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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mission d’évaluation et de contrôle

Opérations militaires extérieures, notamment sous mandat international

Jeudi 30 avril 2009

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 30

Présidence de M. Georges Tron, Président

– Audition du vice-amiral Xavier Magne, sous-chef d’état-major « opérations – aéronautique navale » à l’état-major de la marine

M. Georges Tron, Président. Amiral, j’ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue au nom de la mission d’évaluation et de contrôle, ainsi qu’au capitaine de vaisseau Christophe Caillet. Vous connaissez le principe des auditions de la MEC : il s’agit d’avoir un dialogue le plus interactif possible avec vous sur les sujets, aujourd’hui les Opex, qui font l’objet des investigations de la mission.

Nos deux rapporteurs sont Madame Françoise Olivier-Coupeau et Monsieur Louis Giscard d’Estaing. Monsieur Louis Giscard d’Estaing, ayant dû regagner sa circonscription, vous demande de bien vouloir l’excuser. Conformément à la tradition de la MEC, leurs travaux sont conduits dans un esprit non partisan. Les deux rapporteurs représentent l’opposition et la majorité, mais également les deux commissions compétentes : celle des Finances, dont la MEC est une émanation, et la commission de la Défense. Nous bénéficions de l’expertise de la Cour des comptes, en la personne du président Alain Hespel, président de la deuxième chambre, de Madame Françoise Saliou, président de section et de Monsieur Benoît d’Aboville, conseiller maître.

Peut-être pourriez-vous, Amiral, à titre liminaire, nous indiquer comment se présente, pour la marine, la question des Opex et quel est plus particulièrement votre rôle en la matière. Après quoi, Madame Olivier-Coupeau vous posera des questions.

Vous avez la parole.

M. le vice-amiral Xavier Magne, sous-chef d’état-major « opérations – aéronautique navale » à l’état-major de la marine. Merci, monsieur le président. Tout d’abord, je suis un peu gêné pour parler d’opérations extérieures, car contrairement à l’armée de terre ou à l’armée de l’air, cette notion n’a pas vraiment de sens pour la marine. Initialement, ces deux armées ont en effet été conçues pour défendre le territoire national  et sont, de ce fait, structurellement sédentaires. Cela ne signifie pas qu’elles le soient aujourd’hui, mais elles ont été organisées pour cela. Dans l’armée de terre, les troupes de marine rassemblaient les unités ayant vocation à être projetées, c’était le corps expéditionnaire. Aujourd’hui ce n’est plus vrai : c’est l’ensemble de l’armée de terre qui se projette. À l’inverse, de tout temps, la marine a eu pour mission d’opérer sur les mers, donc par définition à l’extérieur du territoire national. C’est la raison pour laquelle nous sommes embarrassés par la notion d’opérations extérieures, en particulier, s’agissant de l’aspect financier de ces opérations dites « extérieures », car pour la marine sont des opérations normales.

La construction financière de la marine avait été conçue pour tenir compte de l’éloignement et d’un certain nombre d’autres considérations. Nous avons notamment un système de majorations lorsque les personnels sont embarqués. Est prise en compte la dimension de diplomatie navale avec la question des « pertes au change », lorsque les bâtiments sont en escale. Ces dispositions, qui avaient été bâties pour la marine depuis des années et qui fonctionnaient bien, ont été bouleversées par l’apparition de la notion d’opérations extérieures.

Le précédent chef d’état-major de la marine ne voulait d’ailleurs pas rentrer, au début, dans la logique des opérations extérieures, considérant qu’un bâtiment avait vocation à se déployer hors de son port base, et que cela faisait partie des coûts normaux de fonctionnement de la marine. C’est pourquoi nous avons toujours essayé de planifier notre activité, y compris en tenant compte des opérations imprévues ou ordonnées avec peu de préavis.

L’indemnité de sujétion pour service extérieur (ISSE) a probablement fait l’objet d’un certain nombre de confusions et constitue une des difficultés sur lesquelles nous butons : beaucoup la confondent avec une prime de risque ou de danger, ce qu’elle n’est évidemment pas. L’ISSE est une prime de résidence, ou l’alignement d’une prime de résidence sur une sorte de socle commun. L’ISSE n’est pas non plus un moyen de compenser l’érosion du pouvoir d’achat. Ces confusions ont causé beaucoup de tort.

