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Mercredi 20 janvier 2010

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 30

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Michel Debrat, directeur général adjoint de l’Agence française de développement (AFD)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Jean-Michel Debrat, directeur général adjoint de l’Agence française de développement (AFD).

M. le président Christian Jacob. Je souhaite la bienvenue à M. Jean-Michel Debrat, directeur général adjoint de l’Agence française de développement (AFD) et aux membres de son équipe ici présents.

Après le sommet de Copenhague, mais aussi dans une perspective plus large, nous aimerions que vous nous rappeliez les différentes actions de l’AFD en matière de lutte contre le changement climatique et que vous nous indiquiez quelles difficultés l’Agence rencontre dans leur mise en œuvre, tant avec les États qu’avec les entreprises.

Par ailleurs, la question climatique étant étroitement liée à celle de la sécurité alimentaire, il ne faut donc pas, comme cela est fait parfois, opposer agriculture et climat, surtout alors que l’aide publique au développement en faveur de l’agriculture a, les vingt dernières années, fortement diminué. Pourriez-vous nous dire un mot de cette problématique ?

M. Jean-Michel Debrat, directeur général adjoint de l’AFD. Merci tout d’abord de votre invitation. Je suis venu avec toute l’équipe « climat » de l’AFD, de façon à pouvoir répondre à toutes vos questions sur un sujet aussi vaste et complexe.

Si l’AFD s’investit autant dans la lutte contre le changement climatique, c’est que le climat, au-delà des stricts aspects scientifiques qui sont l’affaire des climatologues, touche de très près au développement dès lors qu’on étudie les causes et les conséquences de son évolution, et qu’on réfléchit aux solutions possibles. Sont en effet directement concernés les domaines de l’énergie, des transports, de l’aménagement du territoire, la politique agricole, forestière, urbaine, tous domaines d’intervention privilégiés des grandes agences de développement, parmi lesquelles l’AFD, banque internationale de la France pour le développement depuis plus d’un demi-siècle.

Je présenterai tout d’abord l’action de l’AFD en matière de lutte contre le changement climatique. Puis, je décrirai plus en détail un instrument innovant, très prometteur, que nous avons développé depuis deux ans au profit des États étrangers, le « prêt sectoriel climat ». Je dirai enfin un mot de l’après-Copenhague.

L’AFD a fait le choix délibéré, pleinement appuyé par l’État, d’affecter une part importante de ses moyens à la lutte contre le changement climatique – il est important de souligner ici que les actions en faveur du climat ne prennent pas la place d’autres actions, le budget de l’Agence étant en augmentation. Nous consacrons d’importants moyens tant à l’atténuation de l’impact des activités humaines sur la concentration en carbone de l’atmosphère, et donc sur le climat, qu’à l’adaptation des différents pays au changement climatique. Les deux volets vont en effet de pair même si le premier peut paraître au premier abord plus important.

L’AFD n’est pas le seul organisme de financement bilatéral à avoir choisi d’intervenir largement en matière climatique. Bien au contraire, l’Agence et ses homologues étrangères ont, les premières, compris tout l’intérêt d’agir dans ce domaine qui touche notamment à l’aménagement du territoire, à l’industrie et à l’agriculture, et qui est aussi un thème géopolitique. Elles s’y taillent aujourd’hui la part du lion, avec les deux tiers de l’effort total. L’AFD, à elle seule, représente 10 % du total des financements publics mondiaux consacrés à la lutte contre le changement climatique – la JICA japonaise, avec laquelle nous collaborons en Asie, en représente 36 %, la KfW allemande 14 %, la Banque européenne d’investissement, qui peut être considérée comme un organe bilatéral, 6 %. Les organismes multilatéraux interviennent également, mais dans des proportions moindres.

Les engagements de l’AFD, tant en atténuation du changement climatique qu’en adaptation à ses effets, ont fortement augmenté, surtout depuis 2007, non que nous fassions preuve d’un volontarisme politique forcené, mais, en sus de nos propres efforts, nous sommes « tirés » par la demande. Ayant, comme nos homologues, pris en temps utile la mesure de la force de celle-ci, nous nous efforçons d’y répondre. Cette demande vient de nos grandes zones géographiques d’intervention, en premier lieu l’Afrique, qui demeure notre cœur de cible, mais aussi l’Asie et la Méditerranée. Chacune de ces zones représente en gros 30 % de nos financements, le reste se répartissant entre l’Amérique latine et l’outre-mer – non que ce dernier soit moins important à nos yeux, mais il pèse moins sur le plan quantitatif au niveau mondial pour le climat. Nous intervenons dans les grands métiers classiques de l’Agence : l’énergie en matière d’adaptation, l’eau en matière d’atténuation. Quarante-quatre %de nos projets se situent en Afrique subsaharienne, 22 % outre-mer – proportion qui ne se retrouve pas dans le montant des financements, ce qui signifie que nous y finançons des projets plus modestes.

Attachée à évaluer l’effet de ses actions, l’AFD a souhaité se doter au plus vite d’un outil performant de mesure. S’il est parfois difficile d’évaluer l’impact socio-économique d’un projet de développement, il est beaucoup plus simple de mesurer combien de tonnes de CO2 un projet a permis d’économiser. L’Agence a ainsi mis au point un outil, développé avec Jean-Marc Jancovici, qui lui permet d’affirmer aujourd’hui que les projets à impact positif sur le climat qu’elle a financés en 2009 ont pu éviter le rejet dans l’atmosphère de 5 millions de tonnes d’équivalent CO2, soit les émissions annuelles de 1,5 million de voitures neuves aux normes européennes. Le résultat est donc significatif, même si bien entendu cet effort doit être démultiplié pour relever le défi climatique mondial.

Le « prêt sectoriel climat » (climate change policy loan), outil particulièrement innovant, s’adresse à des États souhaitant mettre en œuvre une politique active de lutte contre le changement climatique, ce qui entraîne nécessairement pour eux des dépenses supplémentaires. Nous l’associons à une série de réformes que nous cherchons à obtenir comme résultats.

