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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mission d’évaluation et de contrôle

Musée du Louvre

Jeudi 19 mars 2009

Séance de 10 heures 15

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Georges Tron, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Thomas Grenon, administrateur général de la Réunion des musées nationaux (RMN)

M. Georges Tron, Président. Je suis heureux de vous accueillir.

Nous souhaitons, au cours de votre audition, évoquer la réforme de la RMN et le rôle qu’elle peut assumer à l’égard du musée du Louvre, premier musée de France. Cette audition a lieu en présence de deux représentants de la troisième chambre de la Cour des comptes : MM. Emmanuel Giannesini, conseiller référendaire et Emmanuel Marcovitch, auditeur.

Monsieur Grenon, vous avez la parole.

M. Thomas Grenon. La RMN est un établissement public industriel et commercial qui emploie environ 850 personnes. Son budget est de l’ordre de 150 millions d’euros. Elle est très faiblement subventionnée par rapport à d’autres institutions, dans la mesure où sa part d’auto-financement est supérieure à 85 %. C’est un opérateur transversal au service de la diversité des musées, qui incarne une forme de centre de services partagés pour les musées et s’oriente autour de cinq grandes activités : les acquisitions, les expositions, l’édition et la vente de produits dérivés culturels, la photographie et l’accueil du public.

La RMN acquiert des œuvres d’art pour l’ensemble des directions patrimoniales et des établissements publics du ministère, en particulier les trésors nationaux. Ses acquisitions se montent à une trentaine de millions d’euros par an.

Nous réalisons chaque année une trentaine d’expositions, ce qui fait de nous l’un des premiers producteurs d’expositions au monde. Depuis le 1er septembre 2005, nous gérons les Galeries nationales du Grand Palais où nous présentons d’importantes expositions qui contribuent à la renommée culturelle internationale de la France. Je citerai l’exposition « Picasso et les maîtres » qui vient de se terminer et « Le grand monde d’Andy Warhol », que nous venons d’ouvrir. Nous sommes par ailleurs membres et fondateurs du Bizot Group, du nom d’une de mes prédécesseures, qui réunit deux fois par an les principaux dirigeants de musées du monde, organisateurs d’expositions.

Nous publions un peu plus de 150 titres chaque année : la moitié en partenariat, un tiers en langue étrangère. Nous sommes un des principaux éditeurs d’art en Europe et le premier en France, avec des livres, des catalogues, des ouvrages pour la jeunesse, des aides à la visite, des publications scientifiques, sur papier comme sur support multimédia ou audiovisuel, et des produits dérivés. Nous vendons par exemple plus de 6,5 millions de produits image par an, mais aussi des produits d’art comme des bijoux, des textiles, de la chalcographie et des moulages produits dans nos ateliers d’art.

Nous diffusons et nous vendons ces produits dans un réseau de quarante librairies boutiques : à Paris, notamment dans celle du Louvre – qui est la première librairie d’art de France et même d’Europe avec un peu plus de 23 000 références de livres – mais aussi en région. Nous vendons au total plus de 2,4 millions de livres par an. Ces produits sont également commercialisés dans des librairies et des boutiques extérieures à la RMN : vente en gros, réseaux extérieurs en France ou à l’international.

Notre agence photographique est la première de France et la deuxième d’Europe en matière de diffusion d’images d’art. Nous diffusons dans cent soixante pays les images de nos collections nationales. Plus de 500 000 images numérisées sont actuellement accessibles en haute définition sur notre site Internet. Toutes les photos sont prises à plus de 40 millions de pixels, ce qui est un gage de haute qualité.

Notre dernier métier est l’accueil du public. Cela va de l’aménagement des espaces d’accueil et de billetterie à la gestion des droits d’entrée et des abonnements, en passant par l’organisation de visites conférences et d’ateliers pour enfants. Nous participons donc à la qualité de l’accueil des visiteurs parmi les musées partenaires et clients. Nous valorisons également l’ensemble des événements culturels auxquels nous participons au travers d’opérations de promotion adaptées. Nous accompagnons et nous soutenons les expositions, notamment par la recherche de mécénat et d’autres ressources propres. Nous assurons les relations avec la presse s’agissant des manifestations que nous organisons ou auxquelles nous sommes associés et nous communiquons auprès du grand public sur ces événements.

L’établissement a conduit de profondes transformations depuis 2004. Il a connu un redressement financier extrêmement important, pour devenir un opérateur solide et bien géré.

Il y a cinq ans, le déficit structurel de la RMN était de 4 à 5 millions d’euros par an, et ses pertes cumulées de 46 millions d’euros. En moins de quatre ans, les résultats ont été redressés. Depuis 2007, nous gagnons un peu plus de 3 millions d’euros par an. Sur ces quatre dernières années, nous avons dégagé un peu plus de 32 millions d’euros d’autofinancement – en 2008, nous avons atteint un niveau record, avec une capacité d’autofinancement de plus de 12,5 millions d’euros. Nous sortons de la crise plus forts, avec des outils adaptés et une meilleure appréhension des risques.

Cette santé financière recouvrée nous a permis d’acquérir notre siège social et de devenir performant en matière de gestion immobilière. Des arbitrages immobiliers ont eu lieu et nous avons obtenu le quitus de France Domaine pour inscrire nos biens au patrimoine de l’État.

