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Mercredi 23 juin 2010

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 60

Présidence de M. Christian Jacob Président puis de Mme Fabienne Labrette-Ménager Vice-présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Gandil, directeur général de l’Aviation civile (DGAC)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Patrick Gandil, directeur général de l’Aviation civile (DGAC).

M. le président Christian Jacob. Nous sommes heureux d'accueillir M. Patrick Gandil, directeur général de l'aviation civile (DGAC), que nous avions déjà entendu en octobre 2009.

Monsieur le directeur général, pourriez-vous revenir sur l’éruption du volcan islandais Eyjafjôll ? Pouvez-vous nous préciser les mécanismes des prises de décision ayant abouti à l'interdiction des vols aériens, puis à leur reprise ? Quelle appréciation portez-vous sur la coordination effectuée à l’échelon européen ? Quelle est votre évaluation des conséquences économiques de cet événement?

Par ailleurs, lors de votre audition du 13 octobre 2009, vous aviez envisagé, à la suite du référé de la Cour des comptes sur la politique des ressources humaines au sein de la DGAC, d'instaurer pour les contrôleurs aériens un cahier de tenue des positions, rempli par les chefs d'équipe et déposé auprès de l'autorité de surveillance. Vous aviez également évoqué un nouveau protocole social, susceptible de permettre une augmentation de la productivité de 10 % ? Pouvez-vous faire le point sur ces questions ?

Enfin, vous nous aviez indiqué fonder beaucoup d'espoirs sur l'application SESAR (Single European Sky ATM Research) pour augmenter le nombre de mouvements d’avions par heure sur les aéroports. À quel stade en est actuellement sa mise en place ?

M. Patrick Gandil, directeur général de l'Aviation civile (DGAC). L’éruption du volcan islandais Eyjafjôll a débuté le 14 avril 2010. Le nuage de cendres s’est alors rapproché de l’Europe. La surveillance pour l’aviation en a été assurée par le centre de surveillance des cendres de Londres, responsable de la zone. La terre est couverte par un maillage de tels centres ; si le nuage était descendu beaucoup plus au Sud, le centre responsable aurait été celui de Toulouse.

Le centre de Londres a donc élaboré une cartographie de la présence de cendres dangereuses pour l’aviation. Au fur et à mesure que la zone dangereuse ainsi identifiée s’est approchée de l’Europe du Nord – Grande-Bretagne, Benelux, nord de la France – les pays touchés ont fermé leur espace aérien. Le 15 avril en fin de journée, la France a fermé le sien au nord d’une ligne Brest-Strasbourg. La zone d’interdiction a ensuite été progressivement étendue vers le sud.

À cette époque, j’étais moi-même New-York. Pour autant, je ne vois pas comment une décision autre que la fermeture aurait été possible. Dès lors qu’un organisme officiel, mandaté par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), établit la cartographie d’une zone dangereuse pour l’aviation, le premier réflexe est de la fermer à la circulation.

Dès le 16 avril, l’ensemble de l’espace aérien français s’est ainsi trouvé fermé, à l’exception du sud de la France. C’est du reste grâce à cette exception que j’ai pu revenir de New-York pour reprendre mon poste, dans un avion qui a atterri à Nice.

J’ai profité de ce vol pour examiner avec les membres de l’équipage comment ils l’avaient organisé et prendre connaissance des informations dont ils pouvaient avoir communication au fur et à mesure de son déroulement.

Une fois à Nice, j’ai rejoint Paris dans un petit avion, traversant ainsi la zone signalée comme touchée par les cendres. À l’arrivée, j’ai fait démonter les filtres à air de l’appareil. S’ils ne portaient guère de traces, on ne saurait comparer la masse de cendres absorbée par un petit avion, muni d’un moteur à pistons – comme un moteur d’automobile – et un réacteur qui aspire l’air, le comprime et le rejette. La réaction de nombreux pilotes, s’étonnant de l’interdiction de vol dans un ciel apparemment clair, ne correspond donc pas à un raisonnement scientifique.

Pour autant, le samedi, l’aviation civile était clouée au sol ; 150 000 Français étaient bloqués à l’étranger, sans possibilité de prendre un vol retour. Pour certains, les conséquences pouvaient être très graves. Même si l’épisode n’avait pas causé de mort, sa durée lui enlevait son caractère bénin. Il fallait donc, autant que possible, s’efforcer d’en sortir.

Nous nous sommes alors intéressés à la densité en cendres des zones cartographiées. Météo France nous a communiqué des informations obtenues à partir de radars spéciaux, dénommés lidars – qui utilisent la lumière au lieu d'ondes radio. Si les lidars ne mesurent pas la densité des cendres, ils permettent de déterminer leur présence dans l’atmosphère. Leurs résultats confirmaient la forme des cartes météorologiques britanniques. En revanche, cette cartographie ne répondait pas à la question essentielle de la dangerosité du nuage de cendres pour les avions. La présence de particules de tous types dans l’atmosphère est un phénomène normal. L’expression de « plancton atmosphérique » est même employée. L’atmosphère contient aussi assez fréquemment du sable en suspension ; au moins une fois par an se produisent des sortes de pluies rouges dues à des transports de sable saharien, qui lui aussi passe dans les réacteurs.

Ma responsabilité étant à la fois d’effectuer à l’attention du Gouvernement des propositions compatibles avec la sécurité et de prendre la mesure des situations humaines qui seraient créées par mes décisions, nous devions nous assurer de la dangerosité de la zone des cendres.

Avec Air France, nous avons décidé de procéder à des vols d’essai, selon une méthode spécifique : des vols d’essai réguliers, suivis chaque fois d’un examen très détaillé des moteurs par boroscopie. Cette technique, sorte d’endoscopie pour mécaniques, permet d’examiner l’ensemble des orifices interne d’un moteur, y compris les plus ténus. L’examen dit sommaire par boroscopie – qui dure tout de même trois heures ! – concerne les parties les plus sensibles où se recristalliseraient des cendres si le moteur en avait absorbées. En cas de présence de cendres, un examen détaillé – qui dure vingt-quatre heures par moteur – est réalisé. Les lieux les plus sensibles sont ceux où les températures sont les plus hautes, comme les chambres de combustion, où, alors que les cendres fondent à 1 100 degrés, la température en atteint 1 500, et certaines zones un peu moins chaudes où elles peuvent se recristalliser.

Le vol Paris-Toulouse réalisé dans la matinée n’a révélé aucune présence de cendres. D’autres vols ont abouti au même résultat.

J’ai donc pu présenter au Premier ministre, dans la réunion quotidienne qu’il organisait depuis la veille, une méthode d’utilisation de ces vols comme vols-tests, du fait de boroscopies systématiques, et une première conclusion sur le parfait état du moteur du premier avion testé dans ces conditions.

Dans la même journée, un vol a été réalisé sur un axe Toulouse-Bordeaux, à la limite du nuage mais dans la partie de l’atmosphère qu’il recouvrait. Il s’agissait de vérifier si ces deux aéroports pouvaient être rouverts. Dans la soirée, des vols organisés depuis Paris vers Nice, Marseille et Montpellier ont permis de constater que la liaison entre Paris et ces villes était possible dans des conditions de déroulement normal. Dans chaque cockpit, un pilote de l’organisme du contrôle en vol était présent ; les rapports de ces pilotes ont conclu à l’absence de conséquences visibles du nuage sur les conditions de vol de l’avion et sur les paramètres des moteurs signalés au pilote. Bref, les conditions de vol étaient normales ; les boroscopies n’ont révélé aucune présence de cendres.

Le dimanche après-midi, j’ai obtenu la levée totale de l’interdiction pour les vols sans passagers à partir du lendemain lundi. Cette levée a permis à la fois la multiplication des tests, la reprise de l’activité de fret, enfin la remise en place des avions : les parkings des aéroports du sud de la France étaient totalement saturés, il fallait, pour les désengorger, faire partir une partie des avions vers les aéroports parisiens.

Le lundi après-midi, j’ai obtenu la levée de l’interdiction des vols de passagers à partir du lendemain [mardi]. La consigne était de reprendre les vols si possible dans un cadre européen, à défaut dans un cadre national.

Au plan méthodologique, mesurer la quantité de cendres dans l’atmosphère est difficile. Le modèle mathématique disponible était un modèle de diffusion et de dilution. S’il pouvait nous indiquer combien de millièmes ou de millionièmes de grammes de cendres pouvaient être répandues à tel ou tel endroit à partir d’un gramme de cendres rejetées par le volcan, en revanche, pour en tirer des conclusions quantitatives, il eût fallu déterminer le débit en cendres du volcan. Or, non seulement une telle opération, même avec un très grand degré d’imprécision, est très difficile, mais elle ne suffirait pas : le maintien en suspension dans l’atmosphère ou la descente vers le sol des cendres dépend de leur taille – plus lourdes, elles tombent plus vite – mais aussi des turbulences, qui peuvent les faire remonter. Attendre une information précise à partir de tels modèles n’était donc pas raisonnable.

Par ailleurs, les motoristes n’étaient pas capables de nous indiquer la quantité de cendres qu’un moteur pouvait absorber. Leurs chiffres étaient en effet fondés sur une absorption continue de cendres pendant toute la durée du vol. Or un avion ne reste pas tout le temps à la même altitude. Tenter d’établir le volume de cendres qu’il absorberait pour le comparer à une proportion admissible était une voie sans espoir.

