unis et la Chine, chacun des deux étant obsédé par l’autre, et ne voulant avancer qu’à la condition que l’autre avance du même pas. Des conversations ont commencé, mais la Chine affiche son statut de pays en développement, où le nombre de tonnes de gaz carbonique émises par habitant et par an n’est que de 5, contre 20 aux États-Unis – ce qui ne l’empêche pas, étant donné le nombre de ses habitants, d’avoir dépassé les États-Unis dans le niveau total des émissions. Ces deux pays, pour l’instant, n’ont pas d’obligations. Les États-Unis n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto, mais l’administration Obama cherche à faire adopter une loi, qui est actuellement pendante devant le Sénat – et qui est insuffisante aux yeux des Européens.

L’Union européenne est le bon élève de la classe. C’est pour le moment le seul groupe qui respecte les engagements du Protocole du Kyoto. En son sein, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Belgique forment le quatuor le plus vertueux. Avec le paquet énergie-climat, adopté sous présidence française en décembre dernier, elle a décidé unilatéralement de réduire de 20 % ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2020.

Les pays industrialisés du G8 ont décidé cet été à L’Aquila de réduire de 80 % leurs émissions à l’horizon 2050. C’est un engagement qui pourrait permettre à la communauté internationale d’aboutir à une réduction de 50 % ; pour l’instant les autres pays n’en ont pas pris.

Au sein des pays industrialisés, à l’horizon 2020, l’Union européenne est la seule à avoir gravé des engagements dans le marbre. Le nouveau gouvernement japonais vient de fixer un objectif de réduction de 25 %, l’Australie a décidé elle aussi d’aller plus loin ; mais c’est toujours sous condition d’un accord international satisfaisant. Si un tel accord est obtenu, l’Union européenne a quant à elle décidé de passer à 30 %.

La Chine refuse pour l’instant de prendre des engagements qui seraient rendus contraignants par un accord international. Elle est néanmoins en train de devenir le premier producteur et consommateur d’énergie solaire ainsi que d’énergie éolienne. Les efforts qu’elle fait résultent de la conscience que sa croissance ne peut pas se poursuivre au même rythme en utilisant le seul charbon. On voit ainsi des vieux dirigeants du Parti communiste chinois se laisser convaincre par de jeunes diplômés de Harvard ou de Yale que la Chine pourrait être demain le champion du « bas carbone ».

Mais sur ce sujet la Chine est en compétition avec le Brésil, qui pourrait jouer un rôle important dans l’aboutissement de la négociation. S’il n’y avait pas la déforestation, le Brésil serait vertueux : l’essentiel de son électricité provient de l’hydraulique, et il s’est par ailleurs spécialisé dans la production d’éthanol à partir de la canne à sucre. Le président Lula vient d’annoncer un objectif de réduction de la déforestation de 80 % d’ici à 2020.

Les pays commencent donc à prendre des engagements nationaux, et c’est un bon début. Mais nous n’avons pas encore réussi à démontrer qu’un accord international permettrait d’agir de façon plus efficace et moins coûteuse. Nous Français préférerions qu’il n’y ait pas deux négociations parallèles, avec deux instruments juridiques différents. Nous aimerions que tout le monde se rassemble sur un même texte traduisant le principe d’une « responsabilité commune mais différenciée » devant le changement climatique.

S’agissant de notre stratégie, nous œuvrons pour un rapprochement entre les pays qui se mobilisent pour parvenir à un accord, à commencer par l’Union européenne, et ceux qui en bénéficieraient – pays les moins avancés, petites îles –, pour faire pression sur le couple Chine/États-Unis.

Une perspective très intéressante s’est ouverte avec la rencontre au Brésil des présidents Sarkozy et Lula, qui ont souhaité que leurs deux pays travaillent à une position commune pour le sommet de Copenhague. Si nous y parvenions – ce qui est très difficile puisque jusqu’à présent nous étions dans des catégories différentes –, nous pourrions créer l’événement : cela voudrait dire qu’un pays industrialisé qui est sous le régime du protocole de Kyoto et un pays émergent faisant partie du G 77 peuvent jeter un pont entre eux.

Que se passera-t-il à Copenhague ? Sans doute ne va-t-on pas aboutir à un document juridique complet. En revanche, il pourrait y avoir un accord politique entre chefs d’État – car il ne s’agit de rien de moins que de transformer l’économie mondiale – sur l’architecture du traité que les négociateurs auraient à mettre au point dans les mois suivants, ainsi que sur certains engagements chiffrés.

