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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Les externalisations dans le domaine de la défense

Mercredi 6 avril 2011

Séance de 18 heures 15

Compte rendu n° 4

Présidence de M. David Habib, Président

– Audition, ouverte à la presse, sur les marchés de la restauration, de l’hôtellerie et des loisirs, de M. le commissaire-général Étienne Vuillermet, directeur général de l’économat des armées, de M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier, directeur-adjoint, de Mme le commissaire-colonel Catherine Bournizien, directrice restauration, et de M. le commissaire-colonel Philippe Leroy, directeur exécutif, sur les externalisations dans le domaine de la défense

M. David Habib, Président. Nous poursuivons nos auditions sur les externalisations dans le domaine de la défense, en évoquant cette fois l’externalisation de la restauration, de l’hôtellerie et des loisirs.

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet, directeur général de l’économat des armées. L’économat des armées (EdA), est un des trois établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) relevant du ministère de la Défense. Son donneur d’ordre est l’état-major des armées. L’EdA emploie environ un millier de personnes, dont douze militaires en service détaché pour une durée déterminée – dont les quatre commissaires ici présents –, représentant les trois corps qui seront bientôt réunis. Le siège de Pantin emploie des personnels sous contrat à durée indéterminée, soit environ 150 personnes. À cela s’ajoutent les 800 personnes qui assurent, sur les théâtres d’opérations extérieures (OPEX), le soutien de proximité des forces en opérations et font l’objet d’un recrutement local (650 personnes) ou sont envoyés en mission à partir de la France (150 personnes).

L’EdA assure deux missions principales pour l’état-major des armées (EMA). Il est d’abord une centrale d’achat spécialisée du ministère de la Défense. Pour assurer cette mission, mes prédécesseurs ont mis en place un système de passation de commandes par un portail Internet, investissement relativement important qui pourrait être utile à d’autres ministères. Ce portail d’achat permet, dans le cadre du projet « Vivres Métropole », aux 350 points de restauration des armées de commander des denrées en métropole. Nous offrons aussi ces prestations à l’outre-mer, voire à des organismes qui ne relèvent pas du ministère de la Défense. Dans sa mission de centrale d’achat, l’EdA est soumise au code des marchés publics (ordonnance de juin 2005). Cette centralisation des achats participe de la volonté de rationalisation du ministère et de la « déflation » de 54 000 emplois.

Sa seconde mission est le soutien des forces armées à l’étranger, au Kosovo, au Tchad, en Afghanistan, et sur la base récemment établie aux Émirats Arabes Unis. dans ce cadre, l’EdA assure, non seulement des prestations d’alimentation, mais également du Facility Management, avec le même souci de réduire les coûts par la centralisation des marchés. Ces prestations peuvent aller de la blanchisserie aux services de téléphonie, en passant notamment par la gestion des déchets.

Le chiffre d’affaires de l’EdA est de l’ordre de 260 millions d’euros, dont, pour l’essentiel, 110 millions réalisés par l’activité « Vivres Métropole » et 90 millions au titre de l’activité de soutien aux OPEX. En métropole, les prestations telles que l’acheminement, le transport, le stockage ou la distribution des vivres ne sont pas réalisées en régie directe, mais assurées par un GIE constitué des entreprises Stef-TFE et Geodis, qui dispose de deux plateformes principales de stockage, à Salon-de-Provence et à Bondoufle. Ces centres de logistique partagée permettent de mutualiser les charges et de diviser les coûts. Le chiffre d’affaires annuel de ce marché de logistique est de l’ordre de 15 millions d’euros.

Cette logistique nous permet d’alimenter les 350 points de restauration, hormis ceux de la Marine, qui dispose de ses propres plateformes et de stocks stratégiques à Brest et à Toulon, lui permettant de parer à toute éventualité – comme le départ inopiné du Charles-de-Gaulle il y a quinze jours.

L’EdA emploie 170 agents contractuels de droit privé. Les fonctions de direction sont assurées par des militaires en service détaché. S’agissant des OPEX, les chefs de mission sont chargés par délégation du recrutement de personnels locaux selon le droit local.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Parmi les missions de l’EdA, quelle est la part externalisée et la part conservée en régie ? Quel rôle a joué l’expérimentation « Capacités additionnelles par l’externalisation du soutien des forces françaises » (CAPES France) dans le processus d’externalisation ?

