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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mission d’évaluation et de contrôle

Gestion des ressources humaines au ministère de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire

Jeudi 15 mai 2008

Séance de 10 h 30

Compte rendu n° 11

Présidence de M. Jean-Louis Dumont, membre de la MEC

–  Audition de Mme Hélène Jacquot-Guimbal, directrice générale du personnel et de l’administration au MEEDDAT, M. Patrick Lambert, directeur général adjoint de Voies navigables de France, M. Daniel Horel, directeur des ressources humaines de l’Institut géographique national, M. Vincent Motyka, chef du service des effectifs et du budget et M Yves Malfilatre, sous-directeur des personnels techniques d’exploitation et contractuels au MEEDDAT

M. Jean-Louis Dumont, Président : Madame Jacquot-Guimbal, nous vous accueillons pour la troisième fois dans le cadre de la MEC, ce qui est exceptionnel dans le cadre d’une seule et même étude. Les présentations sont donc inutiles. Avant de vous donner la parole, je voudrais appeler l’attention sur l’enjeu que représente la mise en place du MEEDDAT, qu’il s’agisse de la redéfinition de son périmètre comme de son organisation. Il doit prouver sa capacité d’action dans un domaine, la gestion des ressources humaines, qui est essentiel. Les attentes sont grandes et il y a une ardente obligation de résultat, quelles que soient les difficultés qui se présenteront, notamment la fusion des corps et l’évolution des effectifs décidée par le Président de la République et des métiers qui sont ceux de votre ministère. Le rendez-vous de la modernisation de l’État, il faut en être bien conscient, ne peut pas être manqué.

M. Jean Launay, Rapporteur : Les sujets qui seront abordés avec vous sont ceux qui l’ont été avec les organisations syndicales. Nous voudrions donc avoir le point de vue du ministère et de ses grands opérateurs sur les grands thèmes suivants : perspectives et évolution des effectifs du ministère ; diversification des recrutements ; modulation indemnitaire et intéressement ; formation initiale ou continue des personnels ; gestion des carrières et positionnement des cadres dirigeants ; fusion des différents corps ; impact budgétaire. Nous vous demanderons d’entrer plus dans le détail des leçons à tirer de l’expérience de la fusion des directions départementales de l’équipement (DDE) et des directions départementales de l’agriculture et de la forêt (DDAF), notamment en ce qui concerne les économies de personnel et de frais généraux ; et de celle des nouvelles directions régionales du développement durable qui rassemblent désormais les compétences des directions régionales de l’équipement (DRE) et des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE). Quelles sont, plus généralement, les perspectives d’évolution de l’effectif total de la mission Écologie, développement et aménagement durables dans le cadre du budget pluriannuel 2009-2011 ?

Mme Hélène Jacquot-Guimbal, directrice générale du personnel et de l’administration au MEEDDAT : Nous vous remercions de nous avoir communiqué vos questions par avance, ce qui nous a permis de préparer les réponses. Une remarque préliminaire : les trois morceaux de ministère qui constituent le MEEDDAT aujourd'hui rassemblent des gens dont le nombre, l’histoire, la culture sont très différents, au point que les mêmes termes n’ont pas le même sens. Certains parlent de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), d’autres de mutations. Chez les uns, la mutation se fait à l’ancienneté, chez les autres, en fonction du seul avis du chef de service. Outre les outils, qui font l’objet de vos questions, il faut réfléchir à la façon de les utiliser pour faire converger les cultures. Un bon outil sur un mauvais cuir ne donnera jamais une bonne chaussure. Nous sommes en situation d’urgence.

M. Jean Launay, Rapporteur : Sur ce point, vous êtes d’accord avec les syndicats.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : On peut être d’accord avec les syndicats sur certains points. Heureusement !

En matière de gestion des ressources humaines, l’urgence se traite en années. Changer les habitudes de mutation, de promotion ou de rémunération, prend beaucoup de temps, de l’ordre de cinq à dix ans. Raison de plus pour s’y mettre très rapidement. C’est la raison pour laquelle la réorganisation du ministère a dissocié deux fonctions d’habitude exercées par le directeur du personnel : celle d’employeur et celle de gestionnaire de personnel. Au MEEDDAT, 80 % des agents ne sont pas gérés au nom du ministre et on gère en son nom des corps dont 15 % à 20 % des effectifs sont en poste à l’extérieur, en détachement ou ailleurs. Il n’y a pas de superposition entre les agents que l’on gère et ceux qui sont affectés à nos postes. Cette séparation entre les deux fonctions permet de savoir ce dont l’employeur a besoin, et d’être attentif, dans la gestion, aux agents pour atténuer quelques-uns des chocs qu’on les oblige à subir. Je serai donc amenée à prendre alternativement l’une ou l’autre des deux casquettes.

J’aurai beaucoup de mal à vous donner des réponses chiffrées à propos des effectifs. Le Gouvernement et l’administration sont en plein débat sur la norme de réduction d’effectif et son application au MEEDDAT. Bercy avance une proposition, la RGPP une autre. J’ignore quel arbitrage sera rendu.

M. Jean-Louis Dumont, Président : Avez-vous une date ? Les décisions qui sont en train de se prendre en matière immobilière sont aussi guidées par les effectifs à terme.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Une parenthèse sur l’immobilier. L’aménagement d’un bâtiment peut se faire en y mettant plus ou moins de gens. On peut économiser sur les normes de surface avec des open spaces, quitte à se compliquer la tâche avec des négociations sociales.

Le troisième conseil de modernisation devrait annoncer des décisions, mais je ne sais pas lesquelles. Peut-être seront-elles prises au moment de l’envoi des lettres de cadrage ou de la programmation triennale, au plus tard fin juin.

En ce qui concerne la fusion DDE-DDAF, un peu d’histoire. Les DDE étaient formatées pour gérer entièrement leurs effectifs, soit en moyenne 800 personnes. Aujourd'hui, elles en comptent 300. Les services de gestion ont été éclatés en trois : un morceau en proportion aux conseils généraux ; un morceau en sous-proportion à la direction interdépartementale des routes, parce qu’on en a profité pour faire des économies en mutualisant au niveau des DRE ; et un troisième morceau est resté à la DDE, qui ne suffit pas pour faire une gestion de bonne qualité à cause des déséconomies d’échelle, que les soixante ou quatre-vingts personnes récupérées auprès des DDAF n’ont pas permis de compenser. La fusion DDE-DDAF ne nous a pas dispensés d’opérer une mutualisation au niveau régional, voire interrégional, pour la comptabilité, les marchés, les achats, la gestion administrative et la paie des agents, ou la formation. Je préfère vous répondre sur la mutualisation des moyens généraux et de la gestion parce qu’une étude globale prévoit d’économiser environ 1 500 emplois dans les trois ans qui viennent, à condition que les outils – Chorus, le système d’information financière de l’État et l’ONP, l’opérateur national de paye – arrivent. Les économies réalisées iront bien au-delà de celles qu’autoriserait une simple fusion des services car il s’agira d’une réorganisation complète de tout le système de gestion, y compris celui des ressources humaines.

