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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

Jeudi 5 mai 2011

Séance de 8 heures 30

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Olivier Carré, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Éric Garandeau, président du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), accompagné de Mme Audrey Azoulay, directrice générale déléguée, et de M. Olivier Guillemot, directeur des affaires financières et juridiques, sur le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

M. Olivier Carré, Président. La Mission d’évaluation et de contrôle commence un nouveau cycle de travaux concernant le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées, et c’est à ce titre que nous accueillons les représentants du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC).

Le rapport de nos travaux sera établi par trois rapporteurs : M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur spécial sur les programmes Création ; Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ; M. Nicolas Perruchot, Rapporteur spécial pour les Patrimoines, qui, empêché, vous prie d’excuser son absence ; M. Marcel Rogemont, vice-président de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation. Nous sommes accompagnés ce matin par deux magistrats de la Cour des comptes : M. Emmanuel Marcovitch, conseiller référendaire, et M. Antoine Mory, auditeur.

L’état actuel de nos finances publiques nous impose d’appréhender parfaitement l’ensemble des dépenses de l’État. Or, des interrogations subsistent sur l’exacte adéquation entre les ressources affectées aux organismes, nombreux dans le domaine culturel, et leurs différentes utilisations. Nous vous entendrons donc avec intérêt.

M. Éric Garandeau, président du Centre national de la cinématographie. Je préside le CNC depuis quatre mois, mais j’y ai occupé différentes fonctions pendant de nombreuses années. Le Centre assure six missions qu’il entend mener dans la plus grande transparence.

Le détail de ces missions est désormais fixé à l’article L. 111-2 du code du cinéma et de l’image animée :

– une mission générale de veille de l’évolution des professions et activités du cinéma et des autres arts et industries de l’image animée, leur environnement technique, juridique, économique et social ainsi que les conditions de formation et d’accès aux métiers concernés ;

– le soutien, dans l’intérêt général, du financement et du développement du cinéma et des autres arts et industries de l’image animée pour en faciliter l’adaptation à l’évolution des marchés et des technologies ;

– l’administration des registres du cinéma et de l’audiovisuel et, dans ce cadre, la centralisation et la communication aux titulaires de droits tous renseignements relatifs aux recettes d’exploitation des œuvres cinématographiques et audiovisuelles ;

– la collection, la conservation, la restauration et la valorisation du patrimoine cinématographique. À ce titre, le Centre exerce notamment les missions relatives au dépôt légal ;

– la participation à la lutte contre la contrefaçon des œuvres cinématographiques et audiovisuelles et des œuvres multimédia ;

– enfin, une mission de contrôle des recettes d’exploitation des œuvres et documents cinématographiques ou audiovisuels réalisées par les exploitants d’établissements de spectacles cinématographiques et par les éditeurs de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public pour en informer les ayants droit.

Le CNC est d’ailleurs devenu une institution de référence en matière de publication de données économiques et financières ; cette mission, qui s’est renforcée au fil du temps, est désormais assurée par notre direction des études, des statistiques et de la prospective. Par ailleurs, l’article L. 114-2 du code du cinéma et de l’image animée oblige le CNC à adresser au Parlement, en même temps que le projet de loi de finances de l'année, un rapport annuel rendant compte du rendement et de l’emploi prévisionnels des taxes, prélèvements et autres produits qu’il perçoit. Enfin, le CNC est doté depuis peu d’un conseil d’administration qui s’est réuni une première fois à la fin de l’année 2010, puis le 7 avril dernier ; sous peu, ce conseil d’administration comprendra, vous le savez, deux membres du Parlement.

Le CNC a été fondé en 1946, mais un rapport de l’Inspection générale des finances avait préconisé sa création dès 1936. Partant du constat que le cinéma, invention française - celle des frères Lumière, de Méliès, d’Émile Reynaud et d’Émile Cohl - et qui avait inondé le monde, en particulier les États-Unis, avant la première guerre mondiale, avait disparu des écrans, la volonté s’exprimait de ressusciter ce qui était un art mais aussi une industrie nationale. D’emblée, le CNC s’est vu affecter une taxe assise sur le prix des billets d'entrée dans les salles de cinéma, la taxe spéciale additionnelle, dite TSA. Au fil du temps, la règle selon laquelle tout diffuseur d’images animées doit contribuer à la création des images a été confirmée.

La France est l’un des cinq premiers pays du monde pour la production cinématographique et le nombre de salles de cinéma. En termes d’influence, il se situe dans le trio de tête, ce qui est remarquable pour un pays d’un peu plus de 60 millions d’habitants, surtout si on le compare aux États-Unis, dont la puissance économique et industrielle est très supérieure, ou encore à l’Inde ou à la Chine, dont le marché intérieur est beaucoup plus important et qui mènent des politiques de plus en plus ambitieuses. Si nous voulons tenir notre rang, le mécanisme de prélèvement de recettes sur la distribution d’images - étendu aux chaînes de télévision dans les années 1980, puis au marché de la vidéo, de la vidéo à la demande (VOD) et enfin à celui de l’Internet - doit absolument perdurer. Les bilans qualitatifs relatifs au cinéma français, à notre politique audiovisuelle et au marché des jeux vidéo montrent que la France reste une puissance artistique et technique de premier plan dans toutes les industries de l’image.

