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Commission des affaires économiques

Mercredi 16 novembre 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Serge Poignant Président

– Examen de la proposition de loi relative à l’encadrement des loyers et au renforcement de la solidarité urbaine (n° 3868) (M. Pierre Gosnat, rapporteur)

– Examen de la proposition de loi visant à encadrer le prix des produits alimentaires (n° 3745) (M. André Chassaigne, rapporteur)

La commission a examiné la proposition de loi relative à l’encadrement des loyers et au renforcement de la solidarité urbaine (n° 3868) sur le rapport de M. Pierre Gosnat et la proposition de loi visant à encadrer le prix des produits alimentaires (n° 3745) sur le rapport de M. André Chassaigne.

M. le président Serge Poignant. Nous sommes réunis pour examiner deux propositions de loi d’André Chassaigne et Pierre Gosnat, ainsi que de plusieurs membres du groupe de la gauche démocrate et républicaine, qui seront discutées le 1er décembre en séance publique. Ni la proposition de loi relative à l’encadrement des loyers, qui comprend quatre articles, ni celle visant à encadrer les prix des produits alimentaires, qui en comporte trois, ne font l’objet d’amendements.

La Commission examine d’abord, sur le rapport de M. Pierre Gosnat, la proposition de loi relative à l’encadrement des loyers et au renforcement de la solidarité urbaine.

M. Pierre Gosnat, rapporteur. Depuis des années, notre pays connaît une profonde crise du logement, particulièrement dans ces zones tendues que sont les régions Île-de-France, PACA, le Nord ou Rhône-Alpes. Les causes principales en sont la pénurie de logements, particulièrement de logements sociaux, le sous-financement des politiques publiques du logement, la baisse du pouvoir d’achat et l’aggravation de la situation sociale.

Le sous-investissement de l’État, dans le logement social est manifeste. Le désengagement, en matière d’aides à la pierre, a été continu depuis 2007. Cette année encore, les crédits ont diminué de 30 %. Le manque à gagner cumulé, en quatre ans, atteint 1,1 milliard. Le Gouvernement ne cesse de communiquer sur le fait que l’État n’aurait jamais financé autant de logements sociaux : 130 000 par an, nous dit-il. En réalité, cela comprend 45 000 logements en prêt locatif social (PLS), non financés par l’État, qui ne sont pas de véritables logements sociaux, alors que 50 % des demandeurs sont éligibles au prêt locatif aidé à l’intégration (PLAI). L’augmentation du volume de logements financés compense à peine la croissance de la population française au cours de la période. Il manque un million de logements sociaux dans notre pays. Pour rattraper ce retard, il faudrait un plan massif, afin de construire 200 000 logements sociaux par an pendant cinq ans. Selon la Fondation Abbé Pierre, 3,6 millions de personnes sont non ou mal logées, et 82 % de nos concitoyens considèrent qu’il est difficile de trouver un logement. En outre, une personne sur cinq déclare rencontrer des difficultés pour payer son loyer.

La crise du logement est amplifiée par l’intense spéculation qui s’exerce dans le parc privé. Le logement, ramené à une marchandise comme les autres et soumis aux lois du marché, subit depuis plusieurs années un renchérissement effréné. Si, dans les années 1980, son coût représentait 13 % du revenu des ménages, il en constitue près d’un quart aujourd’hui, et 50 % pour certaines populations comme les étudiants, les précaires et les retraités. L’explosion du coût de l’énergie ne fait qu’alourdir la facture. Tous les indicateurs sont au rouge. Au plan national, en treize ans le prix des locations a doublé. En Île-de-France, le loyer des appartements augmente en moyenne de 5 % par an. À Paris, le prix au mètre carré s’établit à vingt euros, et dépasse largement trente ou quarante euros dans certains arrondissements, notamment pour les petites surfaces. Selon le quotidien Libération, entre 2001 et 2011, les loyers ont augmenté de 50 % à Paris, de 43 % en petite couronne et de 42 % en grande couronne, hausses évidemment déconnectées de l’inflation et de l’évolution des revenus. C’est en Île-de-France, surtout à Paris, que cela est le plus frappant. Cependant, si l’écart est moindre dans les villes de province, il est significatif à Nice, Aix-en-Provence, Lille ou Toulouse. La situation est encore plus préoccupante pour les locations meublées non soumises à la loi de 1989 et ouvrant des avantages fiscaux aux propriétaires.

Ces évolutions ont de nombreuses conséquences, à commencer par le développement du mal-logement. On recense, selon Alain Régnier, délégué interministériel, 130 000 à 140 000 sans-abri en France. Une part croissante de la population se loge dans des caves, des parkings ou sur des terrains de camping. Selon la Fondation Abbé Pierre, 200 000 personnes vivent dans des logements de fortune et 600 000 dans un habitat très dégradé. Pour se loger, il faut accomplir un véritable parcours du combattant.

Or, depuis des années, les politiques du Gouvernement ont nourri la spéculation. Des milliards d’euros ont été dépensés dans des dispositifs inefficaces et coûteux comme le Scellier. La politique de la France des propriétaires est un échec flagrant. L’accession à la propriété recule depuis plusieurs années dans les couches populaires et moyennes. Seuls les plus aisés s’en tirent, comme d’ailleurs les grandes sociétés d’investissement immobilier, principales bénéficiaires des niches fiscales. Les Français ne sont pas dupes, qui jugent très sévèrement la politique gouvernementale en matière de logement. Pour 69 % d’entre eux, l’action des pouvoirs publics n’est pas satisfaisante.

En mars 2011, notre groupe avait déposé une proposition de loi établissant un programme d’urgence pour le logement et de lutte contre la spéculation immobilière. Ce texte de trente articles traçait les contours d’une autre politique du logement, avec un plan massif de construction de logements sociaux, des pistes de financement, une réforme de la fiscalité immobilière, une refonte des aides personnalisées au logement pour renforcer leur quotient solvabilisateur, un durcissement de la loi SRU, un encadrement des prix à la vente et à la location, ainsi qu’un prêt à taux zéro pour les bailleurs sociaux.

Les niches parlementaires exigeant des textes courts sur des thématiques précises, il n’a pas été possible d’inscrire cette PPL à l’ordre du jour. Nous présentons donc, à défaut, un texte qui s’en inspire : quatre articles visant à favoriser l’accès au logement locatif public et privé.

Pour répondre aux attentes des Français et impulser une nouvelle politique du logement à la hauteur de la crise, il faut des mesures d’ampleur. Ce texte s’articule autour de quatre axes : l’interdiction des expulsions, l’encadrement des loyers privés, la lutte contre la vacance et le renforcement de l’article 55 de la loi SRU.

L’article 1er interdit l’expulsion de personnes éprouvant des difficultés liées à leur patrimoine, à leurs ressources ou à leurs conditions d’existence. Rappelons qu’en 2010, la justice a décidé 113 485 expulsions, dont 11 670 ont donné lieu à une intervention de la force publique.

L’article 2 vise à faire baisser les loyers en zone tendue et à les stabiliser sur le reste du territoire. Pour nous, les logements privés doivent, à l’égal des logements sociaux, concourir à la mise en œuvre du droit au logement opposable et avoir un caractère d’utilité publique. Nous proposons donc de modifier les dispositions de la loi de 1989 sur les rapports locatifs, afin de permettre au préfet de région de fixer par arrêté des plafonds de loyers pour les logements du parc privé. Ce dispositif serait applicable aux locations nues et meublées. L’arrêté du préfet serait pris chaque année, après avis du comité régional de l’habitat, et tiendrait compte des différents bassins d’habitat. Il fixerait un taux de modulation maximal des plafonds de loyer en fonction de plusieurs critères : aides publiques à la construction ou à la rénovation, performance énergétique, ancienneté et salubrité du bâtiment concerné, proximité d’équipements publics et commerciaux et de zones d’activité. Un arrêté ministériel encadrerait les conditions dans lesquelles seraient définis ces dispositifs régionaux.