La raison pour laquelle le précédent chef d’état-major de la marine s’était senti obligé d’entrer dans la logique de l’ISSE est liée au fait qu’entre le système ancien de primes et l’attribution de l’ISSE, existent des différences qui apparaissent inéquitables. Prenons l’exemple du Nivôse, bâtiment qui navigue actuellement dans l’océan Indien. Qu’il travaille pour l’opération internationale Atalanta, liée à la lutte contre la piraterie, ou pour le compte d’une opération nationale, il n’y a pas fondamentalement de différence pour l’équipage : le bâtiment est éloigné de son port base pour une longue durée. Il faut donc donner aux familles les moyens de gérer convenablement l’absence du chef de famille ; c’était là l’objet des primes d’éloignement et d’embarquement.

Cela explique pourquoi la notion récente d’Opex nous met mal à l’aise. C’est presque une prime au mauvais élève, une incitation à ne pas déployer les forces. Je constate, après trente–trois ans d’expérience dans les armées, que nous n’avons pas la possibilité de définir des indicateurs de performance. Nous ne produisons rien en réalité, si ce n’est de la sécurité et de la paix. Et cela ne se mesure pas, ou alors en négatif, en cas d’échec. Si par hasard nous ne sécurisons pas le détroit de Bab el Mandeb ou une route maritime, l’effet négatif sur l’économie ou sur l’industrie se ressent immédiatement. A contrario, l’on ne verra pas l’effet de quarante ou soixante ans de paix, ce qui est d’ailleurs une des difficultés de lisibilité de la dissuasion nucléaire.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. En termes comptables, pouvez-vous nous préciser quand les coûts d’une opération sont imputés sur le BOP Opex ou sur le BOP Marine ? Existe-t-il une différence ? En ce qui concerne le personnel, un marin croisant dans l’Atlantique ou un marin au large du Pakistan ont-ils la même solde ? Lequel bénéficie de l’ISSE ? Une mission Opex débute-t-elle dès le départ du port ou à l’entrée dans une zone prédéfinie ?

M. le vice-amiral Xavier Magne. Une mission Opex fait référence à une zone géographique. C’est le cas de la zone Enduring Freedom qui part de Suez, prend une partie de la mer d’Arabie, le golfe d’Aden et le golfe Persique. Très concrètement, lorsqu’un bâtiment se déploie pour une mission Opex, un « cliquet » s’enclenche en fonction des zones traversées. Cela a été le cas du groupe aéronaval pour lequel un décompte a commencé à l’entrée dans le golfe de Suez et a pris fin lorsqu’il a franchi Suez au retour de la métropole. Pratiquement, ce n’était pas à l’appareillage de Toulon. Cela correspond bien au caractère dual de notre marine : un bâtiment peut, par définition, basculer à tout moment d’une mission à une autre. Un bateau prépositionné dans le golfe de Guinée pour être prêt à réaliser une éventuelle évacuation de ressortissants peut, à tout moment, être appelé par exemple à participer à une opération de lutte contre des narcotrafiquants au large du Libéria.

Une des particularités de la marine réside dans le fait que, contrairement aux autres armées, un bateau qui se déplace peut changer de contrôleur opérationnel en fonction de la mission attribuée. Lorsque l’on est déployé en Opex pour une opération extérieure identifiée réglementairement par l’état-major des armées, il y a un moment où l’on entre dans cette zone et où l’on commence la mission. Puis, il y a un moment où l’on en sort, la mission Opex est alors terminée. Certaines modalités peuvent sembler un peu surprenantes : si l’opération dure moins de quinze jours, l’équipage ne perçoit pas l’ISSE, ce qui conduit à s’interroger sur l’opportunité de cette restriction. Lors de l’opération de libération des otages du Ponant, les commandos sont restés moins de quinze jours sur place. Pour autant, ils sont réellement partis en mission opérationnelle loin de chez eux.

Les primes de majoration et de perte de change avaient l’avantage d’être indexées sur l’éloignement, sur la durée, sur le type de pays dans lequel se déroulait la mission. Elles étaient liées à une activité et à une durée d’éloignement de la famille. Un marin déployé dans l’Atlantique et un marin déployé dans l’océan Indien peuvent avoir des statuts différents : le second aura peut-être un statut Opex, ou, tout comme le premier, un statut « régime des bâtiments navigant à l’extérieur ». La zone géographique de ce régime est délimitée par deux méridiens : le 12-Ouest et le 19-Est. À l’intérieur de ces méridiens est définie la zone 1. Dans cette zone, que l’on soit au pôle nord ou au pôle sud, la solde n’est pas ou peu modifiée. À l’extérieur de ces méridiens, dans la zone 2, la solde change substantiellement.