Voilà, rapidement brossé, comment se caractérisent notre activité et notre organisation. J’ajoute que, bien qu’autonome, le CNC conserve un lien très fort avec les pouvoirs exécutif et législatif : établissement public à caractère administratif mais aussi direction d’administration centrale, le CNC a en effet une double mission de soutien financier et de réglementation.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. À quelles dates les taxes successives ont-elles été affectées au CNC ?

M. Éric Garandeau. La taxe spéciale additionnelle a été instaurée en 1948, la taxe sur les services de télévision en 1984, puis étendue en 2007 aux distributeurs Internet et celle sur les vidéogrammes en 1993 avant d’être étendue à la VàD – ou VOD – en 2004.

M. Olivier Carré, Président. Quelles sont les parts de TVA et de taxe affectée dans le prix d’un billet de cinéma ?

M. Éric Garandeau. La TSA représente 10,72 % du prix d’un billet, dont le produit est soumis à la TVA au taux réduit de 5,5 %. Les secteurs de la vidéo et la VàD sont soumis à une taxe de 2 % hors TVA.

Mme Audrey Azoulay, directrice générale déléguée du CNC. La taxe a été fixée à 2 % parce que le secteur de la vidéo est soumis à la TVA au taux plein.

M. le président Olivier Carré. Quelle est la part de la TSA dans les recettes du CNC ?

M. Éric Garandeau. Elle devrait approcher 128 millions d’euros en 2011.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. L’année dernière, la taxe affectée au CNC lui a tant rapporté que le Sénat s’en est ému. Qu’en est-il ?

M. Éric Garandeau. Nous percevons 750 millions d’euros au titre de l’ensemble des taxes affectées. Ce sont nos uniques ressources, puisque le CNC ne reçoit plus de dotation budgétaire.

M. Olivier Carré, Président. Quelle part et quel montant représente chacune des trois taxes dans ce volume global et comment cette distribution est-elle susceptible d’évoluer ?

Mme Audrey Azoulay. L’amplitude de la TSA varie, faiblement, en fonction de nos anticipations du volume et du prix du billet ; elle représentait 121 millions d’euros dans le budget prévisionnel pour 2010 et 127 millions dans celui de 2011.

La taxe sur les services de télévision (TST) a deux composantes. La première est prélevée sur les chaînes de télévision qui ne sont pas financées par abonnement. Cette composante « éditeurs » n’a pas pour assiette l’intégralité du chiffre d’affaires des chaînes mais, pour l’essentiel, la publicité et la contribution à l’audiovisuel public – ex-redevance –ainsi que, de manière annexe, d’autres éléments tels que les recettes que ces chaînes tirent des SMS surtaxés. La contribution à l’audiovisuel public est prévisible ; le volume de la taxe sur la publicité dépend évidemment de l’évolution du marché. Je parle là des chaînes gratuites, au nombre desquelles les chaînes de la TNT ; toutes sont soumises à une taxe de 5,5 %, qui s’applique au-delà d’une franchise.

La deuxième composante de la taxe sur les services de télévision est prélevée sur les distributeurs de chaînes de télévision : CanalSat, Canal+, le câble, Orange, et maintenant tous les fournisseurs d’accès à Internet qui vendent l’accès aux chaînes de télévision par abonnement, généralement dans le cadre d’une offre triple play. C’est la loi de 2007, relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, qui a étendu la taxe aux offres triple play.

M. Olivier Carré, Président. Lors du débat relatif à l’augmentation de la TVA sur les abonnements triple play, le Parlement et le Gouvernement ont eu le plus grand mal à obtenir des fournisseurs d’accès qu’ils différencient les trois segments de leurs offres et qu’ils indiquent précisément la part de leur chiffre d’affaires liée à la télévision. Dans ce contexte, comment réussit-on à asseoir la taxe sur les services de télévision affectée au CNC ?

M. Éric Garandeau. Avant la loi de 2007, un rescrit permettait déjà aux fournisseurs d’accès de négocier avec l’administration fiscale la part qu’ils estimaient être celle de l’offre de télévision dans l’offre global du triple play. Puis, étant donné la difficulté éprouvée pour mesurer la part précise de télévision dans l’offre, la loi l’a fixée à 50 % ; ensuite a eu lieu l’ajustement récent du régime de TVA que l’on sait. Ce dont on est sûr, c’est que la part d’images animées dans les flux transportés par Internet ne cesse de croître ; déjà estimée à 40 %, la proportion passerait à 70 % au moins d’ici cinq ans.