Afin de renforcer la lutte contre la vacance des logements, l’article 3 permet au préfet de réquisitionner les logements vacants depuis plus d’un an, pour une durée d’un à six ans, dans les zones tendues. Nous proposons de porter le taux de la taxe sur les logements vacants de 10 à 15 % la première année, de 12,5 à 20 % la deuxième et de 15 à 25 % à compter de la troisième.

Enfin, l’article 4 renforce la solidarité urbaine, c’est-à-dire l’obligation de réaliser des logements sociaux dans les communes concernées par l’article 55 de la loi SRU. En 2011, 966 communes sont déficitaires en logements sociaux et soumises à réalisation. Parmi elles, 714 sont soumises au prélèvement légal, 253 ont réalisé en faveur du logement social des dépenses déductibles du prélèvement et supérieures à celui-ci, 66 en sont exonérées, car elles bénéficient de la dotation de solidarité urbaine et de la cohésion sociale, et disposent de plus de 15 % de logements sociaux. Ainsi, sur les 966 communes concernées, seules 395 ont été effectivement soumises à prélèvement. Ceux effectués en 2011 s’élèvent à un peu moins de 30 millions d’euros, dont 20,7 ont été directement reversés aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dotés d’un programme local de l’habitat (PLH), et plus de 7,3, affectés aux fonds régionaux d’aménagement urbain (FAU).

Afin de rendre plus contraignante la loi en vigueur, l’article 4 de la proposition porte de 20 à 30 % le taux de logements sociaux dont doivent disposer les communes concernées par l’article 55 de la loi SRU et situées en zone tendue, et le fixe à 25 % dans toutes les autres communes soumises à cet article. Il restreint la définition du logement social, pour l’application de l’article 55, aux logements financés à l’aide d’un PLAI ou d’un prêt locatif à usage social (PLUS), et exclut par conséquent les PLS. Une fois le seuil atteint, seront également décomptés les PLS et les prêts locatifs intermédiaires (PLI). Enfin, il rend illégaux les permis de construire délivrés dans les communes en carence, dès lors qu’ils autorisent des constructions comprises dans des programmes de plus de dix logements.

M. François Brottes. Nos collègues ont raison de présenter un texte court, puisque, si plus de trois propositions de lois font l’objet d’un vote solennel le mardi ou le mercredi en séance publique, le temps d’explication de vote de chaque groupe est réduit à deux minutes, à peine le temps dont dispose un orateur pour présenter un amendement ! Telle est du moins la jurisprudence vers laquelle s’oriente la conférence des présidents.

M. le président Serge Poignant. Il faut toutefois distinguer le temps consacré aux explications de vote de celui de la discussion, qui, lui, n’a pas été réduit.

M. le rapporteur. Je partage la préoccupation de M. Brottes. Les minorités sont particulièrement mises à mal. Lors de la discussion, un groupe important peut laisser s’exprimer une dizaine de députés pour soutenir un amendement, ce qui lui offre un temps de parole de vingt minutes, mais un groupe réduit ne dispose guère que de quatre ou six minutes, ce qui est scandaleux.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le texte porte sur quatre enjeux fondamentaux du logement.

Pour éviter les expulsions les locataires de bonne foi, véritable insulte à nos valeurs, on peut interdire l’expulsion, comme le propose le texte, ou rendre obligatoire l’offre d’un logement alternatif.

Nous nous félicitons que, dans la loi de finances, le Gouvernement ait accepté pour la première fois de réfléchir à l’encadrement des loyers. Encore n’a-t-il taxé que ceux des micro-logements. Le texte pose le problème de manière plus pertinente. On ne peut plus laisser la situation dériver, sans que soit fixé, par exemple par le préfet, un critère de référence.

On nous objecte toujours que les décisions de réquisition des logements vacants n’ont jamais produit d’effet. C’est que, chaque fois qu’une stratégie a été engagée dans ce sens, elle a été interrompue en cours de route.

Le dispositif de la loi SRU doit être revu, puisqu’il est tourné par certains élus. Il faut relever le niveau du minima et offrir plus de logements en PLS. Dans les zones tendues, ils sont quasiment inaccessibles à presque tous les demandeurs de logement. Par ailleurs, il faut retirer aux élus la possibilité de s’exempter du dispositif en payant une amende.

M. Michel Piron. Je comprends le constat qui est à l’origine de la PPL. La région parisienne, où la demande de logement est très supérieure à l’offre, cristallise la quasi-totalité des problèmes. Mais, si les solutions proposées par le texte permettaient de les résoudre, cela se saurait depuis longtemps.

Grâce aux bailleurs sociaux et aux financements publics, on n’a jamais construit autant de logements sociaux que depuis quelques années. Faut-il rappeler l’impéritie des années 2000, où l’on ne construisait que 40 000 logements sociaux par an ? Cela dit, il faut réfléchir plus en détail à la localisation des logements, puisque, en l’Île-de-France, dans le Genevois français, dans une partie de la région PACA et quelques métropoles, la situation est très tendue.

Le texte ne résout pas le problème essentiel, qui tient à l’insuffisance de l’offre. Limiter le montant des loyers, ou interdire les expulsions, ne créerait pas de logement. En outre, la question foncière reste à traiter. Dans la première couronne, le foncier représente 50 % du prix des logements. Or, le texte n’y fait pas allusion, pas plus qu’il ne souligne la nécessité d’accentuer les efforts consentis depuis quelques années. Nous avons pris des mesures pour limiter les avantages liés à la rétention, c’est-à-dire au fait que conserver un terrain permettait de s’exonérer des plus-values. Enfin, le lien entre emploi, logement et déplacement doit trouver sa réponse dans le cadre de l’aménagement du territoire.

En matière d’expulsion, les règles actuelles sont très fermes. Nul ne peut être mis à la porte d’un logement pendant l’hiver. La période d’interdiction a d’ailleurs été allongée. L’interdiction totale risquerait tout au plus d’inciter des locataires de mauvaise foi à ne plus payer leur loyer, en privant les propriétaires de tout recours. La mesure gèlerait donc le nombre de logements offerts à la location par les propriétaires ou les bailleurs.

Nous avons pris une mesure, saluée par M. Le Bouillonnec, pour sanctionner les abus constatés sur la location des logements de moins de 14 mètres carrés. La seule manière de faire baisser les autres loyers est d’offrir des logements supplémentaires.

Compte tenu du temps que réclament les opérations de rénovation urbaine, il n’est pas réaliste de réduire de 18 à 12 mois le délai de vacance. La mesure irait à l’encontre du but recherché.

Quant au débat sur le seuil des logements sociaux, il a eu lieu, et nous avons décidé de maintenir l’article 55. Cela paraît suffisant.

Pour toutes ces raisons, et parce que les bonnes intentions ne suffisent pas à créer de bonnes lois, le groupe UMP ne votera pas le texte.

M. Jean Dionis du Séjour.  Sans vouloir paraphraser M. Fabius, je dirai que le rapporteur pose les bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses. Cela dit, nous ne pouvons être sourds à son diagnostic et aux chiffres qu’il a cités. La part du revenu des ménages consacrée au logement est passée de 13 % en 1980 à 25 % aujourd’hui, et pour les étudiants et les personnes âgées, elle atteint 50 %. En outre, des millions de personnes sont soit mal logées, soit sans logement. Nous ne pouvons donc rester inactifs.

Cette proposition s’articule autour de trois axes.