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. Nous sommes désormais dans la deuxième phase de CAPES France.

S’agissant de votre première question, il ne faut pas perdre de vue que l’EdA agit pour le compte de l’état-major des armées. Augmenter les effectifs projetés outre-mer pour assurer des « tâches ancillaires » serait trop coûteux. Le recrutement local permet, non seulement de renforcer la coopération avec les pays où se trouvent nos bases, mais aussi de réserver l’emploi de militaires au cœur de métier, c’est-à-dire l’activité de combattant. C’est le choix qui a été fait pour le camp Warehouse, à Kaboul, et la base de Tora en Kapisa, dont le service est largement sous-traité, ainsi que pour le soutien à la mission Épervier au Tchad, où environ 200 agents de recrutement local assurent les prestations de restauration, blanchissage, etc.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Pourquoi avoir fait ce choix seulement pour Tora et non pas pour nos autres bases militaires avancées, nos Forward Operating Bases (FOB), en Afghanistan ?

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. C’est un choix fait par l’état-major des armées à l’été 2009. C’est lui qui définit les besoins tandis que nous proposons des solutions.

M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier, directeur-adjoint de l’économat des armées. Nous conduisons trois types d’externalisation : le projet « Vivres métropole », qui vise à l’externalisation de l’achat de vivres et de la logistique, au profit notamment des petites et moyennes entreprises ; CAPES France, projet d’externalisation des capacités additionnelles de soutien aux forces armées ; le projet d’externalisation de la fonction « Restauration-Hôtellerie-Loisirs » (RHL).

L’EdA s’est vu confier la maîtrise d’œuvre de l’expérimentation CAPES France, visant à l’externalisation du soutien des forces armées, qui était jusque-là assuré par des militaires. Cette initiative concerne trois théâtres d’opération – Tchad, Kosovo et Afghanistan – et emprunte deux modes d’action : faire ou faire faire.

Alors que nous assurions déjà l’intégralité du soutien au camp Warehouse, à Kaboul, il a été décidé, à la fin du mois de juin 2009, de nous confier la restauration du camp de Tora. Le soutien devait être totalement externalisé afin que les 800 militaires du camp puissent se consacrer à l’interposition. L’objectif était de construire un restaurant destiné à alimenter 900 personnes sur un terrain de quelques milliers de mètres carrés, dans des délais contraints puisque la force devait être entièrement déployée en décembre 2009. À cela s’ajoutaient des impératifs géographiques et climatiques, la neige pouvant tomber à partir du mois d’octobre, et une élongation logistique de 250 kilomètres entre Kaboul et Tora.

Étant donné que nous n’avions pas les moyens suffisants pour effectuer la mission, nous avons décidé de confier l’intégralité du marché à une entreprise prestataire soumise à une obligation de résultat et rémunérée sur le prix du repas. L’appel d’offre était lancé le 15 juillet ; le 8 août, l’entreprise Sodexo emportait le marché et, le 15 décembre, le restaurant était construit, prêt à accueillir les soldats.

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. Confier ainsi le marché à un prestataire unique chargé de l’intégralité de son exécution permet une grande souplesse d’intervention, mais il est évident que seuls de grands groupes de dimension internationale sont à même d’exécuter de tels marchés. Fixer le prix de la prestation à partir du coût d’un repas présente l’avantage d’une plus grande lisibilité financière pour l’état-major. La durée du marché était de cinq ans, avec une clause de remboursement en cas de départ de nos forces avant l’échéance.

M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier. Ce marché était d’un type très particulier, puisqu’il s’agissait d’assurer, non seulement la construction du bâtiment, mais aussi la sécurisation des approvisionnements jusqu’à Tora, avec tous les risques que cela présentait. La rémunération du prestataire devait donc inclure, en plus du coût de la denrée, celui de son transport et de son acheminement, celui de la construction du bâtiment, ainsi que les charges de personnel. Le prix des offres variait de 6 à 14 millions d’euros, le prix du risque étant très différent selon les prestataires.

M. le commissaire-colonel Philippe Leroy, directeur exécutif de l’économat des armées. Avant de vous exposer le projet CAPES France, je voudrais remettre en perspective la place de l’externalisation dans le chiffre d’affaires de l’économat.

