Commission
des affaires économiques
La commission des affaires économiques a entendu M. Jean-Pierre Coblentz, directeur du cabinet Stratorial finances sur « les effets de la réforme de la taxe professionnelle sur les entreprises par secteur d’activité ».
La commission a entendu M. Jean-Pierre COBLENTZ, directeur du cabinet Stratorial Finances, sur « les effets de la réforme de la taxe professionnelle »
M. le président Patrick Ollier. Nous accueillons aujourd’hui M. Jean-Pierre Coblentz, directeur du Cabinet « Stratorial Finances », qui est un spécialiste réputé de la fiscalité et des finances publiques locales. Votre audition, qui a notamment été suggérée par les membres du groupe SRC de notre commission, va nous permettre de vous entendre sur un sujet qui, même s’il relève très directement de la commission des finances, nous intéresse également à plus d’un titre puisqu’il s’agit des conséquences de la réforme de la taxe professionnelle, notamment sur le financement des entreprises.
Je ne rappellerai pas ici dans les détails les modalités de la réforme de la taxe professionnelle mais, même si nous n’avons peut-être pas encore le recul suffisant pour en tirer des conclusions définitives, je souhaiterais vous poser deux questions :
– tout d’abord, quel devrait être, selon vous, l’impact du FNGIR (Fonds national de garantie individuelle des ressources), censé rétablir l’équité entre les collectivités imposées à la nouvelle contribution ? Les travers dénoncés peut-être hâtivement par certains, la CET n’ayant pas encore un an derrière elle, sont-ils de ce fait inéluctables ?
– ensuite, quelles sont, au regard de votre expérience et de votre travail d’accompagnement des entreprises, les conséquences sur notre tissu industriel ? On a critiqué cette nouvelle taxe : mais je rappelle que les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 152 500 € par an en sont totalement exonérées et que, dans la pratique, celles qui réalisent un chiffre d’affaires inférieur à un million d’euros ne la paient pas davantage compte tenu des dégrèvements possibles. Les TPE en ont donc pleinement bénéficié. Aussi, quel est votre diagnostic sur l’impact réel, j’insiste sur le mot, de la réforme de la taxe professionnelle sur les entreprises ?
M. Jean-Pierre Coblentz. Merci Monsieur le Président. Votre première question, relative au FNGIR, concerne en vérité davantage l’équité entre les collectivités territoriales au regard de la réforme de la taxe professionnelle que ses effets sur le financement des entreprises. L’idée consiste, pour chaque collectivité prise individuellement, à comparer le panier de nouvelles ressources dont elles bénéficient avec l’ancien : en 2010, pour celles qui subissent un déficit, une compensation relais sera versée par l’État. En 2011, on regardera cette fois le montant de cette compensation relais avec le nouveau panier de ressources (CFE, fondée sur le foncier, et CVAE, fondée sur la valeur ajoutée), le FNGIR ayant vocation à compenser ceux pour qui le nouveau panier est inférieur à ce qu’ils recevaient auparavant au titre de la taxe professionnelle. Si le panier de ressources est, en revanche, supérieur à l’ancienne taxe professionnelle, il y aura un écrêtement, c’est-à-dire un prélèvement qui bénéficie d’une fiscalité plus dynamique car plus diversifiée.
Le Président Patrick Ollier est remplacé par M. Serge Poignant, Vice-Président de la commission.
M. Jean-Pierre Coblentz. Mon expérience est celle d’un spécialiste de la fiscalité locale. J’ai ainsi accompagné plusieurs collectivités territoriales face à l’impact de la réforme de la taxe professionnelle pour expliquer étudier avec elle l’impact de la réforme sur leur territoire et leur fournir des éléments de stratégie de développement économique.