Pour ces motifs, nous avons choisi la voie du pragmatisme : si un vol se déroulait sans problème et sans dépôt de cendres dans les moteurs, il était possible de continuer, sous réserve de contrôles réguliers.

C’est sur ces bases que l’espace aérien a été rouvert le mardi. Nous avons d’abord ouvert des corridors, de Paris vers Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille et Nice. La situation aérologique provoquait un déplacement assez lent des cendres. Des contrôles tests réguliers ont été effectués dans chaque corridor. Après une journée, aucun test n’a révélé la présence de cendres. Seul un avion revenant d’Afrique présentait des traces de… sables africains !

Tout en maintenant nos contrôles – qui ont tous étés négatifs –, nous avons conclu que si tous les corridors établis en direction du Sud étaient sûrs, c’est que l’espace aérien l’était dans son ensemble. Nous avons donc mis fin aux obligations de vols en corridors.

Le mardi, l’ensemble des longs courriers d’Air France – soit un quart de la flotte – a reçu des autorisations de vols. C’était essentiel pour rapatrier les voyageurs bloqués à l’étranger. Le mercredi puis le jeudi, les autorisations de vol ont été étendues aux moyens courriers. Le vendredi, l’espace aérien a été rouvert aux courts courriers, reprenant enfin son allure habituelle.

Ces décisions auraient-elles pu être prises plus tôt ? L’aviation mondiale n’a jamais connu un tel événement ! Et cela n’a rien d’étonnant car il n’existe que très peu d’espaces aériens aussi denses que celui de l’Europe. C’est du fait de cette densité que le nuage bloquait les plus grands aéroports européens et, finalement, l’ensemble de la zone. En cas d’éruption d’un volcan dans le Pacifique, les avions le contourneront. L’aviation dense est un phénomène récent, apparu dans les années 1975 à 1980. Qu’est-ce que trente ans par rapport au cycle d’activité d’un volcan ?

Dix jours après le premier épisode d’éruption, un second a entraîné la réalisation d’une nouvelle cartographie. Celle-ci faisait apparaître une menace sur Paris. Instruit par l’expérience, j’ai immédiatement ordonné des boroscopies ; les moteurs ont été contrôlés en temps réel. Constatant l’absence de dépôts, nous n’avons pas fermé à nouveau l’espace aérien.

La stratégie française a longtemps été isolée. Si d’autres pays nous ont emboîté le pas,– certains, situés plus à l’Est, considérant que si l’air qui passait dans leur espace avait auparavant traversé l’espace français sans que des anomalies aient été détectées, il était donc sûr –, d’autres, en revanche, se sont tenus aux calculs précis établis en Angleterre. Si des fermetures plus longues des aéroports beaucoup plus proches du volcan que les nôtres, en Scandinavie, en Écosse ou dans le nord de l’Angleterre, étaient légitimes, les périodes de fermeture des aéroports situés dans l’Est de la France auraient dues être encore plus réduites.

Les passagers français bloqués à l’étranger ont profité de l’autonomie de décision française. Une décision unie dans le cadre d’un processus européen nous aurait sans doute obligés à fermer plus longtemps.

Il reste que la diversité des choix effectués n’est pas satisfaisante.

Parallèlement aux mesures que nous décidions, nous avons entamé dès le lundi un travail de coordination européenne, à l’initiative pressante du Premier ministre et des ministres concernés.

Le lundi matin, une audioconférence a été organisée, sous l’égide d’Eurocontrol, entre l’ensemble de mes homologues directeurs de l’aviation civile et leurs adjoints chargés de la sécurité ; nous devions être une centaine. Nous avons défini une méthode en vue du Conseil des ministres européens chargés des transports. Malgré ses limites et son efficacité finalement limitée révélée à l’usage, celle-ci permettait de gérer la première partie de la crise.

Une audioconférence des ministres des transports tenue l’après-midi l’a avalisée et c’est ainsi que les aéroports de l’ensemble des États européens ont rouvert dans le courant de la journée du mardi – la France, déjà prête, rouvrant au petit matin.

Les cartes du centre météorologique de Londres montrent, pour la première crise, une petite tache noire autour du volcan – signalant une zone de cendres très denses où il n’était pas question qu’un avion s’aventure –, entourée d’une large tache rouge. Après la démonstration par les tests français que la circulation des avions était possible dans celle-ci, Eurocontrol a avalisé la méthode française pour l’ensemble de l’Europe. Au cours de l’épisode suivant, la carte a fait apparaître une tache noire très étendue, mordant sur une bonne partie de l’Europe, bordée d’un étroit liséré rouge. Appliquer la méthode précédente eut abouti à bloquer les échanges aériens.

Aussi, nous avons décidé d’approfondir notre connaissance du phénomène, en utilisant les travaux du centre de Météo France à Toulouse, qui mettaient en œuvre une échelle de densité. La surface de la tache noire du centre de Londres était remplacée par des zones en noir, en gris foncé et en gris clair.

Nous avons testé la situation par la méthode des zones grises. Positif, le résultat des tests a permis finalement à l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) et à Eurocontrol d’élaborer une consigne autorisant, sous réserve de conditions d’entretien, le vol aux limites de la zone grise.

Tel est le processus de décision que j’ai voulu décrire à votre intention de manière détaillée, avec toutes ses difficultés et les interrogations que se posent les décideurs, dans le système quelque peu chaotique, né d’une situation où la mesure est extrêmement difficile. Tant que l’aviation ne disposera pas pour les cendres de systèmes de mesure aussi précis que ceux qu’elle utilise pour les turbulences ou les orages – où le radar embarqué garantit au pilote un degré d’information satisfaisant –, la méthode pragmatique des vols d’essais a encore de beaux jours devant elle.

M. le président Christian Jacob. Merci pour ces explications détaillées. Je vous rappelle cependant ma question sur la politique des ressources humaines appliquée aux contrôleurs aériens. Je donne la parole aux orateurs des groupes pour une première salve de questions.

M. Stéphane Demilly. Dans le but de renforcer la sécurité aérienne en Europe, les ministres des transports de l’Union européenne ont instauré en 2005 un processus commun d’interdiction ou de restriction de l’exploitation, dans l’espace aérien européen, des compagnies aériennes jugées peu sûres. Comment la « liste noire » qui en découle est-elle établie ? Quel est son rythme de mise à jour ? Combien de compagnies dans le monde comporte-t-elle ? Ce processus est-il selon vous efficace ?

La DGAC a mis en place sur le site Internet du ministère de l’écologie un calculateur du volume de CO2 généré par chaque voyage en avion, en fonction du trajet parcouru. Il est aussi proposé à chaque passager qui le souhaite de compenser financièrement le CO2 ainsi émis. Ce dispositif est-il efficace ? Des voyageurs proposent-ils spontanément de compenser le CO2 qu’ils émettent en prenant l’avion ? S’agit-il au contraire d’une « boîte à outils » utopique ?

La DGAC est partenaire du « Salon de l’aviation verte », qui s’est tenu la semaine dernière au Bourget et dont l’objet était de présenter le savoir-faire du secteur aéronautique français dans ce domaine, y compris en matière de biocarburants. Je suis chargé d’un rapport d’application de la loi « Grenelle I ». Ce salon s’inscrit dans la logique du Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC), mis en place en 2008 dans le cadre du Grenelle de l’environnement pour imaginer les aéronefs de demain. Pourriez-vous nous décrire quelques unes des innovations qui y ont été présentées ?

M. Jean-Paul Chanteguet. Pour renforcer les incitations au renouvellement des flottes afin d’en diminuer les nuisances acoustiques, le décret et l’arrêté du 26 février 2009 instituent une modulation de la redevance d’atterrissage, sur le principe du bonus-malus, en fonction de la performance acoustique des avions et de la période de la journée. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?

Les nuisances sonores ont-elles diminué autour des aéroports de Paris Charles-De-Gaulle et d’Orly ?

La diminution du nombre de sanctions prononcées par l’Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires, l'ACNUSA, de 454 en 2008 à 387 en 2009, correspond-elle à un changement réel de comportement des compagnies aériennes ?

Si les transports intérieurs connaissent une stabilisation des émissions de CO2, pour des raisons à la fois de gains d’efficacité énergétique et de report modal vers les TGV, à l’échelle internationale, ces émissions ont été multipliées par deux et le trafic aérien de passagers par trois. À partir de 2012, le marché européen des quotas de carbone s’appliquera au transport aérien. L’objectif pour la période de 2013 à 2020, est de 95 % du niveau des émissions de 2005. Quel rôle jouera la DGAC pour y parvenir ?

Quels seront les organismes chargés des programmes de recherche liés à l’aviation verte et au programme de l’avion « ultra-vert » qui pourrait être mis sur le marché en 2020 ? Quels montants seront consacrés à ces recherches ?

Enfin, le calculateur d’émissions de CO2 cité par notre collègue Stéphane Demilly est-il souvent utilisé et par qui ?

M. Yanick Paternotte. Les recherches des boîtes noires du vol AF 447 Rio-Paris se poursuivent-elles ? Si oui, dans quelles conditions et avec quels moyens ?

