Accueil > Travaux en commission > Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mardi 1er décembre 2009

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Christian Jacob Président puis de Mme Fabienne Labrette-Ménager Vice-présidente

– Audition de M. Bernard Bigot, administrateur général du commissariat à l’énergie atomique (CEA), sur les missions du CEA et les événements de Cadarache

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Bernard Bigot, administrateur général du commissariat à l’énergie atomique (CEA), sur les missions du CEA et les événements de Cadarache.

M. le président Christian Jacob. Mes chers collègues, je vous informe que l’examen en séance publique du projet de loi portant engagement national pour l’environnement – c’est-à-dire du projet de loi Grenelle II – est reporté après les élections régionales. En conséquence, les cinq ou six réunions de la commission nécessaires pour examiner les cent quatre-vingt-cinq articles de ce texte se tiendront non en décembre, mais à partir du 20 janvier. Nous commencerons par le titre IV, relatif à la biodiversité et à la mer.

Je suis heureux d’accueillir aujourd’hui M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), qui se présente pour la première fois devant la commission du développement durable. La commission a en effet souhaité auditionner tous les acteurs liés aux événements qui se sont déroulés à Cadarache sur le site de démantèlement de l’installation dite ATPu.

Nous avons ainsi entendu Mme Marie Cornets et M. Marc Sanson, tous deux commissaires de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radio-actifs (ANDRA), ainsi que Mme Agnès Buzyn et M. Jacques Repussard, respectivement présidente et directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Par ailleurs, Mme Anne Lauvergeon, PDG d’Areva sera auditionnée le 13 janvier.

Monsieur Bigot, nous souhaiterions, d’une part, que vous nous présentiez les missions générales du CEA et les moyens mis à sa disposition et, d’autre part, que vous nous fassiez connaître votre interprétation des dysfonctionnements qui ont pu se produire à Cadarache.

Sur ce dernier sujet, deux grandes questions se posent. Tout d’abord, comment comprendre l’absence de détection de la sous-estimation des déchets pendant la période d’exploitation industrielle de l’installation ATPu ? L’IRSN a indiqué que des inspections avaient déjà conduit à soulever cette question en 2000 et 2002 mais qu’aucune conséquence n’en avait été tirée.

Ensuite, pourquoi le CEA, informé dès le mois de juin 2009 par Areva mais déjà alerté sur la sous-estimation des déchets, a-t-il tant tardé à déclarer l’événement à l’ASN ?

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. Le Commissariat à l’énergie atomique est un grand organisme de recherche et de développement technologique fondé en 1945. Il intervient aujourd’hui dans trois grands domaines d’activité : défense et sécurité globale, énergies décarbonées – c’est-à-dire l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables – et technologies innovantes pour l’information et la santé. Il s’agit, dans ces trois domaines, de créer de la valeur et d’assurer le développement économique de notre pays en s’appuyant sur un socle de recherche fondamentale offrant une connaissance pointue des propriétés de la matière. Par ailleurs, en raison de la culture d’ingénierie qui caractérise le CEA, l’État lui confie la responsabilité de concevoir et d’exploiter de très grandes infrastructures de recherche, telles que le Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN).

Les missions du CEA sont donc la recherche technologique et la recherche fondamentale dans un nombre limité de domaines, pour une large part régaliens ou stratégiques pour le pays. Il agit en tant qu’opérateur de l’État sur l’ensemble de la chaîne de valeur : recherche, développement, formation et innovation. Ses objectifs majeurs, dans le domaine de la défense, sont de garantir en toutes circonstances à l’État la pérennité de la dissuasion et la sécurité nucléaire et, dans le domaine technologique, d’être reconnu par le monde industriel, sur la base de ses résultats et de ses méthodes, comme l’un des organismes de recherche technologique de premier rang en Europe.

Le CEA entretient un lien particulier avec l’État. L’administrateur général, qui exerce son autorité sur l’ensemble des directions opérationnelles et fonctionnelles de l’établissement, est en relation avec six ministères différents, mais aussi avec le Premier ministre – qui a vocation à coordonner les actions dans le domaine de l’énergie atomique, et préside à ce titre le Comité à l’énergie atomique chargé de définir et d’arrêter les grandes orientations – et avec le Président de la République, du fait de sa participation au Conseil de politique nucléaire et au Conseil de défense.

La création du Commissariat en 1945 était motivée par la volonté de tirer le meilleur parti de l’atome dans les domaines de l’industrie, de la recherche et de la défense. Par la suite, on lui a confié en totalité la responsabilité des armes de dissuasion, ce qui a entraîné la création de la DAM, la direction des applications militaires, et d’un comité mixte de pilotage associant le CEA et le ministère de la défense.

Pour maîtriser l’énergie nucléaire, qu’elle soit à finalité civile ou militaire, il faut des moyens électroniques de contrôle-commande. Dans les années cinquante, nos amis américains ayant refusé de nous livrer les technologies indispensables, les plus hautes autorités de l’État ont donc confié au CEA la tâche de développer une capacité de recherche et développement du meilleur niveau dans le domaine de la microélectronique.

Par ailleurs, l’importance des travaux sur l’utilisation de l’atome à des finalités médicales et biologiques a conduit le Commissariat à consacrer une de ses branches au développement des technologies pour la santé, notamment autour de l’imagerie médicale, du diagnostic précoce et du marquage isotopique.

Dans le nucléaire civil, le CEA a joué un rôle de soutien à l’industrie lorsque celle-ci s’est développée, tout en menant une mission active de recherche.

Enfin, la compétence de l’institution dans un certain nombre de champs tels que les matériaux ou la thermodynamique des fluides lui a permis de s’investir dans les énergies renouvelables – essentiellement l’énergie solaire –, le stockage de l’électricité, notamment à destination des véhicules, la transformation de la biomasse et la production de l’hydrogène.

Le CEA comprend neuf centres de recherche, dont quatre militaires, répartis dans sept régions. En outre, il va bientôt se voir confier la responsabilité du centre militaire de Gramat, auparavant sous la tutelle de la Direction générale de l’armement. Il dispose d’un budget annuel d’environ 3,5 milliards d’euros, dont 2,3 milliards de subventions pour service public et 1,2 milliard au titre de la défense. Le reste de son financement est obtenu au travers de contrats passés avec des agences de financement, des collectivités territoriales ou des industriels. Le Commissariat emploie plus de 15 600 salariés, auxquels il faut ajouter plus de 1 500 collaborateurs d’organismes partenaires. Ce sont donc plus de 20 000 personnes qui travaillent sur ses différents sites.

Le CEA est la source d’un flux respectable de publications scientifiques – 4 000 en 2007 – dont l’essentiel est le fruit de la recherche fondamentale, et mène une politique intense de défense de la propriété intellectuelle, en déposant chaque année plus de 500 brevets. C’est le premier déposant parmi les organismes publics et le septième en France, après les très grands déposants que sont les constructeurs automobiles ou les industriels de la cosmétologie et de la pharmacie. Une équipe d’une centaine de personnes est chargée de déposer les brevets et de valoriser les travaux scientifiques de l’établissement, ce qui se traduit par environ 1 800 accords de partenariat.

Outre la recherche fondamentale effectuée dans ses trois grands domaines de compétence, l’énergie, la défense et les technologies pour l’information et la santé, le Commissariat effectue deux missions complémentaires : l’enseignement et la diffusion des connaissances, de manière complémentaire avec les universités et les grandes écoles, et la valorisation et la diffusion technologique.