M. Jean-Louis Dumont, Président : Pour l’administration centrale, quelles sont les prévisions, je parle d’une enveloppe globale ? Est-ce un secret d’État ? Le bruit circule d’une diminution de 3 200 ETP.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : On essaie de savoir quels seront les besoins dans six ou sept ans. Cela étant, il n’y a pas de lien proportionnel entre ces besoins et les effectifs du ministère. Par exemple, le ministère de l’Équipement comptait à peu près 4 000 personnes en centrale, pour un effectif total de 100 000, soit un rapport de 4 %. L’activité de l’administration centrale n’était pas liée à ce que faisaient les services déconcentrés, principalement les DDE, les DRE ou les services de navigation. Elle pilotait leur travail, mais elle ne les gérait pas. Les effectifs techniques ou administratifs de catégorie C sont totalement gérés sur le terrain. Dès lors, le transfert de personnel aux conseils généraux ou autre n’allège pas le travail en centrale. Au ministère de l’environnement, il y avait 3 500 personnes – 1 000 en DRIRE, 1 500 en DIREN (directions régionales de l’environnement) et 1 000 en centrale. L’administration centrale ne suivait pas beaucoup l’activité des DIREN, mais, comme il y avait de gros problèmes politiques, elle gérait en direct, par-dessus les DIREN. Si l’on opère des redéploiements, il est probable que l’on supprimera des postes du côté ex-équipement, mais que l’on en fabriquera du côté ex-environnement puisque le développement durable créera vraisemblablement de nouvelles missions, ce qui est synonyme de suppression de postes en province et d’augmentation, légère dans les directions régionales en particulier, et aussi à Paris. Il m’est donc difficile de savoir ce que seront les effectifs de la centrale. Si l’on décide de faire appliquer la politique par des opérateurs parapublics ou privés, le suivi sera assuré à Paris. En revanche, si l’on développe une politique de terrain, il faudra des ingénieurs et des techniciens sur place comme interlocuteurs des collectivités locales. J’ignore les choix qui seront faits, lesquels conditionneront les effectifs.

M. Jean Launay, Rapporteur : En ce qui concerne l’ingénierie publique, la messe est dite.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : L’effectif global du ministère baissera, mais on n’a pas décidé de la répartition entre chaque mission, selon l’organisation retenue : pilotage et organisation centralisés, ou organisation centralisée s’appuyant sur des opérateurs scientifiques et techniques pour définir les méthodes et les faire appliquer au niveau régional, ou encore reprise du schéma des années 1973-1974 où chaque DDE avait créé ex nihilo une petite équipe pour aller convaincre tout le monde de faire des économies d’énergie. Comment puis-je deviner ?

Quant à la conception du bâtiment, on part de l’effectif existant et on cherche à concevoir un bâtiment qui abrite tout le monde, en faisant beaucoup d’économie d’espace, de l’ordre de 20 % à 30 %. Quant à savoir qui, dans six ans, ira à tel ou tel endroit ou si l’on vendra l’hôtel de Roquelaure, je n’en ai pas la moindre idée. Dans un mois et demi, il y aura un arbitrage et on en déduira combien de postes il faudra rendre, combien on pourra en redéployer sur les missions fixées par le ministre, avant de décider de la méthode de mise en œuvre. Actuellement, il y a une foule d’hypothèses.

M. Jean Launay, Rapporteur : Puisque ces arbitrages sont imminents, pouvez-vous exercer une influence ? Quelles sont, à l’intérieur du périmètre défini, les missions qui vous semblent nécessaires ? Pardonnez-moi ces questions très directes.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Cela dépend de la casquette que je mets pour vous répondre ! Toute structure, celle à laquelle j’appartiens comme les autres, a toujours intérêt à se développer. Réduire les missions et les effectifs est forcément vécu comme une perte et on pourrait toujours faire plus avec plus de moyens. En tant que haut fonctionnaire de l’administration de l’État, je dirai qu’il faut dépenser non pour se faire plaisir, mais pour répondre aux priorités. Or les priorités, c’est le Gouvernement qui les définit. Et il a jugé qu’il fallait avant tout réduire les dépenses pour diminuer le déficit de l’État. Il faut désormais s’attaquer aux structures parce que, depuis des années, les économies réalisées l’ont été en n’engageant pas de dépenses nouvelles. Dans ce cadre, l’intérêt de l’État et du service public, c’est de faire le tri dans l’ensemble des missions. À cet égard, la RGPP est un bon outil, même si elle a des allures de couperet sanglant quand elle s’abat sur vous. Mais son intérêt est évident.

Ma priorité, dans la fonction que j’occupe, c’est de me débrouiller pour que les services qui ont besoin d’agents pour travailler aient du personnel compétent, ce n’est pas de faire des économies pour l’État. Mais je vais avoir le même discours que les syndicats et cela ne vous apportera pas grand-chose. Si je me mets à la place des financiers de Bercy, je vous répondrai qu’il faut participer aux économies. Les effectifs de l’Équipement sont passés de 115 000 personnes en 1982 à 92 000, à périmètre constant, sans tenir compte de la décentralisation. Depuis vingt ans, les gains annuels de productivité tournent autour de 4 % à 5 %. Nous sommes capables de nous adapter. Même si tous ceux qui partent ne sont pas remplacés, on formera des gens peu à peu. Ce sera plus difficile mais on le fera quand même. On peut emprunter des voies rapides et simples ou d’autres, plus longues et douloureuses. La politique de la ville et des quartiers sensibles est partie de rien, les effectifs baissaient, on l’a faite quand même.

M. Jean-Louis Dumont, Président : Vous avez fait référence au logement social. Dans le contexte que vous décrivez, comment cette politique a-t-elle été mise en œuvre à l’échelon central ? De quels moyens disposez-vous pour retracer l’évolution des missions et des effectifs d’un ministère qui a marqué notre pays de son empreinte ?

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Avec la LOLF, on mesure, par mission et par action, le nombre d’agents qui travaillent effectivement sur chacune d’elles, et nous nous étions engagés auprès du Parlement et des responsables de programme à le leur fournir régulièrement. Nous menons des enquêtes exhaustives et nous avons constaté, par rapport aux droits que l’on avait donnés aux DRE qui les répartissent ensuite dans les services, que, aussi bien en 2006 qu’en 2007, les redéploiements internes avaient dépassé ce à quoi l’on s’était engagé. Le Parlement a été prévenu, ce qui a permis d’obtenir une centaine d’emplois de plus pour le ministère du logement dans le budget 2008. Au plan local, les effectifs du Logement et du MEEDDAT se confondent et il ne paraissait raisonnable ni aux préfets ni aux DDE de ne pas répondre à une urgence telle que le logement parce que, faute d’avoir anticipé, on n’avait pas demandé les effectifs au Parlement. En revanche, il fallait rendre compte et corriger le tir. Cette année, le nombre d’emplois a encore augmenté du fait de la loi DALO (droit au logement opposable). Nous avons obtenu pour 2008 le recrutement d’une centaine d’emplois de catégorie A pour le premier semestre et nous avons commencé les affectations par redéploiement, sans passer par le circuit classique des écoles, qui prend du temps. Quand ils en sortiront, les élèves seront utilisés à d’autres tâches.

