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Mercredi 31 mars 2010

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n° 43

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire sur le projet de loi, adopté par le Sénat, de réforme des collectivités territoriales (n° 2280) (M. Jérôme Bignon, rapporteur pour avis)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire sur le projet de loi, adopté par le Sénat, de réforme des collectivités territoriales (n° 2280) (M. Jérôme Bignon, rapporteur pour avis).

M. le président Christian Jacob. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, de réforme des collectivités territoriales.

J’ai souhaité que la commission soit saisie pour avis sur les textes touchant à la réforme des collectivités parce que les changements envisagés auront des effets importants pour nos territoires, que nous avons le souci de développer et valoriser. Celui que nous examinons aujourd’hui pose le principe d’un mandat de conseiller territorial, de la création de métropoles, du développement de l’intercommunalité et d’une alliance entre départements et régions. D’autres textes préciseront les compétences et le mode de scrutin.

C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité vous entendre, monsieur le ministre. Je vous donne la parole pour une présentation globale du projet de loi.

M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. Je vous remercie, monsieur le président, de m’avoir invité pour dialoguer avec les membres de votre Commission sur cette deuxième loi de réforme territoriale.

Cette réforme, très attendue, a fait l’objet d’un riche débat au Sénat car elle cristallise à la fois les espoirs et les inquiétudes. Je m’exprime devant vous en tant que ministre mais, pour pratiquer depuis quarante ans comme élu local toutes formes de collectivités, je connais à la fois leurs acquis et leurs besoins de réforme. Je peux comprendre que le fait de passer à un système nouveau puisse générer des craintes, même si celles-ci portent plus sur les enjeux financiers que sur les changements institutionnels.

Cette réforme, attendue par la population soucieuse d’une plus grande cohérence dans l’action locale, se déclinera en trois projets de loi ordinaires et un projet de loi organique.

Vous avez déjà adopté, au début de cette année, le projet de loi organisant un renouvellement concomitant des conseils généraux et des conseils régionaux. Le projet de loi qui fait l’objet de notre réunion d’aujourd’hui a trait au volet institutionnel de la réforme. Un autre texte précisera les compétences des départements et des régions. Les services du ministère de l’Intérieur travaillent en ce moment à son élaboration, de façon à ce que l’Assemblée nationale puisse disposer, comme le ministre de l’Intérieur s’y est engagé, des ébauches de ce texte avant l’examen du présent projet de loi. Un autre texte précisera le mode d’élection des conseillers territoriaux. Je ne doute pas qu’il suscitera les passions.

Le présent projet a fait l’objet d’un long débat au Sénat – il a duré 66 heures ! Son économie générale a été approuvée, notamment le principe d’un mandat de conseiller territorial, ce qui n’était pas évident au départ. Ce texte, en l’état actuel, est en retrait sur un certain nombre de points par rapport à l’ambition initiale du Gouvernement. Il y a donc matière à débat.

La réforme institutionnelle vise à donner aux élus les moyens de rendre le gouvernement du territoire plus lisible en renforçant la convergence des politiques publiques. Elle permettra d’améliorer la cohérence et la coopération entre les collectivités. Nous souhaitons renforcer les moyens d’une gouvernance pluri-niveaux comme celle qui existe dans la plupart des pays européens.

Cette évolution concerne également l’État, qui devra encore davantage intégrer les collectivités dans la conception et la mise en œuvre des politiques engagées, notamment à travers des engagements contractuels. Le Gouvernement développe une vision de l’organisation territoriale organisée autour de trois axes complémentaires : des territoires urbains, denses, mieux structurés et plus compétitifs ; une alliance entre départements et régions mieux articulée et complémentaire ; et un binôme entre communes et intercommunalités renforcé.

Nous avons besoin d’un outil pour gérer de façon plus efficace les territoires urbains très denses. Les grandes villes et les agglomérations, pièces essentielles de notre armature territoriale, doivent mieux s’organiser. La mondialisation donne une place centrale aux métropoles. Or la France est insuffisamment dotée de ce point de vue. C’est pourquoi le Gouvernement propose de développer des métropoles fortes, très intégrées sur les plans financier et des compétences.

Lors de l’élaboration du projet de loi, nous avions opté, après de longs débats, pour des métropoles établissements publics de coopération intercommunale. Cela revenait à conserver les communes mais les métropoles devaient être mieux intégrées que les actuels EPCI.

Dans l’esprit du Gouvernement, il ne s’agit pas de couvrir la France de métropoles. Ce n’est pas un problème de prestige ! Une métropole doit répondre à des critères en termes de population et de fonctions – recherche, enseignement supérieur, économie. Si on se laissait aller à créer autant de métropoles qu’il y a de clochers dans ce pays, ce ne serait pas la peine. Les métropoles doivent être des lieux de création de richesses dont puisse bénéficier tout le pays alentour.

Après l’examen par le Sénat, les métropoles ont été réduites à des communautés de communes dont on a changé le nom. Nous sommes bien loin de l’objectif du Gouvernement. Certes, nous n’étions pas allés jusqu’à retenir le modèle, proposé par M. Balladur, d’une métropole qui aurait absorbé les communes et le département. Mais nous avions conçu des métropoles fortes et très intégrées à qui nous souhaitions confier certaines compétences du département, voire de la région. Il y a donc là matière à discussion et à progrès.

La deuxième innovation du texte est de proposer une alliance départements/région qui se concrétise par la création d’un mandat de conseiller territorial, ce qui signifie les mêmes élus pour le département et la région. Ce renforcement est justifié par le fait que ces collectivités, même si elles ont des champs de compétences obligatoires distincts – plus sociales pour le département, plus économiques pour la région –, ont des domaines d’action communs.

Nous nous sommes interrogés longtemps sur l’opportunité de supprimer un niveau. Des spécialistes des collectivités locales se plaignent régulièrement qu’il y ait trop d’échelons dans le système français. Mais, quand on compare la France avec les autres pays européens, même si cette comparaison a ses limites puisque notre pays est le moins tenté de tous par le fédéralisme, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de grandes différences.

Pouvait-on supprimer les départements ? C’est très difficile parce qu’ils sont ancrés dans la vie des gens au point que l’on s’identifie à travers le numéro d’immatriculation de son véhicule. Nous nous sommes aperçus que le département était entré, au fil de l’histoire, dans les esprits et qu’il était très difficile de le supprimer.

Pouvait-on supprimer les régions ? À tort ou a raison, elles apparaissent comme modernes et, pour ce motif, ne peuvent pas non plus être supprimées.

Devant ce double constat, le Gouvernement a décidé de garder la région comme le département et de les rapprocher par la création du conseiller territorial. Je ne doute pas qu’il y aura de nombreuses questions à ce sujet. C’est pourquoi je passe à l’innovation suivante du texte, qui est le renforcement de l’intercommunalité.

