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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mission d’évaluation et de contrôle

Services départementaux d’incendie et de secours

Jeudi 7 mai 2009

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 36

Présidence de M. David Habib, Président

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Augustin Bonrepaux, président du conseil général de l’Ariège, et Yves Rome, président du conseil général de l’Oise, représentant l’Assemblée des départements de France (ADF), Jean-Paul Bacquet, maire de Coudes et Jean Proriol, maire de Beauzac, représentant l’Association des maires de France (AMF).

M. David Habib, Président. Nous accueillons maintenant deux délégations, représentant, l’une l’Assemblée des départements de France (ADF), l’autre, l’Association des maires de France (AMF).

C’est avec un plaisir tout particulier que j’accueille M. Augustin Bonrepaux qui, voilà dix ans, a été l’un des créateurs de la MEC, avant de la présider avec talent jusqu’en 2007. Aujourd’hui, c’est en tant que président du conseil général de l’Ariège que nous l’entendons.

Je suis heureux de vous souhaiter à tous la bienvenue, à l’occasion de cette troisième séance consacrée au financement des services d’incendie et de secours.

M. Georges Ginesta, Rapporteur. La départementalisation des services de secours a été en fait une centralisation. En effet, auparavant, c’étaient les communes qui géraient et payaient directement les casernes et les sapeurs-pompiers.

Cette centralisation s’est accompagnée d’une inflation très importante des dépenses et du nombre de sapeurs-pompiers professionnels, qui est passé de 28 000 à 38 000 en dix ans, alors que le nombre de leurs interventions n’a pratiquement pas évolué, puisqu’il est toujours de 4 millions par an, soit 11 000 interventions par jour. Les interventions pour incendies, qui prennent le plus de temps, ne représentent plus que 8 % du nombre des interventions, tandis que les incendies pour feux de forêt ne représentent que 10 % de ces 8 %, donc moins de 1 % du total. On compte en moyenne seulement 1,5 intervention par jour de garde pour 90 jours de garde par an !

Sur le plan budgétaire, cela représente 5,5 milliards d’euros, l’État prenant en charge 1 milliard et les collectivités territoriales 4,5 milliards. Entre 1996 et 2007, l’augmentation de la dépense a été de 245 % ; depuis la départementalisation de 2001, elle s’élève à 45 %. Quant aux effectifs, ils ont continué de croître, tandis que l’achat de matériel et d’équipement s’est poursuivi sans que l’on ait recours à des mutualisations.

En fait, les payeurs ne sont pas les décideurs. Les communes et les départements paient, mais ce sont plutôt les conseils d’administration qui décident – les sapeurs-pompiers, tout en n’y étant pas majoritaires, savent y faire entendre leur voix et convaincre les élus.

Compte tenu de l’augmentation constatée, peut-être conviendrait-il de revoir le système et de dire qui doit commander.

Les sapeurs-pompiers professionnels ont le statut de fonctionnaires territoriaux, mais leurs revenus sont tout à fait différents de ceux des fonctionnaires territoriaux. Par ailleurs, en dix ans, on a assisté à une inversion du nombre des capitaines et de celui des lieutenants : il y a aujourd’hui plus de capitaines que de lieutenants. De plus, l’encadrement est extrêmement riche : un colonel ou un lieutenant-colonel pour 70 sapeurs-pompiers professionnels. En fait, ni l’État, ni les départements ni les communes ne pilotent les carrières.

Étant donné la situation actuelle, peu favorable aux contribuables, la Mission a jugé utile d’engager une réflexion globale. Le système doit de nouveau être piloté, cohérent et la dépense doit être justifiée.

De tout cela, nous déduisons qu’il est sans doute possible d’arrêter la progression de la dépense.

M. David Habib, Président. Selon vous, comment doit évoluer la gouvernance des SDIS ? Quel en serait le format idéal ? Nous devons rencontrer Michèle Alliot-Marie le 9 juin, et, à cette occasion, nous voudrions prendre en compte l’état de vos réflexions et de vos propositions.

M. Augustin Bonrepaux, président du conseil général de l’Ariège. La départementalisation, a présenté, au moins dans les départements ruraux, de nombreux avantages. Elle a permis, d’une part, que chacun participe de la même façon au service, ce qui fait que les charges sont mieux réparties, et, d’autre part, d’harmoniser le fonctionnement du service sur territoire. Il est vrai qu’elle a entraîné des dépenses supplémentaires, notamment parce que l’équipement n’était pas au point : dans mon département, par exemple, les casernes étaient dans un état lamentable.

J’ai entendu que l’État participait aux dépenses à hauteur de 1 milliard. En tout cas, cela ne se ressent pas chez moi.