Sur les effets de la réforme au plan national, le rapport de l’inspection des finances dirigé par Bruno Durieux est clair : 7,5 Mds € d’allègement pour les entreprises soit une baisse de 28 % des cotisations. L’industrie, qui faisait l’objet de toutes les attentions de la part des pouvoirs publics, a bénéficié elle d’une baisse de 36 % des cotisations, soit une diminution légèrement supérieure à la moyenne, le secteur industriel représentant à lui seul environ 32 % du total des allègements de charges. Globalement, les PME sont très gagnantes à la réforme, que ce soit dans le secteur de l’industrie ou dans celui des services, notamment celles qui réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 2 M€ (allègement de 50 à 60 % de charges). Les micro-entreprises (très nombreuses puisqu’elles représentent près de 30 % des entreprises en France) qui n’avaient presque rien comme base de taxe professionnelle n’ont rien obtenu avec la réforme. Pour celles qui ont un chiffre d’affaires entre 150 000 € et 2 M€, la baisse est réelle et importante. Le problème se pose davantage pour les grandes entreprises industrielles qui étaient jusqu’à présent plafonnées en fonction de la valeur ajoutée ; bien souvent, ces entreprises bénéficiaient d’un écrêtement de la part de l’État. La taxe professionnelle a été critiquée car elle frappait les facteurs de production ; ce plafonnement a existé depuis 1979 mais il a pris de l’ampleur depuis cette date. Les collectivités percevaient 29 Mds€ de taxe professionnelle mais l’État prenait en charge plus de 11 Mds€ de ce montant.
Dans le document que je vous ai distribué, vous trouverez des exemples concrets de l’impact de la réforme sur les entreprises selon leur taille et leur chiffre d’affaires.
L’exemple 1 concerne une PME industrielle réalisant un chiffre d’affaires légèrement supérieur à 6 M€ : avec la réforme, le montant de l’impôt payé a diminué de 66 %. Pour les collectivités territoriales, la perte de recettes est plus importante puisqu’elle atteint 83 %, l’impact étant par ailleurs différent selon la collectivité concernée (commune, département, EPCI…). Si une telle entreprise arrivait sur le territoire d’une commune, elle rapporterait donc seulement 17 % à la collectivité de ce qu’elle rapportait avant la réforme. Si on a une baisse claire du montant des cotisations payées par les entreprises, le problème se situe donc en revanche du côté des territoires car il existe une profonde corrélation entre l’entreprise et sa venue sur le territoire d’une collectivité. La différence entre 66 % et 83 % vient de ce que cette entreprise était plafonnée en fonction de la valeur ajoutée ; la réforme constitue un allègement important pour l’État puisque, avant la réforme, l’État prenait à sa charge 290 000 €.
L’exemple 2 vous montre une entreprise artisanale bénéficiant d’une baisse de ses cotisations de 87 % puisqu’elle passe de 9700 € à 1300 € après réforme. Quant à la collectivité territoriale, elle subit une baisse de 50 % du montant de l’impôt perçu.
L’exemple 3 vous montre une entreprise d’industrie lourde dont le chiffre d’affaires est beaucoup plus important (50 M€) : elle payait un impôt de 1,015 M€, les collectivités percevaient 7,7 M€, l’État prenant alors à sa charge environ 7 M€. Ici, l’allègement est réduit pour l’entreprise car elle bénéficiait d’un plafond élevé avant la réforme. Or, si la réforme entraîne une diminution de 14 % du montant des cotisations sociales pour l’entreprise, elle entraîne également une baisse des impôts et donc des recettes pour la collectivité concernée de plus de 80 % ! Là encore, si une telle entreprise veut venir s’installer sur le territoire de la collectivité, cette dernière voudra-t-elle l’accueillir compte tenu de la perte financière qu’elle subira par ailleurs ?
L’exemple 4 vous montre maintenant une entreprise qui payait 4,2 M€ de cotisations sociales avant la réforme, les collectivités territoriales percevant 23 M€, la différence étant alors prise en charge par l’État via le dégrèvement. Avec la réforme, l’impôt a baissé de 30 % mais le territoire d’accueil a perdu près de 90 % de ses ressources fiscales, ce qui constitue un véritable problème.
Je prends un autre type d’exemple, celui d’un producteur de granulat ou un exploitant de carrière. L’impôt payé diminue de 14 % et celui perçu par les collectivités de 80 %. Qui, de ce fait, va avoir envie d’accueillir une carrière dans ces conditions ?