Travailler au niveau des États a plusieurs implications. Tout d’abord, il faut bien choisir les pays bénéficiaires. Nos choix ne sont pas le fruit du hasard : nous avons choisi des pays émergents n’étant pas partie au protocole de Kyoto, mais appelés à jouer un rôle dans les négociations climatiques, comme l’Indonésie, le Brésil ou le Mexique. Ce sont ces pays-là qui nous intéressent pour l’influence de la France. Une autre conséquence est que nous apportons notre savoir-faire technique sans être intrusifs : nous prêtons aux États, sans les enserrer ensuite dans des contraintes ni faire pression sur eux pour la mise en œuvre de leurs politiques. L’Indonésie est le premier pays à avoir bénéficié de ce type de prêt. Nous n’avons pas la prétention de penser que c’est à grâce à nos prêts, d’un montant total de 500 millions d’euros, que ce pays a adopté une position originale, tout à fait en pointe, à Copenhague : il avait simplement une volonté politique, que nous avons accompagnée. Le Mexique, qui accueillera dans six mois le prochain round de négociations sur le climat, négocie actuellement un prêt de même type. Le Vietnam est également demandeur. Dans le cas de l’Indonésie, un comité stratégique (steering committee) se réunit trois à quatre fois par an pour définir les axes de la politique voulue par l’État indonésien ; il est relayé par un comité technique qui entre dans le détail des mesures à prendre. Puis, une équipe de suivi, constituée des bailleurs de fonds, en l’espèce la JICA et l’AFD, supervise les études techniques, fournit de la matière grise, donne des avis. Il y a en fait une co-élaboration de la politique indonésienne en faveur du climat.

Quelles sont pour la France les retombées de cet appui financier de l’AFD ? Tout d’abord, au fil des réunions, nous l’avons constaté, l’Indonésie a largement infléchi sa propre politique publique de limitation des émissions de gaz à effet de serre. Ensuite, elle a joué un rôle non négligeable à Copenhague, à nos côtés. Enfin, alors qu’antérieurement aux grands projets qu’a permis de mener l’AFD, la France était tenue en Indonésie pour un pays assez lointain, sans nette visibilité économique, à l’exception de quelques grandes entreprises comme Lafarge, son image a changé. Les entreprises françaises qui y sont implantées ont d’un coup ressenti ce changement. Ce type de retombées ne se mesure peut-être pas sur le plan quantitatif, mais n’en est pas moins de première importance. Nous faisons en réalité d’une pierre deux coups.

J’en viens au sommet de Copenhague. Force est de constater que les résultats ont été en deçà des attentes, notamment celle, largement relayée par la presse, de l’engagement formel des parties d’abaisser de moitié les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050. Pour autant, quantité de dispositions prises vont dans le bon sens et le texte final, s’il ne contient pas cet objectif clé, comporte néanmoins beaucoup d’avancées. La nécessité d’une politique mondiale d’adaptation aux changements climatiques a été clairement reconnue. Le rôle de la forêt, sur lequel insistait beaucoup la France, en particulier le Président de la République, a été souligné. Enfin, des progrès concrets ont été enregistrés sur les questions de financement, des chiffres précis ayant été avancés. Même si aucun mécanisme contraignant n’a été prévu pour les atteindre, il n’est pas anodin qu’il ait été dit à Copenhague qu’il faudrait dépenser au moins 30 milliards de dollars dans les trois années à venir, et qu’en 2020 ce seront 100 milliards par an qui seront nécessaires. Les ordres de grandeur ont au moins été donnés, et la communauté internationale a pris conscience de l’ampleur de l’effort à fournir.

Le principe d’un appui aux politiques nationales a aussi été clairement souligné. Il ne faut rien imposer d’en haut, mais au contraire partir d’en bas, c’est-à-dire des problèmes et des souhaits des États. Toute autre solution ne serait d’ailleurs pas acceptée, à commencer par la Chine, qui ne saurait tolérer, fût-ce au motif de la lutte contre le changement politique, qu’on lui dicte une politique, et elle n’est pas la seule à penser ainsi.

C’est sur le sujet de la forêt que les avancées ont été les plus nettes à Copenhague. Un réel climat de confiance s’est instauré et le communiqué final du sommet mentionne explicitement parmi les priorités la prise en compte de l’ensemble des activités la concernant  – déforestation, dégradation, gestion durable, reboisement, conservation des stocks de carbone, tous sujets sur lesquels l’AFD en particulier a beaucoup travaillé, notamment dans le bassin du Congo. La forêt constitue une part importante du financement fast start de la France, avec 180 millions d’euros prévus sur trois ans, conformément à la volonté exprimée par le président de la République. Restent à préciser le mécanisme financier et à déterminer sur quel fonds s’appuyer. Nous pensons que ce doit être le FCPF (Forest Carbon Partnership Facility).

Des avancées ont eu lieu également sur l’« architecture financière climat », dont le problème a au moins été posé. Chacun a perçu le danger d’un magistère mondial, que refusent d’ailleurs tous les États émergents. On n’a pas voulu d’une politique mondiale financée par un fonds mondial, guichet unique omnipotent déterminant les politiques à conduire au niveau national. En revanche le souhait a été exprimé de mettre certains moyens en commun, dont des fonds, parmi lesquels le Copenhagen Green Climate Fund, lequel n’en exclut aucun autre et dont les clés de répartition n’ont pas encore été précisées. Pour un pays comme la France, il est important de savoir si les futures règles du jeu lui laisseront sa visibilité, lui permettront encore d’agir et de défendre ses intérêts, ou si elle risque de se retrouver dans une vaste mécanique mondiale. Cela pose aussi la question du rôle de l’Europe vis-à-vis de cette architecture mondiale. Ce qui est certain, c’est que le Copenhagen Green Climate Fund sera créé. Il reste à le mettre en place, mais l’AFD a fait des propositions extrêmement précises sur ce point, qui n’ont pas été discutées à Copenhague car c’était sans doute prématuré. Cependant, c’est volontairement que nous les avons formulées afin que l’on commence d’en parler et que l’on puisse en discuter lord du round de négociations suivant.