M. Georges Ginesta, Rapporteur. Vous savez bien qu’il achète les aéronefs de la sécurité civile !

M. Augustin Bonrepaux. Autrefois, il participait. Désormais, ses participations diminuent régulièrement, alors qu’on nous demande de faire des investissements de plus en plus importants – je pense à Antares, par exemple.

Il faudrait d’abord clarifier la situation. De plus en plus souvent, des décisions sont prises au niveau national par le ministre. Cela fait bien de faire plaisir aux sapeurs-pompiers ! Mais, au final, qui paie ?

Les départements paient davantage que les communes, la participation de ces dernières étant plafonnée. Par ailleurs, nous subissons un transfert de charges insidieux : il se trouve en effet que les sapeurs-pompiers sont appelés à intervenir de plus en plus fréquemment à la place des ambulanciers. Or, alors qu’un ambulancier est remboursé 350 ou 400 euros par la sécurité sociale pour son intervention, nous ne sommes remboursés que de 105 euros – c’est le chiffre fixé dans les conventions passées avec les services hospitaliers. Pourtant, la charge d’intervention est beaucoup plus importante pour les sapeurs-pompiers, puisque, réglementairement, la présence de trois sapeurs-pompiers à bord d’une ambulance est nécessaire pour que celle-ci puisse sortir.

La situation est en train de s’aggraver. Dans mon département, le préfet a organisé une réunion pour nous expliquer qu’il fallait économiser 350 000 euros sur la permanence des soins. Dans ce but, plutôt que de faire déplacer les médecins chez les malades, on conduira les malades aux urgences. Le patient appellera le 112 ou notre numéro d’appel pour les personnes en difficulté, et s’il n’est pas possible de le soigner par téléphone, il sera transporté aux urgences. Or à deux ou trois heures du matin, les ambulanciers ne se déplacent pas ; ce seront donc les pompiers qui interviendront.

Il faut faire payer les secours par celui qui doit les payer : quand il s’agit de malades, c’est à la sécurité sociale de payer et non aux contribuables.

Il y a deux ans, le préfet a décidé qu’il faudrait trois sapeurs-pompiers professionnels de plus. Mais qui paie ? Souvent, nous ne sommes pas consultés quand une décision concernant les sapeurs-pompiers est prise. Or, selon le principe « qui commande paie », il faudrait que les présidents de conseils généraux aient le pouvoir de décider pour ce qui relève de leur responsabilité.

M. Georges Ginesta, Rapporteur. M. Bonrepaux a évoqué la nécessaire remise en état des casernes et le renouvellement du matériel. Cela a été vrai de 1996 à 2001, mais, depuis 2001, tout cela est terminé. Or l’inflation budgétaire a continué, et c’est bien ce qui nous préoccupe aujourd’hui. Sans vouloir politiser le propos, je rappellerai à M. Bonrepaux que c’est à la fin de l’année 2001, sous le gouvernement Jospin, qu’a été prise la décision relative au nombre de jours de garde de 24 heures par an. Or c’est la diminution de ce nombre qui a provoqué une inflation des embauches.

N’oublions pas que notre rôle est de défendre le contribuable. On peut toujours aller dans le sens des sapeurs-pompiers, qui demanderont toujours plus d’hommes et l’accélération de leur carrière. Or l’accélération des carrières n’étant pas maîtrisée par les élus, il en résulte une inflation budgétaire : les salaires représentent la plus grande part du budget des SDIS. En outre, le refus de la mutualisation de l’achat de certains matériels accroît encore la dépense.

Nous ne sommes donc pas dans le meilleur des mondes possible. Toutefois, nous sommes là pour essayer de l’améliorer.

M. Yves Rome, président du conseil général de l’Oise. Certes, je suis là, non pour défendre le contribuable, mais pour défendre le service public de la sécurité civile. Pour autant, je peux, en tant que responsable d’un département, et donc d’un SDIS, adhérer à l’objectif de maîtrise de la dépense. Cela dit, il serait très mauvais de stigmatiser les sapeurs-pompiers professionnels.

M. Georges Ginesta, Rapporteur. Il ne faut pas me faire dire ce que je n’ai pas dit. Il ne s’agit pas de stigmatiser les sapeurs-pompiers, mais de trouver tous ensemble des avancées qui bénéficieront au contribuable.

M. Yves Rome. Certes, il faut chercher à maîtriser la dépense, mais pour cela, il est nécessaire de comprendre les causes du dérapage constaté.

Auparavant, les maires étaient souvent démunis face au pouvoir des sapeurs-pompiers, en particulier au moment des élections : personne ne savait leur résister. La départementalisation a permis une meilleure homogénéisation de la présence et de la sécurité sur l’ensemble du territoire, notamment dans les zones les plus rurales, qui étaient légèrement dépourvues par rapport aux centres urbains.