Je passe à l’exemple 6, celui d’une entreprise tertiaire très mécanisée de nettoyage industriel, avec très peu de foncier. L’impôt payé par l’entreprise après la réforme est stable. L’impôt perçu par les collectivités territoriales est au total en légère augmentation, mais diminue fortement pour l’intercommunalité alors qu’il augmente fortement pour le département et la région. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes plus sur une même base sur laquelle chacun vote son taux, mais sur des impôts différenciés. Le département et la région ne perçoivent que des impôts assis sur la valeur ajoutée alors que le secteur communal, donc les communautés, perçoit du foncier (CFE) et peu d’impôt assis sur la valeur ajoutée. Je crois que cela montre bien qu’une réforme comme celle de la taxe professionnelle s’appréhende à travers des éléments d’évaluation macroéconomiques mais qu’il peut aussi être utile d’adopter une approche plus qualitative à travers des exemples concrets.
Un membre de votre commission m’avait posé la question du commerce, il y a quelque temps. L’exemple 7 concerne celui d’un hypermarché franchisé en Poitou-Charentes. On constate une stabilité de l’impôt payé par l’entreprise après la réforme mais un doublement des impôts perçus par les collectivités. L’augmentation bénéficie en premier lieu à l’intercommunalité, car l’impôt concerné est la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) créée par la loi Royer, qui a été transférée aux collectivités.
Le dernier exemple est celui d’une PME du secteur tertiaire, de type cabinet d’expert-comptable. Dans ce cas, on constate une légère diminution de l’impôt payé mais une multiplication par 4 de l’impôt perçu par la collectivité. Pourquoi ? Parce que l’État reverse aux collectivités 1,5 % de la valeur ajoutée, alors que les entreprises sont exonérées de CVAE en dessous d’un chiffre d’affaires de 500 000 € de valeur ajoutée et paient une somme forfaitaire de 250 € entre 500 000 € et 1 M € de valeur ajoutée.
Je me contente de vous présenter des éléments qualitatifs, complémentaires par rapport aux études macroéconomiques existantes. Je n’ai pas de solution à vous proposer. Un des enseignements à en tirer est que, pour l’intercommunalité qui est le niveau qui m’intéresse le plus parce que c’est ce niveau qui est en relation directe avec les chefs d’entreprises, le nouveau régime fiscal incite davantage à accueillir du tertiaire et des commerces que de l’industrie.
M. le président Serge Poignant. Je vous remercie beaucoup pour ces éléments et je passe maintenant la parole aux membres de la commission pour les questions.
M. François Brottes. Cette présentation est riche d’enseignement et montre bien que la réforme a rendu plus attractif, pour les communes et les intercommunalités, le tertiaire et les commerces que l’industrie. Il y a un problème de cohérence entre cet effet et l’objectif, que nous partageons au sein de cette commission, de lutter contre la désindustrialisation de nos territoires. Si, en plus des difficultés sociales et environnementales liées à l’implantation de nouvelles usines, viennent s’ajouter des pénalités financières pour les collectivités, il y aura très peu de chance pour que se développent à nouveau des industries.
Je suis entré dans ce dossier par une entreprise de ma circonscription, qui disait n’avoir pas demandé de réforme de la taxe professionnelle et y perdre ! Depuis, nous avons compris que la réforme a pour conséquence de diminuer un peu l’impôt payé par les entreprises, et beaucoup la taxe professionnelle versée par l’État aux collectivités territoriales en lieu et place des entreprises. Les subventions des collectivités territoriales aux entreprises, notamment de R&D, que ces versements permettaient de financer, ont diminué en conséquence. La réforme profite donc avant tout à l’État, ce qui est peut-être légitime dans la perspective de l’assainissement des finances publiques, mais cela reste très problématique au niveau local : si les territoires ne sont plus attractifs pour attirer de l’industrie, ce sera ensuite le tertiaire qui sera victime de cette désaffection.
M. Alain Suguenot. Le pari de la réforme de la taxe professionnelle était de permettre aux entreprises de réaliser des économies afin notamment d’éviter les délocalisations, tout en veillant à ce que les collectivités n’y perdent pas. Il me semble que ce pari a été gagné. Néanmoins, après presque un an d’exercice, de nombreuses interrogations et inquiétudes subsistent. Quelle pourrait être l’évolution de la dotation du fonds de compensation de la taxe professionnelle puisque rien n’est prévu ? Celle du taux des impôts fonciers ? Celle du fonds national de garantie des ressources ? La réforme va-t-elle impacter les droits de mutations à titre onéreux perçus par les communes ? Enfin, dans quelle mesure la réforme incite-t-elle les maires à créer des zones commerciales, alors même que cela va contre nos objectif de densification, de protection du commerce en centre ville et de lutte contre la désindustrialisation ? On peut créer des emplois industriels mais il faut que les conditions générales y soient propices.