M. Olivier Carré, Président. Pour vous, rien ne distingue YouTube de TF1 ?

M. Éric Garandeau. La distinction existe sur le plan juridique puisque TF1 propose un service de télévision et YouTube un simple canal de diffusion permettant à qui le souhaite de diffuser des séquences d’images animées. Mais, de plus en plus, YouTube comme Dailymotion et les autres sites de ce type, offrent des services d’éditorialisation du contenu, ce qui les apparente à des chaînes de télévision. Mais le principe de neutralité fiscale quels que soient les acteurs et le fait que le réinvestissement des ressources collectées dans des programmes d’images animées a montré son efficacité plaident fortement en faveur de l’extension engagée des interventions du CNC. Le récent décret dit « web COSIP » qui nous permet de contribuer au financement de programmes destinés à être diffusés exclusivement ou partiellement sur les réseaux de communication Internet fixes et mobiles va en ce sens.

M. Olivier Carré, Président. Pouvez-vous nous indiquer plus précisément ce que les différentes taxes affectées rapportent au CNC ?

Mme Audrey Azoulay. Le budget prévisionnel pour 2011 prévoit que la taxe sur les services de télévision, ou TST, dans sa composante principale, dite « éditeurs », rapporte 316 millions d’euros, après 296 millions en exécution 2010. Cette taxe correspond à 5,5 % du chiffre d’affaires au-delà d’une franchise de 11 millions d’euros après abattement de 4 %. Je précise que la loi prévoit des déclarations par chaîne. D’autre part, le produit de la part de taxe acquittée par les distributeurs a connu une forte augmentation l’année dernière, avec 277 millions d’euros en exécution ; la prévision est de 267 millions d’euros dans le budget prévisionnel 2011. Cette taxe est assise sur le produit des abonnements à des services de télévision, selon un barème progressif de 0,5 à 4,5 % du chiffre d’affaires au-delà d’une franchise de 11 millions d’euros.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Quel est le poids du CNC dans l’économie du secteur ? Quelle est la proportion d’œuvres aidées rapportée aux aides demandées ? En somme, quel est le taux de satisfaction des demandes d’aide ?

M. Éric Garandeau. Nos interventions prennent la forme d’un soutien automatique et de soutiens sélectifs. Le premier est destiné à accompagner le développement économique et à récompenser le succès de certains films, les seconds sont décidés après avis d’une commission composée de professionnels du cinéma en fonction de la qualité artistique des projets. Dans notre budget 2011, les aides automatiques représentent environ 53 % de celui-ci et les aides sélectives 47 %, soit 32 % pour les soutiens sélectifs « classiques » et 15 % pour les soutiens liés au plan numérique.

Le soutien automatique permet de financer 6 % d’un film ; peuvent s’y ajouter 2,7 % d’aide sélective. La contribution du CNC au financement d’un film peut donc aller jusqu’à près de 9 %. Peuvent s’y agréger 2 % supplémentaires d’aides régionales.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Au regard des moyens que la France consacre à l’aide à son cinéma, comment expliquez-vous que la part des films français dans les salles soit passée de 41 % à 35 % en une dizaine d’années ?

M. Éric Garandeau. La part de marché des films français en France varie. Elle était de 35 % en 2010 en raison du considérable succès du film américain Avatar, mais elle atteint 45 % pour les quatre premiers mois de l’année 2011. Les films à grand spectacle, américains ou français, font bondir les chiffres de la fréquentation des salles : un film peut enregistrer à lui seul 20 millions de spectateurs, comme ce fut le cas pour Bienvenue chez les Ch’tis, qui a fait exploser la part de marché des films français.

La part de marché du film français est importante, surtout si on la compare à la part de marché des productions locales dans les autres pays, en particulier chez nos voisins d’Europe occidentale. La France est l’un des rares pays du monde où les films « nationaux » bénéficient d’une part de marché aussi forte, si l’on excepte l’Inde et la Turquie, qui sont des marchés spécifiques. Ainsi, en 2009, la part de marché du film national était de 23 % en Italie, 27 % en Allemagne et 16,5 % au Royaume-Uni.

La solide part de marché des films français en France assoit la politique menée et les moyens investis. Par ailleurs il est intéressant de noter que les spectateurs de films français sont aussi nombreux à l’étranger qu’en France - environ 75 millions dans les deux cas. Cette situation atypique montre que les films français, qui s’exportent assez bien - et avec eux la culture française - réunissent une assez forte fréquentation. Nous en tenons compte dans nos mécanismes de soutien.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Le CNC a-t-il des homologues dans des pays comparables à la France ? Comment s’organise, hors de nos frontières, le soutien au cinéma ?

M. Éric Garandeau. La France est le pays qui dispose de l’outil de soutien au secteur artistique et industriel le plus développé, et notre mécanisme a été largement exporté. Chaque année, pendant le Festival de Cannes, des délégations étrangères souhaitent nous rencontrer pour s’en inspirer. Au Royaume-Uni, le British Film Institute, organisme public, vient de remplacer le UK Film Council. L’Espagne s’est dotée d’un Institut de la cinématographie, l’ICAA ; en Allemagne, pays très décentralisé, le FFA, structure fédérale, ajoute ses aides à celle qu’apportent les länder. Il existe également l’équivalent du CNC en Autriche, en Pologne et en Finlande, au Canada avec l’Office national du film ainsi qu’au Québec, et en Australie avec Screen Australia. Aucun de ces organismes n’a la même palette d’interventions que celle du CNC mais l’on retrouve un grand nombre d’interventions semblables aux nôtres : soutiens automatiques ou sélectifs, taxes sur la billetterie des salles de cinéma…

M. Olivier Carré, Président. Il me semble qu’aux États-Unis, le soutien n’est pas national mais coopératif : la profession elle-même a mis en place un fonds de redistribution.