S’agissant de l’interdiction des expulsions, je suis du même avis que Michel Piron : c’est l’exemple type d’une mesure dont les effets pervers seraient redoutables. Vous ne pouvez pas espérer améliorer un marché qui rassemble propriétaires et locataires en allant contre les intérêts des premiers. Si vous adoptez une telle mesure, les propriétaires vont tout simplement retirer leurs logements du marché locatif, ce qui entraînera une raréfaction de l’offre.

Quant à l’encadrement des loyers, ne soyons pas manichéens. Il faut certes renforcer le dispositif destiné à sanctionner les abus, comme cela a été fait pour les micro-logements, mais la vraie question est celle de l’offre. En outre, ne faisons pas semblant de croire que l’État pourra augmenter massivement ses crédits pour le logement ! Ce sera impossible dans la période durable de redressement des finances publiques que nous connaissons. Pour que l’offre de logements augmente, il faudra se tourner vers le privé. Nous sommes donc absolument opposés à cette mesure, comme à la précédente.

Enfin, le texte vise à renforcer l’article 55 de la loi SRU. C’est la proposition dont nous, centristes, nous sentons les plus proches. Nous pensons en effet qu’il faudrait imposer un pourcentage de mixité sociale dans chaque résidence nouvelle. Qu’il faille pour cela relever le seuil de logements sociaux obligatoires à 30 % en zones tendues et à 25 % sur le reste du territoire, on peut en discuter, mais l’orientation définie par nos collègues du groupe GDR en la matière nous intéresse.

Au total, puisque nous sommes absolument opposés aux deux premiers axes, nous voterons contre cette proposition.

M. André Chassaigne. Cette proposition de loi pose une question fondamentale : le logement est-il une marchandise comme les autres ou un bien de première nécessité ? Pour nous, le logement est un bien indispensable à la dignité humaine et revêt, de ce fait, un caractère d’utilité publique. En affirmant cela, nous prenons le relais de l’article 25-1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme selon lequel : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ».

Or, la situation ne fait que se dégrader, au point que près de 60 % des Français déclarent avoir peur de devenir un jour SDF ! Tous les signaux sont au rouge. Rouge comme le carton délivré par la Fondation Abbé Pierre au Gouvernement pour son action en la matière ! Je ne reviendrai pas sur les chiffres cités par notre rapporteur. Ils sont accablants ! Le déficit en logements atteint un million, et 500 000 ménages sont éligibles au droit au logement opposable. Alors que notre pays manque cruellement de logements accessibles, la frontière entre le parc public et le parc privé est hermétique. Aujourd’hui, la mobilité résidentielle n’est plus qu’un vague concept sans réalité matérielle.

Avec cette proposition de loi, nous abordons à la fois la question de l’offre et celle de l’accès au logement locatif, qui sont intrinsèquement liées. En cela, nous sommes à l’opposé de la politique du Président de la République et de sa fameuse « France des propriétaires » dont les cinq dernières années nous ont montré le caractère illusoire, malgré les milliards investis. Cette proposition de loi traite en effet des logements locatifs dans le privé et le public, et des logements vacants.

Il faut développer l’offre en matière de logement social. C’est pourquoi nous proposons de renforcer l’article 55 de la loi SRU en imposant un seuil de 30 % de logements sociaux obligatoires pour les villes situées en zones tendues et de 25 % sur le reste du territoire. Les sanctions contre les villes qui n’appliquent pas la loi seront considérablement renforcées : multiplication par dix des pénalités, restriction de la DGF et des subventions publiques, substitution obligatoire du préfet et interdiction de construire des programmes de plus de dix logements privés.

Pour le logement privé, nous proposons qu’un plafond de loyer soit fixé par arrêté préfectoral dans chaque bassin de vie. Une telle disposition pourrait permettre une baisse des loyers dans certaines villes – je pense notamment à Paris. En consultant internet hier au hasard, voici les annonces que j’ai trouvées : Paris 7ème, T3 55 m2 : 1 680 euros par mois ; La Motte-Piquet Grenelle, T3 57 m2 : 1 831 euros par mois ; Paris 11ème, 50 m: 1 450 euros par mois. C’est dire l’urgence de la situation !

Quant aux logements vacants, qui représentent près de 6 % du parc locatif, il faut
absolument les mettre à la disposition des locataires. Nous proposons donc de rendre
obligatoire en zone tendue le droit de réquisition du préfet et de renforcer la taxe sur les logements vacants.

Enfin, en interdisant toute expulsion à l’encontre de personnes rencontrant des difficultés économiques et sociales, nous renforçons le devoir de solidarité qui incombe à l’ensemble de notre société.

Les député-e-s communistes, républicains et parti de gauche voteront bien sûr cette proposition de loi. Évidemment, elle n’est pas suffisante, mais nous ne pouvions faire davantage dans le cadre du Règlement. Le préalable indispensable à toute réforme de la politique du logement est en effet une réorientation budgétaire et une refonte de la fiscalité immobilière, auxquelles nous ne pouvons procéder dans le cadre d’une niche. Cela dit, ce texte apporte des réponses innovantes et adaptées à des questions essentielles, montrant qu’une autre politique du logement est possible.

M. François Pupponi. Les expulsions donnent lieu à des scènes insupportables. Chaque année, on envoie des forces de police expulser des familles de bonne foi. Les policiers n’en peuvent plus d’être mobilisés en grand nombre, le matin, par des huissiers pour entrer de force dans des appartements et procéder à ces expulsions.

M. Jean Dionis du Séjour.  Il y a des tricheurs aussi !

M. François Pupponi. Les tricheurs, nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut les expulser. Une personne qui a des revenus, mais qui ne paie pas son loyer doit être expulsée ! Les familles dont je parle sont celles qui se retrouvent un jour dans une situation précaire, au chômage, et que l’on met dehors sans leur proposer aucune solution. Ce sont des situations humainement insupportables. Cette proposition de loi va dans le bon sens car il faut empêcher ces expulsions, trouver des solutions sociales et accompagner ces familles.

Quant à l’article 55 de la loi SRU, certains maires se vantent de ne pas l’appliquer, ce qui est choquant. Il faut donc durcir la loi et faire en sorte qu’elle soit appliquée.

M. Alain Suguenot.  Le problème n’est pas de trouver des moyens pour empêcher les expulsions ; il faut se demander comment rendre confiance à un marché immobilier en pleine crise économique ! Comment faire pour qu’un marché privé en pleine crise réalise que le logement social est non seulement une nécessité en termes de solidarité, mais aussi un engagement financier qui peut être intéressant ?

La mesure prévue à l’article 1er serait une prime au tricheur, car elle se fonde sur des critères subjectifs, et elle aurait pour effet d’assécher le marché immobilier. Quant au seuil de 25 % de logements sociaux, c’est une obligation qui ne se justifie pas partout. Ma ville de Beaune n’a pas la réputation d’être une ville très sociale, mais elle compte pourtant 28 % de logements sociaux. C’est bien la preuve que l’on peut créer de la mixité en impulsant une envie de solidarité. La contrainte n’est pas la meilleure façon de procéder.

M. Kléber Mesquida. La réquisition des logements vacants est une mesure digne d’être soutenue, mais certains logements sont dans un tel état d’insalubrité qu’il paraît difficile d’y reloger des habitants. Dans le secteur « rurbain », de nombreux logements pourraient être adaptés, mais les propriétaires refusent d’y faire un minimum de travaux. Il faudrait donc des dispositions coercitives.

