Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Les externalisations dans le domaine de la défense

Mercredi 27 avril 2011

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur

– Audition de représentants de la société EADS : M. François Desprairies, directeur des affaires publiques France, M. Eric Béranger, président-directeur général d’EADS Astrium Services, M. le général (c.r.) Georges Ladevèze, conseiller défense, et Mme Annick Perrimond du Breuil, directeur des relations avec le Parlement , sur les externalisations dans le domaine de la défense

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Nous sommes heureux d’accueillir à présent une délégation de la société EADS, composée de M. François Desprairies, directeur des affaires publiques France, de M. Eric Béranger, président-directeur général d’EADS Astrium Services, du général du cadre de réserve Georges Ladevèze, conseiller défense, et de Mme Annick Perrimond du Breuil, directeur des relations avec le Parlement.

Je vous prie d’excuser l’absence des deux co-présidents de la mission d’évaluation et de contrôle, nos collègues David Habib et Olivier Carré, qui m’ont demandé de les suppléer.

Je rappelle que cette mission d’évaluation et de contrôle consacrée à l’externalisation dans le domaine de la Défense est une mission conjointe des commissions des Finances et de la Défense, qui réunit des représentants de la majorité et de l’opposition, ainsi que l’ont souhaité les auteurs de la LOLF et les initiateurs des premières missions d’évaluation et de contrôle.

Dans la ligne de la mission d’évaluation et de contrôle sur les recettes exceptionnelles attendues au budget de la défense, dont j’ai été le rapporteur l’an dernier avec ma collègue Françoise Olivier-Coupeau, le principal sujet qui nous intéresse est bien sûr le contrat Syracuse. Quels vous semblent être les atouts du groupe EADS pour postuler et remporter ce contrat ? Quelles sont les autres pistes de réflexion possibles en matière d’externalisation dans le domaine de la défense ?

Nous sommes assistés dans nos travaux par la Cour des comptes, représentée par Mme Françoise Saliou et M. Olivier Brochet.

M. François Desprairies, directeur des affaires publiques France. Merci de nous donner l’occasion de nous exprimer devant votre mission. Nous avons bien compris, à travers les informations qui nous ont été données, que le cœur du sujet était aujourd’hui le dossier Nectar. Vous me permettrez cependant de brosser un tableau plus large des perspectives que représente l’externalisation pour notre société.

EADS a fait du développement des services un axe essentiel de sa stratégie. L’objectif est de porter notre chiffre d’affaires dans les services – qui représente aujourd’hui 12 % du total – à 25 % à l’horizon 2020. Nous accusons en effet un retard important sur nos grands concurrents. Société intervenant simultanément dans plusieurs pays – la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Espagne, les États-Unis –, nous constatons par ailleurs qu’il s’agit là d’une tendance lourde non seulement dans le domaine de la défense, mais aussi dans celui de l’aéronautique civile, essentiel pour nous. Ainsi, Eurocopter s’apprête – la transaction est pratiquement conclue – à racheter la société Vector, basée au Canada, qui réalise un chiffre d’affaires de l’ordre de 600 ou 700 millions d’euros. Cette acquisition majeure nous permettra de devenir acteur de l’ensemble de la maintenance lourde des hélicoptères britanniques, qui interviennent sur différents fronts et ont des contraintes opérationnelles de même nature que celles que nous pouvons trouver en France.

Nous avons accumulé dans le domaine des services des expériences variées, plus souvent à l’étranger qu’en France. Nous assurons par exemple la sécurisation d’un grand nombre de bases militaires allemandes. Grâce à ces contrats, les dépenses de la Bundeswehr à ce titre sont passées de 140 à 75 millions d’euros par an. Nous avons également un partenariat avec la Luftwaffe dans le domaine de la formation des pilotes et des ingénieurs. Il ne s’agit pas tout à fait d’une externalisation, mais d’une « co-localisation » sur le site de Manching, qui permet d’éviter de faire deux fois le même investissement. Nous avons inauguré, il y a un peu plus d’un an, le premier centre d’entraînement et de formation des pilotes pour le NH90. Il s’agit d’une véritable opération de private finance initiative – PFI, équivalent de notre partenariat public privé (PPP) – qui représente un budget de l’ordre de 500 millions d’euros sur quatorze ans, sachant que nous facturons à l’heure d’entraînement. La Finlande et la Suède se sont jointes à l’opération, ce qui permet un partage des coûts.