Celle-ci a été un succès. Elle a permis de passer un cap en obligeant les communes à travailler et à mener des projets ensemble. Elle a cependant besoin d’être améliorée.

Premièrement, elle doit être généralisée sur l’ensemble du territoire car il reste encore des espaces restés à l’écart.

Deuxièmement, elle doit être plus démocratique. Elle est, en effet, devenue un peu trop technocratique. On a créé des chargés de mission, qui font bien leur travail, mais qui sont déconnectés des citoyens. Il me paraît donc bien que les citoyens puissent élire et contrôler les délégués qui gérent ces intercommunalités. Pour susciter encore plus de questions, j’ajoute, avec une pointe de provocation, que l’augmentation des impôts des collectivités locales est essentiellement due à l’intercommunalité. Je tiens à votre disposition les chiffres qui le prouvent.

Nous proposons également de revoir les périmètres dans le cadre de la conférence départementale de coopération intercommunale et en donnant aux préfets des pouvoirs particuliers à cet effet.

Nous nous sommes demandé s’il fallait aller plus loin et traiter d’un sujet hautement tabou, à savoir du nombre de communes en France. Y en a-t-il trop ? La réponse est probablement oui. Faut-il les fusionner ? La réponse est plus difficile.

Le projet de loi ne prévoit donc pas de fusions autoritaires, mais il offre aux communes qui le souhaitent la possibilité de se regrouper en supprimant un aspect rebutant de la loi Marcellin. Celle-ci présente en effet l’inconvénient pratique que seule la commune centre peut choisir le maire : comme c’est le conseil municipal qui l’élit, celui-ci est forcément issu de la commune la plus importante. Il est proposé que les maires des communes déléguées conservent un certain nombre de compétences, un peu sur le modèle des maires d’arrondissement à Marseille, Lyon et à Paris.

Tel est l’essentiel de l’organisation institutionnelle du projet de loi après son passage au Sénat.

M. Jérôme Bignon, rapporteur pour avis. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour cette présentation à la fois concise et exhaustive. Comme le président l’a précisé, c’est sous l’angle de l’aménagement du territoire que notre commission examinera les textes sur la réforme territoriale. Les trois points principaux du présent texte que sont les métropoles, le couple départements/région et le couple communauté/communes donnent à l’organisation de notre territoire une nouvelle inflexion, dont il nous paraît important de mesurer l’impact.

Ma première série de questions porte sur les métropoles.

L’abaissement du seuil démographique, qui offre l’opportunité à de nombreuses grandes villes de se transformer en métropoles, ne fait-il pas courir un risque aux régions ? Je prends un exemple. Imaginons qu’il y ait trois métropoles en région PACA : Nice, Toulon et Marseille. La région PACA devra consacrer l’essentiel de son activité à l’arrière-pays, peu dense, alors que l’essentiel des ressources seront transférées aux métropoles de la zone littorale.

Par ailleurs, un rapide survol des agglomérations de plus de 450 000 habitants montre qu’il y aura une gigantesque bulle à l’intérieur de notre pays, allant de Dijon à Bordeaux et d’Orléans à Toulouse, dépourvue de métropole. Je sais bien qu’on peut vivre en dehors d’une métropole. Je suis l’élu d’un secteur rural où il n’y a pas une commune qui dépasse 5 000 habitants et mes concitoyens de la Somme vivent bien. Il y a quand même un effet de concentration et d’attractivité des richesses sur les métropoles qui peut poser des problèmes en termes d’aménagement du territoire.

Ma deuxième question a trait aux fusions de communes. J’ai été pendant vingt et un ans maire d’une petite commune qui était fusionnée, selon la loi Marcellin, à une autre commune de même taille. Cela n’a pas été facile, ce qui me laisse penser qu’à une taille supérieure, cela doit l’être encore moins. Le processus de fusion de communes, tel qu’il a été adopté par le Sénat, me semble tellement exigeant que je me demande s’il est voué à fonctionner un jour.

Ma troisième question concerne les pays. Il est exact qu’un trop grand nombre de niveaux nuit à la lisibilité de l’action. C’est compliqué et parfois coûteux car cela impose des moyens financiers. Cela étant, il n’est pas absurde que des communautés de communes travaillent ensemble à des actions de long terme sur leur territoire. Si la création de nouveaux pays n’est pas prévue, quel mécanisme les remplacera ? Ne va-t-on pas obliger les élus à réfléchir à un nouveau processus permettant aux communautés de communes de coopérer avec le voisin quand elles auront à le faire ? Ne va-t-on pas se priver des conseils de développement, qui sont pourtant des moyens intéressants de réunir les forces vives, notamment en zone rurale ? Le concept de conseil de développement est assez « grenellien ». Rassembler des gens pour réfléchir à l’avenir de la société civile présente un intérêt certain.

Ma dernière question porte sur les spécificités territoriales. Notre pays n’est pas un bloc homogène. Le souci républicain centralisateur, qui a fait de ce pays ce qu’il est, est encore très présent dans nos esprits. Il n’a pas gommé les spécificités locales. La montagne en est l’exemple type ; la vie dans ces zones est tellement particulière qu’il est spécifié, dans la loi montagne, que toute loi concernant les collectivités territoriales devait tenir compte de la spécificité des problématiques rencontrées. La singularité des zones du littoral n’est pas moindre puisqu’elles doivent concilier urbanisation et fragilité des milieux. On pourrait multiplier les exemples. La concentration urbaine est également une donnée qui mérite d’être traitée à part. C’est d’ailleurs l’objet de la création de métropoles. Les spécificités territoriales sont-elles suffisamment prises en compte dans le projet de loi tel qu’il nous revient du Sénat ? Ne pourraient-elles pas l’être davantage ?

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Monsieur le ministre, il est tout à fait naturel que notre commission soit saisie pour avis sur ce projet de loi car, sans les collectivités territoriales, il n’y aurait pas de politique d’aménagement du territoire. Toute action en ce domaine est conduite en partenariat soit avec l’Europe, soit avec les collectivités territoriales. Cela vaut pour les politiques d’aménagement local comme pour les grandes infrastructures – même si cela ne devrait pas l’être. Or le projet de loi que nous examinons est la mort de ces politiques, du fait notamment de la suppression de la clause de compétence générale.

Les attentes concernant ce projet de loi sont effectivement grandes. Mais le texte n’y répond pas. Il suscite par contre de nombreuses craintes. Je peux vous dire qu’au sein de l’association des départements de France, elles sont partagées par tout l’échiquier politique.