C’est une négociation extrêmement complexe, portant sur un sujet lui-même complexe puisque, si nous savons très bien mesurer les émissions provenant de la combustion du charbon, du gaz naturel ou du pétrole, en revanche nous avons plus de difficultés avec le carbone provenant de la végétation, de l’agriculture et de la forêt. Nous savons cependant que dans les années à venir, une transformation des pratiques agricoles pourrait jouer un rôle très important pour la capture du gaz carbonique et son maintien dans les sols. Au fur et à mesure que la science avance, la négociation évolue, toujours sur la base des prévisions du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui demande de ne pas dépasser une hausse de 2°C d’ici à la fin du siècle alors que la tendance actuelle amènerait à une hausse de 4 à 6°C.

M. le président Christian Jacob. Je vous remercie beaucoup d’avoir apporté toutes ces précisions. Nous en venons aux questions, en commençant par les représentants des groupes.

M. Jean-Paul Chanteguet. Au-delà des considérations techniques, monsieur l’ambassadeur, j’aurais aimé savoir comment vous ressentiez les choses. Ne pensez-vous pas que l’urgence climatique rejoint l’urgence sociale, et que la lutte contre le réchauffement climatique doit aller de pair avec la lutte contre la pauvreté ? Les pays pauvres affirment avec raison qu’ils ne sont pas responsables du réchauffement climatique, et il faut mettre au point des mécanismes qui n’entravent pas leur développement économique.

Concernant le financement, le Mexique a proposé une contribution nationale calculée sur la base du PIB et des émissions de gaz à effet de serre. Une autre proposition a été faite et pourrait être retenue par la France : la « taxe Tobin verte », c’est-à-dire une taxe sur les transactions financières internationales. Qu’en pensez-vous ?

Ne risque-t-on pas à Copenhague une forme de sanctuarisation du transport maritime et du transport aérien ?

Enfin, il se dit qu’il n’y aura pas d’accord global sans accord sur le financement de la lutte contre la déforestation. Quelle est votre position à ce sujet ?

M. Christophe Priou. Les engagements chiffrés n’ont pas la même signification selon la base de calcul retenue. A Kyoto, les transports aérien et maritime ne faisaient en effet pas partie du champ. De plus, il faut s’interroger sur la traduction économique de ces engagements, notamment pour nos entreprises ; par exemple, nous n’avons aujourd’hui en France aucune usine de fabrication d’éoliennes. Pouvez-vous nous apporter des précisions ?

M. Stéphane Demilly. Eu égard aux chiffres que vous avez cités, les efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre doivent venir avant tout des « principaux émetteurs ». A ce sujet, avez-vous des informations sur la rencontre entre les présidents Obama et Hu Jintao ?

Par ailleurs, sachant qu’une soixantaine d’organisations internationales s’occupent du réchauffement climatique, beaucoup de voix s’élèvent pour demander la mise en place d’une organisation mondiale de l’environnement. Ce sujet sera-t-il abordé à Copenhague ? Quelle est la position française ?

Enfin, ne pensez-vous pas que le débat sur le réchauffement climatique reste trop limité aux spécialistes et aux élus et qu’il faudrait, vis-à-vis du grand public, faire œuvre de pédagogie responsabilisante ?

M. Yves Cochet. Parallèlement aux instruments dont dispose le pouvoir politique – normes juridiques et taxes –, il existe des instruments de marché. Dans le protocole de Kyoto, on trouve les deux. C’est ainsi qu’il existe, notamment en Europe, un marché du carbone. La France semble vouloir inclure la protection des forêts dans ce marché, ce qui paraît un peu en contradiction avec une politique normative visant à protéger ces forêts. Comment évaluer correctement les émissions évitées par la non-déforestation – sachant que l’incertitude est grande sur le contenu en carbone des forêts – ? Comment faire pour que la réduction des émissions soit pérenne ? Comment ne pas provoquer un effondrement du marché du carbone, qui déjà ne fonctionne pas très bien ? Aujourd’hui, ArcelorMittal reçoit de l’argent, et il n’y a même pas de mise aux enchères…

Ma deuxième question concerne les soutiens financiers aux pays en développement. Il semble que la France ne veuille pas parler de financement avant la « stratégie de la dernière nuit » à Copenhague. Est-ce bien le cas ?

