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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mission d’évaluation et de contrôle

Musée du Louvre

Jeudi 19 février 2009

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 02

Présidence de M. Georges Tron, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Guillaume Boudy, secrétaire général du ministère de la Culture et de la communication et de Mme Marie-Christine Labourdette, directrice des musées de France

M. Georges Tron, Président. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui, dans le cadre de la MEC qui, à la demande de Nicolas Perruchot, travaille cette année sur les musées, M. Guillaume Boudy et Mme Marie-Christine Labourdette, respectivement secrétaire général du ministère de la Culture et de la communication depuis mai 2008 et directrice des Musées de France depuis juillet 2008.

Je salue la Cour des comptes en la présence de MM. Emmanuel Gianesini et Emmanuel Marcovitch, qui ont contribué au rapport de la Cour consacré au musée du Louvre, et je les remercie de s’associer à nos travaux.

L’établissement public du musée du Louvre, compte tenu de sa taille et de son rayonnement, occupe une place particulière dans la politique des musées. À cet égard, l’audition, il y a une quinzaine de jours, de son président, M. Henri Loyrette, s’est révélée particulièrement intéressante et a suscité chez nous bien des questions que nous allons, madame, monsieur, vous poser.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Dans son rapport, la Cour des comptes conclut notamment : « Les frictions trop nombreuses entre le Louvre d’une part, ses tutelles et la RMN de l’autre, témoignent […] de la persistance de la part de l’établissement public d’habitudes héritées de la phase précédente de conquête de son autonomie. » Quel a été, du point de vue de ceux qui ont la charge de la politique muséale, l’impact de cette réforme ? Quelle réorganisation découlera de la RGPP, et quelles en seront les conséquences sur l’autonomie des musées ?

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Quelles modifications la réorganisation de la direction des Musées de France va-t-elle entraîner ? La direction du Patrimoine qui va être créée ne verra-t-elle pas son champ d’action se rétrécir ? Que deviendront alors les relations avec les musées, notamment avec le Louvre ?

Mme Marie-Christine Labourdette, directrice des Musées de France. La direction des Musées de France, je crois utile de le rappeler, n’est pas la direction des musées nationaux. Elle couvre l’ensemble des musées situés sur le territoire national qui bénéficient du label « Musée de France », lequel reconnaît le respect de certaines règles concernant la constitution des collections, leur présentation et la proposition scientifique qui les sous-tend. Environ 1 200 musées sont concernés, les plus importants par le public qu’ils accueillent étant les musées nationaux qui appartiennent à l’État – une petite cinquantaine, dont trente-cinq figurent dans le périmètre du ministère de la Culture, les autres dépendant d’autres ministères, tels le Muséum d’histoire naturelle rattaché au ministère de la Recherche, et les musées des armées à celui de la Défense. Dès lors, le Louvre n’est pas seulement le plus grand musée national : c’est aussi la locomotive d’un ensemble. Il n’est pas traité différemment des autres musées, même si sa taille et son importance lui confèrent une spécificité. Il s’inscrit dans une politique nationale fixée par la ministre de la Culture qui vise à la démocratisation culturelle et à l’enrichissement des collections.

La direction des Musées de France joue un double rôle. Sur l’ensemble des musées de France, elle exerce un contrôle scientifique et technique. Elle offre une assistance aux musées qui appartiennent aux collectivités territoriales et assure la tutelle scientifique sur les musées nationaux, qui est rarement déconnectée des aspects administratifs. C’est dans ce cadre que la direction est en lien étroit avec le secrétariat général du ministère.

Avec la RGPP, la tutelle va évoluer puisque la direction des Musées de France, la direction de l’Architecture et du patrimoine et la direction des Archives de France seront regroupées au sein d’une direction générale du Patrimoine. L’importance des métiers demeure, l’objectif étant de gagner en efficacité en mutualisant les fonctions transversales, tout en préservant, voire en renforçant, la richesse du dialogue avec les établissements sur leur pilotage scientifique. La direction actuelle, mise en place au début de 1991, était organisée sur une base fonctionnelle et divisée en départements : public, collections, muséographie, secrétariat général.

La RGPP a offert aussi l’occasion de réfléchir différemment à l’organisation, en déroulant la chaîne muséale. Au fond, un musée, ce sont d’abord des objets exceptionnels réunis en collection et qui, de ce fait, deviennent inaliénables, bénéficient d’une mise en contexte scientifique et sont présentés au public. Le nouveau service s’articulera donc autour d’une sous-direction des collections chargée de leur enrichissement et de leur circulation, de leur mise en valeur et de leur diffusion numérique, et d’une sous-direction de la politique des musées qui veillera au propos scientifique propre à chaque musée ainsi qu’à la stratégie du réseau. Sera créé en son sein un bureau pour assurer la tutelle et le pilotage des musées nationaux, ce qui prouve que le ministère n’a nullement renoncé à exercer une tutelle rénovée sur les établissements publics ni à travailler de manière approfondie avec les musées territoriaux. La chaîne muséale sera bouclée avec le rattachement au directeur en charge des musées de France du département des publics.