Mme Audrey Azoulay. Les conditions de marché aux États-Unis sont très différentes de ce qu’elles sont pour le cinéma en France, et beaucoup est fait par la Motion Picture Association, organisation professionnelle. À la différence de ce que l’on constate dans les autres pays, le soutien au cinéma opéré en France par le CNC concerne l’ensemble de la filière, avec un très fort soutien aux salles. Il en résulte que notre réseau de salles est le plus dense et parmi les plus modernes d’Europe, et que la répartition des salles sur le territoire est la plus équilibrée.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Envisage-t-on l’unification des systèmes d’aide et des coproductions européennes ou en restera-t-on au niveau national ?

M. Éric Garandeau. Le projet européen est construit sur le principe de l’harmonisation des règles dans tous les domaines afin de faciliter la circulation des biens et des services. Mais ce principe ne vaut pas pour le marché culturel, la diversité des expressions culturelles et artistiques suscitant les échanges. Il serait catastrophique d’entraver, au nom de l’harmonisation, le soutien de leurs productions nationales et régionales par les pays européens ; on ferait le lit des productions formatées déjà amorties sur leur marché national, à savoir les productions américaines et, demain, chinoises et indiennes.

La France est depuis longtemps convaincue de la nécessité pour chaque État de préserver la diversité culturelle, une conviction que traduit une convention de l’UNESCO. Cela suppose que chaque État se dote d’un établissement tel que le CNC, organisé et financé comme il l’entend. L’important est que chaque pays puisse soutenir sa production nationale, afin qu’émerge un marché européen de la culture : on pourra alors voir davantage de films allemands, espagnols et italiens dans les salles françaises et de films français à l’étranger.

Nous avons le sentiment que la France résiste fortement car elle a réussi à adapter son modèle au XXIème siècle pour répondre à l’enjeu de la révolution numérique. Nos ressources nous permettent d’investir fortement dans le numérique, les salles de cinéma, les contenus, les réseaux, les services pour conforter la position de leader de la France en Europe. Mais certains de nos partenaires européens se trouvent dans une situation plus difficile, et cela n’est pas dans notre intérêt. En matière culturelle, la Commission européenne a changé sa manière de voir en constatant que nous tenions tous le même langage, à savoir que l’union fait la force et que les Anglais, les Allemands, les Espagnols et les Français ne considèrent pas leurs voisins comme des concurrents mais comme des partenaires susceptibles d’apporter ensemble à l’Europe une plus-value économique et culturelle. Il est très important que les organismes publics du cinéma européen, les EFAD, se coalisent pour faire valoir à la Commission européenne qu’il s’agit de renforcer la vitalité du secteur en Europe. Leurs représentants se réuniront à Cannes la semaine prochaine.

M. Olivier Carré, Président. Soit, mais que l’industrie cinématographique des États-Unis ne reçoive pour ainsi dire pas d’aides publiques ne l’empêche pas d’avoir une position dominante dans le monde. En France, l’aide publique au cinéma est financée par des prélèvements non négligeables qui pèsent sur les consommateurs. Quelle est l’efficacité de l’action du CNC au regard des taxes collectées ? Je perçois toute l’importance du volet culturel, mais mon interrogation porte sur la justification économique du mécanisme actuel.

M. Éric Garandeau. Le CNC finance, selon les cas, de 6 à 9 % d’une production cinématographique ; c’est une part significative, mais on est loin d’une économie administrée… S’agissant de la distribution de films, les aides du CNC, en 2010, ont représenté 7,3 % des encaissements des distributeurs, sur la base de 470 millions d’euros. La même année, la part de financement du CNC pour les programmes audiovisuels s’élevait à 14,9 %, soit 203,8 millions d’euros, sur un total d’environ 1,365 milliard ; en 2009, sa part de financement pour l’édition vidéo et la VOD représentait 1,3 %, soit 11,3 millions d’euros sur un chiffre d’affaires de 855 millions. Les aides du CNC peuvent paraître élevées, mais c’est que l’économie du cinéma et de l’audiovisuel est elle-même très importante. Et si nos aides contribuent pour 24 % à l’effort de numérisation des salles, on ne peut davantage dire qu’il s’agit d’une économie collectiviste…

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Avez-vous un moyen de mesurer l’impact des soutiens que vous accordez sur la fréquentation des salles ?

M. Éric Garandeau. Bien sûr. La donnée la plus spectaculaire concerne la part de marché du cinéma national dans les salles de France, supérieure à ce que l’on peut observer dans tous les autres pays, exception faite des États-Unis et de l’Inde. Tout aussi remarquable est la fréquentation des salles de cinéma : après une baisse continue, nous sommes revenus au record enregistré en 1967, avec 206,7 millions de spectateurs en 2010.

