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Mardi 6 avril 2010

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 44

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean Jouzel, président du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Jean Jouzel, président du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE).

M. le président Christian Jacob. Notre Commission est heureuse d’accueillir pour la première fois M. Jean Jouzel, climatologue, président du laboratoire des sciences du climat et de l’environnement et membre du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Nous avons souhaité procéder à votre audition quelques mois après le sommet de Copenhague sur le changement climatique, au moment où se font jour de nombreuses critiques envers les travaux ou les méthodes du GIEC. Le succès du livre de Claude Allègre L’Imposture climatique, et les critiques du géophysicien Vincent Courtillot, ont nourri un certain scepticisme sur les causes humaines du réchauffement climatique et suscité, en retour, la protestation de 400 chercheurs en sciences du climat qui a été adressée à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Si la Commission du développement durable, qui s’est fortement engagée en faveur du Grenelle de l’environnement, entend rester fidèle à certains objectifs, notamment à celui du « 3x20 » – visant, avant 2020, à réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre, à porter à 20 % la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique européenne et réaliser 20 % d’économies d’énergie –, il nous a semblé important de faire le point avec vous.

M. Jean Jouzel. Je vous remercie de votre invitation, car j’attache un grand prix aux contacts entre la communauté scientifique et le monde politique. Étant très impliqué dans la notion de développement durable et attaché au succès du Grenelle, je suis heureux d’évoquer devant vous les débats et les controverses liés au réchauffement climatique.

Trois éléments ont concouru à remettre en cause les conclusions du GIEC qui ont servi de base aux discussions de Copenhague.

Le premier est le Climategate, résultant du détournement et de la diffusion de méls envoyés ou reçus par un directeur du Climate research unit à l’East Anglia. Ce vol d’une correspondance privée, qui, à la veille du sommet de Copenhague, a jeté le trouble dans les esprits, ne méritait sans doute pas l’écho qu’on lui a donné. Les messages prouvent simplement que les discussions peuvent être vives dans la communauté scientifique, ce qui fait plutôt honneur aux climatologues.

Le deuxième élément tient à la présence d’erreurs ponctuelles dans le rapport du GIEC, que certains climato-sceptiques ont utilisées pour remettre en cause ses conclusions.

Le troisième est dû aux positions défendues, dans tel ou tel pays, par ceux qu’on a pu appeler les « climato-sceptiques ». J’ai pourtant envie de récuser ce terme, parce que leur démarche relève non du scepticisme authentique, qui nourrit la discussion scientifique – le cinquième rapport du GIEC montrera d’ailleurs qu’aucun débat n’est clos à nos yeux –, mais d’une volonté de jeter le trouble dans les esprits. C’est du moins le cas chez Claude Allègre et Vincent Courtillot.

Je souhaiterais rappeler les quatre conclusions principales du rapport du GIEC.

Tout d’abord, l’activité humaine modifie la composition de l’atmosphère et augmente l’effet de serre, du fait de la production de gaz carbonique, de méthane et de protoxyde d’azote et d’autres composés, ce qui conduit à une accumulation supplémentaire de chaleur dans les basses zones de l’atmosphère. Cette première conclusion n’a guère été contestée, sinon de manière marginale, par exemple par la présentation power point de M. Giraudon. Mais celle-ci montre seulement qu’on peut citer des températures plus élevées au XIXsiècle qu’aujourd’hui, pour peu qu’on se fonde sur des mesures ponctuelles et peu rigoureuses. Faut-il rappeler la nécessité de ne considérer que des moyennes ?

La deuxième conclusion du GIEC est que le réchauffement est sans équivoque. Beaucoup ont oublié qu’elle se fonde non seulement sur une étude des températures, mais également sur l’élévation de près de vingt centimètres du niveau de la mer au cours du XXsiècle (du fait de la fonte des glaciers et du réchauffement de l’Océan), sur l’augmentation de la vapeur d’eau dans l’atmosphère et sur la diminution de la surface minimale de glace de mer en Arctique à la fin de l’été. Pour remettre en cause cette conclusion, les climato-sceptiques ont utilisé le fait, au demeurant exact, que le réchauffement a marqué une pause depuis dix ans. L’année 2008 a été un peu plus froide que l’année 2007, elle-même plus froide que 2005, qui, avec 1998, a été l’année la plus chaude depuis longtemps. Reste que l’année 2009 a été très chaude et que le mois de janvier 2010 a été, après celui de 2007, le plus chaud qu’on ait connu depuis soixante ans.