Dans le domaine des énergies, le rôle essentiel du CEA est d’assurer la pérennité de la capacité du pays à maîtriser l’énergie nucléaire, et ce, sur la totalité du cycle. En effet, en ce qui concerne la gestion du plutonium, l’incinération des déchets, la valorisation de l’uranium appauvri, nous sommes encore à mi-chemin : c’est la quatrième génération de réacteurs qui doit permettre de franchir de nouvelles étapes.

Le CEA joue également un rôle de soutien à l’industrie nucléaire, et apporte son expertise aux industriels français mais aussi, plus largement, européens et mondiaux. À cet égard, ses 70 installations nucléaires de base représentent des outils de grande valeur.

Aujourd’hui, près de 50 % de l’énergie consommée proviennent du nucléaire et de l’hydraulique, et le reste de ressources fossiles. Bien évidemment, une telle répartition n’est pas soutenable à long terme : non seulement les énergies fossiles tendent à se raréfier et à devenir plus chères, mais les rejets de gaz à effet de serre vont faire l’objet de contraintes de plus en plus sévères. La stratégie du CEA vise donc, d’une part, à développer des technologies permettant d’économiser l’énergie, afin de réduire l’intensité énergétique et, d’autre part, à utiliser au mieux les énergies renouvelables, dont la production est par nature aléatoire et intermittente, en les coordonnant de façon intelligente avec le nucléaire, qui constitue la production de base, la plus continue.

Je l’ai dit, les technologies innovantes pour l’information et la santé représentent le deuxième grand domaine de compétence du CEA, depuis la production des composants élémentaires de la microélectronique jusqu’au développement des systèmes et des logiciels, notamment à finalité industrielle.

Le troisième domaine concerne la défense et la sécurité globale. C’est le CEA qui conçoit et produit les armes de la dissuasion nucléaire mises à la disposition des autorités militaires, avant de les récupérer en fin de vie pour les démanteler et les recycler. Le Commissariat se porte garant auprès du chef de l’État du bon fonctionnement de ces équipements. Il est impliqué dans la problématique de non-prolifération et assure une surveillance pour le compte de l’Organisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Enfin, il participe à la lutte contre le terrorisme nucléaire radiologique, biologique et chimique.

J’en viens à la politique de valorisation menée par le Commissariat. Une des finalités essentielles de notre institution consiste à porter des technologies jusqu’à un niveau de démonstration de sorte que le monde de l’industrie puisse, à partir de ses résultats, développer et commercialiser des procédés. Cette valorisation de la recherche passe par trois voies principales : les partenariats avec des groupes – par exemple ST Microelectronics ou Renault –, des licences de savoir-faire propres auprès d’industriels, et la création d’entreprises.

Le CEA est par ailleurs très inséré dans le système national de recherche. Il est à la base de certaines alliances destinées à coordonner la programmation scientifique et technique dans certains champs ciblés où interviennent de nombreux acteurs publics : l’une de ces alliances concerne les sciences de la vie et de la santé, une autre a été créée dans le domaine de l’énergie, et la troisième sera consacrée aux sciences et aux technologies nucléaires. Le CEA travaille également avec l’appui des grandes agences de financement comme l’Agence nationale de la recherche (ANR), et s’insère dans les grands réseaux de recherche.

Le CEA prend en compte les exigences du développement durable, qui implique une gestion intelligente des ressources et leur préservation au bénéfice des générations futures. Ainsi, chacun de nos centres met en place des indicateurs de base permettant de mesurer la consommation d’eau, d’énergie et de fluides, la quantité de rejets, l’usage de consommables ou de produits chimiques, de façon à améliorer ses performances à cet égard. Certaines démarches sont également développées afin de réduire l’impact sur l’environnement des activités et de l’important patrimoine immobilier du CEA. Une grande partie des installations – qui s’étendent sur plusieurs millions de mètres carrés – doivent être rénovées, car elles ont été construites pendant la période comprise entre 1945 et 1960. Enfin, les centres de recherche mettent en place des plans de déplacement destinés à optimiser les trajets effectués par les employés pour rejoindre leur lieu de travail ou se déplacer entre les différents sites.

Ces enjeux nous conduisent à entretenir des relations avec les élus nationaux et locaux, les associations et le public : nous diffusons l’information dans le respect des règles de sécurité, soutenons les commissions locales d’information et participons activement aux débats publics.

Le CEA a été l’acteur principal du développement du nucléaire dans notre pays. Or certaines installations sont devenues obsolètes ; notre responsabilité est donc de les assainir – c’est-à-dire d’éliminer toute trace de radioactivité – et de les démanteler afin de permettre le retour des lieux à un usage banalisé. Il s’agit d’un énorme chantier, qui représente une dépense de l’ordre de 600 millions d’euros par an, en tenant compte des charges qui incombent à l’ANDRA pour ce qui concerne la gestion durable des déchets.

J’en viens au problème de la rétention du plutonium au sein de l’Atelier de technologie du plutonium (ATPu) de Cadarache et de sa récupération lors des opérations d’assainissement et de démantèlement.

L’ATPu est une installation nucléaire de base ayant essentiellement servi à produire du combustible à base de MOX – mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium – ou combustible destiné aux réacteurs à neutrons rapides, Phénix et Superphénix. Or les oxydes qui composent ces mélanges se présentent sous la forme d’une poudre extrêmement fine, pratiquement de l’ordre du micron. Ils sont manipulés dans des « boîtes à gants », c’est-à-dire des enceintes mesurant au moins deux mètres carrés au sol, hautes de deux à trois mètres, totalement hermétiques et maintenues en dépression. L’ATPu a été construit par le CEA sur le centre de Cadarache entre 1959 et 1962. De 1962 au début de l’année 2005, environ 340 tonnes de combustibles y ont été produites. Depuis 2005, l’exploitant a entrepris les opérations liées à la cessation définitive d’exploitation, qui ont en particulier consisté à reconditionner les rebus de fabrication, avant d’en venir à la phase de démantèlement-assainissement.

En 1991, le CEA a transféré ses activités industrielles à sa filiale Cogema, devenue Areva NC. À Cadarache, il demeure l’exploitant nucléaire titulaire de l’autorisation administrative de fonctionner, celui qui, in fine, est responsable de la sûreté et de la sécurité, mais il a délégué à Areva le rôle d’opérateur industriel. C’est donc cette société qui mène les opérations dans le cadre du référentiel de sûreté. Elle effectue le contrôle de premier niveau, c’est-à-dire qu’elle doit vérifier en permanence la bonne exécution de ce référentiel et signaler à l’exploitant un éventuel écart. Le CEA, en tant qu’exploitant, effectue le contrôle de deuxième niveau et assume les relations avec les autorités et l’information du public.

Le processus de production de combustible est le suivant : les oxydes d’uranium et de plutonium en poudre sont mélangés avec des « rebuts » de pastilles de MOX. Ce mélange primaire est dilué pour obtenir la teneur en plutonium recherchée – entre 10 et 30 % – puis réduit en pastilles. Celles-ci sont cuites – c’est le frittage – puis rectifiées afin d’avoir le diamètre requis, et enfin introduites dans des tubes métalliques. Ces pastilles sont donc des céramiques, c’est-à-dire qu’elles sont le produit d’une poudre qui, après compression et chauffage, est transformée en un solide dont les propriétés mécaniques et thermiques sont particulièrement intéressantes.

Un procédé de cette nature est soumis à la fois à des exigences de sûreté et de sécurité. La sûreté, tout d’abord : le risque majeur, ici, est le risque de criticité, car les matières en cause – uranium 235 ou plutonium 239 – peuvent se fissionner. Cette réaction nucléaire peut être induite par la rencontre avec un neutron, mais elle peut également se produire spontanément si la concentration de matière est suffisamment importante. Même si la réaction en chaîne n’est pas de nature explosive, elle produit des rayonnements ionisants qui peuvent être dangereux pour le personnel.

