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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mission d’évaluation et de contrôle

Opérations militaires extérieures, notamment sous mandat international

Jeudi 30 avril 2009

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Georges Tron, Président

– Audition du général de brigade Bertrand Clément-Bollée, sous-chef d’état-major « Emploi et soutien » à l’état-major de l’armée de terre

M. Georges Tron, Président. Je souhaite la bienvenue, au nom de la MEC, au général Bertrand Clément-Bollée et à la délégation qui l’accompagne. Je salue également les membres de la Cour des comptes qui nous apportent leur expertise : M. Alain Hespel, Président de la deuxième chambre, Mme Françoise Saliou et M. Benoît d’Aboville.

M. le général Bertrand Clément-Bollée, sous-chef d’état-major « Emploi et soutien » à l’état-major de l’armée de terre. Permettez-moi tout d’abord de vous présenter les officiers qui m’accompagnent : le colonel Lillo, chef du bureau « Planification-finances-budget » de l’état-major de l’armée de terre, le lieutenant-colonel Pasco, un de ses subordonnés, le lieutenant-colonel Rivet, qui, dans ce même bureau, est chargé des relations avec le Parlement, et le colonel Bienfait, chef du bureau « Maintien en condition opérationnelle » au sein de l’état-major de l’armée de terre.

Je suis depuis le 1er août 2008 sous-chef « Emploi et soutien » à l’état-major de l’armée de terre, fonction intitulée « sous-chef Opérations-logistique » avant l’entrée en vigueur du décret n° 2005-520, qui a rétabli en droit la responsabilité de fait de l’état-major des armées dans les opérations au sens large. Il est évident que l’armée de terre, qui fournit 80 % des troupes déployées, ne pouvait se désintéresser des opérations. Mon rôle est donc d’assister le chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT) dans son rôle de conseil auprès du chef d’état-major des armées, s’agissant de l’emploi des troupes en opérations. Je suis l’interface du CEMAT pour le représenter auprès de l’état-major des armées, en externe, et auprès des commandements de l’armée de terre, en interne.

La partie « emploi » de ma fonction concerne le volet organique de la préparation, de la montée en puissance et de la conduite des opérations. La partie « soutien » concerne le soutien de l’homme, les munitions, transports et transits. Le maintien des matériels en condition opérationnelle relève du bureau « MCO » du colonel Bienfait, et la maintenance du matériel relève de la direction centrale, sous le commandement du général Verna.

Le volet logistique me concerne dès lors que l’état-major des armées nous confie le rôle d’armée pilote du soutien. Mes attributions sont alors élargies au-delà de ce que je viens de décrire.

Il m’appartient de relayer la préoccupation du CEMAT, qui est de fournir à nos troupes, aujourd’hui et demain, le matériel le mieux adapté à la nature de nos engagements les plus probables, sans pour autant sacrifier l’avenir. Il en résulte, en matière d’organisation budgétaire et de financement des besoins, une double ambition :

– assurer un soutien optimum de nos troupes en opération à partir du budget opérationnel de programme (BOP) « Opex » ;

– fournir les équipements et matériels les mieux adaptés à la nature très spécifique de nos engagements à partir du BOP « Terre » et du programme 146 « Équipement des forces », pour les opérations d’urgence. L’urgence opérationnelle ne doit pas être financée par la seule partie terre du programme 146, qui est interarmées.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Les auditions de ce jour ont pour objet d’examiner les coûts et surcoûts des opérations militaires extérieures, ou Opex. Je souhaite poser au général Clément-Bollée deux premières séries de questions.

S’agissant tout d’abord des ressources humaines nécessaires aux Opex, pourriez-vous nous préciser les rythmes de rotation des troupes, leur influence sur le recrutement ainsi que les mesures prises en matière de rémunération ?

S’agissant ensuite des besoins spécifiques des troupes en Opex, il n’est un secret pour personne que de nombreux militaires achètent sur leurs propres deniers une partie de leur équipement (gants, lunettes de soleil pare-éclats, gilets, lampes, vêtements polaires…). Quelle est la part d’équipements achetés par vraie nécessité et celle achetée par effet de mode ou par confort ? Quels sont les manques avérés en matière d’équipement individuel ?