En Grande-Bretagne, nous avons deux exemples majeurs : Paradigm, dont vous parlera Eric Béranger, qui est l’opération d’externalisation des communications par satellite pour les militaires, et le programme Future Strategic Tanker Aircraft (FSTA), qui porte sur le ravitaillement en vol.

En France, nous avons perdu deux compétitions. La pertinence économique de la première ne nous semblait pas avérée : il s’agit du transport à long rayon d’action (TLRA). Le choix de l’armée s’est porté sur deux A 340 pris en location avec option d’achat. Nous avons estimé cette opération peu cohérente avec un plan de flotte qui aurait dû être plus général. Nous avons également perdu la compétition concernant la formation des pilotes à Dax.

Nous avons en revanche gagné l’opération de Cognac, et nous sommes responsables dans le cadre d’un contrat de service des opérations de maintien en condition opérationnelle (MCO) pour les missiles de la dissuasion française à l’Île Longue. Comme vous le voyez, les opérations d’externalisation peuvent toucher le cœur du cœur de la défense, au plus grand bénéfice des deux parties.

M. le général Georges Ladevèze, conseiller défense. Quelques éléments m’ont frappé lorsque j’étais sous l’uniforme.

D’abord, j’ai constaté que la complexité de la chaîne militaire obéit à des exigences opérationnelles peu compatibles avec la stabilité et la rentabilisation des financements industriels. J’ai toujours été préoccupé, notamment lorsque je commandais une base d’hélicoptères au moment de la guerre du Golfe, par la nécessité de scinder les deux niveaux. Alors qu’il aurait fallu se concentrer sur un niveau d’intervention extrêmement limité en technicité, une partie de mes personnels était mobilisée par des opérations de maintenance lourde, alors que leur statut voulait par ailleurs que je puisse en disposer de manière inopinée. Il faut donc opérer le clivage entre activité de maintenance opérationnelle et activité à caractère industriel.

Ensuite, j’ai observé que le meilleur point d’application est en général ce qui concerne la formation. C’est en effet le seul domaine où l’on peut facilement quantifier les flux de personnels à former et le nombre d’heures de vol nécessaires, ce qui permet la meilleure optimisation possible de la flotte. Le grand mérite de l’opération de Cognac a d’ailleurs été de permettre de passer de 143 Epsilon à 55 appareils immédiatement en ligne. De même, à Dax, les 53 Gazelle ont été remplacées par 36 appareils de type EC 120, pour la même disponibilité opérationnelle au jour le jour.

M. François Desprairies. Les Britanniques sont les Européens qui sont allés le plus loin dans ces opérations d’externalisation. Il y a, d’une part, le PPP sur les ravitailleurs, avec un contrat de 13 milliards de livres sur 27 ans pour 14 appareils, et, d’autre part, l’ensemble des opérations de maintenance lourde dont nous allons hériter à travers Vector, qui représentent près de 2 500 emplois en Grande-Bretagne. Voici donc ce que nous pouvons apporter en termes de connaissances et d’expérience.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Peut-on avoir des précisions sur ce que vous faites à l’Île Longue ?

M. le général Georges Ladevèze. Il convient, là aussi, de séparer clairement le domaine industriel et le domaine opérationnel. Il s’agit à l’Île Longue de la préparation des missiles, de leur assemblage final et même, désormais, de leur mise à bord. Autrement dit, c’est un service clés en mains : la partie opérationnelle dispose d’un système prêt à fonctionner.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Est-ce à dire que cette mission était auparavant assurée en interne par des effectifs de la marine ou de la DGA ? Comment s’est opérée la substitution ? Y a-t-il eu transfert de personnels ?