M. Jean-Louis Dumont, Président : Quand on entend « DALO », chacun comprend les nécessités de recruter pour traiter les 17 000 dossiers en souffrance, dont 12 000 à 15 000 en Région parisienne. En Meuse, c’est autre chose. En tout cas, il faut des capacités d’intervention pour ces missions nouvelles, et, sans doute, des profils de poste différents. Mais l’incidence sur les effectifs paraît marginale.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Compte tenu de l’effet masse, même les marges sont difficiles à gérer. Si 3 % part à la retraite, et qu’il faut redéployer 5 %, cela demande un gros effort. Trouver 100 cadres, c’est facile, mais en trouver 100 qui connaissaient le logement et qui pouvaient travailler sans avoir suivi deux ans de formation, ce n’était pas évident. Il faut du doigté et de l’expérience pour ne pas traiter de tels dossiers de façon purement administrative. On a préféré répondre en priorité aux besoins du logement, quitte à créer un peu partout des trous que l’on bouchera ensuite, avec des agents éventuellement détachés par d’autres ministères ou avec de jeunes recrues sortant des écoles. Nous avons réussi à nous adapter vite, nous avons les outils. Cela nous a permis de vérifier que ceux que nous avions fabriqués fonctionnaient bien.

M. Jean Launay, Rapporteur : Quel a été l’impact des réductions d’effectif sur les grands opérateurs du ministère, en particulier pour VNF (Voies navigables de France), à qui le conseil de modernisation des politiques publiques du 4 avril a fixé un objectif de rationalisation de l’organisation ?

M. Patrick Lambert, directeur général adjoint de Voies navigables de France : VNF fait partie de la même masse décrite par Mme Jacquot-Guimbal. Il s’agit d’un EPIC qui emploie 360 personnes environ – ce sont des salariés de droit privé – et qui s’appuie sur les services du ministère de l’écologie mis à sa disposition, soit 4 500 ETP environ. La réorganisation vise la structure dans son ensemble et les évolutions du ministère ont un impact direct sur l’activité. L’enjeu des discussions avec la direction générale de la mer et des transports (DGMT), qui est la tutelle de VNF, et la direction générale du personnel et de l’administration (DGPA) pour ce qui concerne les effectifs, porte sur l’automatisation des équipements et la rationalisation de l’organisation sur le terrain. Par ailleurs, les mutualisations mises en œuvre par le ministère de l’écologie permettent de réduire les effectifs tout en maintenant un niveau de service cohérent avec les objectifs. C’était l’objet du contrat de moyens et d’objectifs 2005-2008 conclu entre l’État et VNF. Nous entamons les discussions pour le contrat 2009-2013.

M. Jean Launay, Rapporteur : Vous ne pouvez pas fournir de chiffres plus précis ?

M. Patrick Lambert : En fonction des scénarios envisagés, il est facile de faire une règle de trois puisqu’il s’agit de services de l’État. Il y aura nécessairement des évolutions importantes. Dans le contrat d’objectifs, la baisse programmée des effectifs était de 2 % par an et elle a été à peu près respectée. Avec la mise en œuvre de la LOLF, il a fallu caler nos outils de mesure et cela n’a pas été simple. Avec la rationalisation telle qu’en parle le Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP), il y a tout un travail, y compris de professionnalisation. Il y a là un véritable enjeu de gestion des ressources humaines car le monde fluvial est probablement un peu un retard par rapport au monde routier. Les métiers évoluent beaucoup vers plus de technicité, avec des exigences assez fortes. Nous discutons avec le ministère de l’écologie des schémas de gestion – il faut d’abord une connaissance très fine des métiers des voies navigables – pour obtenir un schéma de formation spécifique pour les métiers fluviaux. La mutualisation de moyens de support devrait préluder à celle de certains métiers techniques pour maintenir un niveau de service pour ce que nous estimons essentiel, le réseau emprunté par le fret.

M. Jean Launay, Rapporteur : Puisque vous faites le lien avec la question de la sécurité du réseau, dans la perspective d’un nouveau contrat d’objectifs et de moyens, envisagez-vous un scénario catastrophe ?

M. Patrick Lambert : Nous avons des soucis de sécurité sur notre réseau.

M. Jean Launay, Rapporteur : Y a-t-il une corrélation avec les effectifs ?

M. Patrick Lambert : Les soucis tiennent aussi à l’état des ouvrages, indépendamment de ceux qui les manœuvrent, encore qu’ils soient les premiers concernés par la vétusté. Mais il faut des moyens financiers et le problème ne peut pas se régler rapidement. Nous avons déjà engagé un programme de reconstruction, notamment des barrages manuels qui sont extrêmement anciens et dangereux à manier, mais l’échelle de temps est forcément longue puisque 150 ouvrages sont en cause. La diminution des effectifs fait prendre le risque de laisser des agents isolés, ce qui crée des situations de risque. Notre travail consiste à les éviter en anticipant les départs et en favorisant la mobilité, et à prendre les décisions de ne pas maintenir le niveau de service là où nous ne le jugeons pas utile, plutôt que mettre le personnel en situation de risque. Cela étant, ce n’est pas encore arrivé. Mais ce n’est pas exclu dans les années à venir. C’est aussi une question de priorité. Le scénario catastrophe serait de ne pas pouvoir tenir le réseau grand gabarit. L’hypothèse, aujourd'hui, n’est pas envisagée.

M. Jean-Louis Dumont, Président : Qu’en est-il de l’Institut géographique national ?

M. Daniel Horel, Directeur des ressources humaines de l’Institut géographique national : L’IGN, qui est un établissement public administratif, emploie environ 1 700 personnes. Le contrat d’objectifs et de moyens 2003-2006 prévoyait un plafonnement de la masse salariale, qui a conduit à une baisse limitée des effectifs. Nous sommes en train de négocier un nouveau contrat d’objectifs et, compte tenu des activités qui ont été définies, le projet est bâti sur une baisse de 15 ETP par an, soit environ 1 % par an. L’Institut a réalisé, sur la période, des gains de productivité considérables grâce à l’informatisation et au développement de nouveaux processus de production. Depuis 1986, les effectifs baissent régulièrement, de 2 400 à 1 700, alors que l’activité progresse, surtout dans le domaine commercial qui n’est pas subventionné. Les ressources commerciales représentent près de 55 % des ressources. L’activité se développe malgré la baisse de la subvention.