Les climatologues considèrent toujours des périodes relativement longues en se fondant sur l’étude des décennies. Les dix dernières années ont été les plus chaudes qu’on ait jamais connues. La première décennie du XXIsiècle a été plus chaude de 0,2° que la dernière du XXsiècle, laquelle a été la plus chaude depuis cent trente ans. Le réchauffement climatologique est donc attesté. Dans ce domaine, un refroidissement d’une année sur l’autre ne prouve rien, n’en déplaise aux climato-sceptiques, lesquels ne considèrent que les années qui les intéressent et négligent d’autres phénomènes comme la fonte progressive de la calotte groenlandaise ou l’élévation du niveau de la mer, de près de 3 millimètres par an.

La troisième conclusion du GIEC, la plus attaquée par les sceptiques, est qu’une grande partie – près de 90 % – du réchauffement climatique des cinquante dernières années est liée aux activités humaines. La communauté scientifique pense pouvoir distinguer, dans le réchauffement, ce qui relève soit de l’origine naturelle soit des activités humaines, qui produisent des gaz à effet de serre et de la pollution.

Le réchauffement ne peut être expliqué qu’en tenant compte de l’augmentation de l’effet de serre. L’hypothèse alternative défendue par Vincent Courtillot, selon laquelle il serait dû à une variation de l’activité solaire, bute sur deux évidences. D’une part, celle-ci a plutôt diminué au cours des trente ou quarante dernières années. D’autre part, l’effet de serre entraîne le piégeage de la chaleur dans les basses couches de l’atmosphère, ce qui produit – phénomène que nous avons constaté – un refroidissement des hautes couches. Si l’activité solaire était principalement en cause, on devrait observer un réchauffement tant dans les basses que dans les hautes couches de l’atmosphère, ce qui n’est pas le cas. Le GIEC, qui n’a pas manqué d’étayer ses conclusions sur des arguments, a d’ailleurs consacré une cinquantaine de pages de son dernier rapport à l’examen de cette question.

La quatrième conclusion du GIEC est que le climat va continuer à se réchauffer. Peu de gens la remettent en cause, car il est difficile, dès lors qu’on admet que la chaleur s’accumule dans les basses couches de l’atmosphère, de prétendre que le climat pourrait se refroidir. On connaît les lois de la physique : pour que la température d’un milieu qu’on chauffe n’augmente pas, il faut un mécanisme de compensation, qui n’existe pas à l’échelle de la planète. À l’inverse, il existe des processus d’amplification nettement identifiés : augmentation dans l’atmosphère de la vapeur d’eau – premier gaz à effet de serre – qui résulte de l’élévation de la température de l’océan, causée par le réchauffement climatique ; remplacement des surfaces enneigées ou englacées par l’Océan ou la toundra.

M. le président Christian Jacob. Nous allons procéder à une première série de questions.

M. Jean-Paul Chanteguet. Avant le sommet de Copenhague, nous n’avions guère entendu les climato-sceptiques, qui s’expriment beaucoup aujourd’hui. Qui a intérêt à leur donner la parole ? Y aurait-il une main « invisible » qui les pousse à défendre certaines positions ? Si c’est le cas, dans quel but ?

M. Christophe Caresche. La pétition adressée par 400 chercheurs au Gouvernement ne laisse pas les députés indifférents, surtout les socialistes, qui connaissent bien, pour l’avoir fréquenté longtemps, celui qu’elle concerne au premier chef. Ils n’ont pas oublié qu’un haut dirigeant du parti avait lancé, en sortant d’une réunion avec l’intéressé : « Allegro, ma non troppo ! » (Sourires.) La pétition traduit une indignation devant le refus des climato-sceptiques de produire des arguments de nature scientifique. Le débat ne se déroule pas à armes égales, dès lors que certains scientifiques respectent des procédures très normées en matière de recherche et de publications, tandis que d’autres recourent à des modes d’intervention publique n’appelant pas la même rigueur.

On comprend que ceux qui travaillent au GIEC soient blessés quand on reproche à cette instance, comme le fait Claude Allègre, d’être une entreprise mercantile. Si la réponse de la ministre chargée de la recherche me semble aller dans le bon sens, le fait que l’Académie des sciences soit saisie de cette question est-il une bonne nouvelle ? Par ailleurs, au-delà du débat scientifique légitime sur l’origine du réchauffement, n’est-il pas avéré que celui-ci est accéléré par l’activité humaine et son développement illimité ? Par conséquent, en dehors de toute polémique, les mesures visant à freiner les émissions de CO2 ne sont-elles pas de toute façon vertueuses ?