Madame Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Concrètement, un marin déployé en zone 2 dont le bateau entre simultanément en zone Opex, cumule-t-il la majoration liée à la zone 2 avec la prime ISSE liée à l’Opex ?

M. le vice-amiral Xavier Magne. Il n’y a pas de cumul : on est soit dans un régime, soit dans un autre. Bien sûr, il existe la tentation de basculer dans le régime ISSE parce qu’il est plus favorable. Le régime des bâtiments navigant à l’extérieur dépend de l’activité du bateau. Pour l’équipage du porte-avions, qui effectue rarement des escales, il est plus rémunérateur d’être placé en régime Opex et de percevoir l’ISSE. C’est pour cela que je disais précédemment que c’est un peu une prime au mauvais élève. Cela n’incite pas forcément à la vertu.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Les moyens engagés dans l’opération FINUL maritime ont-ils été redéployés ? A-t-on réalisé des économies ? Si oui, ont-elles été chiffrées ?

M. le vice-amiral Xavier Magne. Les moyens dégagés de la FINUL maritime sont entièrement réemployés. D’une façon générale, je n’ai pas de moyens inemployés. Quand un bâtiment est dégagé d’une opération, il est vite affecté à une nouvelle mission. Nous sommes sortis de la FINUL maritime car il ne pouvait plus y avoir de financement de l’ONU pour la présence de notre bateau. En outre, notre intégration à la FINUL maritime gênait nos activités bilatérales avec nos partenaires libanais. Notre coopération de marine à marine n’est pas forcément compatible avec la logique onusienne ni avec l’agenda des autres pays participant à la FINUL. Nous avons choisi des créneaux de présence en « national » pour mener une activité beaucoup plus dense, construite et suivie dans le temps. Cela permet d’assister la marine libanaise dans sa progression, car nous considérons que la surveillance de la zone devra, à terme, lui revenir. Pour transmettre le savoir-faire aux Libanais, nous avons donc extrait notre navire de la FINUL. Il est resté quelque temps sur zone pour faire de la coopération, puis a été redéployé. Un autre bâtiment se rendra au Liban dans des créneaux bien identifiés pour parfaire méthodiquement cette coopération.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Nous avons quelques inquiétudes en ce qui concerne l’immobilisation imprévue du porte-avions Charles de Gaulle. Quelles en sont les conséquences, notamment financières ? Qui va payer ?

M. le vice-amiral Xavier Magne. Le problème posé par l’immobilisation du bâtiment est la transmission du savoir. En ce domaine nous avons une capacité de pointe grâce à quarante ans de savoir-faire accumulés par l’utilisation intensive des porte-avions Foch et Clemenceau. L’interruption d’activité liée à l’immobilisation nécessaire pour le changement des cœurs des réacteurs a réduit les possibilités d’entraînement, ce qui a compromis la transmission du savoir par les pilotes les plus anciens. Or, nous avons besoin de temps pour que les pilotes retrouvent le niveau initial. Il faut maintenant identifier le savoir perdu. Compte tenu de la crise économique et de la situation difficile des compagnies aériennes civiles, nous ne sommes pas trop inquiets quant au risque de départ vers le civil des pilotes les plus anciens et les mieux formés, mais ce ne sera plus le cas lors de la reprise économique. Un tel savoir-faire s’entretient en étant utilisé lors des déploiements de nos porte-avions sur des théâtres d’opération.