M. Jean-Louis Dumont, Président : Votre déménagement n’a pas posé de problème particulier ?

M. Daniel Horel : Nous sommes passés de la rue de Grenelle à Vincennes, en attendant l’installation définitive à Saint-Mandé. Quelques agents n’ont pas pu suivre : ils ont démissionné ou obtenu une affectation dans une autre administration. L’installation provisoire à Vincennes s’est faite dans de bonnes conditions. L’emménagement définitif, avec Météo France, est prévu pour la fin de 2010.

M. Jean-Louis Dumont, Président : C’est une bonne nouvelle, après ce que nous avons entendu ce matin, et qui était tout de même impressionnant.

M. Daniel Horel : Quant à la stratégie, elle reste à définir, puisque le contrat d’objectifs est en cours de négociation. Il couvrira la période 2009-2011.

M. Jean Launay, Rapporteur : Le ministère fixe-t-il des normes aux opérateurs ? Et en quoi le ministère est-il affecté ? Je pense aux 4 500 personnes mises à la disposition de VNF.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Les vases ne communiquent pas. En général, les plafonds d’effectifs des opérateurs qui figurent dans le projet de loi de finances ne s’additionnent pas à ceux du ministère. Ensuite, s’il y a des transferts, ils se feront à masses égales avec des normes d’évolution qui seront définies séparément, mais la norme d’évolution du ministère sera fixée d’un côté, et celle propre à chaque opérateur d’un autre, dans le cadre d’un contrat pluriannuel.

M. Jean-Louis Dumont, Président : Qu’advient-il quand un opérateur recherche un profil particulier qui existe chez vous ? La mobilité fonctionne ?

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Il faut distinguer les postes et les individus. La mobilité peut aider.

M. Jean-Louis Dumont, Président : En cas d’évolution substantielle, comment les agents sont-ils reclassés ? Existe-t-il une porosité entre les opérateurs et l’administration ? Je pense en particulier à VNF qui s’est installé à Béthune.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Quand VNF a été créé en 1991 et transféré à Béthune, le personnel de l’organisme qui l’a précédé, l’ONN, qui n’a pas voulu suivre a été repris à Paris, dans différents services, en fonction des compétences. Nous savons gérer les compétences.

M. Jean-Louis Dumont, Président : Il semblerait, d’après les représentants du personnel, qu’il y ait des difficultés pour ce type de mobilité. Partagez-vous cet avis ?

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : En général, les syndicats n’ont pas la même vision de la mobilité que nous… Les mêmes sont capables, dans une même commission administrative paritaire (CAP), de m’expliquer simultanément qu’il ne faut pas déplacer les gens qui ont envie de faire toujours le même travail en bas de chez eux et qu’il ne faut pas non plus que j’empêche de bouger ceux qui en ont envie... Je constate que, dans les années soixante, les personnels, en particulier les sub-divisionnaires ou les chefs d’équipe, ne bougeaient jamais. C’était pratique, parce qu’ils connaissaient tout le monde, mais dramatique, pour la même raison. À partir du milieu des années soixante-dix, mes prédécesseurs ont tenté de convaincre du bien-fondé de la mobilité. Au début, les syndicats se sont opposés à l’administration qui obligeait les gens à bouger. Tel était le mot d’ordre côté Équipement. Du coup, cette contrainte est devenue une médaille. Nos syndicats expliquent aux autres à quel point la mobilité profite tant aux agents qu’aux services. Désormais, certains agents sont atteints de « bougeotte ». Il faut leur rappeler qu’un changement tous les trois ans ne relève pas de l’obligation statutaire.

M. Jean-Louis Dumont, Président : Dans certains ministères, comme celui de l’Intérieur, on ne peut pas être promu sur place, en particulier dans l’encadrement.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Dans de tels cas, la mobilité précède la promotion. Un ingénieur des travaux publics de l’État (TPE), pour être promu divisionnaire, doit avoir exercé trois types de poste prouvant ses capacités techniques, de management et d’initiative. S’agissant d’experts très « pointus », dont personne n’aurait intérêt à ce qu’ils bougent, on les fait qualifier par un comité d’experts et ils restent sur place. Nous avons des règles, des sous-règles et il nous arrive aussi, de temps en temps, de nous en affranchir.

M. Jean-Louis Dumont, Président : Certains postes de directeur départemental sont très spécialisés, mais, à ce niveau, les candidats s’adaptent rapidement. Parmi les cadres moyens, la mobilité est plus facile du fait du maillage cantonal, mais j’ai l’impression qu’on n’a pas la culture de la mobilité dans notre pays. Qu’en pensez-vous ?

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Il m’est difficile de vous contredire mais, au ministère de l’Équipement, les cadres bougent, en moyenne, tous les quatre à cinq ans. C’est moins vrai pour les catégories B qui, à 70 % ou 80 %, sont mutés dans la même région. La proportion est la même dans les catégories C, mais, pour elle, la mobilité s’impose moins dans la mesure où il leur est demandé une production à moins forte valeur ajoutée. À ce niveau, les habitudes sont moins dangereuses. Je rappelle qu’il n’y a pas que la compétence ou les besoins du service. La neutralité du service public est importante, et les « incrustations » ne la favorisent pas.

M. Jean Launay, Rapporteur : Y a-t-il une corrélation entre la mobilité et la progression dans le cadre ? Les syndicats nous ont parlé d’un effet d’entonnoir qui empêcherait des évolutions statutaires, malgré l’ancienneté acquise et les mérites reconnus.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : C’est vrai pour les catégories B et C. Les taux de promotion ne sont pas suffisants à nos yeux, mais c’est une question financière, et aussi de complexité statutaire car elles appartiennent au cadre administratif de l’ensemble de la fonction publique. Les taux de promotion ne peuvent pas s’écarter de ceux des autres ministères. C’est horriblement compliqué à gérer. Je suis consciente du problème, j’ai essayé quelques montages et je discute avec la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) pour trouver des solutions. La reconnaissance professionnelle, pour ces catégories, n’est pas suffisante. Mais ce n’est pas vrai pour la catégorie A et pour les corps techniques. Les attachés qui ont accepté de changer de poste et de ne pas faire que de la comptabilité toute leur vie en restant dans leur coin, peuvent passer un concours ; sinon, ils peuvent passer plus tard attachés principaux sur liste d’aptitude. La moitié des ingénieurs des Travaux publics d’État (TPE) passent divisionnaires normalement autour de quarante ans et il existe quelques mécanismes de rattrapage pour ceux qui n’ont pas eu une mobilité suffisante ou qui n’ont pas montré suffisamment d’énergie. Une bonne partie est récupérée autour de cinquante ans, en deuxième carrière. Je suis prête à vous fournir des statistiques.