Ces résultats sont le fruit d’un travail structurel profond : introduction d’un pilotage par la marge, avec des marges en très forte croissance depuis 2004, au-delà même de ce que l’on peut constater dans le privé ; pression permanente sur les effectifs, avec une réduction de 191 ETP entre 2004 et 2008, malgré une extension de notre périmètre d’activité – gestion des Galeries nationales, ouverture d’une boutique au Quai Branly ; importante réduction – de l’ordre du tiers – du coût de l’ensemble des fonctions support, qui ne représentent plus que 10 % de nos charges décaissables. En quatre ans, nous avons diminué globalement notre structure de coûts de l’ordre de 10 millions d’euros.

Parallèlement, nous avons fait évoluer notre culture d’entreprise et notre cadre social, en généralisant la rémunération au mérite et les entretiens individuels d’évaluation. Nous nous sommes engagés dans une démarche de responsabilité sociale de l’entreprise avec, récemment, une labellisation « égalité professionnelle » ; nous avons signé une convention avec l’AGEFIPH et fait progresser notre taux d’emploi de personnes handicapées de 1,5 % en 2004 à plus de 5,6 % en 2008. Nous avons développé le sens du client, mené d’importantes actions de formation auprès de nos équipes – c’est une de nos priorités actuelles. Nous avons su monter en quelques semaines une opération de démocratisation culturelle inédite en France : l’ouverture des Galeries nationales 83 heures non stop pour la clôture de l’exposition « Picasso et les maîtres ». Cette opération montre la réactivité de notre maison, la motivation de notre personnel – nous avons fait appel au volontariat – et le sens du service rendu aux visiteurs.

Nous nous sommes imposés comme un outil performant au service des grandes politiques du ministère de la Culture et comme un grand acteur de démocratisation culturelle : le nombre des visiteurs dans tous nos musées nationaux s’est accru de 42 % en cinq ans ; la fréquentation des Galeries nationales a augmenté de 53 %.

Un de nos axes forts de développement est le soutien d’expositions en région. « Cézanne en Provence », il y a trois ans, a attiré 450 000 visiteurs à Aix-en-Provence et l’on a estimé à 65 millions d’euros ses retombées indirectes sur l’économie locale. Il y a eu ensuite « Philippe de Champaigne » à Lille « Van Gogh et Monticelli » à Marseille, puis « Courbet » à Montpellier. Il y a maintenant « Nolde » à Montpellier. Bientôt, l’exposition « Picasso et Cézanne », cet été à Aix-en-Provence, donnera lieu à un événement tout à fait exceptionnel : l’ouverture au public du château de Vauvenargues, acheté par Picasso il y a cinquante ans.

Nous avons fait évoluer profondément nos relations avec les musées. Nous avons signé depuis 2004 avec les musées établissements publics plus de 38 conventions (conventions cadres outre les conventions ad hoc) qui portent sur l’ensemble de nos activités : expositions, éditions, photographie, marques, boutiques. Entre 2004 et 2008, les produits et les redevances que nous versons aux musées sont passés de 2,7 à 5,5 millions d’euros. Nous sommes ainsi devenus un contributeur important au développement des ressources propres des musées. Enfin, nous avons signé en 2007 avec l’État un contrat de stratégie qui fixe les grands principes de notre intervention auprès des musées.

Après ce redressement, nous abordons une nouvelle phase, une phase de développement. Nous souhaitons capitaliser sur nos savoir-faire, en étant un opérateur culturel global au cœur de nos métiers à forte valeur ajoutée ; en étant un opérateur économique aux standards d’efficacité du privé, capable d’affronter la concurrence comme nous l’avons fait récemment avec le Quai Branly ou en reprenant la boutique du Palais de la découverte.

Notre spécificité tient au fait que nous sommes un opérateur transverse. Nous ne sommes pas intimement liés à un lieu. Nous avons trois grandes missions transverses : la diffusion du patrimoine des musées ; l’éducation artistique et culturelle, qui est un de nos axes forts ; tout ce qui relève du numérique, avec par exemple le développement de notre agence photographique et les catalogues scientifiques en ligne, pour lesquels nous sommes leader mondial.

Nous travaillons en réseau, au service de la diversité muséale, en particulier au service des plus petites institutions et des institutions en région. Notre savoir-faire, notre capacité à organiser des expositions, à emprunter des œuvres et à communiquer autour d’elles, à lever du mécénat est un atout pour la diversité culturelle de notre territoire, dans un monde où la concurrence entre établissements culturels est croissante et où il est de plus en plus difficile pour les petits de faire entendre leur voix.

Nous développons enfin notre action aux Galeries Nationales, notre « vaisseau amiral », lieu phare de nos savoir-faire, lieu emblématique de la culture française et de notre rayonnement à l’international. Nous avons d’ailleurs un important projet de rénovation de ces Galeries, qui sont encore largement dans l’état où Malraux nous les a livrées il y a maintenant plus de 40 ans.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Votre exposé fut brillant et intéressant. Je constate, au fil des années, qu’il y a de plus en plus à dire à propos de la RMN et que ses résultats sont de plus en plus positifs. Merci à vous car on peut dire qu’elle « revient de loin ».

Néanmoins, de nombreuses questions se posent encore. Plus la taille des musées avec lesquels vous collaborez est importante, plus les relations que vous avez avec eux semblent difficiles. À l’évidence, les petits musées ont besoin de la RMN. C’est moins le cas pour ceux d’une certaine taille, notamment pour le Louvre, auquel s’intéresse notre mission.

Nous essayons de comprendre pourquoi ces relations sont assez difficiles et de proposer des solutions susceptibles de clarifier la situation. Il ne s’agit pas de mettre en cause telle ou telle personne, mais il nous paraît nécessaire que le ministère procède à certains arbitrages.