M. le général Bertrand Clément-Bollée. La première question appelle une réponse en trois temps.

En ce qui concerne le rythme des rotations de troupes projetées en Opex, la France observe une pratique quasi-constante, reposant sur des rotations de 4 mois. Certaines opérations conduites sous l’égide de l’Organisation des Nations-Unies, notamment au Cambodge, reposaient toutefois sur des rotations de 6 mois.

Tel est également le cas des troupes françaises en Afghanistan. Cela s’explique par un souci d’efficacité opérationnelle. La nature spécifique des opérations conduites en Afghanistan, ainsi que la nécessaire acculturation de nos troupes, impliquent un délai de rotation suffisamment long. Le retour sur expérience de l’opération « Dinner out », conduite sous la responsabilité du colonel Nicolas Le Nen, pendant 10 jours, a confirmé la pertinence du délai de rotation de 6 mois. Menée après 3 mois de présence des troupes sur le sol afghan, cette opération ne pourrait être répétée si le délai de rotation était ramené à 4 mois.

La présence des troupes pendant 6 mois est continue, sans permission. L’instauration d’une permission nécessiterait un accroissement de plus de 20 % des effectifs mobilisés, ce qui n’est pas envisageable. La durée du délai de rotation et l’absence de permission ont justifié des mesures d’accompagnement.

D’une part, le contrat moral avec nos soldats est que les troupes présentes pendant 6 mois en Afghanistan ne sont pas projetées vers un théâtre d’opérations extérieures pendant les 12 mois qui suivent leur retour en France. D’autre part, des mesures d’accompagnement psychologique ont été prises. Ainsi, sera expérimenté en juin un « sas de désengagement », dont l’objet est de permettre aux troupes quittant l’Afghanistan de se réhabituer à un rythme de vie classique, sans menace permanente pour leur sécurité. L’expérimentation de juin consistera à faire transiter par Chypre, pour 48 heures, 80 personnes en provenance des OMLT (Operational Mentoring Liaison Team) d’Afghanistan.

Deuxième aspect de votre question, l’impact des opérations extérieures sur les recrutements ne suscite pas d’inquiétude. Un équilibre s’est établi entre le caractère dissuasif des pertes enregistrées, notamment lors de l’accrochage d’OUZBIN en août 2008, et l’intérêt de connaître les réalités d’un théâtre d’opérations. Parmi les partants, les non-renouvellements d’engagements sont souvent dus aux contraintes de la vie militaire, en particulier la mobilité géographique et la disponibilité. Ce dernier point est important puisqu’il n’existe pas de volontariat pour les opérations extérieures : une fois choisi ce métier, on ne choisit pas ses missions, principe sans cesse rappelé à nos militaires.

Les suppléments de rémunérations sont les mêmes pour toutes les opérations extérieures, quel qu’en soit le lieu. Il ne saurait y avoir, ici, le théâtre des seigneurs de la guerre, et, là, celui des valets d’armes. En Afghanistan, les conditions d’engagement sont d’une intensité majeure. Mais celles subies au Tchad en février 2008 l’étaient tout autant. La solde est donc la même sur tous les théâtres d’opérations extérieures. En tout état de cause, le traitement d’un militaire français en Opex est largement supérieur à celui d’un militaire britannique : dans le cas d’un général de brigade, sur six mois après retenues diverses, 72 090 euros pour le français et 55 463 euros pour le Britannique ; pour un militaire du rang, 18 558 euros pour le français et 12 901 euros pour le Britannique. En métropole la comparaison de la solde est par contre largement en faveur du Britannique.

La situation des rémunérations en opérations extérieures dans l’armée de terre française est donc bonne. D’ailleurs, on ne trouve pas, sur le blog du CEMAT, de courriers portant sur les rémunérations en opérations extérieures. En revanche, les personnels estiment que les opérations extérieures apportent une expérience professionnelle enrichissante et irremplaçable, qui permet de « bien vivre son métier ». Le gain financier apparaît comme la juste prise en compte des exigences du service, car il faut aussi « vivre de son métier ».

