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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Les externalisations dans le domaine de la défense

Mercredi 27 avril 2011

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 11

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur

– Audition de M. Philippe Genoux, chef de la mission « Partenariats public privés » du ministère de la Défense, sur les externalisations dans le domaine de la défense

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Nous accueillons maintenant l’ingénieur général de l’armement Philippe Genoux, chef de la mission « Partenariats public privés » (PPP) du ministère de la Défense. La mission que vous dirigez, monsieur l’ingénieur général, a été citée à plusieurs reprises lors d’auditions précédentes et nous sommes donc heureux que vous puissiez nous apporter aujourd’hui votre éclairage sur les externalisations.

M. Philippe Genoux, chef de la mission « Partenariats public privés » du ministère de la Défense. La mission PPP a essentiellement pour vocation d’accompagner les équipes en charge des projets de partenariats public-privé ou d’externalisations menés au sein du ministère de la Défense. Elle réalise les études préparatoires et les évaluations préalables qui permettent, avant même consultation des entreprises, de comparer en termes économiques l’externalisation d’une prestation ou la conclusion d’un partenariat public-privé d’une part et d’autre part la formule de la régie. Elle a vocation à accompagner également les équipes en charge des projets lors de la passation des contrats, opération complexe sur les plans juridique et financier. Elle s’attache enfin à développer, en toute transparence vis-à-vis des équipes, des outils méthodologiques, de façon que les comparaisons puissent s’effectuer sur des bases aussi complètes et objectives que possible. Elle n’a pas encore travaillé sur les retours d’expérience, si ce n’est de façon très parcellaire, mais il nous faudra développer ces analyses, en prenant toutefois garde au risque d’être en même temps juge et partie.

Jusqu’à la création de la mission PPP en mars 2009, chaque département du ministère de la Défense menait ses études préparatoires à sa façon, sans coordination ni méthodologie commune, à l’exception, dans le cadre des partenariats public-privé, du recours aux outils préconisés par la mission d’appui PPP (MAPPP), rattachée au ministère chargé de l’Économie. En créant la mission PPP, le ministère de la Défense a souhaité capitaliser les premières expériences acquises en matière d’externalisations et de partenariats public-privé, à regrouper au sein d’une même entité l’expertise, jusqu’alors éparse, et à canaliser le recours à assistance à maîtrise d’ouvrage par les équipes en charge des projets, obstacle potentiel à cette capitalisation en l’absence de lien avec la MPPP.

Le temps d’effectuer les recrutements nécessaires, notre activité n’a réellement débuté que fin 2009. Nos équipes se composent de chargés d’affaires qui accompagnent les équipes en charge des projets, d’analystes économiques qui réalisent les évaluations préalables et procèdent aux recalages éventuellement nécessaires lors de la passation des contrats, enfin de juristes qui aident les équipes lors de la contractualisation.

Nous sommes déjà intervenus pour plusieurs opérations : RHL-1 (restauration, hébergement, loisirs), habillement – pour laquelle la procédure de passation de contrat a démarré – et Creil multi-services. Nous n’avions pu être associés à l’opération protection des bases aériennes, lorsqu’elle a été lancée, mais travaillons sur le retour d’expérience. Nous intervenons également sur d’autres projets en cours.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. La mission que vous dirigez suit-elle toutes les externalisations ou seulement celles qui font l’objet d’un partenariat public-privé ?

M. Philippe Genoux. Il faut en effet distinguer entre externalisation et partenariat public-privé. Une externalisation – à ne pas confondre elle-même avec une sous-traitance – consiste à confier à un partenaire privé la responsabilité globale d’une fonction concourant à l’exercice de nos missions et jusque-là exercée en régie, sans que cela requière de sa part d’investissements significatifs, contrairement à un partenariat public-privé, où un investissement préalable important est nécessaire, le partenaire qui le préfinance étant ensuite remboursé au travers de la rémunération prévue dans le contrat de partenariat.

La mission PPP intervient pour les deux types d’opération. Pour rappel, il y a eu deux vagues d’externalisations : certaines ont été lancées après la suspension de la conscription, d’autres dans le sillage de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et du livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Les premières ont été décidées essentiellement au niveau local, peu suivies à l’échelon central et n’ont pas fait l’objet d’une mise en perspective globale, contrairement aux secondes. C’est à ces dernières que nous avons été associés. En revanche, nous traitons la plupart des partenariats public-privé, à une exception près – celle du projet Balard, particulier de par son ampleur et son calendrier.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. La mission ne s’en occupe pas du tout ?

M. Philippe Genoux. Très marginalement.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Les évaluations préalables à une externalisation doivent permettre de s’assurer que le service sera globalement rendu par le prestataire auquel il a été délégué dans des conditions économiques intéressantes pour le ministère de la Défense. Comment sont consolidées toutes les données de l’équation avant d’engager l’opération ?