Vous avez redressé la situation, vous êtes devenu un acteur incontournable dans le paysage culturel français et international, votre savoir-faire en matière d’expositions est important et vous enchaînez les réussites brillantes. Mais on a parfois le sentiment que, avec les musées en général et avec le Louvre en particulier, vous vous marchez encore beaucoup sur les pieds.

M. Thomas Grenon. Merci pour vos appréciations. En effet, la RMN « revient de loin », mais nous sommes revenus plus aguerris et plus forts. Nous pouvons espérer que la crise est derrière nous et, dotés des outils de pilotage nécessaires, envisager l’avenir avec plus de sérénité. De son côté l’État, dont nous sommes un des opérateurs, a la garantie qu’il pourra s’appuyer sur nous.

La RMN est pour le Louvre, dans des domaines d’ailleurs de plus en plus réduits, un centre de services partagés et de mutualisation. Mais il se trouve que nous vivons dans un monde où les établissements, surtout quand ils prennent une certaine importance, préfèrent agir eux-mêmes.

Il convient de s’interroger, métier par métier, sur l’activité de la RMN. Faut-il avoir des services d’acquisition dans tous les musées ou les confier à un opérateur unique ? Faut-il avoir des activités d’édition – qui sont complexes et donnent lieu à des contrats très spécifiques – dans tous les musées ou les regrouper ? Faut-il une agence photographique dans chaque musée, avec ses photographes et des salariés qui s’occupent de la diffusion ? Faut-il que chaque musée organise des expositions ou faut-il s’adresser à centre de services partagé ? Cela crée de la compétence et, par le volume généré, permet de faire des économies d’assurance ou de transport, s’agissant par exemple des expositions.

L’État s’est rendu compte qu’il serait stupide que chaque ministère se charge de vendre ou d’acheter son immobilier, et il a créé France Domaine au service de l’ensemble des ministères. De la même façon, nous intervenons dans notre domaine, qui peut avoir des aspects très « pointus » – organisation d’expositions, assurances, transports, édition, etc. Cela provoque parfois des rejets. Plus les musées sont gros, plus ils ont envie de faire eux-mêmes, plus ils sont persuadés qu’ils feraient aussi bien qu’un organisme mutualisateur.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Parfois mieux. C’est en tout cas ce que l’on entend.

M. Thomas Grenon. Un centre de services partagés présente deux avantages : d’une part, il fait faire des économies, dont profite in fine le contribuable ; d’autre part, il bénéficie aux petits musées, comme vous l’avez fait remarquer.

Prenez l’exemple de la direction informatique d’un groupe privé. Si vous allez voir les grosses filiales, elles vous expliquent toutes à quel point cette direction informatique est mal gérée et lente, qu’elles feraient tellement mieux elles-mêmes si on les laissait faire. Mais pourquoi ce type d’organisation ? Parce qu’il permet d’acheter des produits standardisés, de dialoguer, d’acheter en masse et de faire des économies.

Cela ne signifie pas que nous ne devons pas améliorer notre fonctionnement, nous tourner vers le client et améliorer notre qualité. C’est d’ailleurs ce que nous voulons faire.

Il convient, pour les pouvoirs publics, de faire des comparaisons, activité par activité. Ils peuvent décider d’imposer un centre de services partagés, et cela se traduira forcément par des forces centrifuges qu’il faudra contrarier. Mais parce que cela présente aussi des avantages, ils peuvent décider qu’il vaut mieux que telle activité soit assurée par chaque musée, et modifier l’organisation.

Mutualisation, services partagés ou non ? Des audits et des comparaisons s’imposent, fondées sur des analyses économiques, au nom de l’intérêt général. Nous y sommes tout à fait ouverts.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Le Louvre bénéficie depuis quatre ou cinq ans d’une certaine autonomie de gestion, s’agissant notamment des publications. Les relations entre le Louvre et la RMN doivent-elles évoluer ? Comment ? Faut-il clarifier vos champs d’action respectifs ? Si oui, dans quel sens ? Vos deux institutions doivent-elles collaborer davantage, mieux, différemment, plus du tout ? Que suggérez-vous ?

Y a-t-il matière à discussion ? Le Louvre a pu déplorer la qualité de certains produits de la boutique du Carrousel. Y a-t-il une concertation entre le Louvre et la RMN sur les produits et sur l’assortiment proposé ?

Notre mission d’évaluation et de contrôle porte sur le Louvre. Il nous a semblé, au fil de nos entretiens, que certaines questions, entre le Louvre et la RMN, n’étaient pas encore tranchées.

M. Thomas Grenon. La RMN aime le Louvre, elle a envie de travailler avec lui, elle souhaite collaborer de la façon la plus fructueuse et la plus pacifiée avec un des plus grands musées du monde. L’inverse serait stupide.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Vous pensez que la réciproque n’est pas vraie ?

M. Thomas Grenon Je ne me prononce pas sur ce point, je me contente de vous donner la position de la RMN.

Nous travaillons avec le Louvre, malgré certaines zones de friction qui peuvent parfois cacher les bonnes relations que nous entretenons avec lui. Depuis 2002, nous avons co-organisé plus de treize expositions. Nous faisons quasiment une exposition par an avec lui aux Galeries Nationales. L’exposition « Picasso et les maîtres », même si elle a donné lieu à quelques débats sur le partage des bénéfices, est une réussite populaire. Au printemps prochain, nous ferons avec lui une exposition sur Turner et ses peintres, en collaboration avec la Tate Gallery et le Prado ; nous en ferons une autre l’année suivante sur le paysage italien au dix-septième siècle, en collaboration avec le Prado ; nous avons un projet d’exposition sur Mignard. Notre collaboration scientifique avec les équipes de conservation du Louvre est donc tout à fait excellente. C’est pour moi le principal, car c’est ce que voient la plupart de nos visiteurs.

