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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Les externalisations dans le domaine de la défense

Mercredi 27 avril 2011

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur

– Audition de M. Philippe Jost, directeur des Plans, des programmes et du budget à la direction générale de l’Armement (DGA), sur les externalisations dans le domaine de la défense

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Je suis heureux d’accueillir M. Philippe Jost, directeur des Plans, des programmes et du budget à la direction générale de l’Armement (DGA). La Mission vous a auditionné il y a environ un an, monsieur le directeur, sur les recettes budgétaires exceptionnelles de la Défense. Nous souhaitons aujourd’hui vous entendre spécifiquement sur les questions d’externalisation qui intéressent directement la DGA, à savoir sur les programmes Nectar de cession d’usufruit de satellites de télécommunications et des ravitailleurs en vol dits MRTT (Multi Role Tanker Transport).

M. Philippe Jost, directeur Plans, programmes, budget à la direction générale de l’armement (DGA). Nous avions en effet déjà évoqué ensemble le programme Nectar l’an dernier. Depuis, nous avons franchi une étape importante et attendue puisque la procédure a été lancée avec l’émission du cahier des charges de la consultation, en novembre dernier. Ce fut l’aboutissement d’un long processus au cours duquel ont été réunies l’ensemble des conditions législatives et juridiques nécessaires cependant que le ministère du Budget procédait à une instruction approfondie, au terme de laquelle il rendait son avis, à l’été 2010. Ce calendrier devrait permettre de notifier l’opération à la fin de 2011, dès lors qu’elle serait jugée économiquement satisfaisante pour l’État.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Le cahier des charges mentionne-t-il expressément cette dernière exigence ?

M. Philippe Jost. Oui. En accord avec l’ensemble des parties prenantes, y compris le ministère du Budget, nous sommes convenus que cette opération n’a vocation à être réalisée que si son intérêt économique pour l’État est établi. Le cahier des charges prévoit donc expressément que le solde net des entrées et des sorties financières, en valeur actualisée, doit être plus avantageux pour l’État que le maintien du statu quo. Il précise même les modalités selon lesquelles cet intérêt économique sera évalué.

Cela étant, je dois préciser que les industriels ont demandé à différer la formulation de leurs offres. Un délai supplémentaire d’un mois leur a été accordé, de sorte que ces offres n’ont été remises qu’en mars – le mois dernier. Elles sont en cours de dépouillement. Conformément aux pratiques habituelles de la DGA dans le cadre des consultations concurrentielles, une équipe ad hoc se consacre à ce travail, en liaison notamment avec des experts de la direction interarmées des Réseaux d’infrastructures et des systèmes d’information (DIRISI) auxquels seront associés incessamment des membres de la direction des Affaires financières (DAF) du ministère de la Défense. En raison de ce cloisonnement, je puis seulement vous donner des indications sur le calendrier actualisé des opérations, ainsi, bien sûr, que sur tout ce qui a été fait précédemment.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Lorsque nous vous avons entendu, l’an passé, nous nous étions demandés si la DGA était responsable du retard de l’émission du cahier des charges ou si ce délai s’expliquait par des contraintes juridiques. Le temps qui s’est écoulé depuis vous a-t-il permis de lever toutes les incertitudes à ce dernier égard ?

D’autre part, quelles sont les incidences financières de ce décalage d’un an, dans la mesure où il réduit la durée de vie résiduelle des satellites sur laquelle les industriels pourront tabler ?

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Le calcul de la valeur actualisée nette des entrées et des sorties financières portera-t-il seulement sur la cession de l’usufruit et sur la redevance due pour la location des fréquences et des canaux, ou inclura-t-il également le volet « services » ? En d’autres termes, envisagez-vous d’abandonner éventuellement ce dernier élément ?

M. Philippe Jost. Nous avons exploré tous les tenants et aboutissants juridiques de cette opération relativement innovante. Ce processus, assez long comme je l’ai dit, s’est achevé au début de l’été de 2010, les mois de juillet à septembre étant ensuite consacrés aux discussions avec le ministère du Budget sur le contenu du cahier des charges – elles ont porté en particulier sur le partage des risques entre le titulaire éventuel de l’opération et l’État, ainsi que sur le périmètre de ladite opération et, donc, sur la prise en compte ou non des services.

