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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mission d’évaluation et de contrôle

Évaluation et perspectives des pôles de compétitivité

Mercredi 27 mai 2009

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 46

Présidence de M. David Habib, Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Marc Thomas, président du pôle Aerospace Valley, et de Mme Agnès Paillard, directrice générale.

M. David Habib, Président. Monsieur le président, Madame la directrice générale, je vous souhaite la bienvenue. La mission d’évaluation et de contrôle (MEC) poursuit ses auditions consacrées aux perspectives des pôles de compétitivité. Je vous indique que je copréside cette mission avec M. Georges Tron, ici présent, membre comme moi-même de la commission des Finances mais n’appartenant pas au même groupe politique : nos travaux doivent avoir un caractère consensuel afin de permettre à la commission des Finances de s’assurer, sur tel ou tel point, de la bonne utilisation des fonds publics et de la bonne marche des dispositifs mis en place par l’État.

Je vous prie d’accepter les excuses de nos trois rapporteurs, qui sont aujourd'hui empêchés et ne peuvent prendre part à cette audition.

Il est de tradition que la Cour des comptes participe aux travaux de la MEC. Je salue à cet égard la présence de M. Jean-Yves Marquet, conseiller référendaire à la deuxième chambre. Je précise que la Cour mène actuellement un contrôle sur les pôles de compétitivité et que son représentant ne souhaite donc pas intervenir.

Étant l’élu d’une des deux régions concernées, je connais bien le pôle Aerospace Valley. Cela dit, nous souhaitons aller au-delà des aspects locaux pour tenter de mesurer les forces et les faiblesses d’un pôle mondial qui, selon l’évaluation menée par le Boston Consulting Groupe et CM International, a atteint les objectifs de la politique des pôles de compétitivité.

Je voudrais notamment vous interroger sur la genèse d’Aerospace Valley, qui, contrairement à d’autres pôles, s’inscrit dans une démarche de filière engagée bien avant la mise en place des pôles.

M. Jean-Marc Thomas. Permettez-moi tout d’abord de me présenter. Je suis président délégué d’Airbus France et président de la Fondation de recherche pour l’aéronautique et l’espace. Je me suis par ailleurs fortement impliqué dans la genèse du pôle, en portant le dossier dès septembre 2004. C’est au début de 2005 que nous avons commencé à travailler avec l’Aquitaine pour déposer une candidature unique.

Mme Agnès Paillard. Pour ma part, je n’ai rejoint le pôle que tout récemment. J’ai auparavant mené ma carrière dans l’industrie – dix ans dans une multinationale, six ans dans une PME –, avant de travailler presque sept ans au conseil régional d’Aquitaine en tant que directrice générale adjointe chargée du développement économique, de la recherche et de l’enseignement supérieur.

M. Jean-Marc Thomas. C’est en janvier 2005 que nous avons élaboré avec l’Aquitaine une candidature unique. Nous avons déposé le dossier en février et nous avons été « labellisés » en juillet comme un des six pôles mondiaux.

L’Aerospace Valley est le premier pôle à s’être adossé simultanément sur deux régions dès le départ. Elle est aussi le pôle qui compte le plus de membres : un peu moins de 500 à l’origine, plus de 550 aujourd'hui dont plus de 250 PME. C’est une force, mais cela conduit parfois à se demander si tous les participants y trouvent le meilleur coefficient de satisfaction.

La gouvernance est répartie de façon équilibrée entre les deux régions. Si j’assure la présidence du pôle, M. Pierre-Éric Pommellet, directeur de Thales Bordeaux, a été vice-président les trois premières années et M. Jean-Michel Estrade, directeur de Dassault Aviation à Biarritz, lui a succédé. Mme Agnès Paillard, qui vient de nous rejoindre, est directrice générale, tandis que le directeur, M. Didier Seiller, a exercé des responsabilités au conseil régional de Midi-Pyrénées.

Le pôle réunit l’ensemble des industriels majeurs des régions Aquitaine et Midi-Pyrénées dans les secteurs de l’aéronautique, de l’espace et des systèmes embarqués. Toutes les universités et les écoles d’ingénieurs concernées, ainsi que tous les laboratoires de recherche publics et privés, y participent. En particulier, trois des quatre grandes écoles aéronautiques françaises sont dans notre périmètre : Sup’Aéro et l’ENSICA, dont la fusion récente a donné l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE), ainsi que l’École nationale de l’aviation civile (ENAC). Nous entretenons en outre un partenariat privilégié avec l’École nationale supérieure de mécanique et d’aéronautique, située à Poitiers.