Pour prévenir le risque de criticité, il convient donc de respecter certaines dispositions visant à maîtriser les quantités de matières fissiles et les quantités d’eau contenues dans les postes de travail – car l’eau est un « modérateur » neutronique susceptible de faciliter la réaction nucléaire. La géométrie des matières fissiles est également un critère important : alors que le risque de criticité est très faible avec des matières dispersées, il est plus important lorsqu’elles sont concentrées, même en faible quantité.

Le risque de contamination est le deuxième élément à prendre en compte du point de vue de la sûreté. Le plutonium 239 est un radionucléide émetteur de particules alpha, qui ne sont pas extrêmement dangereuses, mais d’autres isotopes sont plus radioactifs et émettent des rayonnements gamma. Il faut donc confiner ces matières, ce qui explique l’usage des « boîtes à gants ».

L’instance qui se porte garante du bon respect des règles de sûreté est l’ASN, l’Autorité de sûreté nucléaire.

Mais il convient également de veiller à la sécurité des matières nucléaires, c’est-à-dire de se protéger contre leur détournement à des fins malveillantes. Dans ce but, les matières sont confinées et surveillées. Leur protection physique est assurée de façon à prévenir toute tentative d’intrusion ou de vol. Enfin, il faut en assurer la comptabilité, de façon à pouvoir démontrer à tout moment aux autorités gouvernementales – voire internationales – qu’aucun détournement n’a eu lieu. C’est le haut fonctionnaire de défense et de sécurité qui en a la responsabilité.

Vous m’avez demandé si le problème de rétention de plutonium au sein de l’ATPu était connu de longue date et si des dispositions particulières avaient été prises pour y remédier. Dès la conception de l’installation, le CEA avait conscience que des matières pourraient rester en rétention. En effet, ces matières transitent par toute sorte d’équipements : convoyeurs, compacteurs, fours, tamiseurs, etc. Elles sont également manipulées à l’intérieur de « boîtes à gants » maintenues en dépression. Dès lors, des particules, de petits copeaux, peuvent tomber au fond des boîtes ou demeurer en rétention dans telle ou telle installation. Pour les récupérer, des nettoyages sont effectués régulièrement à l’aide d’aspirateurs. Mais compte tenu de la conception des boîtes, qui datent de 1962, certaines zones demeurent inaccessibles au regard comme aux instruments de nettoyage. C’est pourquoi on savait dès le départ que des matières seraient retenues.

L’important était donc d’apprécier les quantités de matières en rétention, en effectuant une pesée lors de chaque entrée et de chaque sortie de matière. Toutefois, aucune mesure physique ne pouvant être réalisée avec une certitude absolue, il était difficile d’évaluer de façon exacte d’éventuels écarts, surtout s’agissant de matières différentes – oxyde de plutonium et oxyde d’uranium à l’entrée, mélange primaire à la sortie. Les balances les plus précises utilisées pendant le processus de production mesurent avec une précision de 0,02 %. Sachant qu’à certaines étapes, la pesée concerne 60 ou 80 kilos de matière, il peut en résulter une incertitude portant sur plusieurs dizaines de grammes. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’un opérateur pensait avoir laissé échapper une quantité de matière, ou s’il estimait qu’une certaine opération avait entraîné un dépôt, il en faisait la déclaration à l’aide d’un logiciel nommé Concerto, du même type que ceux utilisés dans l’industrie pharmaceutique. C’est ainsi qu’un bilan des quantités d’oxyde de plutonium en rétention a pu être effectué à la fin de l’exploitation, sachant que, sur les 450 boîtes composant la chaîne de production, seulement une fraction d’entre elles étaient susceptibles de contenir une quantité importante de matière, les autres demeurant plus accessibles.

Lors du passage de la phase d’exploitation à celle de démantèlement, nous savions qu’il existait une probabilité non négligeable que les estimations réalisées à l’aide du logiciel Concerto soient inférieures à la quantité réelle de matière en rétention. C’est la raison pour laquelle un premier lot de « boîtes à gants » a été assaini et démantelé dès 2008. À cette occasion, nous avons constaté que la matière effectivement récupérée était entre deux et trois fois plus importante que ce que les opérateurs avaient déclaré. Cela étant, cet écart ne signifie pas qu’il y ait eu danger, car les marges de sécurité étaient beaucoup plus importantes. Ainsi, l’IRSN a calculé que le risque de criticité dans les boîtes, compte tenu de la dispersion des matières, était de l’ordre de 140 kilos de plutonium – contre seulement quelques kilos dans le cas où ces matières se seraient présentées sous une forme proche de la sphère. Cependant, l’existence d’un écart impliquait la mise en place de dispositions destinées à prévenir tout risque supplémentaire, ce dont a tenu compte l’autorisation qui nous a été donnée au mois de mars 2009.

Le travail d’assainissement et de démantèlement a repris, en se concentrant sur les boîtes les plus chargées. Alors que l’on estimait à 8 kilos la quantité de matières en rétention, Areva nous a informés dès le mois de juin que la quantité effectivement récupérée atteignait 20 kilos. Même si nous restions, de notre point de vue, dans le cadre du référentiel de sûreté qui avait été imposé – en l’occurrence, le référentiel d’exploitation, car l’ASN ne nous a transmis le référentiel d’assainissement-démantèlement que le 1er juillet 2009 –, le personnel du centre a téléphoné au service local de l’ASN afin de signaler l’écart constaté, attendant de consolider les résultats avant de faire une déclaration. Début octobre, j’ai été informé que les quantités effectivement récupérées atteignaient 22 kilos et que l’on estimait à une quarantaine de kilos la quantité totale de matières retenues à l’intérieur de la chaîne de production. J’ai donc demandé à mes collaborateurs de préparer une déclaration d’événement significatif.

À aucun moment, j’insiste, nous ne nous sommes trouvés dans une logique d’incident ou de risque d’accident qui m’aurait donné l’obligation absolue d’effectuer une déclaration, conformément à la loi sur la transparence et la sûreté nucléaire. De même, nous n’avons jamais été en écart avec le référentiel de sûreté qui nous avait été donné. Toutefois, la culture de sûreté nucléaire conduit à ce que chaque écart par rapport aux prévisions donne lieu à une déclaration à l’ASN de façon à faciliter le retour d’expérience. En l’espèce, la question se posait de savoir s’il fallait concevoir différemment les « boîtes à gants », ou s’il existerait un moyen d’obtenir une estimation plus fine des matières retenues, par exemple par des moyens spectrométriques. Ce ne serait toutefois pas simple, car le plutonium n’émet qu’un rayonnement alpha, dont la pénétration dans l’air n’est que de quelques centimètres. Ce n’est que lorsqu’il commence à se dégrader en américium que les mesures peuvent se faire plus précises.

Un autre type de retour d’expérience est la constatation de certaines lacunes dans la réaction du CEA. Ainsi, il y a eu défaut de « traçabilité » vis-à-vis de l’Autorité de sûreté : la découverte d’une sous-estimation de la quantité de matières en rétention a fait l’objet d’un appel téléphonique, mais pas d’un enregistrement écrit. Il en est de même pour la traçabilité en interne, puisque je n’ai été informé que le 9 octobre. En tant que responsable de premier rang de la sécurité et de la sûreté au sein du CEA, j’aurais souhaité que la transmission d’information soit plus directe.