Dans ce cadre, nous avons également évoqué d’autres problèmes importants, comme celui d’une possible exonération de la TVA versée au titre du contrat de services qui nous lierait à l’opérateur. Si, en la matière, une disposition de type législatif ou réglementaire paraît difficilement envisageable, il semble possible en revanche de préserver les intérêts du ministère de la Défense grâce à une compensation annuelle, inscrite en construction budgétaire.

Les satellites sont techniquement en très bon état et nous avons de bonnes raisons de penser qu’ils pourront fonctionner jusqu’en 2018 ou 2019, voire un peu au-delà. En revanche, nous ne sommes pas capables de mesurer l’incidence financière, pour l’État, d’un retard de quelques mois. Certes, la valeur de cession de l’usufruit est a priori dépendante de la durée de vie résiduelle des satellites, la réduction de celle-ci pouvant amoindrir le profit que l’opérateur tirera de la revente à des tiers d’un pourcentage de la capacité d’émission, mais cette réduction entraînera aussi une diminution du loyer que nous aurons à payer… En l’état cependant, nous sommes incapables de préciser comment se fera la balance. Peut-être au cours du dialogue compétitif, après le deuxième ou le troisième « tour de piste », quand nous aurons évalué plus finement les réponses des industriels, pourrons-nous calculer la fonction mesurant la corrélation entre durée de vie résiduelle des satellites et intérêt économique de l’État ou perception d’une recette extrabudgétaire.

Le calcul de la valeur actualisée nette intègre complètement le volet « services ». En mettant au point le cahier des charges, nous avons considéré que l’externalisation des services – de l’exploitation et de la mise en œuvre des capacités de transmission restant utilisées par l’État – conforterait l’équilibre économique d’une opération qui, de la sorte, comporterait une part plus réduite de lease-back, ou cession-bail. Ce calcul prend donc en compte les redevances qui seront payées à l’opérateur, ainsi que les économies que nous réaliserons en supprimant environ soixante-dix emplois à la DIRISI.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Les industriels que nous venons d’auditionner se disent prêts à récupérer ces compétences en mettant à profit les dispositions réglementaires et législatives récentes qui autorisent le ministère de la Défense à les mettre à leur disposition. Le ministère devrait alors payer la différence entre le salaire qu’il versait à ces employés et celui que les entreprises verseront : dans ces conditions, peut-on effectivement parler de soixante-dix suppressions d’emplois ?

Je reconnais que l’adoption d’une disposition législative exonérant l’opération de la TVA est difficilement praticable, d’autant qu’elle risque de rouvrir le débat sur l’opportunité d’externaliser la gestion de satellites de communications. Mais, sous tous les gouvernements, les compensations promises par Bercy au ministère de la Défense ont toujours eu un caractère aléatoire : on les attend comme on attend Godot ! Ne craignez-vous pas de compromettre l’équilibre de l’opération en vous en remettant à cette solution ?

Enfin, l’État est son propre assureur et cela vaut pour les satellites de communications qu’il possède. L’industriel choisi pour l’externalisation devra, lui, s’adresser à un tiers pour couvrir ses risques. Allez-vous compenser cette dépense et, si oui, dans quelle mesure cela ne va-t-il pas affecter aussi vos calculs ?

M. Philippe Jost. Nous n’avons pas voulu imposer dans le cahier des charges la reprise, par les industriels, des personnels de la DIRISI actuellement chargés de ces opérations. Outre qu’ils ont un statut militaire, ils disposent de compétences pointues dans le domaine des télécommunications que le ministère de la Défense saura réemployer. De surcroît, je ne suis pas certain que les industriels souhaitent qu’il en aille autrement, même si l’on ne peut exclure qu’ils en « démarchent » quelques-uns. Je ne crois pas donc pas qu’au moins dans le cas particulier de Nectar, on s’oriente vers une mise à disposition, par l’État, de tout ou partie de ces soixante-dix emplois.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Soit, mais qu’adviendra-t-il, en cas de « manœuvre Ressources humaines » (RH) un peu complexe, si un de ces employés demande à bénéficier d’une mise à disposition ?