M. Thierry Benoit. Comme prévu, il y a des perdants et des gagnants à la réforme. Pour moi, la réforme de la taxe professionnelle vise à préserver l’activité économique des entreprises sur le territoire et à favoriser l’emploi. J’aurais deux questions. Les bases foncières datent aujourd’hui de plus de quarante ans : avez-vous fait des simulations avec des bases foncières actualisées ? Ensuite, la part assise sur les salaires avait été sortie de l’assiette de la taxe professionnelle en 1999 pour protéger l’emploi industriel dans notre pays. Aujourd’hui la cotisation assise sur la valeur ajoutée la réintègre. Cela ne risque-t-il pas de pénaliser l’emploi puisqu’on taxe la production ? Enfin, plutôt que travailler sur la valeur ajoutée et agir sur le système productif, ne serait-il pas préférable de mettre en place une taxation de type TVA sociale ?
M. Jean Gaubert. Je ne comprenais pas pourquoi le Gouvernement refusait de nous donner des simulations lors des discussions sur les effets de la réforme, mais à voir les effets sur les entreprises et les collectivités, je comprends mieux pourquoi : le débat aurait duré beaucoup plus longtemps ! Je souhaiterais que vous précisiez deux points. D’abord, en cas d’implantation d’hypermarché, est-ce-que cela va être le « jackpot » pour l’intercommu-nalité ? Si j’ai bien compris, ce type d’établissement ne rentrera pas dans l’écrêtement global des bases. Ensuite, l’érosion de la compensation va se faire au fil des années et pourra aller jusqu’à plus de 60 % dans certains cas. Avez-vous essayé de voir comment les collectivités devront agir pour compenser ce manque ?
M. Jean-Pierre Nicolas. Cet exposé est riche d’enseignements, et montre bien que la réforme favorise le tertiaire alors que ce n’était pas intuitif. Je voudrais savoir ce que vous préconisez comme évolutions législatives futures pour faire en sorte que les collectivités territoriales aient toujours intérêt à accueillir des entreprises sur leur territoire ?
M. Jean-Michel Villaumé. M. Jean-Pierre Coblentz, vous avez répondu à mes questions à travers les exemples que vous avez présentés. Vous confirmez les tendances du rapport Durieux de juin 2010, notamment en ce qui concerne la fiscalité des PME dont le chiffre d’affaires est inférieur à 2 M€.
Un article des Échos a indiqué que le budget prévisionnel de l’État prévoit une dépense d’un milliard d’euros supplémentaires pour compenser cette réforme : êtes-vous d’accord avec cette estimation ?
M. Michel Piron. Je me souviens du débat dans l’hémicycle sur les petites entreprises tertiaires, que vous avez évoquées ; compte tenu de la situation des finances publiques, la question de l’évolution des compensations se posera indéniablement. Ces petites entreprises tertiaires sont-elles celles pour lesquelles la compensation par l’État atteint un coût proche de 500 M€ ?
M. William Dumas. Dans mon département, le plus industrialisé de la région Languedoc-Roussillon, nous avons de très grosses entreprises dont le CEA, Sanofi, Centrale Perrier, qui versent des sommes très importantes à un fonds départemental, qui distribue ensuite ces subsides aux petites communes du département. Pour certaines entreprises, cela représente deux tiers de leur budget. Est-ce la compensation qui, dans un premier temps, va alimenter ce fonds de péréquation ? Par ailleurs, vous indiquez que cette compensation va perdre de sa dynamique : dès lors, que va-t-il se passer pour ces petites communes ? Je m’interroge notamment sur la soutenabilité des investissements qu’elles auront souscrits.
M. Jean Dionis du Séjour. Le régime de l’IFER est-il bien précisé, s’agissant en particulier de ce qui est éligible ou pas ? Par exemple, lorsqu’on déploie un réseau, les stations qui sont éligibles sont-elles celles qui sont en service ou celles que l’on a construites, activées ou pas ? J’ai l’impression que la question de l’éligibilité n’est pas tranchée et qu’elle donne lieu à un fort contentieux.