M. Olivier Carré, Président. Je ne conteste pas que les différents acteurs aient tout fait pour relancer l’activité, et je ne contesterai pas non plus la relative vitalité des salles d’Art et d’essai, à laquelle le CNC n’est certainement pas étranger, mais cette situation favorable s’explique aussi par les qualités propres de l’opérateur dominant, le groupe Gaumont-Pathé.

M. Éric Garandeau. La filière cinématographique française est une sorte d’écosystème ; en son centre est le CNC, qui l’irrigue. Dans cet écosystème, des acteurs importants ont toute leur place, mais ils sont aidés eux aussi : 53 % du budget du CNC est consacré au soutien automatique, qui leur bénéficie également - mais pas à eux seulement, car nous avons aussi pour mission de soutenir les productions indépendantes. Aujourd’hui, le CNC consacre une grande partie de ses ressources à l’aide à la numérisation des salles et des œuvres, domaine dans lequel la France est en avance sur les autres pays européens. Nous pouvons conforter cette avance avec les moyens dont nous disposons mais, sans eux, il est manifeste que notre pays perdra cette bataille cruciale.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Le CNC n’est pas l’unique organisateur du marché du cinéma – Canal + et France Télévisions, en particulier, étant tenues à des obligations de financement de productions pour des montants plus élevés que ceux apportés par le CNC. On ne peut donc attribuer au seul CNC la vigueur du cinéma français, mais l’on peut dire qu’il concourt, avec les chaînes, à la bonne santé des acteurs de la filière cinématographique française – c’est grâce à la structure existante que des groupes comme Pathé se portent bien.

Dans un autre domaine, le ministre de la Culture avait annoncé que 125 millions d’euros seraient consacrés à la numérisation des salles – mais d’où provient cette somme ? À combien s’établit la participation du CNC ? Quel est l’état d’avancement des négociations à ce sujet avec les régions, les départements et les communes à ce sujet ?

M. Olivier Carré, Président. Personne ne conteste que la France compte de bons opérateurs et de bons créateurs. Mais, considérant que le montant du soutien alloué à la création par le CNC est le même que celui d’une des taxes prélevées - non négligeable pour le consommateur -, on peut se demander si le dispositif de redistribution en vigueur est plus efficace que le serait une allocation directe.

Par ailleurs, les frais de gestion du CNC représentent 5,6 % du montant des fonds distribués ; ce taux est-il constant au fil des ans ? À combien s’élèvent les dépenses de personnel ?

Mme Audrey Azoulay. Nos frais de gestion ont augmenté de 0,3 % après que le recouvrement de la TSA et de la taxe sur les services de télévision – jusqu’alors collectée par la direction générale des Finances publiques –, nous a été confié. Toutefois, cette évolution a permis à l’État de réaliser une économie substantielle, de l’ordre de 10 millions d’euros. Le taux de frais de gestion est désormais de 5,6 %, soit 0,6 point d’augmentation après prise en charge des nouvelles missions de recouvrement fiscal de la TSA, depuis 2007, et de la TST, depuis  2010. Par ailleurs, en 2010, année au cours de laquelle les recettes ont été plus fortes qu’escompté dans le budget prévisionnel, le CNC n’a pas prélevé de frais de gestion sur le surplus, s’en tenant à ce qui était prévu au budget.

Notre budget de fonctionnement évolue assez peu, puisque nous sommes soumis depuis deux ans au non remplacement d’un agent sur deux partant à la retraite, ce qui a conduit à la baisse du nombre d’équivalents temps plein.

M. Éric Garandeau. Le CNC compte parmi ses missions la gestion du patrimoine cinématographique. En notre sein, le service des Archives françaises du film gère un million de bobines de films entreposées à Bois d’Arcy et à Saint-Cyr - dont certaines datent des frères Lumière - et celles de la Cinémathèque française.

Cette mission de conservation, de restauration et de valorisation du patrimoine cinématographique mobilise plus de 80 personnes au sein du CNC, dont l’effectif est passé de 467 agents en 2007 à 458 en 2011 ; six emplois devraient nous être reversés du ministère de l’Économie, des finances pour la prise en charge du recouvrement de la taxe sur les services de télévision. Ainsi, alors que nos missions ne cessent d’augmenter, notre effectif est stable. Quant aux dépenses de personnel, elles sont passées de 25,4 millions d’euros en 2007 à 28,1 millions en 2010.

Mme Audrey Azoulay. Cette évolution s’explique par le fait que nos frais de personnel comportent quelques éléments variables, dont l’activité des commissions chargées d’attribuer les aides sélectives, car nous rémunérons, faiblement, une partie des 700 commissaires.

M. Olivier Guillemot, directeur des Affaires financières et juridiques. Ces personnes interviennent en qualité de collaborateurs occasionnels du service public et perçoivent une petite somme forfaitaire par dossier examiné.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Tout en ayant, à titre personnel, une opinion à ce sujet, je pose à nouveau la question posée par le président et restée sans véritable réponse : le CNC a-t-il une utilité réelle pour la filière ?