M. Michel Havard. Comment identifier, dans l’évolution de la température de la planète, ce qui relève, soit de la nature, soit de l’activité humaine ? Dans ce domaine, sur quels points les scientifiques divergent-ils ? Sur quoi s’accordent-ils ? Et quels champs doivent-ils encore explorer ?

M. Bertrand Pancher. Je suis frappé par l’effet dévastateur du livre de Claude Allègre, qui semble pourtant n’être qu’un tissu de mensonges, puisqu’il ressort d’un article paru la semaine dernière dans Libération que M. Allègre aurait truqué les courbes de certaines études scientifiques. Il en faut beaucoup moins pour être renvoyé d’une université ! Peut-on lister certaines erreurs manifestes, pour qu’on en finisse une fois pour toutes avec des publications manifestement menées à des fins de publicité personnelle ?

Les idées farfelues se heurtent au plus simple bon sens en ce qui concerne la réduction de la production de gaz à effet de serre. Dans ce débat qui oppose les théoriciens de la croissance et ceux de la décroissance, ma position est qu’il ne faut pas freiner la croissance, qui va de pair avec le développement de la recherche, mais j’aimerais connaître la position de M. Jouzel à ce sujet.

M. Jean Jouzel. Monsieur Chanteguet, le réveil du climato-scepticisme est lié non seulement au calendrier de Copenhague – c’est dans cette perspective qu’a été lancé le Climategate –, mais aussi à la position des États-Unis. Des sondages réalisés avant le sommet ont montré que, pour les Américains, le réchauffement climatique n’est pas une question prioritaire, ce qui n’a pas favorisé la stratégie du président Obama à Copenhague. Mais je ne pense pas que le même phénomène caractérise la France, même si certains climato-sceptiques ont surfé sur la vague mondiale, avant de profiter du semi-échec du sommet.

Monsieur Caresche, nous avons beaucoup réfléchi à la manière de réagir au livre de Claude Allègre ou aux attaques virulentes de Vincent Courtillot, qui va d’université en université pour présenter un séminaire intitulé « Les erreurs du GIEC ». Si nous nous sommes adressés à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, c’est simplement parce qu’elle est notre employeur. Nous lui avons demandé d’organiser un débat, car, si les sceptiques sollicitent tous les médias, ils refusent de nous rencontrer. Quand Le Monde a proposé d’abord à Claude Allègre, puis à Vincent Courtillot, de discuter avec moi, tous deux ont décliné l’offre.

Quoi qu’il en soit, j’espère que le débat aura lieu dans les meilleures conditions de transparence. Pendant ce temps, la réflexion se poursuit au niveau international. Dans son cinquième rapport, le GIEC examine les nouvelles données qui sont apparues, le résultat des modèles et l’évolution de la situation depuis cinq ans. À mon sens, les expériences récentes ne remettent pas cause nos premières conclusions.

En réponse à notre démarche, Mme la ministre m’a appelé pour me faire part de sa position, qui m’a pleinement satisfait, car elle vise à rappeler les règles en vigueur dans la communauté scientifique. Mme Pecresse a ensuite adressé un courrier clair et cordial à Mme Masson-Delmotte, qui a eu l’initiative de la pétition. Nous espérons qu’un débat scientifique sera organisé, peut-être à l’Académie des sciences.

Monsieur Havard, bien que le fait de savoir si le réchauffement est dû aux activités humaines intéresse tout le monde, à commencer par l’homme de la rue, l’essentiel est ailleurs. Il faut surtout savoir vers quoi nous allons. Or, depuis plusieurs années, les prévisions du GIEC n’ont pas varié : si l’on continue à émettre des gaz à effet de serre, la teneur en gaz carbonique risque de doubler au milieu du XXIe siècle, ce qui peut causer un réchauffement de quelques degrés. La prévision, jamais remise en cause depuis vingt ans, n’a fait que se confirmer d’un rapport à l’autre. Le plus récent conclut, non que 90 % du réchauffement découle des activités humaines – ce que certains prétendent à tort –, mais qu’il y a plus de neuf chances sur dix pour que les activités humaines aient joué un rôle important dans le réchauffement climatique intervenu depuis cinquante ans.