Quant aux expulsions, elles sont regrettables quand elles touchent des personnes en grande difficulté qui ne peuvent plus acquitter leur loyer, mais personne ne lèverait le petit doigt pour s’y opposer si elles concernaient certains nantis – je pense à un candidat à la présidence de la République. Il faudrait donc prévoir une disposition pour déloger les occupants de logements sociaux dont les revenus dépassent un montant de référence.

M. Michel Lejeune. Je partage l’excellente analyse de Michel Piron et je me limiterai à une remarque.

Monsieur le rapporteur, vous avez souligné que l’augmentation du prix de l’énergie était un problème pour les ménages. Mais, si nous devions sortir du nucléaire, la facture énergétique des ménages augmenterait de 40 %.

M. Michel Lefait.  L’interdiction systématique des expulsions présente des risques. En effet, certains propriétaires, modestes retraités, dont le loyer qu’ils touchent constitue l’essentiel des ressources, se trouvent face à des locataires de mauvaise foi dont le train de vie est dispendieux, mais qui ne les paient plus et dont ils ne peuvent obtenir l’expulsion, même après deux ans. Paradoxalement, ce sont ces propriétaires modestes qui sont en péril, car ils n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Cela est injuste. Il faudrait donc trouver une solution, éventuellement en créant un fonds de garantie.

M. Louis Guédon.  Le blocage des loyers après la guerre a eu pour effet de stopper les travaux de modernisation. En centre-ville de nombreux logements inhabitables sont ainsi devenus vacants.

Par ailleurs, dans ma région tout le monde peut se loger, car l’APL est largement distribuée à ceux qui n’ont pas les ressources nécessaires pour payer un loyer. Je souhaite qu’une telle pratique soit généralisée.

Mme Jacqueline Maquet. Il est d’autant plus important d’encadrer les loyers dans le parc privé que les aides au logement ont été gelées. Si une réflexion sur le financement du logement social est nécessaire, ne pourrions-nous pas envisager, pour le parc public, de bloquer la revalorisation des loyers à la relocation, qui est une cause d’inflation ?

M. Henri Jibrayel.  Dans le nord de Marseille où se trouve ma circonscription, nous avons des barres de 4 000 logements, et le parc HLM représente 70 % de l’habitat, alors que dix kilomètres plus loin certaines communes ont du foncier, mais ne construisent pas de logements sociaux. Je souhaite que le seuil de logements sociaux obligatoires soit porté à 30 % et que les maires de ces communes soient pénalisés, car ils se moquent de nous.

M. Jean-Pierre Nicolas. L’expulsion par la force publique, c’est l’ultime recours et les services préfectoraux prennent un maximum de précautions avant d’en appeler à la force publique.

M. le rapporteur. Tout d’abord, monsieur Lejeune, je ne suis ni socialiste ni vert et je suis pour le nucléaire !

Tout le monde semble partager le constat que nous faisons. À partir de là, comment faire pour répondre au problème ? Certes, monsieur Piron, cette proposition de loi est limitée, mais il ne faut pas la détacher des autres textes déposés par les groupes SRC et GDR – je pense notamment à notre proposition de loi d’avril 2011 qui comprenait une quarantaine d’articles. Notre intention n’est pas d’opposer le logement public, social notamment, au logement privé. Mais l’on ne peut pas dire que l’on produit aujourd’hui plus de logements sociaux qu’avant sans se poser la question du rôle spécifique de l’État dans ce domaine. Or, la part de l’État dans le financement du logement social s’établit à 4 %, contre 13 % pour les collectivités locales.

Par ailleurs, la spéculation foncière contribue fortement à la spéculation immobilière. Et c’est pour lutter contre cette spéculation foncière que nous avions déposé, en avril dernier, une proposition de loi visant à encadrer les prix. La région parisienne n’est d’ailleurs pas la seule concernée. En dehors des zones tendues, il y a en effet des endroits contraints par la spéculation foncière. Il faut donc des agences régionales pour réguler le coût du foncier.

Si nous vous présentons cette proposition de loi, ce n’est pas pour partir en guerre contre le logement privé. Je suis maire d’une commune de 60 000 habitants, où 2 000 logements ont été construits en huit ans, dont 1 000 logements sociaux en accession à la propriété. Je ne suis donc pas un pourfendeur du logement privé, mais c’est un secteur qui est menacé d’asphyxie en raison de l’explosion des loyers. Voilà pourquoi il faut réguler.

Quant aux expulsions, l’article 1er précise bien dans quels cas elles ne seront pas possibles, et il est évident que l’interdiction ne s’appliquera pas aux mauvais payeurs. De même, il ne s’agit pas d’interdire l’expulsion des locataires qui sont à l’origine de nuisances considérables.

Par ailleurs, certains propriétaires préfèrent ne pas louer leur logement pour pouvoir augmenter le loyer. C’est pourquoi nous luttons contre la vacance des logements. Autrefois, le logement privé jouait un rôle social de fait, mais ce n’est plus le cas.

Enfin, la loi SRU fonctionne. Elle a notamment permis une augmentation du nombre de logements sociaux, même si ce n’est pas vrai partout. Dans mon département du Val-de-Marne, par exemple, certains maires sont fiers de ne pas l’appliquer ; ils préfèrent payer des pénalités. Il faut donc aggraver ces pénalités et renforcer les obligations pour donner plus de force à l’article 55 de la loi SRU.

La Commission passe à l’examen des articles.

Article 1er (article L. 611-1 du code de la construction et de l’habitation) : Encadrement des expulsions

Contre l’avis du rapporteur, la Commission rejette l’article 1er.

Article 2 : Encadrement des loyers du parc privé par arrêté du préfet de région

Contre l’avis du rapporteur, la Commission rejette l’article 2.

Article 3 : Réquisition des logements vacants et hausse du taux de la taxe sur les logements vacants

Contre l’avis du rapporteur, la Commission rejette l’article 3.

Article 4 (articles L. 302-5, L. 302-6, L. 302-7, L. 302-8, L. 302-9-1 du code de la construction et de l’habitation) : Renforcement de la solidarité urbaine

Contre l’avis du rapporteur, la Commission rejette l’article 4.

Article 5 : Gage

Contre l’avis du rapporteur, la Commission rejette l’article 5.

Puis elle rejette l’ensemble de la proposition de loi.

◊ ◊

La Commission examine, sur le rapport de M. André Chassaigne, la proposition de loi de M. André Chassaigne et plusieurs de ses collègues, visant à encadrer les prix des produits alimentaires (n° 3745).

M. André Chassaigne, rapporteur. Cette proposition de loi s’appuie sur un double constat : d’une part, la dégradation durable des prix d’achat des productions agricoles issues de l’agriculture française ; de l’autre, l’augmentation constante des prix de vente des produits alimentaires aux consommateurs.

J’avais déposé, il y a deux ans, une proposition de loi sur le « droit au revenu des agriculteurs », dont beaucoup d’articles avaient retenu l’intérêt des parlementaires de toutes sensibilités. La principale objection, notamment de M. Le Maire, était l’inopportunité d’un tel texte à quelques mois du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (LMAP), puisque celui-ci allait, nous disait-on, régler tous les problèmes, il était urgent d’attendre. Aujourd’hui, force est de constater que les problèmes demeurent, et que la question des prix et des revenus agricoles est la grande oubliée de notre politique agricole et alimentaire.

La crise des fruits et légumes de cet été en est l’une des preuves les plus flagrantes. En 2011, les producteurs de melons, de poires, de prunes, de tomates ou encore de concombres ont connu une nouvelle année noire. Les prix d’achat étaient inférieurs de 15 à 45 % à la moyenne des cinq dernières années, provoquant des situations dramatiques pour des agriculteurs déjà touchés par des années de crise. Il n’était pas rare de voir les producteurs de pêches et de nectarines du Roussillon contraints de vendre à un euro leurs produits, lesquels se retrouvaient à 2,50 euros, voire plus de 3 euros, sur les étals des hypermarchés de la côte, à quelques kilomètres de là.