Avant que la loi de finances rectificative de décembre 2002 n’élargisse la compétence de l’EdA au soutien logistique et à la fourniture de services, de denrées et de marchandises diverses aux formations militaires en France et à l’étranger, et que le décret du 11 mars 2004 ne fasse de l’EdA une centrale d’achat, l’économat fonctionnait selon le modèle traditionnel du négoce. À cette époque, l’externalisation représentait 30 % de son chiffre d’affaires. Aujourd’hui, elle représente 80 % de son budget pour 2011. L’EdA assure l’externalisation de certaines activités, non seulement en achetant des prestations, mais surtout en jouant un rôle essentiel d’intégrateur, chargé de synthétiser ces différentes prestations pour produire du service.

CAPES France a d’abord été une expérimentation sur cinq ans, de 2006 à 2010, avant d’entrer dans la phase actuelle d’industrialisation. Le principe en a été défini avec l’état-major des armées, notamment le général Bansard et le général Huguet. Il s’agissait de confier à un intégrateur – celui-ci se distinguant d’un simple acteur par une obligation forte de résultat – la réalisation de l’ensemble des prestations de soutien afin de libérer des effectifs militaires pour les consacrer à d’autres missions. Cette initiative s’inspirait de modèles étrangers tels que le Canadian Forces Contractor Augmentation Program (CANCAP), ou le Contractors on Deployed Operations (CONDO) du Royaume-Uni. Il s’agissait de mettre en œuvre une capacité dite additionnelle aux missions des armées – en réalité, cette capacité, bien qu’extérieure aux armées, concourt directement à la réussite de leurs missions. Dans ce cadre, les armées nous ont également confié la gestion de certains équipements lourds – groupes électrogènes, stations d’épuration ou de traitement d’eau –, à charge pour nous d’assumer les coûts de maintenance.

Le statut de l’EdA, à la fois extérieur aux armées et sous tutelle de la Défense, faisait de lui l’organisme idoine pour la mise en œuvre de ce projet. Il ne s’agit pas en effet de faire de l’externalisation ordinaire : on n’externalise pas des fonctions de soutien aux armées, notamment en OPEX, comme on externalise du Facility Management d’entreprise.

Les modalités de ces externalisations ont contribué à l’instauration de véritables partenariats entre « supportés » et « supportants », dans un cadre juridique original, celui d’une convention de services avec obligation de résultat, comportant des ordres d’intervention équivalant à des bons de commande extrêmement détaillés par fonction, et un certain nombre de protocoles déclinant le dispositif sur le théâtre d’opérations. À la différence des forces armées, structurées par chaînes de métiers, les métiers, à l’intérieur du dispositif de soutien, sont structurés en missions, confiées à un seul responsable, interlocuteur unique des forces. L’expérimentation portait initialement sur deux théâtres d’opérations, les bases du Kosovo et du Tchad, avec quatorze fonctions réparties en trois domaines : l’ingénierie ou la gestion de projet, l’acheminement, à la fois stratégique et intrathéâtre, et la gestion des camps.

Notre premier retour d’expérience (RETEX), peut servir pour l’ensemble des opérations d’externalisation, notamment sur six points.

Premièrement, en ce qui concerne la gouvernance, le bon fonctionnement du dispositif a été assuré par la symétrie entre les compétences de l’économat et celle des forces, aussi bien au niveau de la décision qu’à celui de l’exécution. Deuxièmement, la communication, volet essentiel du projet, a été extrêmement forte, puisque le commandement lui-même s’est déplacé pour présenter CAPES. Troisièmement, le transfert de responsabilités a été particulièrement étudié. Quatrièmement, la conduite du changement demande un délai de quatre à six mois ; pour éviter des crises sociales dans les pays accueillant des bases, notamment au Tchad, où la situation est très sensible, les armées nous ont demandé de reprendre les personnels locaux qu’elles avaient recrutés. Cinquièmement, la réversibilité est prévue dans les ordres d’intervention : il est prévu que certaines fonctions doivent être reprises par les militaires dans le cas d’une montée en intensité des opérations sur certains théâtres, le seul socle inamovible étant la restauration. Sixièmement, il faut aussi parler du bilan budgétaire et financier de l’expérimentation.