M. Olivier Carré, Président. En d’autres termes, quelle est l’efficacité du dispositif de prélèvement-redistribution ?

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Le président pourrait aussi vous demander pourquoi, en France, si peu de producteurs font faillite…

M. Éric Garandeau. Tout n’est pas facile pour les producteurs, et il en est qui font faillite…

Je suis bien entendu convaincu de l’utilité du CNC, dont les acteurs du marché, si vous les interrogez, vous parleront mieux que moi. Outre que tout ce qui nous remonte des contributeurs et des bénéficiaires nous est favorable, nous ne cessons de recevoir des délégations étrangères - plusieurs cette semaine encore - venues s’enquérir de notre organisation et de nos missions. Nous sommes étudiés, observés, parfois imités et transposés dans le monde entier, et même si nos homologues ne reprennent pas forcément la palette complète de nos activités, ils pourraient éclairer la MEC sur ce qui suscite dans le monde un intérêt aussi soutenu.

Que le CNC contribue au financement de la numérisation des salles de cinéma n’est pas étranger au fait que la France, avec ses 5 500 salles, est au troisième rang mondial - nous occupions le deuxième rang il y a quelques mois encore ; c’est à présent celui de la Chine, où trois salles s’ouvrent chaque jour. Ce n’est pas non plus un hasard si le taux d’équipement numérique des salles en France est le plus élevé d’Europe. Et, si tout se passe comme nous le souhaitons, nous serons bientôt les premiers au monde pour la numérisation des films, ce qui aura été rendu possible par les ressources allouées à cette fin dans le cadre du grand emprunt et assorties d’un complément du CNC pour les œuvres dont la rentabilité est insuffisante pour que leur numérisation intéresse un opérateur.

En 2011 et 2012, le CNC consacrera à l'équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques 121 millions d’euros – dont 9 millions prendront la forme d’une dotation complémentaire à l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles, l’IFCIC, qui contre-garantit les emprunts concédés par les banques aux exploitants. Ce financement sera concentré sur les plus petites exploitations, soit un millier de salles environ. Notre objectif, ambitieux, est que l’ensemble du parc soit numérisé fin 2012 et, après la catastrophe qui a frappé le Japon, l’interrogation principale est de savoir si les équipementiers seront capables de fournir les matériels dans les délais prévus. Il est préférable que la période de transition soit la plus courte possible car elle est coûteuse : plus longtemps l’ancien et le nouveau systèmes coexisteront, plus longtemps les distributeurs devront continuer de fournir des copies argentiques et les exploitants d’entretenir les projecteurs en 35 mm.

M. Olivier Carré, Président. Numérisation des salles, fort bien, mais si elle a pour finalité la retransmission dans les salles de cinéma françaises d’opéras captés au Metropolitan Opera de New-York, peut-on encore parler de création d’images animées ?

M. Éric Garandeau. Ce débat a beaucoup agité la profession. Nous serons très attentifs à la programmation des salles et nous l’avons fait savoir, car notre objectif n’est évidemment pas de transformer les salles de cinéma françaises en nouvelles salles d’opéra. Toutefois, les captations d’opéra ne sont pas des exercices passifs, ce sont des films à part entière, avec une mise en scène créative. D’autre part, il peut être très intéressant pour les petites salles de cinéma situées en zones rurales d’attirer et de fidéliser les spectateurs par une programmation semblable à celle que proposaient les maisons de la culture. Une synergie est donc possible mais il faut bien sûr laisser suffisamment de place aux 200 à 260 films qui sortent chaque année.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Il faudra effectivement veiller à ce que le dispositif ne soit pas détourné de son objet. Par ailleurs, ne peut-on craindre que la multiplication continue du nombre des chaînes de télévision, qui aura pour effet une répartition plus étalée des recettes publicitaires, n’affaiblisse la principale ressource du CNC ? Comment, selon vous, concilier des règles conçues pour être appliquées dans un cadre national avec la généralisation de la télévision connectée et l’internationalisation croissante des supports ?

M. Éric Garandeau. Le financement futur des contenus préoccupe tous les acteurs de l’audiovisuel, comme l’a montré le colloque consacré à la télévision connectée à Internet que vient d’organiser le CSA.

Au président Olivier Carré qui, observant que les sommes collectées et les sommes redistribuées sont à peu près les mêmes, s’interroge sur la validité du mécanisme en vigueur, je ferai valoir que ce dispositif nous a permis de développer des segments très forts, tels l’animation et le documentaire, qui ont une économie très puissante et un palmarès international impressionnant. Notre point faible est la fiction ; mais, sans le CNC et France Télévisions, la fiction française n’existerait plus, les diffuseurs ayant tout avantage à acheter des produits « sur étagère » qui ont déjà été amortis à l’international.

M. Olivier Carré, Président. Le problème est dans l’organisation des flux.

M. Éric Garandeau. Nous considérons que pour assurer la qualité, il faut des producteurs et des diffuseurs puissants et une logique industrielle.