Quant aux relations entre le Louvre, la RMN et la direction des Musées de France, il faut bien mesurer que le Louvre est à la fois le musée le plus important et le premier à avoir bénéficié du processus d’autonomie par le biais de sa transformation en établissement public. Il est en quelque sorte l’aîné de la famille, avec les avantages et les inconvénients que cela représente. Après des tensions excessives par moments, il faut établir un nouvel équilibre dans les relations entre la RMN, qui avait une position de quasi-monopole, et un musée autonome qui assure désormais lui-même son développement. Ces relations sont en voie de normalisation. Ce tandem doit également être examiné à la lumière des liens plus normaux qui unissent la RMN aux autres grands établissements publics créés par la suite tels que le Château de Versailles, le musée d’Orsay, le musée du Quai-Branly ou le musée Guimet, qui reposent sur une base contractuelle et sont beaucoup plus sereins.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Quand les musées deviennent des établissements publics, ne sont-ils pas tentés, bien que restant dans le cadre d’une politique nationale, d’affirmer leur singularité ? À quoi sert alors la RMN ? À un moment donné, elle s’est révélée un outil très utile, mais la mettrait-on en place aujourd'hui si elle n’existait déjà ?

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. La question est importante puisqu’elle est au cœur des réflexions menées depuis quelques années. Mais les décisions politiques n’ont jamais été prises. J’espère que ce rapport permettra de les prendre. Je ne partage pas entièrement votre point de vue optimiste sur les relations entre la RMN et les autres musées. Bien que plus mesurés dans leurs propos que le Louvre, ils ne m’ont pas donné l’impression de tirer une réelle valeur ajoutée de leur obligation de travailler avec la RMN, qui apparaîtrait plutôt comme une bizarrerie historique. Avez-vous des directives de la ministre de la Culture en la matière ? La RMN a été sauvée du désastre financier par Thomas Grenon, mais je m’étonne, dans un tel climat d’incertitude, qu’elle ait perduré. Elle s’est même développée, y compris sur le plan immobilier. Qu’en dit la tutelle politique ? Que va-t-on faire de la RMN demain ? Avez-vous l’intention de faire évoluer les relations entre le Louvre et la RMN ?

Tout le monde semble d’accord sur le constat, mais aucune décision n’est prise.

Mme Marie-Christine Labourdette. Telle la Turquie à la fin du XIXe siècle en Europe, la RMN est-elle l’homme malade du monde muséal ? Je ne le pense pas. La ministre de la Culture reste attachée à la RMN tout en soulignant la nécessité de la voir évoluer.

Pourquoi la RMN ? Elle assure une fonction de mutualisation qui n’est pas négligeable. La création d’un établissement public peut engendrer des coûts de structure qui ne plaident pas toujours pour la « démutualisation », surtout dans un contexte de rareté de la subvention publique. Si un service d’édition au Louvre se justifie, en raison de l’importance de son activité, la question se pose pour Orsay mais elle n’a aucun sens pour Guimet. La RMN travaille à la valorisation et à la diffusion des œuvres, et les compétences qu’elle centralise, et qui n’existent pas toujours dans un musée, contribuent à une mise en valeur dynamique du patrimoine. L’édition des catalogues et le management des grandes expositions, la gestion des boutiques, l’agence photographique et la diffusion des fonds patrimoniaux des collections nationales, les acquisitions complexes, tout cela est important. Éclatées dans les musées, ces fonctions auraient un coût très supérieur pour les finances publiques.

En outre, la RMN offre l’image d’un champion français à l’international. Ainsi, pour monter l’exposition « Picasso et les maîtres », elle s’est révélée un véritable atout pour obtenir des prêts remarquables contribuant ainsi au succès public. La RMN est un élément de la compétitivité culturelle de la France et donne à Paris, en enchaînant les manifestations importantes, une visibilité internationale dans le temps. La gestion des galeries du Grand-Palais par la RMN renforce son lien avec les musées. Un montage réunissant le service des expositions du Louvre et d’Orsay autour d’un projet spécifique serait possible ; mais serait-il aussi efficace et moins coûteux sur le long terme ?

Les autres établissements peuvent être critiques à l’égard de la RMN, c’est vrai, et la culture quasi monopolistique de cette institution, qui date de 1895, doit encore évoluer. Cependant, la contractualisation est une démarche volontaire, qui donne lieu à des échanges et à une mise en concurrence, et il est arrivé que la RMN apparaisse comme le candidat le plus opérationnel et le plus efficace, dans le cadre d’une mise en concurrence. L’attribution à la RMN de la gestion des boutiques du musée du Quai-Branly le prouve.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Les musées sont fortement incités à travailler avec elle !

Mme Marie-Christine Labourdette. Ce n’était pas le cas du musée du Quai-Branly.

Par ailleurs, l’incitation peut relever d’un choix politique. Il peut être de bonne gestion de mutualiser les moyens. Les musées n’ont pas toujours envie d’entendre ce discours, mais la RMN peut porter des projets qui n’auraient pas le même impact sans elle. Le ministère de la Culture est attaché au rôle de cet acteur de la politique muséale. Cette plate-forme de mutualisation rend tangible la cohérence de certains éléments de la politique nationale, les établissements publics obéissant eux, au principe de spécialité et à des objectifs de développement spécifiques. Il est normal de se demander qui est le mieux placé pour valoriser le cœur scientifique du musée sur lequel la RMN n’intervient pas mais peut apporter son soutien par ses compétences sur des domaines complémentaires. Souvenez-vous, par exemple, qu’il ne lui a pas fallu plus de deux mois pour monter « La force de l’art », à la satisfaction de tout le monde, parce qu’elle était reconnue des professionnels, et cela même si la création contemporaine n’est pas du tout sa spécialité. Elle apporte donc une vraie complémentarité.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Les musées disent que les relations sont parfois difficiles. La Cour des comptes indique qu’il existe des tensions entre le Louvre et la RMN et recommande d’assigner des limites à chacun des acteurs. Quel est le bon équilibre à trouver dans l’intérêt de la politique muséale nationale ? Elle a constaté des tensions récurrentes entre la RMN et le Louvre à propos du logo, de l’édition et de la production des expositions. Là-dessus, les parties se sont entendues, mais subsiste le conflit à propos des droits sur les photos et de l’agence photographique.