Les lois du 13 août 2004 et du 20 avril 2005, organisant le transfert de gestion des douze plus importants aéroports régionaux français ont reçu un début de concrétisation avec l’ouverture du capital d’Aéroports de Paris et la création de sociétés de gestion à cette fin. Quel est l’état des accords pour ces évolutions, notamment avec les chambres de commerce ? Où en sont les appels d’offres ? Les enjeux ne sont pas neutres, notamment en matière de conventions avec les compagnies low cost ?

La DGAC assure-t-elle, comme l’a souhaité la Cour des comptes, un rôle d’appui juridique dans la passation des conventions entre les compagnies à bas coûts et certaines plateformes régionales ? L’absence de régulation crée une distorsion de concurrence, en particulier à l’encontre de la compagnie nationale, qui a racheté progressivement l’ensemble des compagnies régionales de taille significative.

J’ai posé l’an dernier une question au Gouvernement sur les clearances, les autorisations d'absence officieuses, des contrôleurs aériens. De l’ordre a-t-il été remis ? La productivité a-t-elle progressé ? Selon moi, les marges restent considérables !

Comment la DGAC évalue-t-elle les besoins de capacités aériennes à l’horizon 2025 ? La Cour des comptes a considéré qu’une réflexion stratégique à long terme ne pourrait pas être évitée à partir de 2010. En Île de France notamment, quelle est la limite physique du nombre de vols annuels possibles ? Comment son accroissement sera-t-il obtenu ? Pour les riverains, quelle sera l’incidence du changement des modalités d’approche ?

S’agissant des nuisances sonores, chacun est convaincu de la nécessité d’une harmonisation à l’échelle européenne, au moins pour les vols de nuit. Même si l’élargissement de l’Union européenne ne simplifie pas sa réalisation, on a l’impression d’une absence de volonté politique européenne. Quel est l’état de la négociation ?

Enfin, j’avais déposé – sans succès – un amendement au projet de loi « Grenelle II » en faveur de l’insonorisation des habitations des riverains de l’aéroport du Bourget, dont la piste est intégrée au dispositif de Roissy. Bien que le nombre de mouvements requis ne soit pas atteint, appuierez-vous ma position à l’occasion de la préparation du prochain projet de loi de finances, au motif, comme j’avais essayé d’en convaincre, que le système aéronautique et le plan d’exposition au bruit (PEB) sont communs avec ceux de Roissy ?

M. Patrick Gandil. La « liste noire » est établie par la Commission européenne. Elle est préparée par un comité spécifique où tous les États membres sont parties prenantes. Elle est régulièrement mise à jour – chaque trimestre, me semble-t-il. Les comptes rendus des débats du comité sont publics ; ils figurent sur les sites Internet tant de l’Union européenne que de la DGAC. Au-delà de la composition de la liste noire, j’attire votre attention sur les attendus des décisions du comité. Ils permettent de connaître la teneur des débats relatifs aux compagnies qui risquaient l’inscription sur la liste noire mais l’ont finalement évitée.

Les compagnies ne sont pas sauvées par des pressions diplomatiques et les décisions sont réellement collégiales : les États dont elles ressortissent sont dans une relation non pas bilatérale mais avec les Vingt-Sept. Une compagnie peut se retrouver sur liste noire pour ses propres insuffisances, mais aussi pour les carences de son autorité de surveillance. Dans ce cas, la mise sur liste noire entraîne de sérieuses tensions avec l’État dont ressortit la compagnie. Le caractère très divers des compagnies sur liste noire et des États dont toutes les compagnies sont sur liste noire – pour des raisons, en général, de défaillance de l’autorité de contrôle – suffit à montrer que le placement en liste noire ne relève pas de la richesse de l’État de rattachement ni de ses pouvoirs de rétorsion, mais d’une pure analyse aéronautique, fondée sur les contrôles SAFA (Safety Assessment of Foreign Aircraft) que nous effectuons sur les aéronefs étrangers de passage, ainsi que sur les informations que nous pouvons obtenir sur le suivi des ateliers de maintenance, ou encore les conclusions des visites de l’OACI.

La liste noire de l’Union européenne comprend aujourd’hui une centaine de compagnies. Si sa lecture pourrait donner à croire que seules de petites compagnies, inconnues en Europe y figurent tandis que les plus puissantes y échappent, les raisons de cet effet d’optique sont, d’une part, qu’une compagnie interdite en Europe ne risque pas de s’y manifester et, d’autre part, que les puissantes compagnies mondiales ne peuvent échapper au système international de contrôle strict étroit qui s’impose à l’aviation commerciale.

Cela dit, loin de disparaître, une compagnie placée sur liste noire continue à travailler dans son État de nationalité. Au-delà de l’interdiction eu Europe, notre position est délicate : dans nombre de pays ne respectant absolument pas les garanties en vigueur dans le secteur de l’aviation, il est beaucoup moins dangereux de voyager sur une compagnie placée sur liste noire qu’en autobus, sur des routes très difficiles et pas toujours sûres. L’accidentologie le prouve. Et comment contraindre un État d’arbitrer en faveur d’investissements lourds au profit de compagnies aériennes qui, quoique placées sur liste noire, sont souvent leurs agents de transport les plus sûrs, au bénéfice principal de touristes occidentaux et au détriment, par exemple, de leur système de santé ? C’est là un cas de conscience. Un moment donné, le touriste doit prendre ses responsabilités.

La pression a ses limites. L’objectif raisonnable me semble une information mondiale, sous la forme d’une liste noire mondiale. S’il est raisonnable d’interdire à ces compagnies d’atterrir en Europe, où nous assumons la responsabilité de la sécurité aérienne, aller jusqu’à leur interdire toute activité dans les États dont elles relèvent – ce qui nous est demandé par beaucoup – me semblerait constituer une atteinte à leur souveraineté.

Si le site Internet de la DGAC comporte un calculateur de CO2, c’est essentiellement dans un objectif d’information. Nombre de compagnies diffusent ce type d’information pour des raisons publicitaires, la puissance publique a souhaité mettre à la disposition des voyageurs un instrument au sérieux et à la neutralité garantis. La compensation procède de la même démarche que la création de permis d’émissions. Il serait dommage, lorsque cela est possible, que l’usage de l’aéronautique ne permette pas de financer des économies d’énergie dans des secteurs où elles sont les plus faciles et les moins onéreuses. En revanche, l’argent de la compensation, lorsque compensation il y a, ne transite aucunement par la DGAC. Je suis donc tout à fait incapable de répondre sur ce point, ni sur le niveau de civisme qu’il faudrait en déduire.

Lier le salon de l’aviation verte et les travaux du CORAC me semble un peu rapide. Le salon comprend d’abord des présentations en vol ou au sol d’appareils expérimentaux, qui relèvent largement de l’aviation légère, les compétences technologiques actuelles ne permettant pas de réaliser un avion de transport tout électrique. Le salon accueille aussi des conférences et débats, qui le rattachent directement à l’univers de l’aviation commerciale et au CORAC.

Le CORAC travaille à la réduction des émissions par l’aviation de CO2, de produits irritants, tels que les oxydes d’azote (NOx), et de bruit. Ont été déclarés éligibles aux financements du Grand emprunt les démonstrateurs, en aval, mais aussi des projets de recherche amont.

Nous recherchons le développement d’avions beaucoup plus légers – donc composés d’une part très importante de matériaux composites – ainsi que de systèmes de propulsion beaucoup plus économiques en kérosène, comme les open rotors (doubles soufflantes non carénées) et les systèmes à très grandes hélices et à turbopropulseurs. La difficulté, surtout pour les open rotors, est de ne pas accroître le niveau de bruit.

Des programmes de recherche sont aussi conduits sur les hélicoptères, en vue d’accroître la part de matériaux composites et la sécurité en cas de panne, un hélicoptère n’ayant qu’un seul rotor et une seule boîte de transmission. D’autres travaux concernent la conception d’hélicoptères à moteur diesel et non plus à réacteur, d’avions d’affaires plus efficaces et enfin de petits avions d’affaires à turbopropulseurs, avec les capacités des Beech 200 actuels, tout en offrant de bien meilleures performances. Les deux derniers programmes cités sont conduits l’un avec Dassault Aviation, l’autre avec la SOCATA.

D’autres projets, comme l’avion dit « tout électrique », intéressent plutôt les équipementiers. Ce dernier programme tend à remplacer, pour la transmission de puissance pour le fonctionnement des pièces mobiles, les circuits hydrauliques par des moteurs électriques. Si cette évolution impose en pratique l’installation d’une petite centrale électrique dans l’avion, l’optimisation de cette centrale devrait permettre une diminution considérable des pertes techniques dans le système. L’ensemble de ces objectifs a été présenté oralement par le CORAC pendant le salon de l’aviation verte.

L’évolution de l’aviation en un siècle, depuis l’avion d’Henri Farman, nous conduit à ne pas sous-estimer les travaux expérimentaux sur de petits mécanismes. Qui sait aujourd’hui quels développements en résulteront dans vingt ans ? Nous soutenons donc avec enthousiasme le salon de l’aviation verte et ses objectifs.

Pourquoi les nuisances sonores ont-elle diminué à Orly ? Le nombre de mouvements y est plafonné à 250 000 depuis très longtemps. Le niveau de bruit unitaire par avion ayant diminué, tel a donc aussi été le cas du niveau global. Cela dit, la réduction du bruit ne se produit pas de façon continue mais par paliers, lors des changements de modèles d’avions exploités. Ainsi, l’entrée en service des Boeing 777 en remplacement des Boeing 747-200 et 747-400 a entraîné une diminution très significative de l’impact sonore et la situation continue d’évoluer.