Enfin, les achats de matériels faits directement par les personnels, un problème récurrent dans les armées, correspondent à plusieurs types de situation. Il peut s’agir d’une initiative individuelle pour améliorer son équipement, voire pour disposer d’un équipement valorisant, comme celui des forces spéciales françaises ou celui d’unités américaines côtoyées sur le terrain.

L’autre cas est celui de l’abus de pouvoir, à savoir une obligation d’achat imposée par le commandement quel que soit son niveau. L’état-major de l’armée de terre interdit et combat en permanence cette pratique. Il revient en effet à la République d’équiper ses soldats.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Plusieurs problèmes précis se sont posés récemment : les gants, les genouillères et les lunettes pare-éclats.

M. le général Bertrand Clément-Bollée. Des vagues d’achat ont pu avoir lieu récemment en Afghanistan à l’occasion de la montée en puissance du dispositif des OMLT, militaires placés dans des formations afghanes. L’isolement de ces personnels a pu amplifier le phénomène d’achats individuels.

D’ailleurs, il est vrai qu’au début du programme OMLT, il n’y avait pas de lunettes pare-éclats dans les équipements de l’armée de terre. Sur la base des demandes du terrain, des achats ont été faits : 2 167 masques balistiques, ce qui a permis d’équiper tous nos personnels ; 1 968 lunettes de combat envoyées récemment. L’armée de terre fournit à ses soldats tous les équipements qui contribuent à l’efficacité opérationnelle, ce qui n’empêche pas des achats supplémentaires à titre individuel.

S’agissant des gilets pare-balles, les personnels, sur les théâtres d’opérations extérieures, ont d’abord été tous équipés d’un gilet S3, d’un coût unitaire de 950 euros, conçu pour les gardes statiques et la protection contre les snipers en Bosnie, avec une bonne protection du cou et du bas du corps. D’autres types de gilets, dits « de classe 4 », mieux adaptés aux situations de combat et d’assaut et d’un coût unitaire de 3 200 euros, ont d’abord équipé les forces spéciales. Tout le personnel en Afghanistan en est aujourd’hui équipé. Il en sera de même, sous peu, au Liban compte tenu de ce qui s’est passé à Gaza. Résistant aux balles blindées les plus courantes et gênant moins les mouvements, les gilets de classe 4 ont toutefois l’inconvénient d’offrir une protection moins étendue que ceux de classe 3.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Merci pour vos réponses sur les équipements. S’agissant des matériels, lors d’une mission parlementaire en Afghanistan en septembre 2008, nous avions noté des retards pour la mise à disposition d’hélicoptères Caracal, de drones et de véhicules blindés légers. Le Premier ministre nous a reçus à notre retour. Nous l’avons saisi de ces carences. Depuis lors, les deux premiers types de matériel ont été livrés. Qu’en est-il des véhicules, dont certains n’étaient pas blindés ? Des carences existent-elles sur d’autres théâtres ?

M. le général Bertrand Clément-Bollée. Une remarque sur nos drones, que nous utilisons à des fins tactiques, alors que l’armée de l’air les met en œuvre au niveau opératif, ils dépassent nos attentes.

Les deux types de véhicules légers sont les véhicules blindés légers (VBL), qui ont été surblindés, et les véhicules de l’avant blindé (VAB) qui ont été revalorisés et surblindés. En outre, nous remplaçons sur 60 VAB les tourelleaux anciens qui forcent à une exposition du servant de l’arme, par des tourelleaux téléopérés depuis l’intérieur du véhicule.

Par ailleurs, la logistique du bataillon déployé dans la Kapisa a été réalisée par de petites équipes intégrées sous VAB. D’autres véhicules équipent nos forces en Afghanistan, comme des camions blindés. De plus, des kits de blindage jouant le rôle de « peau blindée » sont utilisés pour recouvrir les parties où se trouvent les équipages de ces camions.

Aujourd’hui, il n’y a pas de véhicule s’engageant à l’extérieur d’une base avancée FOB (Forward Operating Base), qui n’ait été revalorisé en matière de protection balistique.