Vous nous avez dit que cette réforme était très demandée par nos concitoyens. En tant qu’élue de terrain, je n’ai encore vu aucun citoyen me demander quand serait mise en place la réforme territoriale. Ils me font part régulièrement de leurs inquiétudes pour l’avenir de leurs enfants, pour l’emploi ou pour leur pouvoir d’achat. Mais aucun ne s’est inquiété de ce que la mise à deux fois deux voies de la route Centre Europe Atlantique soit financée par l’Europe, par l’État, par la région et par le département. Par contre, ils déplorent tous que les travaux n’aillent pas assez vite et ils me demandent quand ceux-ci seront terminés.

Il faut être sérieux, monsieur le ministre. Nos concitoyens se fichent complètement de « qui fait quoi ». Ils veulent que le pays fonctionne et que les chantiers prévus avancent.

Je passerai maintenant en revue les présupposés affichés de la réforme des collectivités territoriales.

La réforme aurait pour but de contenir le coût de la démocratie locale car les élus locaux seraient trop nombreux et coûteraient trop cher. C’est faux. Le coût de la démocratie locale représente 0,3 % des budgets de fonctionnement des collectivités locales.

La dette publique de ce pays serait liée aux collectivités locales. C’est faux. Moins d’un dixième de la dette publique provient des collectivités locales et je précise à l’intention de l’ancien président du conseil général que vous êtes, monsieur le ministre, que la dette des départements ne représente que 3 % de ces 10 %. Le coût de la démocratie locale est donc un faux prétexte.

La réforme permettrait la simplification d’un soi-disant millefeuille territorial. Vous avez vous-même reconnu, monsieur le ministre, qu’il n’y avait pas plus de millefeuille territorial dans notre pays que dans d’autres Etats d’Europe. La question n’est pas là. J’observe au demeurant que le texte, non seulement ne va rien simplifier, mais va même compliquer le système en rajoutant les métropoles et les communes nouvelles.

La réforme permettrait une clarification des compétences. Le projet de loi que nous examinons ne clarifie aucune compétence puisqu’on fait passer la charrue avant les bœufs. Le texte en question sera examiné après celui-ci.

Comme on le voit, aucun des présupposés de la réforme ne trouve de réponse dans ce texte.

Si l’intercommunalité sort peut-être gagnante de cette réforme – et encore, il faut voir à quel prix –, il y a beaucoup de perdants : la commune, le département, la région et, plus grave encore, la démocratie locale et, au final, nos concitoyens, qui ne s’y trompent pas.

Le Gouvernement a voulu faire croire que ce texte ne concernait que les élus. Nos concitoyens commencent à comprendre que la réforme, ayant des répercussions sur leur vie quotidienne, ils sont concernés au premier chef. Le projet de loi entraîne une perte de capacité d’intervention de leur collectivité locale. La suppression de la clause de compétence générale et la mise sous tutelle financière des collectivités locales enlèvent à ces dernières toute autonomie fiscale et tout pouvoir de décision. La proximité des élus avec leurs administrés est remise en cause par la création du conseiller territorial, qui est un non-sens absolu, une aberration totale tant dans son mode d’élection que dans ses fonctions.

Les « couples à trois » qu’il aurait fallu favoriser, monsieur le ministre, sont, pour l’action locale, l’association communes/intercommunalité/département et, pour la planification, la prospective et la recherche, l’association régions/État/Europe. Voilà une réforme qui aurait été de bon sens. Mais le rapprochement départements/région est un non-sens absolu. Les conseillers territoriaux seront des élus hybrides sur un territoire inconsistant. Une autre grande perdante, monsieur le ministre, sera la parité. Or, tout le monde sait que je n’en fais pas mon cheval de bataille.

M. Balladur voulait voir l’évaporation des départements et des communes. C’est ce qui est en train de se passer avec ce texte.

Lors d’une réunion que j’ai organisée dernièrement dans mon département, où étaient invités aussi bien des présidents de conseils généraux et des maires de tous bords que des professionnels et des représentants du monde associatif, le président des maires ruraux – vous êtes également, monsieur Mercier, ministre de l’espace rural – a déclaré que la réforme était nocive pour la ruralité et pour les citoyens en général.

Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous combattrons cette réforme et présenterons des propositions.

J’observe d’ailleurs avec intérêt que l’examen du texte est repoussé. J’espère que le Gouvernement commence à entendre les voix qui montent de la France, y compris de sa propre majorité. En Haute-Vienne, un grand panneau est accroché sur le site du centre dramatique national afin d’informer sur les risques que fait porter la réforme sur la culture. Les professionnels du bâtiment et des travaux publics se saisissent également du sujet en dénonçant les graves conséquences de la réforme pour nos territoires.

Je vous en conjure, monsieur le ministre, faites en sorte, vous qui êtes attaché aux politiques territoriales, que cette réforme soit profondément amendée. En tout cas, c’est ce à quoi nous travaillerons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Serge Grouard. Mon intervention ne reflétera pas forcément la position du groupe UMP. Je m’en excuse par avance auprès de mes collègues.

Je note dans l’intervention de Mme Pérol-Dumont deux attitudes que je déplore dans notre vie politique : un conservatisme qui tend à tout bloquer alors que nous savons que des réformes de structure et de gouvernance sont nécessaires et une tendance à jouer sur le sentiment d’inquiétude. Je trouve cela dommage parce qu’un texte aussi important que celui qui nous est soumis mériterait d’être travaillé avec objectivité et sérénité.

Personnellement, je regrette que le texte ait perdu beaucoup de son ambition initiale. J’ai apprécié les ouvertures que vous avez faites, monsieur le ministre, pour susciter la réflexion et permettre des améliorations.

Si je me félicite du rapprochement départements/région via le conseiller territorial, je mets en garde contre le risque de déséquilibre qu’il comporte si l’échelon communal n’est pas également renforcé.

En l’état actuel du texte, la création des métropoles risque de précipiter un autre déséquilibre. Le seuil démographique fixé à 450 000 habitants permettant la création de tout au plus neuf métropoles, il suffit de regarder une carte de France pour voir que toute la partie centrale de notre pays en sera dépourvue. Cela va créer un écart entre les collectivités qui pourront disposer du surplus de capacités qui sera alloué aux métropoles et les autres. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir évoqué d’autres critères que la démographie. Je propose que nous travaillions sur cette piste.

Le dispositif prévu pour les communes nouvelles me paraît tout à fait intéressant. Mais je crains que ses conditions de mise en œuvre ne soient dissuasives et rendent le dispositif inexploitable. Pour éviter qu’il ne reste lettre morte, il me paraîtrait souhaitable, puisque le dispositif demeure facultatif, de le rendre plus facile d’accès.