La problématique n’est pas la même à Roissy, porte d’entrée aérienne de la France et du continent européen où le nombre de mouvements n’a pas été plafonné. Malgré un accroissement significatif du nombre de mouvements – jusqu’à plus 7 % certaines années par rapport aux années 1999 ou 2000 – le niveau total de bruit s’est maintenu, voire a diminué : l’indice de bruit est aujourd’hui de 94 ou 95 contre 100 la première année de mesure. Ce résultat tient aussi à l’amélioration acoustique unitaire des avions, du fait de la disparition des appareils relevant du chapitre 2 de l’Annexe 16 de l’OACI, puis des plus bruyants parmi ceux qui relèvent du chapitre 3. Y concourt le plafonnement du nombre de mouvements de nuit, chaque mouvement abandonné étant perdu.

La baisse du nombre de sanctions en 2009 est probablement liée à la diminution très sensible du nombre de mouvements. Il reste que les niveaux, élevés, des sanctions ont été ajustés pour mettre en perte le vol sanctionné. Une compagnie aérienne a donc tout intérêt à veiller à rester strictement en règle. L’objectif des sanctions est, par leur caractère dissuasif, de faire respecter les normes, au point que la sanction elle-même devienne inutile à terme.

Le rôle de la DGAC dans la gestion de l’inclusion de l’aviation au sein du marché de permis d’émissions de CO2 (Emissions Trading Scheme ou ETS) est essentiel. La DGAC a participé à la négociation de la directive européenne. Elle est, pour la France, l’un des trois négociateurs européens de l’OACI – sur quinze ou seize. Mon adjoint chargé de cette mission a présidé plusieurs groupes de travail. Il reste que la problématique de cette négociation est identique à celle du sommet de Copenhague : il est très difficile de trouver un terrain d’entente avec nombre de grands États – Chine, Inde, Brésil. La possibilité de prendre une décision unilatérale donne lieu à des débats juridiques compliqués. L’affaire se terminera sans doute devant des cours de justice et il n’est pas gagné d’avance que la décision finale nous soit favorable. La négociation est sous-tendue par un combat entre pays développés et pays en développement, inquiets d’un blocage du développement de leur aviation. Nous réussissons à trouver certains terrains d’entente avec les Etats-Unis, le Canada, l’Australie ou encore la Nouvelle-Zélande. Singapour a pris une position diplomatique médiane. Mais l’affaire reste difficile.

La DGAC est responsable de la gestion des ETS pour l’aviation. Elle a donc affaire à un millier de compagnies aériennes – un record européen –, dont certaines n’exploitent qu’un seul avion, de façon épisodique, éventuellement outre-mer, et n’ont aucune notion de ce système juridique. Nous devons déterminer la quantité de CO2 qu’ont émis les compagnies, leur accorder la part de permis d’émissions à laquelle elles ont droit gratuitement et les informer de la loi. La tâche administrative est très lourde et comporte une dimension diplomatique : proposer des permis gratuits peut entraîner une citation auprès d’un tribunal, comme ce fut récemment le cas de la part d’une compagnie étrangère.

L’enquête sur le vol AF 447 Rio-Paris est de la responsabilité non pas de la DGAC mais du BEA (Bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile). Le directeur général de l’aviation civile ne dispose d’aucune autorité sur le BEA ni d’aucune capacité de suivi de son travail. Mon information sur l’enquête est donc logiquement médiocre. Je sais qu’à l’issue de la dernière campagne, la décision a été prise de ne pas mettre fin aux recherches des boîtes noires. Une nouvelle campagne sera donc lancée, en liaison avec le ministère de la défense et les experts en aviation, en recherche sous-marine et en hydrologie marine. Le BEA s’est entouré des meilleurs spécialistes internationaux. S’il faut reconnaître que la réussite réclamerait beaucoup de chance, l’attente de tous reste grande : outre le réconfort qu’en tireraient les familles des victimes, connaître précisément les causes de l’accident serait d’un grand profit pour les futures prises de décision. En effet, un débat est actuellement conduit entre Boeing, Airbus, les grandes compagnies aéronautiques, l’EASA et la FAA (Federal Aviation Administration) américaine sur le traitement des décrochages en haute altitude : faut-il accroître au maximum la poussée des réacteurs ou faire piquer l’avion ? En haute altitude, l’écart entre une insuffisance de vitesse, pouvant conduire à un décrochage, et un excès de vitesse, pouvant être dommageable à la sécurité de l’appareil, est très faible.

La gestion des aéroports régionaux français a réellement évolué : celle de Lyon, Nice, Bordeaux, Toulouse et Montpellier est désormais assurée par une société de gestion aéroportuaire. La date d’expiration de la concession de l’aéroport de Marseille donne un peu de temps. Quant à Nantes, le changement est conditionné par la réalisation du projet de plateforme de Notre-Dame des Landes.

Sérieusement envisagée, l’ouverture du capital d’Aéroport de Paris est suspendue à une amélioration des marchés boursiers ; ce patrimoine public ne doit pas être bradé.

Nous essayons d’accompagner au mieux les aéroports régionaux face aux compagnies low cost. Au reste, les difficultés rencontrées se limitent en réalité à la stratégie de la compagnie Ryanair, laquelle a tendance à subordonner le maintien de son implantation dans un aéroport à la satisfaction de demandes d’abattements tarifaires mais il est vrai que le respect des règles de droit social a aussi concerné d’autres compagnies à bas coût.

Aujourd’hui, les « clairances » au sein du corps des contrôleurs aériens ne sont plus tolérées. Même si tous n’en sont pas ravis, les contrôleurs doivent désormais « badger ». Leurs badges ont la particularité de ne pas être réservés au contrôle du temps de travail : ce sont aussi des badges de sûreté dont toute falsification aurait des conséquences pénales. Cette nouvelle mesure permet de normaliser une situation très critiquable et d’opérer plus facilement l’ensemble des contrôles qui nous avaient été demandés.

Cela dit, le contrôle aérien est une activité hautement saisonnière, d’intensité variable dans la semaine et beaucoup plus faible la nuit que le jour. Le nombre de contrôleurs nécessaires varie donc dans le temps. Nous devons désormais gérer avec les contrôleurs une certaine flexibilité, pour éviter des présences en sureffectif – mais payées – à des moments d’activité modeste et bénéficier de l’effectif nécessaire en période de pointe, notamment les jours fériés.

Les capacités aéroportuaires méritent une analyse spécifique. Ce sont les compagnies aériennes qui décident de s’installer dans un aéroport, pour des raisons de marché et d’organisation interne. En effet, deux types d’organisations existent, le hub et le système de point à point. L’essentiel du trafic de point à point en Île-de-France passe par l’aéroport d’Orly, où quasiment aucun hub n’est implanté. Inversement, une forte proportion du trafic de Roissy est directement liée au hub d’Air France. Des compagnies peuvent aussi s’implanter dans un aéroport pour bénéficier du trafic généré par un hub important.

Le trafic parisien pourrait-il être organisé sur trois aéroports ? Rien n’est moins sûr. Il n’existe pas dans le monde d’exemple de ce type. Dans un hub, le transit d’un avion à l’autre doit pouvoir avoir lieu en une heure. Cela empêche de répartir un même hub sur deux aéroports. À Londres, les aéroports implantés autour des deux principales plateformes sont des spécialisés, comme celui de Beauvais.

Aujourd’hui, les aéroports régionaux jouent un rôle économique majeur. Dans les années 1980, leur rôle se réduisait quasiment à celui de terminus de la ligne d’Air Inter depuis Paris. Sauf dans le grand Sud, le TGV a fait disparaître quasiment partout cette liaison avec Paris. En revanche, ces aéroports offrent désormais des liaisons exclusives avec la plupart des grandes capitales européennes. Ils sont donc devenus des outils essentiels de l’ouverture des régions françaises à l’Europe. Sans eux, le dynamisme européen serait moindre.

M. le président Christian Jacob. Je donne la parole à mes collègues pour une nouvelle série de questions.

M. François-Michel Gonnot. Dix jours ont été nécessaires pour que l’économie européenne puisse sortir de la paralysie, et le tourisme comme le transport aérien du naufrage créés par les décisions prises pendant l’éruption du volcan islandais. Que nous entendions Air France, ADP ou la DGAC, nous n’arrivons pas à comprendre quel retour d’expérience les acteurs de la crise ont tiré de leur action. Quels éléments seraient de nature à rassurer quant à une gestion plus efficace d’une nouvelle crise ?

Alors que les systèmes d’audioconférence se sont généralisés, comment se fait-il qu’il ait fallu plusieurs jours avant que les ministres européens puissent en tenir une ?

Monsieur le directeur général, au cours du colloque que j’ai organisé en décembre, vous avez indiqué que les percées obtenues par la France seraient annoncées lors de l’Assemblée générale de l’OACI au printemps. Las, nous n’avons rien relevé de notable, en particulier pour ce qui concerne la transmission par satellite des données de vol de façon à tenir compte de la catastrophe du vol AF 447. Gardez-vous l’espoir de faire aboutir vos propositions, ou vous résignez-vous à la loi du moins-disant, qui est de règle dans les organisations gérées par des traités internationaux ?