M. Jean-Louis Dumont, Président : Et qu’en est-il des contractuels, qui sont nombreux ? Comment s’intègrent-ils ?

M. Yves Malfilatre, Sous-directeur des personnels techniques d’exploitation et contractuels du MEEDDAT : Il y a dix-neuf types de contractuels au sein du ministère. Ils sont apparus au fil du temps, en fonction des besoins. Vous les trouvez dans le réseau scientifique et technique, au SETRA (Service d’études techniques des routes et autoroutes), etc. Ils ont tous un statut particulier. Toute la population de contractuels qui travaillent dans les services déconcentrés a été regroupée, sous le nom de règlement intérieur national (RIN).

M. Jean-Louis Dumont, Président : Un contractuel peut donc faire carrière chez vous ?

M. Yves Malfilatre : Les RIN ont un semblant de carrière.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Ce sont les contractuels recrutés avant 1984 qui ont un CDI – il y a aussi des contractuels en CDD – et ils se sont égaillés un peu partout. Ils ont évolué. Une bonne partie d’entre eux ont été intégrés en tant que fonctionnaires ; ceux qui n’ont pas voulu sont restés contractuels. Il en reste. Les dix-neuf statuts ont tous plus de vingt ans. Depuis, on n’en a pas réinventé. La loi de 2005 prévoit qu’au bout de six ans au même endroit, on leur propose un CDI, auquel cas, ils passent sous le statut RIN, pour éviter de créer de nouvelles catégories de contractuels.

M. Jean Launay, Rapporteur : Vous avez commencé à répondre aux questions relatives au profil et à la diversification des recrutements. Voulez-vous compléter vos propos à ce sujet ?

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Structurellement, on embauche non pas des profils, mais des gens dans des corps, lesquels ont vocation à accomplir des types de tâches. C’est le principe de la fonction publique.

M. Jean Launay, Rapporteur : Il n’empêche que le dernier CMPP parlait bien de profil.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Ce n’est pas incompatible. Les corps n’ont pas empêché de fabriquer beaucoup de profils différents. On doit avoir 5 000 ingénieurs des TPE qui vont du sociologue au spécialiste du béton précontraint en passant par le statisticien-économiste. La population des attachés aussi est très diversifiée. Cela concerne surtout les A et les A+, dont on attend une spécialité professionnelle, même si nous développons la gestion de la catégorie B par profil et par métier. Depuis quinze ou vingt ans, les concours sur titres se sont développés, pour recruter des gens qui ont un profil ne correspondant pas à nos formations. Par exemple, le spécialiste du béton précontraint se trouve à l’École nationale des travaux publics d’État (ENTPE), qui m’en fournit autant qu’il m’en faut. Mais il y a des profils pour lesquels la mise sur pied d’une filière de formation coûterait exagérément cher : il nous a ainsi fallu trouver deux ou trois spécialistes des nanostructures pour l’un de nos laboratoires de recherche. Nous sommes allés les chercher à l’université, mais leur proposer un CDD n’aurait pas suffi à les attirer car les entreprises se les arrachent. Notre argument, c’est la stabilité d’un corps d’ingénieurs. Nous avons donc un concours sur titres d’ingénieurs TPE pour recruter de dix à trente personnes par an, et, parallèlement un concours d’attaché autour du logement social. On s’est posé la question d’en organiser un pour la loi DALO, mais on a finalement préféré des gens plus aguerris.

Comme nous gérons une population de 10 000 à 12 000 cadres, nous proposons des formations professionnalisantes et nous n’allons chercher dehors que ce que nous n’arrivons pas à fabriquer nous-mêmes. Dans cette optique, nous avons beaucoup développé depuis une quinzaine d’années les allers-retours avec d’autres ministères ou des opérateurs publics ou semi-publics. L’Environnement, notamment, allait « se servir » dans les agences de l’eau. Cette piste devait continuer à être explorée, notamment avec le ministère de l’agriculture puisque nous voyions se rapprocher la fusion DDE-DDAF. Le détachement n’était pas une solution. Le procédé concernait des fonctionnaires, dotés d’une certaine expérience, généralement bons, ce qui fait que, souvent, ils venaient d’être promus, ou qu’ils étaient en passe de l’être. La CAP du ministère d’arrivée renâclait parce que cela faisait un poste de moins. Bref, on n’y arrivait pas. On s’est donc mis d’accord pour s’échanger les gens, en les mettant en position normale d’activité, ce qui veut dire que le ministère employeur paie, mais que la personne continue d’être gérée par son ministère d’origine, ce qui évite les prises de bec. Au bout de trois ou quatre ans, si la personne en question veut rester, il est beaucoup plus facile d’obtenir son détachement parce que tout le monde la connaît. La DGAFP s’est montrée très intéressée au point de généraliser le dispositif dans ses derniers décrets. C’est un apport Agriculture-Équipement, et je m’en réjouis. Il nous arrive même de prendre des fonctionnaires territoriaux ainsi que des militaires, avec la professionnalisation de l’armée – et nous sommes très contents du résultat.

M. Jean Launay, Rapporteur : Venons-en maintenant à la modulation indemnitaire et à l’intéressement. Je ne vous cacherai pas, et cela ne vous étonnera pas, que les syndicats ont émis, à propos de l’intéressement, les plus expresses réserves. C’est un doux euphémisme. Ils considèrent que l’intéressement est antagonique avec la fonction publique.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : C’est le discours classique.

Je suis arrivée au ministère de l’Équipement en 1984 pour participer aussitôt à une réunion sur la mise au point de la modulation des primes. Tout le monde trouvait ça naturel et elle était déjà entrée dans les mœurs. J’ignore à quand cette modulation remonte. Les modulations de prime sont de plus en plus élevées au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie : elle représente 5 % à 10 % pour la catégorie C et 20 % à 30 % pour les ingénieurs des Ponts. L’acceptabilité sociale est suffisante pour que j’aie pu organiser des réunions avec les syndicats de façon que chaque regroupement de service puisse expliquer aux représentants syndicaux les primes de tout le monde, à l’exception des directeurs, des sous-directeurs et des chefs de service d’administration centrale. L’avantage, c’est que chaque agent comprend qu’il n’a pas été soumis à l’évaluation d’un petit chef qui a voulu se venger car il est très difficile d’expliquer devant les syndicats et ses collègues tel ou tel coefficient de prime s’il n’est pas clairement justifié. Sur le terrain, les syndicalistes savent très bien que leurs ressortissants ne méritent pas tous d’être défendus. Le coefficient peut même être inférieur aux bornes si l’on fait un rapport. Quand on justifie sa décision, en général, les représentants syndicaux comprennent très bien. Ces commissions n’ont rien d’obligatoire mais elles permettent d’éviter des problèmes. Il arrive que l’on se trompe et elles nous aident à corriger le tir. La dernière réunion remonte à octobre dernier et concernait l’administration centrale : nous avons passé en revue la rémunération de 4 000 personnes en cinq heures. Certains des syndicalistes que vous avez reçus y ont participé, et ils étaient contents parce qu’ils trouvaient que c’était mieux d’avoir ce genre de réunion.

