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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mission d’évaluation et de contrôle

Évaluation et perspectives des pôles de compétitivité

Mardi 5 mai 2009

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 32

Présidence de M. Georges Tron, Président

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Pierre de Fouquet, président de l’Association française des investisseurs en capital (AFIC), Hervé Schricke, administrateur, Bernard Maître et Jean-Yves Demeunynck, délégué général

M. Georges Tron, Président. Nous accueillons les représentants de l’Association française des investisseurs en capital (AFIC) pour cette réunion de la Mission d’évaluation et de contrôle concernant l’évaluation et les perspectives des pôles de compétitivité.

M. Pierre de Fouquet, président de l’AFIC. La profession du capital investissement rassemble en France, tous secteurs confondus, à peu près 5 000 entreprises qui regroupent trois grandes familles d’activité : le capital risque, c’est-à-dire le financement de sociétés en création, généralement à fort contenu technologique ; le capital développement, qui est l’accompagnement de la croissance d’entreprises proches de la rentabilité ; enfin, le capital transmission, qui concerne la transmission d’entreprises, avec effet de levier ou pas – les fameuses opérations LBO (leverage buy-out).

Le segment qui nous intéresse ici est celui du capital risque, qui représente à peu près un tiers du portefeuille et un peu plus de 1 500 sociétés, principalement dans le secteur technologique. Naturellement, la profession est présente dans les domaines d’activité des pôles de compétitivité, notamment des pôles mondiaux.

Si vous le permettez, je vais présenter notre délégation. Pour ma part, je suis à la fois président de l’AFIC et président du directoire d’Iris Capital, un fond de capital-risque pan-européen spécialisé dans le secteur des médias, des télécommunications et des technologies de l’information ; Hervé Schricke, président de Xange Private Equity, est le président de la commission Capital Risque/Venture de l’AFIC ; Bernard Maître, président du directoire d'Emertec Gestion, l’un des acteurs principaux dans le début de la chaîne de financement – celui des start up ; enfin, Jean-Yves Demeunynck est le délégué général de l’AFIC.

En France, nous pouvons faire beaucoup plus et mieux ; une des faiblesses du venture n’est pas seulement liée aux problèmes de la chaîne de financement, mais aussi à une insuffisante articulation entre la recherche, le financement privé que représentent les fonds de venture, et les grands groupes industriels. En Israël, aux États-Unis, en revanche, la force du secteur de l’innovation et de son financement réside justement dans la capacité de ses acteurs à se parler. En France, nous avons trop peu de communication avec les grands groupes industriels de nos secteurs et nous sommes assez peu présents dans le domaine des pôles de compétitivité. D’où l’intérêt de la rencontre d’aujourd’hui.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Même s’il manque encore un peu de recul s’agissant des pôles de compétitivité, quel état des lieux pouvez-vous dresser ?

M. Pierre de Fouquet. Il faut examiner la situation pôle par pôle et secteur par secteur, et se garder de tout discours généraliste. Il existe, au sein de notre profession, des fonds sectoriels, qui sont tout à fait à même de participer à l’activité des pôles correspondant à leur spécialisation sectorielle.

Aujourd’hui, on constate au mieux une présence de l’AFIC à certaines réunions, et au pire une absence totale. Bien que je travaille dans le même secteur depuis vingt ans et que je connaisse l’ancien président de Cap Digital en Île-de-France, nous n’avons été invités à aucune réunion ni de ce pôle de compétitivité ni, par exemple, du pôle Images et Réseaux, en Bretagne. J’explique un tel état de fait par une absence aberrante de communication. Nous sommes disponibles, nous participons, à l’étranger, à des réunions sur les mêmes thèmes. Il est paradoxal que nous ne soyons même pas invités à travailler avec les pôles.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Vous attendez d’être invités ?

M. Pierre de Fouquet. J’ai fait acte de candidature.

M. Bernard Maître. La réalité est assez contrastée. Les pôles sont très hétérogènes de par leur population, leur culture et leur histoire. Certains, à finalité industrielle, reposent sur de petites entreprises, des PME qui se fédèrent ; parfois un « poids lourd » du secteur met la main sur le pôle. Dans un tel écosystème, nous ne sommes pas bienvenus, quoi que nous fassions. A l’inverse, certains pôles sont beaucoup plus ouverts à nos pratiques, à nos métiers, à notre culture et à nos modes de fonctionnement, tout simplement parce que leur secteur connaît depuis longtemps le capital investissement. C’est le cas dans le domaine des technologies de l’information.