Nous aurions tort de penser que, pour la filière des fruits et légumes, cette mauvaise année 2011 tient aux fluctuations conjoncturelles des marchés : il s’agit d’un problème structurel qui affecte l’agriculture française dans son ensemble. J’ai donc la conviction que nous arrivons à la fin d’un système.

Les prix d’achat de la production agricole subissent de fortes pressions à la baisse, alors que les coûts des consommations intermédiaires, eux, ne cessent d’augmenter, qu’il s’agisse des prix de l’énergie, des engrais ou des produits phytosanitaires. Cette double évolution ne peut qu’avoir des conséquences dramatiques.

Quelques chiffres permettront de mesurer l’ampleur de la crise qui affecte ce secteur essentiel pour notre pays. Si l’on en juge par les moyennes triennales, le revenu agricole, tous secteurs confondus, n’a pas évolué depuis 1995. Les revenus des exploitations familiales et de taille modeste ont même baissé, plongeant des milliers de paysans et leurs familles dans la pauvreté.

Comment en sommes-nous arrivés là ? S’agissant de la formation des prix, nous ne disposons pas de données aussi précises qu’il le faudrait : le premier rapport annuel de l’Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires, publié le 27 juin 2011, souligne le manque d’informations fournies par les distributeurs. Il a néanmoins le mérite de mettre en lumière certaines pratiques. Ainsi, sur plusieurs produits, les marges de la grande distribution ont presque doublé en dix ans.

L’exemple de la longe de porc l’illustre. En 2000, 45 % du prix final de ce produit revenait à l’éleveur, contre seulement 36 % aujourd’hui. La part de l’industriel chargé de l’abattage a également chuté de 11 à 8,8 %. En revanche, le distributeur a considérablement augmenté sa marge, puisqu’il touche aujourd’hui 55 % du prix final, contre 39 % en 2000.

Cette domination sans partage sur la valeur ajoutée au sein des filières a été facilitée par les évolutions législatives récentes, en particulier la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs et la loi du 4 août 2008, dite de modernisation de l’économie. La déréglementation des relations commerciales entre producteurs et distributeurs, notamment par la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente, a affaibli les producteurs dans la négociation : tous les responsables du monde agricole en conviennent. Les pratiques contractuelles de la grande distribution – politique active d’importation en fonction de l’arrivée des productions françaises sur les marchés, par exemple – maintiennent une pression à la baisse des prix d’achat, obligeant les producteurs à vendre bien en deçà de leurs coûts de production.

Dans ces conditions, comment s’étonner que les exploitations agricoles connaissent autant de difficultés ? De 2000 à 2010, le nombre d’exploitations a diminué de 26 %, et l’emploi agricole de 22 %. Ce sont évidemment les petites et moyennes exploitations, les exploitations familiales, qui ont payé le plus lourd tribut, alors que le nombre de très grandes exploitations s’est accru. L’extrême concentration du nombre d’exploitations sur le territoire national doit nous interpeller sur les caractéristiques du tissu rural en ce début de XXIe siècle, et sur la capacité de notre pays à maintenir, dans les prochaines décennies, une agriculture diversifiée, de qualité, à dimension humaine.

Pourtant, pour les consommateurs, les prix alimentaires ont crû de 2 % par an, avec des hausses allant jusqu’à 13,5 % pour les produits frais. Certes, la part du budget des ménages consacrée à l’alimentation est passée de 20 % dans les années 1960 à 13 % aujourd’hui, mais la consommation de fruits et légumes frais n’a pas progressé depuis cinquante ans. On le sait, la consommation de produits frais est directement liée au pouvoir d’achat des ménages et à leur catégorie socio-professionnelle. Une politique de l’alimentation ambitieuse suppose donc, en priorité, de soutenir la demande de produits frais pour les foyers les plus modestes.

Pour toutes ces raisons, il paraît indispensable de réguler – pour employer un concept redevenu à la mode – les marges et les pratiques de la grande distribution, avec la double ambition d’une alimentation de qualité accessible à tous et d’une rémunération digne du travail paysan. C’est précisément l’objectif du présent texte, qui propose trois outils pour cela.

L’article 1er applique un coefficient multiplicateur entre le prix d’achat et le prix de vente des produits agricoles. L’objectif est d’étendre l’application d’un dispositif qui a existé de 1945 à 1986, avant d’être réintroduit en droit français en 2005 pour le secteur des fruits et légumes, sans toutefois être mis en œuvre. Le coefficient multiplicateur tend en fait à limiter les taux de marge des distributeurs. Le principe en est simple : l’État fixe un coefficient, sous la forme d’un taux plafond, entre le prix d’achat au producteur et le prix de vente au consommateur. Pour une efficacité optimale, cette mesure s’appliquerait évidemment à toute la chaîne des intermédiaires.

L’article 2 propose de définir un prix minimum – indicatif, afin de ne pas contrevenir à la réglementation européenne – pour chacune des productions. Ce prix serait défini au niveau interprofessionnel, via une concertation au sein de l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer, FranceAgriMer.

L’article 3 institue une conférence annuelle par production, regroupant l’ensemble des acteurs des différentes filières – fournisseurs, distributeurs et producteurs –, en élargissant le champ de la représentativité syndicale agricole aux organisations minoritaires. Cette conférence annuelle donnerait lieu à une négociation interprofessionnelle sur les prix, et fixerait un plancher pour les prix d’achat aux producteurs. Les auditions que j’ai menées me conduisant à penser qu’un consensus est possible ; je défendrai, en séance publique, un amendement tendant à modifier la rédaction de cet article.

Une véritable logique articule donc les articles 2 et 3 : celui-ci complète celui-là en créant un prix plancher qui pourra servir de référence à la définition du prix minimal indicatif, avec l’objectif de modérer les marges de la distribution.

Par ailleurs, les associations de consommateurs auraient toute légitimité à participer aux négociations sur les prix : je défendrai donc un amendement en ce sens lors de l’examen en séance.

Alors que l’Europe a démantelé la plupart de ses instruments de gestion des marchés et déconnecté les aides de la production, afin de les supprimer plus facilement à l’avenir, les paysans se tournent vers l’État, lequel se tourne vers le G20 et vers l’Europe.

Les produits agricoles et alimentaires ne sont pas des biens de consommation comme les autres : on ne peut les échanger sur des marchés mondialisés où la spéculation règne en maître, mettant en péril tant la survie de nos exploitations que l’autosuffisance alimentaire de l’Europe et, in fine, l’équilibre alimentaire mondial. Les grands groupes de la distribution ne doivent pas se voir confier les pleins pouvoirs dans leurs relations avec les agriculteurs, sous peine de mettre en péril des pans entiers de notre agriculture, tandis que s’opère un véritable racket sur les consommateurs, captifs des hypermarchés. Les mesures que je vous présente ne visent qu’à rétablir un juste équilibre entre tous les acteurs de la filière, au bénéfice des consommateurs.

Cette proposition de loi n’entend évidemment pas résoudre, à elle seule, tous les problèmes du monde agricole, mais apporter une première réponse concrète à la question des prix et des revenus. Je souhaite donc que ces mesures, bien entendu amendables, recueillent un large assentiment de notre commission : elles redonneraient un véritable espoir à des agriculteurs à bout de souffle, et ce sans pénaliser les consommateurs. Je vous donnerai, s’il en est besoin pour vous convaincre, les résultats d’un sondage réalisé par la TNS Sofrès du 27 au 30 mai 2011 pour le compte de la Semmaris, société gestionnaire du marché international de Rungis, sur le thème : « Quelles régulations pour l’agriculture et l’alimentation des citoyens ? » À la question : « l’État doit-il aider les producteurs à fixer leurs prix face aux distributeurs ? », 77 % des personnes interrogées se sont déclarées favorables, contre 14 % qui estiment qu’il faut laisser les prix se fixer librement. Les raisons invoquées pour expliquer les principales difficultés du monde agricole français sont, dans l’ordre, la difficulté de vendre les produits agricoles au juste prix, la concurrence d’autres pays et le faible pouvoir de négociation des agriculteurs face aux distributeurs industriels.