Quelles sont les idées de l’AFD qu’a défendues la délégation française ? La première, qui n’est d’ailleurs pas de nous, est que le sujet du climat doit demeurer de la compétence de la « conférence des parties », c’est-à-dire des États. Il n’est pas concevable de dessaisir les États souverains au profit d’une autre instance que cette « conférence des parties » les représentant et où s’appliquent les règles de vote en vigueur de l’ONU. Cette conférence doit s’appuyer sur un comité d’experts, disposant des compétences techniques, notamment pour évaluer les effets des politiques et garantir l’équilibre des projets entre pays, avec la hauteur de vue et l’impartialité nécessaires. Il faut aussi, à ce stade, alimenter une base de données documentaire et chiffrée.

Au niveau de chaque pays, et bien sûr tout particulièrement pour les pays en développement, il importe de coordonner les actions, d’apporter les savoir-faire, d’aider à l’élaboration des politiques nationales de lutte contre le changement climatique. Il faut pour cela faire mettre à contribution tous les organes, notamment les banques nationales, les banques bilatérales, les banques multilatérales, les fonds thématiques et surtout le secteur privé. Nous avons eu l’impression à Copenhague, ce qui était somme toute logique dans la mesure où le sommet réunissait gouvernants et diplomates, que le secteur privé était sous-représenté alors qu’il est appelé à financer l’essentiel des actions. Il faut trouver le lieu où, par pays, on définit les politiques et, par secteur, les programmes d’adaptation, autour desquels puissent se rassembler les principaux opérateurs financiers. Ainsi, pour un État d’Amérique latine, on peut imaginer un pool associant la Banque interaméricaine, la Corporation andine de développement, la KfW, l’AFD et la Banque mondiale, définissant, en coordination avec les autorités nationales, les moyens de financer les programmes.

Demeurent les questions de financement. D’où, à côté du « comité des sages », un « comité de crédit », avec le fameux Copenhagen Green Climate Fund. Pour nous, ce fonds doit « mixer » toutes les ressources disponibles, à commencer par celles en provenance du marché, et les bonifier au niveau pertinent pour chaque pays. Il faut garder présent à l’esprit que certains domaines, comme celui de l’assistance technique, ne pourront être financés que par des subventions.

En résumé, l’AFD est devenue l’un des plus gros bailleurs de fonds en matière de climat. Elle renforce la capacité d’action de la France dans les négociations internationales grâce à son expertise technique et au savoir-faire qu’elle a acquis dans les projets qu’elle finance depuis déjà longtemps. Elle sera un opérateur majeur dans la mise en œuvre des engagements futurs de notre pays pour le financement de la lutte contre le changement climatique. Enfin, elle est un vecteur de l’influence française, laquelle se marque concrètement dans les comités financiers, les conseils d’administration des banques multilatérales et les pools de cofinancement. C’est là que se mesure le poids, pas seulement financier d’ailleurs, de notre pays. Il y va de notre capacité à être là où les choses se décident, en un mot à garder la main.

Je terminerai cette présentation en vous montrant une photo d’archive, datant d’une quarantaine d’années, où une firme américaine vantait sa capacité de production d’énergie en indiquant qu’elle pouvait en produire assez chaque jour pour faire fondre un glacier de 7 millions de tonnes ! Les concepteurs de cette publicité n’imaginaient certainement pas l’écho qu’elle trouverait aujourd’hui. C’est dire combien les esprits peuvent évoluer et les repères changer rapidement !

Notre conviction est que nous sommes à une croisée des chemins. Avec un objectif de 100 milliards de dollars par an, le montant de l’aide publique au développement (APD) va doubler. Financer la lutte contre le changement climatique, c’est financer des infrastructures, donc le développement. C’est pourquoi l’AFD, agence de développement, se trouve être aux premières loges pour la question du climat.

M. le président Christian Jacob. Ma première question est sans doute politiquement incorrecte, mais ne s’est-on pas trompé dans la réorientation de l’aide publique au développement enclenchée ces vingt dernières années ? La part de l’aide consacrée à l’agriculture et aux infrastructures agricoles est tombée de 17 % à 3,7 %.

Parallèlement, alors même que le PIB des États croissait, le nombre de personnes malnutries dans le monde a augmenté, et c’est dans les zones rurales des pays en voie de développement que les populations souffrent le plus de malnutrition. On a moins consacré à l’agriculture, au risque d’affaiblir la sécurité alimentaire. Devant le risque d’opposition agriculture/climat, qu’on a entrevu à Copenhague, ne faut-il pas revoir les « fondamentaux » en visant d’abord à assurer la sécurité alimentaire et, ce faisant, agir sur le climat ? Un rapport de la FAO indique que la production de biocarburants pourrait augmenter de 90 % dans les dix ans à venir. Quel regard portez-vous sur toutes ces questions ?

M. Jean-Michel Debrat. A-t-on eu raison de dépenser aussi peu au profit de l’agriculture ? Clairement non. Mais pourquoi en a-t-il été ainsi ? Nous avons tous, de bonne foi, pensé que la sécurité alimentaire pouvait être assurée par l’organisation d’un marché mondial fonctionnant parfaitement, ce qui n’est d’ailleurs pas totalement faux d’un certain point de vue. On a donc privilégié le soutien artificiel de certaines agricultures locales face à un système de production mondial, capable de produire à plus bas coût la même quantité de produits alimentaires. Mais on a dû, hélas, constater que le vaste marché mondial qu’on avait voulu organiser ne conduisait pas nécessairement à une baisse des prix, et qu’il exposait aussi à de brusques augmentations du prix des denrées alimentaires de base, dramatiques notamment pour les populations urbaines des pays en développement, les villes dépendant largement des campagnes pour leur approvisionnement alimentaire. On s’est alors rendu compte que, si l’on s’était préoccupé non pas seulement du marché mondial, mais des relations ville-campagne à plus petite échelle – celle des régions, des nations, des continents –, on n’en serait pas arrivé là.

