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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mission d’évaluation et de contrôle

Suites données aux préconisations de la Mission d’évaluation et de contrôle sur l’immobilier de l’État

Mercredi 16 avril 2008

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Georges Tron, Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes.

M. Georges Tron, Président : Je vous remercie, Monsieur le Ministre, de votre participation à cette audition consacrée aux questions immobilières liées au ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE). Je salue également M. David Habib, co-président de la MEC et M. Didier Migaud, président de la commission des Finances. Nous travaillons ensemble de façon consensuelle, sans considérations politiciennes : nous voulons uniquement connaître ce qui marche, ce qui ne marche pas et, dans ce dernier cas, nous essayons de formuler des propositions. Je salue aussi Monsieur le sénateur Paul Girod, membre du Conseil de l’immobilier de l’État (CIE), M. Jean-Pierre Lourdin, secrétaire général du CIE, ainsi que M. Claude Lion, conseiller référendaire à la Cour des comptes. Les deux rapporteurs, MM. Yves Deniaud et Jean-Louis Dumont, qui remettront leur rapport d’ici un ou deux mois, mèneront les débats.

Nous évoquerons ensemble trois thèmes, et tout d’abord cette affaire qui a beaucoup accaparé la MEC et le CIE, qui a donné lieu à deux rapports, celui de l’inspection générale des finances et celui de la Cour des comptes : l’acquisition de l’immeuble de la rue de la Convention, vendu en 2003, racheté en 2006, dans des conditions suffisamment particulières pour que nous nous y intéressions avec beaucoup d’attention.

M. Habib et moi-même nous autoriserons d’autant plus à intervenir que nous avons eu l’occasion d’entendre les représentants du ministère des Affaires étrangères en décembre 2006 lors d’une audition du CIE consacrée à l’exposition des projets de schémas pluriannuels de stratégie immobilière (SPSI). Il n’y fut à aucun moment question de cette opération alors qu’elle était en train d’avoir lieu et qu’elle défraierait bientôt la chronique.

M. Yves Deniaud, Rapporteur : Les conditions de la vente, puis du rachat par l’État de l’ancien immeuble de l’Imprimerie nationale ont été amplement exposées dans le cadre du rapport de l’inspection des finances, de mon rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2008, des rapports du Sénat, enfin, du rapport public annuel de la Cour des comptes. La vente a été conclue en 2003 pour 85 millions d’euros et le rachat, pour 325 millions hors taxes. On relèvera dans la vente le manque de professionnalisme de la chaîne des décideurs publics qui a conduit à minorer de 10 millions le prix de vente, puis à négocier une clause de complément de prix très en défaveur de l’État – 65 % pour l’acquéreur, 35 % pour le vendeur. Le MAEE a par ailleurs effectué l’essentiel du paiement en 2007 alors que la prise de possession complète de l’immeuble ne sera effective qu’en 2009. Le loyer intercalaire de l’immeuble de l’avenue Kléber, bien entendu toujours occupé, s’élève à 16 millions d’euros par an ; il faudra donc s’acquitter de 32 millions avant d’intégrer l’immeuble de la rue de la Convention. Pourquoi avoir procédé ainsi ?

La plus-value réalisée par le groupe Carlyle en seulement 18 mois, déduction faite des travaux évalués à une centaine de millions d’euros, s’élève vraisemblablement à 130 millions. Celle-ci a en outre été exonérée d’impôt – au taux de 33 % - en raison de la faille de la convention fiscale liant la France et le Luxembourg.

M. Georges Tron, Président : L’élaboration de cette opération, Monsieur le Ministre, ayant donné lieu à un échange de courrier entre nous dans lequel vous avez assez clairement explicité les raisons qui ont conduit le MAEE à procéder de la sorte, peut-être pourriez-vous exposer votre point de vue.

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Comme vous l’avez dit, cette opération a eu lieu en 2003.