Une des raisons du dérapage constaté tient à un problème de gouvernance. Normalement qui paie commande. Or nous, les élus locaux, sommes soumis aux injonctions de l’État, notamment au travers de la définition des normes, qu’il s’agisse des matériels ou de la gestion des carrières.

Enfin, il faut savoir que la départementalisation n’est pas achevée. Ainsi, dans le département de l’Oise, nous avons un programme ambitieux de rattrapage et de construction de centres de secours qui aura un impact durant au moins dix ans sur le coût de fonctionnement du service.

La départementalisation permettra une évolution de la maîtrise de la dépense. On va nous conférer, sans qu’on nous l’ait trop demandé, les parcs départementaux de l’équipement, ce qui aboutira à une mutualisation des matériels roulants.

L’ensemble des départements de France et des présidents de SDIS réfléchissent à la mutualisation des moyens. Un grand nombre d’agents non sapeurs-pompiers assurent des missions de gestion des services, que ce soit en matière de commandes publiques, de centrales d’achat, ou de bâtiments. Dans les services des conseils généraux, nous avons, de manière transversale, les mêmes capacités d’intervention. Il y a donc là une possibilité de mutualiser les moyens et donc d’optimiser la dépense. Si on retire des SDIS des effectifs consacrés à des missions autres que celle de la sécurité, on pourra renforcer la défense opérationnelle en employant réellement les moyens humains pour les missions premières des SDIS.

Il faut aussi cesser, comme l’a souligné Augustin Bonrepaux, de transférer insidieusement des charges supplémentaires vers les services départementaux.

Il est exact que le feu ne représente qu’un maigre pourcentage de l’intervention des SDIS. En revanche, les secours à la personne augmentent de manière exponentielle, comme cela ressort du rapport Lamotte. Les SDIS suppléent à la déficience du service public hospitalier ou de l’organisation territoriale des professions libérales, qui ne répondent plus au problème de l’urgence. Lorsque la difficulté sociale augmente sur les territoires, que les urgences sont saturées ou ne répondent plus, que les SAMU ne s’engagent pas, que les professions médicales désertent à partir de vingt heures, le SDIS devient le seul outil disponible. C’est certainement là une des causes principales de l’augmentation de la dépense, d’autant que le coût d’un déplacement des sapeurs-pompiers varie de 300 à 1 000 euros, alors que l’hôpital ou le monde de la santé n’accepte de discuter que sur la base de 105 euros.

Il faut aussi poursuivre la réflexion engagée par la commission « Ambition volontariat », pour tenter de parvenir à un bon équilibre entre sapeurs-pompiers volontaires et sapeurs-pompiers professionnels.

C’est à tout cela qu’il faut réfléchir, sans stigmatiser qui que ce soit.

M. David Habib, Président. Personne ne stigmatise quiconque. Je peux vous assurer que tout le monde est d’accord sur la nécessité d’entretenir un dialogue de vérité avec les sapeurs-pompiers. Cela dit, je crois me souvenir que le premier vice-président d’un conseil général d’un département du sud-ouest appartenant à la même sensibilité politique que la nôtre a tenu des propos bien « pires » que ceux de M. Ginesta.

M. Jean-Paul Bacquet, maire de Coudes. Monsieur le président, vous avez raison : le sujet des sapeurs-pompiers est un sujet passionnel.

La départementalisation était nécessaire, en raison des inégalités territoriales. Toutefois, elle est devenue très rapidement une centralisation compétitive d’un département à l’autre, s’agissant des jours de garde et de travail, des investissements, etc. Il suffit d’assister à un congrès de sapeurs-pompiers pour s’en rendre compte et pour apprécier les conséquences que peut avoir cette compétition sur les bons de commande.

N’oublions pas que ceux qui paient ne décident pas. Pour autant, cela ne remet pas en cause notre engagement de fournir à nos concitoyens le service d’incendie et de secours le plus efficace possible. Il n’en reste pas moins que cette situation soulève la question de la responsabilité politique de celui qui paie alors qu’il n’est pas le décideur.

N’oublions pas que les communes paient, même si leur contingent a été gelé – ce gel est d’ailleurs relatif, dans la mesure où le contingent varie en fonction de l’inflation. On s’est du reste demandé s’il ne fallait pas remplacer le contingent des communes par une réduction de leur dotation globale de fonctionnement, la DGF. En tout cas, les maires deviennent souvent des otages dont on se sert pour empêcher que le service passe sous la coupe du conseil général. Les maires ont-ils pour autant le droit de s’exprimer ? Non, ils n’ont pas droit à la parole, et là est le véritable problème.