M. Philippe Genoux. Il ne vous a pas échappé que nous ne disposions pas d’une comptabilité analytique permettant de connaître très précisément les coûts d’une gestion en régie. Cela étant, nous pouvons distinguer, en premier lieu, les coûts de personnel qui, dans le cas d’une externalisation, représentent la principale source de l’économie escomptée. Comprenant salaire, cotisations de pension, primes et autres éléments de rémunération, ils sont connus avec précision, la direction financière et la direction des ressources humaines étant à même de fournir des données complètes. Viennent ensuite les coûts récurrents. Jusqu’à présent, pour les opérations sur lesquelles nous avons travaillé, nous avons constaté que les sites locaux possédaient des embryons de comptabilité permettant de reconstituer ces coûts de manière assez fidèle et complète ; les informations ne sont certes pas consolidées au niveau central mais elles sont disponibles au niveau local. Il y a enfin les coûts de soutien général – immobilier, personnels de l’administration générale, centrale ou locale… Ce sont ceux qui sont les plus difficiles à évaluer précisément. Ils sont toutefois assez peu élastiques aux externalisations. Quasi invariants, que les prestations soient assurées en régie ou externalisées, ils peuvent donc être neutralisés dans les comparaisons.

Nous prêtons également attention à l’impact des opérations sur les coûts de pensions à terme, jusqu’à présent négligé alors qu’il est très important, vu l’équilibre exigé du compte d’affectation spéciale Pensions, de prendre en compte l’incidence des suppressions de postes de militaires ou de fonctionnaires. Nous sommes également attentifs aux conséquences des opérations, qui peuvent différer selon qu’on se place du point de vue de l’État ou du ministère de la Défense. Ainsi lorsqu’une prestation est externalisée, le prestataire la facture avec la TVA, ce qui constitue une recette pour l’État mais une dépense nouvelle pour le ministère de la Défense. De même, certaines prestations externalisées n’en doivent pas moins être réalisées dans nos murs, ce qui oblige le ministère à mettre à disposition des prestataires diverses installations avec autorisation d’occupation temporaire (AOT) le temps du contrat. Cette AOT génère une redevance qui est neutre pour l’État mais non pour le ministère. Il peut donc arriver que des opérations soient économiquement avantageuses pour l’État mais non pour le ministère de la Défense.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Dans la plupart des cas – ainsi en ce qui concerne la flotte de véhicules –, les externalisations aboutissent à un transfert d’une part significative des personnels, conformément à l’ancien article L. 122-12 du code du travail. Depuis que les textes réglementaires nécessaires ont été pris en 2009-2010, le ministère de la Défense peut mettre des personnels à disposition. Il paie alors la différence entre le salaire versé par l’opérateur privé et celui que lui-même versait auparavant aux salariés transférés. D’autre part, il est très pénalisant pour lui d’avoir à s’acquitter de la TVA – même si c’est au final neutre pour l’État. Enfin, vous l’avez dit vous-même, certains coûts de structure ne sont pas élastiques à la baisse. À cela s’ajoute une difficulté de consolidation, tenant à ce que le ministère ne disposait pas jusqu’à présent de comptabilité analytique. Comment dans ces conditions parvenir à de réelles économies ? La rigidité à la baisse des dépenses est telle que la seule justification que je vois à tout cela est de continuer, d’une part, à diminuer les effectifs hors objectifs de la RGPP, d’autre part à rationaliser les dépenses du ministère de la Défense dans l’intérêt de l’État, qui n’est pas nécessairement celui du ministère. Bref, les externalisations ne sont-elles pas le moyen de poursuivre, sans le dire, la RGPP ?

M. Philippe Genoux. Je suis embarrassé pour vous répondre, ne disposant pas, dans la position qui est la mienne, de tous les éléments nécessaires. Je peux néanmoins dire qu’antérieurement, les responsables de projet ne se préoccupaient pas, dans les travaux préparatoires, du devenir des personnels concernés par les externalisations. Ils ne prenaient en compte que les suppressions de postes sans se soucier du fait que certains personnels pouvaient éventuellement être réaffectés en surnombre. C’est un point auquel nous accordons, pour notre part, la plus grande importance. En effet, l’intérêt économique des opérations passe largement par la capacité du ministère à trouver des postes effectivement vacants. Le risque est, sinon, de régler la prestation au partenaire privé tout en continuant de payer des personnes employées quelque part en doublon, ce qui réduit à néant les économies en apparence réalisées.

L’une des difficultés dans les évaluations préalables est qu’on avance dans un premier temps à l’aveugle. Nous poussons désormais les chefs de projet et les services des ressources humaines à repérer le plus en amont possible les postes éventuellement libres. Par le biais d’analyses de sensibilité consistant à balayer le champ des possibles, on s’aperçoit qu’il est des situations où l’externalisation ne permet d’économies ni pour le ministère de la Défense ni pour l’État, d’autres où elle en permet pour les deux, et d’autres encore pour l’État seulement. Cette approche permet de sensibiliser très tôt les équipes en charge des projets.