M. Yves Deniaud, Rapporteur : De 2003 à 2007.

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Hors les immeubles de l’avenue Kléber, qui ont été vendus et dont le loyer devrait s’élever à 12 millions d’euros par an, il n’existe pas à Paris de centre international de conférences. Or, la France prendra la présidence de l’Union européenne (UE) au mois de juillet et une grande conférence internationale sur l’Afghanistan se déroulera au mois de juin à Paris : il importe donc de continuer à pouvoir disposer d’un tel espace. Je précise qu’entre la vente puis le rachat de l’immeuble de la rue de la Convention, de très nombreux travaux ont été effectués pour une somme d’environ 100 millions. C’est France Domaine qui s’est occupé de la négociation, pas le MAEE. Quoi qu’il en soit, je suis bien d’accord : il est préférable de se trouver à la tête d’un fonds immobilier plutôt qu’à celle de l’immobilier de l’État (Sourires) ! Plus sérieusement, je vous avoue avoir été également surpris par les chiffres annoncés. Nous souhaitons la mise en place d’un service de l’immobilier de l’État compétent à la fois en France et à l’étranger car tout cela peut être traité d’une manière plus professionnelle.

Nous avons par ailleurs eu raison de regrouper rue de la Convention, hors les services du Quai d’Orsay, la dizaine d’implantations immobilières malcommodes et coûteuses du MAEE. J’ajoute que les archives du ministère seront, elles, regroupées à La Courneuve et seront ainsi consultables par les chercheurs, les diplomates et les étudiants.

M. Jean-Louis Dumont, Rapporteur : Connaissez-vous, Monsieur le Ministre, le montant exact des travaux effectués rue de la Convention ?

M. Barnier, lorsqu’il était ministre des affaires étrangères, avait exposé un projet de réorganisation du MAEE. À partir de quel moment a-t-il été remis en question ? Comment était-il maîtrisé par les services du MAEE sachant que l’on ne peut à la fois déplorer l’absence d’un centre de conférences internationales et vendre les immeubles de l’avenue Kléber. Un tel centre sera-t-il donc réalisé rue de la Convention ?

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : C’est impossible, faute de place, même si nous aurons à la Convention des espaces de réunions pour les besoins du ministère des Affaires étrangères. Les seules réunions de l’UE impliquent par exemple de disposer de 23 cabines de traduction. J’ajoute que les services de l’État sont divers et que je n’ai pas toujours accès aux réflexions ou aux décisions de Bercy, donc de France Domaine. En l’occurrence, l’État a mal équilibré ses choix.

M. Georges Tron, Président : Je prends note, Monsieur le Ministre, de ce que vous considérez vous-même que cette opération a été mal pilotée par l’État. Ce qui m’intéresse tout autant, c’est de savoir comment corriger ce qui a été mal engagé.

M. Stéphane Romatet, Directeur-adjoint du cabinet du Ministre : Le promoteur ne nous a pas informés du montant précis des travaux, mais d’après les renseignements que nous avons eus et que nous avons fait valider par un bureau d’études, d’après également les rapports de l’inspection des finances et de la Cour des comptes, ils s’élèveraient à une centaine de millions d’euros. Le fonds d’investissement en question, ne l’oublions pas, a racheté l’immeuble d’un site industriel pollué et l’a transformé en un immeuble moderne.

Monsieur le Rapporteur Deniaud a eu raison de relever la disjonction de calendrier entre la vente de l’avenue Kléber, au printemps 2007, l’encaissement par l’État du produit de cette vente – 404 millions – et le fait que le MAEE se maintiendra en site occupé dans cet immeuble pour les raisons déjà évoquées. La nouvelle politique de France Domaine prévoit, dans ces cas-là, un tel type de vente en site occupé. La mise à disposition de l’immeuble de la rue de la Convention est par ailleurs très récente. Des travaux d’aménagement doivent être effectués car cet immeuble est livré « nu » et le déménagement des services n’est prévu qu’à la fin 2008.

M. Yves Deniaud, Rapporteur : Je regrette que l’on ait été contraint de payer le bâtiment de la rue de la Convention en 2007 alors que le site ne sera occupé qu’en 2009. La négociation a été mauvaise et c’est le MAEE qui est en l’occurrence responsable, France Domaine n’ayant été créée qu’en 2006.