Comme Fernand Braudel l’a bien montré, la France est diverse. Il me paraît important de respecter cette diversité et de ne pas imposer des cadres uniformes. En particulier, je ne crois pas que les mêmes structures doivent s’appliquer aux zones urbaines et aux zones rurales. Si la fusion de communes ne pose pas vraiment de problème dans le monde rural – même s’il est important de laisser les petites communes libres de choisir de se regrouper ou non –, je ne vois pas quelle logique il peut y avoir à faire passer une frontière communale au milieu d’une rue en milieu urbain. Nous avons beaucoup de progrès à faire en matière de gouvernance et d’économie. Je suis favorable au rapprochement des communes en milieu urbain. Cela suppose de rendre les dispositifs applicables.

Favorable, au départ, à la suppression des pays, je me suis rendu compte que beaucoup fonctionnaient bien et ne coûtaient pas cher. De plus, comme l’a indiqué M. le rapporteur pour avis, ils permettent de faire fonctionner des intercommunalités entre elles, ce qui n’est pas négligeable. Je n’ai pas de solution mais je souhaite que la question soit traitée.

Il y a quelques années, le Gouvernement a lancé des pôles de compétitivité. Cette initiative a suscité un grand débat sur la taille que devaient avoir ces organismes. Il y avait tout au plus dix ou onze pôles de compétitivité mondiaux. Le Gouvernement a adopté une logique d’ouverture en affirmant que ce n’est pas parce qu’un pôle est plus petit qu’il est moins efficace et moins concurrentiel. Je veux d’ailleurs tordre le cou à ce concept d’échelle mondiale qui ne veut rien dire. S’il était si important, il n’y aurait pas de PME gagnantes. Il n’y aurait que des multinationales, ce qui n’est pas cas. Calquons-nous donc sur la logique des pôles de compétitivité.

Je souhaite qu’on ait le courage de redonner à ce texte son ambition initiale. J’affirme que l’on peut faire « mieux pour moins cher » et qu’on peut rendre le système cohérent dans la durée. Pour cela, il faut aller au bout des logiques car, si on s’arrête à mi-chemin, on cumule tous les inconvénients.

M. Stéphane Demilly. Avant de poser mes questions sur le texte particulièrement dense que notre commission examine aujourd’hui et dont l’ambition est de rendre plus efficace le jardin territorial à la française, je ferai une remarque sur la désignation des délégués communautaires.

En ma qualité de président d’une communauté de communes regroupant 62 communes, je trouve que vous avez trouvé un bon compromis entre, d’une part, l’introduction de plus de démocratie et, d’autre part, le respect du sanctuaire de dialogue constructif que doit être une intercommunalité. Je m’explique. Le fait que la population choisisse directement son délégué communautaire introduit plus de démocratie. C’est d’autant plus important qu’il lève l’impôt par la fiscalité additionnelle ou, encore pour quelque temps, par le biais de la taxe professionnelle unique. Par ailleurs, le choix du suffrage universel direct respecte le dialogue au sein de l’hémicycle intercommunal. Un scrutin spécifique pour les délégués communautaires aurait créé un rendez-vous électoral de plus – ce qui aurait risqué de lasser la population – et aurait, de facto, entraîné la constitution d’une majorité et d’une opposition qui se serait affrontées.

Ma première question est relative au futur conseiller territorial, qui sera amené à siéger à la fois à la région et au département. Comment comptez-vous prendre en compte la parité ? Celle-ci ne pourrait jouer que sur la fraction d’élus à la proportionnelle, alors que, aujourd’hui, elle est obligatoire au sein des assemblées régionales.

Ma deuxième question concerne la clause de compétence générale des départements et des régions. Quelle réponse pouvez-vous donner à ceux qui, dans les milieux culturels et sportifs notamment, s’inquiètent – et leur inquiétude est parfois relayée de manière politique – de sa disparition sur le financement de leur activité ?

Ma troisième question porte sur l’intercommunalité. Pouvez-vous me préciser selon quelles modalités les communes n’appartenant actuellement à aucune structure – dont le nombre est à peu près de 3 000 – seront amenées à se rattacher obligatoirement à un EPCI d’ici à 2014 ?

Enfin, que vont devenir les pays existants ? Sont-ils maintenus ? Si oui, n’est-il pas plus sage, toujours dans un souci de simplification, de pousser à la fusion de certaines communautés de communes monocantonales ne représentant parfois que quelques milliers d’habitants ? Cela me semblerait plus logique.

M. le président Christian Jacob. Avant de donner la parole à M. le ministre, je voudrais revenir brièvement sur deux ou trois points évoqués par plusieurs de nos collègues.

En matière de fusions de communes, je pense très honnêtement qu’il faut en laisser l’initiative aux communes. Je suis, personnellement, très réservé, sur leur réussite.

Je suis favorable, non pas à la fusion départements/région mais à la fusion des exécutifs, ce qui est totalement différent. Cela pourrait permettre, dans le cadre régional, de siéger par collègues départementaux et, ainsi, d’être plus efficaces, plus rapides et de mieux utiliser l’argent public.

Les pays me semblent être de bons sas de rapprochement. Je préside également une intercommunalité regroupant 30 communes et certains projets de territoire nous obligent à travailler à trois communautés de communes, c’est-à-dire à 70 ou 80 communes. Le pays encadre de tels rapprochements dans une logique associative sans aucun coût de fonctionnement. Il permettra peut-être, un jour, d’aller plus loin dans cette approche de territoire.

Concernant le mode de scrutin, une approche uniquement démographique ne tient pas. Il faut également prendre en compte les territoires, comme on le voit dans le domaine des transports et pour tous les sujets de compétence.

M. le ministre. La question des métropoles n’a pas été épuisée par le débat au Sénat. Il faut en donner une définition qui emporte une organisation spécifique. Selon le rapport de Christian Saint-Étienne de 2009 «  Mobiliser les territoires pour une croissance harmonieuse », la métropole se caractérise par l’exercice de fonctions contribuant à la création de richesses. Par conséquent, sa définition ne doit pas reposer exclusivement sur des critères démographiques, mais prendre en compte son rôle dans les domaines économique, technologique, culturel, dans l’organisation des transports, etc. Le débat doit donc se poursuivre sur ce point. Au reste, le seuil de 450 000 habitants n’est pas intangible : le Gouvernement ne l’a retenu que pour intégrer Strasbourg, eu égard à son rôle européen.

La métropole ayant été définie, il faudra l’organiser autrement que la communauté urbaine, ou nous perdrons notre temps. Il peut exister plusieurs métropoles dans une seule région, comme par exemple en Provence-Alpes-Côte d’Azur, mais Aix-en-Provence et Marseille sont difficiles à rassembler. La formation d’une métropole implique un désir mutuel de se rapprocher, sinon on ne créerait qu’une entité administrative artificielle.