M. Jean Launay, Rapporteur : Les réserves portaient sur l’intéressement. Le discours sur la modulation indemnitaire allait dans le sens que vous dites.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : De quelque modulation qu’il s’agisse, il est préférable qu’elle soit liée à des objectifs définis avant, plutôt qu’à ce que l’on appelle la manière de servir. Pour les directeurs d’administration centrale, seul niveau concerné pour le moment, nous faisons partie depuis 2005 de l’expérimentation de l’intéressement et l’on nous donne des lettres de mission assorties d’objectifs. Mais, pour les remplir, il y a des conditions. Supposons qu’il me soit demandé de changer un statut, mais s’il n’a pas été bleui en réunion interministérielle, s’il y a eu un changement de gouvernement, on ne doit pas me dire que je n’ai pas bien travaillé. Ce n’est pas très différent de la manière de servir, c'est-à-dire déterminer si quelqu’un travaille bien et fait tout son possible pour arriver à remplir ses objectifs, ce qui est examiné dans le cadre des entretiens d’évaluation. Chez nous, ils existent depuis des années et servent à faire le bilan de l’année, le point sur les compétences, les besoins de formation et les objectifs. Ils sont à ce point centraux que la notation est obligatoirement remise en cause par la CAP si l’entretien d’évaluation n’a pas eu lieu. Sauf à faire état de problèmes dans d’autres ministères, dénoncer l’intéressement n’a au MEDDAT pas grand sens.

M. Jean Launay, Rapporteur : Nous pouvons passer au recrutement et à la formation.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Le recrutement par concours tend à sélectionner des gens qui apportent rapidement des solutions à des problèmes bien posés. Par la suite, on leur demande de poser eux-mêmes les problèmes, et la plupart du temps ils y arrivent. Il y a aussi quelques échecs monumentaux. En s’appuyant sur près de vingt ans d’expérience de concours sur titres, on s’efforce d’élaborer des tests sur la capacité à travailler en équipe, de développer un travail d’analyse à partir de données d’origine différente, de sortir de son cadre de référence. Il y a plus de vingt ans, on a commencé à embaucher des normaliens dans le corps des Ponts. Tant qu’il n’y avait que des X, on se référait à leur rang de sortie, tranche par tranche – Mines, Ponts, …–, mais, à Normale, il n’y a pas de classement de sortie. Comment faire ? On a organisé un oral. Les premières années, on a posé d’abord des questions de mathématiques ou de physique, ce qui était plutôt ridicule, ces élèves étant censés sortir avec un certain niveau. La seconde épreuve étant destinée à savoir ce que les candidats avaient « dans les tripes ». Après deux ou trois ans, on a abandonné la partie académique, pour passer au moins une heure à discuter avec chaque candidat car on sait ainsi à qui on a affaire et on distingue les professeurs Nimbus avec des lunettes au bout du nez, dont on n’a pas besoin, des autres. Il nous est même arrivé d’embaucher des littéraires atypiques, qui avaient une capacité de vision globale tout à fait passionnante.

À partir de cette expérience, nous travaillons désormais sur les concours professionnels internes. Essayer de récupérer quelqu’un qui a entre quarante et quarante-cinq ans, pour le faire passer de la catégorie C à la catégorie B, en lui faisant passer un concours pour vérifier qu’il a le niveau de droit ou de comptabilité qu’il aurait dû avoir à vingt-cinq ans s’il avait eu une licence, c’est vraiment idiot. On traumatise beaucoup de gens et, par-dessus le marché, s’ils y arrivent, cela ne correspond pas forcément à ce qu’on leur fera faire. Depuis trois ou quatre ans, nous organisons des concours professionnels. L’épreuve écrite consiste à décrire un projet professionnel que le candidat a mené à bien dans sa carrière. On fait valider la description par le chef de l’époque. Cela permet de récupérer des gens qui ont fait quelque chose.

M. Jean Launay, Rapporteur : N’y voyez-vous pas une forme de validation des acquis de l’expérience ?

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : À l’époque, cela n’existait pas. Je me demande même si on ne nous a pas copiés ! L’oral sert ensuite à vérifier si les candidats peuvent aller un peu plus loin. De cette façon, on n’a pas du tout recruté les mêmes personnes, on a pris des gens qui avaient fait des choses. Et c’est bien. On s’inscrit dans la ligne d’action de la DGAFP, avec laquelle nous travaillons beaucoup. Le sujet est passionnant.

M. Jean Launay, Rapporteur : Comment intégrer progressivement, mais rapidement, la préoccupation du développement durable dans les formations ?

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Cela ne pose pas de problèmes, parce qu’on le faisait déjà. Je m’explique. L’expression « développement durable » ne veut rien dire sur le plan scientifique ou académique. On peut enseigner la géologie ou la mécanique des matériaux, l’hydrologie, la botanique. Penser « développement durable », cela veut dire que, à chaque fois que l’on fait quelque chose, on réfléchit à la bonne technique pour le faire, au regard du milieu, qu’il faut éviter de dégrader, du coût économique et des implications sociales. Le développement durable, c’est un triptyque : environnement, société, économie. Tous les ministères, qu’il s’agisse de l’Équipement, de l’Industrie, et a fortiori de l’Environnement, et même de l’Agriculture, s’en préoccupent. Ceux qui font les chaussées savent utiliser les matériaux calcaires pourris que l’on retraite, plutôt que des beaux matériaux qui obligent à creuser au fond des rivières ; les botanistes évitent les remembrements comme ceux qui ont été pratiqués à une époque ; les agents des DRIRE prônent une économie industrielle plus axée sur le développement des PME que sur celui de Total ou de Renault. Les effectifs de l’Environnement affectés au développement durable se recrutaient à l’Équipement et à l’Agriculture. Cela fait donc longtemps que des modules sont destinés à apprendre des méthodes d’intégration des différents sujets. C’est le chapeau intégrateur qui a été ajouté, mais il n’y a pas de discipline spécifique.

M. Jean Launay, Rapporteur : Peut-être la mobilité permet-elle de croiser les expériences. Depuis une vingtaine d’années que je suis élu local dans le Lot, j’ai vu des politiques massives d’enrochement de la Dordogne, menées par la DDE. Aujourd'hui, celle-ci prône des méthodes de protection végétale plus douces. Il est clair que la culture a changé.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Pour mettre une technique en œuvre, il a d’abord fallu la mettre au point. Au début, on maîtrisait l’enrochement, mais pas l’enherbement à partir d’espèces particulières, pour éviter de polluer les champs alentour. On a beaucoup fait travailler ensemble le SETRA, le LCPC (laboratoire central des Ponts et chaussées) et le CEMAGREF (centre national du machinisme agricole, du génie rural des eaux et forêts). Cela ne veut pas dire qu’il ne nous reste pas des progrès à faire, mais intégrer la préoccupation du développement durable dans la formation est un sujet qui nous tient à cœur depuis longtemps.