S’agissant de la procédure budgétaire, nous avons fait de la facturation, comme tout prestataire, sans rencontrer de problème particulier, une ligne budgétaire étant consacrée au financement des opérations d’externalisation, même si la procédure a été un peu plus compliquée pour les opérations au Kosovo.

Quant à l’évaluation des résultats financiers de l’expérimentation, les opérateurs et les armées ne s’accordent pas, notamment en raison de l’absence de comptabilité analytique. En outre, le niveau du service demandé à l’EdA est radicalement différent de celui offert par les armées : celui du combattant n’est pas celui de l’homme en opération. Enfin, l’évolution du format n’a pas permis d’établir de référentiel financier.

Il est en revanche un point incontestable et qui figure au rapport de l’EMA : le dispositif a permis de dégager 260 équivalents temps plein nets (ETP), sur les théâtres d’opération.

L’apport de CAPES est indéniable en tant que laboratoire de l’externalisation. De l’aveu même de l’EMA, l’expérimentation a permis de préparer les forces à cette nouveauté radicale que constituait une externalisation aussi poussée. Elle a également permis à l’EdA de passer à la phase d’industrialisation. Par ailleurs, elle nous a permis, dans nos rapports avec l’EMA, notre principal donneur d’ordre, d’affiner le modèle de la « boucle courte » entre l’expression du besoin et la production du service. De plus, le passage récent à un régime de forfaitisation des prix imposait une expression très claire des besoins et une production de services précisément ciblée.

Cette initiative constituera également un tremplin pour entamer la phase d’industrialisation de CAPES, ouverte par l’accord-cadre qui a été signé fin novembre 2010. Nous avons décidé, avec l’EMA, de développer l’harmonisation de l’évaluation de la performance, en choisissant des référentiels de coût identiques, afin de pouvoir comparer le coût de la régie directe à celui de l’externalisation par l’économat. Nous comptons également développer une facturation plus rapidement exploitable.

L’expérimentation nous a surtout incités à établir un benchmark partagé, en comparant le coût des opérations de l’EdA avec celui d’autres opérateurs. Ce sera l’objectif des cinq prochaines années.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. L’EdA est-il partie prenante des procédures de suivi des externalisations qui ont été mises en place par le ministère de la Défense ?

En principe, les externalisations ont pour but de permettre au ministère de la Défense de réaliser des économies dans un contexte budgétaire contraint. Or, selon les évaluations de la Cour des comptes, CAPES au Kosovo a représenté en 2008 un coût annuel par homme de 11 117 euros, contre 10 432 en 2004, soit une hausse de 6 %. Au Tchad, CAPES a représenté en 2008 un coût de 20 121 euros par homme et par an, alors qu’en 2004, le coût du soutien, dans le périmètre CAPES, était de 11 100 euros par homme et par an, soit une augmentation de 80 %, ou de 67,1 % en euros constants. Confirmez-vous ces chiffres ? Comment analysez-vous cette augmentation des coûts ? Quelles conséquences le ministère de la Défense en tire-t-il pour l’avenir ?

Le décret du 21 septembre 2010 d’application de la loi relative à la mobilité dans la fonction publique prévoit que le ministère versera une compensation financière aux personnels mis à disposition d’une entreprise privée en cas de diminution de leur rémunération. Cela ne signifie-t-il pas que les économies seront moins importantes que ce qui était attendu ?

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. Alors que la RGPP doit conduire à la suppression de 54 000 postes à la Défense, dont 48 000 emplois militaires, elle envisage d’externaliser 16 000 emplois supplémentaires, dont 8 000 dans la restauration.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Vous confirmez donc que la RGPP entraînera la suppression de 70 000 postes, et non de 54 000. Cependant, le ministre de la Défense a affirmé devant la représentation nationale que cet objectif de suppression de 16 000 postes n’avait jamais existé.