Pour ce qui est de la modernisation de l’agriculture, il faut faire preuve d’humilité et de patience. N’oublions jamais qu’il a fallu deux siècles à l’agriculture française pour se moderniser. L’AFD n’a jamais cessé de conduire des projets de développement rural, visant à l’organisation des producteurs, à la mise en valeur et à la protection des terroirs, mais elle l’a fait à petite échelle car, il faut le reconnaître avec honnêteté, les progrès sont lents et les résultats pas immédiatement tangibles. Il faut avouer que nous l’avons fait là où c’était le plus facile, c’est-à-dire pour des cultures commerciales, notamment celle du coton. Il est beaucoup plus difficile d’organiser le marché des cultures vivrières. Aujourd’hui encore, où chacun vante pourtant les mérites des productions vivrières et des marchés intérieurs, on se demande comment organiser concrètement des marchés où, structurellement, certains organisent la pénurie pour générer des profits et s’accaparer la valeur des productions au détriment des paysans. L’un des problèmes est que les pouvoirs politiques locaux sont largement urbains, en tout cas pas du tout ruraux. Or, nous ne pouvons pas nous substituer à eux pour la mise en œuvre d’une véritable politique sociale. Combien de fois l’AFD a-t-elle dû jouer de son influence pour que les organisations de producteurs que par ailleurs nous aidions, finissent par se faire entendre des pouvoirs publics ! Nous y avons à peu près réussi, mais il a fallu attendre Doha !

Il ne suffit pas aujourd’hui d’inverser les priorités. Qu’il faille mettre en œuvre une dynamique sociale qui aboutisse à accroître les rendements, ce qui est évidemment nécessaire, à créer de l’emploi rural, nous en sommes tous d’accord : le diagnostic fait l’unanimité, mais les solutions concrètes sont beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre, même si, du fait de notre expérience, nous avons quelques idées. Bien loin du credo en la panacée que constituerait le marché mondial et en la baisse des prix que serait censé permettre le libre-échange, on s’aperçoit sur le terrain que le développement rural est très lent, en tout cas beaucoup plus lent que la croissance démographique. Cette question a certes été remise à sa juste place pour ce qui est de son importance politique, mais beaucoup reste à faire.

M. Denis Loyer, directeur adjoint des opérations de l’AFD. Il faut avoir en tête que, lorsqu’on envisage une augmentation moyenne de la température mondiale de 2°C, cela signifie une augmentation de 4° C dans le bassin méditerranéen, avec des conséquences dramatiques. Dans cette hypothèse, on ne pourrait probablement plus continuer de cultiver du blé dur dans les zones du Maghreb où on le fait actuellement, sauf peut-être là où il sera possible d’irriguer. Toute une partie de l’agriculture est donc menacée. Et plus l’accord sur le climat tarde, plus la température risque de s’élever. On dit parfois qu’avec le réchauffement climatique, la région bordelaise produira du Sidi Brahim, mais si l’accord intervient trop tard, il ne sera peut-être même plus possible d’en produire !

Le rythme auquel avancent les négociations sur le climat n’est pas neutre sur la sécurité alimentaire. D’où l’exigence d’investir encore davantage et sans retard dans la recherche, notamment pour l’amélioration génétique des variétés et des espèces, ainsi que pour les techniques culturales. Un effort considérable d’adaptation des activités dans les zones rurales est nécessaire : il faut les recentrer sur les productions alimentaires. La question des ressources en eau aussi va devenir cruciale, d’où la nécessité de développer encore plus de projets visant à économiser et à mieux gérer cette ressource. La question de l’énergie sera également déterminante : en Afrique aujourd’hui, 60 % de l’énergie provient du bois de chauffe. Que se passera-t-il quand la température aura augmenté de 4°C ? Les populations qui utilisent ce bois n’auront pas encore accès demain à d’autres énergies.

On mesure donc l’ampleur des investissements nécessaires.

J’avais parié à Bali qu’on enregistrerait à Copenhague de réelles avancées sur l’agriculture. Il n’y en a eu qu’une, très timide, avec la création d’un groupe de travail sur l’agriculture et le changement climatique. Les négociateurs sont en effet essentiellement des forestiers, peu au fait des questions spécifiquement agricoles. La France a essayé de faire entendre un spécialiste, mais c’est très difficile : le sujet inquiète. En ce qui nous concerne, nous pensons depuis longtemps qu’un effort important est nécessaire en matière d’amélioration végétale et que de nouvelles pratiques culturales permettant de préserver la fertilité des sols peuvent être mises en œuvre. La moitié des terres du Brésil sont maintenant sans labour, dans le cadre certes d’une agriculture mécano-chimique moderne, mais avec des sols dont la fertilité est loin d’égaler celle des nôtres, qui comptent parmi les plus fertiles au monde. Ces pratiques nouvelles commencent à se développer dans notre pays et quelques autres.

Il est possible d’améliorer les rendements sans augmenter les coûts et tout en séquestrant du carbone. La Tunisie, notamment, mène des projets remarquables en la matière. Les travaux du GIEC montrent que la contribution de l’agriculture à la lutte contre le changement climatique réside avant tout dans le stockage du carbone dans les sols, sujet dont on ne parlait pas, ou très peu, il y a dix ou quinze ans. On a là l’opportunité d’une opération gagnant-gagnant de tous points de vue.

La question de la gestion des forêts est montée en puissance dans l’agenda dès la conférence de Montréal, puis encore à Bali, et de réelles avancées ont eu lieu à Copenhague. La question de l’agriculture, elle, ne fait que commencer de monter en puissance. Pour la première fois à Copenhague, on a laissé la parole à des organisations internationales d’agriculteurs et à des agriculteurs. Lors des précédents sommets, on parlait à leur place. Cela étant, on a besoin que le sujet soit repris par des politiques comme vous pour qu’il ne soit pas oublié et pour qu’on ne parle pas seulement de transfert de technologies, d’éoliennes, par exemple.

M. le président Christian Jacob. En un mot, il n’y a donc pas contradiction entre agriculture et climat.

M. André Chassaigne. Monsieur le directeur, vous avez présenté l’AFD comme un vecteur de l’influence française et justifié son intervention de manière surtout utilitaire. Elle aide, avez-vous dit, à ce que la France pèse davantage dans les négociations internationales. J’aurais songé à des motivations plus éthiques de votre action, s’agissant de choix essentiels pour l’avenir de la planète. Or vous vous êtes plutôt exprimé en banquier au service de la diplomatie française.

Dans ses décisions de prêts, l’AFD s’appuie-t-elle sur les travaux de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) ?