M. Jean Gaubert. Nous connaissons une évolution de long terme, qui voit les prix d’achat baisser et les prix de vente augmenter. Le débat n’est pas nouveau, et l’on n’a cessé de le différer en nous promettant des solutions. De fait, la LMAP a créé un observatoire qui a le mérite d’exister, mais auquel on n’a pas voulu donner les moyens d’agir.

Si les aides européennes sont déterminantes dans certains secteurs, la majorité des agriculteurs, notamment dans les filières des fruits et légumes, du porc et de la volaille, tirent leurs revenus des prix de vente ; au surplus, ces produits ne sont guère stockables, contrairement au vin et à la sardine, qui sont même bonifiés par le stockage.

La part de l’alimentation dans le budget des ménages a considérablement décru, pour atteindre des proportions sans doute déraisonnables. Les gesticulations visant à augmenter le pouvoir d’achat par la baisse des prix n’ont d’autre effet que d’accroître les tensions sur les revenus des agriculteurs ; il en va de même, d’ailleurs, pour les produits manufacturés : toute baisse des prix se répercute sur les salaires, quand elle ne se traduit pas par des délocalisations.

Dans ce contexte, le coefficient multiplicateur peut être une solution : on la critique souvent, mais le fait est que l’on n’en trouve pas d’autres. Elle permettrait notamment de réguler le marché en subordonnant la marge du distributeur au coût d’achat du produit. S’il faut veiller à ne pas rendre ce coefficient inflationniste, il ne me semble pas anormal de contrôler les marges, d’autant qu’elles sont proportionnellement plus élevées sur les produits à bas prix.

Quant au prix indicatif, il fut adopté pour les producteurs de lait : le sujet mérite donc que l’on y réfléchisse.

Enfin, des progrès sont nécessaires sur l’étiquetage des provenances. C’est ce que souhaitent les consommateurs, mais les industriels résistent car ils subissent eux-mêmes les pressions de la grande distribution, réticente à toute transparence sur les produits ou éléments importés. L’éthique et la transparence exigent pourtant que le consommateur sache où le produit a été, non seulement assemblé, mais fabriqué. Je proposerai donc, d’ici à l’examen en séance, un amendement sur le sujet.

En tout état de cause, le groupe SRC soutient cette proposition de loi.

M. Jean Dionis du Séjour. Si le diagnostic de M. le rapporteur contient des éléments incontestables, les solutions proposées ne sont pas forcément adaptées.

La première d’entre elles est le coefficient multiplicateur. Nous en avons régulièrement défendu le principe, puisque c’est un amendement du sénateur centriste Daniel Soulage qui, en 2005, l’a introduit dans la loi, traduisant une volonté affichée par l’UDF depuis 2002. M. le rapporteur a néanmoins raison de dire que cet outil n’a jamais été utilisé : si le Gouvernement a été trop timide, la profession, à travers ses représentants syndicaux, s’est également montrée divisée. Reste que la crise de 2011 a été une occasion manquée d’appliquer ce coefficient pour les concombres et les tomates.

Cependant je suis réservé sur sa généralisation, car les marchés de fruits et légumes sont extrêmement volatils ; qui plus est, l’Union européenne s’y opposerait sans doute.

Pourquoi pas, par ailleurs, un prix minimum indicatif pour chaque type de production ; mais ce prix renvoie au prix de revient, lequel dépend des coûts de production et, par conséquent, peut varier grandement. La faiblesse de cette proposition de loi, d’ailleurs, est de délaisser la question des coûts, partant de la compétitivité de notre agriculture.

Je ne crois pas, compte tenu de la diversité des produits – et notamment des fruits et légumes –, à cette grand-messe que serait la négociation annuelle des prix de production. La meilleure des pistes, à défaut d’être la solution parfaite, reste donc la contractualisation.

Enfin, je le répète, il faut intensifier les efforts sur les coûts de production : c’est la meilleure façon d’aider les agriculteurs.

Bien qu’il juge le texte intéressant, le groupe Nouveau Centre, sceptique sur la généralisation du coefficient multiplicateur et la conférence annuelle, s’y opposera.

M. Pierre Gosnat. Cette proposition de loi s’appuie sur des faits connus de tous : le partage de la valeur ajoutée au sein du secteur agricole est de plus en plus déséquilibré en faveur de la grande distribution.

Ce déséquilibre n’est pas le fruit du hasard : il résulte de plus de trente années de déréglementation des échanges agricoles à l’échelle internationale et communautaire, mais aussi nationale. Couplée à la suppression des outils de gestion des marchés, cette déréglementation a mis les agriculteurs sous la dépendance de l’aval, c’est-à-dire de la grande distribution.

Celle-ci impose ses exigences de prix cassés à l’achat pour s’assurer des marges exorbitantes. Face à cette situation, l’encadrement des prix ne doit pas être considéré comme un tabou ou un horizon dépassé. Afin de répondre aux besoins actuels, les députés du groupe gauche démocrate et républicaine ont voulu être constructifs en proposant des mécanismes simples et immédiatement applicables : coefficient multiplicateur, définition de prix minimum indicatifs et tenue d’une conférence annuelle sur les prix.

Ces mesures peuvent répondre rapidement aux besoins des producteurs de fruits et légumes et leur assurer des prix décents. Chaque année, ils sont en effet victimes de la même hypocrisie : il leur est tout simplement impossible d’écouler leurs produits de qualité à un prix qui couvre seulement les coûts de production.

Il en va de même pour les producteurs de lait ou de viande, qui sont soumis aux exigences des industriels et de la distribution. Avec la suppression des quotas laitiers en 2015, la concurrence sera toujours plus féroce sur les prix, tandis que le mirage d’une contractualisation équitable ne cesse de s’éloigner.

À ce sujet, je dois revenir brièvement sur l’inefficacité de la loi de modernisation de l’agriculture adoptée l’an dernier. Les résultats parlent d’eux-mêmes : les producteurs laitiers refusent la contractualisation, qui, bien qu’elle leur soit vendue comme un miracle, se fait toujours sur le dos des mêmes ; les producteurs de fruits et légumes, eux, ne croient pas davantage à la solution divine du renforcement des organisations de producteurs. Quant à la gestion des risques climatiques par l’extension de l’assurance privée, elle prête à sourire puisqu’il a fallu réhabiliter soudainement, en cette année 2011, un fonds public de garantie des calamités.

Je n’irai pas plus loin sur le bilan du Gouvernement en matière de prix et de revenus agricoles ; je préfère m’en tenir au fond du problème, qui touche les producteurs comme les consommateurs. Les différents outils contenus dans cette proposition de loi peuvent contribuer à modifier la donne : ils méritent d’être retenus, même s’ils restent amendables ; ils sont d’ailleurs largement soutenus par le monde agricole. Si nous attendons encore six mois ou un an, il est à craindre que des milliers d’autres exploitants se voient condamnés à cesser leur activité : faute de décisions politiques courageuses en matière de prix, la représentation nationale accompagnera la dislocation de notre tissu agricole, de ses spécificités et de ses productions reconnues.