Pour autant, on ne peut pas nier les zones de friction. Celles-ci sont d’ailleurs beaucoup plus sensibles avec le Louvre qu’avec d’autres établissements. Les relations avec Versailles sont parfaitement pacifiées ; nous avons fait, il y a quelques mois, avec Jean-Jacques Aillagon, une conférence de presse pour annoncer tous les projets que nous menions en commun. De même, nous avons tenu avec le musée Guimet une conférence de presse commune sur nos activités. Il en est de même avec le musée d’Orsay ; j’ai encore déjeuné hier avec son président.

Dans le paysage, le Louvre est un peu à part, sans doute en raison de sa taille. C’est avec lui que les problèmes se matérialisent et que les nécessités de réviser des frontières apparaissent le plus souvent.

Vous avez abordé plusieurs thèmes, à commencer par celui de l’édition. Le Louvre a maintenant une indépendance éditoriale complète, c’est-à-dire qu’il ne travaille plus avec la RMN. Cela nous a d’ailleurs amenés à nous interroger. Nous ne comprenons pas en effet qu’en ayant répondu systématiquement à dix-sept de ses appels d’offres, nous n’ayons jamais été retenus ! Cela ne correspond ni à notre part de marché, ni à ce qui se passe avec les autres musées.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. En parlez-vous avec le Louvre ?

M. Thomas Grenon. Bien sûr. Nous essayons de comprendre.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Et quelle explication vous donne-t-on ?

M. Thomas Grenon. Que les choses étant ce qu’elles sont, il sera difficile que nous puissions éditer un catalogue avec eux. J’espère que cela changera. La contrepartie de la concurrence est qu’elle soit ouverte à tous. À partir du moment où ils lancent des appels d’offre, nous souhaitons avoir une chance d’être retenus.

Nous rencontrons un deuxième petit problème. Nous publions de très longue date « Le petit journal des grandes expositions », un petit fascicule à 3,50 euros qui constitue, pour un rapport qualité-prix admirable, un grand outil de diffusion culturelle, dans un créneau de prix très abordable. Voilà maintenant deux ou trois fois que le Louvre nous interdit de publier notre Petit journal à l’occasion des expositions qu’il organise. Je trouve cela stupide, d’autant qu’il encourage par ailleurs d’autres publications accompagnant les expositions comme certains hors-série. Nous sommes traités de façon différente et cela me soucie. Tout cela mérite clarification. Je suis peut-être un peu trop concret aujourd’hui, mais la vie est faite de petits détails qui empoisonnent les relations.

Autre problème, dont il me semble que la Cour des comptes s’est emparée lors d’un de ses précédents rapports : celui des aides à la visite. En termes d’organisation globale des pouvoirs publics et en termes d’intérêt général, nous sommes devant une situation peu satisfaisante.

Nous éditions depuis trente, quarante ou cinquante ans des aides à la visite, avec l’une de nos filiales qui s’appelle « Artlys ». Nous faisions ceux du Louvre. Ce dernier, lorsqu’il a acquis sa liberté éditoriale, s’est rendu assez rapidement compte qu’il s’agissait d’un créneau rentable. Il a proposé à 12 euros un produit concurrent du nôtre, que nous vendions à 15 euros, qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Nous avons dû aligner nos prix. Nous en vendions 70 000. Nous en vendons maintenant 35 000 et le Louvre 35 000. Notre marge a été divisée par deux, du fait des coûts de production. Pourquoi cette concurrence entre opérateurs publics ? Les comptoirs deviennent trop petits et c’est la guerre pour savoir quel guide sera mis en avant. Tout cela a un effet négatif sur le plan commercial. Trop d’offre tue l’offre : devant deux produits vous commencez par hésiter et, finalement, vous n’en prenez aucun. Une clarification s’impose.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. À cet égard, qu’attendez-vous de la tutelle ?

M. Thomas Grenon. Qu’elle décide qui édite, ou sinon qu’elle nous dise de coéditer : c’est la solution simple et rentable que nous avons proposée au musée du Louvre.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. La tutelle n’a pas encore rendu d’arbitrage sur ce point de friction ?

M. Thomas Grenon. Pas à ma connaissance. Nous sommes entre opérateurs publics, dans un domaine largement subventionné. La destruction de valeur pour l’État est estimée à 500 000 euros environ. Dans notre secteur, c’est une somme importante. Nous souhaitons qu’un audit statue sur les services d’édition. Notre contrat de stratégie le prévoyait. La révision générale des politiques publiques (RGPP) a amené à utiliser à d’autres fins les capacités d’audit. Il faut étudier, avec calme et distance, les avantages et les inconvénients d’un centre de services partagés et de services rattachés aux musées.

M. Georges Tron, Président. Quelle est la part du chiffre d’affaires de la boutique du Carrousel dans l’ensemble de votre réseau commercial ?

M. Thomas Grenon. La boutique du Louvre est une librairie de référence en matière d’art. Son chiffre d’affaires est de plus de 20 millions d’euros. Cela en fait la dixième librairie de France et la plus importante librairie d’histoire de l’art d’Europe. Elle offre plus de 23 000 références et représente environ le tiers de notre chiffre d’affaires commercial. Nous souhaitons rendre notre activité moins sensible à cette boutique.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. L’assortiment de cette boutique fait-il l’objet d’une concertation avec le musée du Louvre ?