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. Les ministres successifs ont dit que l’externalisation ne se ferait qu’à cinq conditions, d’ordre économique et social, qui ont été rappelées par la Cour des comptes. Pour notre part, nous accompagnons ce processus dans certains domaines identifiés dans le cadre de la RGPP : ainsi, s’agissant de l’externalisation de la fonction RHL, nous sommes en phase d’assistance à la maîtrise d’ouvrage des armées, mais nous n’y participons pas directement.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. C’est bien parce que vous êtes en accompagnement de cette politique qu’il est intéressant de connaître votre retour d’expérience en tant qu’ingénieurs d’opérations d’externalisation. J’aimerais savoir notamment comment vous analysez la différence des coûts avant et après externalisation dans le cadre de CAPES.

M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier. Je ne connaissais pas ces chiffres de la Cour des comptes. Le problème est celui du référentiel de comparaison : par rapport à quoi ces coûts ont-ils été calculés ? En termes salariaux, par exemple, le coût des personnels en opérations extérieures est-il celui du salaire chargé ou uniquement le surcoût de la projection ?

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. J’ai cru comprendre que les évaluations de la Cour des comptes étaient à périmètre constant.

M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier. Il faudrait surtout savoir comment ces montants ont été calculés, les rémunérations et charges sociales constituant un élément essentiel du coût de ce type d’opérations.

M. le commissaire-colonel Philippe Leroy. Nous avons en effet convenu avec l’EMA que nous manquions de référentiels identiques. Ainsi, faute de disposer d’un tel référentiel pour les transferts d’immobilisation, on ne peut pas calculer le coût complet des externalisations. Le bilan financier de l’EMA est difficile à analyser, d’une part parce que l’évaluation des coûts en OPEX était loin d’atteindre en 2005 le niveau de précision actuel, et d’autre part parce que les périmètres d’activité sont différents. L’objectif méthodologique de la phase d’industrialisation est précisément de déterminer des références identiques.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. La réforme du ministère de la Défense porte sur 54 000 postes, plus 16 000 externalisations. Ce dernier objectif peut être minoré pour plusieurs raisons, politiques, sociales ou en fonction du retour d’expérience, par exemple, mais il existe. La première question est donc celle de savoir si, lorsqu’on réalise 16 000 externalisations, on dégage des économies ou non. Et, si l’on en fait, il faut encore savoir si la qualité des opérations ne s’en trouve pas altérée. C’est pourquoi il est capital pour notre mission de bien comprendre les bases de calcul et les périmètres employés. C’est possible, puisque les chiffres du rapport de la Cour des comptes émanent des armées elles-mêmes. Nous voudrions donc savoir quelle méthodologie suivent les armées lorsqu’elles décident d’externaliser une mission. Le ministre a évoqué un dispositif préalable d’études, soumis aux organisations syndicales, la décision n’étant prise qu’ultérieurement. Il y a donc bien des modalités de calcul qui permettent de décider d’enclencher le processus.

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. La phase d’expérimentation RHL-1 a été décidée par le ministre le 22 décembre et a commencé le 1er janvier 2011. Elle inclut toute une procédure de concertation, en plusieurs étapes. Nous y participons, mais c’est le ministère qui effectue les calculs de coûts, notre rôle étant l’assistance à la maîtrise d’ouvrage. La procédure est trop récente pour que nous ayons déjà un retour d’expérience. En revanche, nous avons des éléments sur les coûts dont le commissaire-colonel Bournizien vous parlera plus précisément. Nous pouvons voir les effets de la mise à la disposition de personnels civils et militaires à une entreprise privée (MALD) par rapport à la régie dans les huit sites sélectionnés par le ministère. Nous commençons seulement maintenant, pour la métropole, à avoir des informations liées au dépouillement des offres et à la sélection des prestataires.

L’expérimentation RHL-1 concernait au départ 350 agents civils et militaires, sur huit sites des trois armées, de tailles différentes et qui ne sont pas des unités opérationnelles. Nous en connaissons les éléments, mais ce n’est pas nous qui en tirerons les conclusions sur le plan financier : ce sera l’état-major des armées et le ministère d’une manière générale, qui intègre d’autres paramètres de réflexion, comme les retraites ou la masse salariale militaire.

Mme le commissaire-colonel Catherine Bournizien, directrice restauration à l’économat des armées. L’un des leviers de gain identifiés par la RGPP était l’externalisation, et c’est celui qui a été privilégié pour la fonction restauration. Il a été décidé de séquencer cette externalisation en plusieurs vagues, la première s’appelant RHL-1. En effet, même si les armées avaient déjà externalisé de la restauration, il semblait important de prévoir, sur le modèle de CAPES, une première phase limitée – 11 restaurants, 2 millions de repas – avant de la généraliser.