Une métropole très peuplée pourrait absorber les compétences de la région, avez-vous dit. Le même problème peut se poser à l’échelon départemental. Certains défendent d’ailleurs le département afin d’échapper à la domination d’une importante communauté urbaine – ainsi dans le Rhône face à Lyon. Néanmoins, je persiste à penser que la France a besoin de métropoles fortes comme vecteurs de développement car la réunion des forces est parfois nécessaire. Et si le précédent des pôles de compétitivité montre que la taille n’implique ni ne conditionne l’efficacité, je constate que certains de ces pôles demandent aujourd’hui à être réunis. Quoi qu’il en soit, je le redis, le texte du Sénat n’est pas satisfaisant, en l’état. Le débat doit avoir lieu à l’Assemblée nationale pour améliorer le dispositif.

Concernant les fusions de communes, la rédaction sénatoriale est compliquée, d’application difficile, voire impossible. Les fusions doivent résulter d’un accord entre conseils municipaux, auxquels il faut faire confiance. Elles sont peu aisées à mettre en œuvre en raison des disparités de taille et de motivations entre collectivités. Il ne faut pas imposer un modèle unique, ni subordonner l’opération à l’octroi d’avantages financiers temporaires. Nous devons respecter le choix de chacun et imaginer un dispositif législatif qui, globalement, facilite les initiatives locales.

D’une façon générale, là où ils existent, les pays fonctionnent bien. Le projet de loi en supprime le fondement légal, de sorte que ceux qui existent déjà pourront se maintenir Simplement, on ne pourra pas en créer de nouveaux. Mais depuis 1995, tous ceux qui ont ressenti le besoin de le faire l’ont fait, on peut en déduire que l’absence d’un pays découle d’une absence d’intérêt.

On ne peut traiter tous les territoires de la même façon. Ils doivent pouvoir s’organiser eux-mêmes et disposent pour cela d’autres outils que les contrats de pays. Des syndicats fondés sur les schémas de cohérence territoriale (SCOT) se forment un peu partout aujourd’hui. Il convient d’utiliser au mieux les institutions existantes plutôt que d’en créer de nouvelles.

Toute collectivité, y compris communale, peut librement mettre en place un conseil de développement, conformément à l’article 72 de la Constitution sur la libre administration des collectivités territoriales. Mais on peut le préciser dans la loi.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Les collectivités disposent donc d’une compétence générale dont la suppression serait contraire à la Constitution.

M. le ministre. N’exagérons pas la portée de la suppression de la clause de compétence générale, résultant des lois de 1871, de 1884 et de 1982 : jamais les collectivités locales ne l’invoquent pour prendre une décision. Un changement radical est intervenu depuis 1982 : presque chaque texte de loi a donné compétence à une ou plusieurs catégories de collectivités locales, – communes, départements ou régions –, pour mettre en œuvre une partie de son dispositif. Ces prérogatives font actuellement l’objet d’un recensement par la direction générale des collectivités locales. C’est un énorme travail tant elles sont nombreuses.

D’autre part, aux termes de l’article 35 du projet de loi, les collectivités exercent leurs compétences légales propres mais non celles qui sont attribuées à d’autres collectivités. En cas de silence de la loi, un droit d’initiative générale leur est reconnu dès lors que celle-ci se fonde sur l’intérêt local et résulte d’une délibération dûment motivée, le contrôle du juge administratif appréciant l’ensemble.

Les domaines de la culture et du sport n’ont pas fait l’objet de mesures de décentralisation. Le premier demeure centralisé au sein des directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Le second repose sur les fédérations sportives. Le projet de loi permet aux collectivités locales d’intervenir dans ces deux domaines.

Si le texte a perdu quelques-unes de ses ambitions initiales, monsieur Grouard, le Gouvernement est ouvert à de nouvelles propositions des parlementaires.

Monsieur Demilly, le respect de la parité entre hommes et femmes dans l’élection des conseillers territoriaux est imposé par la rédaction sénatoriale de l’article 1er qui en rappelle le principe au titre de la part de scrutin proportionnel. Le Gouvernement est disposé à de nouvelles discussions sur le mode de scrutin.

Le projet de loi prévoit des dispositions temporaires en matière d’intercommunalité concernant les communes isolées, confiant aux préfets l’élaboration des schémas départementaux de coopération intercommunale et de périmètres de fusion des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Certains souhaiteraient réduire la durée de cette période temporaire s’achevant en 2013. Pour autant, les préfets ne sont pas chargés d’imposer de nouvelles règles : la plupart des difficultés doivent être résolues par les élus locaux.

Mme Marie-Line Reynaud. Certaines régions comptant jusqu’à huit départements, je me demande comment les futurs conseillers territoriaux vont pouvoir exercer toutes leurs missions et gérer leur agenda. Ce sera une fonction à temps plein. Dès lors, avez-vous envisagé une réforme du statut et du régime indemnitaire des élus ?

M. François Grosdidier. L’institution et l’élection des conseillers territoriaux sont une excellente idée qui devrait remédier aux empiétements de compétences du département et de la région, obligeant souvent les maires à présenter un même dossier de subvention aux deux collectivités, qui appliquent parfois des critères contradictoires. D’autres acteurs compliquent encore le jeu : l’État ou encore des établissements publics nationaux – ainsi, en matière d’urbanisme, ceux de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).

La simplification apportée par l’institution du conseiller territorial est d’autant plus précieuse que les compétences sociale et économique, quoique relevant de collectivités différentes, se dissocient difficilement.

En revanche, même si je m’y rallie finalement, l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct ne me paraissait pas indispensable : leur représentativité est déjà reconnue. Les élus intercommunaux devant être en phase avec les communes, leur désignation au suffrage indirect ne les rendait pas plus illégitimes que ne le sont les sénateurs élus dans les mêmes conditions. Il y a le risque de creuser un écart avec les élus municipaux. Sans doute a-t-on considéré leur élection directe comme une exigence intellectuelle dans la mesure où ils disposent du pouvoir de lever l’impôt direct.

Il ne faut pas surestimer l’intérêt des fusions de communes. Si, dans les villages, on devait remplacer les élus par des fonctionnaires, la fiscalité locale exploserait. Réduire le nombre de communes ne ferait réaliser aucune économie, bien au contraire. Toutefois, la procédure de fusion doit être simplifiée. Des incitations sous forme de bonification de la dotation générale de fonctionnement n’ont rien d’un dispositif coercitif.

A-t-on mené, pour l’attribution des compétences, une réflexion croisée entre la réforme des collectivités locales et le Grenelle de l’environnement ? La question est fondée notamment en matière de décisions d’urbanisme. Si on prive les communes de cette compétence, on les vide de toute substance.