Nous avons pris en compte dès le début l’augmentation de la quantité de matière. L’ASN et l’IRSN ont confirmé qu’à aucun moment celle-ci n’avait présenté de danger. L’ASN l’a fait dans une déclaration publique le 16 octobre, et lorsque, quelques jours plus tard, à l’occasion du cinquantenaire du CEA de Cadarache, je lui ai demandé l’autorisation d’introduire des journalistes dans l’installation, celle-ci m’a été accordée, ce qui prouve qu’il n’y avait pas le moindre danger.

Le CEA a fait l’objet d’accusations stupides. Nous n’avons fait qu’assumer notre responsabilité. L’IRSN, le haut fonctionnaire de défense et Euratom ont inspecté le site entre le 17 juin, à l’occasion de la première consolidation, et le 6 octobre. Le CEA n’a jamais rien caché. D’ailleurs, quel intérêt aurait-il eu à le faire ?

M. le président Christian Jacob. Pourquoi le CEA a-t-il autant tardé à faire une déclaration ? Les responsables de l’IRSN ont déclaré ici même qu’ils ne savaient pas évaluer la criticité à 100 %, et ceux de l’ASN se demandent pourquoi vous avez attendu le mois d’octobre pour transmettre une information connue depuis juillet.

M. Christophe Priou. Comme dans l’industrie automobile – Renault a fait le choix du moteur électrique et PSA développe le projet Peugeot Hydrogène – le cœur de métier du CEA se diversifie en direction des énergies renouvelables. A-t-il déjà défini ses priorités ?

Mme Geneviève Fioraso. Quand serons-nous capables de choisir, dans le cadre des marchés publics, des panneaux photovoltaïques solaires français plutôt que chinois, sachant les efforts que nous engageons, tant en amont dans la recherche qu’en aval, par le biais de dispositions fiscales incitatives ? Quand sera mise en place une filière complète ?

Je suis convaincue par votre démonstration, mais il s’agit de questions complexes qu’il faudrait présenter plus simplement. Comment peut-on développer l’éducation scientifique et l’information de nos concitoyens sur ces questions tout aussi complexes que les nanotechnologies – qui leur font encore plus peur que le nucléaire ? Un organisme comme le vôtre peut-il organiser sa communication de façon plus efficace ?

M. Christophe Bouillon. Sans nier l’excellence, reconnue à travers le monde, de l’organisme que vous représentez, l’incident de Cadarache m’amène à vous poser quelques questions.

La convention de 1997, relative à la gestion des déchets radioactifs et des combustibles usés, est-elle toujours d’actualité et à quelles obligations contraint-elle le CEA ?

L’un de vos prédécesseurs, entre 2006 et 2008, a mis en place un plan destiné à renforcer l’expertise des sites nucléaires – dont vous avez, au demeurant, souligné la difficulté. Avez-vous renouvelé ce plan ?

Vous évoquez la complexité de définir un seuil de criticité. Dans un communiqué du 25 octobre, vous fixiez ce seuil à 184 kilos d’uranium. Cette quantité est-elle un modèle mathématique ou est-elle dictée par les mesures effectuées sur les premières « boîtes à gants », sachant que le référentiel qui se met en place à partir de cette quantité met en œuvre des mesures de sécurité spécifiques pour les salariés qui procèdent aux manipulations ?

Vous nous indiquez par ailleurs que l’incertitude est évaluée avec une précision de 0,02 %. Vous comprendrez notre étonnement, car passer de 8 à 40 kilos, ce n’est pas négligeable. Sur 325 « boîtes à gants », combien ont été manipulées dans le cadre de l’opération d’assainissement en cours ? Vous nous avez rassurés sur les conditions qui définissent la criticité, mais les élus et la population ont tout de même été surpris. Le constat a été établi en juin, mais la déclaration du CEA n’est intervenue que le 9 octobre. Vous dites que le retour d’expérience vous a été utile : un protocole particulier a-t-il été mis en place ?

Enfin, votre participation dans le domaine de la recherche et de l’innovation est remarquable, en témoignent vos interventions dans des pôles de compétitivité et auprès de l’Agence nationale de la recherche et de l’Agence de l’innovation industrielle. Vous évoquez souvent la création d’un réacteur nucléaire de quatrième génération. À quel horizon sera-t-il mis en œuvre ? Je viens de la région où l’EPR de Penly a été construit et je me demande s’il n’aurait pas été préférable, au lieu de construire un réacteur de troisième génération, d’attendre la quatrième génération, connaissant la durée du cycle d’une installation nucléaire ?

M. Stéphane Demilly. Je reviens sur les fonds dédiés par le CEA au démantèlement des installations. Aux termes de la loi de juin 2006, le CEA devrait affecter des fonds à la couverture de charge d’ici à juin 2011. La presse indique que, la crise boursière ayant entraîné la dévalorisation de certains actifs financiers provisionnés à cet effet, le CEA aura du mal à faire face à ses obligations.

Le CEA est l’un des fondateurs de l’Institut national de l’énergie solaire, qui est le pôle d’excellence français en la matière. Comment voyez-vous l’avenir de l’énergie photovoltaïque ?

Enfin, je suis moi aussi stupéfait que l’on puisse passer de 8 à 40 kilos. En tant que manager du CEA, vous dites n’avoir été avisé que le 9 octobre. Avez-vous pris des mesures pour être avisé plus rapidement la prochaine fois ?

M. François-Michel Gonnot. Le Président de la République a annoncé il y a quelques mois la création d’un commissariat aux énergies renouvelables. J’ai l’impression qu’il existe depuis un certain temps et qu’il s’appelle le CEAEN – Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables. Si cette création n’a pas été abandonnée, vous a-t-on demandé de la piloter, étant entendu qu’un commissariat est à la fois un acteur de la recherche et un acteur industriel ?

Il semble que nous cherchions un pilote pour l’énergie nucléaire en France. Quel est l’avis de l’ancien Haut commissaire, devenu administrateur général du CEA, sur cette nomination ?

Mme Françoise Branget. À entendre les commissaires de l’ASN et l’IRSN, il semble que l’incident de Cadarache ait provoqué un excès d’affolement et de médiatisation. Vous souhaitez quant à vous le minimiser, en affirmant que le seuil de criticité n’a jamais été atteint. Mais d’autres démantèlements sont-ils prévus ? Combien notre pays compte-t-il de « boîtes à gants » du même genre ? Combien de kilos de plutonium ont-ils échappé à la comptabilité ?

Existe-t-il une volonté politique de développer des énergies alternatives et quels sont les budgets dédiés à l’innovation technologique ?

Mme Fabienne Labrette-Ménager. Le CEA compte neuf centres de recherche en France, qui travaillent sur les énergies bicarbonées et les énergies du futur. Est-ce raisonnable, sachant que dans quelques jours, à Copenhague, se réuniront tous les pays du monde et que les pays européens travailleront ensemble sur ces questions ? Ne serait-il pas plus intéressant de disposer d’une expertise au niveau européen ? Comment travaillez-vous avec vos collègues européens pour promouvoir dans ces domaines une vraie recherche européenne ?

M. Jean-Luc Pérat. Comment le CEA se situe-t-il par rapport à cette stratégie européenne ? Votre présentation est en effet très impressionnante : il faudrait peut-être la simplifier pour les béotiens que nous sommes.

En tant qu’élu d’une zone frontalière, je voudrais vous exprimer mon inquiétude par rapport aux déchets nucléaires qui partent d’Allemagne pour se rendre à Gravelines. Les populations et les élus des zones frontalières sont perturbés, car ils manquent de communication sur le sujet.