On a parlé de la sécurité sociale ; on peut aussi évoquer les assurances – il s’agit de serpents de mer qui ressortent tous les vingt ou trente ans. La question qui se pose n’est pas de savoir si l’on transfère une charge du contribuable départemental ou communal au contribuable assuré social, mais de savoir si l’ensemble des dépenses est justifié. C’est en cela que je m’associe à votre démarche responsable.

Je ne connais pas de maire qui dise qu’il faut supprimer les sapeurs-pompiers... encore que certains maires de grandes villes seraient tentés si, demain, l’offre existait, de privatiser les services de sapeurs-pompiers. Cela se fait déjà à l’étranger : Véolia intervient dans d’autres pays sur des sites industriels. Quoi qu’il en soit, vous avez raison, monsieur Ginesta, le payeur n’est pas le décideur.

Comme je suis médecin, je me sens visé lorsque l’on parle de la désertification médicale. Mais les élus gagneraient à être un peu plus responsables – et ce sera ma seule allusion politique : quand je dépose un amendement coercitif, la droite comme la gauche le refusent. Que chacun assume ses responsabilités !

Qui définit la réglementation ? La Fédération. Je siégeais au sein d’une commission, mais je n’y vais plus parce que ce n’est plus la peine. Les décisions prises sont sûrement toutes justifiées, mais on n’en analyse jamais les conséquences financières et juridiques. Actuellement, l’Association des maires de France étudie le projet de référentiel national de défense contre l’incendie, ce qui suppose la définition d’une nouvelle assise juridique de la réglementation. Eh bien, il faut s’attendre à ce que demain se retrouvent devant les tribunaux des élus qui n’auront pas répondu à un projet de référentiel qu’ils n’auront pas élaboré !

L’association des maires du département du Puy-de-Dôme a appris que le Puy-de-Dôme était représenté au sein de cette commission. Personne ne le savait, pas plus les conseillers généraux que président du conseil d’administration du SDIS. Pourtant, nous faisons partie des départements témoins. Nous avons tout de même de quoi nous interroger sur la façon dont nous pouvons assumer nos responsabilités politiques !

Par ailleurs, en quoi un SDIS a-t-il besoin d’un architecte, d’un service de communication, de photographes ?

J’évoquerai maintenant l’évolution des carrières. J’ai été président du SDIS de mon département. En fonction de l’effectif, il y a eu un colonel, puis deux, puis trois… Que fera-t-on lorsque l’on n’aura promu que des colonels âgés de 42 ans ? On va créer le grade de général ? Cela a été demandé à l’Assemblée nationale, il y a quelques mois.

La gouvernance est le vrai problème. Il y a deux ans, avant les élections de 2007, les sapeurs-pompiers avaient manifesté dans la rue en tenue et avaient frappé des policiers en tenue : double faute, mais aucune peine ! Mon ami Jean Proriol et moi-même avons dit notre indignation au président Sarkozy, qui était alors ministre de l’Intérieur. Avant cette entrevue, j’avais tenu les propos suivants au nouveau directeur de la Sécurité civile : « Monsieur le préfet, vous ferez comme vos collègues : pendant six mois, vous allez vouloir réformer et au bout de six mois, vous aurez compris que c’est une telle poudrière que vous vous dégonflerez et vous compterez les jours en attendant que votre mandat se termine pour ne pas brûler votre carrière ». En fait, il faudrait nommer un préfet en fin de carrière, qui, lui, au moins, pourrait prendre les décisions qui s’imposent.

J’ai déposé une proposition de loi visant à faire passer les sapeurs-pompiers professionnels dans la fonction publique d’État – ce qui m’a valu un succès extraordinaire lors d’un certain congrès des sapeurs-pompiers. Cela permettrait de disposer d’une grille salariale claire, et de savoir qui embauche et sur quels critères. En effet, d’un département à l’autre, les inégalités sont encore plus criantes qu’avant la départementalisation.

Les sapeurs-pompiers volontaires donnent une image forte. Toutefois, même en cas de recrutement, la durée de leur engagement diminue. Il y a là de quoi nous inquiéter.

Enfin, si les conseils d’administration donnent lieu à des débats très animés, il n’en reste pas moins que l’on sait à l’avance ce qui sera voté. Dans ces conditions, où est le débat démocratique ? Il y a d’un côté ceux qui ont un langage technique, voire technocratique, qui cherchent à culpabiliser ceux qui ne voudraient pas voter les crédits, et, de l’autre, des gestionnaires sains, responsables malgré les menaces auxquelles ils sont soumis.

Monsieur Derosier, je vous rappelle que c’est un de vos concitoyens qui a organisé à Marseille le premier congrès national des présidents de SDIS. Alors que j’avais fait remarquer que, dans la salle, il y avait plus de colonels que d’élus, on m’avait répondu qu’il s’agissait d’« experts ». Et, en définitive, ce sont les colonels qui ont décidé ce que nous devions décider.