M. Brice Lalonde. Sur la question financière, se confrontent d’une part une demande politique de dommages et intérêts, formulée par une partie des pays du G 77, et une logique de financement des projets. A cet égard, il faut aider les pays en développement à se développer de manière « propre », mais ce qui relève de l’adaptation au changement climatique doit être distingué de l’investissement économique normal.

La discussion sur le financement porte à la fois sur la source de financement, sur le choix de la gouvernance et sur la destination de l’argent. Concernant la source, la France est pour la proposition mexicaine de contributions nationales, l’Union européenne également, mais le Brésil et la Chine, pour le moment, se disent contre au motif qu’ils font partie des pays en développement. La faiblesse du système est qu’il repose sur des votes annuels des Parlements, ce qui peut entraîner des variations de montant d’une année sur l’autre. La France réfléchit donc à des systèmes innovants, et en particulier à une taxe sur les transactions financières internationales. La Suisse propose pour sa part une taxe sur le baril de pétrole ou sur les émissions de gaz à effet de serre. On peut également envisager de taxer le transport – comme le fait notamment la France avec la taxe sur les billets d’avion destinée à lutter contre les pandémies –, mais il faudrait alors faire en sorte de ne pas pénaliser les petites îles.

Il n’y a pas de la part de la France de « stratégie de la dernière nuit », puisque le président Sarkozy a proposé la tenue d’un sommet avant Copenhague. S’agissant du financement, il s’agirait plutôt de nous mettre d’accord sur des mécanismes et des principes. La nécessité d’aboutir apparaît d’autant plus évidente que l’angoisse monte un peu partout : l’Inde, longtemps réticente à prendre des dispositions, craint maintenant le développement des inondations et le déplacement de la mousson ; la Chine craint de perdre 10 % de sa production alimentaire à cause du changement climatique.

Concernant le transport aérien, il est prévu – la discussion vient de commencer à Bangkok – de demander à l’Organisation maritime internationale et à l’Association internationale du transport aérien de réduire leurs émissions, en leur laissant la responsabilité des moyens pour le faire. L’idée générale est de donner un prix au carbone, ce qui revient simplement à dire qu’il est anormal de ne pas pénaliser l’usage de l’atmosphère ; cette pénalisation rend les investissements dans les énergies alternatives plus rentables. La première solution est d’instituer une taxe, la seconde est de fixer un plafond, abaissé d’année en année – c’est le système des marchés du carbone, où les quotas d’émission peuvent s’échanger. Ces marchés – qui fonctionnent bien, monsieur Cochet – existent au niveau des États et au niveau des entreprises. Les États-Unis s’apprêtent à en créer un, le Japon aussi, l’Australie également, certains États américains en ont déjà créé avec le Québec. A terme, il faudrait relier l’ensemble de ces marchés pour aboutir à un marché international.

La question de la forêt est complexe, les moteurs de la déforestation n’étant pas les mêmes d’un pays à l’autre. L’idée générale est de rentabiliser la forêt sur pied, en faisant en sorte qu’il soit financièrement plus avantageux de la garder que de la détruire pour la remplacer par autre chose. La discussion, qui a des aspects très techniques, est en cours. Il s’agirait de rétribuer les pays en développement qui conservent leur forêt.

J’en viens à la création d’une organisation mondiale de l’environnement, que la France réclame depuis longtemps. Pour l’instant, nous avons un dispositif émietté, avec des secrétariats dans diverses villes du monde ; l’idéal serait évidemment de tout regrouper. De plus, si une organisation unique était mise en place, à l’instar de l’OMC, il serait bon de lui donner des pouvoirs de contrôle. Mais pour l’instant, les pays en développement ont peur car ils craignent d’être freinés dans le développement de leur économie. Nous devons montrer que nous pouvons aider les pays les moins avancés à avoir accès à l’énergie.

Je ne suis évidemment pas dans le secret de la négociation entre les présidents Hu Jintao et Obama. On peut dire cependant qu’il y a une sorte d’accord tacite entre la Chine et les États-Unis pour ne pas se soumettre à des contraintes internationales. Néanmoins je pense que ces deux pays ne formeront pas un « G2 » : la Chine tient trop à son rôle de porte-parole du G 77.