M. David Habib, Président : En effet. Ce n’est pas France Domaine mais bel et bien le MAEE qui a piloté cette opération, ce que confirme un rapport de la Cour des comptes. Quels ont donc été les rôles respectifs de ces deux institutions ? Selon quelle modalité pensez-vous que France Domaine pourrait intervenir plus efficacement dans la gestion du patrimoine immobilier de votre ministère ?

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Comment vous répondre sur la manière dont les décisions ont été prises en 2006 ? Je constate la dysharmonie de l’achat de l’immeuble en 2007 et de la vente en 2003. À cette époque, le projet de regroupement du ministère n’était pas encore assez précis. Le regroupement des services a été décidé début 2006, l’achat de la Convention n’intervenant qu’un an plus tard. Les réflexions successives depuis dix ans sur le redéploiement des différents sites ont également été un peu contradictoires et ont nui à l’ensemble des opérations.

M. Georges Tron, Président : M. Romatet pourrait-il préciser les rôles respectifs de France Domaine et du MAEE ? Pourquoi ni l’un ni l’autre, à ma connaissance, n’ont-ils réalisé d’étude de performance immobilière de l’opération ? Nous vous avons entendu, M. Romatet, lors de la réunion du CIE du 12 décembre 2006 consacrée aux SPSI du MAEE. Or, à aucun moment vous n’avez fait état de ce projet de regroupement alors que la négociation était très avancée. Dans le courrier qu’il m’a adressé le 10 décembre 2007, Monsieur le Ministre indique que son prédécesseur avait donné pour consigne aux représentants du ministère d’occulter l’état d’avancement du processus d’acquisition de l’immeuble de la rue de la Convention auprès du CIE. Cela aurait été justifié par la nécessité de préserver le secret dans le cadre de la difficile négociation commerciale avec le Groupe Carlyle. Or, les SPSI ayant pour objet de permettre au CIE d’y voir clair, comment expliquer sérieusement une telle attitude ? J’ai quant à moi adressé une lettre au Premier Ministre le 23 mars 2007 pour lui faire part des plus extrêmes réserves du CIE à ce sujet.

M. Jean-Pierre Brard : Vente, achat, vente, achat… C’est un peu le bonneteau, avec un enrichissement invraisemblable à la clé. Sauf erreur de ma part, l’État avait un droit de préemption lorsqu’il a racheté et pour signer l’acquisition, le notaire a dû disposer du certificat de non-préemption. Qui a décidé de ne pas préempter ? Qui a décidé de porter préjudice à l’intérêt public en favorisant délibérément un enrichissement injustifié ?

M. Stéphane Romatet, Directeur-adjoint du cabinet du Ministre : Le MAEE a en effet changé de stratégie immobilière. Jusqu’en 2004, le projet était celui porté par M. Barnier et consistait à construire sur une emprise publique un nouveau MAEE, comparable à un « Pentagone à la française » en quelque sorte. Ce projet n’a pu voir le jour en raison d’un différend entre la Ville de Paris et l’État sur l’utilisation du site Saint Vincent de Paul. En 2006, une nouvelle impulsion a été donnée à la politique immobilière de l’État, le gouvernement étant à la recherche d’une importante opération immobilière de manière à illustrer la capacité de l’État à mettre sur le marché des biens de prestige. La vente des immeubles de l’avenue Kléber a alors semblé idoine.

L’opération de cession de l’ensemble de ces biens a relevé de la responsabilité de France Domaine, avec l’appui technique du MAEE. Ce dernier n’a quant à lui été guidé que par une seule considération : le consentement à la vente de Kléber n’interviendrait qu’à la condition de trouver un site adapté à nos besoins et favorisant donc le regroupement de l’ensemble des services.

Sur le plan technique, l’acquisition de l’immeuble de la rue de la Convention incombait au MAEE, mais la conduite de la négociation financière avec le promoteur a été réalisée par France Domaine, en présence du MAEE.

Il était par ailleurs très difficile de réaliser des études de performance immobilière à l’automne 2006 sur un immeuble dont la rénovation venait à peine d’être entreprise. Nous avons en revanche réalisé une succession d’« études en chambre » et, sur la base de ratios et des coûts de fonctionnement, nous avons fait un certain nombre d’estimations des coûts futurs d’utilisation de l’immeuble : cette opération de regroupement serait susceptible de permettre à l’État une économie de 5 millions par an en crédits de fonctionnement.