J’ai entendu parler d’« injonctions » de l’État. Mais lesquelles ? Quand il faut que le président Doligé réunisse les élus des conseils d’administrations des SDIS avant le conseil d’administration de la Conférence nationale des services d’incendie et de secours, je me dis qu’il y a un dysfonctionnement.

Encore une fois, le problème est lié à un manque de responsabilité politique. Nous n’assumons pas notre responsabilité politique, que ce soit au niveau de l’État ou ailleurs. Qu’on le veuille ou non, tant que le pouvoir politique ne sera pas assumé, nous ne pourrons pas avancer.

M. Yves Rome. Depuis l’époque où Jean-Paul Bacquet était président d’un SDIS, la situation a changé – la départementalisation est passée par là. Lorsque nous réunissons les présidents de conseil d’administration de SDIS, il y a davantage de responsables élus et de décideurs que de colonels des sapeurs-pompiers.

M. David Habib, Président. Il n’est pas certain que, sur le plan budgétaire, la situation ait beaucoup évolué.

M. Jean Proriol, maire de Beauzac. La départementalisation est en effet ambivalente, monsieur le président. Mais on ne peut pas revenir dessus. Elle était demandée, nous l’avons votée. Souvenez-vous de tous les congrès de sapeurs-pompiers des années quatre-vingt-dix, qui reprenaient ce thème de la départementalisation. Bien que perfectible, la décentralisation est donc ce qu’elle est.

D’après les comptes de gestion de 2007, les communes paient encore 46 % du total ; cela a déjà été davantage. Cette proportion varie également selon les départements : dans certains, les communes paient la plus grosse part ; dans d’autres, c’est l’inverse. Il n’y a donc pas de régime uniforme.

Vous nous interrogez à propos du gel des dépenses. Pour l’AMF, qui en a débattu à plusieurs reprises, il n’est pas question d’y renoncer. Si nous voulons stopper l’inflation des dépenses, qui est due à toutes les raisons que tout le monde a expliquées dans cette salle, il faut incontestablement introduire un gel de nos dépenses globales. Les départements ne peuvent pas y être défavorables.

Il est exact que l’on a consenti des efforts pour les casernements et les matériels. Dès qu’elle a été votée, la départementalisation a créé des espoirs chez les sapeurs-pompiers, lesquels sont montés au créneau – c’était le moment d’en profiter. Le président du conseil général est devenu le grand patron. Toutefois, la dernière loi votée en la matière a rendu très minoritaire la présence des maires au sein des conseils départementaux des SDIS. Peut-être faudrait-il qu’un maire soit vice-président du SDIS ? Quoi qu’il en soit, cela n’aura pas de conséquences fondamentales : les maires ont du mal à se faire entendre. Moi qui suis président de l’Association départementale des maires, j’essaie d’envoyer dans ces conseils départementaux des maires courageux, qui sachent s’opposer à la montée vertigineuse des dépenses à tous les niveaux. Je comprends bien que les départements veuillent rester les patrons, dans la mesure où ce sont eux qui ont la compétence définitive, mais il n’en reste pas moins que les sapeurs-pompiers ont voulu à tout prix maintenir le lien avec les maires. C’est pourquoi il me semble opportun que les élus votent les contingents dans les budgets communaux, et non pas que l’État prélève sur la DGF, car ce dispositif fait descendre au niveau local les conséquences des augmentations à payer. Toutefois, les marges de manœuvre des maires sont relativement limitées : lorsqu’ils reçoivent le contingent au mois d’octobre ou de décembre, il ne leur reste plus qu’à l’inscrire dans le budget communal. Et si ce dernier n’était pas voté, le préfet procéderait à une inscription d’office.

Il faut savoir enfin que les contingents ne sont pas les seules contributions des mairies. Il existe encore 1 926 centres de première intervention non intégrés, dont la charge repose entièrement sur les communes, ou sur les intercommunalités, même si les départements ont procédé à un toilettage et supprimé un certain nombre de centres d’intervention qui n’étaient pas si opérationnels qu’on avait pu le penser. Les municipalités participent également sous d’autres formes : fourniture du terrain destiné à la construction d’un bâtiment, paiement de 25 % du coût de la construction. Ce dispositif est-il légal ? Je n’en suis pas certain. En tout cas, toutes ces dépenses qui n’entrent pas dans les contingents finissent par peser sur les budgets communaux.

Comment régler les problèmes liés au financement ? Faire payer les assurances ? Créer un impôt départemental ? Un impôt sur le foncier ? Depuis vingt ans, nous n’avons pas encore trouvé la solution. Faire payer les assurances me semble être une piste à explorer.