Les modèles climatiques dont nous nous sommes servis pour parvenir à cette conclusion ont fait leurs preuves, surtout si on les compare aux erreurs manifestes ou aux approximations de Claude Allègre. Celui-ci affirme par exemple que, la météo n’émettant pas de prévision au-delà de quatre jours, on ne peut prévoir le climat à l’échelle de quelques années. C’est faux. À titre de comparaison, on ne peut affirmer que, dans une cour de récréation, tel enfant parviendra à tel âge, mais tous ont globalement une espérance de vie de l’ordre de quatre-vingts ans. Les paramètres considérés par les climatologues ont une autre prédictibilité que celle de la météo, laquelle considère seulement le suivi des trajectoires individuelles depuis leur origine jusqu’à leur évanouissement.

Les modèles, qui expliquent l’évolution des saisons et le climat du passé comme celui d’autres planètes, montrent tous que la température va augmenter. Reste qu’il demeure beaucoup d’incertitudes, que nous ne cherchons pas à cacher. Même pour un scénario donné, on évalue à un facteur deux l’amplitude du réchauffement climatique. Ses caractéristiques régionales sont mal connues, tout comme les changements de précipitations. On ignore également si, dans un climat plus chaud, le rythme de progression d’El Niño évoluera. Enfin, on ne peut écarter le risque de surprises climatiques. Néanmoins, nous en savons assez pour indiquer aux décideurs politiques que nous allons vers un réchauffement d’autant plus important que nous émettrons plus de gaz à effet de serre.

M. Pancher a regretté l’effet dévastateur de certaines déclarations des climato-sceptiques. J’en suis conscient, pour en avoir parlé avec plusieurs d’entre vous à Copenhague. C’est pourquoi j’ai tenu à vous rencontrer pour reconquérir votre confiance. La thèse de Claude Allègre doit être combattue, comme nous le faisons dans un article qui paraîtra demain dans la presse, après une première contribution de Sylvestre Huet. La revue Science prépare d’ailleurs une réponse à Claude Allègre, preuve que, face à une position qui ne respecte pas la déontologie scientifique, la réaction devient internationale. Nous pouvons démonter un par un ses arguments et ceux de Vincent Courtillot. Je maintiens que rien ne permet de remettre en cause le rapport du GIEC sur lequel sont fondés le sommet de Copenhague comme le Grenelle de l’environnement.

M. le président Christian Jacob. Il était important d’entendre ces premières réponses pour que nous puissions faire la part des arguments scientifiques et des prises de position politiques. Venons-en à une seconde série de questions.

M. Jean-Marie Sermier. Le député jurassien que je suis ne peut que saluer le président de l’Institut Paul-Émile Victor. L’explorateur fut un des premiers à se soucier des régions polaires.

M. Jean Jouzel. Claude Lorius est également jurassien. (Sourires.)

M. Jean-Marie Sermier. Pour ma part, je reconnais au moins un avantage au livre de Claude Allègre, que j’ai lu : il offre aux scientifiques la possibilité de répondre. Je regrette cependant que le GIEC ait pâti de certains excès médiatiques imputables à Al Gore ou à d’autres présentateurs vedettes de la télévision, qui ont placé le débat à un niveau politique sur lequel les scientifiques ont du mal à se situer.

Pouvez-vous donner une idée de l’importance du réchauffement ? Sans remettre en cause les chiffres que vous avez rappelés, peut-on citer d’autres causes que l’activité humaine, pour aller plus loin dans l’analyse ? Enfin, si l’on veut tenter de limiter le réchauffement au niveau planétaire, la communauté scientifique doit proposer des mesures. Pourriez-vous en citer quelques-unes ?

M. Daniel Paul. On peut se demander qui a intérêt au développement de cette campagne proprement idéologique. Quelque chose s’est indéniablement passé aux États-Unis. J’avais la faiblesse de croire que rien de tel ne se produirait en Europe, et surtout en France. Comment expliquer que la communauté scientifique puisse être déstabilisée par ce qui n’est même pas un quarteron, mais un simple duo ?

Nous assistons dans le même temps à l’abandon de la taxe carbone…

M. François Grosdidier. Elle n’est que reportée !

M. Daniel Paul. Il y a aujourd’hui un conflit entre ceux qui pensent que l’on va droit dans le mur si l’on ne change rien, et ceux à qui tout cela paraît excessif – selon eux, notre planète en a connu d’autres.