M. Philippe Jost. Je suppose que l’on examinera ce cas à la fois en fonction de l’intérêt de cette personne et en fonction de celui du ministère de la Défense. La mise à disposition avec versement d’un complément de salaire a du sens, me semble-t-il, lorsque la compétence ou l’activité de l’intéressé rendent difficile pour l’État de le réaffecter, mais il s’agit ici de compétences que nous pouvons réemployer. Je ne crois pas que les demandes soient très nombreuses et, dès lors, elles pourront être traitées comme le sont les flux de « départs inopinés » auxquels nous avons constamment à faire face dans le domaine des télécommunications : ces spécialistes n’ont aucun mal à trouver un emploi dans l’industrie sans passer par une mise à disposition.

M. Bernard Cazeneuve, rapporteur. Il n’empêche que, si le problème se posait, cela remettrait en cause votre prévision d’une économie de soixante-dix emplois.

M. Philippe Jost. Il me semble peu probable qu’un industriel sollicite le bénéfice des mises à disposition alors qu’il ne s’agirait que de cas particuliers et de départs spontanés, d’autant que rien dans le cahier des charges n’est de nature à appuyer une telle demande. Quoi qu’il en soit, nous pourrons revenir plus précisément sur ce point quand nous aurons fini d’exploiter les réponses.

S’agissant de la TVA, je ne vous cacherai pas qu’une exonération par voie législative me semblerait personnellement, dans l’absolu, préférable à une compensation. Il ne semble pas toutefois que tel soit le scénario retenu car la gestion législative de l’ensemble des partenariats public-privé (PPP) mettant en jeu l’État poserait sans doute des problèmes délicats. Nous ferons donc probablement avec une compensation en construction budgétaire. Par exemple, pour un loyer annuel de 40 à 60 millions d’euros hors taxes, la TVA serait comprise entre 10 et 15 millions d’euros. Or, nous savons fort bien que, dans le cadre de leurs négociations budgétaires, les ministères de la Défense et du Budget discutent de sommes largement supérieures. Si nous disons qu’in fine le ministère de la Défense bénéficiera d’un tel montant, c’est d’une façon un peu conventionnelle.

Le transfert de risques et, donc, la question des assurances ont fait l’objet d’une attention d’autant plus soutenue que la cession de l’usufruit aura lieu en cours de vie des satellites, à la différence de ce qui s’est passé en Grande-Bretagne. Nous n’avons donc pas considéré qu’il était raisonnable, hors erreur démontrable de l’entreprise, de transférer à celle-ci le risque de perte inopinée du satellite, en raison d’une panne ou d’une destruction. L’industriel devra donc s’assurer à raison des risques dont il serait responsable, l’État continuant quant à lui d’assumer ceux qu’il a pris lorsqu’il a décidé du lancement des constellations dans un cadre patrimonial.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Confirmez-vous le montant du programme Nectar dont vous avez fait état l’année dernière ?

M. Philippe Jost. Oui, nous escomptons toujours une recette extrabudgétaire de l’ordre de 400 millions d’euros et le cahier des charges le mentionne expressément. Les offres seront évaluées en fonction de cet élément – ainsi que de leur rentabilité économique pour l’État.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Vous faites état d’une dépense de TVA de l’ordre de 10 millions par an, mais le versement de la recette étant prévu en une fois, cette taxe devrait porter sur la totalité des 400 millions…

M. Philippe Jost. Cette recette extrabudgétaire n’est pas soumise à la TVA. Celle-ci s’appliquera au loyer, année par année, pendant toute la durée de l’opération.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Nous pourrions maintenant en venir au projet de renouvellement de la flotte des ravitailleurs en vol, dit MRTT, c’est-à-dire Multi-Role Tanker Transport, avion polyvalent de ravitaillement en vol et de transport.

M. Philippe Jost. Dans le cadre de l’élaboration du budget triennal 2011-2013, le ministère de la Défense a été amené à prendre des mesures d’ajustement physique de plusieurs opérations d’armement. Les paiements ayant été réduits d’environ deux milliards, le programme MRTT a, pour sa part, été décalé de deux ans, la première livraison étant maintenant prévue en 2017. Nous bénéficions donc d’un délai supplémentaire pour choisir entre l’acquisition patrimoniale ou le partenariat public-privé.

Dans ce contexte, j’évoquerai trois développements récents.

Tout d’abord, la situation économique générale : le renchérissement du loyer de l’argent et l’augmentation de l’aversion au risque ne vont pas dans un sens favorable au PPP, même si cette option reste, je le répète, à l’étude.