L’audition du 12 décembre au CIE a été préparée très minutieusement d’une part avec M. Lourdin et d’autre part avec les cabinets des ministres concernés. Nous avons constaté que deux sujets intéressaient en particulier le CIE : notre stratégie générale de valorisation de notre patrimoine à l’étranger et notre opération de relocalisation des services du MAEE à Paris. Nous avons sollicité des instructions car le 12 décembre 2006, les négociations entre l’État et le fonds d’investissement étaient déjà très avancées, de même que les conseils juridiques négociaient le jeu de la clause de confidentialité demandée par France Domaine et exigée par le vendeur. Quelles informations, dans ces conditions, donner aux membres du CIE ?

M. Georges Tron, Président : Le CIE est composé de parlementaires et de spécialistes des questions immobilières qui exercent depuis longtemps dans la haute administration. Nous sommes de facto responsables de plusieurs dossiers de cette nature. Estimez-vous normal que la confidentialité nous ait été objectée, de surcroît pour une opération qui s’est révélée si contre-productive ? Si vous nous en aviez parlé, ne pensez-vous pas que l’on aurait pu par exemple insister sur l’aspect contradictoire de cette opération avec la stratégie que vous envisagiez et souligner également que vous vous apprêtiez à engager l’État dans une opération parmi les plus maladroites qui soit ? Les coûts sont lourds ; l’invocation du secret bien légère.

M. Stéphane Romatet, Directeur-adjoint du cabinet du Ministre : En tant que directeur du service des affaires immobilières du MAEE à l’époque, j’avais reçu instruction des cabinets de Bercy et du MAEE de ne pas évoquer à ce stade les pistes précises de relogement. J’ajoute que le directeur général de l’administration avait alors suggéré aux cabinets que cette opération vous soit signalée avant la réunion du CIE.

Enfin, cet incident a été pris en compte, puisque le CIE pourra désormais avoir connaissance des opérations nécessitant une confidentialité à l’endroit du marché.

M. Jean-Pierre Brard : Pourquoi évoquer la confidentialité à l’égard du marché quand c’est l’État qui est en cause ? Aviez-vous oui ou non reçu instruction de ne pas dire la vérité aux parlementaires ?

M. Stéphane Romatet, Directeur-adjoint du cabinet du Ministre : J’ai reçu instruction de ne pas évoquer précisément l’avancement de l’opération de la rue de la Convention.

M. Jean-Pierre Brard : Un haut fonctionnaire n’est donc pas gêné à l’idée de taire la vérité aux parlementaires. Par ailleurs, qui a décidé de délivrer un certificat de non-préemption ?

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Ce n’est pas la même chose de taire la vérité et d’affirmer la règle de la confidentialité.

M. Jean-Pierre Brard : En quoi ?

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Dans le cadre de cette négociation financière, les deux cabinets d’alors pensaient qu’il fallait rester très discret sur ce point. Que peut faire un haut fonctionnaire dans ces conditions ?

M. Jean-Pierre Brard : Et la clause de conscience ?

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Oh…

M. Jean-Pierre Brard : C’est un gros mot ?

M. Stéphane Romatet, Directeur-adjoint du cabinet du Ministre : A posteriori, la meilleure façon de procéder aurait été que l’État se porte acquéreur du site de la Convention en 2003 aux fins d’y reloger des services de l’État, notamment du MAEE. Or, à ce moment-là, le schéma immobilier du MAEE était différent. Une consultation avait été lancée par Bercy afin de vérifier si d’autres utilisations publiques étaient possibles sur le site de l’imprimerie nationale ; aucun ministère n’étant demandeur, il n’a pas été repris par l’État.

M. Jean-Pierre Lourdin, secrétaire général du CIE : Je souhaite préciser qu’en aucune façon je n’ai participé à une quelconque réunion préparatoire de ce SPSI non plus qu’à des réunions de cabinets ministériels. La réunion du 14 novembre 2006 à Matignon dont il a été question dans un courrier, et à laquelle j’ai participé, a conclu à la nécessité d’engager des discussions avec le promoteur de la rue de la Convention mais également avec celui d’un autre site de manière à pouvoir choisir. J’ajoute que le compte rendu de la réunion du CIE du 12 décembre avec M. Romatet comporte un renvoi précisant les deux adresses des sites en question et qu’une référence est faite à la réunion du 14 novembre.