Nous avons vécu des situations très différentes selon les pôles de compétitivité. Certains, après avoir accepté notre chèque, nous ont d’abord laissés dehors, jusqu’à ce qu’ils se fassent à l’idée que des professionnels comme nous puissent être intégrés dans leur culture. C’est ce qui s’est passé à Grenoble. A l’inverse, d’autres pôles de compétitivité développent un marketing très agressif pour faire venir les investisseurs. Tel est le cas des pôles Cap Digital et System@tic, pôles de la région parisienne spécialisés dans les technologies de l’information, qui montent la semaine prochaine une opération « Coup de poing ISF 2009 », afin de mettre en relation des investisseurs et des particuliers redevables de l'ISF – qui veulent profiter de la loi TEPA – avec des PME innovantes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. On déplore souvent une absence de communication. Au-delà, que manque-t-il, dans les pôles de compétitivité, pour que l’articulation entre recherche, capital investissement et grands groupes fonctionne correctement ?

M. Hervé Schricke. Je ne crois pas que les pôles de compétitivité soient organisés pour dialoguer avec le monde du venture capital, qu’ils ne connaissent pas bien. Je ne suis pas sûr non plus que les grands groupes soient très favorables à la présence permanente d’investisseurs au sein des structures. Les pôles qui fonctionnent, comme System@tic ou Cap Digital, organisent très peu de réunions avec les venture capitalistes, même quand ceux-ci sont membres du pôle.

Outre que notre métier consiste à financer des sociétés et, d’une certaine façon, à leur donner de l’autonomie, les entreprises elles-mêmes – surtout les start up et les jeunes sociétés – n’ont pas forcément envie de s’ouvrir de leurs problèmes de financement en présence de grands industriels et de faire connaître leur faiblesse ou d’évoquer des valorisations auxquelles elles prétendent. Il est difficile de faire communiquer des gens qui n’ont pas envie de tout livrer.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le financement public est en effet plus sécurisant.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le pôle de compétitivité ne pourrait-il pas permettre de lever ces réticences et de faire en sorte que vous puissiez intervenir plus facilement ? L’argent public coûte cher – surtout qu’il s’agit en grande partie de subventions. Ce sont les fonds privés qui résoudront plus facilement les problèmes.

M. Hervé Schricke. D’autant que leur motivation est là. La plupart de nos confrères, dont j’ai pris l’attache avant cette réunion, ont exprimé leur volonté de s’intéresser à tel ou tel pôle, suivant leurs centres d’intérêt.

Il serait utile d’affecter dans les pôles certaines personnes à l’accueil du venture capital, des personnes qui seraient jugées sur leur capacité à intégrer des investisseurs dans les activités du pôle. De notre côté, nous pourrions faire un effort de pédagogie vis-à-vis de ces personnes, auxquelles nous ferions connaître notre métier.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Si vous étiez intégrés à la gouvernance du pôle, pensez-vous que vous seriez aussi efficaces que le financement public pour les sociétés qui en font partie ? Vous dites que vous ne participez pas beaucoup à l’activité des pôles parce que vous n’y êtes pas associés, mais selon certains, il serait très compliqué de travailler avec vous.

M. Pierre de Fouquet. Nous ne sommes pas des pourvoyeurs de crédits. Notre fonctionnement même nous l’interdit. Nous ne faisons qu’utiliser des fonds que nous collectons – essentiellement auprès d’institutionnels, dans certains cas auprès du grand public – pour les investir dans les sociétés. Nous ne sommes pas une ressource de substitution par rapport à une approche de type budgétaire. En revanche, s’associer à des pôles serait pour nous l’occasion de rencontrer des entreprises qui ont des besoins de financement, et de les accompagner. Ce type de rencontres permet de détecter les opportunités et d’avoir une approche cohérente et structurée avec les industriels.