M. François Desprairies. Nous employons en effet un grand nombre de personnels ( Astrium et DCNS en sous-traitance de cette dernière ) et assurons toute la continuité de service, y compris le MCO.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Nous souhaitons maintenant entendre M. Béranger sur Nectar. Nos interrogations portent à la fois sur la durée de vie résiduelle des satellites, sur le calendrier mis en place par la DGA dans l’appel d’offres, sur le cahier des charges… Il y a également la comparaison avec le cas britannique. Dans le cas de Nectar, 90 % du potentiel est conservé au profit du ministère de la Défense, avec une capacité résiduelle limitée à 10 % ; dans le cas britannique, il semblerait que les capacités soient partagées à 50/50 entre l’opérateur et le ministère de la Défense. Un an après votre précédente audition, nous aimerions faire le point sur l’avancement de ce dossier.

M. Éric Béranger, président-directeur général d’EADS Astrium Services. Quatre types d’activités sont en fait exercées à l’Île Longue : le maintien en condition opérationnelle (MCO) des missiles, celui des installations de soutien des missiles à terre, celui des moyens de mise en œuvre des missiles à bord des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), enfin la participation aux tirs d’essai ou d’acceptation. Le processus a été progressif. Il est le fruit d’une concertation entre le personnel militaire, DCNS et Astrium, qui visait à préserver au mieux les compétences nécessaires pendant toute la durée de vie de ces missiles. Il n’y a pas à proprement parler de transfert de compétences : celles-ci sont assez concentrées, chez les industriels comme chez les militaires, et il s’agit de les utiliser au mieux et de les préserver.

J’en viens à Paradigm. Il s’agit d’une concession de quinze ans – tout au moins au départ, mais l’ordre de grandeur est resté le même en dépit de quelques ajustements. Le montant total du contrat s’élève à environ 3,6 milliards de livres. La notion de capacité n’est qu’un des aspects de ce contrat d’externalisation, puisque le PPP ou PFI n’est qu’un outil contractuel. Le nœud de cette relation contractuelle, ce sont finalement les services qui doivent être fournis au client – en l’occurrence, les armées britanniques. Dans le cas présent, celles-ci ont fait le choix d’externaliser la totalité des services. La société Paradigm possède donc la totalité de l’infrastructure ; vis-à-vis des armées britanniques, elle est un opérateur de télécommunications bout-en-bout, incluant les terminaux.

Dans le cadre de cette négociation, le pourcentage auquel vous faites référence peut être regardé de deux façons. Sur le plan économique, il y a un intérêt pour l’opérateur à disposer de capacités qu’il peut également commercialiser auprès d’autres clients – c’est l’aspect mutualisation. Le dimensionnement initial de l’infrastructure était tel que pour satisfaire le besoin planifié par les armées britanniques, nous n’avons besoin d’utiliser qu’un peu plus de 50 % de la capacité initialement prévue de deux satellites. La capacité restante est donc disponible soit pour les besoins supplémentaires du client, soit pour d’autres clients.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Vous parlez de deux satellites ?

M. Éric Béranger. Oui. Le contrat initial a été signé sur une base de deux satellites en orbite. Nous avions à l’époque un schéma d’assurance nous permettant, en cas de panne par exemple, de lancer un autre satellite – nous faisions appel à l’assurance de marché, avec le soutien éventuel du ministère de la défense britannique. Les besoins de ce dernier ont cependant évolué assez vite après la signature du premier contrat. Or ces contrats visent avant tout à créer un partenariat. C’est ce que nous avons réussi à faire avec les Britanniques. En discutant avec eux, nous sommes ainsi parvenus à la conclusion que pour accommoder des besoins supplémentaires par rapport à ceux qu’ils avaient prévus comme pour réduire le coût de financement et s’affranchir de celui de l’assurance, il pouvait être intéressant pour les deux partenaires de remplacer l’assurance de marché par la mise en orbite d’un troisième satellite. C’est donc ce que nous avons fait. Par la suite, l’évolution du marché – avec notamment une forte demande américaine – et les discussions avec le ministère de la défense britannique nous ont conduits à décider d’une nouvelle évolution contractuelle portant sur un quatrième satellite, qui est en construction et devrait être lancé l’année prochaine.