M. Jean-Louis Dumont, Rapporteur : Le fait que la convention fiscale entre la France et le Luxembourg était obsolète devait être connu de tous les investisseurs. Cela a-t-il joué un rôle dans les négociations ?

M. Stéphane Romatet, Directeur-adjoint du cabinet du Ministre : À ma connaissance, à aucun moment, cet aspect fiscal de l’opération n’a été évoqué, ni avec l’investisseur, ni avec Bercy.

M. Yves Deniaud, Rapporteur : Ce dysfonctionnement n’est pas imputable au MAEE mais à Bercy.

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Je vous remercie de le dire.

M. Yves Deniaud, Rapporteur : Le MAEE vient de faire une demande à France Domaine pour financer - sur le compte d’affectation spéciale - les travaux supplémentaires de l’immeuble de la rue de la Convention pour un montant de 31 millions. Cela concerne-t-il les travaux mentionnés lors de la discussion budgétaire – installation du courant faible et câblage informatique, décorations des espaces communs, mobilier, déménagement, création d’un centre de conférence ministériel ? Où accueillir, par ailleurs, des conférences internationales ? Qu’en est-il à ce propos de l’idée un peu farfelue de « dupliquer » l’Aérogare des Invalides de l’autre côté de l’Esplanade ?

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Le site de la Convention comportera un centre de réunion ministériel, mais ne suffira absolument pas pour de grandes réunions internationales. La somme de 31 millions permettra de disposer d’un site aménagé.

À partir de décembre 2008, il n’y aura donc plus de centre international de conférences à Paris. Un projet Quai Branly datant de la fin des années 80 devait en abriter un mais il est devenu le musée des arts premiers, ce qui est par ailleurs fort bien. Je souligne tout de même que la présidence slovène, elle, a fait construire un somptueux centre de conférences à Brno ! Rien n’est fait, en l’état, mais il y aurait la possibilité d’une création de ce centre sous l’Aérogare des Invalides, qui a l’avantage d’être très proche du Quai d’Orsay. Il semble que ce soit le dernier emplacement utilisable à cet effet dans Paris. J’ajoute que l’idée de constituer un grand centre international de conférences est un projet présidentiel, qui pourrait d’ailleurs être financé sans appel à l’État.

M. Jean-Pierre Brard : Cela entre-t-il dans les prérogatives constitutionnelles de la présidence de la République ?

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Un certain président Mitterrand s’est occupé de projets qui n’étaient pas si mauvais que cela.

M. Jean-Pierre Brard : Je serais étonné que ceux de l’actuel Président soient à la hauteur.

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Vous auriez tort d’en préjuger.

M. David Habib, Président : Peut-on avoir des précisions sur l’intervention de la société de conseil immobilier Stratégies and corp, acteur majeur de l’opération dont nous parlons ? Pourquoi avoir choisi ce cabinet ? Quelle a été sa rémunération ?

M. George Tron, Président : Quelles sont les performances immobilières de l’immeuble de la rue de la Convention ? La surface utile nette (SUN) par agent s’élève à plus de 15 m² alors que France Domaine a fixé un ratio de 12 m². Quid de la qualité environnementale eu égard aux exigences du Grenelle de l’environnement ? France Domaine a-t-il vérifié les données calculées par le MAEE ? Pourquoi aucune étude de qualité environnementale n’a-t-elle été effectuée préalablement à l’acquisition ?

M. Stéphane Romatet, Directeur-adjoint du cabinet du Ministre : Suite à un appel d’offres, un conseil en immobilier a en effet été recruté afin de nous appuyer dans l’identification des solutions de relogement, la formulation de notre cahier des charges – besoins en effectifs, en m² -, le lancement d’un appel de marchés et, enfin, la vérification de l’adéquation entre les solutions immobilières proposées et les besoins exprimés. Stratégies and corp a travaillé avec nous de la fin du printemps 2006 à la fin de cette année-là. La rémunération totale versée par le MAEE s’est élevée à 23 000 euros hors taxes et 30 000 euros TTC alors que le devis initial s’élevait à 70 000 euros – mais sur les huit immeubles qui devaient être évalués, seuls quatre l’ont été. Le ratio moyen de surface de bureau par agent est de 10,5 m².