Il est à noter que le pôle comprend désormais la Guyane, qui a demandé son rattachement, en raison des activités spatiales qui s’y déploient.

Comme l’a confirmé l’INSEE, Aerospace Valley est le premier bassin d’emploi français et européen dans le domaine de l’aéronautique, de l’espace et des systèmes embarqués, avec plus de 120 000 emplois directs.

Le pôle s’est donné cinq grands objectifs à l’horizon 2025 :

– conforter sa première place mondiale en aéronautique civile ;

– conforter sa première place européenne dans le domaine de l’espace ;

– renforcer une position d’excellence sur les systèmes embarqués – domaine qui comprend dans son périmètre, comme le Premier ministre l’a explicitement indiqué, l’automobile et le train ;

– devenir un pôle de recherche et de formation de référence mondiale ;

– renforcer les atouts et les synergies des grands groupes et des PME dans la compétition mondiale.

Avant même que l’on parle de contrat, nous nous sommes engagés vis-à-vis de nos partenaires publics – l’État, les deux régions et les deux communautés urbaines de Bordeaux et de Toulouse – sur l’ambition de créer 40 000 à 45 000 emplois en vingt ans. Or l’INSEE a montré qu’au cours des trois années d’existence du pôle, 11 000 emplois ont été créés. Il faut certes rester modestes : ces créations ne sont pas à mettre exclusivement à l’actif du pôle ; par contre, la dynamique que celui-ci a apportée grâce à ses projets structurants a contribué à la dynamique d’ensemble qui a permis d’atteindre ces objectifs.

J’en viens à l’organisation du pôle.

L’assemblée générale, lors de son grand rendez-vous annuel auquel participent en moyenne 450 membres, élit un conseil d’administration de 33 membres (16 issus d’Aquitaine, 17 issus de Midi-Pyrénées) répartis en 7 collèges : grandes entreprises (7 représentants) ; PME-PMI (6 représentants) ; formation (4 représentants) ; recherche (4 représentants) ; structures de développement économique (4 représentants) ; collectivités publiques et territoriales (6 représentants : 2 au titre des régions, 2 au titre des départements et 2 au titre des communautés urbaines) ; organisations professionnelles et partenaires associés (2 représentants). Ce septième collège représente notamment banques et consultants qui s’inscrivent pleinement dans la logique du pôle et se révèlent très actifs.

Enfin, le bureau comprend un président, un vice-président, un secrétaire général, un trésorier, un trésorier adjoint et un secrétaire (3 pour Midi-Pyrénées, 3 pour l’Aquitaine).

Étant un pôle mondial, nous avons passé des conventions et des partenariats avec de nombreuses strates de l’économie. C’est le cas de pôles d’excellence rurale tels que celui du pays Portes de Gascogne, avec lequel, grâce à notre composante spatiale, nous travaillons sur la micro-agriculture, la surveillance des nappes phréatiques ou encore l’extension urbaine du grand Toulouse. Nous travaillons également avec des pôles nationaux, tels Mobilité et transports avancés, ASTech, ou Pégase. Enfin, nous menons une étroite collaboration avec les pôles mondiaux System@tic et Minalogic. Étant donné les synergies que nous avons constatées, nous avons décidé de réfléchir ensemble sur les grands axes du futur qui pourrait faire l’objet d’initiatives communes.

À l’international, nous sommes tournés naturellement vers l’Allemagne et le Royaume-Uni, mais aussi vers le Québec. Nous travaillons également en direction du Brésil. Nous nous sommes donné cependant quelques principes : comme nous ne pouvons être partout, nos cibles de partenariat à l’international ne pourront excéder le nombre de dix.