S’agissant des questions financières, nous connaissons, grâce à la commission d’enquête, les pièces qui sont à l’origine de l’immobilisation du navire, mais nous n’avons pas encore parfaitement identifié la cause des problèmes rencontrés. Les experts trancheront. Ce sont des pièces de haute précision qui nécessitent plusieurs mois d’usinage et de traitement thermique. Nous avons heureusement requalifié le bateau pour ce qui concerne le cœur de sa capacité, à savoir les pilotes qui ont déjà été formés à bord et qui peuvent opérer en toutes circonstances. S’agissant des plus jeunes pilotes, nous les qualifierons lorsque le bateau reprendra la mer. Le pire serait une interruption significative dans leur progression.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Je voudrais évoquer les frégates multi – missions (FREMM). Le Livre blanc a prévu que l’on en commande 11 au lieu des 17 prévues au départ. Le délai de construction est passé de sept mois à un an. Il devrait encore s’allonger en cas de ventes à l’étranger. Vous aurez moins de bateaux, moins de renouvellement. Comment allez vous gérer cette situation ? Quelles sont les conséquences financières ?

M. le vice-amiral Xavier Magne. L’allongement du temps de construction entraîne une hausse des coûts. Nous nous battons pour placer à l’export les frégates qui sont retirées du programme pour maintenir ainsi les délais prévus et éviter une explosion des coûts, puisque les hypothèses de coût du programme ont été établies sur une cible de 17 navires.

En ce qui concerne l’utilisation des bâtiments, il faut savoir que nous sommes en situation de déficit quantitatif. Nous avons notamment beaucoup de bâtiments retenus dans l’océan Indien pour lutter contre la piraterie. De nombreux pays participent à la sécurisation de la zone mais, dès que le temps est clément, le nombre d’actes de piraterie augmente fortement. Malgré les interceptions réalisées au large de la Somalie, le crime organisé s’avère très lucratif et se répand. Il est nécessaire de changer notre mode d’action.

Actuellement, nous ne parvenons pas à fournir suffisamment de bateaux pour les différentes missions confiées à la marine. Certes, les avisos A 69, qui ont été déclassés, peuvent encore être parfois utilisés comme les frégates. Toutefois, cette solution n’est pas durable car les systèmes d’armes ne peuvent plus être entretenus et, de surcroît, ces bateaux ne disposent pas d’hélicoptères. Notre capacité à agir s’érode à tel point que parfois l’arbitrage remonte jusqu’à l’Élysée pour l’emploi d’un bâtiment.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Les FREMM, qui sont par ailleurs de magnifiques bâtiments, sont-elles bien adaptées pour la lutte contre la piraterie ?

M. le vice-amiral Xavier Magne. Oui, absolument. Le combat contre la piraterie, tout comme la surveillance des pêches, constitue une action de police pour laquelle on fait appel à un savoir-faire militaire. La difficulté réside dans la dualité de la marine. Les bateaux utilisent tous les jours des savoir-faire développés pour le combat et indispensables lorsqu’on se trouve en situation de combat. Mais les frégates de surveillance sont très peu armées. Et si elles donnent l’illusion que l’on dispose d’une flotte de combat, elles risquent de s’avérer sous-équipées pour un véritable combat naval, le moment venu.

Compte tenu de l’impossibilité dans laquelle nous nous trouvons d’afficher des performances, nous sommes toujours jaugés selon le critère budgétaire pur. Et, dans ces conditions, nous sommes toujours considérés trop chers. C’est contre cela que nous nous battons.

M. le capitaine de vaisseau Christophe Caillet. La marine a procédé à une évaluation des coûts résultant de la réduction et du décalage du programme de construction des FREMM, et notamment, du maintien au service actif des bâtiments anciens que ces frégates sont destinées à remplacer. Il apparaît que la prolongation de la vie de bâtiments obsolètes devient de plus en plus coûteuse et que la programmation exige un équilibre pertinent entre la mise en œuvre des programmes de bâtiments nouveaux et l’entretien de l’existant.

M. Georges Tron, Président. On peut faire valoir que la diminution du nombre de FREMM a été compensée par le gain d’un troisième bâtiment de projection et de commandement (BPC). Qu’en pensez-vous ?

M. le vice-amiral Xavier Magne. Il est inexact de parler de compensation et de gain puisque la décision de lancer la construction du troisième BPC a seulement été anticipée, et qu’en tout état de cause cette construction est financée sur l’enveloppe budgétaire globale dévolue à la marine, ce qui pèsera en conséquence sur d’autres programmes. Depuis trente-trois ans que je suis ces questions, je n’ai constaté aucun « cadeau budgétaire » pour la marine nationale.