Notre métier est d’accompagner les entreprises, mais pas pour l’éternité : nos investissements durent en moyenne quatre, cinq ou six ans. Nous avons vocation en effet à sortir de ces sociétés et à revendre nos participations, généralement à des industriels. Contrairement au modèle américain, le mode classique de sortie en France n’est pas la Bourse, mais la sortie industrielle. Néanmoins, nous vendons, paradoxalement, beaucoup plus à des sociétés israéliennes ou américaines, voire indiennes, qu’à des sociétés françaises. La raison en est très simple : les groupes industriels français méconnaissent ces sociétés, soit parce qu’ils ne les ont pas suivies dès l’origine, lorsque nous avons commencé à y investir, soit parce que, ayant fait d’autres choix stratégiques, ils ne sont pas intéressés par elles.

Reste que le manque de communication est regrettable. Nous devrions, avec ces groupes, pouvoir examiner ensemble un secteur, détecter les sociétés qui représentent pour eux un enjeu, à terme de quatre ou cinq ans, et cibler celles dont ils seraient éventuellement repreneurs. Nous assurerions alors le financement durant la période pendant laquelle ils ne sont pas intéressés à le faire.

Il existe une complémentarité d’intérêts entre les sociétés, les industriels et nous, qui constitue un cercle vertueux.

En tout cas, il faudrait créer une incitation – de quelle nature, je ne sais pas – pour que les investisseurs soient présents dans les structures de gouvernance.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Plutôt que de méconnaissance des start up par les groupes industriels, ne faudrait-il pas parler de protectionnisme de leur part ?

M. Bernard Maître. Je réfléchis au problème depuis une vingtaine d’années. J’ai fini par me faire une opinion, laquelle dépasse d’ailleurs largement le cadre national. Nous ne sommes pas un cas unique, loin de là.

Le rapport des grands groupes à l’innovation est encore très dépendant de leur culture d’origine et de l’intensité d’innovation de leur secteur. Aujourd’hui, dans certains secteurs, les grands groupes français collaborent avec nous de manière remarquable. C’est le cas dans l’énergie et dans les transports avec EDF, GDF Suez ou Alstom, qui ont compris l’intérêt de l’innovation et ce que l’on pouvait apporter ; parfois même, ils nous confient des capitaux. A l’inverse, dans d’autres secteurs, l’hypertrophie des services de R&D internes finit par tenir à distance tout ce qui pourrait venir de l’extérieur, y compris ce que pourraient apporter les start up. C’est ainsi que General Motors est morte et que nos grands groupes pharmaceutiques nationaux ont continué à faire de la chimie alors que la révolution était dans les biotechnologies.

M. Pierre de Fouquet. Tout le monde est conscient de l’échec stratégique et industriel d’Alcatel. Or je ne connais pas de start up française acquise par Alcatel.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel regard portez-vous sur les fonds de capital risque régionaux ?

M. Pierre de Fouquet. Ces derniers constituent souvent des soutiens de proximité. Leur rôle est essentiel, notamment dans les premières phases de financement. Mais en dehors de quelques exceptions, ils n’ont pas la capacité à accompagner les entreprises, ni financièrement, ni en termes de valeur ajoutée – contrairement à nous du fait de notre longue expérience de la gestion des fonds spécialisés. De ce point de vue, il serait nécessaire d’établir une meilleure relation entre les fonds régionaux et nationaux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous mené des expériences en ce sens ?

M. Pierre de Fouquet. Depuis maintenant deux ans, l’AFIC organise en région des présentations de l’ensemble de son activité. A cette occasion, nous rencontrons les élus locaux pour expliquer ce qu’est le capital investissement en région et pour essayer d’améliorer la relation entre les acteurs régionaux et les acteurs nationaux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous le sentiment d’une bonne écoute ?

M. Pierre de Fouquet. Oui, l’intérêt des acteurs en région est fort.

M. Bernard Maître. Je suis un acteur régional, autour de Grenoble. Le fonds Emertec, que je préside, est une société de gestion qui est née dans le prolongement de la loi dite Allègre, pour mettre à la disposition des chercheurs de la région – c’est-à-dire essentiellement du CEA-Leti, du CNRS et de l'Institut national polytechnique de Grenoble (INPG) – des moyens financiers pour créer des start up.