Notre labellisation est intervenue en juillet 2005. En 2007, la région Île-de-France – avec ASTech – et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur – avec Pégase – ont obtenu une labellisation supplémentaire, mais dans le domaine de l’aéronautique et de l’espace uniquement et dans la catégorie des pôles nationaux. Il nous a été demandé explicitement, dans le cadre d’une convention tripartite signée par le Premier ministre, de leur servir de « locomotive ». Nous avons à ce titre mis en place une coordination – voire une légère gouvernance – où Aerospace Valley détient la moitié des sièges, et chaque autre pôle un quart. J’assure la présidence du comité. Par ailleurs, c’est M. Marc Pircher, directeur du centre CNES de Toulouse et président de notre comité de labellisation, qui préside les réunions de travail collectives consacrées aux labellisations communes.

Après trois ans d’exercice, nous avons beaucoup appris. Sans doute n’étions-nous pas prêts, au départ, mais l’État l’était-il vraiment ? Quoi qu’il en soit, chacun a trouvé ses marques petit à petit, ce qui a permis l’instauration du FUI (fonds unique interministériel) et d’autres dispositifs.

Notre recherche se structure autour de neuf thématiques, parmi lesquelles : positionnement, navigation et télécommunications (GPS) ; propulsion et énergie ; systèmes embarqués ; matériaux, structures… Nous avons aussi trois thèmes transversaux : activité économique ; emploi-compétences-formation ; aspects environnementaux.

Après trois ans, il nous est possible de faire des bilans. Dans la seule filière des composites, par exemple, les projets de recherche représentent 120 millions d’euros et vont des petits avions (projet de la SOCATA et de plusieurs partenaires), aux portes d’avion (Latécoère), aux pointes avant (Airbus), aux moteurs (SAFRAN), voire aux procédés industriels (nouvelle génération de machines à placement filamentaire).

Au total, 224 projets ont été labellisés ; 144 d’entre eux ont reçu un financement à la fois public et privé ; le total de ces recherches représente un volume de 450 millions d’euros, dont 200 millions d’aides publiques. Cet argent n’est pas tombé tout seul : il a été accordé parce que le comité de labellisation a effectué une sélection féroce et n’a retenu que des projets de haut niveau. Ceux-ci ont toujours trouvé un support de la part du FUI, des ministères, de la délégation générale pour l’Armement (DGA), de la direction des Programmes aéronautiques civils (DPAC), ou encore de l’agence nationale de la Recherche (ANR), mais aussi, pour une part significative (près de 30 millions d’euros), des collectivités locales.

Pour ce qui est des laboratoires, des grands groupes et des PME, une sorte d’équilibre a été atteint en 2008, à hauteur d’un tiers pour chaque catégorie. Les grands donneurs d’ordres ne sont pas systématiquement en tête : dans un tiers des cas, c’est une PME qui pilote le projet.

J’en viens aux projets structurants.

En matière économique, les deux régions ont mis en place, en totale concertation avec le pôle, des fonds spécifiques destinés à accompagner certains projets.

En matière de formation, le pôle de compétitivité a obtenu de l’État qu’il labellise une formation doctorale « aéronautique-astronautique » réunissant écoles d’ingénieurs et universités. C’était en 2005-2006 et cela préfigurait les recommandations présentées en juin 2008 par la « commission Philip » sur les nouveaux partenariats entre les universités et les grandes écoles.

Il faut enfin considérer l’aspect territorial, qui ne se réduit pas seulement à l’emplacement des locaux : il s’agit surtout d’activité pérennes et dynamisantes pour nos deux régions.

Les 41 projets structurants labellisés à ce jour représentent plus d’un milliard d’euros. La diversité de leurs implantations démontre qu’ils contribuent au développement territorial bien au-delà des deux grandes agglomérations.

Mme Agnès Paillard. Il faut y ajouter les deux plateformes d’innovation, l’une consacrée aux matériaux nanostructurés et à la question de leur innocuité (le projet, porté par Arkema, associe notamment l’École de chimie de Bordeaux), l’autre visant à élaborer des tests pour les outils de navigation.

M. Jean-Marc Thomas. Parmi les projets structurants totalement accompagnés par le pôle figure le centre de démantèlement des avions en fin de vie à Tarbes. Cette unité, réalisée dans le cadre du programme européen Life-Environnement, est opérationnelle. Le démantèlement du premier Airbus a permis de démontrer que nous pouvions récupérer 80 % de la matière « bottle to bottle », c'est-à-dire de façon à pouvoir restituer la même pièce.