Il faut être le moins directif possible sur le développement de la démocratie participative. Celle-ci présente bien des avantages, mais elle peut induire des surcoûts sans vraie nécessité. Les collectivités locales sont déjà assez libres de l’organiser. Laissons l’initiative aux élus !

M. André Vézinhet. Le groupe SRC n’est pas hostile par principe à la réforme, loin de là. S’agissant de celle-ci, il y a de nombreux points sur lesquels nous aurions pu nous entendre. On aurait ainsi pu revenir sur le partage, entre département et région, de la gestion des lycées et collèges, ou encore sur l’attribution au département, de la compétence sur les services d’incendie et de secours pour des raisons exclusivement financières. Et si les zones d’activités macro-économiques doivent manifestement relever des régions, il me semble que les zones d’activités micro-économiques, les zones artisanales, pouvaient très bien demeurer dans le champ de compétence départemental.

Je tiens une permanence tous les vendredis après-midi depuis trente-sept ans. Je n’ai jamais entendu un citoyen se plaindre du « millefeuille territorial », évoqué pour justifier la réforme qui, paradoxalement, ajoute deux niveaux supplémentaires.

À cet égard, même si je sais tout ce que mon canton doit à la ville de Montpellier, le projet de métropoles m’inquiète fortement car il pourrait aggraver les inégalités dans un contexte déjà marqué par la diminution des aides publiques.

La suppression de la clause de compétence générale aboutit à une recentralisation par le biais du contrôle de légalité préfectoral qui pourrait déboucher sur l’interdiction d’initiatives locales.

La réforme se fait par le mauvais bout. Pour moi qui ai été vice-président de conseil régional et qui préside aujourd’hui un conseil général, le regroupement des départements et des régions est une aberration sans aucun intérêt.

Enfin, le projet de loi ne prend pas en compte le fait que l’espace rural permet au monde des villes de respirer. Il manque une réflexion sur leur complémentarité, ce qui se traduit par une confusion inquiétante.

M. Martial Saddier. Même si des points de désaccord subsistent, les élus de montagne savent gré au Gouvernement de les avoir associés à la préparation du projet de loi. Le dernier congrès de l’ANEM a même fourni l’occasion d’un certain nombre d’avancées.

Ce texte organise une période transitoire pour achever la couverture intégrale du territoire par des EPCI, car l’intercommunalité n’existe pas partout. C’est le cas dans mon département. Cependant, la discussion de cette loi semble faire souffler un esprit nouveau : certains maires qui n’en avaient pas voulu pendant vingt ans se précipitent aujourd’hui pour mettre en place un EPCI à fiscalité propre. Comme par hasard, ce sont des maires de communes riches ! Après une quinzaine d’années nous n’en sommes plus à quatre mois près…

L’article 16 du projet de loi, relatif au schéma départemental de coopération intercommunale, dispose que celui-ci doit viser à une solidarité financière accrue, mais ses critères ne tiennent pas compte des aspects environnementaux. Je souhaite que notre commission, conformément à sa vocation, insiste pour que ne soient pas oubliés les impératifs du développement durable.

Le Gouvernement, et nous l’en remercions, s’est engagé à ce que le nombre de conseillers territoriaux ne puisse être inférieur à un plancher, afin que les départements à faible population puissent néanmoins être représentés. Ce plancher sera-t-il de 15 ou de 20 ? Une telle disposition ne risque-t-elle pas d’encourir la censure du Conseil constitutionnel qui a déjà refusé d’admettre le principe d’un minimum de deux députés par département, quelle que soit la population de celui-ci ? Ce serait une catastrophe pour les départements ruraux ou de montagne.

M. Jean-Paul Chanteguet. La loi de finances pour 2010 a provoqué une grande inquiétude parmi les collectivités locales, inquiétude qui n’est peut-être pas étrangère au résultat des élections régionales.

Le projet de loi – vous-même l’admettez, monsieur le ministre – manque d’ambition car, tout en le laissant entendre, il n’ose pas affirmer qu’il existe un niveau de collectivité locale superflu. Si c’est le cas, il faut le supprimer ! Mais vous restez au milieu du gué.

On assiste à une recentralisation rampante, qu’illustrent le remplacement de la taxe professionnelle par une cotisation dont les taux seront fixés par l’État ainsi que le projet de « Grand Paris ». Ce texte y ajoute les pouvoirs exceptionnels attribués aux préfets en matière d’intercommunalité et, à l’article 35, la suppression de la clause de compétence générale.

Enfin, en cas de financements croisés, j’ai cru comprendre que les collectivités locales maîtres d’ouvrage devraient dorénavant apporter au moins 50% des financements. Si cela s’avère exact, ce sera signer la mort de bien des projets !

M. Philippe Boënnec. Ce projet de loi va dans le bon sens : mieux vaut être rénovateur que conservateur ! Et la création du conseiller territorial peut améliorer l’image des élus locaux, y compris en milieu rural.

Il faut prêter attention à l’articulation entre les métropoles et les communes environnantes, qui risquent de devenir des communes dortoirs, bénéficiant de moins de services d’équipements collectifs, de transports et de culture. Comment relier ces métropoles à leur hinterland de façon à préserver la cohésion sociale ? Il me semble que nous devons être particulièrement attentifs à la répartition des compétences.

Le mécanisme de fusion des communes est trop exigeant. L’avenir me semble plutôt dans l’intercommunalité, qui garantit la mutualisation en même temps que la proximité. De mon expérience d’un pays qui a ouvert la voie à une coopération entre communautés de communes, je tire la conviction que l’essentiel est la flexibilité, qui autorise les initiatives et la contractualisation pour des actions déterminées.

M. Philippe Plisson. Les pays ne se justifient que lorsque les dimensions de l’intercommunalité sont insuffisantes. Si on veut les supprimer, il faut donc de grandes intercommunalités : disposera-t-on d’une feuille de route pour aller en ce sens ?

Dans le monde rural, la conjugaison des différentes réformes en cours provoque des inquiétudes. La suppression de la taxe professionnelle privera les intercommunalités d’une fiscalité dynamique. L’abolition de la clause de compétence générale qui empêchera les conseils généraux et régionaux de soutenir les projets d’investissement des communes. La création des métropoles concentrera les richesses et les services. Tout cela semble déboucher sur un dépérissement du monde rural, déjà fortement affecté par la crise agricole. Le ministre chargé de l’aménagement du territoire et de l’espace rural se fera-t-il complice d’un « déménagement » du territoire et de l’abandon d’un espace où les « corbeaux voleraient à l’envers » pour ne pas voir la misère ?