Il semble manquer encore au Louvre une comptabilité analytique en coût complet de certaines activités désormais développées en propre, alors qu’elle existe à la RMN.

Mme Marie-Christine Labourdette. L’acmé des tensions a permis des avancées. Le transfert à titre gratuit de la marque semi-figurative du Louvre a été proposé par la RMN, mais il reste à trancher un vrai sujet de politique globale, à savoir l’agence photographique et l’exploitation du fonds photographique. Le ministère réfléchit à faire de la RMN l’agence photographique patrimoniale du ministère chargée d’exploiter les fonds photographiques des collections nationales. Si leur utilisation à des fins scientifiques ne pose pas de problème, il n’en va pas de même de leur exploitation à des fins commerciales. Les objets représentés étant donnés en garde aux musées mais appartenant à l’Etat, il est légitime d’arrêter une politique globale. Il faut créer un acteur dont le poids soit suffisant pour se positionner sur le marché et résister à la concurrence internationale. Ce pourrait être la RMN, à condition que les relations avec les établissements soient définies dans un cadre contractuel très clair.

M. Guillaume Boudy, secrétaire général du ministère de la Culture et de la communication. Je voudrais rassurer la MEC. Une réflexion intense est en cours sur la RMN, d’autant que la RGPP prévoit un plan stratégique la concernant et un réexamen de ses relations avec les services à compétence nationale. C’est l’occasion de se demander qui doit porter aujourd'hui les quatre grandes fonctions de la RMN.

La première de ces fonctions est la mutualisation. Elle est remise en cause par la création d’établissements publics, qui ne constitue cependant pas une solution pour les derniers petits SCN au-dessous de la taille critique. Faut-il alors opter pour la gestion directe par le ministère – mais ce n’est pas le sens de l’histoire – ou faire appel à un opérateur qui, après restructuration, pourra gérer efficacement un plus petit nombre de SCN ?

Deuxième fonction : l’ingénierie culturelle. Dans ce domaine, la RMN fait bien son travail. Elle dispose d’un vrai savoir-faire pour obtenir des prêts de la part de grandes institutions et assurer la logistique qui va de pair. Elle gère avec beaucoup d’efficacité les galeries nationales du Grand Palais.

Troisième fonction : la gestion des bases de données publiques numériques, que nous nous faisons un devoir de diffuser, en particulier par le biais de l’agence photographique. À cet égard, les relations entre la RMN et les autres établissements ne sont pas clarifiées. Il s’agira dans les mois qui viennent d’affirmer la politique de l’État quant à la gestion du fonds photographique. Le fonds, très important, ne demande qu’à être valorisé. Le différend avec le Louvre qui, fort de son autonomie, a pris position, soulève le problème de la valorisation des collections numériques qui sont mises en ligne sur le site « culture.fr ». Devra-t-elle être assurée en régie directe par l’État ou confiée à un opérateur ? Après le rapport de la Cour des comptes, la ministre devra décider s’il faut procéder en interne – la RMN a développé un très beau site, L’histoire par l’image, qui prouve un vrai savoir-faire – ou mobiliser une agence de l’État.

Quant à la commercialisation – quatrième fonction –, c'est-à-dire la gestion des boutiques, la réflexion en cours explore deux pistes : la filialisation des activités, avec les coûts immédiats qu’elle implique en regard du potentiel de création de valeur, sachant que la fin des concessions au Louvre et à Versailles signifie une perte de 60 % du chiffre d’affaires, ou la prise en charge par un EPIC, à la condition que celui-ci puisse faire aussi bien. Avec l’autonomie et la création d’établissements publics, le contexte change, et le moment est venu de conduire une réflexion que nous devons au contribuable, aux musées et aux personnels de la RMN. Avec son statut d’EPIC, la RMN rendait des services aux SCN rattachés hiérarchiquement au ministère en faisant tout ce que l’État ne souhaitait pas gérer directement.

Comment donner aujourd’hui plus de transparence à la relation entre la RMN et les musées ? Par des relations financières plus claires et plus équilibrées, en particulier en mettant fin aux restitutions forfaitaires. Le circuit était tel qu’une augmentation de la fréquentation d’un musée ne se traduisait pas immédiatement dans ses ressources. Le chantier est ouvert et la ministre en rend compte devant le comité de suivi de la RGPP que tiennent le secrétaire général de l’Élysée et le directeur de cabinet du Premier ministre.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Venons-en à la mise en place d’une dynamique partenariale entre la tutelle et les musées par le biais des contrats de performance. Quel bilan tirez-vous des six ans de contractualisation avec le Louvre ? Une contractualisation de ce type peut-elle s’envisager avec d’autres établissements et, le cas échéant, à partir de quelle « masse critique » ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Le Louvre a été le premier – une fois de plus – à bénéficier d’un contrat de performance et il a essuyé les plâtres des nouvelles modalités de la tutelle. Les éléments sont suffisamment positifs pour envisager la généralisation de la contractualisation à tous les musées ayant statut d’établissement public. Cela étant, le Louvre a signé un contrat particulier qui porte non seulement sur les performances, mais aussi sur les moyens.