Certains aspects de la négociation échappent aux négociateurs climat et renvoient à la géopolitique, donc à la discussion entre chefs d’État. La Russie a ainsi ratifié le protocole de Kyoto, lui permettant d’entrer en application, en échange de son entrée à l’OMC.

Mme Geneviève Gaillard. Que se passera-t-il après Copenhague ?

Quel est l’impact du sommet mondial du développement durable qui s’est tenu à Ouagadougou sur les réflexions en cours ?

Va-t-on, à Copenhague, reconnaître le rôle des municipalités, comme l’ont demandé les maires de grandes villes d’Europe et des États-Unis réunis récemment à Bruxelles ?

M. Philippe Martin. On a le sentiment que certains États, notamment la France et les États-Unis, « banalisent » d’une certaine façon le sommet de Copenhague, en n’en faisant plus le grand rendez-vous attendu. Peut-être est-ce par crainte que le résultat ne soit pas à la hauteur des espérances. Le président Obama, engagé sur d’autres fronts, notamment celui de la santé, propose une loi sur le climat peu ambitieuse. Estimez-vous, comme semble le penser M. Borloo, qu’il n’est pas si grave de faire de Copenhague le simple début d’un processus ? Faut-il considérer que les États-Unis pourraient rentrer ultérieurement dans ce processus ? Les rapports bilatéraux entre les États-Unis et la Chine ne sont-ils pas handicapants pour ces négociations ?

M. Michel Havard. Où en est-on dans le débat entre engagements internationaux et engagements nationaux ?

M. Philippe Plisson. Ce que vous nous présentez, monsieur l’ambassadeur, se situe au mieux au niveau de discussions techniques, au pire à celui de discussions de « marchands de tapis ». Va-t-on un jour élever le débat entre les pays du monde, pour l’amener sur le terrain de la recherche d’un nouveau mode de développement ?

M. Joël Giraud. Ayant participé aux négociations sur le « plan climat » pour les Alpes, j’ai pu constater la difficulté de l’exercice. Adopté à Évian en mars dernier, sous présidence française de la Convention alpine, ce plan est quelque peu resté lettre morte, malgré tous les efforts de l’ambassadeur de France délégué à l’environnement, M. Laurent Stefanini. Dans le cadre des négociations de Copenhague, ne pourrait-on remettre à l’honneur l’idée de faire des Alpes une région modèle pour la protection du climat ?

M. Pierre Lang. Permettez-moi une question à contre-courant.

On considère en général avec le GIEC que le réchauffement de la planète est lié à l’augmentation du taux de CO2 dans l’atmosphère. Pourtant certains scientifiques, notamment M. Allègre, reconnaissent l’un et l’autre mais considèrent que le lien entre les deux n’est pas démontré, d’autant que la planète a déjà connu des périodes de réchauffement. Qu’en pensez-vous ?

M. Philippe Tourtelier. La réussite de négociations est une affaire de confiance et de crédibilité. Or des engagements pris dans le passé n’ont pas été tenus – je pense par exemple à l’Objectif du millénaire sur la pauvreté.

S’agissant des financements, l’Union européenne a mis beaucoup de temps à annoncer des sommes. Maintenant qu’elle l’a fait, la question est celle du partage entre les pays. A votre avis, la position de la France, consistant à partager les sommes en fonction des émissions de gaz à effet de serre – alors que la France est très avantagée, compte tenu de la part du nucléaire et de l’hydraulique – est-elle de nature à fédérer l’Europe, ou au contraire à la diviser dans ses négociations ?

Allons-nous faire des efforts pour accroître notre crédibilité au sujet de l’aide publique au développement (APD), qui ne représente que 0,4 % de notre PIB alors que nous devrions être à 0,7 % ? Puisque nous avons une dette écologique envers les pays en développement – que nous pouvons évaluer puisque le carbone a un prix –, ne pouvons-nous considérer qu’elle vient compenser la dette de ces pays envers nous ?

Sur les transferts technologiques, et donc le problème de la protection intellectuelle, peut-on avancer ?

S’agissant de l’après-Copenhague, pense-t-on, pour commencer, à 2010, Année internationale de la biodiversité, et donc à la question des forêts et à celle des océans – dont on parle beaucoup moins que des forêts ?

Quant à la Chine, n’avait-elle pas dit qu’elle ne serait pas opposée à se contraindre sur l’intensité en carbone de son développement – ce qui serait un premier engagement international, sans plafond d’émissions – ?