M. Thomas Grenon. Oui. Notre souci du service au client nous a amenés à professionnaliser nos relations avec les établissements publics.

Nous avons, c’est la spécificité de notre métier, deux types de clients. Le premier est le musée partenaire, le client institutionnel dont nous sommes concessionnaire. Il faut qu’il soit satisfait du service que nous lui rendons. Les seconds clients, beaucoup plus nombreux, sont les visiteurs qui achètent dans nos boutiques. L’un de nos savoir-faire est la gestion de ces deux « clients ». Les musées nous demandent des produits souvent haut de gamme, des livres très pointus et de référence. Ces produits ne correspondent pas toujours à la demande du public. Cependant, leur importance est grande en termes d’image ; la librairie, la boutique est un élément de référence dans un musée. Nous devons donc répondre à cette demande des musées. En même temps, il faut que le client final nous achète des produits qui nous permettent de gagner notre vie et de payer des redevances aux musées.

M. Georges Tron, Président. Lorsqu’un musée formule une demande de produits haut de gamme, est-ce à finalité de vente, ce qui voudrait sans doute dire que votre appréciation de la politique commerciale et celle du musée ne sont pas les mêmes, ou est-ce plutôt à finalité de référence pour les administrateurs du musée lui-même ? Cela pourrait alors signifier qu’il peut y avoir confusion entre un outil à vocation professionnelle et un produit dont j’ai cru comprendre, d’après les chiffres que vous nous avez donnés, qu’il avait pour objectif de rapporter des fonds. J’aurais tendance à déduire de votre propos que la demande formulée par le musée laisserait de côté l’intérêt porté par le client final.

M. Thomas Grenon. Le souci premier du musée, ou de son directeur – c’est une constatation pragmatique – est souvent l’image que la boutique va donner. Il sera donc plus intéressé par les produits à forte valeur d’image – un beau Sèvres, un beau moulage, une belle chalcographie –, que par ce qui fait la marge et nous nourrit au quotidien : la ligne destinée au touriste qui souhaite rapporter un souvenir.

Pour gérer ce type de contraintes, nous avons professionnalisé notre processus de décision. Des commissions dites « produits », tenues avec chaque musée, se réunissent désormais trois ou quatre fois par an. Des dossiers sont préparés. Nous y faisons le bilan des actions menées depuis la précédente réunion et le point des produits qui peuvent poser aux musées des problèmes d’image. Ces produits étant assez souvent ceux qui se vendent le mieux, nous débattons du nécessaire équilibre entre la profitabilité économique de la boutique et l’image du musée. Enfin, la RMN soumet systématiquement lors de ces réunions toutes les nouvelles lignes de produits qu’elle envisage de développer, le cas échéant à la demande du musée ; celui-ci peut souhaiter voir éditer une carte postale particulière ou une ligne de produits correspondant à une exposition.

Pour répondre à une demande spécifique du Louvre, nous avons réalisé une ligne jeunesse, dite « Joconde décalée ». Cette ligne inclut une paire de tongs, dont nous vendons 4 000 ou 5 000 exemplaires par an. Le Louvre semble critiquer cette ligne. Cependant, cette ligne a été approuvée, par courrier électronique, par le président-directeur du Louvre. Ce n’est pas non plus la ligne la plus contestée par la conservation. Le Louvre, ayant constaté que nous ne vendions pas aux jeunes des déclinaisons classiques de la Joconde et souhaitant développer cette clientèle, nous avait demandé d’élaborer à son intention une ligne un peu décalée. Il l’a approuvée lors d’un comité produits. Cette ligne se vend bien ; pourtant, après coup, la direction du Louvre a considéré qu’elle n’aurait peut-être pas dû l’approuver, ou qu’elle posait problème au musée.

Mme Élodie Perthuisot, administrateur général adjoint de la RMN. Nous avons remis à la Cour des comptes, à sa demande, tous les documents montrant que cette ligne a bien été validée par le musée du Louvre. Le Louvre a beaucoup développé sa clientèle des 18-25 ans. Le développement de cette ligne était dans cette logique. Il s’inspirait aussi de l’action de certains musées américains. Il s’agissait, à la demande du musée, de proposer des lignes de produits pour s’adapter à l’évolution de sa fréquentation.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Cette ligne est-elle spécifique au Louvre, ou peut-on retrouver ailleurs ce type de produits ?

M. Thomas Grenon. La ligne « Joconde décalée » est très spécifique au Louvre. Elle ne constitue pas la masse des ventes : elle est destinée à un public jeune. Il s’agit d’accompagner le musée dans sa démarche d’attraction de ce public. En parallèle, nous continuons à développer tous les produits classiques.

M. Franck Beaugendre, directeur administratif et financier de la RMN. Cette ligne représente 100 000 euros de chiffre d’affaires par an. Ce montant n’est pas très important, mais il vient en plus : aucune offre à destination de ce public n’existait. C’est la raison pour laquelle le Louvre nous avait demandé de développer cette ligne.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Lorsque la direction du Louvre se plaint des répercussions que la vente de ces tongs dans sa boutique peut avoir sur l’image du musée, que répondez-vous ? Que le produit se vend bien ?

M. Thomas Grenon. Oui. La direction du Louvre ne nous a du reste jamais demandé de retirer ce produit. Elle l’a validé et elle connaît les chiffres de vente.