M. Olivier Carré, Président. Vous êtes des fonctionnaires, à ce titre tenus à la neutralité. Cette particularité a-t-elle des conséquences ?

M. Éric Garandeau. Assurément. Le CNC, établissement public, est neutre. En son sein, des commissions composées de professionnels rendent des avis sur les projets qui leur sont soumis mais, in fine, les décisions sont prises par des agents publics. Ce système de poids et de contrepoids, conforme à L’Esprit des lois, empêche les interférences politiques potentielles - au demeurant inexistantes.

M. Olivier Carré. À ce sujet, quelles sont la puissance relative des grands groupes de création et l’influence respective des différentes « écoles » ?

M. Eric Garandeau. Pour que les meilleurs projets soient choisis, nous veillons à ce que la composition de chaque commission soit équilibrée et toutes les sensibilités représentées.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Étant donné les mutations en cours, comment envisagez-vous l’évolution du dispositif de financement des missions du CNC ?

M. Éric Garandeau. L’évolution vers la télévision connectée, stade ultime de l’intégration de l’univers audiovisuel, secteur très réglementé, et de l’univers d’Internet, secteur non réglementé, renforce la nécessité de favoriser les investissements dans la création, car ce sont la qualité, la diversité et la puissance des créations françaises et européennes qui nous permettront de résister. Il n’y a pas de raison d’être plus inquiet de cette évolution qu’il n’y en avait de l’être lors de l’apparition de la connexion à la télévision par câble et satellite. Les obligations d’investissements et les financements encadrés visent à encourager cet effort nécessaire. Si nous voulons résister - et nous le pouvons – nous devons investir dans la création de qualité, qu’il s’agisse de fictions, de documentaires ou d’œuvres nouvelles.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. On comprend que la persistance de productions audiovisuelles et cinématographiques françaises tient à une singularité esthétique et à une vision particulière. Mais le dispositif d’aides en vigueur a été conçu pour fonctionner dans un cadre circonscrit, celui du territoire national. Il ne pourra plus en être ainsi à l’avenir ; comment ce système devra-t-il évoluer ?

M. Éric Garandeau. Il convient en effet de transposer le dispositif à l’univers d’Internet. Deux évolutions importantes en ce sens ont déjà eu lieu : d’une part, l’extension des obligations d’investissement aux services de médias audiovisuels à la demande, les SMAD, d’autre part, l’extension de la taxe sur les services de télévision aux nouveaux opérateurs instituée par la loi de 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur.

La deuxième mesure a récemment connu un accroc, un certain opérateur ayant entrepris d’individualiser la part « audiovisuelle » de son offre et surtout de l’apprécier à la portion congrue. Cela a été source d’inquiétude pour nous. En effet, quels que soient les modes de diffusion et de réception, les nouveaux services délinéarisés internationaux vont transiter par Internet ; il est donc vital pour nous de préserver l’assiette élargie de cette taxe. La question est donc de savoir s’il faut maintenir un lien entre la taxe et les services de télévision au sens traditionnel ou s’il n’est pas préférable de fixer pour assiette l’ensemble des services d’Internet. Évoluer vers une taxe à l’assiette large et au taux faible permettrait de couper court à des discussions infinies sur la part exacte de la télévision dans l’ensemble de l’offre considérée.

Mme Audrey Azoulay. Depuis que le CNC a été créé, en 1948, le législateur a très souvent modifié le dispositif de financement en fonction des modes successifs de création de valeur. La nouvelle adaptation en cours renforcera notre alliance objective avec les fournisseurs d’accès à Internet, de même que, par le passé, des alliances objectives se sont forgées avec nos autres contributeurs.

M. Olivier Carré, Président. Le sujet n’est pas épuisé, car s’il est facile de financer la création dans un système national fermé, cet objectif est beaucoup plus difficile à atteindre dans un système ouvert où prévaut le principe de la « gratuité » des contenus.

M. Éric Garandeau. L’ouverture rend plus nécessaires que jamais les financements publics et encadrés destinés à alimenter la création, mais elle a aussi pour aspect positif que des couloirs nouveaux s’ouvrent qui permettront de diffuser nos œuvres. Notre mission est donc d’encourager la qualité afin que nos diffuseurs continuent d’exister et notre pays d’avoir une culture cinématographique et audiovisuelle singulière, afin que nous soyons beaucoup plus performants à l’exportation. Nous finançons doublages et sous-titrages, précisément pour favoriser l’exportation, et nous souhaitons aussi réformer notre système d’aides pour continuer d’attirer des talents en France et nous permettre ensuite de mieux exporter.