Par ailleurs, il faut distinguer les dispositifs de protection passifs (blindage par plaques) et les protections actives (par brouilleur). L’armée de terre détient 356 brouilleurs pour les VAB plus 90 pour les VBL, dont respectivement 325 et 74 sont opérationnels. La différence s’explique par la nécessité de recalage mensuel, avec achats de filtres, destinés à assurer une compatibilité avec l’utilisation des postes radio.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quelles sont les incidences des principaux programmes d’urgence en termes budgétaires et par rapport aux besoins ? Je vise en particulier les chenillettes déployées dans les zones montagneuses afghanes et qui avaient été demandées par le précédent chef d’état-major de l’armée de terre, sans réponse positive de l’état-major des armées. Je pense également aux matériels roulants blindés et protégés contre les mines (Buffalo et Aravis).

M. le général Bertrand Clément-Bollée. On peut certes s’interroger sur la raison d’être d’une phase d’acquisition alors que nous sommes en intervention… Il ne s’agit pas d’une carence d’anticipation, même si les programmes d’armement sont longs à mettre en œuvre. La raison en est que l’environnement change. La plupart de nos matériels ont été conçus pendant la période du Pacte de Varsovie où il fallait faire face à une menace statique de 45 000 chars placés derrière la frontière, avec la perspective d’une intervention limitée à huit jours. Or les opérations actuelles durent. Elles sont déployées dans des théâtres où les menaces sont moindres mais où l’adversaire utilise des moyens de contournement de puissance sur nos vulnérabilités, par voie médiatique ou en agissant sur le moral. Nos matériels se retrouvent inadaptés aux problèmes de l’engagement actuel, par exemple en Afghanistan, et au contexte de cet engagement, avec les besoins d’interopérabilité multinationale. Ils doivent donc être améliorés. C’est le cas de l’achat en 2008 de 50 PRC117, petits appareils radio qui permettent de communiquer avec les avions de l’Alliance, pour un coût global de 4 millions d’euros.

L’Afghanistan nous a montré que la pratique des itinéraires est délicate car ils sont en mauvais état. Certains endroits sont des points de passage obligés et l’adversaire les exploite en y plaçant ses explosifs improvisés, ou IED (improvised explosive devices), qui font des dégâts considérables. Nous avons donc développé un principe d’incertitude sur notre attitude dans les axes, avec des véhicules qui permettent de s’affranchir de ces points de passage obligés. Les véhicules les plus adaptés sont ceux qui équipaient déjà la 27ème brigade d’infanterie de montagne et le 3ème régiment étranger d’infanterie, pour la protection du pas de tir d’Ariane en Guyane : les véhicules articulés chenillés (VAC) et les véhicules haute mobilité (VHM), le deuxième étant un peu plus blindé que le premier. 8 VHM ancienne génération (BV 206S) et 4 VAC (BV 206) ont été déployés en Afghanistan avec la relève du bataillon de chasseurs alpins. Il existe dans l’armée de terre 52 VAC et 12 VHM ancienne génération. Nous avons donc demandé auprès de l’état-major à confirmer ce programme. 53 véhicules seront commandés en 2009, pour une cible totale de 129 unités. Le choix de l’industriel n’a pas été encore effectué.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quel est l’industriel qui fabrique ce matériel ?

M. le général Bertrand Clément-Bollée. Il s’agit du Finlandais Hagglünds et du Singapourien Bronco qui fabrique un matériel beaucoup plus volumineux. Il faut compléter les véhicules d’appareillages qui leur font défaut (grilles de protection pour le déclenchement des charges creuses avant le blindage proprement dit, brouilleurs).

Une semaine après la première utilisation de ces véhicules, nous avons constaté que leur agilité était littéralement « testée » – avec succès pour nous – par les talibans, qui avaient disposé un explosif visible sur un axe et ont pu voir le véhicule quitter la route et contourner l’obstacle. Cela nous a incités à l’adaptation réactive de notre doctrine d’emploi. Nous avons cependant peu d’unités équipées de ces matériels, et le bataillon les réserve plus particulièrement à l’hiver, avec le maintien du principe d’incertitude en été.