M. Philippe Plisson.  Sur 280 aérodromes civils et militaires soumis à l’obligation de se doter d’un plan d’exposition au bruit (PEB), 188 seulement étaient en règle en décembre 2009. Les PEB servent de supports à la délimitation de zones de gêne sonore, lesquelles deviennent inconstructibles ou constructibles seulement sous certaines conditions. Leur généralisation a-t-elle progressé ? Quels types d’aérodromes n’en sont pas encore dotés et pour quelles raisons ?

M. Didier Gonzales. Un nouveau décret relatif à l’aide à l’insonorisation des logements situés autour des aéroports est entré en vigueur le 9 juin 2009. L’une de ses avancées concerne la possibilité de regrouper les dossiers et d’obtenir ainsi un meilleur taux de remboursement. Le dispositif peut cependant être amélioré, notamment en matière d’habitat social, de reconstruction d’équipements publics et d’articulation avec l’isolation thermique. Quel calendrier prévisionnel de mise en œuvre de ces améliorations, très attendues des riverains, pouvez-vous nous présenter ?

M. Jean-Luc Pérat. En janvier 2008, une convention entre l’État et les principaux acteurs concernés a été signée en vue du développement durable du transport aérien. Quelle est votre évaluation des nouvelles procédures opérationnelles qui en découlent, notamment pour les travaux de certification acoustique destinés à mieux traiter les nuisances générées par le trafic aérien ?

Pouvez-vous faire le point des avancées dans le traitement de l’insonorisation des riverains des aéroports ?

Enfin, à l’heure de la généralisation de la gestion des procédures par l’informatique, les pilotes disposent-ils encore d’une marge de manœuvre pour gérer les difficultés qu’ils peuvent rencontrer en vol ? Il semble que les analyses de vol soient parfois utilisées à l’encontre des pilotes – y compris au préjudice de leur carrière – lorsque ceux-ci osent sortir de paramètres prédéfinis.

M. Jacques Le Nay. Quel est l’état de la recherche sur les nouvelles générations de carburants aéronautiques ?

La poursuite du développement des lignes de TGV aboutira-t-elle dans un futur proche à un resserrement des dessertes aériennes? Des sites de province sont-ils d’ores et déjà menacés ?

Enfin, dans quelles conditions l’implantation de champs d’éoliennes ou de capteurs photovoltaïques est-elle compatible avec le périmètre rapproché des pistes d’atterrissage? Les mâts des éoliennes sont de plus en plus hauts. Les approches de l’aviation militaire et de l’aviation civile à cet égard sont-elles identiques ?

M. Jean-Marie Sermier. La plupart des petits aéroports régionaux, vitaux pour leurs zones de desserte, sont désormais gérés par les collectivités locales, lesquelles assument aussi bien leur entretien, leur développement ou leurs déficits d’exploitation. Si la DGAC assure très efficacement la direction des vols à l’aéroport de Dole-Jura, le seul de Franche-Comté, le sentiment persiste que celui-ci n’est pas valorisé à son juste intérêt.

Pensez-vous qu’un maillage de petits aéroports pourrait être utile en situation de crise ? Pour plus d’efficacité, pourraient-il être mis en réseau avec des aéroports de plus grande dimension ?

Enfin, dans le cadre du programme Clean Sky, la déconstruction d’avions peut-elle être l’une des voies vers une aviation plus verte et plus économe ? Peut-on imaginer un développement de cette activité au-delà du seul aéroport de Tarbes-Lourdes ?

M. André Chassaigne. Quel est l’état des recherches en matière de carburants moins polluants ou d’avions plus économes en carburant ?

L’implantation d’éoliennes dans des zones très favorables en termes de vent ou d’impact environnemental est souvent bloquée par les contraintes de la circulation aérienne. Celles-ci ont-elles vocation à rester figées ou des évolutions sont-elles possibles ?

Les périmètres des aérodromes, notamment les petits, offrent des possibilités considérables en matière d’implantation de champs de capteurs photovoltaïques. Ceux-ci sont-ils compatibles avec la circulation des avions ?

Enfin, à l’occasion de la discussion du projet de loi « Grenelle II », des débats nourris ont eu lieu sur la définition du périmètre « enceinte » ou « emprise » au sein duquel la future loi pourrait autoriserait l’implantation de panneaux publicitaires autour des aéroports. Les deux notions sont-elles identiques ? Selon vous, quelle définition doit être retenue ?

M. Franck Marlin. La modification d’un couloir aérien d’approche vers l’aéroport d’Orly est en cours dans l’Essonne. Des structures de concertation, des groupes de travail, que la loi rend obligatoires, ont été créées à l’échelle de la région Île-de-France et du département de l’Essonne. Étrangement, aucun des élus qui y siègent ne représente les collectivités locales directement concernées. Le préfet de l’Essonne a aussi décidé que la concertation avec les élus, les associations et les riverains aurait lieu en plein mois de juillet… Or, ces modifications sont extrêmement sensibles. Les élus et les populations concernées doivent pouvoir faire valoir leurs arguments à l’encontre des projets envisagés. Les textes et les procédures doivent être respectés et dans cette affaire, tel n’est malheureusement pas le cas.

(Présidence de Mme Fabienne Labrette-Ménager, vice-présidente )

M. Patrick Gandil. Monsieur Gonnot, nous avons déjà tiré une première leçon opérationnelle de l’éruption du volcan. Lors du deuxième épisode, nous n’avons pas suspendu la circulation aérienne malgré des cartes encore plus alarmantes que celles de la première semaine. Nous disposons désormais d’une méthode, pragmatique, mais sûre, d’évaluation de la dangerosité des cendres.

Les concentrations de cendres étaient beaucoup trop faibles pour qu’un avion test s’écrase ou que ses moteurs s’étouffent. En cas de risque pour les personnes, de telles expérimentations n’auraient pas été lancées. La question à trancher ne concerne que d’éventuels coûts de réparation des moteurs des appareils.

L’existence préalable de la recommandation de l’EASA, élaborée après les discussions entre les DGAC, puis les ministres des transports européens, aurait permis un bien meilleur traitement de chacune des deux dernières crises, alors même que la répartition des cendres, l’altitude et la vitesse de propagation du nuage y étaient très différentes. Elle sera tout à fait appropriée à une prochaine crise de même nature. Dans un autre cas, nous devrons nous adapter.

La France milite aujourd’hui en faveur d’une doctrine européenne claire. Malheureusement, si, Anglais et Français ont trouvé un accord, les Allemands continuent à souhaiter des précautions beaucoup plus strictes en matière de maintenance des moteurs et de définition du seuil où ceux doivent être révisés – je rappelle qu’il ne s’agit pas ici de sécurité des personnes.

La position commune anglais et française est que, sans raisons de sécurité, l’espace aérien ne doit pas être fermé. Pour moi, si la sécurité des passagers et des équipages relève de la responsabilité de la DGAC, tel n’est pas le cas de l’usure des moteurs. Ne pas voler pour protéger leur moteur – au risque de disparaître économiquement avec des moteurs parfaits – ou voler avec précaution, en choisissant finement les plans de vols, et en prenant le risque d’user un peu ceux-ci – comme avec le sable saharien – relève à mon sens des compagnies aériennes, et non pas de la DGAC, ni de l’AESA. Note rôle est de fixer le seuil de cendres interdisant le vol ainsi que les modalités de surveillance des moteurs en cas de vol dans un environnement de cendres situé en dessous du seuil. Édicter qu’un moteur qui a volé en atmosphère contaminée doit être vérifié avant de voler de nouveau constitue une responsabilité de sécurité que la DGAC se doit d’assumer, mais elle n’a pas à aller au-delà.

Autant j’espère que les processus pourront être unifiés rapidement, autant je me dois de constater que si la France est le pays européen qui a le mieux réagi, c’est parce qu’elle a pu le faire de façon autonome. Il ne faudrait pas que, par volonté d’unifier les processus, nous nous trouvions obligés de fermer l’espace aérien alors que nous avons la certitude que ce n’est pas nécessaire. Grand pays d’aviation, la France est écoutée en Europe ; mais la Grande-Bretagne et l’Allemagne également ! Il nous faut donc nous mettre d’accord.

En mars, nous avons obtenu de l’OACI, non sans difficulté, qu’elle retienne les conséquences de l’accident du vol AF 447 comme thème pour sa prochaine assemblée générale, début octobre. La transmission en permanence des données de vol, au lieu de leur stockage dans des boîtes noires qu’il faut ensuite rechercher – parfois en vain – sera donc abordée. À ma grande surprise, le thème de l’information des passagers sur la sécurité des compagnies aériennes – que nous avons proposé – a également été retenu.

Cela dit, chaque étape de l’élaboration de la procédure sera un combat. Plusieurs années seront nécessaires avant que l’on obtienne une directive d’application obligatoire à l’échelle mondiale. Une recommandation ou une expression publique serait un premier pas positif, grâce auquel nous pourrions commencer à travailler. Il est vrai, monsieur Gonnot, que les progrès ne sont pas rapides.