Le système a plutôt bien fonctionné, avec les limites que rappelait notre président, Pierre de Fouquet : d’abord, les besoins capitalistiques des dossiers concernés, à savoir les montants nécessaires pour démarrer, sont sans commune mesure avec les moyens de la société de gestion locale ; ensuite, il est difficile de trouver, de payer et de garder dans les petites structures locales des professionnels de qualité dans notre métier, c’est-à-dire des gens ayant à la fois une culture d’entreprise et des compétences dans la technologie, le montage juridique, la finance et la collecte de capitaux.

Il serait d’ailleurs illusoire de penser que l’on peut résoudre le problème en mettant en place un correspondant local dans chaque pôle de compétitivité. Ce serait très consommateur de capitaux, les équipes seraient très inégales et probablement pas aptes à apporter l’aide requise.

Il est des régions où le capital risque local est historiquement bien ancré et de bonne qualité – à Toulouse, Grenoble, Lyon – et des endroits où ce sera un peu plus compliqué et où il faudra que nous, nationaux, soyons volontaristes.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Votre présence dans les pôles dépend-elle de la gouvernance du pôle ou du thème porté par le pôle ?

M. Pierre de Fouquet. Elle dépend des deux à la fois.

Le choix devrait, à mon avis, reposer sur la spécialisation. Si l’on veut une vraie valeur ajoutée, il faut connaître précisément le secteur auquel on s’intéresse. En général, les fonds ont d’ailleurs une spécialisation sectorielle.

J’en profite pour dire que nous disposons d’un moteur de recherche qui permet de cibler les fonds en fonction d’un certain nombre de critères : taille des investissements, localisation de l’investissement, spécialisation sectorielle, etc. Il est ainsi facile de déterminer qui sont les acteurs concernés.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pour que les PME puissent se développer, il leur faut des fonds propres. Que proposeriez-vous pour améliorer rapidement les choses en la matière ?

M. Pierre de Fouquet. La question du financement en fonds propres des PME est un sujet quasi permanent. Dans le cadre de notre dialogue avec les pouvoirs publics, nous avons fait à cet égard une série de propositions.

La France est numéro 1 en termes d’attractivité fiscale et légale au niveau européen dans le classement établi par KPMG. La démarche conduite de façon systématique en la matière au cours des dernières années, sous les différents gouvernements, s’est révélée très positive. Aujourd’hui, nous avons un dispositif qui, en termes financier et fiscal, est relativement attractif par rapport à celui des autres pays. Pour autant, nous courons, face à la crise, le risque de voir les modes de financement mis en place, notamment à travers les crédits d’impôt, que ce soit au titre de l’impôt sur le revenu ou de l’ISF, ne s’adresser qu’à une partie de la chaîne de financement.

Nos faiblesses aujourd’hui sont de deux ordres. En amont, au tout début de la chaîne, une certaine fragilité subsiste même si des mesures, en matière d’ISF notamment, favorisent l’émergence de business angels par exemple. En aval, l’autre bout de la chaîne est à risque. Aujourd’hui, il n’existe plus de marché financier. Ce qui était une voie naturelle de financement, la cotation sur Alternext notamment, s’est fermé. Les fonds de capital risque les plus matures, les fonds communs de placement à risque (FCPR), sont confrontés à un problème de levée de fonds. Les institutionnels – assureurs, banquiers – n’ont pas d’allocations. Dans les mois qui viennent, l’enjeu est de sécuriser ce segment du capital risque et du capital développement.

Il serait suicidaire d’avoir un dispositif efficient pour financer les débuts et d’être incapables de financer les besoins en fonds de roulement, alors que les entreprises ont déjà réussi à passer un premier stade, qu’elles sont en phase de croissance et qu’elles génèrent du chiffre d’affaires. C’est le problème actuel. Nous dialoguons avec les pouvoirs publics sur ce sujet.

Quant à l’utilisation de la ressource provenant des ménages par l’intermédiaire des mécanismes de défiscalisation, elle n’est pas optimale. Alors que l’on assiste à un effet, sinon de bulle, du moins à une forte offre de capitaux sur une partie de la chaîne de financement, le segment suivant peut souffrir d’un assèchement de la ressource. Il faudrait donc trouver des mécanismes permettant de mieux répartir cette ressource, qui est importante.