Mme Élodie Perthuisot. Aucun produit n’est maintenu à la vente sans l’aval du Louvre. Lorsque, lors des commissions produits, le musée nous demande de retirer un article de la vente, nous nous exécutons. Aucun produit n’est en vente dans la boutique du Louvre contre son avis. C’est une règle fondamentale que nous avons instituée dans ces commissions.

M. Thomas Grenon. Les conservateurs aussi sont présents dans ces commissions produits. Les tongs Joconde ne sont pas l’article le plus contesté. Elles sont perçues comme un produit clin d’œil, décalé. Qui plus est elles sont d’excellente qualité ! Certaines gammes beaucoup plus classiques, des stylos à effigie de la Joconde, des souvenirs à un euro, posent plus de difficultés ; cela dit, c’est aussi grâce à ces produits que l’on peut faire vivre une librairie de référence.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Pour obtenir cet équilibre, cette diversité doit donc être présente dans la boutique ?

M. Thomas Grenon. Le musée du Louvre a conduit une enquête de satisfaction des visiteurs envers sa boutique de souvenirs. Le taux de satisfaction envers l’assortiment proposé est de 96 %. Le Louvre était très étonné de ce taux remarquable, bien supérieur à celui relatif à la restauration.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Attendez-vous cependant à ce que la tutelle tranche. Comme la Cour des comptes, dont le rapport sur la RMN est en phase de contradiction, nous avons ressenti ces difficultés. Nous avons été au cœur de ces discussions.

Rappelons toutefois qu’en 1998, une « circulaire Jospin » avait recommandé de ne pas multiplier les maisons d’édition publiques et qu’elle demandait même qu’il n’en soit pas créé de nouvelles. Or, la tendance à créer des maisons d’édition dans les musées, notamment au Louvre, a justement multiplié leur nombre.

J’ajoute que la différence fondamentale entre le Louvre ou les autres musées et la RMN est la connaissance par celle-ci de tous ses registres de coûts, aussi bien directs qu’indirects. Cette connaissance a paradoxalement desservi la RMN. Le monde des musées, dans une sorte de préjugé, l’accuse de coûts de structures importants, tout simplement parce qu’elle les chiffre et les affiche.

Il eut été souhaitable que les arbitrages opérés en matière de missions d’édition, voire de photographie aient été fondés sur des données de coûts précises, permettant de connaître le système le plus efficient. Tel n’a pas été le cas. D’après les informations dont nous disposons, voilà deux ans que le ministère a programmé un audit des coûts comparés des différentes fonctions connexes aux tâches des musées. Cet audit n’a toujours pas été engagé. Même si depuis un certain temps, les mouvements se font de façon relativement univoque, il paraît indispensable, avant tout nouveau transfert, de disposer d’une étude des coûts comparatifs des musées et de la RMN.

M. Thomas Grenon. S’agissant du fonds photographique, on y retrouve à peu près les mêmes éléments qu’ailleurs, notamment la nécessité de mesurer les avantages et les inconvénients de la centralisation ou de l’éclatement. S’y ajoute cependant un aspect culturel spécifique. Une bonne diffusion et une bonne valorisation du patrimoine immatériel de l’État, en l’occurrence des fonds photographiques, présentent non seulement un intérêt économique mais aussi un enjeu culturel très fort : la diffusion dans le monde de l’image de nos collections nationales, donc de notre culture.

L’agence photographique de la RMN doit répondre à cette double problématique. Sur le plan économique, dans un domaine en forte concentration du fait du développement du numérique, mettre ensemble les œuvres et acquérir une taille critique permet un accès beaucoup plus facile à des commandes que la gestion de fonds fractionnés. Il faut savoir que quatre-vingt pour cent des demandes d’images qui nous sont adressées ne sont pas spécifiées. Autrement dit, contrairement à ce qu’on pourrait penser, les demandes ne portent pas sur une image précise mais sur un type d’image : par exemple une femme au bord de l’eau. L’obtention du marché dépend alors de la capacité à proposer une telle image rapidement et au meilleur prix. Le professionnalisme de l’outil, l’exposition offerte à travers le site Internet, la capacité à réagir sont donc des éléments économiquement très importants.

Notre diffusion internationale couvre 186 pays. Nous avons récemment repris le fonds de la médiathèque de l’architecture et du patrimoine, qui était diffusé de façon assez traditionnelle. En moins d’un an, nous en avons multiplié par trois le chiffre d’affaires, simplement en lui offrant une exposition sur le site Internet de la RMN. Notre agence photographique diffuse désormais beaucoup de fonds internationaux : ceux du MET, le Metropolitan museum of arts de New-York, du British Museum, bientôt ceux de la National Gallery. Nous disposons, je crois, d’un outil dont la qualité fait référence : en liaison avec le MET, nous avons élaboré des normes colorimétriques pour la reproduction aussi fidèle possible d’une image d’art. Cet outil est vraiment à la disposition de la collectivité publique.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Quelle est votre position sur le droit de propriété ?

M. Thomas Grenon. C’est pour moi un faux problème. Nous avons hérité d’une difficulté historique. Les photographies avaient été prises par la RMN. Pendant longtemps, dans le monde des musées, la RMN a été le seul établissement public apte à percevoir des recettes ; la question de leur partage ne se posait donc pas. Elle percevait les droits d’entrée, mais aussi, entre autres, les droits des images photographiques. Elle servait aussi de caisse de mutualisation, y compris financière, et réinvestissait les fonds ainsi perçus dans la réalisation d’expositions ou l’acquisition d’œuvres d’art.