Monsieur Plisson, parmi les 180 aéroports pourvus de plans d’exposition au bruit figurent non seulement tous les aéroports commerciaux, mais aussi des aéroports plus petits, qui n’accueillent pas d’avions de ligne. Il nous faut maintenant concevoir des PEB pour des aéroports accueillant occasionnellement des avions d’affaires ou des missions de service public – pour le transport d’organes, par exemple – et dont l’aviation légère constitue l’essentiel de l’activité. Le trafic, très irrégulier, varie fortement entre la semaine et le week-end. Si une ligne régulière les dessert, elle peut ne comporter qu’un seul avion, comme à Ouessant. Les méthodes de calcul de trafic retenues pour les aéroports commerciaux fréquentés par des lignes régulières ne peuvent donc leur être appliqués. Un décret spécifique, qui vient d’être transmis au Conseil d’État, va donc leur être consacré. Les obligations seront fixées sur la base non pas de la fréquentation moyenne par jour, mais de la réalité du trafic. Sa publication devrait permettre le lancement d’une deuxième vague de PEB.

Sous l’influence notamment du Grenelle, l’aide à l’insonorisation a fortement évolué depuis deux ans. Aujourd’hui – changement fondamental – les « files d’attente » ont été résorbées. Les recettes dans le périmètre de l’aéroport d’Orly ont doublé ; à Nantes et à Toulouse, les deux autres villes où le retard était sensible, elles ont fortement progressé. Un décret relatif aux opérations groupées a été publié : il permet le financement de 95 % des dépenses d’insonorisation. La limitation à 95 %, – au lieu de 100 % – a cependant des répercussions psychologiques, même si elle représente un enjeu financier plutôt négligeable. Je souhaite donc une évolution.

Monsieur Gonzales, je ne dispose pas ici d’éléments relatifs au calendrier prévisionnel que vous demandez. Si vous m’y autorisez, je vous répondrai donc par écrit.

En vue de réduire le bruit, nous avons sensiblement amélioré les procédures opérationnelles d’atterrissage. À Orly, des procédures de descente continue sont désormais régulièrement pratiquées. Leur mise en œuvre à Marseille, où les mouvements sont beaucoup moins nombreux, a donné de très réelles satisfactions. Nous travaillons dans le même sens pour les atterrissages de nuit à Roissy.

Cela dit, seule la mise en place intégrale de SESAR permettra de généraliser les procédures de descente continue en situation de fort trafic. Celles-ci resteront donc longtemps réservées soit à des approches spécifiques où la composition du trafic le permet – comme celle, nouvelle, d’Orly par le sud – soit aux périodes creuses. Cela dit, lesdites périodes correspondant pour l’essentiel au trafic de nuit, où la sensibilité au bruit est la plus forte, l’installation de ces procédures reste intéressante.

En cas de circulation dense ou très dense, en période de pointe, la méthode traditionnelle de descente en paliers, avec des intercroisements d’avions venant de toutes directions et qu’il faut décaler les uns par rapport aux autres pour permettre leur atterrissage en toute sécurité, va perdurer. Pour réduire le bruit induit, nous avons lancé le chantier du relèvement des altitudes de survol en Île-de-France. Sans doute est-ce la cause des principales difficultés rencontrées actuellement dans l’Essonne. Nous cherchons à supprimer le niveau de vol le plus bas, en remontant de 1 000 pieds l’altitude des appareils.

Nous avons commencé par la trajectoire relativement isolée évoquée par M. Marlin. Parallèlement, nous réalisons à Brétigny la simulation, sans doute la plus difficile jamais réalisée en France, d’un relèvement généralisé de toutes les trajectoires autour de Paris – dans la mesure où elles s’interpénètrent en tous sens, toutes doivent être relevées, sous peine de créer des collisions. Ce relèvement général du système de circulation aérienne de l’Île-de-France, l’un des plus complexes du monde, constitue une entreprise d’une difficulté considérable.

Si l’opération présente un intérêt collectif évident, elle n’est pas bénéfique pour tous. L’angle d’atterrissage étant constant, relever l’altitude de vol conduit à éloigner de l’aéroport l’endroit où l’avion va virer pour s’aligner sur la piste. De ce fait, alors qu’une partie de la population anciennement survolée ne le sera plus, des personnes qui ne l’étaient pas le seront – mais à une altitude plus élevée. Aux termes de la théorie du bilan élaborée par le Conseil d’État – que le monde des travaux public connaît bien – tout doute sur l’intérêt collectif de l’opération est exclu. Par contre, individuellement, certains seront gagnants et d’autres perdants.

Monsieur Marlin, si je puis vous garantir que nous n’avons pas commis de faute dans l’application du droit de la concertation, je ne saurais soutenir que cette concertation a été efficace. Nous nous efforçons donc aujourd’hui de la reprendre, sur la base des directives des préfets en charge des dossiers sur le territoire et nous sommes prêts à prendre le temps qu’il faut. Le gain collectif pouvant s’accompagner de pertes individuelles, je suis assez effrayé des mouvements que risque de créer l’opération globale pour l’ensemble de l’Île-de-France. Cependant, faire voler les avions le plus haut possible le plus longtemps possible représentera un progrès indéniable pour les populations. Les paliers d’approche de Roissy s’égrènent sur 30 kilomètres depuis Cergy-Pontoise. Certains sont à 4 000 pieds. Par rapport à cette référence, gagner 1 000 pieds est loin d’être négligeable. Cela dit, eu égard à la densité de la zone, où que se situe le virage d’approche, il surplombe malheureusement toujours une zone habitée.

À l’échelle mondiale, l’action en faveur de l’insonorisation ne passe que très difficilement par la réglementation. Les différences entre réglementations nationales sont considérables. Les vols de nuit ont représenté l’un des enjeux cruciaux du débat sur le traité « Ciel ouvert » avec les États-Unis. Ceux-ci souhaitaient en effet contrôler les décisions des Européens, considérant qu’elles portaient atteinte à la libre circulation. Nous avons réussi à limiter leurs exigences à l’obtention d’information.

Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de révision des procédures. La DGAC doit remettre un dossier à l’ambassade des États-Unis en France. Il ne s’agit pas de mise sous tutelle : les enjeux économiques de l’aviation sont mondiaux ! Nous cherchons nous-mêmes à bénéficier de droits économiques particuliers aux États-Unis. Au reste, l’accord « Ciel ouvert » nous est très bénéfique. Chacune des trois grandes alliances mondiales de transport aérien est dirigée par une compagnie européenne. En échange, les États-Unis sont naturellement très attentifs aux intérêts de certaines compagnies américaines, comme Fedex. En matière de réglementations urbanistiques ou relatives aux vols de nuit, je n’attends pas de progrès des négociations au plan mondial dans l’immédiat.

En revanche, le système d’accords mondiaux est extrêmement efficace sur l’évolution des appareils. L’aviation a été exemplaire. Dans les années 1970, aucune norme de bruit ne s’y appliquait. L’instauration de la méthode des chapitres acoustiques successifs de l’OACI a abouti à la formulation, tous les dix ans, d’une nouvelle exigence, qui constitue au départ un objectif pour les avions futurs. Cependant, les constructeurs savent bien que, dix ans plus tard, l’objectif sera devenu la norme obligatoire. C’est cette méthode qui a permis de supprimer les avions non classés au sein des chapitres acoustiques, puis ceux du chapitre 1, du chapitre 2 et enfin de la partie basse du chapitre 3 – des équipementiers ayant conçu des dispositifs permettant d’en satisfaire les conditions minimales. Aujourd’hui, nous limitons dans le temps les mouvements des appareils relevant de la partie haute de ce chapitre. L’accord international à l’origine de ces progrès a été défendu par l’Europe et les États-Unis.

Monsieur Pérat, à quoi serviraient les pilotes s’ils ne disposaient pas de marges de manoeuvre ? Il est attendu d’eux une parfaite connaissance de la réglementation technique, c’est-à-dire de la codification des règles de l’art. Celle-ci a été réalisée pour leur donner les meilleurs conseils possibles. Ils doivent aussi savoir utiliser tous les modes dégradés de pilotage, et connaître, en cas de panne, les conséquences de celle-ci. Enfin, au pire, ils doivent aussi être capables de reprendre la main « à l’ancienne », en coupant les automatismes. Certes, cette dernière solution est moins efficace en terme de sécurité que le maintien des automatismes et systèmes de sécurité existants ; cependant, les systèmes de sécurité peuvent avoir des effets pervers lorsque leur action n’est plus absolument maîtrisée. Je ne crois pas une seconde qu’un pilote puisse ne pas chercher à sauver son avion pour respecter la réglementation ou préserver son évolution de carrière ! Non seulement il est dans l’avion, mais son honneur s’y oppose.

Cela dit, les syndicats de pilotes soulèvent fréquemment la question de la « just culture », la distinction de l’erreur et de la faute. Une erreur ne relève pas de la loi pénale car dans quel métier n’en commet-on pas ? Cependant, il faut savoir identifier la faute qui mérite sanction. La laisser à l’appréciation exclusive du juge reviendrait à nier tout système disciplinaire interne. De plus, si tout expert d’un métier à risque – pilote mais aussi contrôleur aérien, médecin ou encore constructeur d’ouvrage d’art – est mis en examen à chaque erreur de choix, plus personne ne pourra travailler. Pour autant, il ne faut pas tomber dans l’impunité. Si, alors que le déroulement d’un vol – qui pourtant s’est achevé normalement – suscite des interrogations, il n’était pas possible d’accéder à ses paramètres, et notamment aux boîtes noires, parce que des éléments disciplinaires relatifs aux pilotes pourraient apparaître, il ne serait plus possible de faire progresser l’aviation à partir d’incidents mineurs. Inversement, ne pas réduire les pilotes à un mutisme total dans le cockpit ou à la dissimulation de l’ensemble des informations de vol suppose de ne pas engager sans discernement des procédures de sanctions internes. La gestion de cet écart suppose déontologie et dialogue. A mes yeux, les conventions en cours de finalisation à Air France représentent certainement la meilleure façon de progresser.