Ensuite, le choix américain. Dans l’option patrimoniale notamment, nous ne pouvons plus compter sur les retombées des acquisitions américaines. Celles-ci auraient pu assurer des conditions financières d’autant plus favorables qu’EADS avait envisagé de mettre en place une production directe de ces avions ravitailleurs. N’ayant pas enlevé le marché américain, l’industriel va se trouver contraint, avec une production limitée à quelques dizaines d’avions, de transformer des A330 standards.

Enfin, le retour d’expérience des Britanniques. Le temps passant, ceux-ci perçoivent des inconvénients liés à l’application des contrats FSTA (Future strategic tanker aircarft), d’acquisition de services. J’en citerai deux.

D’une part, afin de sécuriser économiquement cette opération, les Britanniques ont dû convenir d’un minimum d’heures ou de redevances à verser au consortium mais, en raison de leur situation financière actuelle, les voici maintenant contraints d’examiner des scénarios capacitaires inférieurs aux planchers prévus, alors même qu’ils sont liés pour vingt ou trente ans par les contrats de services. Nous avons, quant à nous, identifié depuis quelque temps le risque d’une telle formule, ainsi que la nécessité de ménager la flexibilité indispensable sur de telles durées – nous sommes habitués, dans le domaine de la défense, aux visions de long terme, mais aussi à leurs ajustements quand c’est nécessaire ! Ainsi, alors que nous avons des projets d’acquisition de services assez avancés en ce qui concerne les bâtiments de soutien hauturiers, nous prévoyons une marge de flexibilité sur le nombre d’heures de mer qui seront nécessaires à échéance de dix ou quinze ans… La situation est encore plus délicate à gérer en ce qui concerne les MRTT ou les FSTA. Les Britanniques sont donc à la recherche de clients afin que l’industriel puisse vendre les heures dont il dispose. Nous examinons leurs offres, encore faudrait-il que leurs prix soient satisfaisants.

D’autre part, à l’issue des opérations que nous menons, les retours d’expérience conduisent en permanence à procéder à des modifications mineures de nos équipements – ainsi sur le Rafale ou le Félin. Si nous connaissons moins de ces « urgences opérations » que les Britanniques, qui y ont consacré jusqu’à environ 800 millions d’euros en un an, leur montant atteint tout de même 100 à 200 millions d’euros annuels. Même si nous devons nous réjouir que cette dépense ne soit pas si élevée que celle de nos voisins, il reste qu’il faut se réserver la possibilité d’effectuer ces aménagements. Or, alors que les Britanniques commencent à considérer qu’une évolution du FSTA serait nécessaire, ils se heurtent à la complexité des contrats de PPP, dont la révision s’apparenterait à l’ouverture de la boîte de Pandore ! Dans un cadre patrimonial, ils seraient sans doute mieux à même de s’adapter à leurs nouveaux besoins…

Cette expérience britannique, ajoutée à l’absence de revenu tiers avéré et à un contexte économique peu favorable aux PPP, contribue à assombrir le tableau. Cela étant, aucune décision n’est prise à ce jour. L’instruction se poursuit en vue de rassembler d’ici à 2012 l’ensemble des éléments techniques et économiques permettant de trancher la question.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Dans vos analyses du calendrier et du montage souhaitables pour satisfaire ce besoin capacitaire, prenez-vous en compte le coût du maintien en condition opérationnelle de nos vieux ravitailleurs, à bout de souffle ?

M. Philippe Jost. Quand nous avons décalé de deux ans la réalisation du programme MRTT, nous avons pris un certain nombre de mesures pour accroître la durée de vie des KC-135, les ravitailleurs actuels. Sur la durée considérée, elles sont moins coûteuses que le programme MRTT, mais elles ne peuvent évidemment pas être prolongées à l’infini.

La comparaison des options patrimoniale et PPP porte bien sur le coût global de la possession de la capacité : nous ne nous limitons pas au cadre du programme n° 146 Équipement des forces, pour reprendre la nomenclature budgétaire du budget du ministère, mais nous incluons dans le calcul le coût des personnels chargés de la maintenance et de l’utilisation de ces vieux appareils, ainsi que celui de leur maintien en condition opérationnelle.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Je vous remercie.