Toutefois, les problèmes qui se posent sont aussi d’ordre psychologique et politique. Quand les pompiers prétendent que tel ou tel équipement est indispensable, il est pratiquement impossible de résister. S’agissant des normes, l’État a une part de responsabilité : s’il sait résister aux groupes de pression, il lui arrive aussi de battre en retraite. Nous sommes toujours tiraillés entre les demandes et les considérations financières.

Selon moi, il convient de geler l’ensemble des dépenses. Si j’avais un seul message à faire passer, ce serait celui -là.

M. Bernard Derosier, Rapporteur. Étant donné les personnes présentes à cette réunion – représentants des maires, représentants des gestionnaires que sont maintenant les présidents de SDIS, parlementaires ayant pour objectif de faire des propositions –, toutes les conditions sont réunies pour faire évoluer la situation du service public de sécurité civile. Si nous arrivons à nous mettre d’accord, nous pourrons faire bouger les montagnes : Bercy, le Gouvernement – et, pourquoi pas ? la majorité parlementaire.

Notre collègue Proriol vient de dire qu’il fallait geler les dépenses. Merci d’avance ! Qu’il vienne avec moi rencontrer les sapeurs-pompiers de mon SDIS pour entendre leurs réactions quand je rapporterai sa proposition. Ce n’est pas aussi simple que cela.

M. Jean Proriol. J’en suis bien conscient, pour avoir présidé un SDIS pendant vingt ans !

M. Bernard Derosier, Rapporteur. La départementalisation, avec tous ses avantages, a fait apparaître un état des lieux très différent d’un département à l’autre, voire au cœur d’un même département. Le fait que l’on reprenne des centres de secours communaux ou intercommunaux, du matériel qui était parfois à la limite de l’obsolescence, et des effectifs qui étaient très variables d’un centre de secours à l’autre, a amené le département et le SDIS à gérer des situations très inégalitaires. Cet état des lieux – incontestable – était bien la preuve que la gestion antérieure n’était pas bonne.

Ceux d’entre nous qui sont élus locaux accepteraient-ils, sur un territoire départemental, une gestion inégalitaire des situations ? Accepteraient-ils que la commune ou l’intercommunalité soit amenée à participer aux dépenses d’un centre de secours qui n’aurait pas été réalisé dans de bonnes conditions ? Jean Proriol a fait référence à des communes qui participaient à l’achat de terrains. Mais cela relève de l’initiative des conseils généraux, qui demandent éventuellement aux communes d’y contribuer. Encore faudrait-il que ce soit inscrit dans la loi.

Ce que vous appelez le « contingent » voté par les conseils municipaux me semble un concept un peu dépassé à l’heure de la décentralisation. Pourquoi les communes ne souhaiteraient-elles pas voter une participation aux collèges, aux routes départementales, si on maintient les financements dits croisés – que M. Balladur voudrait supprimer, accompagné en cela par la majorité ?

Une logique voudrait que les communes ne participent pas. Mais, tout à l’heure, le ministère du Budget nous a expliqué que c’était infaisable et le directeur général des Collectivités locales nous a dit que c’était impossible. Jean Proriol vient de rappeler de bonnes raisons politiques pour maintenir cette participation ; les sapeurs-pompiers le souhaitent également.

Que penseriez-vous donc, mes chers collègues, présidents de SDIS, maires, d’un déblocage de l’indexation de la participation des communes ? Le rapport Lamotte prévoit une augmentation de la contribution des départements de l’ordre de 4 à 5 % par an au-dessus de l’inflation, dans les années à venir, alors que le contingent des communes est bloqué par la limite de l’inflation. Comme nous sommes en période de déflation, si cela continue, je pense que les SDIS vont devoir rendre de l’argent aux communes !

M. Bacquet a dit que les maires n’ont pas droit à la parole. Pourtant ils ont, sur leur territoire, le pouvoir de police. Que penseriez-vous, messieurs les maires, si on supprimait cette compétence opérationnelle sur votre territoire et si on la transférait au président du SDIS ?

M. Jean Proriol. Le contingent est-il dépassé ? Je n’en suis pas sûr. Et s’il est dépassé, il faut le remplacer. Or, je n’ai pas entendu, dans l’intervention de M. Derosier, des propositions significatives et intéressantes qu’on puisse mettre en application.

L’Association des maires de France est formelle : elle est favorable au maintien du gel des contingents. Il faut savoir, malgré tout, que celui-ci est parfois détourné et qu’à l’intérieur de chaque SDIS, les règles s’appliquent différemment, notamment en fonction du potentiel fiscal. Ainsi, le gel n’est pas égalitaire selon les départements, ni selon les communes à l’intérieur d’un même département.

M. David Habib, Président. Ce n’est pas forcément inégalitaire. Les départements et les régions peuvent vouloir trouver des clés de répartition plus justes entre les différentes collectivités. Cela dit, le constat que vous faites est tout à fait exact.