Nous participons activement à la recherche sur les biocarburants, notamment dans le cadre de l’Union européenne. Ceux-ci constituent sûrement une voie de progrès, à condition d’aboutir à un gain d’émission de CO2. Ainsi, la production de kérosène à partir de la liquéfaction de la houille – le procédé, dit de Fischer-Tropsch, qui date de la Seconde Guerre mondiale, est tout à fait efficace – ne peut avoir le moindre effet positif sur la production de CO2. En revanche, en cas de production de kérosène à partir de la biomasse, le carbone rejeté n’est pas du carbone fossile mais du carbone atmosphérique transformé en produits végétaux ou ligneux par photosynthèse, puis brûlé. Le carbone rejeté dans l’atmosphère s’y trouvait donc déjà. Ainsi, au contraire de l’utilisation de pétrole, celle de ce type de carburant remplace des émissions de carbone fossile par un cycle du carbone atmosphérique, sans émission nouvelle.

Nous sommes tous favorables à ce type de recherche. Cela dit, l’utilisation de biocarburant est beaucoup plus délicate dans l’aviation que dans l’automobile. En effet, un carburant d’avion doit rester liquide à la fois au soleil, l’été, dans un pays désertique du Moyen-Orient, et en haute atmosphère, à moins 50 degrés, sans le moindre cristal de glace. De ce fait, la variété de produits chimiques utilisables est beaucoup plus faible que pour l’automobile ; aucune automobile ne passe dans la même journée d’un environnement de plus 80°degrés à un autre de moins 50 degrés !

Il faudra aussi que le biocarburant soit produit en quantité suffisante, sauf à effectuer des mélanges. De plus, si la production de biocarburants a donné de bons résultats techniques, elle ne peut aujourd’hui s’insérer dans le système économique. Ce serait donc une hérésie de renchérir à ce point les coûts de l’aviation en les utilisant. En attendant que la baisse des coûts de production des nouveaux carburants et la hausse de ceux des carburants fossiles fassent rentrer les premiers dans les prix du marché, il semble préférable que, via les systèmes de permis d’émission, l’aviation finance d’autres secteurs, car elle ne représente que 2 % de la consommation mondiale.

Nous n’avons pas travaillé sur les biocarburants de deuxième génération, Pourquoi ? Le rendement énergétique de carburants fabriqués à base de produits oléagineux ou sucrés n’est en général pas excellent. De plus cette transformation entre en compétition avec la production de produits alimentaires, alors que la Terre ne nourrit pas tous ses habitants. En revanche, les biocarburants de troisième génération, qui utilisent la plante entière, notamment des déchets de bois, des plantes sans intérêt alimentaire ou encore des algues marines – lesquelles proviennent directement de la transformation de la lumière par photosynthèse – constituent une voie très intéressante. Nous y travaillons, avec des espoirs vraiment sérieux dans un avenir proche. Cependant, l’aviation reste, pour l’utilisation des biocarburants, le mode de transport le plus difficile.

Messieurs Chassaigne et Le Nay, l’éolien et l’aviation n’ont aucune raison de ne pas coexister… sauf aux environs des aéroports. En effet, le sommet des pales des éoliennes peut atteindre 150 mètres au-dessus du niveau du sol, ce qui équivaut à 500 pieds, soit le niveau bas de vol de croisière des avions. Par ailleurs, pour atterrir, un avion doit descendre. Autrement dit, à proximité des aéroports, et pas seulement dans l’axe des pistes, l’emplacement des éoliennes doit faire l’objet d’un choix attentif.

En application du code de l’aviation civile, la DGAC est consultée sur l’ensemble des emplacements d’éoliennes. Dans plus de 80 % des cas, son avis est favorable ; dans les autres cas, nous négocions avec le constructeur au regard des circuits aériens car nous sommes souvent en situation de lui donner de bons conseils pour la progression du dossier : le plus souvent une seule des éoliennes prévues pose difficulté. Il est même arrivé qu’une piste d’un petit aéroport soit reconfigurée pour permettre l’implantation d’un champ d’éoliennes. Les refus de construction sont donc minoritaires. Cela dit, chaque dossier suppose une étude détaillée, tant de la position du champ éolien que du circuit des pistes aéroportuaires.

M. André Chassaigne. Le refus intervient souvent dès la délimitation de la zone de développement de l’éolien (ZDE), pour des raisons liées au passage des avions. Cela est d’autant plus dommage que les sites choisis peuvent être très intéressants. Le type d’échanges que vous évoquez permettrait peut-être une meilleure prise en compte.

M. Patrick Gandil. C’est au moment de l’établissement de la ZDE qu’il faut contacter la DGAC ! Nous sommes souvent obligés de rattraper des projets mal conçus, alors que la consultation de la DGAC au moment de l’établissement de la ZDE aurait permis de les lancer dans les meilleures conditions. La situation devrait cependant s’améliorer : les promoteurs de champs d’éoliennes vont progressivement apprendre à lire les cartes aéronautiques ! Nous préférons éviter que des avions se fassent hacher en passant dans un champ d’éoliennes ; un cas– qui n’a heureusement pas fait de victimes – s’est déjà produit en Bretagne.

Ensuite, on ne peut ignorer que, pour des raisons électromagnétiques, les pales tournantes des éoliennes créent un masque pour les radars, notamment les radars militaires de surveillance. Dans ces conditions, même si une analyse précise effectuée avec le constructeur peut sauver une situation lorsqu’une éolienne se situe dans l’axe d’un radar, l’avis sera négatif.

Les panneaux photovoltaïques comportent deux types de risques. Le premier, catastrophique, est le risque d’éblouissement des pilotes en phase finale d’atterrissage. Il varie dans la journée, pour atteindre son maximum au moment où le soleil entre dans l’axe de la piste. Par ailleurs, la place libérée par les axes de dégagement des aéroports est certes tentante pour installer des champs de capteurs photovoltaïques. Mais si ces espaces sont dégagés, c’est pour qu’un avion puisse sortir de piste en sécurité ! L’interdiction de constructions dures dans ces dégagements a pour raison d’être la sécurité des passagers d’un avion qui sort de piste. Notre réponse systématique est que l’obstacle doit être frangible, un avion sortant de piste à grande vitesse devant pouvoir rouler dessus sans dommage. Il est hors de question que des champs photovoltaïques puissent être cause de morts.

L’aviation civile et l’aviation militaire travaillent en harmonie et disposent d’instructions communes. Cela dit, par leur conception, les radars militaires sont plus sensibles que les radars civils à l’obstacle que constituent les éoliennes. Par ailleurs l’armée de l’air doit s’entraîner aux vols à grande vitesse et à basse altitude. Les cartes aéronautiques indiquent du reste les couloirs aériens réservés à cette fin. La présence d’éoliennes y est bien entendu inconcevable.

Je considère que les petits aéroports sont utiles. Il n’est pas plus choquant de se déplacer en petit avion qu’en voiture individuelle. Et pourquoi faudrait-il rejeter le sport aérien ? Les équipes nationales françaises concourent assez fréquemment en championnat du monde et c’est sur ce type de terrain qu’elles s’entraînent.

M. André Chassaigne. N’oublions pas non plus la dimension d’éducation populaire !

M. Patrick Gandil. Vous avez raison. Si la France est le deuxième pays d’aviation dans le monde, elle le doit pour une large part à son maillage de petits terrains, à son tissu d’aéroclubs et à l’aviation populaire. C’est sur ce terreau que se sont développés Airbus, Dassault ou encore Eurocopter. La France est un pays leader pour les constructeurs d’avions, les compagnies aériennes, et même les aéroports. Paris est la cinquième ou sixième plateforme aéroportuaire du monde et le Bourget le premier aéroport d’affaires d’Europe.

Avant d’être l’outil de transport des PDG, l’aviation d’affaire – dont Dassault est un acteur majeur – est celui des cadres commerciaux pour la conclusion de contrats et des techniciens supérieurs pour le dépannage de machines sophistiquées dont l’immobilisation est ruineuse. Les jets d’affaire représentent, en nombre, 80 % des avions de ligne. Ce type d’appareil a la capacité de se poser sur des aéroports inaccessibles aux avions de ligne. Lors de la construction du viaduc de Millau, nombre d’ingénieurs et de techniciens arrivaient par avion d’affaires sur l’aéroport de La Cavalerie, sur le Larzac, qui ne connaît en temps normal aucun trafic régulier. Les destinations des jets d’affaires sont au moins dix fois plus nombreuses que celles des avions de ligne. Les petits aérodromes constituent donc un élément fondamental de l’accessibilité du territoire.