Enfin, pourquoi ne défendez-vous pas l’inclusion de l’électricité dans l’assiette de la taxe carbone, qui deviendrait une contribution climat-énergie ?

M. Albert Facon. Dans ma région, le Nord-Pas-de-Calais, beaucoup d’habitants se chauffent encore au charbon. Ils n’ont pas les moyens d’isoler leur logement. Mais ils vont payer la taxe carbone… Faute de ressources, ils ne vont plus se chauffer. Ils consomment comme nous tous des produits importés de pays qui ne respectent pas les accords de Kyoto. Êtes-vous favorable à la taxation de ces produits ? Cette taxation-là ne serait-elle pas plus juste que celle que vont payer nos compatriotes ?

M. André Chassaigne. Ma question concerne les quotas carbone, dont vous ne me paraissez pas reconnaître suffisamment les effets pervers. La spéculation qu’ils entraînent est très grave. A quoi sert l’argent tiré de leur vente ? N’est-ce pas parfois à augmenter les profits de grandes entreprises ? Peut-on s’en servir pour aider les pays en développement ? Il faut approfondir ces questions.

A votre avis, quel doit être le périmètre de ces quotas ? J’ai cru comprendre qu’en Europe, ils ne concernaient que le CO2 ; or dans le protocole de Kyoto, ils portaient sur les six gaz à effet de serre. Bien évidemment, leur élargissement aurait des conséquences importantes, notamment sur l’agriculture.

Concernant le champ d’application, l’inclusion de la forêt peut avoir des effets pervers, en libérant dans certains pays des quotas qui pourraient provoquer la délocalisation de certaines productions polluantes.

Enfin, vaut-il mieux attribuer les quotas en fonction de la situation à un moment donné, ce qui pénalise les entreprises qui ont pu faire des efforts auparavant, ou à partir d’un scénario de référence ?

M. le président Christian Jacob. Je précise que nous avons décidé hier, à la suite d’une proposition de Jean-Paul Chanteguet, la création d’une mission d’information sur le marché des quotas.

M. Jean-Luc Pérat. Ne pourrait-on approfondir l’idée d’un encouragement à la reforestation, dans tous les pays où nous avons contribué à la destruction des forêts ?

Mme Françoise Branget. Pour lever les craintes de certains pays en développement, ne faudrait-il pas davantage leur présenter ces négociations de Copenhague comme une chance, leur permettant de ne pas reproduire nos erreurs ? Ne conviendrait-il pas dans le même temps de consacrer des moyens à la recherche d’un nouveau modèle de développement ?

M. Brice Lalonde. Il est vrai que nous manquons dans ces négociations d’une vision commune – c’est l’une des difficultés. Les États-nations défendent leurs intérêts au moins autant que ceux de la planète.

Y a-t-il « banalisation » de Copenhague ? L’attente populaire est considérable, comme si c’était la dernière chance de la terre, mais à nos yeux un accord politique serait déjà formidable. Il faut donc préparer l’opinion à ce qu’il n’y ait pas un traité complet.

Du reste, le changement climatique est l’affaire du siècle, et il faudra sans cesse ajuster notre action aux découvertes de la science. La difficulté est que d’un côté, nous avons intérêt à ce que les périodes d’engagement soient relativement brèves afin de tenir compte des évolutions, mais de l’autre, nous avons besoin de périodes d’engagement longues pour les investissements et les infrastructures. Par exemple, le modèle selon lequel les villes se construisent est déterminant pour la consommation future d’énergie.

Le sommet de Ouagadougou a permis d’assurer une mobilisation et de préciser les positions, mais il y a plusieurs volontaires à la représentation de l’Afrique.

La traduction concrète des engagements qui peuvent être pris à Copenhague passe par les collectivités locales et les entreprises. Ce sont donc des partenaires essentiels, qui sont toujours présents dans les délégations nationales, même s’ils n’ont pas de rôle institutionnel dans les négociations. Nous avons besoin également, bien sûr, du soutien de la population, et les préoccupations qui ont été exprimées à ce sujet sont pleinement justifiées. L’équité du système est un impératif.