Par ailleurs, lorsqu’Air France a quitté la zone de Montaudran, le pôle de compétitivité a obtenu que l’on n’utilise pas la quarantaine d’hectares libérée pour construire de nouveaux supermarchés, mais pour conforter notre puissance scientifique. Le Grand Toulouse a alloué ces surfaces au développement de différentes structures qui permettront d’accroître notre rayonnement.

Mme Agnès Paillard. Je citerai un autre exemple : le pôle STIC (sciences et technologies de l'information et de la communication) qui se met en place, avec notamment l’arrivée de l’Institut national de recherche en informatique et automatique (INRIA) sur le campus de Bordeaux. Plusieurs entreprises, dont Thales, s’associent à ce projet pour créer un laboratoire mixte. À terme, le centre de compétence regroupera sans doute un millier de personnes.

M. Jean-Marc Thomas. Voilà pour le bilan des trois dernières années. Le pôle est entré en septembre dans son ère 2.0, que Mme Agnès Paillard aura pour mission d’animer.

Mme Agnès Paillard. Le spectre des thèmes technologiques couverts par le pôle est très large. Les possibilités de diversification aux interfaces sont réelles. Il faut néanmoins avoir conscience qu’il est très difficile de faire bouger un périmètre aussi complexe. Les réalisations qui vous ont été présentées sont essentiellement le fait de l’animation qu’ont assurée bénévolement des chefs d’entreprise et des ingénieurs.

Très attentifs au risque d’essoufflement, nous veillons à maintenir le haut niveau de nos projets. Le comité de labellisation rassemble des personnes issues d’horizons variés : toutes sont très exigeantes quant au contenu scientifique des projets.

Nous veillons également à la « birégionalité » au sein de chaque projet.

Autre point : nous tenons beaucoup à l'implication des PME et nous sommes bien conscients qu’il faudra faire un effort supplémentaire pour les amener vers de nouveaux programmes de recherche et développement.

M. David Habib, Président. Comment la propriété industrielle se répartit-elle entre les grands groupes et les PME ? C’est une question qui se pose dans presque tous les pôles de compétitivité.

Mme Agnès Paillard. Les entreprises ont mis en place leurs accords de confidentialité et de propriété intellectuelle, chacune à leur niveau. Conscients qu’il fallait se doter de nouveaux moyens sur ce point, nous avons recensé les bonnes pratiques dans les autres pôles. J’ai proposé dans le programme budgétaire de cette année que le pôle se dote d’un consultant dont le rôle sera d’assister les PME lors de l’émergence de tous les projets et de les aider à bâtir leurs accords de confidentialité.

Jusqu’à présent, les choses se sont plutôt bien passées, notamment grâce aux animateurs des domaines d’action stratégique : le fait que ce soit une personne appartenant à une entreprise tierce qui présente le projet au comité de labellisation garantit un certain équilibre des forces. Nous jugeons néanmoins qu’il faut faire beaucoup plus pour les PME, que nous devons impliquer en plus grand nombre dans les projets.

M. Jean-Marc Thomas. Sans doute la filière aéronautique et spatiale est-elle parvenue à une certaine maturité. Les huit industriels majeurs ont apporté 9 millions d’euros à la Fondation de recherche pour l’aéronautique et l’espace, sachant qu’ils ne pourraient en aucune façon devenir détenteurs de la propriété intellectuelle qui en résulterait : celle-ci revient aux laboratoires publics qui ont été ainsi aidés. En trois ans d’existence, nous avons apporté la preuve que nous sommes capables de prendre de la distance par rapport à la propriété intellectuelle dès lors que cela fera avancer les laboratoires et la science : de toute façon, nos produits en bénéficieront.

Mme Agnès Paillard. Le fait de rassembler 250 PME est à la fois une force et une difficulté. En dépit d’un certain émiettement, le continuum que nous nous attachons à maintenir entre grands groupes, entreprises de taille intermédiaire et PME représente une force de développement considérable.

En matière de R&D, nous avons à cœur que les projets ne s’arrêtent pas à la fin de la phase de recherche et qu’ils connaissent la plus large diffusion. Nous organiserons à cet effet des rendez-vous technologiques en nous appuyant sur les acteurs locaux (Aquitaine valorisation, centre de valorisation des PRES, agences de l’innovation). L’objectif est de recenser les brevets et les licences disponibles que les laboratoires privés ou publics (le CNES, notamment) n’arrivent pas à diffuser auprès des PME et d’évaluer le degré de maturation des projets portés par le pôle afin de déterminer si l’on peut passer à une phase applicative dans le cadre d’une PME. Une expérience menée l’année dernière par un technopôle a rencontré un grand succès.