De plus, les avions d’affaires utilisant non pas des turboréacteurs mais des turbopropulseurs sont utiles et bon marché. Le parc de la DGAC en comporte un, au confort certes un peu rustique, pour le transport des ministres : il n’est pas de département qui ne dispose d’un terrain où il puisse se poser. Nos programmes de recherche comprennent le développement d’un appareil qui puisse concurrencer le Beech 200.

Enfin, les petits terrains sont essentiels pour le transport d’organes, qui ne supporte pas les délais. Ils servent aussi au déplacement des hélicoptères, dont l’essentiel de l’activité concerne le service public. Le monde de l’aviation dépend des 300 terrains qui n’accueillent pas d’avions de ligne.

Le coût d’un petit terrain n’est pas déraisonnable au regard d’un autre équipement public. Les critiques sur ce point sont incompréhensibles. Quand la piste est construite, c’est pour des dizaines d’années. Les coûts de vol aux instruments sont imputés pour la quasi-totalité sur le budget de la navigation aérienne, et payés pour l’essentiel, dans le cadre d’une solidarité de réseau, par les usagers des aéroports les plus fréquentés.

La diversité et la densité de nos terrains d’aviation représentent une richesse nationale. Seul le sud de la Grande-Bretagne peut rivaliser, pour des raisons liées à la Seconde Guerre mondiale.

M. Bernard Lesterlin. Lors de son audition, le directeur général d’Air France, M. Pierre-Henri Gourgeon, nous a exposé que le marché ne justifiait pas le maintien d’un hub à Clermont-Ferrand. Pour autant, les petits ou moyens aéroports contribuent à l’aménagement du territoire. Quelle stratégie industrielle adopter pour les aéroports des métropoles régionales le jour où celles-ci seront toutes reliées à Paris par le TGV ?

Par ailleurs, que pensez-vous de l’investissement considérable – 200 millions d’euros – envisagé pour la création d’une deuxième piste sur l’aéroport de Dzaoudzi, à Mayotte ? Les dirigeants d’Air Austral, principale compagnie à utiliser cet aéroport, m’ont indiqué que les Boeing 777, dont leur compagnie sera équipée dès l’an prochain, pourront décoller à pleine charge sur des distances plus courtes que leurs appareils actuels. Un léger allongement de la piste ne serait-il pas plus judicieux que l’investissement considérable qui a déjà été programmé et qui pourrait de surcroît nuire au lagon ?

Enfin, qu’est-il advenu de la contribution du BEA à l’analyse de la catastrophe du vol 636 de la compagnie Yemenia, qui s’est abîmé dans l’océan Indien il y a un an ?

M. Patrick Gandil. L’aéroport d’Aulnat, à Clermont-Ferrand, fait partie de ces plateformes qui, pendant longtemps, n’ont guère eu besoin de subventions. La crise a modifié cet équilibre. Cependant la situation se redresse progressivement et Aulnat n’a donc pas dit son dernier mot en matière d’aviation de ligne !

Le jour où le TGV atteindra Clermont-Ferrand, l’axe aérien entre cette ville et Paris risque de fortement régresser, voire de disparaître. Aulnat peut rester cependant la porte d’entrée de Clermont-Ferrand vers le reste de l’Europe. La situation demeure toutefois très difficile car l’État ne dispose pas de budget pour subventionner ces types d’aéroport alors que la crise du transport aérien a fragilisé une partie de leurs liaisons.

Sur plusieurs plateformes aéroportuaires, des activités industrielles se développent. Comment ? À un moment donné, une aventure commune se crée entre un industriel et un aéroport. C’est ce qui vient de se passer en Lorraine, où, grâce notamment à des financements locaux et d’Oséo, le terrain de Chambley a été rouvert pour la production de l’avion Skylander. Cela dit, ce type d’opération relève non pas de la DGAC, mais d’acteurs territoriaux comme les chambres de commerce et d’industrie ; nous ne pouvons venir qu’en appui.

La déconstruction des appareils réformés représente un enjeu essentiel. Les avions contiennent beaucoup de composants de valeur. En outre, laisser à l’abandon les appareils hors d’usage crée de la pollution. Mais cette problématique est récente, ce qui explique qu’elle ne soit pas encore totalement prise en compte.

Deux entreprises de déconstruction se sont installées, l’une à Châteauroux-Déols, l’autre à Tarbes-Lourdes-Pyrénées. Les appareils qu’elles traitent sont plutôt des Airbus et des Boeing. J’ignore si le marché permettrait la création d’une nouvelle entreprise. Cependant, eu égard au faible nombre d’acteurs, il doit être assez facile à une Chambre de commerce et d’industrie de réaliser une étude. Ce type d’activité ne peut pas être installé sur un aéroport trop petit. Le cœur du marché de la déconstruction est celui d’assez gros avions. Une entreprise de déconstruction doit donc être implantée sur un aéroport doté d’une piste d’au moins 2 500 mètres, capable d’accueillir des Airbus A 320.

D’autres types d’industries se sont installées sur des aéroports. L’activité du terrain de Tarbes doit beaucoup à SOCATA. Reims-Aviation est installée sur le tout petit aérodrome de Reims-Prunay, et MCR sur celui de Dijon-Darois. De petits terrains, où est installée une petite industrie de 50 salariés qui diffuse aussi nombre d’emplois induits, ne sont pas si rares. Non loin de Clermont-Ferrand, l’aérodrome d’Issoire est dans ce cas.

Lors des études initiales d’agrandissement de l’aéroport de Dzaoudzi, le Boeing 777-200 n’existait pas. Les besoins étaient donc ceux d’une piste beaucoup plus longue. L’arrivée de cet appareil nous soulage beaucoup. Il peut atterrir à pleine charge sur la piste actuelle, mais seulement dans de bonnes conditions météo. Un simple allongement de la piste pourrait permettre ses navettes dans toutes les conditions.

Nous avons prêté tout notre concours à l’enquête sur le crash du vol 636 de Yemenia. Cependant, il s’agit d’une compagnie yéménite et le directeur d’enquête est l’autorité comorienne, avec qui nos relations ne sont pas idéales. Si nous mettons tous nos efforts en faveur de la publication de l’enquête, nous ne pouvons pas trahir nos engagements en publiant nous-mêmes le rapport. Pour on ne sait quelles mauvaises raisons, des tentatives ont en effet été effectuées en vue de la réalisation d’une contre-enquête aux États-Unis. Ceux-ci les ont rejetées.

Enfin, s’agissant monsieur Chassaigne de la publicité aux abords des aéroports, nous avons été un peu surpris d’une partie du débat au Parlement sur le distinguo entre « enceintes » et « emprises » : les recettes commerciales d’un grand aéroport ont pour objet la diminution des charges aéroportuaires. C’est pour cette raison que la publicité y est aussi présente. Il faut une définition claire du périmètre de publicité. Pour ma part, je vais faire rassembler toute l’information juridique possible et je vous répondrai par écrit.

Mme Fabienne Labrette-Ménager, présidente. Merci, monsieur le directeur général, de vos réponses très précises à toutes les questions posées.

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Informations relatives à la commission

La Commission a procédé à la désignation de ses rapporteurs pour avis pour le projet de loi de finances pour 2011. Ont été désignés :

Mission écologie, développement et aménagement durables

– M. Martial Saddier, rapporteur pour avis pour les transports terrestres ;

– M. Jean-Claude Fruteau, rapporteur pour avis pour les transports aériens ;

– M. Jean-Yves Besselat, rapporteur pour avis pour les transports maritimes ;

– M. Christophe Priou, rapporteur pour avis pour la protection de l'environnement et la prévention des risques ;

– M. Philippe Plisson, rapporteur pour avis pour les politiques de développement durable.

Mission politique des territoires

– M. Jacques Le Nay, rapporteur pour avis pour la politique des territoires.

Mission recherche et enseignement supérieur

– M. André Chassaigne, rapporteur pour avis pour la recherche dans les domaines du développement durable.

Puis, la commission a désigné :

– MM. Stéphane Demilly et Philippe Tourtelier, rapporteurs sur la mise en application de la loi n ° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement.

—fpfp—

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 23 juin 2010 à 10 heures

Présents. - M. Maxime Bono, M. Christophe Caresche, M. Jean-Paul Chanteguet, M. André Chassaigne, M. Frédéric Cuvillier, M. Lucien Degauchy, M. Stéphane Demilly, M. Raymond Durand, M. Albert Facon, M. Daniel Fidelin, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. François-Michel Gonnot, M. Didier Gonzales, M. François Grosdidier, M. Christian Jacob, M. Jacques Kossowski, Mme Fabienne Labrette-Ménager, M. Thierry Lazaro, M. Jacques Le Nay, Mme Annick Lepetit, M. Bernard Lesterlin, M. Franck Marlin, M. Philippe Meunier, M. Bertrand Pancher, M. Yanick Paternotte, M. Jean-Luc Pérat, M. Philippe Plisson, Mme Marie-Line Reynaud, M. Max Roustan, M. Martial Saddier, Mme Françoise de Salvador, M. Jean-Marie Sermier

Excusés. - M. Yves Albarello, Mme Chantal Berthelot, Mme Françoise Branget, M. Yannick Favennec, M. Joël Giraud, M. Jacques Houssin, M. Armand Jung, M. Jean Lassalle, M. Arnaud Montebourg, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. André Vézinhet