Pour résumer, alors que le contrat initial portait sur deux satellites et une concession de quinze ans nous menant jusqu’en 2018, nous avons désormais un contrat qui court jusqu’en 2022 avec quatre satellites Skynet 5.

Il y a une autre manière d’appréhender ce fameux seuil des 50 %. Le surdimensionnement de l’infrastructure permet au ministère de la défense britannique, tout en ne payant que ce qu’il utilise, d’être assuré d’avoir accès à plus en cas de besoin – autrement dit, d’avoir une flexibilité opérationnelle.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Est-ce à dire que vous avez commercialisé les 50 % restants ou que vous disposez d’une marge en sus de ce que le ministère de la défense britannique utilise ?

M. Éric Béranger. Nous les commercialisons, mais il reste encore de la capacité disponible. C’est pourquoi nous sommes en mesure d’offrir à la France un accès à cette capacité – ce qui assurerait là aussi une flexibilité opérationnelle. Néanmoins, le principe est celui du « premier arrivé, premier servi ». Il y a donc deux portions de capacités. Pour la première, priorité est donnée au ministère de la défense britannique, tandis que les éléments restant disponibles peuvent être commercialisés, mais aussi préemptés sans préavis. Quant à la seconde, elle peut être commercialisée, sans être préemptible.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Nous nous intéressons en particulier à l’externalisation des satellites de télécommunications pour lesquels un appel d’offres a été lancé. Votre offre tient-elle compte de l’opportunité que vous venez d’évoquer ? Autrement dit, la France pourrait-elle utiliser les capacités britanniques disponibles s’il fallait aller au-delà des 90 % d’utilisation prévus ?

M. Éric Béranger. En théorie, oui. La consultation Nectar a été ouverte le 5 novembre 2010. Nous devions répondre pour le 3 mars dernier. Les réunions de négociation ont commencé : pour ce qui concerne Astrium, les premières ont eu lieu les 13 et 21 avril. Dans le cadre de cette consultation, nous avons indiqué que nous étions capables d’offrir du secours en cas de problème sur l’infrastructure française – nous savons que les opérations sont parfaitement interopérables, puisque nous avons déjà fourni de la capacité britannique à des militaires français. Nous avons également dit que nous étions en mesure d’offrir de la capacité supplémentaire en cas de besoin.

On entend souvent dire que n’avoir que 10 % de capacités mutualisables diminuerait fortement l’intérêt économique de l’opération. Avoir plus de capacités à commercialiser à l’extérieur donnerait en effet à l’opérateur davantage d’opportunités pour faire bénéficier le ministère de la Défense de cette mutualisation. Mais même avec 10 %, nous pouvons – et nous le démontrerons dans notre réponse à l’appel d’offres – dégager un intérêt économique pour l’État. Par ailleurs, en passant ce type de contrat avec nous, le ministère de la Défense se donnerait accès à des capacités supplémentaires. De plus, la DGA a prévu dans l’appel d’offres un mécanisme qui permettrait, au cas où une partie de la capacité socle – les 90 % – se trouverait inutilisée, de la commercialiser pendant le temps où elle est disponible, les revenus étant partagés entre la DGA et l’opérateur.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Il faut que l’opérateur comme l’État trouvent leur intérêt dans l’opération. Pour vous, opérateur, quels sont les éléments permettant d’apporter la démonstration de la consolidation économique de cette affaire ? Les 10 % de capacités commercialisables ne permettent en effet de dégager qu’une marge très étroite. Vous évoquez d’autre part une possibilité de procéder, avec la DGA, à la commercialisation d’une partie des 90 % non utilisés par le ministère de la défense. Sur quelle base juridique peut-on l’envisager ? Pour notre part, nous pensions que ces 90 % étaient sanctuarisés.

Je comprends, enfin, que l’un des éléments de l’offre d’EADS est la possibilité pour le ministère de la Défense de bénéficier, en cas de besoin lié à des contraintes opérationnelles, d’outils que vous gérez pour le compte des armées britanniques. Mais vous pourriez fort bien offrir ce service hors contrat d’externalisation. Quel est donc l’intérêt pour le Gouvernement d’engager une discussion avec vous dans le cadre de ce marché d’externalisation ?