M. Jean Launay, Rapporteur : Les syndicats ont beaucoup insisté sur l’importance des formations internes, et sur la nécessité de maintenir ces savoir-faire. J’ai eu l’impression qu’ils y voyaient le socle qui continuait d’unir les personnels. Quelles sont les évolutions prévues pour les cursus de l’École nationale des ponts et chaussées et l’École nationale des travaux publics de l’État ? Seront-elles maintenues à l’intérieur du périmètre du ministère ?

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Ces écoles ne forment pas que des fonctionnaires ; c’est d’ailleurs l’une de leurs richesses. Nous avons beaucoup d’autres écoles : de l’IGN (Institut géographique national), de l’aviation civile, de la météo, de la mer…

M. Jean Launay, Rapporteur : Plus largement, qu’adviendra-t-il du réseau scientifique et technique de l’État ? Dans le cadre de l’ingénierie partagée, quelle place garderont les écoles ?

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Les écoles d’ingénieurs, qui fournissent les cadres techniques A et A+, ont un triple rôle : dispenser la formation initiale, c'est-à-dire le savoir académique – à ce stade, le social s’enseigne très difficilement – ; faire de la recherche en lien avec le réseau scientifique et technique (RST) – les laboratoires universitaires et ceux de nos écoles sont très liés – ; assurer la formation continue pour que les développements réalisés par les labos se transforment en capacité à faire. Le statut de l’École des ponts a été changé il y a une bonne dizaine d’années ; celui de l’ENTPE l’année dernière, de sorte que l’intégration avec la recherche universitaire soit maintenue, voire développée. Nous craignions que ces écoles ne s’ankylosent dans leur coin. Elles sont un peu plus autonomes dans leurs choix pédagogiques mais, en tant qu’employeur, nous leur passons des commandes. Les liens ne sont certes plus les mêmes qu’il y a vingt ans, puisque ces écoles ne sont plus des services du ministère, mais elles restent très fortes pour tout ce qui a trait aux compétences et à la formation. Cela ne veut pas dire que nous ne faisons pas appel à d’autres. Si un laboratoire universitaire est très calé sur un point non encore développé, on fera appel à lui, c’est normal.

M. Jean Launay, Rapporteur : Sur les sujets qui ont été évoqués – profil et diversification des recrutements, modulation tarifaire et intéressement, formation – les opérateurs ont-ils des précisions à apporter ?

M. Daniel Horel : L’IGN n’emploie pas que des fonctionnaires : la moitié de son effectif est composée d’ouvriers de l’État qui sont les techniciens d’exploitation et de production. Nous avons aussi environ 150 contractuels, sous différents statuts : des pilotes pour les avions photographes, des travailleurs à domicile pour rédiger les cartes, etc – il en reste une cinquantaine. Et, par dérogation, nous recrutons en CDI pour occuper des emplois pour lesquels les fonctionnaires de l’IGN ne sont pas les plus compétents. Il s’agit essentiellement d’une cinquantaine d’emplois dans la sphère commerciale : vente, marketing, droit des affaires, dans la communication…

En ce qui concerne la modulation des fonctionnaires, nous sommes à peu près alignés sur le modèle du ministère. Le cadre est peut-être plus formalisé dans la mesure où chaque agent est positionné sur un emploi et une fonction qui sont cotés. Il y a en quelque sorte une note de fonction. La modulation, qui s’applique aux corps gérés par l’IGN, dépend de la note de fonction et de la note de mérite. Une formule permet d’obtenir le niveau et la modulation des primes en fonction de ces deux critères. Le système est parfaitement transparent. Il est connu et admis des agents. La majorité des agents appartenant à des corps qui nous sont propres, et qui sont formés à l’École nationale des sciences géographiques (ENSG) par laquelle passent tous nos cadres – ingénieurs, techniciens des catégories B, les géomètres – et les ouvriers de l’État. Depuis l’an dernier, nous pouvons recruter sur titres, notamment dans le corps des ingénieurs des travaux géographiques et cartographiques de l’État, pour certaines fonctions particulières.

M. Patrick Lambert : Les 350 personnes travaillant à VNF relèvent d’une convention collective. Leur rémunération peut être augmentée en fonction des appréciations individuelles. Un accord d’intéressement a été conclu conformément au code du travail. L’intéressement dépend des résultats collectifs et il est uniforme.

VNF recrute sur le marché du travail, avec les avantages et les inconvénients que cela représente pour un établissement public de la taille d’une PME. Nous recrutons des profils très spécifiques et sommes soumis aux tensions du marché. Actuellement, nous avons du mal à pourvoir les postes très techniques, d’autant que notre base, en province, n’est pas très facile d’accès. Nous avons aussi des fonctionnaires en détachement.

Une petite parenthèse pour compléter ce qui a été dit. VNF a organisé un colloque sur les réhabilitations de berge en technique végétale pour généraliser les techniques douces, en liaison étroite avec le réseau scientifique et technique du ministère de l’équipement, le CETMEF, et avec une agence de l’eau.

M. Jean Launay, Rapporteur : Il nous reste, pour conclure, deux points à examiner : la gestion de carrière et les perspectives de fusion des corps.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Nous réfléchissions depuis plusieurs années à la fusion des corps des Ponts et du GREF (génie rural, eaux et forêts), mais sans aucune couverture politique. Ce n’était pas facile d’avancer. Maintenant, c’est l’inverse : nous connaissons le résultat, à nous de trouver comment faire. Cela simplifie beaucoup les choses. La méthode est très classique : on va décortiquer les différences entre des statuts au fond assez proches même si la gestion en est différente. Pas mal de métiers se recoupent parce que, quand ils sortent de l’école, Ponts ou GREF, les ingénieurs ont acquis une spécialité, si bien qu’ils ne sont pas interchangeables. Et on souhaite conserver cette capacité technique, sinon, cela ne sert à rien d’avoir des ingénieurs. Au fur et à mesure qu’ils évoluent, ils deviennent plus généralistes et plus gestionnaires, des managers en quelque sorte. S’ils sont intégrateurs en ayant une base de type botanique ou autre, ce n’est pas très grave s’ils sont un peu curieux et s’ils voient un peu loin. On peut donc conserver des formations initiales multiples, afin de préserver l’intérêt pour l’État d’avoir un corps technique, en envisageant ensuite une gestion de carrière qui les rapprochent. On a ainsi besoin de travailler aux rapprochements de statut et de règles de gestion, à la définition des métiers et des compétences, pour être sûr que le système tienne la route.