La création des établissements publics a fait émerger une lutte pour les ressources propres. Le Louvre, par exemple, a trouvé anormal, détenant des œuvres, de ne rien percevoir lorsqu’une image de ces œuvres était vendue. La « circulaire Jospin » comportait des dispositions pour que la concurrence ne soit pas faussée. Le Louvre, retrouvant sa capacité éditoriale, devait donc payer à la RMN, au même tarif qu’un autre éditeur, les droits des photographies des œuvres qu’il détenait. La RMN se vend du reste elle aussi à elle-même ces droits lorsqu’elle exerce des activités d’édition.

Face à ce système, le Louvre a autorisé des photographes, notamment M. Erich Lessing – pour connaître l’identité de ces photographes, il suffit de consulter les crédits photographiques de l’ouvrage Les mille et un chefs-d’œuvre du Louvre – à prendre et à diffuser gratuitement des photographies – on les retrouve chez notre principal concurrent allemand AKG-Images – et en contrepartie à lui en laisser l’usage gratuit pour son activité éditoriale.

Cette politique a mis la RMN dans une position difficile : elle était concurrencée sur deux terrains à la fois. Elle l’était d’abord sur son activité de diffusion photograhique, qui constitue l’essentiel de ses revenus et lui permet de financer les photographies pour l’inventaire ; alors que, à cette fin, la RMN photographie toutes les pièces, AKG-Images et M. Lessing se concentraient sur « les mille et un trésors », c’est-à-dire les plus belles pièces, comme la Joconde. La RMN était aussi concurrencée sur son activité d’éditeur, le Louvre bénéficiant désormais d’images gratuites. Un exemple de cette utilisation d’images du Louvre à des coûts qui ne sont pas les coûts réels est fourni par la parution d’un almanach, illustré de la photographie d’une œuvre d’art par jour de l’année. En raison du coût des photographies, un tel produit n’existe nulle part ailleurs dans le monde. Il n’a pu être édité que parce que les photographies n’étaient pas payées à leur juste prix.

Face à cette difficulté, nous avons décidé avec nos tutelles – c’était notre contrat de stratégie – d’intéresser les musées, en leur reversant 50 % du produit de la diffusion. L’idée était ainsi d’aligner les intérêts financiers des musées et les nôtres, de façon à éviter une concurrence destructrice de valeur.

Dès lors, même si la propriété des fonds peut rester une question théorique, ce n’est plus un problème pratique : le musée perçoit la moitié du produit de la commercialisation, que le fonds photographique soit sa propriété ou celle de la RMN.

Les fonds photographiques de la RMN lui appartiennent. Pour que tel cesse d’être le cas, il faudrait les transférer. L’État – c’est, en dernière analyse, lui qui en est le propriétaire – estime-il qu’ils sont mieux protégés dans une structure où il les a centralisés, ou préfère-t-il en disperser le contrôle, en courant le risque de diffusions parasites ?

M. Georges Tron, Président. D’après les informations dont nous disposons, l’« affaire Lessing » pourrait appeler des observations assez critiques de la Cour des comptes : il se peut qu’une erreur de valorisation du capital immatériel de l’État ait été commise.

Toujours d’après nos informations, le musée du Louvre emploie aujourd’hui six photographes à temps plein, soit le même effectif que la RMN. En très peu d’années, il s’est ainsi doté en quelque sorte d’une agence photographique équivalente à celle que la RMN affecte à l’ensemble des autres musées. Il reste à déterminer dans quelle mesure cette évolution a été portée à la connaissance de la tutelle. Il se peut qu’il y ait eu un défaut d’arbitrage en temps utile.

Je vous rejoins sur la complexité du droit de propriété. La propriété initiale des œuvres des collections nationales appartient à l’État ; c’est à lui de la répartir suivant le mode qu’il estime le plus efficient. Cependant, des droits d’auteur s’attachent aussi aux photographies elles-mêmes. La problématique du droit de propriété sur la photographie, en tant qu’elle est elle-même une œuvre d’art, ne peut donc pas être écartée. De plus, le débat qui a abouti dans le domaine de l’édition à une partition très nette entre coûts relevant du service public – comme les coûts « subventionnables » d’établissement des catalogues raisonnés – et coûts commerciaux a apparemment moins été présent pour les photographies. C’est peut-être ce qui brouille les choses.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Nous avons évoqué l’effort important consenti par la RMN en matière de gestion du personnel. Vous avez gagné 191 emplois équivalents temps plein travaillés (ETPT). Vous fixez-vous aujourd’hui un nouvel objectif ? Considérez-vous au contraire que l’essentiel de l’effort a été fait ? Ce gain est important et va dans le sens de ce que beaucoup avaient pointé du doigt il y a quelques années, c’est-à-dire que les effectifs de la RMN étaient peut-être un peu excessifs au regard de ses missions. Quelle stratégie poursuivez-vous à terme ? Comment ces départs ont-ils été organisés : départs volontaires, départs à la retraite non remplacés ?

M. Thomas Grenon. L’essentiel de l’effort est accompli. Un chemin important a été fait. Pour moi, il reste encore quelques marges de manœuvre. Mais les zones que nous atteignons sont plus difficiles et plus longues à exploiter et nécessitent sans doute des actions d’une nature plus complexe.

Notre approche n’est pas dogmatique mais pragmatique. Si la RMN prend la charge d’une boutique nouvelle, elle devra recruter ! Il faut alors déterminer si la boutique est rentable ou non. Ainsi, la notion de plafond d’emploi n’est pas très adaptée à notre activité. L’emploi doit suivre cette activité ; nous allons y adapter nos effectifs. Si nous développons plus d’expositions en région, il faudra aussi recruter ; si au contraire nous en diminuons le nombre, nous devrons réduire notre personnel.