L’usure de nos VAB est le deuxième souci majeur que nous avons pour les véhicules blindés en Afghanistan. Véritable mule de l’armée de terre, il s’use deux fois plus vite dans ce pays. Après différentes attaques par IED, ce matériel a montré qu’il est assez résistant et présente un bon équilibre entre son blindage et sa légèreté relative (en comparaison du MRAP des État-Unis). Le chef d’état-major de l’armée de terre se bat actuellement pour obtenir le lancement du programme VBMR (véhicule blindé multirôle) de remplacement du VAB avant la fin de la loi de programmation militaire dont le projet de loi est en cours d’examen devant votre assemblée. Pour l’armée de terre, c’est un élément stratégique pour la cohérence de l’opération Scorpion, qui est la mise en conformité de l’engagement opérationnel haute intensité du groupement tactique interarmes (numérisation de l’espace de bataille, mobilité, protection sous blindage). Il faut absolument anticiper ce programme, car le vieillissement du VAB est avéré et sa durée initialement prévue à 2025 ne pourra pas être tenue.

M. le Colonel Lillo. Des photos vous montrent l’état de vieillissement de ces engins, qui vont être réparés, avec des coûts forcément très importants. Elles vous permettent de mieux comprendre l’inquiétude du CEMAT et son insistance pour que la réalisation du VBMR soit conforme à ce qui est indiqué dans le projet de loi de programmation militaire.

Mme François Olivier-Coupeau, Rapporteure. J’aimerais savoir sur quel support budgétaire sont imputés les coûts et surcoûts d’équipement que vous subissez, notamment pour répondre à l’usure rapide des véhicules en Afghanistan. Est-ce le BOP Opex ? le BOP Armée de Terre en supporte-t-il une partie et si oui selon quelles modalités ?

M. le Général Bertrand Clément-Bollée. À titre global, l’équipement collectif a représenté 108,5 millions d’euros pour l’adaptation réactive.

M. le Colonel Lillo. Les coûts d’entretien du matériel de l’armée de terre inspirent une véritable inquiétude. L’on finançait auparavant l’ensemble de l’entretien des matériels présents en métropole et sur les théâtres extérieurs sur l’enveloppe annuelle globale de 350 millions d’euros. Cependant, à la suite d’éléments déclenchants majeurs, au Liban d’abord, en Afghanistan ensuite, les coûts de maintien en condition opérationnelle sur ces deux théâtres ont explosé. Or il faut procéder à l’entretien à enveloppe constante, ce qui a pour conséquence de contraindre très fortement le coût d’entretien des matériels en métropole. La pression qui en résulte va devenir intenable sur le plan budgétaire ainsi que pour la gestion des matériels.

Ceci malgré les aménagements d’entretien intervenus dans le cadre de la nouvelle politique d’emploi et de gestion des parcs (PEGP). La réponse à votre question est que ces coûts ne font pas l’objet d’une prise en compte particulière sur le BOP Opex et ne font pas l’objet d’un remboursement intégral ; un remboursement de 14 millions d’euros a eu lieu en fin d’année 2008, mais il ne représentait qu’une part limitée des surcoûts.

Les surcoûts de maintien en condition opérationnelle devraient être pris en compte dès le début d’année de gestion car ils s’apparentent à de l’achat de flux ; c’est d’ailleurs la recommandation qu’a faite la Cour des comptes. La dotation prévisionnelle des Opex qui devrait être augmentée de 120 millions d’euros pour les prochaines années, doit en tenir compte. Ces coûts sont estimés à 25 à 30 millions d’euros par an sur la base des activités actuelles de l’armée de terre en Afghanistan.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. De quelle manière le matériel est-il réparti et utilisé sur les théâtres d’opérations extérieurs et en métropole ?

M. le Général Bertrand Clément-Bollée. Auparavant, les unités partaient se déployer sur un théâtre d’opérations avec leur propre parc, livré sur place, ce qui représentait un coût mais comportait aussi des avantages en termes de visibilité de la présence militaire. Ainsi par exemple, en Côte d’Ivoire lors de l’opération Licorne, les importants convois de logistique liés au remplacement des unités, intervenant tous les quatre mois, rappelaient à la population et à l’opinion la présence militaire, ce qui pouvait contribuer à maintenir la stabilité de la région et le règlement des affaires de manière apaisée. Aujourd’hui, l’armée s’adapte et participe à l’économie générale des moyens : nous avons adopté la politique d’emploi et de gestion des parcs, et le matériel est désormais sectorisé sur les théâtres d’opération.