M. Éric Béranger. En ce qui concerne votre dernière question, vous avez entièrement raison, nous pourrions offrir ce service hors contrat d’externalisation. Mais plus vous travaillez avec un partenaire, plus vous êtes à même d’anticiper ses besoins et d’ajuster votre offre pour y répondre au mieux.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Thales est-il capable d’offrir le même type de service hors externalisation ? Si ce n’est pas le cas, je ne vois pas quel intérêt vous pouvez avoir à ne pas lier l’accès à ce service à l’offre.

M. Éric Béranger. Ce n’est pas non plus mon intérêt d’avoir une attitude qui pourrait être qualifiée d’anti-concurrentielle.

Thales pourrait avoir recours à un autre type de capacité, qui n’est pas exactement de même nature que la capacité Syracuse. Aux opérationnels et aux utilisateurs de juger si cela leur convient ou pas. En tout cas, il y a un certain nombre de capacités disponibles sur le marché.

J’en viens à votre deuxième question. Dans la consultation, la DGA a défini un mécanisme dit de désengagement qui lui permettrait, au cas où la totalité des 90 % ne serait pas utilisée, d’en mettre une partie à la disposition de l’opérateur – selon des conditions à définir – afin de la commercialiser. Une partie des revenus reviendrait alors à la DGA. Un tel mécanisme me semble assez sain, les deux acteurs ayant un intérêt conjoint à libérer de la capacité.

Pour répondre enfin à votre première question, je puis vous dire que la DGA a défini dans sa procédure un critère d’intérêt économique. Un calcul de valeur actualisée nette lui permet de ramener à la date d’aujourd’hui la valeur actualisée des loyers qu’elle aurait à payer si elle conduisait cette opération d’externalisation. Elle a défini pour cette valeur actualisée nette une valeur maximale, connue des contractants, dont le dépassement serait éliminatoire. J’imagine que le calcul a été fait de façon à démontrer l’intérêt économique de l’opération. J’ignore en revanche comment a été définie la valeur maximale et comment le transfert de risque a été pris en compte dans la formule. Nous avons vu, dans notre expérience britannique comme dans notre expérience allemande, que ce risque est rarement valorisé par la puissance publique – qui est son propre assureur. Dans une opération de type Nectar, ce risque est transféré à l’opérateur privé. Comment est-ce pris en compte ? Je l’ignore.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Ce n’est tout de même pas un petit sujet !

M. Éric Béranger. En effet.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Malgré cela, vous vous portez candidat?

M. Éric Béranger. Oui, car le dossier de consultation nous donne des règles du jeu dans le cadre desquelles je pense pouvoir faire une proposition de nature à intéresser l’administration.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Pouvez-vous nous donner votre appréciation sur le calendrier ? En 2010, une bonne partie du temps a été consacrée aux aspects juridiques. Sommes-nous pour autant certains qu’ils ne créeront pas de difficultés au moment du choix du prestataire ? Comment voyez-vous les choses sur le plan opérationnel et financier – je pense ici au suivi des recettes exceptionnelles ?

M. Éric Béranger. Je n’ai pas connaissance d’inquiétudes particulières sur les aspects juridiques.

S’agissant du calendrier, je rappelle que l’appel à candidatures a été émis début 2010 et la consultation lancée en novembre. Depuis la remise de notre offre le 3 mars 2011, nous avons le sentiment que la DGA souhaite aller vite. En ce qui nous concerne, les premières réunions de discussions se sont tenues les 13 et 21 avril – l’analyse des offres a donc été conduite dans des délais rapides. Il semble que ce rythme soutenu soit appelé à perdurer. Si les choses continuent sur cette lancée, il existe une chance de finalisation dès cette année. Je pense que c’est l’intention de la DGA.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Au-delà de l’usufruit des satellites, vous remettez une offre concernant leur exploitation. Il y a donc un marché de services associé. Le considérez-vous comme détachable du reste de l’offre ? Si l’État renonçait à la vente de l’usufruit des satellites parce que l’opération lui paraissait finalement peu avantageuse sur le plan économique, continueriez-vous à concourir ? Comment articuleriez-vous alors votre action avec celle de la direction interarmées des Réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (DIRISI) ?