M. Bernard Bigot. Si nous avons attendu aussi longtemps avant de communiquer, c’est que les matières retenues existaient depuis longtemps dans le référentiel de sûreté. Pour des acteurs nucléaires responsables, il n’y avait là rien d’inquiétant.

Les commentateurs ont perdu le sens de la mesure. Vous faites référence au 17 juin, mais nous aurions pu aussi bien communiquer dès 2008, lorsque nous avons constaté, en démontant la première boîte, que les matières étaient deux à trois plus importantes que prévu ! L’ASN ne nous avait pourtant pas demandé de déclarer quoi que ce soit. La déclaration n’est nécessaire que si le référentiel de sûreté n’a pas été respecté. Le CEA ne n’est donc pas trouvé devant la nécessité réglementaire de faire une déclaration. Pensez-vous que nous aurions dû faire une déclaration pour chaque boîte à gants ? Le retour d’expérience nous montre l’incompréhension que cet incident a provoquée – nous avions « retrouvé » 22 kilos de plutonium : c’était la catastrophe la plus sérieuse depuis Tchernobyl…

Les technologies modernes sont complexes. Le CEA fait des efforts significatifs pour diffuser une information accessible. Mes propos vous ont sans doute paru complexes, mais les personnes qui me rendent visite jugent souvent les brochures du CEA remarquables et explicites. Si nos concitoyens ne font pas un minimum d’efforts pour connaître les rudiments de ces technologies, tout peut leur sembler effrayant, surtout si quelques bons apôtres s’amusent à présenter la moindre difficulté comme la catastrophe du siècle. En mars 2009, lorsque nous avons commencé à démanteler dans le cadre du nouveau référentiel, nous avons constaté qu’une première boîte contenait 10 kilos de plutonium, au lieu de 2 – mais je rappelle que la limite est fixée à treize kilos, et que la marge est quant à elle dix fois supérieure ! Les personnels du CEA ont eu la conviction qu’ils se trouvaient devant un schéma classique.

La déclaration n’était sans doute pas suffisamment explicite, mais il aurait sans doute été plus judicieux de décider de son opportunité avec l’ASN, d’autant que la même semaine, on apprenait dans une émission d’Arte que la France exportait ses déchets en Russie. En réalité, il s’agit d’uranium de retraitement – qui entre dans la composition de notre sol et qui désormais, dans le monde entier, appartient à l’enrichisseur. Si nous l’exportons en Russie, c’est parce que nous menons une politique de recyclage mais que nous ne disposons pas, en France, des installations correspondantes. Je vous rappelle que l’uranium de retraitement contient 1,2 % d’uranium 235, tandis que le minerai naturel n’en contient que 0,7 %. Nous avons donc intérêt à récupérer cette matière, d’autant que le prix de l’uranium est très élevé.

Le CEA se veut transparent, c’est pourquoi nous n’avons pas hésité à faire une déclaration. Notre travail d’assainissement et de démantèlement ne faisant que commencer, nous retrouverons forcément, un jour ou l’autre, de tels écarts. Les installations ont été conçues dans les années 1950-1960. Depuis, nous avons bénéficié d’un formidable retour d’expérience et les exigences de sûreté ont été renforcées. Nous allons encore progresser – et la France est sans doute le premier pays à s’engager dans cette voie. Nous le ferons avec une juste compréhension des risques et de façon progressive. Les matières étant dispersées dans les boîtes, les personnels ont dû opérer par prélèvements de 200 grammes. Nous n’avons introduit de modérateur que lorsque nous avons eu la certitude que les boîtes ne contenaient plus rien. Je ne minimise pas le danger : j’essaie de vous faire partager ma conviction que nous avons été confrontés à un processus sinon normal, tout au moins régulier.

S’agissant de l’énergie photovoltaïque, je suis convaincu que notre pays a intérêt à tirer bénéfice de l’ensoleillement qui est le sien. Nous sommes dans une situation absurde : la France – et vous-mêmes, les parlementaires – a incité les Français à développer l’implantation du photovoltaïque. Or, que font nos concitoyens ? Ils se précipitent sur les produits bas de gamme en provenance de Chine, qui n’offrent pas du tout les mêmes garanties de viabilité et dont les performances sont médiocres puisqu’ils permettent de récupérer entre 12 et 13 % de l’énergie – et je voudrais bien savoir comment ils vieilliront – alors que les panneaux français sont garantis trente ans et offrent des rendements très supérieurs. Nous assistons à un paradoxe incroyable : les subventions accordées par l’État aux particuliers servent à nourrir l’industrie chinoise, qui produit ses panneaux solaires à partir d’électricité issue pour 90 % du charbon. Lorsque vous installez un panneau solaire en France, vous rejetez plus de CO2 que si vous aviez brûlé le charbon local !

Je souhaite que nous mettions en place une régulation qui ne serait discriminante pour personne et qui consisterait à demander aux utilisateurs de faire la démonstration que leur panneau solaire ne produit pas plus de CO2 qu’il ne pourrait en épargner. Vous verrez, cela permettra de faire le tri. Mais il faut savoir que les Allemands achètent des produits allemands, beaucoup plus chers que les produits chinois, tandis que les Français achètent les produits les moins chers. Mais peut-être manquent-ils tout simplement d’information : à nous de développer notre communication.

Je pense pour ma part que notre pays a intérêt à développer l’énergie solaire et photovoltaïque, mais pas n’importe comment. Aujourd’hui, l’électricité produite par le solaire est rachetée par EDF, à un prix compris entre cinq et douze fois le coût de production de base. Si c’est seulement 0,1 % de l’énergie électrique qui est produite par le solaire, cela ne renchérit le prix de l’électricité que de 1,2 % mais, lorsque nous passerons à 10 %, ce prix augmentera de 120 %, ce qui portera préjudice à l’économie française et au porte-monnaie de nos concitoyens. Cela mérite que nous engagions une vraie politique sur ces questions. Je pense pour ma part qu’il n’y a aucune raison d’injecter les électrons issus des panneaux solaires dans le réseau. Ce qui est produit localement doit être consommé localement. Dans notre pays, très dispersé du point de vue des ressources électriques – je pense aux barrages des Alpes, des Pyrénées et du Massif Central, ou aux centrales nucléaires –, seulement 4 % de l’électricité se perd dans l’atmosphère – c’est le fameux effet Joule : lorsqu’on transporte de l’électricité dans un conducteur qui n’est pas supraconducteur, celle-ci se dissipe. Injecter de l’énergie solaire – dont le rendement est déjà modeste – dans le circuit, le territoire étant très dispersé, nécessite énormément de câblerie. Si les éoliennes sont situées le long des autoroutes, c’est parce que les câbles électriques s’y trouvent aussi. Si elles étaient dispersées sur le territoire, le transport consommerait une large fraction de l’énergie produite. Nous devons nous engager dans le développement du photovoltaïque, mais de manière rationnelle.

L’énergie solaire, pas plus que l’éolienne, ne pourra assurer la totalité de la production électrique nationale, pour une raison simple : elle est intermittente, aléatoire et dispersée, alors que nos besoins de base sont constants. Vous accommoderez-vous de voir votre ordinateur ou votre télévision s’éteindre dès qu’un nuage passe sur le premier panneau solaire ? Non. J’ai la conviction – et c’est la stratégie du CEA – qu’il faut coupler le nucléaire aux énergies renouvelables. Voilà les vrais enjeux des énergies renouvelables : il importe d’en tirer le meilleur parti, en développant un réseau de distribution intelligent et en améliorant la capacité de stockage de l’énergie électrique. C’est pourquoi le CEA privilégie la production d’énergie solaire locale, gérée de façon intelligente, pour compléter l’électricité produite par le nucléaire – au lieu de renvoyer les électrons particuliers sur le réseau général sans aucun bénéfice.