Par ailleurs, le dispositif « France investissement », destiné à lever des fonds au profit du financement des PME, dont le principe est très positif, devrait jouer un rôle contracyclique. Or il ne le joue pas, non pas à cause de la Caisse des dépôts, qui fait son travail, mais des partenaires privés qui aujourd’hui, ne sont pas actifs. Et les fonds de fonds ont très peu de nouveaux engagements, du fait des partenaires privés qui, je le rappelle, sont les opérateurs.

Nous nous trouvons dans une situation paradoxale où l’argent public ne peut être investi faute d’argent privé.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Parlons des critères d’acceptabilité des projets dans les pôles de compétitivité. Pensez-vous qu’il faudrait prendre plus de risques en assouplissant ces critères ?

M. Bernard Maître. Notre métier est d’investir dans des entreprises. Le choix des projets ne relève pas de notre réflexion. Il résulte du dialogue des entreprises entre elles, souvent de petites entreprises, et d’un ou deux grands acteurs du pôle. Cela échappe à notre démarche.

Nous souhaitons traiter avec des entreprises qui ont des perspectives de croissance parce qu’elles sont appuyées sur une technologie de rupture. À cet égard, nous ne sommes pas des banquiers. Je ne suis pas bien sûr que vous vous en rendiez compte, mais nous prenons des risques extrêmement élevés – avec des taux de casse dépassant parfois 30 %. La raison en est simple : quand nous perdons, nous perdons notre mise, mais quand nous gagnons, nous gagnons plusieurs fois notre mise.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quels secteurs privilégiez-vous ? Investissez-vous dans les sciences du vivant ?

M. Bernard Maître. Mon fonds n’est pas positionné sur le secteur des biotechnologies moléculaires. Nous ne cherchons pas le prochain médicament. Quelques acteurs de la profession sont reconnus dans ce secteur – Edmond de Rothschild Investment Partners, Sofinnova Partners –, mais ce n’est pas notre métier. Nous revenons aux sciences de la vie par le biais du développement durable – traitement de l’eau, recherche de biocarburants, fabrication d’hydrogène avec des micro-organismes, dépollution – en investissant dans les technologies propres ou cleantechs.

M. Hervé Schricke. Effectivement, peu d’acteurs sont présents dans le secteur des sciences du vivant. Nous avons évoqué tout à l’heure la durée de vie de nos investissements. La version optimiste est que nous investissons pour quatre à six ans ; la réalité est que nous restons plus longtemps que nous ne l’anticipons. Malgré tout, une différence existe entre les fonds qui lèvent des capitaux auprès du grand public pour une durée initiale de vie de sept à huit ans, et les fonds des institutionnels. Les FCPR sont des fonds de dix ans plus deux, voire de douze ans plus deux. Il faut des fonds d’une telle durée pour investir dans les sciences du vivant et dans les technologies de l’information.

Pour revenir au problème de la sélection des projets dans les pôles de compétitivité, je précise que nous ne sommes pas invités à la réflexion.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pensez-vous que vous devriez l’être ?

M. Hervé Schricke. Oui, je crois que nous devrions faire partie des instances de gouvernance, parce que nous sommes capables d’avoir un avis même si nous pouvons nous tromper.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Faut-il prendre des risques au niveau du choix des projets ?

M. Hervé Schricke. Probablement. Il faut surtout faire des choix qui correspondent à une anticipation de marché. Nous sommes forcément guidés par la conviction qu’il y a un marché pour le produit dans lequel nous investissons, y compris dans les biotechnologies. Nous pouvons nous tromper sur l’horizon du marché, et c’est notre principal risque d’erreur, comme sur les équipes qui portent le projet. Mais entre l’équipe qui porte le projet d’un pôle de compétitivité et celle qui mènera l’entreprise au succès, il peut y avoir de grandes différences.

Il ne faut pas sélectionner le projet en fonction de l’intérêt que peut avoir un industriel à approfondir tel ou tel point de recherche. Il faut essayer d’identifier s’il existe, pour le projet en question, des perspectives en termes de marché – et, dès que l’on parle technologies, on ne vise plus le marché national, mais les marchés internationaux. Il y a, en amont, un travail important à réaliser.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. La situation de votre association et de ses membres a-t-elle été modifiée, et s’est-elle améliorée, depuis la création des pôles ?

M. Pierre de Fouquet. Honnêtement, je pense que cette création n’a pas eu une influence significative sur la situation des acteurs de capital risque en France.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Vous pourriez vivre sans ?