Sauf erreur de ma part, il faut une centaine d’années pour que le gaz carbonique disparaisse de l’atmosphère. Pouvez-vous le confirmer ? Que peut-on faire pour que nos concitoyens comprennent mieux l’accélération des émissions de gaz à effet de serre, en particulier depuis les « trente glorieuses » ? Ayant été enseignant, je suis persuadé que nous devons faire preuve de plus de pédagogie en direction des jeunes comme des moins jeunes – nous risquons en effet de courir à la catastrophe en ne comptant que sur les jeunes pour agir.

M. Philippe Plisson. Nous procurons un grand plaisir à Claude Allègre en lui accordant autant d’importance : c’est un « bouffon » qui se nourrit du succès obtenu par ses provocations. Je peux malheureusement en témoigner pour avoir été enseignant à l’époque où il était ministre de l’éducation nationale.

Les positions « négationnistes » constituent cependant une sorte de crime contre l’humanité. Elles apportent de l’eau au moulin de tous ceux qui rejettent le changement afin de préserver leurs profits. Après l’échec patent du sommet de Copenhague et la crise venant, on commence à reculer en France, qui était pourtant un pays en pointe. Le Président de la République a déclaré que « l’environnement, ça commence à bien faire », la taxe carbone a été abandonnée, il y a aujourd’hui une offensive contre les éoliennes qui nous empêchera probablement d’atteindre le seuil de 23 % d’énergies renouvelables en 2020, et l’on est train de « liquider » le Grenelle. Pensez-vous que nous puissions sortir de cet engrenage et restez-vous optimiste ?

M. le président Christian Jacob. Il faut distinguer le débat sur la taxe carbone et les questions qui relèvent du Grenelle 2. Il n’y a pas de recul : le texte a, au contraire, été enrichi grâce aux amendements parlementaires.

Mme Françoise Branget. Il est difficile de faire la part des responsabilités. A-t-on pris en compte l’ensemble des phénomènes naturels ? Il est peu question de l’activité volcanique et des tremblements de terre. Or, on peut penser que ces phénomènes, qui tendent à augmenter, sont à l’origine d’émissions de CO2 dans des proportions plus importantes qu’on ne l’imagine souvent. Quelle est votre analyse ?

En ce qui concerne l’activité humaine, pensez-vous que l’on pourra un jour compenser les émissions de gaz à effet de serre grâce aux progrès technologiques ? À quelle échéance peut-on l’envisager ? Je pense notamment à l’utilisation de nouveaux matériaux permettant d’absorber le CO2, comme certains types de ciments. Pensez-vous que cela suffira ?

Un réchauffement climatique est en cours, mais on ne parvient pas à s’entendre sur une quantification, ni à trouver des solutions. Dans ces conditions, il me paraît logique que d’autres thèses se développent. Ce n’est pas Claude Allègre qui en est responsable.

Mme Marie-Line Reynaud. Vous avez indiqué que le GIEC concluait à un réchauffement climatique de la planète, sauf dans l’Antarctique et sauf en 2008. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions supplémentaires ?

Je n’ai pas lu le livre de Claude Allègre, mais j’ai lu ceux d’Emmanuel Leroy Ladurie : des périodes de refroidissement et de réchauffement ont déjà eu lieu autrefois. N’est-ce pas un argument à l’appui des thèses sceptiques ?

Un film de science-fiction évoquait, il y a quelques années, l’hypothèse d’une inversion des courants dans l’Atlantique Nord. Cela vous semble-t-il possible ?

M. François Grosdidier. Ne faudrait-il pas parler de réchauffements au pluriel plutôt que de réchauffement au singulier ? Il y a des situations contrastées dans le monde, ce qui ne me surprend pas. Pour être marin, je sais que l’existence de contre-courants près des côtes n’est pas contradictoire avec celle d’un courant au milieu de la Manche. Les épiphénomènes masquent parfois les tendances lourdes.

Chacun connaît la tentation d’expliquer les phénomènes actuels par l’activité naturelle afin d’exonérer l’homme de ses responsabilités, mais on peut tout de même s’interroger. N’y a-t-il pas une controverse sur la mise en parallèle des émissions de CO2 et du réchauffement ? N’existe-t-il pas, en outre, un risque de renversement des causes et des effets ? Le réchauffement n’est-il pas responsable de l’augmentation des quantités de CO2 dans certains cas ?

Je suis assez gêné quand j’entends dire que le réchauffement climatique résulte des émissions de CO2 dans la mesure où l’on ne peut pas l’expliquer par d’autres phénomènes. Sans être un climato-sceptique, je trouve cet argument par défaut un peu court. Ne sous-estime-t-on pas gravement la responsabilité de la déforestation dans le réchauffement climatique ? La fonte du Kilimandjaro n’est-elle pas avant tout la conséquence de la déforestation, et non des émissions de CO2 ?