M. le président Christian Jacob. Il faut tenir compte des difficultés de stockage de l’électricité !

M. Bernard Bigot. Monsieur le président, la stratégie du CEA est simple : nous devons réduire de 50 % notre consommation d’énergies fossiles à l’horizon de vingt ans, trente ans au maximum. Pour cela, il faut tout d’abord développer la voiture électrique, car le moteur électrique a un rendement six fois supérieur au moteur thermique. Les 36 millions de véhicules – utilitaires et particuliers – en circulation aujourd’hui en France correspondent à une consommation de 9 gigawatts de puissance instantanée – ce qui représente 15 % de notre parc nucléaire ! Nous sommes capables de stocker de manière intelligente une fraction non négligeable de l’électricité. Grâce à une puce électronique placée sur la batterie branchée sur le réseau, le gestionnaire général du réseau connaît le taux de charge de la batterie. Il peut savoir également dans combien de temps l’utilisateur veut récupérer sa voiture, ce qui lui permet de mettre en place une file de priorité.

Nous pouvons même aller plus loin : supposons que votre voiture soit à l’arrêt, parce que vous êtes au bureau. Si un pic de demande survient, nous irons rechercher l’électricité dans votre batterie !

La deuxième technique permettant de stocker l’électricité consiste à transformer la biomasse en hydrocarbure. Nous allons refaire en quelques heures ce que la nature a fait, à l’échelle géologique, en quelques centaines de millions d’années. La biomasse est une réserve de carbohydrates, à savoir une chaîne carbonée sur laquelle sont implantés des greffages contenant de l’oxygène ; l’hydrocarbure – comme le pétrole et le kérosène – est une chaîne carbonée qui contient uniquement de l’hydrogène. Il faut donc substituer de l’hydrogène aux atomes d’oxygène. Les chimistes ne savent pas le faire spontanément, mais avec une phase intermédiaire qui consiste à décomposer la chaîne hydrocarbonée pour la gazéifier en formulant un mélange de monoxyde de carbone et d’hydrogène, malheureusement dans des proportions ne permettant pas de produire de l’hydrocarbure. Il faut donc ajouter de l’hydrogène.

La proposition du CEA consiste à produire cet hydrogène par la décomposition de l’eau, obtenue par électrolyse. En ajoutant l’hydrogène à la biomasse – mélange gazeux, monoxyde de carbone et hydrogène – nous produirons des hydrocarbures. La biomasse ne présente aucun problème de stockage, pas plus que les hydrocarbures.

Je le répète, je suis favorable aux véhicules électriques, mais ce n’est pas demain que les avions voleront avec des batteries. Nous aurons toujours besoin d’hydrocarbures, mais ils ne proviendront plus de l’énergie fossile : ils seront produits à partir de la biomasse. Le bilan carbone de la biomasse sera nul, surtout si celle-ci est produite à partir de l’énergie électrique, d’origine nucléaire ou renouvelable.

En matière de communication, nous essayons de faire au mieux. Au lendemain du déferlement médiatique provoqué par l’incident de Cadarache, j’ai organisé une conférence de presse, en présence d’une quarantaine de journalistes. Pas un seul article de presse n’en a fait mention !

M. le président Christian Jacob. Permettez-moi, monsieur l’administrateur général, de regretter que cette audition n’ait pas été ouverte aux journalistes. Je souhaite, pour ma part, que les auditions soient publiques.

M. Bernard Bigot. Ce que je vous dis ici, je suis prêt à le dire publiquement. Peut-être y a-t-il eu une incompréhension.

L’un d’entre vous a fait allusion à la convention de 1997. Notre référentiel, au CEA, est la loi de juin 2006. Par ailleurs, nous avons développé un corps d’experts – seniors, internationaux et juniors – dont la mission est de présenter les travaux du CEA le plus clairement possible.

Je comprends votre surprise : au lieu des 8 kilos de plutonium attendus, nous en avons trouvé 40. Mais j’ai parlé de 340 tonnes de combustible et nous avons traité 50 tonnes de plutonium. Entre 8 et 40 kilos, c’est du dix moins cinq. Je mets au défi quiconque d’obtenir une précision de l’ordre du 1/100 000e ! Vous auriez préféré que l’on vous annonce 200 kilos d’emblée : ce n’est pas la culture du CEA. Les personnels ont réagi avec la plus grande sincérité en décrivant les faits tels qu’ils se sont produits. La plus grande partie des particules, de taille micronique, était déposée sur les vitres. Je rappelle que la densité du plutonium est de 16 – 16 kilos de plutonium tiennent dans un litre.

M. le président Christian Jacob. Mais il ne s’agit pas de particules inoffensives !

M. Bernard Bigot. Ne vous angoissez pas : le plutonium n’est pas diabolique, nous pouvons le tenir dans la main – mis à part le plutonium 239, le plus pur. Tout becquerel n’est pas mortel, d’ailleurs chacun d’entre vous émet 8 000 becquerels !

Pourquoi un réacteur de quatrième génération ? Généralement, les générations de réacteurs se succèdent, mais cette fois, la quatrième génération sera parallèle à la troisième génération et, à mon avis, ce réacteur ne pourra pas être industrialisé avant 2040. Vous le savez sans doute, la loi de 2006 a chargé le CEA de mettre en place un démonstrateur en 2020. Nous y travaillons. Nous rendrons compte aux parlementaires de l’avancée des travaux et, en 2012, nous leur proposerons de faire un choix entre les différentes technologies possibles, en espérant qu’ils décideront de construire vers 2015 ou 2016 un réacteur de démonstration, qui sera opérationnel en 2020 ou 2022 et industrialisé après dix ou quinze ans de retour d’expérience. Je suis heureux de constater que le Gouvernement apporte son soutien à ce projet, et que la commission chargée de travailler sur le grand emprunt, présidée par deux anciens Premiers ministres, en a acté le financement, qui s’élève à près d’un milliard d’euros.

Pourquoi y a-t-il deux générations en parallèle ? Les réacteurs de quatrième génération étant plus complexes et nécessitant une certaine quantité de plutonium pour fonctionner, nous ne pourrons pas passer d’une génération à l’autre du jour au lendemain. Il faudra donc y aller progressivement.

C’est l’une des raisons pour lesquelles nous devions construire la centrale de Penly, outre le fait que rien ne garantit, malgré toutes les précautions prises, qu’il n’y aura jamais de problème avec l’un des cinquante-huit réacteurs nucléaires en service en France. Notre culture de la sûreté nous imposerait d’arrêter le réacteur concerné, ce qui nous ferait perdre près d’un soixantième de notre potentiel. Comme nous ne pouvons guère nous le permettre, il convient d’adopter un certain nombre de précautions.

Nous aurons, en outre, besoin de produire plus d’électricité pour faire face au développement des véhicules électriques. Quand nous avons lancé la construction de la centrale de Penly, certains ont crié au scandale, prétendant qu’il y avait déjà suffisamment d’énergie électrique dans ce pays. Ces mêmes personnes demandent aujourd’hui d’où viendra l’électricité nécessaire pour les véhicules de demain, ce qui ne manque pas de sel. Sachant qu’il faut au moins six ou sept ans pour construire un réacteur nucléaire, il n’est pas trop tôt pour agir.

M. le président Christian Jacob. Je dois impérativement m’absenter. Cette réunion – fort intéressante et qui pourrait être prolongée ultérieurement par d’autres auditions afin de revenir sur tel ou tel point particulier, comme le développement des énergies renouvelables – va se poursuivre sous la présidence de Fabienne Labrette-Ménager.