M. Bernard Maître. Vous êtes un peu dur ! En tout cas, une idée émise précédemment pourrait sans doute être assez efficace si elle se concrétisait, à savoir obliger les pôles à nous intégrer à la gouvernance du pôle par la mise en place de certains mécanismes : création d’une commission ad hoc, nomination d’un représentant de notre profession au conseil d’administration du pôle, organisation d’une réunion annuelle de formation, de sensibilisation ou de levée de capitaux, comme l’on fait nos excellents confrères de Cap Digital. À nous de saisir alors la balle au bond. C’est notre métier de trouver des dossiers, ce qui nous coûte d’ailleurs très cher : nous sommes donc motivés.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous êtes en aval des pôles. Vous n’en maîtrisez absolument pas la politique. Mais quel regard portez-vous sur leur évaluation ?

M. Bernard Maître. Nous ne pouvons parler que des secteurs que nous connaissons. Je ne saurais donc porter un avis général sur l’ensemble des pôles. Je peux seulement dire que la réflexion est plus avancée dans certains pôles que dans d’autres, et que certains sont plus ou moins ouverts à la notion même de start up.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avec combien de pôles êtes-vous en relation en France ?

M. Hervé Schricke. Entre cinq et dix. Nos équipes ne sont pas nombreuses. Chacun d’entre nous ne peut pas couvrir un très grand nombre de pôles. Il faut qu’ils aient du sens, une taille et un potentiel qui justifient les efforts que nous pouvons faire pour les approcher.

M. Pierre de Fouquet. En tant qu’association, nous avons une importante activité de formation. Nous organisons des séminaires qui s’adressent à différents publics. Il peut s’agir d’entrepreneurs auxquels on explique comment traiter un besoin de financement en fonds propres, etc. Nous avons visité en Israël le Technion-Israel Institute of Technology, qui est l’un des centres d’excellence de la recherche scientifique. Nous avons retenu de notre visite que la formation, en particulier, pouvait se faire très en amont. Nous pourrions faire de même à l’AFIC, par exemple en expliquant aux doctorants ce qu’est la création d’entreprises. Nous pourrions également nous inspirer de leurs critères de sélection des projets : non seulement une technologie doit avoir un potentiel mondial évident, mais elle n’est financée que s’il y a du capital privé prêt à s’investir ; c’est un critère radical. Ils acceptent un taux de déchet relativement important selon une logique très raisonnée : financer de la technologie de très haut niveau est en effet pour eux un moyen de maintenir l’avantage compétitif israélien par rapport à la concurrence.

M. Georges Tron, Président. Pour résoudre les problèmes que vous avez évoqués, que préconiseriez-vous ? À vous entendre, les pôles de compétitivité ne sont pas à l’origine d’une quelconque valeur ajoutée. Reste qu’ils ont modifié le paysage dans lequel vous évoluez.

M. Pierre de Fouquet. Nous ne voudrions pas que ces pôles soient pour nous une occasion manquée. Nous faisons acte de candidature pour y être davantage présents, mais puisque cela n’a pas fonctionné de façon spontanée, il faut créer les conditions, voire en instaurant des obligations.

Nous sommes prêts à jouer le jeu. Nous pouvons faire bénéficier les pôles de compétitivité de notre expérience de la gouvernance. Notre objectif ne sera pas de faire perdre de l’argent, mais d’en faire gagner. C’est un enjeu important pour nous, pour la profession, pour le pays. Nous sommes prêts à nous engager, si on nous y invite.

M. Georges Tron, Président. Si vous aviez à porter un regard critique et extérieur sur les pôles et sur leur fonctionnement, quel serait-il ?

M. Pierre de Fouquet. Pour fonctionner, les pôles doivent s’appuyer sur trois composantes : d’abord, les grands groupes – certains ont joué un rôle éminent, mais on ne peut pas les laisser « accaparer » le dispositif ; ensuite, les entrepreneurs, avec leur soutien naturel que sont les fonds de venture ; enfin, une expertise de haut niveau scientifique – le tout avec une bonne articulation. Mais, encore une fois, je n’ai pas de recette miracle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous venez en tout cas de donner une bonne définition des pôles de compétitivité.

M. Georges Tron, Président. Je vous remercie infiniment, messieurs.