M. Georges Tron, Président : La différence d’appréciation, sur ce dernier point, est sensible.

M. Stéphane Romatet, Directeur-adjoint du cabinet du Ministre : Je me propose de vous faire passer une note technique à ce sujet, de même que sur les performances environnementales.

Je rappelle en outre que l’État a acheté cet immeuble avec les conditions normatives qui s’imposaient en 2003 ou 2004. Le permis de construire obéit en l’occurrence à la norme RT 2000.

M. Yves Deniaud, Rapporteur : Quels sont le calendrier et le coût de la rénovation des bâtiments du Quai d’Orsay ? L’estimation de 60 millions est-elle confirmée ? Qui en sera le maître d’œuvre ?

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Il n’est pas possible de rénover le Quai d’Orsay avant le déménagement des archives. Les travaux seront terminés à La Courneuve à l’automne prochain et vous disposerez de toutes les informations nécessaires à la fin de l’année vraisemblablement.

M. Stéphane Romatet, Directeur-adjoint du cabinet du Ministre : Je signale que la dernière opération de rénovation d’envergure du Quai d’Orsay remonte à la fin des années trente. Le Quai est un peu un « village Potemkine » : belle apparence, réalité désastreuse – l’électricité n’est pas aux normes, l’accès est impossible aux handicapés…

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Je signale qu’il est prévu d’installer 250 bureaux à l’emplacement actuellement occupé par les archives.

M. Georges Tron, Président : M. Lion, avez-vous des remarques à formuler ?

M. Claude Lion, conseiller référendaire à la Cour des comptes : Je ne suis pas habilité à parler au nom de la Cour des comptes et je ne peux que renvoyer au rapport public, notamment s’agissant de la société Stratégies and corp.

Sommairement, ce rapport a tiré en particulier trois enseignements de cette opération. Tout d’abord, un défaut de pilotage dans les relations entre France Domaine et les ministères, le partage des rôles n’étant pas optimal. Le professionnalisme, ensuite : s’il n’est évidemment pas question de contester le recours à des tiers extérieurs, leurs conditions d’intervention doivent être précisément encadrées. Enfin, la nécessité de mettre en place une stratégie globale de l’immobilier de l’État.

M. Georges Tron, Président : Je remercie Monsieur le Ministre et ses collaborateurs de leurs réponses.

Il est très difficile pour nous de devoir revenir sur un tel ratage. Nous avons le sentiment que la réforme de 2005, qui visait précisément à éviter ces dysfonctionnements aurait gagné à être pleinement appliquée.

Nous en venons au deuxième thème de cette audition : l’organisation des services de l’État à l’étranger.

M. Yves Deniaud, Rapporteur : Pourquoi existe-t-il toujours au MAEE trois comités en charge de l’immobilier de l’État à l’étranger : le comité interministériel des moyens de l’État à l’étranger (CIMEE) – qui s’est réuni pour la dernière fois le 25 juillet 2006 – , la commission interministérielle (CIM) – qui se réunit tous les mois –, enfin, le comité de politique immobilière (CPI) – réuni une fois en 2002 et une en 2005 seulement ? Ne serait-il pas plus utile de disposer d’une seule structure ? Comment préparez-vous l’extension des SPSI et des loyers budgétaires aux services de l’État à l’étranger ? Quelles sont les conséquences immobilières des décisions du comité de modernisation des politiques publiques du 4 avril en matière d’allègement et de regroupement des implantations diplomatiques, consulaires et culturelles à l’étranger ?

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Vous avez raison. Toutefois, les trois comités n’ayant pas eu la possibilité de se réunir trop souvent, ils ne se sont au moins pas trop contredits entre eux (Sourires) ! Tout cela doit être en effet rationalisé. Avant d’agir, je dois néanmoins attendre que la revue générale des politiques publiques (RGPP) et le Livre blanc exposent leurs conclusions. Une réorganisation harmonieuse est d’autant plus indispensable dans les services en charge de l’étranger que les marchés varient d’un pays à l’autre. Sans doute faut-il se diriger vers la mise en place de collaborations entre secteurs public et privé de telle manière que l’immobilier soit évalué par des professionnels et que les décisions soient prises par l’État.