M. Olivier Carré, Président. Quelles limites fixez-vous à l’action du CNC ?

M. Éric Garandeau. Nous devrons investir 500 millions d’euros dans la numérisation des salles et des œuvres au cours des trois à cinq ans qui viennent ; pour financer cette évolution historique, aussi capitale que le fut la création de l’imprimerie, nos ressources doivent donc connaître une progression dynamique. Le choix qui s’offre à nous est soit de mourir - c’est-à-dire abandonner l’idée d’une culture audiovisuelle propre -, soit à l’inverse de prendre le leadership en ce domaine en Europe et aider à affirmer le leadership européen à l’international. Autant dire que l’enjeu déborde largement les seules questions artistique et économique. Tout en ayant le souci de bien gérer les deniers publics, nous considérons devoir accomplir un effort majeur au cours des cinq prochaines années. Notre mode de financement permet l’adéquation entre nos ressources et nos besoins ; nous sommes en discussion avec la tutelle pour sécuriser notre taxe, indispensable. Je le redis, la pertinence de notre modèle est avérée, en France mais aussi aux yeux de l’étranger - sait-on que la Tunisie nouvelle, soucieuse de se reconstruire sur le plan culturel, veut créer son propre CNC ?

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. L’étranger vous observe mais, mise à part la Corée du Sud qui a adopté un système assez comparable au nôtre, vous imite peu, me semble-t-il. D’autres pays ont-ils réellement copié le dispositif du CNC ?

M. Éric Garandeau. Tous s’en sont inspirés. Mais, je vous l’ai indiqué, tous n’ont pas repris l’entière palette de nos activités. Outre les pays précédemment cités, je puis évoquer Israël, le Brésil qui a créé l’équivalent des SOFICA, la Chine qui envisage d’étoffer son réseau de salles d’art et d’essai, l’Inde… Dans ce contexte, le fait que le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Allemagne aient quelque peu « levé le pied » est une source d’inquiétude pour l’Europe. Nous espérons un sursaut.

M. M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. La question se pose du juste retour aux différents diffuseurs de la taxe affectée. Le CNC a-t-il vocation à opérer un choix dans la redistribution entre les différents vecteurs de diffusion – le cinéma, la télévision et l’Internet - ou y a-t-il un déséquilibre constant ?

M. Éric Garandeau. Le CNC doit répondre à tous les besoins artistiques dans toutes les disciplines de sa compétence. Il n’y a pas de retour direct au diffuseur - mais il n’y en a jamais eu. En revanche, le principe qui sous-tend le dispositif est que tous les créateurs profitent de la création. Nous sommes à la fois moteur et pilote, et nous jouons pleinement ce rôle. Ce que nous finançons a vocation à être diffusé par ces trois voies, et c’est le cas. Il n’y a plus aucun verrou, puisque, depuis la publication du nouveau décret, nous aidons aussi des œuvres qui seront diffusées uniquement par le biais d’Internet.

Mme Audrey Azoulay. Quand, dans le temps, la question s’est posée de savoir dans quelles proportions respectives aider la production audiovisuelle et la production cinématographique, la chose a été réglée de manière presque administrative : il y avait un compte d’affectation spéciale avec deux sections étanches et une clef de répartition. La question s’est ensuite posée pour la vidéo. Mais la pertinence de cette manière de procéder se perd : les aides du CNC finançant de plus en plus souvent des projets qui profitent à tous les secteurs, la logique de retour sur des périmètres définis de façon trop fermée a de moins en moins de sens.

M. Olivier Carré, Président. Je tiens donc la réponse à ma question : il n’y a aucune limite à votre volonté d’accompagner l’évolution de la diffusion de l’image ! Vous avez suivi l’évolution du cinéma à mesure qu’il se diffusait sur de nouveaux medias ; mais à présent, avec Internet, on est dans un changement complet de rapport à la création, devenue beaucoup plus diffuse. Vous souhaitez accompagner ce mouvement ; cela se conçoit, mais un moment vient où il faut se poser des limites, sans quoi vous expliquerez en permanence que vos ressources doivent être préservées pour vous permettre de suivre ces évolutions.

M. Éric Garandeau. Il y a une limite financière : celle que pose le législateur ; mais les cinq prochaines années seront une période charnière. L’autre limite, c’est que nous ne soutenons que les productions de qualité professionnelle, avec une sélectivité sévère ; ainsi, pour l’avance sur recettes, seuls 5 % des projets qui nous sont soumis bénéficient de notre soutien.

Enfin, on ne peut mésestimer une forme de retour indirecte de nos aides. Nous entreposons un patrimoine de 10 000 longs métrages dont les premiers remontent au XIXe siècle, et dont 5 à 10 % seulement sont connus. Les numériser, c’est servir l’Histoire, et c’est aussi permettre d’enrichir les catalogues de vidéo à la demande. La numérisation de ces œuvres donnera donc de l’utilité aux réseaux de fibre optique et, en nourrissant de nouvelles chaînes de télévision, apportera du chiffre d’affaires aux opérateurs du haut débit. Vous conviendrez qu’il ne sert à rien de développer des réseaux de fibre optique si l’on n’a pas d’images à diffuser. Le montant de 750 millions d’euros voté par le législateur représente un montant ridicule par rapport à ce qui va être investi dans les nouveaux réseaux, et pourtant il justifie cet investissement. Nous sommes donc encore très loin d’avoir atteint les limites de notre action.

M. Olivier Carré, Président. Nous conclurons sur cette note enthousiaste. Madame, Messieurs, je vous remercie.