De surcroît, il est prévu de désarmer de façon concomitante le transport de chalands de débarquement (TCD) Foudre. Ce désarmement anticipé comporte des inconvénients, puisque la capacité d’emport en radier des TCD est plus importante que celle des nouveaux BPC, dont le radier est sensiblement plus petit.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. S’agissant de la lutte contre la piraterie au large de la Somalie, je tiens à saluer les succès de notre marine et notamment l’efficacité de ses commandos. Je saisis cette occasion pour me réjouir des bonnes nouvelles reçues sur le sort du commandant de Gaullier, qui avait disparu au large de la Guyane.

Avec M. Louis Giscard d’Estaing, je souhaite attirer une nouvelle fois l’attention sur la prise en charge du coût des opérations tendant à secourir les navires Carré d’As et Ponant. Est-il vrai que la marine n’a présenté aucune facture aux propriétaires ni aux assureurs ? Si le sauvetage de vies humaines n’a pas lieu d’être remboursé, il n’en est pas de même de la récupération de navires, qui pourrait justifier la participation financière des armateurs et assureurs. Serait-il judicieux et faisable de présenter les factures aux assureurs pour les opérations de sauvetage des navires ?

M. le vice-amiral Xavier Magne. Le chiffrage des surcoûts engendrés par les opérations de sauvetage est réalisable.

Est-il opportun de solliciter une participation financière des assureurs ? Rappelons que l’activité de la marine nationale s’inscrit dans une logique de service public : le sauvetage des vies humaines est gratuit, mais il est habituel de facturer aux armateurs les activités d’assistance et de sauvetage des biens par les bâtiments de la marine nationale.

S’agissant du Ponant, l’armateur de ce navire s’est signalé par une démarche que l’on peut qualifier d’habile. Selon une pratique habituelle à cette profession, il a adressé un chèque destiné à gratifier les participants à l’opération. Cette attitude nous a posé problème à plusieurs titres : la somme à partager était fort modique si elle devait être répartie entre tous les acteurs mobilisés pour le sauvetage du Ponant : pas moins de trois équipages de navires et les commandos qui ont réalisé l’intervention. Cette apparente générosité mettait l’intéressé à l’abri d’une facture en bonne et due forme que nous aurions pu lui présenter en règlement de l’assistance apportée. En ce qui concerne le Carré d’As, la question n’a pas été posée.

M. le capitaine de vaisseau Christophe Caillet. En tout état de cause, le système de comptabilité analytique de la Marine nationale permet de retracer le coût d’un sauvetage.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. La facturation pourrait avoir un effet pédagogique. S’agissant du voilier Tanit, la mort du skipper est dramatique, mais il conviendrait de s’interroger sur la mise en cause de la responsabilité des particuliers lorsqu’ils s’aventurent dans des zones à risques nonobstant les avertissements multiples qui leur ont été adressés, mettant en jeu la vie de nos soldats.

M. Georges Tron, Président. Je rappelle que ces questions de prise en charge des secours se posent dans d’autres cadres, par exemple en matière de protection civile, pour le secours en montagne. Tout n’a pas lieu d’être gratuit.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. En cas d’évacuation de ressortissants étrangers, la marine nationale facture-t-elle ses interventions auprès des États en cause ? Ainsi, outre des Français et des bi-nationaux, des étrangers ont été ainsi évacués du Liban à l’été 2006.

M. le vice-amiral Xavier Magne. Je ne pense pas que, lors des opérations d’évacuation à partir du Liban, il y ait eu des remboursements par des États étrangers lors des opérations, alors que les ressortissants de 61 États ont été pris en charge. La marine n’a cependant pas véritablement supporté de surcoût pour ce qui s’analyse comme un cas particulier d’emploi opérationnel de ses moyens.

Cette question devrait plutôt être posée au ministère des Affaires étrangères et européennes qui a supporté des coûts imprévus de transport au profit de personnes évacuées à partir de Chypre, pour lesquelles il lui a fallu affréter des aéronefs.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. J’observe que la marine nationale retient une approche de ses interventions à l’extérieur très différente de celles des autres armées et fixe une ligne de partage beaucoup plus nette de ce qui relève des Opex et de ce qui n’en relève pas.

N’y a-t-il pas un risque de céder à la facilité en faisant l’impasse sur l’ISSE et de continuer à payer l’indemnité maritime, ce qui aboutit à minorer les surcoûts remboursés au titre des Opex ?