S’agissant de la forêt, on a bien senti à Copenhague que le texte était quasiment bouclé et qu’il devrait être finalisé dans les mois à venir. Mais ce qui n’a pas été décidé, ce sont les modalités d’intervention. Pour vous, quelles contreparties doit avoir l’aide apportée aux pays qui possèdent encore de vastes forêts, formidables puits de carbone ? Vous avez par ailleurs indiqué qu’un « mixage » des fonds était nécessaire, avec l’apport de capitaux privés. Dans votre esprit, cela signifie-t-il que certains pays – les États-Unis ont ce projet – pourraient acheter des crédits carbone pour accompagner la gestion forestière de pays comme ceux du bassin du Congo en Afrique, et les utiliser en contrepartie du maintien chez eux d’activités fortement polluantes ?

Le « mixage » des fonds supposant de faire largement appel aux banques, la recherche de la rentabilité financière ne risque-t-elle pas de l’emporter sur l’intérêt général pour l’avenir de la planète, qui passe par la préservation des puits de carbone que constituent les forêts ? Au-delà, n’y a-t-il pas un risque d’écarter les populations autochtones qui, pourtant, par une gestion ancestrale de la forêt, avaient réussi jusqu’à il y a peu à préserver les écosystèmes ? Les ravages causés aux grands espaces forestiers, avec les conséquences catastrophiques que l’on connaît, ne sont pas de leur fait, mais de celui de grands groupes représentant d’importants intérêts économiques. Ne risque-t-on pas d’accentuer les déséquilibres actuels en servant les intérêts financiers de ces groupes, au détriment de l’humain, lequel devrait pourtant prévaloir ?

Mme Fabienne Labrette-Ménager. Alors qu’on se focalise sur le changement climatique, je pense, pour ma part, que le problème le plus important dans les vingt à trente prochaines années concernera l’eau : disponibilité et qualité de la ressource, modes d’accès, entre autres. On le voit à Haïti, après le terrible séisme qui a frappé l’île, la première chose dont la population a besoin, c’est d’eau potable.

Avant de consacrer des financements considérables à des infrastructures, ne faudrait-il pas plutôt aider les pays pauvres à sécuriser leurs ressources en eau potable et à mieux les gérer, ainsi qu’à gérer leurs déchets fermentescibles et leurs eaux usées, qui, lorsqu’elles ne sont pas ou mal traités, altèrent la qualité des nappes phréatiques ?

Mme Françoise Branget. L’AFD aide les États en appuyant les politiques climatiques nationales et en supervisant les diverses actions menées en ce domaine. L’Agence met-elle en œuvre une démarche globale sur un territoire donné ou y conduit-elle des actions concrètes spécifiques, à la demande de ce territoire ou sur sa propre proposition ?

Comment choisissez-vous les États que vous aidez ? Menez-vous des actions d’accompagnement auprès des populations locales, en lien avec les entreprises qui s’implantent dans certains pays, et dont certaines peuvent avoir des activités polluantes ? La semaine dernière, nous auditionnions ainsi Mme Anne Lauvergeon, présidente d’AREVA, entreprise fortement implantée au Niger.

Mme Geneviève Gaillard. Je me félicite de l’action résolue de l’AFD dans la lutte contre le changement climatique, dont on sait le lien qu’il entretient avec les évolutions démographiques.

On s’aperçoit sur le terrain, notamment en Afrique, continent que je connais plus particulièrement, que les gouvernements n’utilisent pas toujours au mieux les moyens alloués. Il est certes difficile de donner des leçons à qui que ce soit, mais on a parfois du mal à identifier le bénéfice que retirent les populations de ces aides, dont les États déplorent toujours qu’elles soient insuffisantes.

Un effort considérable me paraît nécessaire en matière d’information et de formation tant auprès des gouvernements que des populations. Si celles-ci ne comprennent pas une action ou un dispositif, elles ne peuvent y adhérer et y coopérer, quelque important que cela soit pour leur avenir. J’aimerais donc savoir ce que fait l’AFD en matière d’information et de formation. Avec qui travaille-t-elle dans ces domaines ? Quelles relations entretient-elle avec les ONG présentes sur le terrain ?

Vous nous avez présenté l’outil d’évaluation des actions menées en faveur du climat : l’équivalent de tonnes de carbone économisées. Mais l’évaluation de l’incidence sociale des actions est aussi extrêmement importante. Or vous n’en avez pas parlé. Comment pouvez-vous l’évaluer ? Sur le terrain, il n’est pas toujours facile de savoir si les tonnes de carbone économisées ont eu des répercussions positives pour les populations. S’agissant de cette évaluation sociale, travaillez-vous en lien avec l’IRD ?

Ma dernière question n’aura rien à voir avec le changement climatique. Dans le cadre de la RGPP, le financement des ONG doit être transféré du ministère des affaires étrangères à l’AFD. Où en est ce projet ? Quelle incidence cela aura-t-il pour l’AFD, notamment dans ses relations avec les ONG ? Cette réforme, dont on parle peu, est importante. Pourriez-vous nous en dire un mot ?

M. Philippe Martin. De nombreux éléments de votre présentation – notamment les chiffres concernant le « fonds vert » – dépendent de la mise en œuvre du texte adopté à Copenhague. Toutefois, Jean-Louis Borloo s’est récemment inquiété de ce qu’il n’y ait personne pour piloter la lutte contre le réchauffement climatique, que ce soit à l’ONU, à la Conférence sur le climat ou au sein de l’Union européenne. En outre, sur les quelque 190 États présents à la Conférence, moins d’une trentaine semblent avoir signé le texte. Or le mécanisme de solidarité internationale retenu, le « fast start », ne pourra être mis en œuvre que si les engagements verbaux pris à Copenhague se concrétisent avant le 31 janvier.

Partagez-vous l’inquiétude du ministre ? Le devenir du texte de Copenhague aura-t-il une incidence sur l’activité de votre agence ?

M. le président Christian Jacob. Vous avez dit qu’en Afrique 60 % de l’énergie provenait du bois de chauffe. La valorisation de la biomasse ne fournit-elle pas un axe de développement susceptible de répondre à la fois aux objectifs climatiques et aux impératifs de sécurité alimentaire ?

M. Jean-Michel Debrat. « Un banquier au service de la diplomatie française », avez-vous dit, monsieur Chassaigne. Je n’avais jamais formulé les choses ainsi, mais je ne récuse pas l’expression. Après tout, c’est une noble tâche !