Cette proposition de loi, présentée dans le cadre d’une niche parlementaire réservée à l’opposition, traduit la constance et la ténacité de notre groupe à porter la question des prix et des revenus agricoles devant la représentation nationale. Elle apporte des réponses concrètes aux principales préoccupations des agriculteurs ; c’est pourquoi je vous invite à la soutenir.

M. Louis Cosyns. Nous partageons tous les préoccupations exprimées par M. le rapporteur sur les prix et les marges. On ne peut toutefois ignorer les orientations du Gouvernement en la matière. En premier lieu, une stratégie a été mise en œuvre afin d’assurer un juste partage de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne de production. Cette stratégie écarte la logique des prix administrés, laquelle, en plus d’être contraire au droit, serait contreproductive dans une économie de marché.

La loi de modernisation de l’agriculture a créé les conditions d’une juste rémunération des producteurs en renforçant leur pouvoir de négociation, en améliorant la transparence sur les prix tout au long de la chaîne de production et en assurant une meilleure prise en compte des fluctuations des matières premières agricoles. Elle a également institué l’Observatoire des prix et des marges, qui, en juin dernier, a remis un premier rapport au Parlement. Le Gouvernement entend ainsi que toutes les parties prenantes, notamment la grande distribution, jouent le jeu. Un premier accord a été signé le 3 mai 2011 entre les acteurs de la filière, afin de favoriser la réouverture de négociations commerciales en cas de variations excessives, à la hausse ou à la baisse, des coûts de production.

Un second accord a été signé le 15 juin 2011 entre les filières végétales et animales pour garantir aux éleveurs une plus grande stabilité des prix de l’alimentation animale, dans un contexte de volatilité des matières premières agricoles toujours plus forte.

Dans le même esprit, le Président de la République a présidé à la signature, le 17 mai 2010, d’accords volontaires de modération des marges dans la filière des fruits et légumes en cas de crise conjoncturelle.

Bref, tout est fait pour garantir le revenu de nos producteurs, même si l’on peut encore constater quelques problèmes. La LMA est un texte relativement récent : laissons-la vivre, nous lui apporterons sans doute des améliorations dans l’avenir.

J’en viens aux articles.

L’instauration d’un coefficient multiplicateur proposée à l’article 1er ne garantit pas le relèvement mécanique du prix à la production. Il n’a pas paru opportun, dans la discussion de la LMA, de généraliser ce mécanisme : si l’on impose un coefficient aux enseignes, on prend le risque que celles-ci se détournent du produit au bénéfice d’un produit dont les conditions de vente ne seraient pas encadrées.

En outre, depuis le 17 mai 2010, les principales enseignes de la distribution se sont engagées à modérer leurs marges sur les fruits et légumes frais en période de crise conjoncturelle.

Quel serait l’intérêt d’instaurer le prix minimum indicatif prévu à l’article 2 ? S’il s’agit d’informer chacun des acteurs de la filière sur les coûts de production maillon par maillon, l’Observatoire de la formation des prix et des marges joue déjà ce rôle.

Enfin, le prix plancher de l’article 3 constitue une aide aux producteurs. Il est, de ce fait, contraire aux droits communautaire et du commerce international.

Le groupe UMP ne soutiendra pas cette proposition de loi.

Mme Laure de La Raudière. Sur quelque sujet que s’exprime André Chassaigne, on a toujours envie de le croire. Est-ce dû au timbre de sa voix, à son talent d’orateur ? Je crains pourtant qu’il ne s’agisse d’un chant des sirènes !

Tout comme les dispositions proposées tout à l’heure par M. Gosnat sur les loyers, celles que nous examinons sur les prix alimentaires sont des promesses. Mais elles ne peuvent marcher d’un point de vue économique. Il faut être réaliste : si l’on veut faire baisser les prix alimentaires dans la grande distribution, le principal axe est, comme l’a souligné M. Dionis du Séjour, l’amélioration de la compétitivité de l’agriculture française. L’encadrement des prix et des marges donnera lieu à toutes sortes de dérives et à une débauche d’imagination pour contourner la réglementation. Il ne résoudra pas le problème diagnostiqué par M. Chassaigne. Cela n’a jamais marché dans le passé, pourquoi cela marcherait-il aujourd'hui ?

M. Jean Gaubert. Cela n’a jamais été essayé !

Mme Laure de La Raudière. Si. Les prix ont déjà été encadrés plusieurs fois, vous le savez bien !

M. Pierre Gosnat. Ce sont les dispositions actuelles qui ne marchent pas !

Mme Laure de La Raudière. Bref, ce chant des sirènes ne sera pas suffisant pour que je vote cette proposition de loi.

M. Kléber Mesquida. Je m’interroge quant au titre du texte. Certains lobbyistes, voyant qu’il est fait mention des « produits alimentaires », ne risquent-ils pas d’écarter les produits de la viticulture, quitte à contester la qualité de savant de Pasteur, qui avait affirmé à juste titre que le vin est un aliment ?

Ces dernières années, les négociants ont proposé aux viticulteurs des prix qui se situaient en deçà du prix de revient brut. Il faut s’interroger à cet égard sur l’interdiction de certains produits phytosanitaires en France alors que l’Espagne les autorise, laisse traiter ses vignes et ensuite exporte ses vins dans notre pays. Les mêmes réglementations devraient s’appliquer à l’ensemble de l’Europe.

Si toutes les mesures d’encadrement et d’incitation sont les bienvenues, nous devons veiller à ce qu’une réduction des marges s’accompagne toujours d’une référence aux prix réels de production. Si l’on interdit les culbutes et les trop forts pourcentages de plus-value, le prix d’achat ne doit en aucun cas faire perdre de l’argent à ceux qui vont travailler tous les matins dans leur exploitation.

Je suis donc favorable à ce texte, qui devra néanmoins faire l’objet de quelques amendements. Il conviendra notamment, à côté des négociants et de la grande distribution, de discipliner les metteurs en marché dont les pratiques carnassières causent de grandes difficultés les agriculteurs et les viticulteurs.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Un coefficient multiplicateur pourrait à la limite suffire, à charge pour les filières de déterminer le prix de départ et le prix d’arrivée. Mais la France ne vit pas en vase clos. Nos principaux concurrents, sur le marché des fruits et légumes, sont espagnols, italiens, etc. La grande distribution a tout loisir de s’approvisionner en tomates produites au Maroc, par exemple.

Souvent, par méconnaissance du marché, ce sont nos producteurs eux-mêmes qui se tirent une balle dans le pied en faisant un peu n’importe quoi à la baisse, sous la pression d’acheteurs qui font valoir qu’ils peuvent acheter moins cher ailleurs même si ce n’est pas vrai. La solution serait de s’entendre sur les prix. Mais c’est un tabou. Depuis des décennies, la priorité est donnée à la défense du consommateur et au prix que celui-ci paie. Or, chaque fois que l’on a voulu intervenir sur les prix à la consommation, la distribution l’a fait payer à la production. En défendant le consommateur, on a tué le producteur. Et maintenant que l’on ne crée plus assez de richesse en raison de la baisse de la production, on se retourne vers le consommateur en augmentant la TVA !

Il serait plus simple d’autoriser les producteurs à s’entendre sur les prix. Face à eux, les acheteurs garderont la possibilité d’acheter à l’étranger, si bien que les prix ne se trouveront pas considérablement augmentés pour autant. Tout au moins évitera-t-on à nombre de producteurs d’arrêter de vendre en dessous de leur coût de production.

M. Thierry Lazaro. Pour les raisons évoquées, je partage la position du groupe UMP. Pour autant, ce n’est en effet pas la première fois que l’on a envie de suivre André Chassaigne – sans doute, en ce qui me concerne, un vieux fond de communisme qui me vient de mon parcours de militant gaulliste indécrottable !