Pour les opérateurs de moindre importance, un contrat est essentiel : il leur permettra de se projeter à moyen terme, de construire une stratégie en fonction des exigences de la tutelle, et aussi de tracer des perspectives en adaptant leur politique scientifique, d’investissement et de personnel. À cet égard, la programmation triennale des lois de finances, en offrant plus de visibilité, facilitera l’exercice. Cette programmation permet de sortir du cadre annuel où se négocie une hausse autour de la moyenne, et de s’interroger, au premier euro, sur la politique suivie par le musée.

S’agissant de la contractualisation, la question n’est pas tant la taille que la fonction assignée au musée dans la politique culturelle. De petits musées comme Fontainebleau ou Picasso vont prendre leur autonomie, et le contrat de performance sera utilisé notamment pour leur donner des objectifs en matière d’ouverture et de politiques des publics. La politique culturelle se construit mieux avec les contrats de performance. Ils sont l’occasion d’un dialogue stratégique de meilleure qualité sur la base d’une évaluation partagée en précisant les responsabilités respectives. En outre, ce contrat de performance donne lieu à une évaluation a posteriori qui sert à définir les besoins. Quelle que soit la taille du musée, ce mode de gouvernance globale présente un intérêt.

Cela étant, la contractualisation doit donner lieu à des échanges plus fréquents entre la tutelle et les établissements de grande taille. C’est pourquoi, en accord avec Guillaume Boudy, nous avons mis en place depuis six mois des conférences de tutelle faisant intervenir le directeur de cabinet de la ministre, les responsables des établissements publics et les directions de tutelle pour dialoguer autour du contrat et des objectifs.

M. Georges Tron, Président. Ces conférences portent-elles sur ce que l’on attend de l’établissement ou sont-elles l’occasion d’exposer les objectifs propres du ministère en termes de gestion, notamment immobilière, et de ressources humaines ?

M. Guillaume Boudy. Le contrat de performance ne fait pas tout. La négociation est un moment fort, mais, ensuite, il faut garder le contact. Une réflexion transversale aux directions du ministère est menée sur la modernisation de la tutelle. Il convient de renouveler les outils qui existent et de les généraliser. Les objectifs du contrat de performance sont repris dans une lettre de mission adressée au président de l’établissement public au moment de sa nomination, et se décline annuellement en lettre d’objectifs assortis d’indicateurs, lesquels servent à fixer les éléments variables de rémunération. Cette procédure est en train de se généraliser. Mais au quotidien, il n’y avait pas de lien structuré et l’on a voulu, dans le cadre de la réforme du ministère, clarifier le rôle de chacun et mettre en place des outils de dialogue.

La répartition des rôles dépend quant à elle de la taille des établissements. Après de nombreuses discussions avec les directions de « métier », nous nous efforçons – nous y travaillons avec Bercy – que la responsabilité des programmes budgétaires incombe aux directeurs généraux. Cette fonction devra aller de pair avec l’exercice de la tutelle, en termes de « métier », mais aussi sur le plan administratif et financier. Or, aujourd'hui, la tutelle administrative et financière est assurée principalement par le bureau des opérateurs au sein du secrétariat général. Nous souhaitons donc modifier le schéma par une montée en puissance des directions générales, qui mutualiseront leurs moyens en personnel. Un premier mouvement est engagé puisque, dès 2009, la tutelle administrative et financière des petits établissements devrait être transférée aux directions de métier. Outre son rôle d’arbitrage, d’expertise, de support et de coordination de la politique transversale, qu’il gardera, le secrétariat général conservera la charge de l’identification et de la maîtrise des risques, qu’ils soient d’ordre budgétaire ou juridique. Ce sera son cœur de métier.

Pour la vingtaine de gros établissements publics qui demeureront dans un premier temps sous la tutelle administrative et financière du secrétariat général, le pragmatisme prévaut et la montée en puissance des directions générales prendra du temps. Nous nous acheminons vers une responsabilisation plus grande des directions générales, le secrétariat général assurant la cohérence d’ensemble de la tutelle et la surveillance de deuxième niveau.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Le secrétariat général souhaite-t-il une direction spécialisée dans le contrôle ?

M. Guillaume Boudy. Oui. Le bureau des opérateurs, soit une dizaine d’agents, exerce déjà une tutelle effective en siégeant aux conseils d’administration. Mais cela prend du temps et n’aide pas à réfléchir à la doctrine de la tutelle administrative et financière. La cellule concernée pourra analyser les résultats remontés par les systèmes d’information, en faire la synthèse, et évaluer les risques. Des indicateurs lui serviront à améliorer les comparaisons entre établissements, y compris au niveau international. Cela suppose la mise en place d’une comptabilité analytique dans les établissements publics – elle fait défaut au Louvre, mais elle fera partie du contrat de performance.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Pour décider de l’opportunité de contractualiser, la taille n’importe pas autant que la dimension culturelle.

Mme Marie-Christine Labourdette. Exactement. Le principe du contrat, c’est surtout la responsabilisation de l’opérateur, et il vaut quelle que soit sa taille. Mais on n’aura pas les mêmes exigences pour tout le monde.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. En matière de ressources humaines et de gestion, le Louvre a été un précurseur puisqu’il est responsable de ses ressources humaines depuis 2003. Quelle appréciation portez-vous sur cette délégation ? L’étendrez-vous à d’autres, qui « trépignent » d’impatience ? La gestion des ressources humaines est contrainte parce qu’elle s’inscrit dans un cadre unique commun à tous les musées. Ainsi, le Louvre éprouverait des difficultés à pourvoir des postes entre deux concours. Faut-il lui donner plus de souplesse ?