RHL-1 a véritablement servi de « poisson pilote » pour la réflexion du ministère en matière d’externalisation. Il a fallu construire tous les outils nécessaires au fur et à mesure. La mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat public-privé (MAPPP) a été la garante de la méthodologie, mise en œuvre pour la première fois. Tout commence par une évaluation préalable théorique, basée sur les différents points de référence dont on dispose en matière de restaurants. Ainsi, le prix moyen du repas retenu était de 7,65 euros TTC. Ensuite vient une nouvelle évaluation préalable, réaliste, faite en fonction de la réponse du marché – en l’occurrence, le prix du repas pour les trois opérateurs sélectionnés était plus bas, autour de 7,08 euros TTC. Quant à la comparaison des coûts entre régie et externalisation, c’est la MAPPP qui vous les détaillera, parce qu’il y a toute une méthodologie à mettre en œuvre pour l’établir. Pour notre part, nous avons transmis les éléments nécessaires à l’établissement des états comparatifs.

J’en viens à la MALD. Lorsque nous avons commencé l’expérimentation RHL-1, nous n’avions pas d’outil juridique permettant le transfert de personnels. Les armées devaient tout simplement procéder à un reclassement. Mais cela occasionne des coûts importants : frais de mutation, indemnités de départ volontaire, etc. Le dispositif de la MALD évite non seulement de tels coûts, mais il permet aux personnels de rester sur place, ce qui le rend socialement intéressant. Pour remplacer les 356 personnes employées pour l’exploitation en régie des 11 restaurants, les prestataires utilisent 206 équivalents-temps plein, dont 55 sont du personnel de la Défense, qui continuent d’être payés par le ministère.

Cela s’est fait uniquement sur la base du volontariat : nous avons fait un immense travail d’information et d’explication en direction du prestataire, du personnel et du commandement. Nous avons bâti des outils de contrôle. Bref, nous avons construit toute l’ingénierie sociale nécessaire en un peu moins d’un an, entre la loi du 3 août 2009 et le décret de septembre 2010.

Au premier abord, ce dispositif fait effectivement peser un certain surcoût sur l’État, mais il faut tenir compte du fait que les personnels concernés ne se retrouvent pas employés en surnombre ailleurs, ni n’ont bénéficié d’indemnités de reclassement complémentaires. Il faut vraiment considérer l’opération de façon globale.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Pour bien comprendre la répartition des responsabilités au sein du ministère : vous n’intervenez qu’en tant que maître d’œuvre de l’externalisation ?

Mme le commissaire-colonel Catherine Bournizien. Oui. Nous passons les marchés.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Vous ne participez pas à la réflexion sur l’opportunité de l’externalisation ni n’effectuez les calculs de comparaison. Qui le fait ?

Mme le commissaire-colonel Catherine Bournizien. La MAPPP effectue les calculs et porte les dossiers devant le cabinet. Elle est responsable pour la totalité des externalisations de la RGPP – pas celles de CAPES.

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. Elle s’occupe également de l’externalisation de l’entretien des infrastructures, de l’habillement…

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Nous devons mettre le processus de décision au clair. L’externalisation est un sujet très large dans le ministère de la Défense. Il faut reconstituer l’arborescence de la décision par type d’externalisation, si l’on veut bien comprendre comment le ministère évalue l’opportunité qu’il y a, ou qu’il n’y a pas, d’externaliser.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. C’est l’objet de notre Mission. Ce n’est pas à l’économat des armées de déterminer la politique du ministère sur ce sujet !

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Le rôle de notre Mission est tout de même de comprendre comment marche le tout et de vérifier l’adéquation des résultats obtenus avec les objectifs qu’on s’était assignés.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. C’est le rôle quotidien des Rapporteurs spéciaux, y compris de la majorité.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Ceux de l’opposition ont le même rôle.