Mon exposé était consacré à l’« enjeu climat », mais il est bien évident que notre cœur de métier reste le développement. L’AFD accorde au total 6,5 milliards d’euros de financement par an : sur cette somme, seuls 2 milliards sont consacrés à la lutte contre le changement climatique. Cela étant, le monde bouge, et nous ne pouvons rester en retrait à observer les choses !

Dans le cadre de nos fonctions à l’AFD, nous ne sommes pas des chercheurs, même si nous pouvons, individuellement, avoir eu une formation en ce sens. Bien que ce ne soit écrit nulle part, nous jouons de fait un rôle d’assembleur. Ainsi, l’agro-écologie, dont vous a parlé Denis Loyer, est une activité du CIRAD financée par l’AFD.

Nous sommes en symbiose intellectuelle avec nos collègues chercheurs. Nous formons une communauté de personnes passionnées par le développement et par la recherche ; la plupart des initiatives qui retiennent l’attention de l’un ou l’autre d’entre nous finissent par donner lieu à des projets. Nombre d’idées que nous professons sont empruntées à nos collègues chercheurs. Je reconnais que nos liens pourraient être mieux structurés, mais c’est très compliqué à réaliser. Un financier et un chercheur peuvent s’entendre ; toutefois, la prudence reste de mise, car le chercheur peut avoir le sentiment que le financier profite de sa position pour infléchir ses orientations de recherche.

D’autre part, la réorganisation actuelle de la recherche française montre combien le sujet est complexe. La France dispose d’immenses ressources scientifiques : l’IRD comme le CIRAD sont de véritables bijoux. Nous en sommes conscients, et y faisons chaque jour appel. Toutefois, il est indéniable qu’une organisation plus efficace permettrait de mieux les valoriser.

Quelles contreparties demandons-nous pour l’aide apportée en matière de forêts ? Il y a dix ans, nous avons décidé de nous adresser aux entreprises forestières – ce qui présentait un risque car on pouvait nous accuser de participer à l’exploitation de la forêt. Nous avons fait le pari que, si nous parvenions à les convaincre d’introduire dans leurs méthodes d’exploitation une dimension de durabilité, il était légitime de les financer et de leur attribuer des concessions correspondant à la part d’intérêt général qu’elles acceptaient de prendre en considération. Les grandes ONG environnementalistes ont fini par approuver notre démarche et ont décidé de la soutenir. La prochaine étape sera de convaincre les petits exploitants forestiers nationaux de faire de même.

M. Denis Loyer. La démarche retenue comporte trois étapes.

Première étape : que les différents pays adoptent des politiques forestières permettant de réduire la déforestation ou de maintenir le stock de carbone. Cette étape est d’ores et déjà financée via un fonds précurseur, le Fonds de partenariat du carbone forestier (FCPF), dans lequel la France, par l’intermédiaire de l’AFD, a beaucoup investi.

Deuxième étape : accorder des incitations financières afin que les États concernés mènent des actions visant à améliorer la gestion des forêts – sans pour autant mesurer avec précision le gain carbone.

Troisième étape : quand aura émergé un grand marché mondial du carbone, on pourra songer à introduire les mécanismes du marché.

Tout le monde est aujourd’hui d’accord pour avancer de manière pragmatique. Il n’y a pas, dans l’immédiat, de risque que la recherche de rentabilité financière l’emporte.

Dans un pays comme le Costa Rica, en revanche, les mécanismes du marché pourraient être introduits dès maintenant : la forêt progresse, et l’on sait en mesurer les conséquences sur la population. Si un autre État ou un industriel voulait faire appel à ce pays pour compenser ses émissions polluantes, ce serait possible.

Le principe fondamental, c’est que, sans aller jusqu’au marché, les financements sont fondés sur les résultats : ils ne seront complets qu’à condition que les projets se concrétisent.

Par ailleurs, vous avez raison, il faut non pas seulement réduire les émissions produites par la destruction ou la dégradation des forêts, mais aussi gérer les stocks de carbone forestier existants. À Bali, Brice Lalonde a forcé la main à nos partenaires européens pour que l’Union européenne adopte ce principe. Depuis la réunion de Poznan, dans les différentes négociations, la France donne l’impulsion en matière de lutte contre la déforestation, de gestion des stocks et de plantations dans la ceinture intertropicale. Cela concerne 2 milliards d’hectares de forêts, soit la moitié des forêts du monde : l’enjeu du fonds de partenariat pour la réduction des émissions de carbone forestier des Nations unies (« REDD+ ») est immense ! Voilà trente ans qu’une mesure de ce type était attendue à l’échelle mondiale.

Il importe de travailler sur les stocks également pour des raisons scientifiques. On pensait auparavant que, lorsqu’une forêt était au climax, elle se contentait de respirer. Or, des études récentes sur le bassin amazonien et le Gabon montrent que ces forêts continuent à séquestrer du carbone – en faible dose mais, comme il s’agit de vastes surfaces, les tonnages sont importants. Non seulement la conservation des forêts évite que leur stock ne parte en fumée, mais elle assure en outre une séquestration immédiate du carbone, ce qui répond précisément aux besoins. D’où l’intérêt d’investir dans le bassin du Congo, le Guyana ou la Guyane française, zones géographiques à grandes forêts et à faible taux de déforestation, et de ne pas se borner à la lutte contre la déforestation.

La prise en compte des populations autochtones est fondamentale. Il a été très difficile de se mettre d’accord sur une rédaction à Bali, mais cette dimension est désormais inscrite dans le texte. De surcroît, nous bénéficions d’une expérience en la matière : sur certains projets, nous faisons en sorte que les habitants des zones concernées expriment leurs désirs, afin d’en tenir compte et d’engager un dialogue. Mais j’admets que ce n’est pas facile.

Enfin, la question des forêts ne concerne pas les seuls pays en développement. Les activités relevant des LULUCF (Land Use, land-use change and forestry) sont tout aussi fondamentales. Dans le cadre du protocole de Kyoto, certains pays industrialisés avaient pris des engagements trop importants ; lors de la conférence de Marrakech, on a donc modifié les règles de prise en compte des forêts dans les pays développés, ce qui a permis de ratifier le protocole. Du point de vue de l’intégrité environnementale et de ce qui est effectivement rejeté dans l’atmosphère, cette décision est cependant dramatique.