Comme nous l’avons indiqué, les domaines d’activités stratégiques sont animés uniquement par des personnes détachées des grands groupes et de PME, de manière bénévole. Cela étant, notre pôle entre dans une phase où il faudra déployer un peu plus d’énergie pour faire émerger les projets et pour que ceux-ci touchent également les entreprises qui ne sont pas venues naturellement vers nous. Le fonds européen de développement régional (FEDER) va nous permettre d’affecter des technologues à plein-temps aux domaines d’activités stratégiques dont les projets sont les plus nombreux. Dans le domaine des matériaux et dans celui des systèmes embarqués, par exemple, des séances de créativité ont permis de dégager beaucoup d’axes stratégiques de R&D intéressants, mais on n’a pas encore la capacité de mettre sur pied les projets : une PME ne peut se permettre de mettre à disposition un ingénieur pendant quinze jours pour prospecter des partenaires et faire de la veille technologique pour déterminer la viabilité d’un projet. Les permanents que nous avons l’intention de recruter pourront assurer ces tâches. Ils épauleront également les cinq permanents du pôle pour assurer le suivi des projets.

On sent bien que, dans cette deuxième phase, nous devrons plus « aller chercher » les choses et faire venir vers nous les entreprises.

À l’international, la démarche a jusqu’à présent consisté à identifier les grands bassins d’emploi mondiaux avec lesquels nous pouvions travailler. Après que les premières conventions ont été signées, les membres du pôle, notamment les PME, attendent quelque chose de beaucoup plus opérationnel en termes de conquête de marchés ou d’installation dans les pays cibles.

Nous avons décidé, pour l’ère 2.0 du pôle, de nous consacrer à six premiers pays (deux nouveaux pays par an). À cet effet, nous travaillerons avec les grands groupes sous forme de portage, dans le cadre du pacte PME international : nous leur demanderons de nous mettre à disposition des bureaux ainsi que des contacts locaux qui nous aideront à trouver les clefs des économies et des entreprises locales. Nous choisirons un nombre maximum de 10 PME membres du pôle pour chaque pays et nous ferons le point de leurs attentes à l’international. Puis nous recruterons un VIE (volontaire international en entreprise) dont nous définirons la description de poste selon ces attentes précises. Ce VIE consacrera au moins un mois, avant de partir, à travailler avec les entreprises en question. Dans le pays cible, la grande entreprise l’accompagnera, ainsi que les missions économiques.

Nous prévoyons de recruter nos deux premiers VIE dès le mois de septembre. Les trois priorités, du fait des accords passés, sont l’Allemagne, avec le grand pôle de Hambourg, la Chine – usine d’Airbus à Tianjin – et le Québec, où un certain nombre de PME sont implantées.

Je me dois cependant de signaler une difficulté : chacune de nos deux régions ayant une démarche différente d’accompagnement à l’international, il faudra veiller à une certaine homogénéisation et à un certain équilibre. Les entreprises doivent avoir les mêmes conditions quant aux aides que les conseils régionaux peuvent leur offrir.

Autre axe que nous entendons développer : les financements privés. Les financeurs sont vraiment venus frapper à la porte et nous ont fait part de leur envie de travailler avec ces filières, d’en comprendre le fonctionnement et de participer au progrès qu’elles apportent. Nous allons constituer des pools de partenaires de financement consacrés tant aux problématiques de financement de la R&D qu’à celles du développement des PME. Des établissements comme le Crédit agricole ou HSBC, par exemple, sont demandeurs de réunions communes avec les entreprises, ayant du mal à trouver par eux-mêmes les projets de R&D ayant un véritable potentiel de développement.

M. David Habib, Président. Quel est le nombre de brevets issus de la mise en œuvre d’Aerospace Valley depuis trois ans ?

Par ailleurs, je puis témoigner du foisonnement des entreprises de ce pôle, même si ma circonscription est pratiquement la seule d’Aquitaine à ne pas accueillir d’industrie aéronautique. Quel est, selon vous, le nombre d’entreprises nouvelles créées par votre pôle ?