M. Éric Béranger. Honnêtement, nous ne nous sommes pas posé la question : dans notre esprit, les deux contrats sont liés d’un point de vue opérationnel. Il est un peu dommage – même si c’est compréhensible – de se focaliser sur les seuls intérêts économiques. Ne perdons pas de vue qu’il s’agit de fournir aux forces armées françaises les moyens d’assurer leurs missions ! Les concepts opérationnels sont donc fondamentaux. Bien que nécessaire, l’aspect juridique est secondaire par rapport à la mission de fond. C’est à mon sens pour cette raison que la DGA a choisi de distinguer la partie usufruit et la partie exploitation : sur le plan juridique, c’était la manière la plus appropriée d’effectuer cette opération. En théorie, vous avez donc raison : les deux parties peuvent être traitées indépendamment. Le contrat d’exploitation est cependant nécessaire au contrat d’usufruit, car pour céder l’usufruit, encore faut-il que l’opérateur puisse l’exploiter.

Si l’administration renonçait à céder l’usufruit, maintiendrait-elle l’externalisation de la seule exploitation ? La question mérite d’être posée. Dans l’affirmative, nous regarderions bien sûr cela de très près.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Avez-vous des précisions à nous apporter sur le projet Multi Role Transport Tanker (MRTT) ?

M. François Desprairies. Comme pour Nectar, nous bénéficions ici de l’expérience britannique ; mais nous n’en tirons pas les mêmes leçons. Autant l’opération Paradigm nous paraît exemplaire, puisqu’elle a conduit à construire plus de satellites et à assurer davantage de flexibilité pour la satisfaction de toutes les parties, autant dans l’opération FSTA – qui est trois fois plus importante que Paradigm et dans laquelle nous sommes liés à Thales –, nous avons le sentiment que la partie britannique n’est guère satisfaite. Ses dépenses s’en trouvent considérablement rigidifiées sur 27 ans. Il se trouve que deux ans après l’entrée en vigueur du contrat, le format des forces aériennes a radicalement changé, d’où une division par deux du nombre d’avions à ravitailler, alors même que le contrat oblige les Britanniques à acquitter un minimum annuel pendant vingt-sept ans. Il existe certes une possibilité de renégociation en cas de changement stratégique, mais il va falloir en passer par les avocats de la City…

Surtout, il n’y a pas eu matérialisation comme nous l’avons fait dans le domaine des télécommunications, c’est-à-dire vente à un tiers. Il s’agit en effet d’avions militaires sous contraintes ITAR (International Traffic in Arms Regulations). Cela signifie que parce qu’il y a des équipements militaires américains dans ces avions, nous ne pouvons pas les utiliser – comme nous l’avions envisagé au départ – pour les besoins de British Airways ou d’une autre compagnie aérienne. Il n’y a donc aucune possibilité de revenus tiers dans ce contrat. Il existe en outre de fortes contraintes en termes de maintenance, celle-ci devant être assurée par des sujets britanniques sur le sol britannique. Bref, c’est un système extrêmement rigide. Je pense que l’armée de l’air française s’en est entretenue avec les Britanniques et qu’elle est consciente qu’un contrat type FSTA n’apporte pas de solution satisfaisante à ce type de problèmes.

Aucune décision n’a pour l’instant été prise en ce qui concerne le MRTT. Ce programme est reporté d’année en année. Après avoir attendu pendant des années la décision américaine, celle-ci est maintenant intervenue, mais pas en faveur d’EADS. Il faut maintenant relancer le dossier. L’expérience du FSTA et celle du TLRA, qui sont bien deux expériences d’externalisation quoique dans des domaines différents, donnent le sentiment que ce n’est pas nécessairement la voie à privilégier. Peut-être certaines parties – comme le soutien en service – peuvent-elles être externalisées. Il faut en tout état de cause poser la question de l’assurance, qui a été un obstacle considérable dans l’affaire du FSTA. Là encore, l’État est son propre assureur. Jusqu’où l’avion peut-il aller ? Sur la ligne de front ou non ? Qui prend le risque ? Avec un satellite, on assure des risques techniques ; avec un ravitailleur, on assure également des risques opérationnels. Autant de casse-tête qui rendent l’équation économique particulièrement délicate…

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. À quel stade en est la discussion avec la DGA à ce sujet ?