(Mme Fabienne Labrette-Ménager remplace M. Christian Jacob à la présidence de la Commission.)

M. Bernard Bigot. En ce qui concerne les fonds dédiés aux opérations de démantèlement, un problème pourrait résulter de l’absence de liquidité des actions d’AREVA détenues par le CEA. La seule indication que je peux vous donner, pour le moment, est que le Gouvernement a pris l’engagement solennel de trouver une solution pour que nous puissions remplir nos obligations. Divers mécanismes sont envisageables, notamment le rachat de ces actions par d’autres acteurs publics, ce qui nous permettrait de remplacer ces titres par d’autres.

Je ne suis naturellement pas très heureux de ce qui s’est passé dans l’affaire de Cadarache : je considère qu’il y a eu, dans un premier temps, une erreur d’appréciation en matière de communication, objet de la plupart des critiques. Mais ce n’est pas une raison pour « couper des têtes » : j’assume, en tant que manager, la responsabilité de tout ce qui s’est passé et j’en déduis nous devons continuer à progresser. Je pense, en outre, qu’il vaut mieux garder la tête froide  quand on travaille dans le domaine du nucléaire, au lieu de se répandre en commentaires dans la presse.

J’en viens à la question portant sur la création d’un Commissariat aux énergies renouvelables. Lors de sa visite sur le site de l’Institut national de l’énergie solaire (INES), le Président de la République nous a demandé de porter nos efforts aussi bien sur l’énergie nucléaire que sur les énergies renouvelables, et il a suggéré que nous changions de nom dans cette perspective. Comme je l’ai indiqué dans la réponse que je lui ai adressée, il me semble en effet judicieux de mieux accorder notre nom aux missions que nous réalisons. À l’issue d’une enquête réalisée au sein du CEA, mais aussi en externe, j’ai proposé de conserver le terme de « commissariat », qui correspond à une longue tradition et aux missions régaliennes qui nous sont confiées, de mettre au pluriel le terme « énergie », et de remplacer « atomique » par « d’avenir » ou « de l’avenir ». Le CEA deviendrait ainsi le Commissariat aux énergies d’avenir, ou de l’avenir, ce qui nous permettrait de ne pas changer de sigle. Cela étant, je reste ouvert à toute suggestion.

Si l’on confie au CEA des missions nouvelles en matière d’énergies renouvelables, ce n’est pas en vertu d’un quelconque droit divin, mais parce que personne d’autre que nous n’a obtenu de véritables résultats dans ce domaine. Cela fait trente ans, par exemple, qu’il y a des recherches sur l’énergie solaire, mais il a fallu attendre que le CEA prenne le dossier à bras-le-corps pour faire avancer le transfert industriel et technologique.

En ce qui concerne le développement du nucléaire, je rappelle que la France a dû faire face à des problèmes énergétiques plus tôt que d’autres pays. De 1830 à 1960, notre croissance a reposé, pour l’essentiel, sur des énergies fossiles dont nous avons dû nous passer par la suite – le charbon, mais surtout le pétrole et le gaz dont nous disposions grâce aux territoires alors sous notre contrôle, en particulier l’Algérie. Lorsque la situation a changé dans les années soixante, nous avons eu l’intelligence de nous demander si nous pouvions accepter de dépendre uniquement des importations. Nous avons fait le saut du nucléaire, et je suis convaincu que le monde entier devra bientôt en faire autant.

Dans un premier temps, il s’agit de produire de l’électricité grâce à la fission de l’atome, mais j’ose espérer que nous pourrons ensuite recourir à la fusion. C’est l’objet du projet ITER, qui consiste à essayer de reproduire sur la Terre les phénomènes physiques qui ont lieu dans le cœur des étoiles. Grâce à la fusion des atomes d’hydrogène, nous pourrions produire une quantité considérable d’énergie en utilisant des ressources quasiment infinies, sans rejeter de déchets nucléaires à vie longue ni courir le risque d’un « emballement ».

Je ne reviendrai pas sur les risques – réels – de criticité. Je préciserai seulement qu’il s’agit d’un modèle et que des dizaines d’expériences ont été menées en la matière dans notre pays, qui est le seul à ne pas avoir connu d’accident de criticité. C’est un résultat que nous devons, pour partie, au travail réalisé dans une installation située en Bourgogne, dont j’ai proposé le renouvellement. Je dois dire que ma proposition n’avait pas rencontré un enthousiasme considérable avant le récent incident de Cadarache, qui aura peut-être eu pour intérêt de changer la donne à cet égard. Je précise également que la masse nécessaire dépend de la géométrie, de la composition de la matière et du modérateur.

On compte un grand nombre de « boîtes à gants » dans notre pays – plusieurs centaines, mais je ne pourrais pas être plus précis aujourd’hui. Dès que l’on manipule des matières nucléaires, il faut utiliser des « boîtes à gants » ou bien des « cellules » en verre très épais afin de protéger les personnels contre les effets des radiations. Il faudra toutes les démanteler en s’assurant qu’il n’y a pas de danger...

Mme Françoise Branget. Cela fera beaucoup de déchets !

M. Bernard Bigot. C’est exact, mais il faut comparer les quantités de déchets produites en fin de cycle. Elles sont relativement modestes pour l’énergie nucléaire, un réacteur de 1 000 mégawatts ne représentant que 20 tonnes de combustible usé par an, soit trois mètres cubes, alors qu’il faut 9 millions de tonnes de charbon pour produire une quantité équivalente d’énergie – il y a également de quoi être effrayé, me semble-t-il. Par ailleurs, la quantité des déchets produits dépend des matières manipulées – un dix millième ou un cent millième selon le degré de précision atteint – et nous allons essayer de progresser dans ce domaine.

Quant aux énergies renouvelables, objet d’une véritable demande de la part de nos concitoyens, il existe une véritable volonté de les développer. Mais il y a aujourd’hui tant d’options envisageables qu’il me semble difficile de privilégier une solution plutôt qu’une autre. Pour quelle raison faudrait-il tirer un trait sur l’énergie solaire, sur l’énergie éolienne, sur l’énergie hydraulique ou bien sur l’énergie géothermique ? Tout dépend du contexte : ce qui compte, c’est la compétitivité économique, les impacts environnementaux éventuels ainsi que l’intégration de la production dans un système efficace. Il n’est pas raisonnable, par exemple, de rejeter les électrons produits par les cellules photovoltaïques dans le circuit : il faut développer des modes de stockage au plan local en mettant au point des batteries, et il faut développer la consommation sur place.

J’en viens aux moyens financiers disponibles. Le Président de la République a annoncé que l’on consacrerait un euro au développement des énergies renouvelables pour tout euro investi dans le nucléaire. Je dois préciser, au passage, que parler d’énergies « renouvelables » ne me paraît très approprié. Je préfère parler de « nouvelles » technologies pour l’énergie. L’énergie solaire, par exemple, n’est pas renouvelable : même si nous avons cinq milliards d’années devant nous, le soleil s’éteindra un jour. La distinction pertinente entre les énergies, c’est que certaines d’entre elles sont décarbonées, tandis que d’autres ne le sont pas.

Je rappelle également que nous travaillons en étroite collaboration avec les autres centres européens. Nous sommes notamment à l’origine du SET-plan, le plan européen pour les technologies énergétiques, qui fait notamment référence au développement du nucléaire à côté de celui des énergies renouvelables, et nous essayons de coordonner notre action dans le cadre de l’European Institute of Technology (EIT), qui regroupe différents acteurs, d’origine finlandaise, allemande, néerlandaise, irlandaise ou encore espagnole. Notre horizon ne se limite donc pas à l’Hexagone.