Mme Agnès Paillard. À ma connaissance, le bilan d’Aerospace Valley en matière de brevets est de 32. En revanche, il est difficile de donner un chiffre d’entreprises créées – je crois d’ailleurs qu’un fonctionnement différent nous permettrait d’être plus performants pour cette évaluation.

Un point toutefois : les secteurs de l’aéronautique et des systèmes embarqués sont allergiques aux technologies qui ne sont pas parvenues à maturité. Hormis les sociétés de services, aucune société récente ne sera retenue pour fournir des équipements embarqués. C’est une question de mentalité, mais aussi de durée des programmes : la technologie choisie doit être à même de durer et d’être maintenue pendant trente ans, d’où la réserve des donneurs d’ordres à l’égard des technologies très récentes et des petites structures. Cela suscite des mécontentements mais le risque de rupture de la chaîne d’approvisionnement fait que la tendance reste la même.

Si la création d’entreprises ex nihilo se révèle difficile dans ces domaines, la navigation et la géolocalisation satellitaires représentent en revanche un axe important de développement et de création d’entreprises, qu’il s’agisse de recherche de personnes, de transport de matières dangereuses, de détection des polluants ou d’analyse des terrains agricoles.

M. David Habib, Président. En d’autres termes, les 11 000 emplois créés que mentionnait M. Thomas l’ont été dans des entreprises déjà établies.

M. Jean-Marc Thomas. Oui, principalement. Le droit d’entrée dans l’aéronautique est très lourd, étant donné que l’on doit pouvoir suivre des cadences de production de 450 à 480 avions par an, comme cela a été le cas en 2008.

Nous avons en revanche travaillé dans deux autres axes.

D’abord en matière de restructuration (la taille moyenne des entreprises en Aquitaine est de 23 personnes et d’un peu plus de 40 en Midi-Pyrénées) afin de permettre à des entreprises trop petites pour affronter sereinement l’avenir de se regrouper et d’atteindre des tailles plus critiques.

Ensuite, en matière d’actions collectives, nous avons par exemple mené une formation en direction de plus de vingt entreprises sur l’usinage des composites à grande vitesse, formation qu’elles n’auraient pas pu se payer individuellement. Nous avons également essayé de les regrouper dans des « fausses coopératives » pour mutualiser les achats et accéder ainsi au juste prix.

Mme Agnès Paillard. Le projet Nacomat (nano composites materials) vise aussi à promouvoir la création d’entreprises. Dans ce cas de figure, on part des technologies utilisées en aéronautique pour les diffuser vers d’autres secteurs.

M. David Habib, Président. Nul ne conteste la réussite d’Aerospace Valley. Pouvez-vous cependant nous dire aujourd'hui quelle a été la valeur ajoutée de cette labellisation par rapport à la multitude d’entreprises que vous êtes arrivés à fédérer et par rapport à la filière aérospatiale qui, nous semble-t-il, aurait connu un fort développement même en l’absence du pôle ?

M. Jean-Marc Thomas. On peut dire que nous avons contribué à la création directe de cinq emplois : ceux de nos cinq permanents… Pour tout le reste, notre rôle est de dynamiser et de consolider. S’il y a aujourd'hui un centre de démantèlement à Tarbes, c’est qu’Aerospace Valley a pu opérer une synthèse avec des partenaires aussi différents qu’Airbus, Sita, Safran, etc.

L’axe de la recherche et de l’innovation est primordial. Aerospace Valley est une immense machine à projets, dit-on. C’est vrai en ce sens que nous avons réussi à faire travailler ensemble des gens qui ne se connaissaient que par l’annuaire. Les brain stormings que nous avons initiés ont fait apparaître nouvelles créativités et des projets communs pour les mettre en œuvre. Les deux tiers de nos projets sont des partenariats nouveaux par rapport à l’état des lieux réalisé avant la mise en place du pôle.

En matière de création d’emplois, le pôle joue donc son rôle en amont en exploitant toute la potentialité du bassin d’emploi.

M. David Habib, Président. Pour ce qui est des brevets, des emplois, entre autres, avez-vous mis en place une procédure d’évaluation ?