M. Michel Lefait. J’ai été maire d’une commune comprenant un établissement industriel exceptionnel, et j’ai été écrêté de la taxe professionnelle pour un montant extrêmement important, qui alimentait un fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle, qui était reversé à plus de soixante communes des environs et qui comprenait une part importante de leurs ressources. Que va devenir ce fonds de péréquation de la taxe professionnelle ? Est-il compensé pour le moment ? Qu’est-ce-qui va s’y substituer ?
Ensuite, je relève, comme beaucoup de mes collègues, une contradiction par rapport à la volonté affichée de renforcer notre industrie qui a perdu des parts de marché (moins 16 % en quelques années) et qui marque le pas, notamment par rapport à l’Allemagne. Qu’allons-nous faire si ce sont ces formes d’activité qui, justement, sont les moins favorisées par cette réforme, au profit des services et du commerce ? Et, dans les territoires, quand il n’y avait pas la taxe professionnelle unique dans les intercommunalités, les communes étaient bien contentes d’accueillir des établissements, y compris s’ils étaient sources de nuisances. A partir du moment où a été instaurée la TPU, elles y ont été plus réticentes, d’autant que la pression des écologistes est croissante. Il y a sur mon territoire des polémiques et des manifestations importantes contre l’installation d’un incinérateur d’ordures ménagères : on n’en veut pas pour des raisons environnementales et il n’y a aucun intéressement financier. Cela fait partie des effets pervers : on installera plus d’incinérateurs nulle part !
M. Jean-Pierre Coblentz. De nombreuses questions budgétaires ont été posées : le statut du FNGIR, le statut de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) et celui du fonds départemental. Je vais commencer par traiter ces points.
S’agissant de la DCRTP, l’État calcule la somme des gains et la somme des pertes, la différence correspondant à ce que l’État va « injecter » au titre du secteur communal. On assiste en effet à une augmentation du coût de la réforme, compte tenu du fait que la taxe professionnelle était très dynamique et très profitable pour les collectivités territoriales. Or, on a fait cette réforme car la taxe professionnelle augmentait notamment plus rapidement que la richesse produite par les entreprises (ce qui posait problème). C’est pour cela aussi que l’État n’a cessé de compenser une partie de ce que devaient verser les entreprises pour adapter la cotisation à la capacité à payer l’impôt.
On a effectivement enregistré un coût supplémentaire lié à la hausse des bases fictives de la TP en 2010.
La différence entre la somme des gains et la somme des pertes correspond donc à la dotation versée par l’Etat. On ajoute ensuite cette dotation à l’ensemble des ressources, qui forment le nouveau panier de ressources, des perdants. La différence entre le montant à compenser et le nouveau panier de ressources, y compris la dotation, constitue le FNGIR. Celui-ci revient aux perdants et correspond exactement au montant qui sera prélevé sur les gagnants. Si je suis gagnant, je serai donc prélevé et ce prélèvement sera stabilisé dans le temps ; en revanche, si je suis perdant, je reçois une compensation qui comprend deux volets : un volet « dotation de compensation » versé par l’Etat (qui représentera environ un tiers de la somme) et un second volet qui représentera environ deux tiers ou plutôt 70 % de la somme, qui sera prélevé sur les gagnants.
Il y a eu des débats pendant l’examen de la réforme au Parlement, et même avant. En effet, la note de Mme Lepetit, directrice de la législation fiscale, diffusée en août 2009, prévoyait la diminution puis la suppression, au bout de 20 ans, du FNGIR revenant aux perdants de la réforme. Pendant la navette, le Sénat a réintroduit une dégressivité du FNGIR à compter de 2015, mais cela ne figure plus dans le dispositif adopté définitivement. On peut donc se demander si on intègrera ces éléments dans les dotations globales de l’Etat.