M. Georges Tron, Président. Sur ce sujet, M. Loyrette s’est montré très précis, et très critique.

M. Guillaume Boudy. Le sujet est important compte tenu du nombre de personnes en jeu. Le Louvre et la BNF ont bénéficié de plus de liberté, Versailles et Orsay la réclament, mais les syndicats dénoncent un démantèlement du ministère. Nous sommes placés entre le marteau et l’enclume. La doctrine est difficile à définir, notamment à cause du problème de la masse critique des effectifs. Le ministère de la Culture est un petit ministère, comptant environ 30 000 agents, dont à peine 12 000 en gestion directe. Quel est le seuil au-dessous duquel il ne faut pas passer ? Se pose également la question de la cohérence des statuts et du traitement différencié entre les petits établissements et les grands. Il y a urgence à décider. Bercy a été sollicité pour diligenter une inspection conjointe avec les affaires culturelles, qui sera chargée de faire un bilan des transferts déjà engagés. A-t-on dédoublé les équipes en créant des directions des ressources humaines dans les établissements ? A-t-on tiré toutes les conséquences de ce transfert au niveau de l’administration centrale ? Doit-on aller plus loin pour rationaliser le système ?

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Un grand pas a été franchi en 2003. Et l’histoire va plutôt dans ce sens.

M. Guillaume Boudy. Certes, un retour en arrière serait difficile, mais faut-il aller plus loin ? Le débat avec le Louvre et la BNF tourne autour des commissions administratives paritaires chargées de la discipline et des promotions. Faut-il en créer au niveau local ou instituer des pré-CAP ? Par ailleurs, cette délégation pose la question de l’égalité de traitement, à laquelle les syndicats sont très sensibles et qu’il est d’ores et déjà difficile d’assurer puisque les régimes indemnitaires diffèrent selon que les agents sont fonctionnaires ou contractuels. Faudrait-il créer un statut propre aux grands musées ?

M. Georges Tron, Président. Il s’agit là d’un vrai sujet. Au-delà du cas des musées, le ministère de la Culture est emblématique de l’évolution de la gestion du personnel des établissements publics. On y constate une diminution rapide et drastique des effectifs de l’administration centrale, qui sont passés de 17 000 à 12 000, tandis que ceux des établissements publics augmentaient dans le même temps de 7 000 ou 8 000 à 17 000. Indépendamment de l’importance incontestable de la politique culturelle, la commission des Finances doit envisager la question sous l’angle de la dépense publique.

Mme Marie-Christine Labourdette. Parmi les avantages à porter au crédit de la gestion directe du personnel par l’établissement, figure la souplesse qui contribue à améliorer l’efficacité du système.

Concernant les difficultés de recrutement du Louvre, je rappelle que cet établissement est autorisé à recruter des vacataires entre les concours, de sorte que la continuité du service public n’est pas rompue.

Quant aux inconvénients, le rapport de la Cour des comptes a souligné que la générosité de la politique sociale du Louvre pouvait susciter l’envie de la part d’autres personnels du ministère. La faculté de créer des emplois doit aller de pair avec le devoir de rendre compte à la tutelle de leur rentabilité et de leur optimisation. Le Louvre et le ministère travaillent ensemble sur ce chantier.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Au Louvre, justement, il y a tout de même moins de jours de fermeture et quasiment plus de grève. En dépit de la grève nationale du mois de janvier, le musée est resté ouvert, ce qui aurait été impossible il y a quelques années. Les gages donnés en matière salariale ont permis de modifier l’image du musée. Une comptabilité analytique permettrait de savoir si l’on a acheté la paix sociale, et à quel prix.

M. Guillaume Boudy. La mobilité entre l’administration centrale et les établissements est également examinée, et elle est d’autant plus nécessaire que les effectifs de l’administration centrale se réduisent. Il reste à mettre en place des outils de partage, une sorte de bourse ministérielle de l’emploi, et nous y travaillons.

M. Georges Tron, Président. La loi sur la mobilité entre les fonctions publiques va vous y aider.

M. Guillaume Boudy. Sûrement, mais à la condition d’organiser la fluidité de l’information. On a décentralisé les emplois au Louvre et à la BNF, mais sans créer en contrepartie d’outils de pilotage suffisants. Il y a certes des plafonds d’emplois, mais ce qui existe est soit tatillon, soit incomplet. La délégation, si elle se poursuit, se doublera de la mise en place d’outils d’information et de contrôle.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. La diminution des emplois publics a-t-elle, ou aura-t-elle, un impact sur l’ouverture des établissements ? Si aujourd’hui le Louvre ouvre bien davantage ses salles, et sur une plus grande amplitude horaire, n’est-ce pas grâce à des recrutements ?

M. Guillaume Boudy. Au-delà du dynamisme des dirigeants, qui a beaucoup compté dans le développement du Louvre, l’État a, depuis six ans, consenti en sa faveur des efforts importants, sur le plan financier comme sur le plan humain. Les ressources propres ont donné de l’air et des recrutements, dits emplois « mécénés », ont pu être autofinancés. Mais nous sommes entrés dans une phase de maîtrise accrue des dépenses et la question que vous posez sera abordée avec le Louvre dans le cadre de la négociation de son prochain contrat de performance. Il portera aussi sur les gains de productivité et l’éventualité de transferts complémentaires de responsabilité en matière de gestion de ressources humaines. Aujourd'hui, l’accroissement des ouvertures de salles et de l’amplitude horaire se traduit mécaniquement par des demandes de recrutement. Or le plafond d’emplois du ministère accuse, pour 2011, une baisse très sensible.

M. Georges Tron, Président. Le contrôle, en loi de finances, des plafonds d’emplois chez les opérateurs va modifier considérablement la donne, et le Parlement y gagnera des pouvoirs substantiels.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. En ce qui concerne les gains de productivité, j’avais mentionné, dans mon premier rapport spécial, le statut très particulier des veilleurs de nuit du Louvre. J’ai visité beaucoup de musées et de fondations, et je pense que le régime de récupération du travail de nuit au Louvre et à Orsay atteint un record mondial. Il faudra expliquer à la MEC pourquoi il est si favorable.

M. Guillaume Boudy. Ce point d’organisation du travail relève de la négociation établissement par établissement. Il est plus facile, je le sais pour avoir dirigé un EPIC, de négocier avec les syndicats quand on a la pleine responsabilité de la politique du personnel. Le Louvre a l’ambition d’ouvrir davantage, y compris en nocturne, et il faudra bien mettre sur la table la question du coût, d’autant que les emplois sont désormais sous plafond.

Mme Marie-Christine Labourdette. La mise sous tension des effectifs a pu se traduire, notamment dans les services à compétence nationale qui entrent dans les plafonds du ministère, dans les horaires d’ouverture des salles au public pour tenir compte de la raréfaction de la force de gardiennage dans certains établissements. Les établissements publics aussi vont devoir se soumettre à l’exercice.

Le régime des agents de nuit est un sujet dont les motifs sont historiques. Nous sommes conscients qu’une évolution est nécessaire, le Louvre également, et les discussions avec les organisations syndicales sont ouvertes, mais le sujet est récurrent. Les expériences d’externalisation menées dans certains SCN sont sans doute une piste à creuser.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Je ne dis pas que c’est simple, mais c’est choquant.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Abordons la question du mécénat. Il permet de desserrer des contraintes financières fortes, mais peut-il encore s’étendre ? Nous sommes prisonniers d’un dilemme : favoriser la culture ou créer une niche fiscale. Pour nous éclairer, existe-t-il une typologie des mécénats, par exemple entre grandes et petites entreprises ? Avec quel accompagnement fiscal faut-il le développer ? Comment se positionnent les grands musées français par rapport à leurs homologues étrangers ? Quels avantages y voyez-vous, et quels inconvénients tels que le risque de « cannibalisation » du mécénat par les grands établissements ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Le mécénat est une source de financement extrêmement précieuse et très complémentaire des ressources propres et des subventions de l’État. Il est un recours dans trois domaines.

On distingue, premièrement, le mécénat d’investissement, qui permet de mobiliser des ressources dans des délais plus resserrés pour financer un investissement prioritaire. Il s’agit par exemple de la restauration de la Galerie des Glaces par Vinci ou de la création d’un département des arts de l’Islam au Louvre. Ces opérations améliorent substantiellement la qualité de l’offre muséale, ce qui est très important pour les grands musées, qui gagnent en attractivité. Dans des musées plus petits, mais au prestige réel, ce mécénat reste possible – Fontainebleau a ainsi trouvé un mécène pour restaurer son théâtre impérial – puisqu’il est le fruit d’un objectif partagé entre le musée et le mécène.

Deuxièmement, le mécénat contribue, par le biais de dispositifs fiscaux, à l’enrichissement des collections par le biais des trésors nationaux et des objets d’intérêt patrimonial majeur. Il revêt toujours une grande importance et notre partenariat avec le ministère du Budget est très fructueux. L’article 238 bis OA du code général des impôts a servi à acquérir, en 2007 et 2008, une dizaine d’œuvres, dont une moitié est allée aux musées nationaux, et l’autre aux musées des collectivités, ce qui prouve que les premiers n’ont pas capté la procédure à leur profit. Le quarantième anniversaire de la loi sur les dations vient d’être célébré. La première œuvre à avoir rejoint les collections publiques dans ce cadre a été le portrait de Diderot par Fragonard, et la dernière un portrait de Martial Raysse qui appartenait à Georges Pompidou. Cette loi a prouvé sa pertinence et sa très grande sélectivité dans le choix des œuvres.

M. Georges Tron, Président. Où situez-vous le point d’équilibre au regard de l’impact fiscal ? Faut-il aller plus loin et créer d’autres niches ?

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Avez-vous pu évaluer le coût du mécénat pour l’État ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Chaque année, il est procédé à l’évaluation de la dépense fiscale correspondante et le système a atteint un point d’équilibre satisfaisant, à un ou deux détails près. Les musées et les acteurs économiques se sont approprié le mécanisme, et le marché est mûr – il l’était du moins avant la crise. En tout cas, le dispositif a servi à ce pour quoi il était conçu. Il n’y a eu ni abus ni détournement.

Troisièmement, il existe un mécénat spécifique autour des grandes expositions, qui correspond à un partenariat de notoriété utile aussi à la cohérence interne de l’entreprise. Nous avons un excellent retour, tant des entreprises que des musées. Les équipes de Vinci ont ainsi été frappées par l’utilisation exceptionnellement élevée par les salariés du groupe de la carte de visite gratuite de la Galerie des Glaces. C’était du jamais vu dans la politique sociale de l’entreprise. Cette opération a rencontré une adhésion véritable du personnel.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Venons-en à la gratuité. Quel est son coût, maintenant qu’elle ne s’applique plus qu’aux visiteurs de moins de vingt-six ans, du moins provisoirement ? Comment la compenser quand l’argent public se fait rare ? Cette mesure ne crée-t-elle pas un effet d’aubaine pour les touristes étrangers, qui sont nombreux ? Au Louvre, ils représenteraient les deux tiers des visiteurs. Par ailleurs, la gratuité ne dissimule-t-elle pas l’idée que la culture ne vaut rien, avec les conséquences que cela peut avoir, notamment sur les droits d’auteur ? Enfin, n’a-t-elle pas pour contrepartie le relèvement du prix des expositions temporaires, afin de compenser le manque à gagner ?

Bref, la gratuité était-elle la meilleure façon de dépenser de l’argent en faveur de la démocratisation culturelle ? Autrement dit, le prix est-il la vraie barrière à l’entrée au musée ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Les mesures annoncées à Nîmes par le Président de la République sur la gratuité sont fondées sur le résultat de l’expérimentation qui a eu lieu entre le 1er janvier et le 30 juin 2008. Celle-ci a confirmé que le prix n’est pas l’obstacle majeur à la démocratisation culturelle. L’expérience révèle néanmoins que la gratuité ciblée sur la jeunesse a parfois un effet déclencheur en donnant un caractère festif à la visite, qui ne relève plus alors de l’acte marchand. En conclusion, la démocratisation ne passe pas par la gratuité pour tout le monde, laquelle se traduirait en effet, pour compenser les pertes de recettes, par un relèvement du tarif des expositions temporaires tel qu’il produirait un effet d’éviction, comme on l’observe en Grande-Bretagne où les collections permanentes sont gratuites. La France a choisi une autre voie, plus équilibrée. L’accès est gratuit jusqu’à 18 ans, mais cela ne se sait pas suffisamment, modique au-delà pour les collections permanentes, tandis que le tarif des expositions temporaires reste raisonnable.

L’analyse montre également que la tranche 18-25 ans correspond au moment où les parents cessent d’être prescripteurs en même temps que le pouvoir d’achat se tend. Et là, le prix devient le critère de choix le plus sensible. Dès lors, permettre non seulement aux étudiants, mais aussi aux jeunes actifs, de continuer à bénéficier de la gratuité contribue à faire entrer le musée dans leurs pratiques culturelles et leur donne le goût de poursuivre au-delà de vingt-six ans.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Combien cela coûte-t-il ?

Mme Marie-Christine Labourdette. En année pleine, 24 millions d’euros.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Était-ce la meilleure mesure à prendre ?

Mme Marie-Christine Labourdette. C’est un pari sur l’avenir, mais qui se fonde sur un constat scientifique. La réponse viendra dans quelques années, quand nous examinerons la courbe de fréquentation de ceux qui auront bénéficié de cette mesure.

Cela étant, il n’est pas question de dévaloriser la culture en rendant son accès gratuit. Les expositions temporaires restent payantes pour les 18-25 ans ; l’accès libre est seulement un moyen de les inciter à aller au musée. Par ailleurs, près de 30 % des visiteurs entrent déjà gratuitement dans les musées nationaux : les jeunes, mais aussi les RMIstes, les chômeurs, les handicapés. On ne peut contester que notre patrimoine soit mis à la disposition de nos concitoyens par des tarifs différenciés.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Ces publics, qui bénéficiaient déjà de la gratuité, fréquentaient-ils les musées auparavant ? Si oui, dans quelles proportions ? Les chiffres vous ont-ils aidés à étayer une mesure qui a été très discutée ?

Mme Marie-Christine Labourdette. L’expérimentation a eu au moins le mérite de faire connaître la gratuité à ceux qui pouvaient en bénéficier et qui, souvent, l’ignoraient.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. C’était de la « com » ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Pas seulement. L’expérimentation nous a donné la possibilité de faire connaître à certains publics des droits qu’ils ignoraient. Ils ont saisi l’occasion de la gratuité pour aller au musée. Nous leur avons montré, billet en main, qu’ils pourraient continuer à entrer au musée gratuitement. Nous leur avons ainsi appris que le patrimoine national était la propriété de l’ensemble des citoyens.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Y a-t-il des publics qui ne vont jamais dans les grands musées, notamment au Louvre ?

Mme Marie-Christine Labourdette. En moyenne, entre 55 % et 60 % de la fréquentation des musées est le fait des catégories socioprofessionnelles supérieures et moyennes comprises largement. Les catégories populaires vont beaucoup plus au musée qu’on ne l’imagine : elles représentent environ 30 % de la fréquentation.

L’effet d’aubaine pour les étrangers ne nous a pas échappé, mais nous appliquons strictement le principe communautaire : les jeunes de 18-25 ans de l’Union européenne bénéficient du même avantage que les Français.