Mme Fabienne Labrette-Ménager. J’en suis d’accord avec Philippe Plisson : nos intercommunalités sont trop petites et, même si ce n’est pas facile, des regroupements s’imposent pour peser face aux grandes villes.

Les conseillers communautaires élus au suffrage universel direct seront-ils considérés comme titulaires d’un mandat électif et, à ce titre, soumis aux règles limitant le cumul des mandats ?

L’institution du conseiller territorial rendra la gestion locale plus lisible par les citoyens et par les élus car les tâches des conseillers régionaux et des conseillers généraux sont extrêmement proches.

La parité ne me semble pas constituer un problème : les femmes qui le souhaitent peuvent se porter candidates aux mandats locaux. La question concerne surtout les partis politiques. Plus grave est le problème de l’inégalité entre les élus venant du secteur public et ceux issus du secteur privé. De plus en plus de fonctionnaires occupent des mandats locaux et ne perdent pas leur emploi au terme de ceux-ci. Faut-il envisager, comme au Royaume-Uni, qu’un fonctionnaire soit obligé de démissionner dès qu’il obtient un deuxième mandat ?

M. François Grosdidier. S’il démissionne, il ne pourra pas retrouver son emploi dans la fonction publique, alors qu’un salarié du privé peut reprendre le sien.

Mme Catherine Quéré. Le conseiller territorial, à la fois conseiller régional et conseiller général, se présente comme un « super-cumulard ». Il devra exercer sa fonction à plein temps, surtout dans les régions comprenant beaucoup de départements, et devenir un professionnel de la politique. Il cessera d’être un élu de proximité, sera coupé du monde du travail, et, s’il est dépassé par l’ampleur de sa tâche, il est à craindre que l’administration n’en vienne à le suppléer. Ce serait un recul pour la démocratie.

Dans les grandes intercommunalités, les maires des petites communes n’exercent aucune responsabilité et n’ont pas même droit à la parole. Or les fusions de communes n’offrent pas une véritable alternative : certaines, réalisées il y a quarante ans, ne sont toujours pas acceptées et les gens continuent de se considérer comme habitants d’un village qui a depuis longtemps disparu.

Enfin, le conseil de développement est une excellente institution qui permet la participation des citoyens. Il faut donc la maintenir.

M. Daniel Fidelin. La réforme se justifie : le citoyen est, en matière d’administration locale, désireux de savoir « qui fait quoi » car il est souvent confronté, dans la répartition des compétences, à des incohérences qui nuisent au service public.

Les métropoles pourront-elles chevaucher deux départements ou deux régions ? Dans le cas du projet de pôle estuarien du Havre, l’implication à la fois de la Haute et de la Basse-Normandie aboutit à un blocage. Comment en sortir ?

Je terminerai par un vœu : comme mon collègue Grosdidier, je souhaite que l’élaboration des plans locaux d’urbanisme continue de relever de la compétence des communes, dans le cadre des SCOT bien sûr.

Mme Claude Darciaux. La parité entre hommes et femmes est inscrite dans la Constitution depuis 1999. Or l’Observatoire de la parité a réalisé une projection montrant que 82,7% des conseillers territoriaux seraient des hommes. Je ne suis pas pour les quotas, mais le mode de scrutin retenu se soldera inévitablement par un recul pour ce qui est de l’accès des femmes aux fonctions électives.

M. Jean-Pierre Marcon. La création des conseillers territoriaux tire la leçon d’un constat que j’ai personnellement vérifié : celui de l’efficacité que procure la conjugaison du mandat départemental et du mandat régional. Si l’on ajoute à cela le rapprochement qui en résultera entre la région et les territoires, l’opération ne peut être qu’excellente. Cependant, il me semble que les nouveaux rapports entre la région et le département restent nébuleux. La répartition des compétences doit être affinée si l’on veut vraiment rassembler.

M. Joël Giraud. S’agissant de l’élection des conseillers territoriaux, l’exigence d’une représentation minimale des départements ruraux fait peser sur le projet de loi un risque d’inconstitutionnalité, d’autant que ce nombre plancher doit être fixé par ordonnance. Il nous faudrait donc quelques assurances, indispensables si l’on considère les disparités. Si le Conseil constitutionnel n’accepte pas d’écart supérieur à 20 ou même à 30 % pour la proportion entre représentation et population, les Hautes-Alpes qui comptent 120 000 habitants ne pourront avoir vingt conseillers que si les Bouches-du-Rhône, qui comptent 1,5 million d’habitants, en ont près de deux cents ! Nous nous heurtons, on le voit bien, à une impossibilité. Et ce cas n’est pas unique. Nous avons donc besoin de garanties solides.

La suppression de la clause de compétence générale, assortie du contrôle de légalité, présente des dangers pour l’action locale. Le concept de droit d’initiative générale, a priori intéressant, doit donc être précisé de manière à assurer le respect de la spécificité des territoires.

M. Philippe Duron. Les conseillers régionaux et les conseillers généraux, contrairement à ce qui a été dit, n’exercent pas les mêmes missions. Dès lors, le conseiller territorial ne sera qu’un ectoplasme tiraillé entre des intérêts contradictoires à défendre.

Le projet des métropoles vise-t-il à donner aux grandes agglomérations françaises une taille comparable à celle des autres métropoles européennes ? Ce sera difficile. Ou bien s’agit-il de permettre à nos grandes villes de prendre rang dans les réseaux mondiaux pour devenir des centres d’innovation ? Dans ce cas, le critère et le seuil retenus ne paraissent pas pertinents. Le pays le plus innovant en Europe est la Finlande, qui compte 4,5 millions d’habitants et dont la deuxième ville, Espoo, 215 000 habitants, est un pôle technologique majeur. En France, Grenoble, ville très créative, ne figurerait pas au nombre des métropoles. Il paraît donc indispensable d’ajouter au seuil démographique des critères qualitatifs.

Les pays ont présenté de nombreux avantages : introduction d’ingénierie dans des territoires ruraux, contractualisation plus claire, fédération d’intercommunalités favorisant le dialogue et la réalisation de projets. Il faudrait donc, à tout le moins, permettre de poursuivre la contractualisation entre eux et les régions ou, éventuellement, les départements.

M. le président Christian Jacob. S’agissant du cadre départemental et de la contractualisation, prenons garde à l’existence d’un risque analogue à celui que ferait courir un déséquilibre entre la métropole et son environnement. Il faut sans doute adopter un cadre plus restreint.

M. le ministre. Il faut considérer le projet de loi comme une boîte à outils. Car il n’impose pas partout les mêmes formules, privilégiant la liberté des collectivités locales.