Auparavant, une unité comme le 1er régiment étranger de cavalerie, quand j’en étais chef de corps, pouvait disposer des 48 véhicules AMX 10 RC pour son entraînement, ce qui serait inconcevable aujourd’hui. Désormais, le parc en service permanent permet l’entraînement courant des unités au niveau « compagnie plus », qui est celui de la compagnie ou de l’escadron, complété de quelques éléments d’infanterie, mais pas au-delà, et un régiment ne pourrait s’entraîner en garnison avec tous ses matériels.

Le parc total en OPEX est important (il compte 2 500 véhicules dont 900 blindés) ; quelque 500 VAB sont stationnés en Afghanistan. Pour éviter l’éventualité d’une destruction totale du matériel, des mandats ont été donnés à une mission d’audit menée par la direction centrale du matériel de l’armée de terre, la DCMAT, de faire le tour des théâtres, afin de prendre les décisions nécessaires de relève du matériel. Les décisions de relève sont prises au cas par cas, en fonction du taux d’usure du matériel, afin d’éviter de se trouver dans la situation de ne pas pouvoir maintenir ce matériel en condition opérationnelle. On s’impose un taux de 90 % de disponibilité en dessous duquel on ne doit pas descendre pour les engagements en opération. La situation des parcs majeurs est transmise chaque matin au CEMAT, qui prend les décisions nécessaires. Nous sommes globalement au-dessus de ce taux de 90 % sauf cas particulier comme au Tchad, où on a appliqué ponctuellement un taux inférieur pour un type de véhicule.

En Afghanistan, nous avons rencontré une situation dans laquelle la menace de mines était particulièrement avérée et la capacité de protection de nos équipes NEDEX (neutralisation, enlèvement et destruction d’explosifs) n’était pas assurée. Le Buffalo, véhicule doté d’un bras télé-opéré, est le seul engin qui répond parfaitement à ces situations. Cinq de ces véhicules ont été achetés directement aux États-Unis dont trois se trouvent en Afghanistan. Ils sont pour le moment sur le théâtre d’opérations en « acculturation du concept d’emploi ». En effet, on a préparé les personnels mais il faut respecter une période d’adaptation aux réalités du terrain avant de l’engager dans des opérations lourdes, ce qui suppose un temps de montée en puissance. Les spécialistes du déminage pourront ainsi intervenir en étant totalement protégés par le bras télé-opéré et pourront s’approcher au plus près des charges explosives.

À côté du Buffalo, il faut une autre équipe, qui utilise actuellement le véhicule d’accompagnement VAB, dont le degré de protection n’est pas du tout le même, c’est pourquoi on veut l’équiper d’un type de blindage plus performant. Une commande de 15 véhicules Aravis a été passée à Nexter pour le remplacer. Dans l’intervalle, c’est encore le VAB qui est utilisé. Nous avons demandé le prêt sur zone de matériel américain MRAP, qui permet de rester dans le concept d’emploi, mais cette démarche, pour le moment, n’a pas abouti.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. L’entraînement des troupes pour l’Afghanistan suppose une préparation renforcée, en centre d’aguerrissement en montagne notamment. Le surcoût lié à cette préparation est-il calculé et comptabilisé dans les surcoûts Opex ?

M. le Général Bertrand Clément-Bollée. Non, ce surcoût n’en est pas comptabilisé dans les surcoûts Opex. C’est pourquoi nous avons, en la matière aussi, adopté le principe de différenciation dans la préparation opérationnelle, en définissant trois couches de préparation incontournables : la formation individuelle des personnels, l’acquisition des missions communes de l’armée de terre et enfin l’acquisition du métier de base dans le cœur de métier – fantassins, blindés, ou autres.