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. J’en reviens aux coûts. La phase d’expérimentation RHL-1 bis, qui concernait 1 200 personnes, a été gelée par le précédent ministre de la Défense. Pour l’instant, nous disposons donc des résultats de trois mois de restauration en métropole, qui serviront au ministère pour établir des comparaisons. Celui-ci pourra également le faire pour les OPEX. Nous commençons par exemple à disposer de chiffres pour les prix de repas en Kapisa, recouvrant à la fois la main-d’œuvre et les denrées – en gros par moitié. Ils sont assez détaillés, répartis entre denrées, coût matière, et amortissement de l’infrastructure réalisée par la Sodexo. S’agissant d’une base très éloignée des sites d’approvisionnement régulier et des flux économiques, on arrive à un prix de l’ordre de 26 euros TTC, ce qui paraît bien – les offres s’étageaient de 45 à 20 euros, un prix très bas qui avait paru surprenant lors du dépouillement. Pour la base de Tora, si l’on avait utilisé des militaires et des moyens étatiques de construction, on n’aurait pas encore terminé et le projet aurait peut-être coûté beaucoup plus cher. Mais je rappelle que l’économat des armées n’intervient que sur des terrains stabilisés.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Qu’en est-il des prestations de restauration assurées par l’économat des armées pour des armées étrangères, et réciproquement ? Avez-vous analysé les procédés de facturation ? Il semble qu’au camp Warehouse, les repas des contingents non français assurés par l’armée française ne soient facturés qu’au prix coûtant, alors que les Hollandais nous appliquent une marge.

M. le commissaire-colonel Philippe Leroy. Il s’agit de prestations collectives, qui sont refacturées par la suite – il existe aussi des prestations individuelles, mais qui sont acquittées directement par la personne, Français ou étranger.

Il y a deux modes de refacturation. Au Kosovo, on facture l’ensemble des consommations à l’ordonnateur secondaire, qui les répartit ensuite en fonction du décompte des passages à la restauration – il y a des badges spécifiques pour les étrangers, par exemple. En Afghanistan, tout dépend des Standardization Agreements (STANAG), c’est-à-dire les accords de normalisation qui lient la France au pays hôte du camp. Nous facturons l’ensemble de la prestation, mais nous préparons aussi les refacturations pour les forces étrangères, au prix prévu par les STANAG. C’est lui qui détermine si l’on applique une marge ou non. Les STANAG gèrent de façon conventionnelle l’ensemble des rapports de coûts entre deux nations participant à la même opération et stationnées sur le même espace, et donc avec les mêmes fonctionnalités de soutien.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. À Warehouse, où se trouve l’infrastructure de restauration ?

M. le commissaire-colonel Philippe Leroy. Au centre du camp.

M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier. Pour pouvoir faire des comparaisons, il faut des éléments très précis. À Tora, nous maîtrisons exactement le coût journalier de la restauration, puisqu’il s’agit d’un marché. Lorsque nous opérons pour notre compte, nous avons aussi bien sûr une connaissance totale de nos coûts. Nous pouvons donc comparer le prix de revient de journée de Tora, contractuellement fixé autour de 25 euros, et celui auquel nous aboutissons nous-mêmes à Warehouse, qui est inférieur, parce que nous maîtrisons totalement le périmètre en question. Mais il est très compliqué de comparer une prestation externalisée à une régie, dans laquelle il y a une masse de coûts masqués qui restent très difficiles à identifier. C’est tout l’intérêt de CAPES France n° 2 qui, après cinq ans d’historique, commence à permettre les comparaisons.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Le retour des armées sur l’externalisation est-il négatif en termes d’efficacité opérationnelle ?

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. C’est à l’état-major des armées de se prononcer sur ce point, mais il n’y a en tout cas pas eu d’interruption des capacités militaires des forces en Afghanistan, ni lors du départ du porte-avions et du renforcement de la base de Solenzara, du fait des externalisations. Pour la Marine notamment, nous avons les stocks de Brest et Toulon. Nos marchés avec nos prestataires prévoient également, en cas de crise, des délais de ravitaillement réduits. Ainsi, pour les marchés « Vivres Métropole », nous pouvons commander sous quarante-huit heures. Notre obligation de continuité du service est respectée.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Quelles sont les modalités d’assurance du personnel dans le cadre d’une externalisation ?