M. Jean-Marc Thomas. C’est un sujet sur lequel nous travaillons. L’ère 1 était l’ère de l’aventure, l’ère 2 sera celle de la structuration. Nos engagements triennaux seront d’ailleurs signés au prochain salon du Bourget.

Pour ce qui est de l’évaluation des projets lancés au début de l’existence du pôle, le comité de labellisation et différentes personnes issues des groupes d’animation mettent en place un process qui n’existait pas mais qui devient nécessaire maintenant que les projets arrivent à maturité : réussites et échecs, respect ou non des engagements initiaux, notamment en matière d’emploi.

Mme Agnès Paillard. Nous avons mis en place une batterie d’indicateurs, certains classiques, d’autres plus spécifiques telle l’embauche des thésards.

M. David Habib, Président. Des thésards de l’université ou des grandes écoles ?

M. Jean-Marc Thomas. Nous avons plus de thésards issus de l’université.

La « commission Philip » a dénoncé un système stéréotypé : les écoles d’ingénieurs ont la réputation de formater « plug and play » ce qu’attend le marché de l’emploi ; les universités, en revanche, ont un recrutement beaucoup plus ouvert et sont davantage orientées vers la recherche. Il faut réunir ces deux mondes, notamment en faisant en sorte qu’un thésard embauché dans l’entreprise obtienne, au bout de trois ans, les mêmes conditions qu’un « bac plus cinq » entré en même temps que lui.

M. David Habib, Président. Si vous deviez réaliser une évaluation de votre propre pôle, quelles seraient, selon vous, les améliorations à apporter dans la période qui démarre ?

M. Jean-Marc Thomas. Si nous comptons renforcer l’action en direction des PME, c’est que nous considérons qu’il y a un espace de progrès devant nous. De même pour l’international.

Mme Agnès Paillard. La faiblesse structurelle en matière la création d’entreprises ne doit pas, pour autant, nous faire baisser les bras.

Nous devons également prendre garde au côté un peu « enfermant » des pôles : ce sont toujours les mêmes qui interviennent, ils étaient à l’école ensemble, dans les entreprises ensemble, ils échangent des ingénieurs, tout cela sans grands changements. Il faut savoir ouvrir les fenêtres et faire diffuser ces savoirs et ces technologies vers d’autres axes industriels. Le pôle ne doit pas oublier de jeter des ponts vers d’autres domaines. Tout le monde souhaite que la filière aéronautique soit aussi active qu’aujourd'hui dans vingt ans, mais qui peut le garantir ?

Je constate également le poids du traitement administratif qu’implique cette nouvelle machine. Il est hors de question que je fasse de l’administration « assise ». Le pôle n’a pas été créé pour introduire une masse administrative additionnelle. C’est pourquoi j’essaie de convaincre certains de nos financeurs de lâcher un peu prise et de ne pas imposer un niveau de détail déraisonnable.

C’est une bonne chose que les pôles de compétitivité soient très visibles, mais cela les met parfois en porte-à-faux par rapport à d’autres structures que nos interlocuteurs en viennent à considérer comme redondantes. C’est ainsi que l’on nous interroge sur l’action en matière d’attractivité, alors que deux agences sont payées pour cela !

M. Jean-Marc Thomas. Le groupe « Écosystème de l’innovation », auquel je participe dans le cadre de la « Stratégie nationale de recherche et d’innovation », a considéré que les pôles constituaient de ce point de vue un moteur, puisqu’ils dynamisent le triangle industrie-recherche-formation.

Par ailleurs, l’Europe se demande comment mettre à profit la dynamique des clusters que l’on voit éclore un peu partout, chacun avec ses spécificités. Elle vient de mettre en place un European cluster policy group où la France sera représentée par l’ancien sénateur Pierre Laffitte, dont vous connaissez l’action à Sophia Antipolis, et moi-même. Nous avons créé un club des 17 pôles mondiaux et à vocation mondiale qui se réunit très régulièrement et qui s’efforce de réfléchir à la façon dont les pôles pourraient s’impliquer encore plus dans la relance. Nous échangeons des informations en matière de « meilleures pratiques ».

À cet égard, l’analyse de la MEC sera intéressante et je serai heureux de la relayer.

M. David Habib, Président. Merci de nous avoir ainsi exposé les forces de ce pôle de compétitivité.