Il est vrai que les citoyens ne se préoccupent guère du statut ou du nombre excessif des collectivités locales, mais ils se demandent à qui s’adresser pour obtenir une prestation et la réponse n’est pas toujours claire. On les renvoie parfois d’une collectivité à une autre. Le projet de loi améliore cela.

Le conseiller territorial saura gérer à la fois des problèmes départementaux et des problèmes régionaux : les parlementaires ne font-ils pas face à leurs responsabilités nationales comme à leurs responsabilités locales ?

D’après ce que l’on m’a indiqué, les indemnités des conseillers territoriaux seront accrues de 20%.

Le risque de contradiction entre le projet de loi Grenelle II et le projet relatif aux compétences des collectivités est à prendre au sérieux. À titre d’exemple, des dispositions relatives au plan local d’urbanisme (PLU) figurent dans les deux textes. Nous veillons à leur compatibilité.

En l’état, le projet de loi manque effectivement d’ambition pour ce qui est des métropoles.

L’État s’est engagé, pour assurer une bonne représentativité des conseillers territoriaux, à instituer un plancher minimum de quinze élus, mais le problème juridique est réel. Il faut arriver à combiner deux principes : l’égalité du suffrage et la représentation des territoires. Le Conseil constitutionnel admet des atténuations à l’application du premier principe mais dans une limite de plus ou moins 20 %, tandis que le Conseil d’État, pour les élections locales, va jusqu’à plus ou moins 30 %.

En outre, la majeure partie d’entre eux devant être élue au scrutin uninominal, un conseiller territorial ne pourra l’être sur un territoire coïncidant avec la circonscription d’un député. Il y aura donc plusieurs conseillers territoriaux par circonscription législative.

Tous les territoires seront représentés dans les assemblées régionales et départementales.

Pour obtenir la parité entre hommes et femmes parmi les conseillers territoriaux, nous sommes à la recherche de solutions. Mais il ne faut pas se fier à des sondages, tel que celui qu’a évoqué Mme Darciaux. Je rappelle d’ailleurs que la parité constitue un objectif et non une règle constitutionnelle.

Le conseiller territorial n’aura rien d’un ectoplasme. Il sera, au contraire, un élu puissant, premier interlocuteur des maires, appelé à animer la décentralisation avec les moyens conjugués du département et de la région. Parallèlement, le Gouvernement renforcera les capacités d’intervention financière des préfets pour aider les collectivités locales.

Les métropoles ne sont pas, de fait, créées par la loi. Fruits de la réalité, elles ne devront pas être définies par le seul critère démographique mais aussi par l’exercice de fonctions essentielles pour le développement de tout un territoire. Dès aujourd’hui, on peut observer que certaines agglomérations jouent un tel rôle alors que d’autres, plus grandes, ne le jouent pas. C’est l’idée de « fonction métropolitaine ».

Les métropoles devront s’organiser en tant que telles, sur une base volontariste, afin de tirer une force supplémentaire de l’intégration administrative. Monsieur Fidelin, soyez assuré que les frontières entre régions ou entre départements ne seront pas un obstacle à leur constitution. Le projet de loi prévoit des pôles métropolitains mais ceux-ci pourraient exister sans disposition législative. Leur utilité s’exprimera dans des cas comme celui de Metz et Nancy, en relation avec le Luxembourg.

S’agissant maintenant de l’intercommunalité, la séparation doit être possible mais elle soulève des problèmes techniques et financiers complexes. Le projet de loi prévoit cependant une révision du schéma départemental de coopération intercommunale tous les six ans.

Dans la plupart des cas, les communautés sont soit restreintes et englobent de nombreuses compétences, soit plus vastes mais n’intégrant que quelques compétences essentielles. L’essentiel est que l’intercommunalité permette à tous de mutualiser et de partager, et non que certains continuent de vivre à l’écart sur « leur tas d’or ». C’est pourquoi nous souhaitons que toutes les communes participent à ce type de coopération territoriale, mais sans que la loi n’impose tel ou tel schéma. – Ainsi l’intercommunalité n’interdit-elle pas, à l’intérieur de son périmètre, des fusions de communes : tout dépend de l’état d’esprit au sein des collectivités membres.

La prise en compte du critère environnemental pour la définition du périmètre de l’intercommunalité devra, effectivement, être introduite.

Mme Labrette-Ménager, les fonctions électives exercées dans le cadre de la coopération intercommunale n’entrent pas en ligne de compte pour la limitation du cumul des mandats. Ainsi l’a voulu le Sénat, à une voix près. D’autre part, un conseiller territorial pourra être parallèlement député ou sénateur.

Les financements croisés, comme les compétences partagées, souvent nécessaires, perdureront. L’obligation pour une collectivité locale de financer elle-même au moins 50 % d’un investissement, inscrite dans une première mouture du projet de loi, a été remplacée par celle de financer une part « significative » de l’opération. Cela permettra une modulation adaptée à la disparité des situations communales, notamment en fonction de la taille et de la démographie.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Que signifie « une part significative » ?

M. Jean-Paul Chanteguet. C’est une notion imprécise. Certaines communes atteignent 80 % de subvention pour le financement d’un équipement collectif. Ce qui signifie qu’elles doivent apporter au moins 20 % !

M. le ministre. En tout état de cause, une loi de 1999 fixe déjà un minimum de 20% de financement par la commune. Pour beaucoup d’entre elles, c’est déjà « la part significative. »

M. le président Christian Jacob. Je remercie le ministre de sa venue et des réponses qu’il nous a apportées.

—fpfp—

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 31 mars 2010 à 9 h 45

Présents. - M. Yves Albarello, M. Jérôme Bignon, M. Philippe Boënnec, M. Maxime Bono, M. Jean-Yves Bony, M. Jean-Claude Bouchet, M. Christophe Bouillon, Mme Françoise Branget, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Claude Darciaux, M. Stéphane Demilly, M. Raymond Durand, M. Philippe Duron, M. Albert Facon, M. Daniel Fidelin, Mme Geneviève Gaillard, M. Jean-Pierre Giran, M. Joël Giraud, M. Didier Gonzales, M. François Grosdidier, M. Serge Grouard, M. Christian Jacob, M. Armand Jung, M. Jacques Kossowski, Mme Fabienne Labrette-Ménager, Mme Conchita Lacuey, M. Thierry Lazaro, M. Jacques Le Nay, M. Bernard Lesterlin, M. Gérard Lorgeoux, M. Jean-Pierre Marcon, Mme Christine Marin, M. Bertrand Pancher, M. Christian Patria, M. Jean-Luc Pérat, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, M. André Vézinhet

Excusé. - M. Philippe Tourtelier

Assistaient également à la réunion. - M. Émile Blessig, Mme Monique Iborra, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Henri Nayrou