Ensuite, au lieu de placer tout le monde dans la même situation moyenne supérieure d’intervention, on adapte la préparation des personnels en fonction de leur lieu futur de déploiement et de la durée de leur mission. Le standard d’exigence opérationnelle de la mise en condition de projection (MCP) des personnels, laquelle dure six mois, a été élevé, pour les personnels destinés à partir en Afghanistan, à un niveau qui n’a jamais été atteint auparavant

Ce sont donc 7 500 personnels qui sont formés sur ce standard chaque année à cette fin, et il s’agit d’un investissement car ces compétences élevées demeureront. On investit en même temps pour remplir les engagements du Livre blanc, soit 30 000 hommes formés pour une entrée en premier sur un théâtre. Cela justifie que ce coût ne soit pas imputé directement sur les coûts Opex. Il pourrait être intéressant pour votre mission de voir la manière dont la mise en condition de projection est effectuée dans le camp de Canjuers lorsque le module de MCP y sera complètement développé.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Deux questions « d’intendance ». La première sur l’armée pilote de soutien : avez-vous, dans le cas où vous êtes armée pilote de soutien, pris des dispositions réglementaires qui gèrent cette disposition ?

Ma deuxième question est relative à l’externalisation : quel est le regard de l’armée de terre sur le programme CAPES-France (Capacités additionnelles par l’externalisation du soutien des forces françaises) dans les différents théâtres tels le Kosovo ou le Tchad, avec les opérations Épervier et Eufor ?

M. le Général Bertrand Clément-Bollée. Les dispositions réglementaires pour l’armée pilote de soutien s’organisent de la façon suivante : lors du lancement d’une opération, l’état-major des armées désigne une armée pilote de soutien. Cette désignation fait l’objet d’une directive administrative et logistique (DAL). Le sous-chef « Emploi et soutien » fait rédiger par l’état-major opérationnel terre un autre document, l’ordre administratif et logistique (OAL) qui s’appuie sur la circulaire 23-50. À noter que cette circulaire nécessitera d’être totalement refondue pour tenir compte des évolutions prochaines, notamment de l’état-major des armées puisque le centre de responsabilité budgétaire inter-armées (CRBIA) sera bientôt adossé au centre interarmées d’administration des opérations (CIAO) qui n’est pas encore opératoire. Dans l’OAL Licorne, par exemple, est définie l’organisation administrative et budgétaire de ce qui va se passer sur le terrain. Les évolutions sont essentiellement des évolutions interarmées et surtout le fait que l’EMA prenne bien en compte que le BOP Opex est un BOP de plein emploi. Toute la responsabilité lui revient.

La directive 2009 du sous-chef opérations à l’EMA, indique effectivement que la notion d’« armée de soutien » disparaît au sens budgétaire du terme, mais cette directive indique également que les armées doivent rester totalement investies dans le soutien. Il reste des modèles d’organisation qui relèvent d’une culture propre à chaque armée. Par exemple, l’armée de l’air est pilote de soutien au Tchad, pour l’opération Épervier. Elle a mis en place une base située à N’Djamena, un satellite à Abéché et c’est à peu près tout : les moyens au sol sont très concentrés.

L’armée de terre est pilote de soutien en Afghanistan et en Côte d’Ivoire. Dans ce pays, par exemple, le dispositif est étendu sur de longues distances. Au début des opérations, les régiments pouvaient être distants les uns les autres de 600 ou 800 kilomètres, ils pouvaient avoir des escadrons à 300 kilomètres, puis des pelotons à 150 kilomètres. L’armée de terre a une nécessité d’entretien des compétences pour faire face aux urgences. J’aurais pu citer un exemple très particulier sur ce qui s’est passé à la mise en place de notre bataillon dans la Kapisa l’année dernière. Nous avons été obligés de monter dans l’urgence une escale intermédiaire aux Émirats arabes unis avant le déploiement des troupes, avec l’obligation de s’affranchir d’une organisation type et de répondre à un besoin réel de mobilisation de ressources financières.

M. Georges Tron, Président. Je vous prie de m’excuser mon général, mais vous allez comprendre la notion d’urgence appliquée au Parlement. Nous sommes appelés dans l’hémicycle immédiatement pour participer à un scrutin. Je voulais vous dire tous nos remerciements, car les échanges ont été à la fois passionnants et enrichissants. Les Rapporteurs auront peut-être à vous adresser par écrit des questions complémentaires.

——fpfp——