La France a pris la tête de la contestation, en soulignant que, si nous révisions nos ambitions en termes de lutte contre le changement climatique, nous allions « droit dans le mur ». Il faut que la règle de comptabilisation des forêts reflète ce qui se passe dans l’atmosphère et qu’un réel effort soit fait par rapport au niveau des émissions de 1990. Malheureusement, certains pays industrialisés, tels que la Suède, la Finlande et l’Autriche, ont décidé d’exploiter massivement leurs forêts et ils voudraient que les objectifs portent, comme pour les pays en développement, sur les prévisions d’émission.

Comme vous le savez, les ONG décernent un « Fossil-of-the-day Award », qui « distingue » la mauvaise attitude d’un pays en matière climatique. Ce prix a son positif : le « Ray-of-the-day Award » ; à Copenhague, il a été pour la première fois décerné à la France pour sa position sur les LULUCF. Le monde entier sait que, sur le sujet, la France est crédible. Il ne faut pas faiblir sur ce point. Tout « traficotage » serait catastrophique, car les pays en développement en profiteraient pour faire la même chose sur le REDD.

M. André Chassaigne. Pouvez-vous nous présenter brièvement le bilan de la gestion de la forêt en France ?

M. Denis Loyer. La France a un puits de carbone positif, c’est-à-dire qu’elle séquestre davantage qu’elle n’exploite. Dans le cadre du Grenelle de l’environnement, nous avons démocratiquement pris la décision collective d’exploiter davantage notre forêt. En conséquence, selon nos simulations, notre puits diminuera légèrement, puis il se reconstituera.

En outre, à Copenhague, la France a proposé aux autres pays européens de partager son puits de carbone avec ceux qui ont choisi d’exploiter davantage leur forêt. Bref, la France a été exemplaire. Malgré cela, les négociations sont toujours bloquées : il faut faire fonctionner la « bulle européenne », comme avant la réunion de Poznan.

M. Jean-Michel Debrat. S’agissant de l’eau, je ne peux qu’abonder dans le sens de Mme Labrette-Ménager : comme je vous l’ai dit, l’essentiel de notre activité en matière d’adaptation porte sur ce point.

S’agissant de l’évaluation sociale, vous avez raison. Comme il était question d’une négociation sur le climat, j’ai mis l’accent sur les éléments qui l’ont influencée. Il ne s’agit cependant que d’un paramètre parmi d’autres.

Fondamentalement, nous faisons du développement. Il se trouve que nous pouvons évaluer nos actions également du point de vue climatique, dans la perspective d’une évolution de notre activité en ce sens. Cependant, tous nos projets, sans exception, font l’objet d’une analyse complexe, utilisant de multiples indicateurs. Ces dernières années, nous avons ajouté la mesure de l’effet carbone, afin de vérifier que nos actions en matière de développement étaient bien compatibles avec la lutte contre le changement climatique. Nous n’avons toutefois jamais perdu de vue notre mission première.

S’agissant de la RGPP, il avait été prévu de transférer à l’AFD les financements que le ministère des affaires étrangères accordait aux ONG. L’année passée, nous avons donc, dans un esprit de continuité et sous la responsabilité du ministère, mis en œuvre les changements de procédure et les changements comptables, ce qui nous a permis de réaliser la réforme sans heurts, hormis les inévitables décalages de calendrier de trésorerie.

Nous sommes en train d’examiner avec les ONG les suites à donner à la réforme. Les ONG souhaiteraient se rapprocher de nous et être associées à nos projets de développement. Quant à nous, nous attendons de leur part une moindre dispersion et une vision à plus long terme. Il reste à concilier les différentes attentes.

Il est trop tôt pour dresser un bilan. Tout ce que l’on peut dire pour l’instant, c’est que la réforme n’a pas eu de conséquences négatives sur le financement des ONG. Cela dit, nous essayons de leur faire prendre une part plus importante à nos discussions stratégiques. Par exemple, nous allons coordonner à Haïti un ensemble de projets, dont certains sont issus de l’AFD et les autres des ONG. De même, celles-ci nous ont accompagnés à Copenhague, où nous avions le privilège de faire partie de la délégation officielle ; nous les avons informées des négociations en cours et en avons discuté avec elles.

Quant au pilotage de la lutte contre le réchauffement climatique, je partage l’inquiétude du ministre ! On peut difficilement confier les choses à l’ONU. Il est clair que l’on ne peut pas discuter à 190, ni même à 30, sur ce sujet. À Copenhague, le président de la République a dû rappeler qu’il ne s’agissait pas d’un colloque où l’on pouvait déclarer : « Le climat, c’est très important, nous avons l’intention d’agir » !

À titre personnel, je reste convaincu que les conférences des parties sont le seul moyen de fonder une légitimité pour de futurs accords. À Copenhague, les Européens s’y sont très mal pris : ils ont fait leurs arbitrages internes à l’avance. Quand ils ont soumis leurs propositions aux autres pays, ceux-ci ont eu beau jeu de répondre : « De quoi vous mêlez-vous ? À quel titre voulez-vous porter l’avenir de la planète sur vos épaules ? » Nous nous sommes ainsi trouvés en porte-à-faux, parce que nous nous étions mis d’accord sur une posture, et non sur une position de négociation.

De surcroît, l’Union européenne a été incapable d’opposer un interlocuteur unique au Premier ministre chinois ou au Président américain. Le président de la Commission n’est pas venu ! Bref, l’Europe en tant que telle, porteuse d’un mandat et de propositions, et susceptible de négocier, n’avait pas d’existence : ce fut un désastre !

M. Philippe Martin. La présidence européenne du moment a-t-elle été défaillante ?

M. Jean-Michel Debrat. En effet, cela a joué. Mais les Européens ne se sont appuyés ni sur la présidence, ni sur la commission. Le président de la République a réussi à interpeller la Conférence en exigeant d’aboutir à un texte, mais son poids n’était pas suffisant pour obliger la Chine ou les États-Unis à signer un texte substantiel.

Pour nous, ce résultat est d’autant plus décevant que nous avons le sentiment qu’il est possible de fédérer les financements européens et d’en faire de vrais atouts dans une négociation ; la BEI, la KfW et l’AFD pourraient ainsi s’engager à verser 500 millions d’euros contre un changement radical de politique énergétique.