En revanche, il y aura des problèmes de régime indemnitaire. C’est la difficulté la plus sérieuse. Elle ne tient pas tant au montant des indemnités, dont l’écart n’est pas si grand, qu’au décalage dans leur versement. À l’Équipement, les primes les plus importantes sont versées avec un an de retard, mais pas du côté GREF. Ce sont des primes qui venaient des travaux que l’on faisait pour les communes dans le temps, même si le lien est rompu depuis plus de vingt ans. Au moment de la budgétisation, le ministère de l’Agriculture a réussi à obtenir le rattrapage de l’année en cours, pas l’Équipement. La fusion provoquerait un désordre majeur si l’on rapprochait des populations aussi intégrées. On a déjà l’expérience avec le corps des Ponts, qui résulte lui-même d’une fusion entre l’équipement, qui représente la plus grosse part, l’IGN, la météo et l’aviation civile. Les trois derniers sont déjà à l’année en cours alors que l’équipement a un an de retard. C’est déjà le désordre. Si on ajoute encore un corps supplémentaire, nombreux, on ne s’y retrouvera pas. Allez donc expliquer à Bercy qu’il faut qu’ils sortent de leur poche une année de prime supplémentaire. Ils ne veulent pas en entendre parler d’autant que, si on le fait pour les ingénieurs des Ponts, ce sera difficile de laisser de côté les 5 000 ingénieurs des TPE, les 10 000 techniciens, et les autres, qui touchent le même type de prime, qui comprendraient mal qu’on rattrape les primes des chefs, mais pas les leurs. L’impact budgétaire serait entre 120 et 140 millions d’euros, certes une fois pour toutes, mais personne n’a envie de payer. C’est une bombe à retardement, qui ne demande qu’à exploser.

On envisage aussi des fusions dans les corps des affaires maritimes. Des corps de militaires font des choses assez proches, ont des grilles à peu près équivalentes. En tout, cela doit représenter 250 personnes pour trois corps. Mais ce sont des militaires. On a commencé à discuter avec eux il y a trois ans, sans problème, mais ce qui pose problème, c’est de fusionner des corps de militaires entre eux. C’est beaucoup plus compliqué que tout ce que j’ai vu par ailleurs.

On essaie aussi de fusionner le corps des techniciens supérieurs de l’équipement et des contrôleurs des travaux publics de l’État. La DGAFP est au courant, mais les syndicats pas encore, parce que cela suppose de restructurer le corps des techniciens supérieurs qui, actuellement, est assez curieusement coté bac + 2. Avec l’évolution des diplômes universitaires et le système LMD (licence-mastère-doctorat), 3-5-8, on ne peut pas maintenir la qualification bac + 2, qui ne veut plus rien dire, dans la catégorie B. Il faut les professionnaliser en les faisant passer à l’équivalent licence, mais pas forcément quand ils sont embauchés. Cette opération a un effet domino sur l’ensemble de la grille de la fonction publique parce que cela signifie que les cadres doivent sortir de leur formation à bac + 5, et les A+ à bac + 8. Pour les ingénieurs du type Ponts, qui sortent à bac + 7,5, cela peut s’arranger, mais je rappelle que les administrateurs civils sortent à bac + 5. Autrement dit, cela pose un problème supplémentaire : il faut changer tous les statuts de la fonction publique. La DGAFP est très intéressée et veut en faire en cas d’école. Mais on ne l’a pas encore dit aux syndicats. On a aussi des corps techniques de catégorie C, des dessinateurs, des experts techniques, qui étaient utiles il y a trente ans mais qu’on utilise maintenant de façon assez indifférenciée. Mieux vaudrait donc les fusionner. Il y a aussi des corps homologues, mais de statuts différents, dans la marine. Des A, B, C font la même chose que partout ailleurs, mais les fusionner est très difficile. N’oublions pas les TPE et leurs homologues, du côté de l’Agriculture. Si on fusionne les GREF, il faudra bien faire quelque chose.

M. Jean-Louis Dumont, Président : Nous avons été saisis par une association de TPE, dont nous avons reçu plusieurs courriers.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : En général, l’impact budgétaire d’une fusion n’est pas très élevé dans la mesure où la mise à niveau indemnitaire entre dans le cadre catégoriel annuel classique. L’augmentation du paquet des primes n’est pas gérée en pourcentage attribué à chaque corps, mais elle fait l’objet chaque année d’une négociation avec les syndicats, pour concentrer les primes sur tel ou tel point, quitte à ne pas toucher à certains corps. De toute façon, il reste la modulation, le GVT – glissement, vieillesse, technicité, etc. On fait une politique catégorielle, et pas une règle de trois. Le seul obstacle, c’est la soulte de 120-140 millions d’euros. J’ignore quand nous aurons l’obligation de les régler. On ne le fera sans doute pas, jusqu’à ce qu’il y ait des contentieux qu’on est sûr de perdre.

M. Jean-Louis Dumont, Président : Cela ouvre des perspectives pour les travaux de la MEC !

M. Jean Launay, Rapporteur : Ces 140 millions sont une vraie bombe à retardement. N’est-ce pas le type même de la mesure qui peut entrer dans le champ des négociations et de l’arbitrage ?

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Tout est possible, même de ne pas fusionner. Je ne sais pas ce qui va se passer. Tant qu’on n’a pas de contentieux, on n’est pas obligé de payer. Si l’État est condamné, il peut étaler le paiement sur plusieurs années. De toute façon, c’est un « fusil à un coup ».

M. Jean-Louis Dumont, Président : Ne peut-on considérer cette soulte comme un investissement ?

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : C’est de l’argent que l’on doit et qu’il était prévu de payer entre maintenant et dans quarante ans. Le ministère de l’Agriculture est arrivé à obtenir le rattrapage au moment de la budgétisation, il y a quinze ans, nous pas, parce que cela aurait coûté beaucoup plus cher. Cela ne coûtera pas 140 millions au moment de la fusion des Ponts et du GREF, mais 15 millions seulement la première année. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il sera difficile d’expliquer qu’on rattrape pour eux, pas pour les autres. Ce serait une injustice flagrante. Autre problème : c’est un frein pour la mobilité. Pas au départ : la première année, on est payé par son employeur et on touche les primes de l’année précédente. Mais au retour, c’est dramatique. C’est embêtant parce que, de temps en temps, on a besoin de récupérer les agents pour profiter de leurs acquis, de leurs nouvelles compétences. Avec un tel système, on ne peut pas, ou alors, il faut faire une avance que l’on récupère l’année d’après. Bref, c’est très compliqué. Au moins, cela prouve que les gestionnaires sont utiles...

M. Jean-Louis Dumont, Président : Les rapporteurs vont se jeter là-dessus ! Ils vous apporteront leur appui.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal : Sans compter la fameuse sagesse du Parlement…

M. Jean Launay, Rapporteur : Je vous remercie pour vos réponses et vos contributions. Nous vous savons gré de votre grande disponibilité dans ce moment agité.

M. Jean-Louis Dumont, Président : Il ne me reste plus qu’à vous remercier, madame, messieurs, de nous avoir éclairés ce matin. Vous avez montré votre capacité à envisager l’avenir et à répondre à nos rapporteurs. Je remercie également le représentant de la Cour des comptes.

——fpfp——