En ce qui concerne l’effet sur les collectivités qui sont particulièrement perdantes du fait de la réforme, c’est-à-dire celles qui avaient en général une taxe professionnelle très importante, la compensation peut s’élever jusqu’à 70 % ! J’ai effectué des simulations concernant les collectivités les plus emblématiques parmi les perdantes : l’effet de ciseaux est considérable entre l’évolution des dépenses et celle des recettes. Les collectivités ont peu de moyens d’adaptation, compte tenu de l’importance du bloc que constitue la compensation, d’une part, et de la faiblesse du montant de la taxe d’habitation récupérée et de la cotisation foncière sur laquelle on peut voter un taux d’autre part. Cela va de toute évidence se traduire par des économies sur les dépenses de fonctionnement et, probablement, une baisse des investissements.
Si l’on assiste à une diminution dans le futur, ce sera probablement sur la partie versée par l’État, sauf à dire que pour l’État, on intègre la dotation de compensation de la réforme à l’intérieur du périmètre normé. Dès lors, pour lui, peu importerait de quelle dotation ou de quelle compensation il s’agit. S’agissant de la partie FNGIR proprement dite, c’est-à-dire des reversements qui correspondent aux prélèvements effectués sur les gagnants, la stabilité en euros courants est quand même la solution la plus probable à l’avenir.
S’agissant du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle, les fonds disparaissent puisqu’ils sont uniquement prorogés pour la partie « communes défavorisées ». Pour la partie « communes concernées » c’est-à-dire, notamment, les communes qui émargeaient à Sanofi ou autres, celles-ci vont bénéficier de la compensation dans le cadre du FNGIR. Le fonds départemental était calculé de sorte qu’une année, une commune pouvait être gagnante, et la suivante, tout à fait perdante, parce que le calcul était notamment lié au nombre de salariés de l’entreprise. Pour une commune donnée, si la réforme intervient à un point élevé, tant mieux pour elle. En ce qui concerne les très grosses entreprises, les territoires fortement industrialisés, qui n’ont que cette vocation industrielle et qui avaient un espoir de développement industriel, sont évidemment perdants. En revanche, un territoire qui était très industriel mais qui était en « espérance » (au sens mathématique du terme) de décroissance, et qui connaissait des risques de délocalisation, est plutôt gagnant. J’insiste sur le fait que ce point de vue est ici strictement budgétaire.
En réponse à M. Alain Suguenot, s’agissant du taux de cotisation foncière, il existera toujours un lien avec les décisions fiscales des communes en matière de taxation des ménages. Ce sera le même lien que celui qui existait à l’égard de l’ancienne taxe professionnelle.
Par ailleurs, il n’y a pas de changement s’agissant des droits de mutation.
L’économie globale de la réforme a pour effet d’influencer la manière dont les entreprises bénéficient d’avantages procurés par les collectivités territoriales, en termes d’aménagement, de cessions de terrains dans des conditions favorables, de participation aux pôles de compétitivité etc. En allègements directs, l’industrie récupère 2,4 Mds€ soit environ 32 % des gains réalisés par l’ensemble des industries, et le double de ce que représente l’industrie dans la valeur ajoutée nationale (la valeur ajoutée des industries représentant 16 % du PIB soit moitié moins qu’en Allemagne). L’effort en faveur de l’industrie demeure minoritaire : en effet, il y a une baisse de 36 % des cotisations des industries qui représente 32 % de l’ensemble des gains. Il y a donc certes un effort en faveur de l’industrie mais il est peut-être insuffisant. Les impôts de nos concurrents sont assis sur le foncier ou sur un solde intermédiaire de gestion qui peut être le bénéfice ou la valeur ajoutée. En Allemagne, les collectivités territoriales récupèrent une partie de l’impôt sur les sociétés mais on n’y a pas besoin de l’intéressement pour faire de l’industrie : la situation y est donc très différente.
Selon Laurent Davezies, géographe et économiste, l’essentiel des revenus des territoires proviennent soit de revenus de transfert, soit de services dits « présentiels », c’est-à-dire des entreprises du secteur des services. Très peu de leurs revenus proviennent de la production locale. Par conséquent, l’intérêt de la somme des territoires ne rejoint pas forcément l’intérêt général. La taxe professionnelle, expliquait-il, était l’appât qui faisaient se rejoindre l’intérêt local et l’intérêt national. La question de l’intérêt des territoires va désormais être fondamentalement reposée avec ce nouveau système fiscal.