Nous verrons comment les choses évolueront dans les prochaines semaines. Pour l’instant, cinq ou six États ont clairement exprimé leur désaccord, une trentaine ont décidé de signer le texte, les autres n’ont rien dit. C’est le marais barométrique ! Comme on n’est pas dans le cadre de l’ONU, il n’y a pas de résultat juridiquement exploitable.

M. André Chassaigne. Combien de pays européens ont réellement signé ?

M. Jean-Michel Debrat. Je l’ignore.

M. Denis Loyer. Si j’ai bien compris, il n’y aura qu’une signature, celle de l’Union européenne. Ce sera d’ailleurs la même chose pour l’Union africaine ou l’AOSIS (Alliance of Small Island States) : certains pays se regrouperont autour d’une signature.

M. Pierre Forestier, membre de la direction des opérations finance et négociations climat de l’AFD. Tout se jouera d’ici à la fin du mois : les pays doivent inscrire dans les annexes de l’accord, soit, pour les pays de l’Annexe I, les engagements qu’ils entendent prendre, soit, pour ceux qui n’étaient pas signataires du protocole de Kyoto, ce qu’ils comptent faire, suivant une méthodologie mal définie. Le résultat sera donc hétéroclite.

Il ne s’agit pas de « signature » à proprement parler. L’accord a été fondé par vingt-huit pays. Il reste à savoir qui va y adhérer, et suivant quelles modalités.

M. Denis Loyer. S’agissant du bois de chauffe et de la biomasse, il y a deux réponses possibles. La première consiste à renforcer l’efficacité énergétique au moyen de foyers améliorés, qui réduisent la consommation de 20 %. L’AFD finance à cette fin le Groupe énergies renouvelables, environnement et solidarité (GERES), une ONG française qui équipe 25 000 foyers améliorés par mois au Cambodge. Il s’agit par conséquent d’une action envisageable à grande échelle.

M. le président Christian Jacob. Qu’est-ce qu’un « foyer amélioré » ?

M. Denis Loyer. À Madagascar, on parlerait de « fatapère ». La conception de ces barbecues rudimentaires au sol permet d’améliorer leur rendement de 10 % à 30 %. En outre, ils sont fabriqués par des artisans, ce qui contribue au développement local. D’autres ONG françaises, comme Action carbone, soutiennent ces réalisations.

La deuxième réponse, consiste à améliorer la gestion des forêts, en élaborant des plans d’exploitation avec les villageois.

Les biocarburants peuvent être une réponse à grande échelle, comme au Brésil. Surtout, ils permettent une production d’énergie déconcentrée. Dans certains villages, les habitants n’ont en effet rien d’autre qu’une presse et de l’huile : ils ne peuvent pas être raccordés au réseau et on ne peut pas leur installer des panneaux photovoltaïques. Seule solution : filtrer l’huile et la verser dans un groupe électrogène. Bien entendu, il ne faut pas que cela se fasse au détriment de la sécurité alimentaire.

M. le président Christian Jacob. D’aucuns prétendent en effet que les biocarburants entrent en concurrence avec les impératifs alimentaires, ce qui est généralement faux. Par exemple, dans le secteur de la canne à sucre, on arrive à produire de 130 à 140 % de l’énergie nécessaire pour extraire le sucre uniquement avec la bagasse.

M. Denis Loyer. De même pour l’amidon : le rendement final est moins bon, mais il permet lui aussi d’acquérir l’autonomie énergétique.

M. Jean-Michel Debrat. Je voudrais revenir sur la relation entre développement et climat, car elle suscite un fort débat interne. L’AFD ne délaisse pas le développement au profit du climat : le climat est un facteur de développement. Nous avons simplement ajouté un nouveau paramètre pour prendre nos décisions.

Par ailleurs, nous ne nions pas travailler avec les grandes entreprises. Toutefois, nous n’avons pas vocation à servir leurs intérêts. J’ai accompagné Anne Lauvergeon au Niger, car AREVA y a remporté un contrat qui a été jugé équitable. Pour exploiter le nouveau gisement, AREVA aura besoin d’électricité, de routes et de camions. Nous avons persuadé l’entreprise de se préoccuper non seulement du site, mais de l’ensemble du district, et de devenir ainsi un acteur du développement du pays : c’est la meilleure façon d’assurer sa tranquillité pour les quarante prochaines années !

M. André Chassaigne. C’est précisément ce qu’Anne Lauvergeon nous a dit !

M. Jean-Michel Debrat. Anne Lauvergeon m’a emmené au Niger afin de discuter avec les autorités nigériennes. La France avait deux visages : une grande entreprise énergétique et une agence de développement. Nous avons dit aux responsables d’AREVA qu’il ne fallait pas songer uniquement à leurs personnels, mais qu’ils devaient participer à la politique nationale de formation professionnelle du Niger. Par ailleurs, si AREVA faisait appel à des sous-traitants locaux, ce qui serait une bonne chose, il faudrait renforcer les fonds propres des PME locales, ce qui est de notre ressort, et leur accorder des prêts. Nous refusons de le faire à la place des banques nigériennes, mais nous sommes prêts à apporter une garantie supplémentaire aux dossiers trop fragiles. Bref, nous intervenons sur des questions qui concernent le développement du Niger autant qu’AREVA. De même, nous avons discuté la semaine dernière avec les dirigeants de Total Afrique, sur des sujets similaires.

M. le président Christian Jacob. Messieurs, je vous remercie pour la qualité et l’intérêt des réponses que vous nous avez apportées.

—fpfp—

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 20 janvier 2010 à 16 h 15

Présents. - Mme Françoise Branget, M. André Chassaigne, M. Frédéric Cuvillier, M. Lucien Degauchy, M. Raymond Durand, M. Philippe Duron, M. Albert Facon, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Gaillard, M. Jean-Pierre Giran, M. Christian Jacob, M. Armand Jung, M. Jacques Kossowski, Mme Fabienne Labrette-Ménager, Mme Conchita Lacuey, M. Pierre Lang, M. Jacques Le Nay, M. Jean-Pierre Marcon, M. Philippe Martin, M. Christian Patria, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier

Excusés. - M. Jérôme Bignon, M. Stéphane Demilly, M. Joël Giraud, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont