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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mission d’évaluation et de contrôle

Services départementaux d’incendie et de secours

Jeudi 12 mars 2009

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 7

Présidence de M. David Habib Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Niquet, préfet de la région Lorraine et de la Moselle, préfet de la zone de défense Est

M. David Habib, Président. Nous sommes heureux d’accueillir M. Bernard Niquet, préfet de la région Lorraine et de la Moselle, préfet de la zone de défense Est, après que nos trois rapporteurs – M. Georges Ginesta, membre de la commission des Finances, M. Thierry Mariani et M. Bernard Derosier, tous deux membres de la commission des lois – ont souhaité entendre un préfet de zone concernant son rôle dans la mise en œuvre et la coordination de la sécurité civile.

Déjà ce matin, lors de l’audition de différents acteurs de la société civile, dont trois directeurs de services départementaux d’incendie et de secours – SDIS – et deux représentants de l’Assemblée des départements de France (ADF), la question de la gouvernance et du rôle de l’État, donc des préfets, a été soulevée à plusieurs reprises.

M. Thierry Mariani, Rapporteur. Monsieur le préfet, je commencerai par une question provocante : le préfet a-t-il encore sa place dans le dispositif, sachant – point sur lequel les présidents de conseil général que nous avons auditionnés ont appelé notre attention –, d’une part, que les maires exercent un pouvoir de police, et d’autre part, que c’est le département qui paie en la matière ?

M. Bernard Niquet. Avant de répondre à votre question, afin de mieux présenter mon rôle, permettez-moi de vous parler de la zone de défense Est, dont je suis le préfet. Cette zone est très grande puisqu’elle comprend 900 kilomètres de frontières – avec la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne et la Suisse – et recouvre cinq régions – la Lorraine, dont je suis le préfet, l’Alsace, la Champagne-Ardenne, la Bourgogne et la Franche Comté – et dix-huit départements. C’est une zone confrontée à d’importants risques technologiques puisqu’elle compte une centrale de production nucléaire, cinquante-cinq établissements industriels, cinq grands barrages, des dépôts pétroliers, trois installations prioritaires de défense et douze établissements classés « Seveso seuil haut ». Elle est régulièrement traversée par des matières dangereuses, en particulier par le train Castor, qui achemine les déchets nucléaires de La Hague vers l’Allemagne.

La zone de défense Est doit faire face à des risques liés aux infrastructures routières, en raison de la présence de grands tunnels, et à des risques ferroviaires, avec les lignes TGV Sud et Est, des gares importantes, les ports de Strasbourg et de Metz, et des aéroports – Bâle-Mulhouse, Strasbourg, Metz-Nancy-Lorraine, Chalons-Vatry.

Elle doit également faire face aux risques naturels que sont les inondations, avec trente-deux cours d’eau répertoriés, et les séismes, ainsi qu’aux risques liés à des manifestations comme le Bol d’Or, sur le circuit de Nevers-Magny-Cours, les Eurockéennes de Belfort et divers grands rassemblements de gens du voyage. C’est ainsi que l’été dernier, une vingtaine de milliers de gens du voyage se sont rassemblés, avec 3 000 caravanes, sur la base de Toul-Rosières, dans le département de Meurthe-et-Moselle.

Une telle situation nécessite une approche supradépartementale, seule susceptible de mobiliser des moyens exceptionnels, de mutualiser les formations et de planifier les opérations, tout en laissant la gestion de crise aux acteurs les plus proches que sont les préfets de département et les maires, ceux-ci conservant au sein de leur commune la plénitude de leurs attributions.

Lorsque surviennent des crises, le préfet de département assure la coordination entre les services de gendarmerie, de police nationale, les SDIS et divers services de sécurité comme le SAMU et le SMUR.

Le préfet de zone, quant à lui, assure la mise en cohérence des moyens lors de crises importantes qui ne peuvent être assumées par le seul département, sans toutefois se substituer aux autorités locales. Voilà quelques jours, nous avons participé, au sein de la zone de défense Est, à un exercice national de pandémie grippale, qui a mobilisé les centres opérationnels tant au niveau national que zonal. De même, nous contribuons à la préparation du prochain sommet de l’OTAN, qui se tiendra à Strasbourg les 3 et 4 avril en planifiant le dispositif de secours, en relation avec les dix-huit SDIS de la zone. L’aspect opérationnel de cette opération, qui représente la mobilisation de 300 engins et de 1 100 personnes, sera confié aux préfets des départements concernés et au préfet de la région Alsace.

Le préfet, représentant de l’État, a donc toute sa place dans le dispositif. Il ne s’agit pas d’un retour de l’État, celui-ci n’ayant jamais été absent, mais d’un travail de « coproduction ». Lorsque survient une crise grave ou un accident, le préfet est chargé de la préparation des opérations et de la mise en œuvre des plans, en collaboration avec l’ensemble des partenaires.

Nous savons tous, monsieur le député, que lorsque survient un drame, qu’il soit lié au vent, au feu, au froid ou à l’eau, c’est vers le préfet, donc vers l’État, que se tourne la population. C’est au préfet qu’il appartient de répondre aux questions qu’elle se pose, avec ses moyens propres et, si nécessaire, des moyens externes. Sa place est donc pleine et entière dans le dispositif. Afin de pouvoir faire face, jour et nuit, aux drames qui surviennent, le préfet est en contact permanent avec le terrain. Généralement, le sous-préfet de permanence ou le directeur de cabinet du préfet filtre les informations et juge s’il convient que le préfet se rende sur les lieux du drame. Ce dernier, je le répète, est irremplaçable dans la gestion des crises quotidiennes. Je suis préfet depuis plusieurs années, et j’ai souvent été confronté à des drames. Tous ont nécessité ma présence aux côtés du maire de la commune.

M. Thierry Mariani, Rapporteur. Vous parlez de coproduction. Il y a pourtant bien quelqu’un qui paie.

M. Bernard Niquet. Dois-je rappeler que l’effort de l’État en matière de sécurité civile avoisine les 900 millions d’euros ?

Il est vrai que, par l’intermédiaire du préfet, c’est finalement l’État qui commande, mais il le fait à parité avec les maires, qui sont des élus. En matière de gestion des risques, les schémas départementaux d’analyse et de couverture des risques ne sont arrêtés par le Préfet qu’après avoir été approuvés par le conseil d’administration du SDIS, auquel sont associés les membres du conseil général et les maires, également associés au niveau national dans le cadre de la Conférence nationale des services d’incendie et de secours (CNSIS). Il s’agit donc bien d’une coproduction.

Souhaitez-vous, monsieur le député, que le préfet disparaisse de la coordination ?

M. Thierry Mariani, Rapporteur. Pas du tout ! Compte tenu des risques qui existent dans votre région, il est évident que l’État a un rôle à jouer. Mais je ne suis pas persuadé que la présence du préfet soit nécessaire lors des accidents de la circulation, par exemple.

M. Bernard Niquet. Monsieur le député, en juin dernier, un dramatique accident de la route s’est produit près de Metz. Je me suis naturellement rendu sur les lieux, où se trouvaient le sous-préfet de Forbach, territorialement compétent, et les services de gendarmerie. Je n’ai pas eu à prendre la moindre décision, car les dispositifs de secours ont très bien fonctionné, mais je considère que ma présence était indispensable. Et je puis vous assurer que le maire était heureux de pouvoir compter sur le préfet pour annoncer aux parents la mort de leur enfant ! Par mon intermédiaire, c’est l’État qui était présent.

Ce drame m’a permis en outre d’insister auprès du président du conseil général pour que soit enfin installé un radar sur ce tronçon routier. L’État régalien ne doit pas se contenter, avec le préfet, d’exercer son autorité : il doit apporter une valeur ajoutée et faire preuve d’humanité lorsque des drames affectent nos concitoyens.

M. Bernard Derosier. Bien loin de nous l’idée de vouloir diminuer le rôle des préfets. Cependant, estimez-vous, en votre qualité de préfet de département, que le président du SDIS pourrait, au même titre que le maire, assumer la responsabilité opérationnelle des opérations ? La coordination entre les SDIS et les SAMU des différents départements de votre zone est-elle satisfaisante ?

M. Bernard Niquet. Le président du SDIS est parfaitement capable d’assurer cette coordination, mais les pompiers, les services de police nationale et de gendarmerie sont sous l’autorité directe et immédiate du préfet de département.

Je reviens sur la notion de coproduction. La responsabilité du maire se limite à la commune, tandis que celle du préfet, plus générale, s’applique lors des crises plus graves qui nécessitent l’intervention d’autres partenaires, et donc une plus large coordination.

S’agissant de celle entre le SDIS et le SAMU, je n’ai pas connaissance du moindre dysfonctionnement dans le département de la Moselle, pas plus que je n’en avais connu dans les départements de la Vienne et des Yvelines. Les comités départementaux fonctionnent en parfaite synergie dans tous les départements.

En matière de santé, l’État, en cas de crise urgente, intervient, dans le cadre de la zone de défense, au moyen des services qui relèvent, d’une part, des agences régionales d’hospitalisation et, d’autre part, du ministère de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Récemment, ces derniers ont été regroupés en DREAL – direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement – dont le directeur, pour la région Lorraine, est également le directeur régional de l’industrie, qui, lui-même, est le correspondant des DREAL des quatre autres régions qui constituent la zone de défense. Il participe ainsi, au niveau zonal, à la planification des risques sur l’ensemble de la zone.

Un tel regroupement n’existe pas pour les actuelles agences régionales d’hospitalisation, ni pour les futurs établissements que seront les agences régionales de santé. Il serait utile que l’État central, à travers le préfet de zone et le préfet délégué pour la zone de défense, dispose d’un interlocuteur unique, qui représenterait l’ensemble des régions. Or, les textes en préparation n’en font pas mention.

M. Georges Ginesta, Rapporteur. Le rôle de coordination et de représentant de l’État assumé par le préfet est incontestable, mais les préoccupations de notre Mission sont essentiellement financières : la réflexion engagée par la commission des Finances a pour objet de faire cesser l’inflation budgétaire, en particulier celle qui affecte les SDIS. L’État maîtrise parfaitement le budget qu’il consacre aux SDIS – même si nous le jugeons insuffisant : bien qu’il assume l’achat des aéronefs, indispensables pour combattre les feux de forêt, ses dépenses sont en effet restées stables. À l’inverse, celles engagées par les SDIS, qui atteignent 4,2 milliards d’euros, ont augmenté depuis 2001 de 45 %.

Les SDIS doivent parvenir à mutualiser leurs achats et à freiner l’embauche permanente de sapeurs-pompiers, dont les salaires représentent presque 80 % des dépenses. Or, leur nombre est passé de 28 000 à 38 000 !

Il convient, en outre, d’éviter les doublons entre l’assurance maladie et les pompiers. Sait-on que celle-là paie pour des ambulances en faction – pour un coût qui dépasse les 300 euros la nuit – et qui, de ce fait, ne sont pas utilisées pendant ce temps dans les hôpitaux, ce qui n’empêche pas que ceux-ci sortent, l’accroissement de leur quantité de travail justifiant ainsi leur demande supplémentaire en matériel et en hommes ? Il faut savoir qui décide, entre le 18 et le 15.

M. Bernard Niquet. Je ne pourrai vous aider à freiner l’inflation du budget des SDIS, mais je vous suggère d’explorer certaines pistes, comme l’utilisation du fonds d’aide à l’investissement – FAI – qui intervient aujourd’hui pour 8 à 10 % de leurs investissements, même si ce fonds, financé par l’État, n’a pas donné les résultats attendus par l’État et la représentation nationale en n’ayant pas su éviter le saupoudrage.

Son objectif était de mettre à disposition des SDIS des matériels utilisables par tous et donc susceptibles d’être mutualisés, mais il a été utilisé différemment selon les zones. Pour le répartir, certaines se sont appuyées sur les quotas de population, d’autres ont préféré soutenir les investisseurs ou encore, comme la zone Est, prendre en compte les aspects fiscaux de chaque département.

Le dispositif avait été salué par la Cour des comptes comme étant le moins mauvais, mais le système fonctionne mal. Lorsque se sont produits les feux de forêt, il y a deux ans, seuls vingt véhicules de feu ont pu être utilisés sur les quatre-vingts véhicules existants, du fait du nombre de sapeurs-pompiers en vacances pendant cette période estivale.

Le FAI, dont le préfet de zone est en quelque sorte le répartiteur, doit évoluer – je parle ici en mon nom personnel, sans engager le directeur de la Sécurité civile ni le ministère de l’Intérieur.

Tout d’abord, l’État a instauré un préciput et conserve une somme de l’ordre de 20 à 23 % de l’ensemble des sommes réparties, ce qui lui a permis de développer les systèmes de communication ANTARES et ACROPOL. Les quelque 80 % restants sont répartis entre les zones par les préfets de zone et entre les SDIS, après avis des commissions locales au sein desquelles, je le rappelle, les élus sont représentés.

La procédure administrative est tellement lourde que les délais sont très souvent dépassés, rendant impossible l’achat des équipements. Il serait plus simple de déléguer cette responsabilité au préfet de zone, qui pourrait effectuer la répartition en s’appuyant sur les SDIS. Je rappelle qu’à ce jour, nous ne connaissons pas encore le montant du fonds d’aide à l’investissement pour l’année 2009.

Une autre formule consisterait à supprimer le préciput. L’État, par l’intermédiaire de la Conférence nationale des services d’incendie et de secours (CNSIS), fixe aux préfets de zone des priorités en matière d’acquisition de matériel. Ces derniers, lorsqu’ils procèdent à la répartition du fonds, privilégient les systèmes de communication ainsi que les départements les plus modestes, qui n’ont pas toujours les moyens d’acquérir des équipements. Pourquoi, alors que dans certains départements l’aide du FAI n’excède pas 4 000 euros, ne pas accorder une prime à ceux qui s’associent avec un département voisin pour mutualiser l’acquisition de matériels ? Pour la mise en œuvre d’ANTARES, par exemple, une convention a été établie entre l’État et le SDIS.

M. Thierry Mariani, Rapporteur. La double commande est source de dépenses supplémentaires. Après les inondations dramatiques de Vaison-la-Romaine, le département du Vaucluse s’est suréquipé pour pouvoir faire face à des catastrophes improbables. Les responsables politiques ont tendance à engager les dépenses nécessaires pour prendre le plus de précautions possibles.

M. David Habib, Président. Le Président du conseil d’administration du SDIS des Landes nous a indiqué que le préfet avait exigé que le schéma départemental d’analyse et de couverture des risques (SDACR) couvre les risques technologiques, bien qu’il n’existe pas la moindre usine chimique dans le département des Landes. Même s’il doit être approuvé par le conseil d’administration du SDIS, le SDACR semble traduire la volonté de couvrir un maximum de risques.

M. Bernard Niquet. Cette volonté existe, j’en conviens, mais les catastrophes n’arrivent pas qu’aux autres. Lorsque j’étais préfet des Yvelines, je me suis rendu impopulaire aux yeux du maire de Maisons-Laffitte, M. Jacques Myard, et du maire du Pecq, le sénateur Alain Gournac, pour les avoir empêchés de construire un lycée en zone inondable, considérant que la crue centennale n’est pas réservée au voisin. Le ministre de l’Environnement de l’époque, M. Serge Lepeltier, s’est déplacé à deux reprises, et je me suis même retrouvé dans le bureau du Premier ministre, puis dans celui du Président de la République. M. Myard étant très pratiquant, je lui ai suggéré alors d’en référer au pape… En tout cas, l’évêque de Versailles, puisqu’il s’agissait d’un lycée catholique, m’a remercié d’avoir su me montrer ferme, car le lycée a finalement été construit à Sartrouville, dans un superbe environnement.

M. David Habib, Président. C’est tout le problème de la capacité des élus à évaluer les risques.

M. Bernard Niquet. Il y a quelques années, en qualité de collaborateur du précédent chef de l’État, je me suis rendu dans la Somme après de fortes inondations, où j’ai rencontré, en compagnie du maire d’Amiens, M. de Robien, des personnes ruinées, matériellement et moralement. Toutes posaient la même question : pourquoi, voilà trente ans, l’État nous a-t-il laissé construire dans ces zones ? Je n’ai jamais oublié cela. Pourtant, si le préfet de l’époque avait pris des arrêtés d’interdiction, que n’aurait-il entendu – y compris de la part de certains élus ?

M. David Habib, Président. Nous vous remercions d’avoir bien voulu répondre à nos questions.

——fpfp——