M. Bernard Derosier, Rapporteur. Évidemment : vous êtes tous les deux dans des départements gérés par la droite…

M. Jean Proriol. Vous avez évoqué le rapport Lamotte. Nous ne pouvons pas entrer dans cette mécanique, nous vous le confirmons très fortement.

Jean-Paul Bacquet a fait remarquer que le taux de rotation et d’engagement des sapeurs-pompiers volontaires était inférieur à dix ans. C’est plutôt sept ou huit ! Nous allons donc être confrontés à un problème. Ainsi, dans mon corps de sapeurs-pompiers, trois ou quatre personnes vont partir parce que le service est trop contraignant et que la formation est trop exigeante. Mais s’il fallait remplacer les 200 000 pompiers volontaires, je ne sais pas comment nous ferions – et cela coûterait bien plus que 4 ou 5 milliards. Il faut tout de même rendre hommage à ceux qui acceptent de se dévouer pendant un certain nombre d’années.

M. Jean-Paul Bacquet. Les inégalités territoriales, d’un département à l’autre, d’une commune à l’autre justifiaient la départementalisation et une harmonisation. La situation s’est-elle améliorée ? Bien sûr. Cependant, le maillage reste très inégalitaire d’un département à l’autre : il subsiste d’importantes zones blanches. La couverture départementale n’a pas été harmonisée.

La suppression de certains CPI résulte du choix du conseil d’administration ou du directeur départemental ; elle n’a pas été faite à partir d’un schéma ou en fonction de directives préalables.

Si une commune participe à la construction d’une caserne ou donne le terrain nécessaire pour construire ce bâtiment, c’est illégal. On l’ignore, mais c’est illégal. Sur ce point, l’association des maires est très vigilante et elle informera les élus sur la responsabilité qu’ils prennent : les maires risquent d’être poursuivis par un contribuable.

La définition du contingent communal par rapport au contingent départemental est très inégalitaire dans un même département, puisque c’est le conseil d’administration qui fixe les règles de la répartition d’une commune à l’autre.

Le maire exerce-t-il son pouvoir de police ? Souvent, quand il y a un litige dans sa commune, ou un incendie, le maire l’apprend le lendemain dans le journal. Et s’il se rend sur place parce qu’il a été prévenu, il risque d’être invité à quitter les lieux pour ne pas empêcher de travailler ceux qui savent ! Nous sommes prêts à assumer ce pouvoir de police, mais encore faut-il qu’on nous le reconnaisse. Et ce n’est pas parce que nous siégeons dans des conseils d’administration, que nous y existons. Je sais qu’il n’est pas question de transférer le pouvoir de police, car c’est inapplicable pour l’instant. Reste que la responsabilité juridique du maire est pleine et entière, qu’il l’ait voulu ou non.

M. Yves Rome. Au nom de l’Assemblée des départements de France, je plaide pour le dégel des contingents communaux. À défaut, ce sont les départements qui vont subir la hausse, que nous allons peut-être tenter de limiter avec votre concours.

La maîtrise des dépenses, à laquelle nous sommes confrontés, dépend selon moi très largement de la gouvernance : qui paie ? Comment ?

Faut-il transférer vers les départements le pouvoir des maires, qu’ils prétendent ne pas pouvoir exercer, ni financièrement, ni juridiquement ? Il n’y a pas de raison qu’un président de conseil général soit plus inapte qu’un maire à assumer les pouvoirs de sécurité sur son territoire.

L’AMF considère que le gel doit être maintenu. Il est donc important de se tourner vers le troisième acteur de la sécurité civile : l’État. Mais le niveau des FAI, les fonds destinés à l’investissement, est dérisoire, voire inexistant. Si l’État veut conserver son rôle de régulateur, c’est à lui d’engager des réformes pour les sapeurs-pompiers – qui le méritent certainement.

Des réflexions sont en cours pour maintenir le volontariat, auquel nous devons rester attachés. Si les sapeurs-pompiers volontaires disparaissent des services départementaux, la dépense sera exponentielle, et il ne sera plus question de maîtrise. Toutefois, le maintien de la présence des sapeurs-pompiers volontaires au sein des services départementaux peut aussi générer des coûts de gestion et, par voie de conséquence, transférer vers le département des charges supplémentaires.

L’État doit donc tenir compte, de manière beaucoup plus précise et beaucoup plus sérieuse, du rôle des départements ; ne pas convoquer la Conférence nationale des services d’incendie et de secours sans recueillir préalablement, sur les dossiers, l’aval des départements qui sont là pour payer ; ne pas se contenter de dialoguer avec les représentants des sapeurs-pompiers, mais associer à toute disposition nouvelle les départements de France.