En ce qui concerne la stratégie globale des territoires, ce n’est pas parce que l’on double ou que l’on multiplie par 2,5, le produit tiré d’un hypermarché que l’on ne va faire que du commerce. Une stratégie économique a une composante financière mais pas seulement. La question-clef réside dans le coût des efforts à accomplir pour accueillir des entreprises. Il est vrai qu’accueillir une entreprise industrielle requiert un effort plus important que pour accueillir un petit cabinet d’expertise comptable, par exemple. Ce type de cabinet vient de lui-même sans qu’il soit nécessaire de l’attirer dans le département alors que pour faire venir une industrie, il faut en avoir l’envie ou le désir. C’est pourquoi il va falloir trouver des parades. Il existe des pistes mais elles ne sont pas évidentes. L’une d’entre elles aurait été de ne pas transférer la taxe d’habitation au niveau local : c’est trop tard ! Le raisonnement retenu était que la TH est un impôt très local. Le problème, c’est que la taxe professionnelle représente 29 Mds€ tandis que le total des nouveaux impôts va représenter un peu moins de 22 Mds€ : le problème est que cette baisse est intégralement prise en charge par le secteur communal. En effet, si l’on regarde les ressources économiques du département et de la région, en termes de fiscalité de remplacement, ces collectivités ont un niveau de fiscalité économique aussi important, voire plus important, après la réforme. Les départements et les régions ne sont pas forcément satisfaits de la réforme du fait de la diminution du pouvoir fiscal, puisqu’ils ne votent plus de taux, mais ils sont plus intéressés économiquement. Voilà le paradoxe : le secteur communal, qui prend en charge la planification urbaine et les décisions d’aménagement, passe d’un produit fiscal de 18 Mds€ à 11 Mds€.
Ainsi, si l’impôt assis sur les facteurs de production est transformé en un impôt sur le foncier et la valeur ajoutée, cela rebat les cartes. Mais il y a un autre aspect à prendre en compte : c’est la nouvelle répartition des impôts entre les différents niveaux de collectivités territoriales. Il y a peu de chances de récupérer la taxe d’habitation sans franchir une triple ligne blanche, au regard de l’architecture de la réforme.
Néanmoins, on peut faire de petits ajustements : la cotisation sur la valeur ajoutée, qui revient aux EPCI et au secteur communal dans son ensemble, a été répartie en loi de finances pour 2010 au prorata des salariés présents dans les différents établissements des entreprises. En d’autres termes, si une entreprise a un seul établissement, toute la cotisation va revenir aux collectivités-sièges. En revanche, s’il existe plusieurs établissements, la répartition va se faire au prorata des salariés. Le projet de loi de finances pour 2011 modifie le dispositif et vise à la répartir pour moitié en fonction des salariés et pour moitié en fonction de la superficie. On pourrait, pour les établissements industriels, opérer une modification plus radicale en faisant en sorte que l’essentiel de la CVAE revienne au territoire où se situe le siège des industries. Cela ne concernerait pas le stock mais l’avenir. En effet, pour le stock, toutes les entreprises seront logées à la même enseigne : l’entreprise paiera moins mais cela sera compensé. Pour les flux futurs, l’objectif serait de redonner un gage ou des subsides aux territoires qui accueillent des industries.
En outre, la base de la cotisation foncière des entreprises pose le problème de l’évaluation des locaux, qui remonte à 40 ans ; en fait, cela concerne uniquement le secteur tertiaire-bureaux. Sur l’industrie, en revanche, on applique un taux d’intérêt de 8 % sur le prix d’origine des biens. S’agissant des locaux commerciaux, il est prévu qu’une révision soit engagée en 2011. Il est vrai que la plupart des locaux commerciaux sont mal évalués, non seulement en termes de tarifs mais aussi en termes de surfaces pondérées.
Pour revenir à la base de la CFE, on procède sur celle-ci à un abattement de 30 % sur la valeur locative foncière des établissements industriels. On aurait pu imaginer, au lieu de supprimer cette part, la mise en place d’un dégrèvement, pris en charge par l’Etat, qui viendrait diminuer la compensation. L’enjeu est en effet la dynamique, et non le stock. Cela représente 800 M€.