M. Yves Deniaud, Rapporteur : Serait-il possible d’avoir des précisions sur les projets relatifs à la Chancellerie et à la résidence diplomatique de la France à Dublin, estimés à 80 millions d’euros ? Outre que cette opération aurait sans doute dû être réalisée plus tôt en raison de la présente baisse de l‘immobilier, où l’ambassade sera-t-elle transférée ?

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Il faut y mettre bon ordre, pas seulement en Irlande mais partout. Des professionnels doivent proposer des plans de gestion afin que l’on puisse décider en toute connaissance de cause. Je suis prêt à travailler avec vous dans la plus grande transparence. La gestion de cet immobilier elle-même doit devenir locale, c’est ainsi que nous réaliserons des économies. Une fois de plus, j’attends les conclusions de la RGPP et le Livre blanc. Nous prendrons des décisions plus économiques, plus rationnelles et plus efficaces. La situation de notre ambassade au Congo est par exemple catastrophique : voilà dix ans que l’on attend les crédits afin de procéder à des rénovations et une très belle maison coloniale a été achetée sur un beau terrain… Est-ce cela qu’il fallait faire ? Des spécialistes doivent nous le dire.

M. Georges Tron, Président : Qu’en est-il de la création d’une unique société foncière de l’État à l’étranger ? Comment s’insérerait-elle dans les modifications en cours, en particulier dans le cadre des SPSI ?

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Ce n’est évidemment pas moi qui oriente les discussions du Livre blanc. Quoi qu’il en soit, MM. Juppé et Schweitzer sont d’accord pour confier les expertises aux secteurs privé et public. Ce nouvel opérateur de l’immobilier sera étroitement encadré par l’État mais je ne sais pas où en sont les ultimes réflexions. Nous devrions recevoir le rapport au mois de juin.

M. Stéphane Romatet, Directeur-adjoint du cabinet du Ministre : L’État veut en effet proposer la mise en place d’une société foncière publique afin de gérer le patrimoine de l’État à l’étranger. Il s’agirait soit de gérer un certain nombre d’opérations immobilières pour le compte de l’État, soit de gérer une partie des actifs de l’État, soit de gérer tout le portefeuille des actifs de l’État à l’étranger. Nous étudions en ce moment la faisabilité technique, juridique et financière de cette société. Nous avons proposé qu’une mission de l’inspection générale des finances et l’inspection générale des affaires étrangères étudie les termes de référence de cette société. Nous souhaitons aussi consulter le CIE.

M. Georges Tron, Président : Qu’en sera-t-il de l’articulation de cette société avec France Domaine ? Le développement d’un grand nombre de structures s’inscrit un peu en faux par rapport au pilotage que nous avions souhaité mettre en œuvre dans le cadre de la réforme de 2005.

M. Stéphane Romatet, Directeur-adjoint du cabinet du Ministre : La CIM (Commission interministérielle sur les opérations immobilières de l’État à l’étranger, présidée par un représentant de la Cour des comptes), qui se réunit chaque mois, est particulièrement importante car elle donne un avis, en pratique toujours suivi, sur toutes les opérations immobilières de l’État à l’étranger.

L’ambassadeur, quant à lui, est en quelque sorte « l’officier des Domaines » à l’étranger et il agira dans le cadre des activités de cette société foncière en tant que représentant du Ministre du Budget. La mission de préfiguration qui sera mise en place au printemps permettra d’affiner le cadre des relations avec France Domaine.

M. Georges Tron, Président : Nous en venons au troisième thème : les divers autres aspects des questions immobilières liées au MAEE.