Mais il n’est pas question d’entrer dans un musée comme dans une galerie marchande, pour faire sécher son parapluie pendant une averse en regardant trois tableaux. Un billet sera délivré, pour donner au jeune l’impression d’être en quelque sorte invité après une démarche volontaire de sa part. Ce ne sera pas l’acte gratuit de consommation que vous craignez.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Le Louvre s’est doté d’une maîtrise d’ouvrage propre. Qu’en pensez-vous ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Le rapport de la Cour des comptes est exhaustif à ce sujet. Du point de vue de la tutelle, la création d’un tel service est apparue comme légitime compte tenu de l’échelle des projets et de la taille du palais. La Cour a préconisé un audit de la maîtrise d’ouvrage après l’ouverture du département des arts de l’Islam, en 2011. Et nous respecterons sa recommandation. Pour le moment, notre diagnostic est plutôt positif, mais nous sommes d’avis de réserver cette faculté aux très grands établissements : le Louvre et Versailles. Pour Orsay, c’est déjà moins légitime. Il existe au sein du ministère une structure – l’ÉMOC, l’établissement public de maîtrise d’ouvrage des travaux culturels – dont c’est la vocation, et il n’y a pas de raison de ne pas utiliser les compétences mutualisées.

M. Guillaume Boudy. Il y a un effet « taille », mais il faut s’assurer aussi de la pérennité du besoin.

M. Georges Tron, Président. Le rapport de la Cour des comptes sur les grands chantiers culturels décrit les différents systèmes expérimentés ces dernières années, c'est-à-dire le Service national des travaux, l’ÉMOC et le Quai-Branly. À l’époque, aucun n’avait apporté les preuves de sa supériorité sur les autres. Le problème résidait dans les pratiques professionnelles, notamment la programmation, plutôt que dans le dispositif institutionnel. La Cour appelait donc à un audit très attentif du transfert de la maîtrise d’ouvrage au Louvre, sur lequel elle paraissait quelque peu circonspecte. Il conviendra d’examiner attentivement ses résultats.

M. Guillaume Boudy. Nous sommes en train de mettre en place, comme la Cour des comptes le préconisait dans son rapport sur les grands projets chantiers culturels, un comité d’instruction et de suivi des grands projets. Présidé par le secrétaire général, il réunira la maîtrise d’ouvrage et des spécialistes. Il validera la programmation et suivra les réalisations.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Passons à la décentralisation culturelle. Un grand quotidien économique titrait récemment : « Louvre-Lens : la dynamique de développement au point mort ».

Mme Marie-Christine Labourdette. C’est excessif !

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Sans doute. Mais où en est le projet ? L’effet de levier qu’on en attendait sur le territoire est-il observable ? Et si, d’aventure, vos conclusions étaient positives, envisageriez-vous d’autres projets de ce type ? Quel serait le rôle du ministère dans les initiatives qui pourraient éclore ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Le Louvre-Lens est un projet très intéressant, qui marque une évolution de la politique muséale. Il prolonge une politique très ancienne de projection sur le territoire des collections nationales qui a pris la forme au XIXe siècle de dépôts de l’État dans les musées de province. Le Louvre-Lens en est en quelque sorte le dernier avatar. L’initiative en revient au ministère de la Culture, qui entend affirmer la responsabilité des grands établissements publics comme tête de réseau de la politique d’aménagement culturel du territoire et de mise à la disposition de zones déshéritées des richesses de notre patrimoine national. La mobilisation des collectivités partenaires est très forte puisque la totalité de l’investissement et du fonctionnement sera financée par les collectivités locales. Le problème vient de ce que l’on construit toujours des bâtiments qui sont des prototypes dont la finalisation est complexe. Des réajustements sont en cours, pour mieux cadrer avec les prévisions budgétaires, et le chantier va démarrer avec un peu de retard.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. C’est plus simple pour Abou Dabi !

Mme Marie-Christine Labourdette. Nous n’en sommes pas au même stade. À Lens, la mobilisation des acteurs est telle qu’elle simplifie les choses. Quant à l’effet Bilbao, il devrait se produire d’autant que, lors du dernier comité de pilotage, il y a dix jours, le président de la région Nord-Pas-de-Calais a annoncé la création de l’association Euralens, qui rassemblera l’ensemble des acteurs impliqués dans l’aménagement des infrastructures destinées à accompagner l’implantation du musée. Le Centre Pompidou suivra la même démarche en s’installant à Metz. Faut-il en faire un système ? C’est difficile à dire, car il faut prendre la mesure de la mobilisation que de tels projets requièrent. Une voie d’avenir pourrait consister en des formules plus souples et plus légères de partenariat, qui permettent à des musées nationaux de se projeter en région, comme Orsay à Giverny autour d’un établissement public de coopération culturelle. Le ministère de la Culture est convaincu, tout comme les collectivités territoriales, qu’il est dans l’intérêt de tous de faire des musées un vecteur de développement, pourvu que la démarche soit partenariale.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Au vu de tous ces éléments, le Louvre est-il en train de devenir une marque ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Il l’était déjà ! Pensez aux difficultés du transfert de son logo ! Plus généralement, au-delà de la marque commerciale, le Louvre est surtout un symbole et un emblème, jadis d’un conservatisme poussiéreux – songez à la noce qui se promène au Louvre dans Germinal –, aujourd'hui de l’hyperdynamisme et de la compétitivité de la culture française. Tout le monde est fier du Louvre, qui a prouvé que les musées portent au plus haut la qualité de la culture française en alliant exigence et efficacité, y compris sur le plan international. La projection du Louvre à l’étranger a donné lieu à un accord intergouvernemental qui atteste du lien avec la politique étrangère.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Nous vous transmettrons par écrit nos questions sur Abou Dabi.

M. Georges Tron, Président. Je remercie chacun d’entre vous.

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