Or l’État ne veut plus créer de dégrèvement : l’un des objectifs de la réforme de la TP, qui a coûté 5,5 Mds d’euros, était de ne pas augmenter les dégrèvements à l’avenir. La réforme a été fléchée vers les industries, certes, mais de manière insuffisante. Si on appliquait ce dégrèvement de 800 M€, dès qu’une entreprise industrielle s’installerait, la CFE rapporterait 30 % de plus qu’elle ne rapporterait avec le système actuel. Ce serait bien entendu l’Etat qui prendrait en charge ce dégrèvement, ce qui n’est pas évident.
J’attire votre attention sur le fait que l’Etat prenait en charge, jusqu’à présent, 11 Mds d’euros de plafonnement sur la valeur ajoutée. Mais l’amendement Marini du 5 décembre 2009 a changé la donne afin que tous les territoires puissent récupérer 1,5 % de la valeur ajoutée dans le cadre de la cotisation sur la valeur ajoutée, et non pas en fonction d’un système progressif – système sur lequel est fondée l’imposition des sociétés. On a ainsi mis en place un dégrèvement très important qui va essentiellement s’appliquer au secteur tertiaire. L’Etat va prendre en charge un peu moins de 4 Mds d’euros au titre de ce dégrèvement qui va essentiellement porter sur le tertiaire.
Globalement, si une petite entreprise dont le chiffre d’affaires se situe entre 500 000 et 1 M€ s’installe sur un territoire, l’Etat donnera à ce territoire 1,5 % de sa valeur ajoutée moins 250 euros, montant de la taxe professionnelle auparavant acquittée par cette entreprise. En d’autres termes, si vous faites venir un expert-comptable sur votre territoire, non pas en profession libérale, mais en SARL, c’est l’Etat qui paie.
Concernant la suppression de la fraction « recettes », le Conseil constitutionnel l’a imposée dans une de ses décisions : il a donc fallu modifier la loi. Cela s’appliquait uniquement aux professions libérales mais c’est un problème distinct.
Mais ce dont il est question ici, c’est de 3 à 4 Mds€ de dégrèvements. Il s’agit d’un transfert du subventionnement fiscal de l’industrie vers le subventionnement fiscal du tertiaire. C’est paradoxal.
Sur les réseaux, l’IFER est due l’année même de sa mise en service. Il est possible qu’il y ait des choses qui ne soient pas très claires, mais je ne suis pas spécialiste de cette question.
Pourquoi le choix de la valeur ajoutée ? Tout d’abord, quelle est la différence entre bénéfices et valeur ajoutée ? L’imposition des salaires est aujourd’hui moindre que ce qu’elle a été : rappelons que la base de la TP, c’était de 18 % de la masse salariale multipliés par le taux cumulé d’imposition, ce qui n’a pas grand-chose à voir avec 1,5 % de la valeur ajoutée à partir de 50 M€. La valeur ajoutée est la richesse produite par l’entreprise qui, dans la théorie économique libérale, sert à rémunérer les facteurs de production donc à payer les salaires et à verser des dividendes, ainsi qu’à acquitter l’impôt sur les sociétés à l’Etat. On ne prend pas le bénéfice car plus on choisit un solde intermédiaire de gestion fin, plus on a des évolutions en dents de scie. Si on regarde la valeur ajoutée produite globalement au niveau national, il y a certes eu un grave accident en 2009 mais, globalement, on est sur une tendance croissante. La valeur ajoutée, c’est le PIB en valeur : le PIB en volume qui correspond à notre taux de croissance plus l’inflation. Les bénéfices, en revanche, ne progressent pas tout le temps : on serait donc sur des tendances très erratiques.
M. Serge Poignant, Président. M. Coblentz, merci beaucoup.
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Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mardi 12 octobre 2010 à 18 heures
Présents. - M. Thierry Benoit, M. François Brottes, Mme Catherine Coutelle, M. Jean Dionis du Séjour, M. William Dumas, Mme Corinne Erhel, Mme Geneviève Fioraso, M. Jean Gaubert, M. Jean Grellier, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Jean-René Marsac, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Patrick Ollier, M. Michel Piron, M. Serge Poignant, M. Alain Suguenot, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Michel Villaumé
Excusés. - M. Gabriel Biancheri, M. Bernard Brochand, M. Jean-Michel Couve, M. Daniel Goldberg, M. Antoine Herth
Assistaient également à la réunion. - M. Xavier Breton, Mme Claude Darciaux