Il est beaucoup question du réchauffement climatique, mais on assiste rarement à de véritables confrontations – sauf lors d’une récente émission de télévision, au cours de laquelle Claude Allègre m’a paru très « petit garçon » face à Jean-Marc Jancovici. S’il est à ce point difficile d’organiser un débat scientifique avec les détracteurs du GIEC, ne peut-on pas demander aux protagonistes de venir s’expliquer, point par point, devant cette Commission ?

M. le président Christian Jacob. C’est une idée que le bureau de la commission a envisagée. Elle nous a semblé assez compliquée à mettre en œuvre : il n’est pas évident de mettre face à face un scientifique et un politique. Imaginez, par exemple, Noël Mamère face à un chercheur.

M. François Grosdidier. Je rappelle que Claude Allègre s’exprime en tant que scientifique sur ce sujet.

M. le président Christian Jacob. Ce que vous proposez me paraît délicat, mais nous pourrons en reparler lors d’une prochaine réunion du bureau.

M. Jean-Luc Pérat. Sans être un spécialiste de la question, je suis inquiet pour les générations futures. Pourriez-vous revenir sur les mécanismes de compensation que vous avez évoqués ? Pensez-vous que la plus grande partie des causes du réchauffement climatique a été identifiée ? Que pensez-vous du message que nous adressons ? Quels conseils pourriez-vous nous donner pour l’améliorer ?

M. Yves Albarello. Par-delà les polémiques, la question essentielle est de savoir quelles solutions nous pouvons appliquer face au changement climatique. Nous devons en effet maîtriser les activités humaines sans verser pour autant dans la décroissance. Que pensez-vous, par exemple, des recherches sur la captation, le transport et le transport du CO2 ? Notre collègue Bertrand Pancher vous a interrogé tout à l’heure sur ces mécanismes, mais vous ne lui avez pas encore répondu.

M. Jean Jouzel. Le piégeage du CO2 a fait l’objet de nombreux travaux du GIEC. Il en résulterait un surcoût énergétique et financier d’environ 20 %, ce qui n’est pas considérable par rapport aux fluctuations du cours du pétrole. Les études doivent se poursuivre, et je suis confiant dans l’avenir du stockage. C’est une solution viable au plan technologique, mais il faut être conscient qu’elle ne permettra de résoudre qu’une partie du problème. On peut également s’interroger sur l’acceptabilité de cette solution par les populations concernées – on s’en est déjà rendu compte à Lacq et à Jurançon.

Je suis, en revanche, assez défavorable à d’autres propositions d’ingénierie climatique – je pense notamment à l’idée d’introduire des aérosols dans l’atmosphère ou de priver certaines zones de soleil. Ces solutions me paraissent dangereuses, mais nous devons les étudier scientifiquement afin d’éviter que certains acteurs ne détournent ce sujet.

Ne soyons pas millénaristes. Il existe des solutions pour limiter l’ampleur du réchauffement climatique à deux degrés comme le recommande le rapport du GIEC. Je viens d’évoquer le stockage et le piégeage du CO2, mais il y a aussi le développement du nucléaire, celui des énergies renouvelables et les économies d’énergie. Nous pouvons nous appuyer sur trois piliers : l’innovation scientifique, la prise de conscience du problème qui se pose, et la volonté politique. Celle-ci doit avant tout s’exercer au plan local, dans les régions et les communes, et pas seulement à Copenhague.

Des excès médiatiques ont parfois été commis, mais j’ai apprécié le travail réalisé par Al Gore et par d’autres. Mis à part quelques erreurs factuelles, on ne peut pas leur jeter la pierre. Nous avons besoin d’intermédiaires entre le monde scientifique et le grand public. Si l’on admet que les gaz à effet de serre posent un problème, il faut modifier notre mode de développement : nous ne pouvons pas continuer à nous comporter comme nous le faisions pendant les « trente glorieuses ». Les tensions que l’on constate aujourd’hui n’ont pas d’autres causes : le diagnostic scientifique conduit à des décisions politiques. Nous faisons face à un enjeu de société.

Est-on certain que le réchauffement climatique n’a pas d’autres origines ? L’activité volcanique ne représente pas plus d’un pourcent des émissions de CO2 et l’on sait que l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère est liée aux émissions de gaz carbonique et à la déforestation. Les études isotopiques du CO2 et du méthane montrent que l’augmentation de l’effet de serre résulte de l’activité humaine et non de causes naturelles. Nous avons des certitudes sur ce point.