L’État doit jouer son rôle de financier – FAI, réseau Antares. Certes, ce dernier est nécessaire à la bonne coordination des services de sécurité (police, gendarmerie, pompiers) sur le territoire départemental. Mais que l’État évite de faire financer exclusivement ces nouveaux dispositifs par les départements et par les SDIS.

M. Augustin Bonrepaux. Ma conclusion ne sera guère différente. Je pense que le département est le niveau pertinent pour assurer la sécurité sur l’ensemble du territoire. Certes, cela dépend de chaque département. Mais il est possible de procéder à une péréquation à l’intérieur du département en répartissant équitablement la charge entre les citoyens : par exemple, une péréquation des contingents tenant compte de la population desservie et du potentiel financier de chaque collectivité, comme nous l’avons fait nous-mêmes depuis longtemps.

Le département est aussi le niveau le plus pertinent pour faire des économies. On pourrait mutualiser des services du département et des services du SDIS, par exemple en faisant réparer le matériel par le parc de l’équipement dont nous allons avoir la responsabilité.

Il y aurait encore des centres de secours relevant de la responsabilité des communes ! Je le découvre. Dans mon département, le SDIS s’occupe de tout. Peut-être pourrait-on procéder à quelques corrections pour faire en sorte que le service devienne réellement départemental.

J’entends dire qu’il faut geler les dépenses. Mais comment ? Qu’on donne déjà au SDIS les moyens de faire payer le service à son coût réel lorsqu’il intervient pour d’autres. Ce sont les secours à la personne qui ont augmenté le plus. Pour ces interventions, c’est toujours le SDIS qui part le plus vite, et c’est souvent le seul à partir. Faire payer le service à son coût réel permettrait de réaliser des économies.

Enfin, il faut que ceux qui paient soient consultés. Dans mon département, le préfet convoque le colonel du SDIS pour mettre en place une convention entre le PGHM (le peloton de gendarmerie de haute montagne) et le SDIS, et je l’apprends quand c’est fait !

M.  Bernard Derosier, Rapporteur. C’est un préfet qui fait n’importe quoi.

M. Augustin Bonrepaux. Cela ne m’empêche pas de réagir.

Il existe au niveau national une Conférence nationale des services d’incendie et de secours. Les décisions sont souvent prises en concertation entre le ministère et les sapeurs-pompiers. Il me semble indispensable que ceux qui paient soient présents et puissent dire ce qu’ils en pensent ; or ce n’est pas le cas.

Il est toujours facile de se faire valoir en disant que l’on augmente les sapeurs-pompiers – même si, pour notre part, nous sommes très attentifs à la revalorisation de l’intervention des sapeurs-pompiers volontaires –, mais il faudrait que nous soyons consultés.

On pourrait ainsi commencer à maîtriser les dépenses. Seulement, il faut nous en donner les moyens et faire en sorte que d’autres ne prennent pas les décisions à notre place.

M. Georges Ginesta, Rapporteur. La mission que nous a confiée le bureau de la commission des Finances s’inscrit dans l’esprit de la LOLF et vise à répondre à la question suivante : comment obtenir le même service en dépensant moins ? Avant de savoir qui paie, il faut d’abord savoir comment dépenser moins avec le même service – sujet qu’on n’a pas vraiment abordé jusqu’à présent.

M. Augustin Bonrepaux. Nous vous avons fait des propositions en ce sens !

M. Georges Ginesta, Rapporteur. Vous avez fait une proposition à la hausse.

M. Augustin Bonrepaux. J’ai dit qu’en mutualisant les services, nous pouvons faire des économies, qu’en nous donnant les moyens nécessaires, nous ferons des économies ! À moins que vous ne vouliez réduire le service ?

Commencez par résoudre le problème lié à la présence insuffisante de médecins sur certains territoires, ce qui dispensera les sapeurs-pompiers d’amener les malades dans les centres d’urgences !

M. Georges Ginesta, Rapporteur. Ce n’est pas ce qui a été demandé par la commission des Finances, laquelle est présidée par un élu socialiste. Ne politisez pas le débat, monsieur Bonrepaux.

M. David Habib, Président. C’est la première fois, depuis que je préside la MEC, que les travaux prennent une dimension passionnelle…

M. Georges Ginesta, Rapporteur. C’est en raison de la présence de M. Bonrepaux…

M. Jean-Paul Bacquet. C’est à cause du sujet abordé !

M. David Habib, Président. Il est vrai que les réunions sur les pôles de compétitivité ou sur le Louvre sont plus calmes. Mais de toutes les matinées consacrées aux pompiers, c’est celle où les maires et les présidents de conseils généraux sont venus en même temps qui a donné lieu au débat le plus passionné.

Il n’en a pas moins été dense et stimulant. Je vous remercie.