Un ultime verrou a été mis en place : une fois triées les offres et sélectionnée la mieux-disante, on compare de nouveau les coûts entre régie et externalisation, non plus cette fois sur la base d’estimations des prix du privé mais d’engagements contractuels précis. Entre-temps, les personnels ont également pu être interrogés sur leurs intentions, ce qui permet de mieux savoir où l’on va. C’est ce qui a été fait pour les opérations RHL-1 et Creil multi-services, où les économies seront effectivement au rendez-vous – pour autant qu’aucun avenant ne vienne dénaturer les marchés initiaux. Nous avons en revanche recommandé d’abandonner le projet de partenariat public-privé pour la mise à disposition d’une flotte de porteurs polyvalents terrestres, qui n’aurait pas permis d’économies. Et notre recommandation a été suivie.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Quel est le bilan de l’externalisation de la flotte de véhicules ?

M. Philippe Genoux. Cette opération a été lancée en 2007, alors que la mission PPP n’existait pas encore. Sur le marché stricto sensu, l’économie est nette. La principale question demeurait celle du devenir des personnels concernés : une étude a pu confirmer qu’ils n’avaient pas été réaffectés en doublon. La difficulté des « plans de manœuvre » des ressources humaines est encore accrue du fait que les effectifs diminuant, les postes disponibles sont de plus en plus rares. Ces plans sont pourtant indispensables afin que les opérations présentent bien au final l’intérêt économique escompté lors de l’évaluation préalable.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Sur un effectif de cent personnes concernées par une externalisation, combien en moyenne doivent être réaffectées et combien sont transférées à l’opérateur privé ?

M. Philippe Genoux. Cela dépend des opérations. La rationalisation et la mutualisation des moyens diffèrent d’un secteur à l’autre. Dès les évaluations préalables, on connaît grâce au parangonnage (benchmarking) les éléments de coût du secteur privé, ce qui permet de comparer régie et externalisation. Lors des consultations, on demande aussi aux candidats de préciser leur organisation en matière de ressources humaines, avec les effectifs par métier et par niveau hiérarchique. Cela permet d’une part d’effectuer une comparaison avec la nôtre – nous nous attachons à comprendre comment les effectifs nécessaires peuvent être moindres chez les opérateurs privés –, d’autre part de faire des propositions de postes à nos propres personnels, de façon qu’ils puissent en toute connaissance de cause se porter ou non volontaires pour une mise à la disposition (MALD).

Pour l’opération RHL-1, quand il fallait cent personnes en régie, il n’en faut plus que soixante à soixante-dix chez le prestataire privé. L’organisation du travail y est différente, notamment pour la restauration. Pour l’opération « protection des bases aériennes » en revanche, compte tenu du cahier des charges, la rationalisation et la mutualisation sont beaucoup plus limitées et il ne faut pas escompter un tel gain. Les travaux en cours permettent d’estimer la réalité des économies.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. D’éventuels avenants peuvent déséquilibrer l’économie initiale d’un contrat et du coup remettre en question les économies escomptées au stade de l’évaluation préalable. Le suivi de l’exécution des contrats au jour le jour est également d’une extrême importance, notamment lorsque les performances peuvent influer sur la rémunération. Quel rôle votre mission joue-t-elle à cet égard ?

M. Philippe Genoux. Je vous remercie de cette question. Ce sujet est en effet d’importance. C’est ce qui me pousse à souhaiter que nous soyons associés aux retours d’expérience. Si nous n’avons pas d’informations sur l’exécution des contrats, nous ne pouvons pas procéder de manière pertinente aux recalages éventuellement nécessaires. L’évaluation recalée constitue un verrou solide dans la mesure où elle est fondée sur des informations qui engagent le contractant. Quant aux avenants, certains se justifient pleinement, notamment si l’activité ou les besoins ont évolué, et ne remettent pas nécessairement en question l’avantage économique. D’autres en revanche peuvent être moins vertueux. C’est pourquoi il me semblerait souhaitable que la mission PPP soit parfaitement informée afin que, pour chaque opération, on puisse s’assurer que les économies attendues sont bien au rendez-vous, mais aussi que les remontées d’information nous permettent d’actualiser nos modèles.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Vous souhaiteriez donc qu’il y ait obligation de consulter la mission ?

M. Philippe Genoux. Les procédures de suivi devraient en effet prévoir une information systématique de la mission PPP en cas d’avenant.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Comment votre action s’articule-t-elle avec celles du commissariat des armées et de l’Économat des armées – lequel est un établissement public industriel et commercial ?

M. Philippe Genoux. C’est l’état-major des armées (EMA) qui pilote la plupart des projets d’externalisation. Le service du commissariat des armées (SCA) et l’Économat des armées (EDA) hébergent les équipes en charge des projets et mènent les projets dans les phases de contractualisation. Pour notre part, nous accompagnons les équipes. Il est établi sans conteste que nous effectuons les évaluations préalables et procédons aux recalages. Les choses sont moins simples pour la passation des contrats, le rôle de la mission PPP ayant été moins clairement défini sur ce point dans son arrêté de création. Notre intervention est plus difficile à faire admettre mais nous nous attachons à la promouvoir. Reste, je l’ai dit, à prévoir un retour d’information pendant l’exécution des contrats.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Monsieur l’ingénieur général, nous vous remercions. Nous serons attentifs aux différents points que vous avez soulevés.