Le marché est un moyen d’arriver à un objectif, ce n’est pas un but en soi. La création de marchés des permis d’émission pour les entreprises et pour les États a été jugée utile, mais le système, relativement efficace, le serait beaucoup plus si on pouvait relier tous les marchés entre eux. La Chine est quant à elle en train de créer un marché volontaire, garantie par des associations nord-américaines. On constate actuellement un foisonnement d’initiatives, qu’il faudra peut-être un jour réglementer.

Une innovation remarquable est la possibilité pour des entreprises de s’exonérer d’une partie de leurs obligations en investissant dans un pays en développement. Ce mécanisme – dit du développement propre – a été critiqué parce que les investissements se font surtout en Chine – ce qui est logique, les efforts de dépollution y étant immédiatement efficaces. La reforestation fait partie du système : on peut s’exonérer d’une partie de ses obligations de réduction en finançant de la reforestation dans un autre pays. L’Union européenne ne l’accepte pas encore, mais le protocole de Kyoto l’autorise. Si j’avais des critiques à formuler, ce ne serait donc pas sur l’existence d’un marché, mais éventuellement sur l’insuffisance de la gouvernance – car il n’y a pas de marché sans gouvernance.

Beaucoup de questions ne relèvent pas de l’ambassadeur que je suis, mais plutôt des choix politiques nationaux. Sachez que la Chine réfléchit à la mise en place d’une taxe carbone intérieure. La taxe aux frontières fait partie de nos discussions ; la position française sur ce point est maintenant partagée par Mme Merkel : nous sommes favorables à un mécanisme d’ajustement aux frontières dénommé MIC – mécanisme d’inclusion carbone –, consistant à obliger l’importateur à acheter des droits aux enchères, afin d’assurer un traitement égal des industries nationales et étrangères. Il est probable que dans quelques années, tous les produits échangés dans le commerce international devront avoir leur « carte d’identité carbone ».

Concernant les Alpes, comme ancien ministre de l’environnement, je ne peux qu’être d’accord…

Sur le caractère international ou national des engagements, les discussions se poursuivent. Il est possible que nous acceptions des engagements nationaux pour les pays émergents.

La science explique très bien pourquoi la planète a connu des périodes chaudes et des périodes froides – en fonction de la position de la Terre par rapport au Soleil. Mais personne ne peut expliquer le réchauffement auquel nous assistons autrement que par l’accroissement des gaz à effet de serre.

Concernant les financements, la position de la France est simple : nous souhaitons que la clé de répartition dans l’Union européenne soit la même que la clé internationale – soit sans doute 50 % pour la capacité à payer, c’est-à-dire le PIB par habitant, et 50 % pour la responsabilité dans les émissions.

Les Objectifs du millénaire, certes, n’ont pas été atteints, mais il est difficile de mettre dans une convention la réponse à tous les problèmes de l’humanité… Le fait que l’APD n’atteigne pas 0,7 % conduit à chercher des financements innovants. Quant à l’Europe, qui est la seule partie du monde à avoir réduit ses émissions, elle ne peut être la seule à contribuer. Les efforts doivent être partagés !

M. le président Christian Jacob. Merci beaucoup. Nous vous demanderons sans doute de revenir après le sommet de Copenhague pour présenter les résultats acquis et les suites à attendre.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 14 octobre 2009 à 10 heures

Présents. - M. Maxime Bono, M. Christophe Bouillon, Mme Françoise Branget, M. Jean-Paul Chanteguet, M. André Chassaigne, M. Yves Cochet, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Stéphane Demilly, M. Raymond Durand, M. Philippe Duron, M. Albert Facon, M. Yannick Favennec, M. Daniel Fidelin, M. André Flajolet, M. Jean-Claude Fruteau, Mme Geneviève Gaillard, M. Jean-Pierre Giran, M. Joël Giraud, M. Didier Gonzales, M. Michel Havard, M. Christian Jacob, M. Armand Jung, Mme Fabienne Labrette-Ménager, Mme Conchita Lacuey, M. Pierre Lang, M. Jean-Marc Lefranc, M. Jacques Le Nay, M. Bernard Lesterlin, M. Gérard Lorgeoux, M. Jean-Pierre Marcon, Mme Christine Marin, M. Philippe Martin, M. Philippe Meunier, M. Bertrand Pancher, M. Jean-Luc Pérat, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Martial Saddier, M. Philippe Tourtelier

Excusé. - M. Arnaud Montebourg

Assistait également à la réunion. - M. Alfred Trassy-Paillogues