Le vice-amiral Xavier Magne. Au contraire, la facilité serait de basculer le maximum de coûts sur l’ISSE, ce qui se traduirait au plan budgétaire par une majoration des dépenses supportées par le BOP Opex. Une telle facilité serait cependant susceptible de générer des effets pervers : en effet, le financement des Opex en gestion est gagé par une diminution des autres dépenses du budget de la Défense nationale, qui est une enveloppe fixe. Ainsi, le maintien en condition opérationnelle des matériels (MCO) est très tendu pour toutes les armées, tandis que les crédits d’investissement sont fréquemment mis à contribution pour financer ces Opex. De surcroît, les gestionnaires succombent à la tentation constante de favoriser les personnels, donc de recourir plus largement à l’ISSE. Nous-mêmes avons dû entrer dans cette logique. En effet, nos marins comparent toujours leur situation avec celles de leurs homologues de l’armée de terre et de l’armée de l’air, qui sont favorisés.

Il faudrait s’interroger sur le fondement même des régimes indemnitaires : l’ISSE, qui est, rappelons-le, une indemnité de sujétion pour services extérieurs qui a pour but de compenser non pas tant la sujétion des militaires que celle de leur famille qui, en l’absence du chef de famille, doivent continuer à vivre de façon décente. Je pense au cas récent d’un officier-marinier dont l’épouse avait dû changer, en son absence, le chauffe-eau en panne : s’il n’avait pas été en mer, il aurait pu effectuer lui-même la réparation et réaliser ainsi de substantielles économies.

Il convient d’observer que le régime de rémunération des militaires aux États-Unis et au Royaume-Uni est singulièrement différent du nôtre puisqu’il n’y a pas d’écart significatif de rémunération, pour les militaires restés au pays et ceux qui sont projetés en opérations extérieures. En contrepartie, la solde normale est surévaluée. La France a choisi la « prime aux bons élèves ».

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. La marine a été « armée pilote de soutien » lors du tsunami. Depuis cet événement, a-t-elle été amenée à remplir à nouveau ce rôle ?

M. le capitaine de vaisseau Christophe Caillet. Oui. La marine est « armée pilote de soutien » pour l’opération Atalanta de lutte contre la piraterie, mais ce rôle est largement fictif puisqu’elle est seule présente sur zone. Par ailleurs, nous sommes également « armée pilote de soutien », non pas dans le cadre d’une opération, mais dans le cadre d’une implantation permanente, à Abou Dhabi, où nous soutenons le fonctionnement des autres armées.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Quel est le surcoût associé à ce rôle ?

M. le vice-amiral Xavier Magne. Ce type d’opérations ne génère aucun surcoût. En effet, le système logistique de la marine est dimensionné pour assurer de telles opérations. J’ignore si les armées de terre et de l’air sont dans la même situation, mais à ma connaissance, en ce qui concerne la marine, aucun problème majeur n’est à signaler.

Je me permettrais de faire une remarque complémentaire concernant la gestion budgétaire. D’après mon expérience – ces propos n’engagent que moi – le principe d’annualité budgétaire peut s’avérer problématique. En effet, de longue date, nous faisons des efforts pour gérer nos budgets de la façon la plus serrée possible. Or Bercy – tel un boa constrictor – ne tient pas compte de ces efforts et resserre systématiquement la contrainte budgétaire, sitôt que notre effort d’économies permet de dégager des marges de manœuvre. Ceci est pervers et incite à la débauche de moyens, puisque nous n’avons pas la possibilité, en prévision de difficultés ultérieures, de « stocker » puis d’utiliser les économies précédemment réalisées. Je pense ainsi à la question du carburant, dont la flambée des cours a été source de réelles difficultés l’an dernier. Tout se passe comme si nous étions invités à dépenser systématiquement la totalité des financements qui nous sont alloués, ce qui n’est pas satisfaisant.

Si l’on souhaite s’inscrire dans une logique de gestion vertueuse, il faut donner une vraie marge de manœuvre. Ainsi, il y a quelques années, un système de transferts et de reports d’une année sur l’autre avait été institué sur les bases aéronavales. Il a été supprimé, ce que je trouve dommage, puisqu’il permettait cette conciliation entre une logique vertueuse de réduction des dépenses et une certaine souplesse de gestion en autorisant l’éventuelle utilisation ultérieure des économies réalisées.

M. Georges Tron, Président. Je vous remercie.

——fpfp——