Il n’y a pas de production d’énergie sans déchets, mais ceux-ci sont plus ou moins handicapants. L’atout du nucléaire est que les déchets produits sont relativement concentrés et qu’il n’y a pas de danger si l’on procède à leur confinement. Une fois utilisés, les combustibles sont certes 100 000 fois plus radioactifs que dans leur état naturel, mais la portée des rayonnements ionisants et des neutrons produits par les radionucléides artificiels, qui sont des noyaux instables, ne dépasse pas quelques dizaines de mètres, et ces phénomènes sont absorbés par la matière.

Notre organisme dispose d’un système permettant d’identifier et de corriger au moins pendant un certain temps, c’est-à-dire sauf cas de cancer, les 9 milliards d’erreurs de réplication qu’il commet chaque seconde. Les effets des radiations étant de même nature que ces erreurs de réplication, nous avons pour objectif de ne jamais aller au-delà des capacités spontanées de réparation du corps humain.

Notre choix est de retraiter les déchets pour récupérer tout ce qui peut l’être pour produire de l’énergie, soit près de 95 % des matières utilisées. L’extraction du combustible nécessite en effet beaucoup d’énergie – je rappelle notamment que la concentration naturelle en uranium dépasse rarement 1 %. Il serait donc absurde de ne pas utiliser au maximum ce combustible. En outre, il me semble que nous n’avons pas le droit de recourir au stockage géologique pour des éléments ayant une durée de vie très longue et présentant des risques de criticité. Il faudra donc détruire le plutonium produit en France – environ 10 tonnes par an – au lieu de le stocker sous forme de combustibles « MOX usé ». C’est précisément l’objet des prochaines générations de réacteurs.

Les déchets sont aujourd’hui stockés dans des matrices de verre dont on a pu démontrer qu’il était de même nature que les verres géologiques, lesquels ne se dégradent qu’au bout de plusieurs centaines de milliers d’années, alors que la radioactivité de la plupart des déchets revient au niveau constaté dans le milieu naturel en moins de cinq cents ans. On doit confiner plus longtemps un certain nombre de produits, notamment les actinides mineurs et le chlore 36, ce qui suppose de les stocker dans des couches géologiques profondes, comme nous le faisons à Bure-Saudron, dans la Meuse et la Haute-Marne. On y trouve, en effet, des couches d’argile aux propriétés extraordinaires : elles sont faciles à travailler – je rappelle que l’argile est dure comme la pierre si sa teneur en eau ne dépasse pas 14 ou 15 %, qu’elle se taille au couteau au-delà de 18 %, et qu’elle est molle comme de la pâte à modeler ou de la guimauve au-delà d’un taux de 20 %. Ces couches d’argiles présentent également de remarquables capacités d’auto-cicatrisation, proches de celle de la pâte à modeler, ce qui pourrait être fort utile en cas d’ébranlement sismique ou d’effondrement des galeries. En outre, grâce à la vitesse de migration très lente des espèces chimiques dans ces couches d’argile, il ne devrait s’en s’échapper, selon les hypothèses les plus pessimistes, qu’une radioactivité égale à un millième, voire un centième des taux naturels.

Les déchets nucléaires ne sont pas diaboliques. Cela étant, nous devons veiller à ce que le système soit sous contrôle, ce qui suppose d’adopter un certain nombre de précautions. Pour cela, nous pouvons compter en particulier sur l’ANDRA, dont le conseil d’administration est présidé par François-Michel Gonnot.

N’ayant pas fait toute ma carrière dans le secteur nucléaire, j’ai eu la surprise de découvrir, lors du cinquantième anniversaire du G1, le premier réacteur français, construit à Marcoule, que 90 ou 95 % des ingénieurs qui l’avaient conçu étaient encore en vie, alors qu’ils avaient entre quatre-vingts et quatre-vingt-quinze ans. Lorsqu’il est géré sérieusement, le nucléaire n’est pas un facteur de risque pour la santé.

Mme Geneviève Fioraso. Nous nous heurtons aujourd’hui à un problème d’acceptation des déchets par les élus. Pour remédier à ces difficultés, ne pensez-vous pas qu’il faudrait réfléchir à la façon dont on communique sur le nucléaire ?

M. Bernard Bigot. J’ai le sentiment de prêcher dans le désert : comme je n’ai pas la légitimité d’un élu, on ne m’écoute pas. Le nucléaire ne sera accepté dans notre pays que s’il est soutenu par un personnel politique conscient des atouts que cette filière représente.

Mme Geneviève Fioraso. Il est question, notamment au sein du CEA, de pertes de compétences en France dans le domaine du nucléaire : il y aurait moins de formation aujourd’hui qu’autrefois, alors qu’il existe un formidable marché sur le plan international. Est-ce exact ?

M. Bernard Bigot. Il faut se souvenir que la France a construit 58 réacteurs en moins de vingt ans, ce qui signifie que 2 ou 3 réacteurs étaient lancés simultanément et qu’on en a construit jusqu’à 28 en même temps. Pour cela, il a fallu mobiliser un nombre extraordinaire d’ingénieurs et de techniciens.

Au risque de simplifier à l’excès, je dirai que tout s’est arrêté vers 1995 : on a considéré que les lignes étaient saturées, qu’il n’existait pas de marché à l’exportation après les accidents de Tchernobyl et de Three Miles Island, et que le prix du pétrole nous permettait de « dormir sur nos deux oreilles ». Puis, nous avons reçu un véritable coup de bambou lorsque le prix du baril est passé de 12 à 147 dollars, et nous avons également pris conscience de la nécessité d’un développement durable.

Une soixantaine de pays nous demande aujourd’hui de partager notre expérience dans le domaine du nucléaire. Pour répondre à leurs sollicitations, nous devrons certes reconstituer des compétences, mais cela ne me paraît pas plus impossible aujourd’hui que cela ne l’était hier. Il faudra également pacifier et assumer la question du nucléaire en France, ce qui nécessite de disposer de relais politiques, y compris au plus haut niveau – le Président de la République joue, par exemple, un grand rôle dans ce domaine. Pour ma part, je me suis senti un peu seul lors de l’incident de Cadarache : je n’ai pas eu beaucoup de demandes d’élus désireux que je leur explique la situation pour en répondre ensuite devant la nation. Or, force est de constater que les explications passent difficilement quand elles apportées par l’administrateur général du CEA que je suis – outre le fait que j’ai des progrès à réaliser pour être plus clair, si j’ai bien compris certains propos…

Mme Fabienne Labrette-Ménager, présidente. Merci d’être venu présenter, dans une grande transparence, tous ces éléments qui sont d’un grand intérêt pour nous.

Je rappelle, pour conclure cette réunion, que le CEA a publié des informations sur l’incident de Cadarache par l’intermédiaire de son site internet. Chacun peut aller les consulter directement.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 1er décembre 2009 à 17 heures

Présents. - M. Yves Albarello, M. Jean-Yves Besselat, M. Christophe Bouillon, Mme Françoise Branget, M. Stéphane Demilly, M. Philippe Duron, M. François-Michel Gonnot, M. Christian Jacob, Mme Fabienne Labrette-Ménager, M. Jean-Pierre Marcon, M. Jean-Luc Pérat, M. Christophe Priou

Excusés. - M. Jérôme Bignon, Mme Claude Darciaux, M. André Vézinhet

Assistait également à la réunion. - Mme Geneviève Fioraso