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. Pour ce qui concerne le personnel de l’économat des armées, nous avons nos propres assurances. Lorsqu’il s’agit des salariés d’une entreprise telle que Sodexo, elle en fait son affaire. Les agents de droit privé peuvent exercer leur droit de retrait, comme le prévoit le code du travail, y compris à l’étranger. C’est pourquoi toutes les dispositions sont préalablement examinées par l’état-major des armées, qui donne son feu vert à la mise en place d’un système complètement externalisé. À Tora, par exemple, en cas de départ de Sodexo, il est prévu de renforcer les effectifs avec les moyens de Warehouse, tenu par l’économat des armées. Mais si l’état-major a donné son feu vert, c’est que la base est entièrement sécurisée.

De manière générale, le problème de réversibilité se pose pour tous les marchés d’externalisation – pour les marchés des collectivités locales concernant le traitement de l’eau ou pour la restauration des écoles, par exemple.

Quant aux agents du ministère qui ont accepté d’être mis à la disposition d’une entreprise privée dans le cadre du dispositif MALD, ils restent agents publics et reviendront dans la fonction publique en cas de reprise en régie.

M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier. Je tiens à apporter une précision. Il a été question de personnel civil qui se serait enfui lors des jours de conflit au Tchad. C’est entièrement faux. Jamais le droit de retrait n’a été exercé au Tchad. Mieux : non seulement le personnel de soutien est resté, mais il a pris la place des conducteurs de la force pour aller chercher en bus les ressortissants qui étaient éparpillés, afin de permettre à la force de se recentrer sur son cœur de métier, la protection. C’est l’ambiance qui règne là-bas qui le veut.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. L’économat des armées s’est vu décerner récemment un prix de l’innovation logistique.

M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier. Merci d’y faire allusion. Nous avons reçu deux récompenses l’année dernière. D’abord, l’économat des armées a remporté le marché des rations de combat de l’ONU : il fournit dorénavant toutes les rations des soldats de l’ONU, où qu’ils se trouvent. Nous étions en compétition avec des sociétés de 3 milliards de chiffre d’affaires.

Ensuite, nous avons construit un dispositif très particulier pour « Vivres Métropole ». Plutôt que de passer, comme pour la restauration classique, par des distributeurs qui alimentent directement les restaurants, nous avons décidé de séparer l’achat de vivres de la logistique. Cela génère des économies, parce que la marge d’un logisticien va de 10 à 12 %, contre 20 à 25 % pour les distributeurs. Mais, cela permet surtout à des PME d’être éligibles à des marchés publics. Dès lors qu’on sépare les vivres de la logistique, tout producteur peut postuler, sachant que notre logisticien va chercher ses produits chez lui et les distribue sur l’ensemble du territoire national. Ainsi, un petit producteur de miel peut être présent sur toutes les tables des militaires. Il a fallu deux ou trois ans pour optimiser ce dispositif : c’était une grosse réforme, avec un marché de 60 000 tonnes et 90 millions d’euros pour six ans. Mais il a atteint une très bonne efficience économique et le Salon international du transport et de la logistique nous a décerné le prix de l’innovation logistique.

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. En tant qu’utilisateurs, nous étions au début extrêmement réticents. Mais ce dispositif a ceci de vertueux qu’il permet de grouper les commandes : moins il y a de petites commandes, moins nous payons de logistique par armée. L’économat des armées, même s’il est un EPIC, doit participer comme tout le monde à l’effort de réduction des charges. Et ce dispositif est aussi intéressant en termes de bilan CO2. Environ 1 600 denrées sont référencées dans « Vivres Métropole » et 90 fournisseurs, dont 85 % sont nationaux – même s’il n’y a pas de clause pour l’exiger.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. S’agissant de logements, lorsque nous étions à Tora, on y construisait de petits bâtiments de type Algeco pour loger nos unités dans du dur. Ces bâtiments temporaires relèvent-ils de vous ?

M. le commissaire-colonel Philippe Leroy. Pas du point de vue patrimonial. Dans la majorité des cas, ils sont acquis par le service d’infrastructure de la Défense, ou alors par les commissariats, notamment pour l’armée de terre. Nous en assurons l’entretien et la gestion.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Nous constatons que l’économat des armées s’inscrit pleinement dans la logique de rationalisation des dépenses publiques.