Le volcanisme joue un rôle climatique, mais il ne s’exerce pas par l’intermédiaire du CO2. À chaque éruption volcanique, un refroidissement se produit pendant deux ou trois ans. Avec la réduction de l’activité solaire, c’est peut-être l’origine de ce qu’on appelle le « petit âge glaciaire ». Nous prenons en compte ce phénomène.

Les quantités de CO2 permettent d’expliquer les variations du climat au cours des cinquante dernières années : il ne s’agit pas d’une explication par défaut, ni de simples corrélations. Claude Allègre prétend que les conclusions du GIEC s’appuient sur une comparaison entre la courbe des températures au cours du dernier millénaire et celle du gaz carbonique, mais c’est absolument faux. Nous étudions des modèles et nous prenons en considération aussi bien les causes naturelles que l’activité humaine. Les conclusions du GIEC reposent sur une véritable démarche scientifique.

J’en viens à l’étude des phénomènes climatiques passés, qui constitue mon domaine de recherche. Lors d’une période de déglaciation, on observe d’abord un réchauffement de la température dans l’Antarctique, quelques centaines d’années avant que le taux de CO2 augmente. Les sceptiques oublient de préciser que la fonte de la grande calotte polaire de l’hémisphère Nord se produit 4 000 ans après que le taux de CO2 a commencé à augmenter. L’origine des changements glaciaires est liée à la variation de l’insolation, que le CO2 ne fait qu’amplifier. On ne peut pas tirer de l’étude des données passées le moindre argument infirmant le rôle climatique du CO2, bien au contraire. On ne parvient pas à expliquer la dernière période glaciaire sans tenir compte de l’augmentation du CO2. Une autre certitude est que le CO2 augmente aujourd’hui depuis 200 ans, et cela avant que la température ait commencé à s’accroître.

Le GIEC présente effectivement des faiblesses en matière de pédagogie. Ce n’est pas une grosse structure : nous ne comptons qu’une dizaine de personnes à Genève. Les moyens manquent pour répondre aux attaques, notamment celles qui ont été portées contre le livre de Rajendra Pachauri, le président du GIEC.

Nous nous investissons beaucoup dans les écoles en France, et la communauté scientifique s’efforce de transmettre ses connaissances, sans occulter ses incertitudes. Je participe, pour ma part, à beaucoup de conférences « grand public » et je suis toujours disponible pour les élus. Cela étant, les arguments de Claude Allègre et de Vincent Courtillot n’auraient probablement pas un tel impact si nous étions vraiment efficaces en matière de pédagogie. Je n’ai pas vraiment de suggestions à faire. En revanche, je suis ouvert aux vôtres.

Il est vrai qu'une partie du CO2 disparaît en cent ans, mais il faut des milliers d’années pour qu’il disparaisse entièrement. Dans l’hypothèse où la quantité de CO2 doublerait, ce qui pourrait arriver dans la seconde partie du XXIe siècle, il faudrait des milliers d’années pour en revenir aux teneurs actuelles, même si les émissions cessent complètement. Certains envisagent de pomper le CO2 dans l’atmosphère, mais cela me semble très difficile : on ne parvient même pas à l’empêcher de s’y répandre.

Qui a intérêt à la polémique actuelle ? Il y a un conflit entre ceux qui souhaitent continuer sur la voie d’un développement sans contrainte, et ceux qui insistent sur la nécessité de prendre en compte notre environnement. Vous savez que j’appartiens au comité de suivi de Nicolas Hulot. Le Grenelle demande un développement différent, mais qui reste un développement. L’article 2 de la convention « climat » fixe pour objectif de stabiliser les gaz à effet de serre dans une dynamique de développement durable. Cela pourrait naturellement conduire à une modification de notre PIB et au développement d’autres activités. Par exemple, on raffinera moins de pétrole dans notre pays – on l’a bien vu à Dunkerque.

Je reste assez optimiste en ce qui concerne le Grenelle de l’environnement. Je suis naturellement à la disposition des rapporteurs, comme je le leur ai indiqué. Il ne faudrait pas que l’on reproche aux scientifiques, dans dix ans, de ne pas nous avoir prévenus.

J’en viens aux mécanismes de compensation. Il s’agit de faire en sorte que l’accumulation de chaleur ne conduise pas à un réchauffement. Des modifications de la répartition de l’humidité pourraient se produire dans l’atmosphère, mais cette hypothèse a été réfutée par les données satellitaires. L’existence de mécanismes d’amplification est en revanche très bien documentée.