M. François Desprairies. Les discussions ont été nombreuses depuis cinq ou six ans. Nous avons participé à plusieurs débats et présenté en détail les différentes versions de MRTT possibles à la DGA. Il faut maintenant que le dossier soit lancé : aujourd’hui, certains avions ravitailleurs ne peuvent plus voler hors du ciel français ! En outre, la flotte participe à notre dissuasion. Il est donc particulièrement difficile d’envisager l’externalisation de l’emploi opérationnel.

Au vu de l’expérience britannique, nous préconisons un programme normal d’acquisition. Si les études sont lancées cette année, les premières acquisitions pourraient avoir lieu en 2017. Nous nous en sommes entretenus avec les collaborateurs de M. Gérard Longuet. Le ministre a d’ailleurs pu visiter lors de sa venue à Toulouse, il y a deux semaines, un MRTT émirati. Si la France décidait aujourd’hui de lancer ce programme, les délais de contractualisation et de fabrication conduiraient à une première livraison en 2017 ; d’autre part, l’avion doit avoir toutes les particularités lui permettant d’assurer ses missions, notamment de dissuasion, ce qui impose un nombre minimal d’appareils.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Il y a donc un « trou capacitaire » entre des avions qui ne peuvent plus sortir du ciel français et ceux qui ne pourront être livrés – dans le meilleur des cas – qu’en 2017. Comment l’armée de l’air entend-elle y répondre ?

M. François Desprairies. En faisant voler les C-135 FR – dont les premiers sont entrés en service en 1962 ou 1963 – le plus longtemps possible…

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. À la manière dont vous présentez les choses, il s’agirait plutôt de les laisser s’écraser…

M. le général Georges Ladevèze. Un avion s’écrase rarement, mais, pour l’empêcher de s’écraser, cela coûte très cher !

La DGA semble être entrée dans les prémices du processus : elle envisage de lancer une étude de levée de risques dès 2011, afin de respecter le calendrier qui nous mène tout de même jusqu’en 2017. Les Américains se sont pliés au même raisonnement : ils vont payer très cher leurs KC-135 en attendant que Boeing mette au point un avion qui est encore sur le papier…

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Souhaitez-vous vous exprimer sur d’autres sujets ?

M. François Desprairies. D’autres consultations se préparent, dans le droit-fil de celle de Cognac. Il s’agit à notre sens d’opérations pertinentes.

Il faudra également déterminer, dans les mois qui viennent, la forme que prendra le soutien à l’A400M. Nous tentons de rapprocher les points de vue britannique et français.

D’autres opérations de cette nature sont probables. Nous notons qu’il y en a davantage en Allemagne et en Grande-Bretagne qu’en France.

M. le général Georges Ladevèze. L’arrivée du NH 90 va aussi poser question. J’insistais tout à l’heure sur le clivage entre activités industrielles et activités opérationnelles. La nouvelle génération des matériels le rend de plus en plus flagrant, tant les investissements de maintenance lourde à consentir sont importants. Toute la question est de savoir si l’État doit les consentir lui-même ou en laisser la charge à l’industriel, la redondance n’étant pas de mise.

M. Éric Béranger. Permettez-moi de conclure par un peu de prospective. Dans ces domaines qui font appel à des technologies duales se posera peut-être à l’avenir la question des capacités d’observation. On fait ici appel à des technologies complexes, qui seront difficiles à maintenir sur toute la gamme dans un contexte de contrainte budgétaire. Sans doute y aura-t-il une réflexion à conduire pour arriver malgré tout à maintenir les capacités françaises.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Je vous remercie et vous assure de notre intérêt pour tous les points que vous avez bien voulu évoquer.