Pour diminuer nos effectifs, nous nous sommes servis de tous les leviers à notre disposition, hormis celui du licenciement économique, que nous ne pouvons pas utiliser.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Si vous l’aviez pu, vous l’auriez fait ?

M. Thomas Grenon. Très ponctuellement. Les boutiques que nous avons fermées ont été en général reprises. Nous travaillons alors sur les bases de l’article L. 122-12 du code du travail, qui pose le principe, lorsqu’une activité change de mains, du transfert des contrats de travail au nouvel employeur. Dans ces cas, le transfert des effectifs suit.

Nous n’avons pas remplacé des départs à la retraite, ainsi que les départs volontaires dus au turnover, normal dans une maison telle que la nôtre : cela représente 50 départs par an. Pour pourvoir aux remplacements des partants, nous avons intensément privilégié la formation, les mutations internes. Quelques licenciements se sont ajoutés : nous n’hésitons pas à licencier en cas de faute grave. La capacité de réduction des effectifs ainsi créée a été exploitée et continuera à l’être.

Désormais, la RMN est pilotée par la marge : nous regardons d’abord le compte de résultat. Notre marge brute – tous nos conseils nous le disent – est d’un niveau très élevé. Nous achetons de façon efficace ; nos marges et nos prix de vente sont élevés – cela nous est assez reproché – car nous sommes à même de pouvoir vendre cher des produits de qualité ; nos vendeurs et opérationnels gardent les yeux fixés sur les coûts, notamment la masse salariale. C’est ainsi que nous pouvons optimiser le résultat.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Quel est l’effectif actuel de la RMN ?

M. Thomas Grenon. 850 salariés.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Mais le chiffre dont nous disposons pour le budget 2009 est de 1 001 équivalents temps plein travaillés (ETPT).

M. Thomas Grenon. Le chiffre de 850 est celui des salariés sous contrat à durée indéterminée ; celui de 1 001 inclut les salariés sous contrat à durée déterminée. Une partie de nos activités, comme les expositions, sont saisonnières et nous faisons appel à des collaborateurs temporaires.

Notre optique n’est pas d’aller à notre plafond d’effectifs, mais de maîtriser nos coûts et notre masse salariale. Si nous sommes en dessous du plafond, nous nous en réjouirons.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Vous avez rencontré beaucoup de succès dans les importantes expositions que vous avez citées. Considérez-vous qu’ils sont de nature à faire de la RMN un acteur qui peut être jalousé par d’autres ?

M. Thomas Grenon. Deux éléments peuvent appeler la jalousie. Le premier est le succès des expositions. Le second est le fait que nous avons effectué notre révolution organisationnelle, et que nos efforts, contrôle des effectifs, développement d’outils de pilotage, sont derrière nous. À un moment, le regard porté sur nous peut être en effet teinté d’envie. C’est humain.

Sans obliger personne, nous souhaitons coproduire, en particulier aux Galeries Nationales. Nous avons déjà coproduit une exposition Courbet avec le musée d’Orsay ; nous lui avons reversé un million d’euros. Nous allons recommencer cet automne, avec une exposition Renoir. Nous coéditons le catalogue. Comme dans le cas de l’agence photographique, nous souhaitons aligner les intérêts financiers.

Notre point faible, c’est que nous ne disposons pas d’une collection permanente, qui est la matière première d’une exposition, d’abord parce que l’exposition aura pour base des œuvres tirées de cette collection, ensuite parce que les œuvres qui la composent constituent une monnaie d’échange pour obtenir des prêts d’autres musées. Nous sommes à cet égard démunis. Pour pallier cette difficulté très importante, nous, en tant qu’opérateur national, gestionnaire des Galeries Nationales, souhaitons co-organiser des expositions avec les grands musées, en nous adossant aux collections nationales. C’est ce que nous avons fait pour l’exposition Picasso et les Maîtres. Cet adossement change du tout au tout notre profil de demandeurs de prêts. La capacité d’emprunt sur le marché international, si je puis m’exprimer ainsi, de la RMN, du musée Picasso, du musée d’Orsay, et du musée du Louvre fédérés est colossale. Le nombre de chefs-d’œuvre que nous avons réunis pour l’exposition Picasso et les Maîtres est, je pense, inédit dans le monde.

Ne serait-ce que pour pouvoir organiser de belles expositions dans les Galeries Nationales, je souhaite avoir de bonnes relations avec le Louvre. Le public de ces expositions est à 90 % français ; c’est le rapport inverse de celui des collections permanentes. Pour pouvoir organiser ces belles expositions, il nous faut pouvoir adosser nos demandes de prêts à la richesse des collections permanentes. Pour cela, nous voulons travailler avec les grands musées ; nous avons décidé de coproduire et de partager les risques et les bénéfices avec ceux qui le souhaitent. Le musée d’Orsay le souhaite, nous travaillons avec lui. Le musée du Louvre n’a jamais souhaité coproduire ; nous le regrettons mais nous ne pouvons pas le lui imposer.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Merci. Ces éléments sont très clairs et nous sommes satisfaits des réponses que vous nous avez fournies, ainsi que de l’ambition que vous avez décrite pour la RMN. Notre souhait serait maintenant que la tutelle puisse se saisir complètement des problématiques que vous avez évoquées, et trancher. C’est, me semble-t-il, l’intérêt commun pour le bon équilibre de vos rapports avec les grands musées, notamment le Louvre.

M. Georges Tron, Président. Merci infiniment.

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