Même si je n’ai pas été interrogé sur ce point, je précise que j’étais favorable à la taxe carbone – j’ai beaucoup participé à la commission présidée par Michel Rocard – et que j’y demeure favorable.

Les travaux du GIEC montrent que les phénomènes naturels ne peuvent pas être à l’origine de l’augmentation du CO2. Toutes les causes identifiées de variation du climat ont été explorées. Les variations d’insolation et la tectonique des plaques n’exercent pas une influence suffisante pour expliquer les phénomènes constatés à court terme.

Des « surprises climatiques » peuvent se produire, mais le scénario du film Le Jour d’après n’est pas vraisemblable. Ce film n’est raisonnable que pendant ses deux premières séquences. Un arrêt du Gulf Stream, qui pourrait résulter de l’arrivée d’eau douce à la surface de l’océan en cas de fonte du Groenland, serait sans incidence sur le reste de la planète. Il en résulterait un moindre transfert de chaleur des régions tropicales de l’Atlantique vers l’Atlantique Nord, mais globalement le climat ne changerait pas. Si les températures augmentaient de trois degrés, on en reviendrait, dans nos régions, aux températures actuelles en une dizaine d’années. Les dommages économiques et écologiques pourraient être très importants, mais nous ne subirons pas une nouvelle ère glaciaire pour autant.

Je ne ferais pas nécessairement mien le terme de « crime contre l’humanité », même si la tribune publiée dans Le Monde par Dominique Bourg et Nicolas Hulot va un peu dans ce sens. Ne jouons pas avec le feu. Le problème n’est pas le scepticisme en tant que tel, mais le fait que les climato-sceptiques s’appuient sur des accusations mensongères.

Le sommet de Copenhague était un défi. Nous avons demandé aux négociateurs d’élaborer un accord permettant d’atteindre le pic d’émission de CO2 au plus tard en 2015 ou en 2020 afin de limiter le réchauffement à deux degrés, avant de revenir en arrière. La feuille de route de Bali demandait aux pays développés de réduire, d’ici à 2050, leurs émissions de 25 à 40 % par rapport à 1990 ; les pays émergents et en développement devaient, pour leur part, apporter une inflexion notable à leurs émissions. Les grands pays émergents ont fait des propositions, mais les pays développés n’ont pas joué le jeu.

Le progrès réalisé depuis Copenhague est que les engagements oraux ont été confirmés au mois de janvier. En 2020, les émissions seront toutefois trop élevées de 5 à 10 % pour que nous suivions une trajectoire limitant le réchauffement à deux degrés – cet objectif a été fixé à Copenhague, ce qui constitue un vrai succès. La trajectoire actuelle nous conduisant plutôt à une augmentation de trois degrés, nous avons besoin d’engagements plus forts. Une révision des engagements devrait avoir lieu en 2015 sur le fondement du 5e rapport du GIEC, attendu en 2014, mais il me semblerait préférable d’agir plus tôt.

M. le président Christian Jacob. Un autre succès du sommet de Copenhague est d’avoir réuni 192 chefs d’Etat et de gouvernement sur un tel sujet.

M. Jean Jouzel. Il ne faut pas être complètement négatif. Copenhague est un semi-échec : on peut regretter un manque d’ambition, mais on a quand même progressé. Le sommet aurait été un échec si les propositions orales n’avaient pas été confirmées par la suite.

M. le président Christian Jacob. Merci beaucoup. Nous savons que nous pouvons compter sur votre disponibilité. Notre travail sur les textes législatifs prend beaucoup de temps, mais il est important de poursuivre nos auditions, très précieuses pour nous.

—fpfp—

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 6 avril 2010 à 17 heures

Présents. - M. Yves Albarello, M. Jean-Claude Bouchet, Mme Françoise Branget, M. Christophe Caresche, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Yannick Favennec, M. François Grosdidier, M. Michel Havard, M. Christian Jacob, M. Jean-Marc Lefranc, M. Bertrand Pancher, M. Jean-Luc Pérat, M. Philippe Plisson, Mme Marie-Line Reynaud, M. Jean-Marie Sermier

Excusés. - M. Jérôme Bignon, M. Philippe Boënnec, Mme Fabienne Labrette-Ménager, Mme Christine Marin

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Pierre Abelin, M. Daniel Paul, M. Jean Proriol