Le constat de M. Chassaigne sur la grande distribution, auquel je souscris, ne concerne pas seulement l’agriculture. Les outils dont nous disposons aujourd'hui sont-ils assez efficaces ? Je n’en suis pas persuadé. Alors que mon département présente la plus forte concentration d’hypermarchés en France, sa démographie est paradoxalement en baisse.

La plus grande partie des produits manufacturés vendus par la grande distribution est importée de pays à bas coût de main-d’œuvre, où sévit parfois le travail des enfants. Les évolutions sont de plus en plus rapides. Elles doivent nous conduire à revenir rapidement sur les dispositifs existants. Si, hier, la richesse se trouvait dans la production d’une façon relativement équilibrée, les nouveaux « ultra-riches » d’aujourd'hui sont dans la grande distribution. Je trouve cela très choquant.

Je relève enfin qu’une ville communiste voisine de la mienne vient d’installer un grand centre commercial. Si les maires, de droite comme de gauche, étaient moins nombreux à céder aux sirènes de la grande distribution, nous n’en serions peut-être pas là aujourd'hui !

M. le rapporteur. Toutes vos interventions vont au cœur du sujet. Quelle que soit la sensibilité politique des orateurs, j’ai pleine conscience des problèmes qu’ils mettent en avant, notamment la difficulté à mettre en œuvre le coefficient multiplicateur, les blocages qu’engendre la réglementation européenne, la difficulté de réunir autour d’une table l’ensemble des acteurs.

En présentant ce texte, notre groupe essaie d’apporter des réponses. Les auditions que j’ai menées, dans le temps limité qui m’était imparti, confirment la plupart de vos propos. Je le dis en toute transparence, elles ont révélé à quel point il est difficile de concrétiser ce que je propose.

Je ne mets pas en doute que l’on ait eu la volonté d’apporter des réponses par le passé, mais les réponses sont peu efficaces. La contractualisation mise en place par la loi de modernisation de l’agriculture, par exemple, devait garantir des prix aux producteurs. Or cela ne marche pas, au point que les producteurs ne signent pas les contrats.

Le développement des interprofessions est également un échec relatif. Leur rôle est plus d’offrir du volume aux acheteurs, notamment aux centrales d’achats, que de régler le problème du prix payé au producteur.

C’est pour apporter des réponses à ces problèmes que j’ai proposé un nouvel outil. Certes, comme plusieurs intervenants l’ont souligné, il faut apporter des améliorations à mon texte.

Devrait-on par exemple établir un dispositif de coefficient multiplicateur permanent, auquel cas il faudrait inscrire dans la loi un mécanisme de déclenchement – comme il en existe un aujourd'hui pour les fruits et légumes –, permettant de garantir un revenu minimum en période de crise ? Je suis tout disposé à examiner des amendements en ce sens.

De même, l’application d’un coefficient multiplicateur à l’ensemble des produits alimentaires ne va pas de soi. Le niveau de transformation du produit peut rendre complexe la mise en œuvre d’un coefficient sur l’ensemble de la chaîne. Mais on a réalisé des progrès en la matière. L’Observatoire des prix et des marges – dont la création est le grand acquis de ces dernières années sur ces questions – est capable de réaliser les calculs nécessaires.

S’agissant des importations, je prends note des mesures d’étiquetage proposées, mais je souligne que le coefficient multiplicateur peut s’appliquer aux produits importés. Aujourd'hui, on importe pour casser les prix de nos productions, notamment les productions saisonnières. Or, avec un coefficient multiplicateur sur les importations, la grande distribution n’aura plus intérêt à acheter à des prix très bas à l’étranger puisque sa marge bénéficiaire sera beaucoup plus étroite.

Le dispositif demande à être travaillé davantage pour éviter les effets pervers, je le conçois bien, mais cette réponse peut être mise en place et elle n’épargne pas les importations.

Pour ce qui est du prix minimum indicatif, je conviens qu’il existe un réel problème au regard de la réglementation européenne. En revanche, l’article 3 peut sans doute nous réunir dès lors que nous en aurons modifié la formulation.

Les responsables de l’Observatoire et de FranceAgriMer l’ont souligné lorsque je les ai rencontrés : on est capable de dresser le constat de la situation, mais ce constat n’aboutit pas à une action concrète. Une conférence annuelle sur les prix par type de production permettrait de réunir tous les acteurs, grande distribution et consommateurs compris. De l’avis de tous mes interlocuteurs, il faut se parler. Or, les contacts n’existent pas aujourd'hui. Les échanges noués dans une conférence annuelle pourraient aboutir à la mise en œuvre des conclusions de l’Observatoire des prix et des marges sur le prix de revient des produits, l’évolution des charges et des coûts, l’augmentation du prix des intrants, etc.

En créant cet outil, nous serions à même d’établir un socle de négociation assorti d’indicateurs. Certains pays le font : au Canada, par exemple, l’évaluation du coût de production à partir des charges et des revenus de l’agriculteur se traduit par la fixation d’un prix minimum permettant à chacun de vivre.

S’il faut en effet s’attaquer aux marges, il se pose également un problème de civilisation, de mode de vie, de consommation et de production, que nous nous devrons bien un jour prendre à bras-le-corps.

Vous comparez mon discours à un chant des sirènes, madame de La Raudière. J’en suis flatté, cela vaut mieux qu’un chant du cygne !

Reste que le texte est amendable. J’espère que l’examen en séance publique nous permettra de nous mettre d’accord, non pas sur un plus petit dénominateur commun, mais sur une ou deux actions qui permettraient aux agriculteurs de mieux vivre de leur travail, et aux consommateurs d’être également bénéficiaires au bout de la chaîne.

La Commission procède à l’examen des articles de la proposition de loi.

M. le président Serge Poignant. Je ne suis saisi d’aucun amendement sur ce texte.

Article 1er : Création d'un coefficient multiplicateur entre le prix d'achat et le prix de vente des produits agricoles et alimentaires

La Commission rejette l’article 1er.

Article 2 : Définition du prix minimum indicatif pour chaque production agricole

La Commission rejette l’article 2.

Article 3 : Création d'une conférence sur les prix

La Commission rejette l’article 3.

Puis elle rejette l’ensemble de la proposition de loi.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 16 novembre 2011 à 10 heures

Présents. - M. Jean-Pierre Abelin, M. Jean-Paul Anciaux, M. Thierry Benoit, M. Bernard Brochand, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Louis Cosyns, Mme Catherine Coutelle, M. Jean-Michel Couve, M. Jean-Pierre Decool, M. Jean Dionis du Séjour, M. William Dumas, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Fioraso, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Claude Gatignol, M. Jean Gaubert, M. Bernard Gérard, M. Pierre Gosnat, Mme Pascale Got, M. Jean-Pierre Grand, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Louis Guédon, M. Gérard Hamel, M. Henri Jibrayel, Mme Laure de La Raudière, M. Pierre Lasbordes, M. Thierry Lazaro, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Michel Lefait, M. Jean-Marc Lefranc, M. Jacques Le Guen, M. Michel Lejeune, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Louis Léonard, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Jean-René Marsac, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Germinal Peiro, M. Michel Piron, M. Serge Poignant, Mme Josette Pons, M. Jean Proriol, M. François Pupponi, M. Michel Raison, M. Bernard Reynès, M. Franck Reynier, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Francis Saint-Léger, M. Alain Suguenot, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Alfred Trassy-Paillogues, M. François-Xavier Villain, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Alfred Almont, M. Jean Auclair, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Serge Letchimy, M. Louis-Joseph Manscour, M. Philippe Armand Martin, Mme Catherine Vautrin