M. Yves Deniaud, Rapporteur : S’agissant des archives et de La Courneuve, le MAEE a financé la construction des bâtiments dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP) sous la forme d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public. Le MAEE a donc engagé l’État à verser à la société ICADE, filiale du groupe Caisse des Dépôts, des loyers de 3,5 millions d’euros. Or, la Cour des comptes a calculé que leur cumul entraîne un surcoût de 41 % par rapport au financement sur les crédits budgétaires alors que, selon vos déclarations, Monsieur le Ministre, celui-ci ne serait que de 11 %. Comment expliquer cette différence ? Comment cette opération a-t-elle été menée ?

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Je connais ce rapport de la Cour des comptes mais je n’ai pas d’explications particulières à vous fournir à ce propos.

M. Stéphane Romatet, Directeur-adjoint du cabinet du Ministre : Voilà plus de vingt ans que le MAEE évoque la nécessaire relocalisation de ses archives diplomatiques. Ce transfert est d’une absolue nécessité. Ce projet a d’abord été conduit en maîtrise d’ouvrage publique, puis le gouvernement a décidé de changer de mode opératoire en le faisant passer en PPP. Non seulement tel n’était pas le choix du ministère mais cela s’est traduit par des complications très importantes. Le bâtiment sera d’ailleurs livré avec retard.

M. Jean-Pierre Brard : Qui a décidé de ce changement ?

M. Stéphane Romatet, Directeur-adjoint du cabinet du Ministre : C’est parce que nous n’avions pas obtenu d’assurance sur la disponibilité des crédits d’investissements pour financer cette opération que le Premier Ministre a décidé, sur proposition de M. Barnier, de passer en PPP.

M. Jean-Louis Dumont, Rapporteur : S’il n’y a guère d’observation à faire lorsqu’une stratégie est précisément définie, il n’en va pas de même lorsque le schéma est flou : les surcoûts et les délais varient alors considérablement. Le président du CIE doit pouvoir exposer fortement les protocoles à appliquer, de manière à ce que personne ne puisse y déroger. Parfois, une succession de petites erreurs suffit à former un vaste ratage.

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Cette opération a été échelonnée sur plusieurs années. Hubert Védrine a bien fait de décider de transférer les archives à La Courneuve, mais au cours de l’opération, l’argent que l’on escomptait ayant fait défaut, il fallait bien en trouver ailleurs, d’où le PPP.

M. Jean-Louis Dumont, Rapporteur : Les PPP sont souvent des réussites.

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : Le projet a en l’occurrence changé dix fois ! Il faut à ce propos rendre hommage à l’architecte Henri Gaudin et à l’entrepreneur, parce que la réalisation sera finalement une réussite.

M. Stéphane Romatet, Directeur-adjoint du cabinet du Ministre : En matière immobilière, la seule formule clé est : continuité des décisions. Le contraire est démobilisateur, irresponsable et ruineux. La Courneuve est l’exemple même de ce qui n’aurait pas dû avoir lieu. Je note enfin que l’immobilier est un métier à part entière, nécessitant de recourir à des professionnels.

M. Yves Deniaud, Rapporteur : Où en sont les projets d’implantation des organisations liées à la francophonie après le probable abandon du regroupement dans l’immeuble du 20 avenue de Ségur ? Un autre bâtiment où les travaux ne s’élèveraient qu’à 5 millions aurait été trouvé avenue Bosquet. Qu’en est-il exactement ?

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères et européennes : À quelques détails près, je crois que les conditions financières sont celles que vous évoquez. M. Diouf a accepté ce regroupement et a remercié M. Sarkozy pour ce choix de l’avenue Bosquet.

M. Stéphane Romatet, Directeur-adjoint du cabinet du Ministre : Cette opération sera un véritable test pour la politique immobilière de l’État, puisque c’est la première dont nous confierons la mise en œuvre à la Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM).

M. Yves Deniaud, Rapporteur : Nous nous en réjouissons. Notre intervention a heureusement permis d’interrompre le processus de l’avenue de Ségur qui s’enlisait dangereusement.

M. Jean-Pierre Brard : On dit que l’on apprend toujours à ses dépens, mais en l’occurrence, c’est aux dépens de l’État. Deux siècles après la Révolution, c’est un peu long pour découvrir qu’il faut travailler avec des gens compétents. Nous aurions pu réaliser quelques économies.

M. Georges Tron, Président : Je vous remercie d’avoir participé à cette audition.

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