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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Soutenabilité de l’évolution de la masse salariale de la fonction publique

Mercredi 18 mai 2011

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 27

Présidence de M. David Habib, président

– Table ronde de représentants des syndicats de la fonction publique : Mme Fabienne Bellin, responsable du secteur service public de la FSU et M. Didier Horus, secrétaire national de la FSU ; M. Jean-Marc Canon, secrétaire général fonction publique de l'UGFF CGT ; M. Éric Dorn, CGT ; Mme Elisabeth David, secrétaire générale de l'UNSA Fonction Publique, et M. Jérôme Darsy, secrétaire national de l'UNSA Fonction Publique, et M. Damien Leroux, représentant de la CFDT Fonction publique, sur la soutenabilité de l’évolution de la masse salariale de la fonction publique

M. David Habib, Président. Soyez les bienvenus, Mesdames et Messieurs. Sur la question des plafonds d’emploi, des rémunérations et de la révision générale des politiques publiques (RGPP), notre mission d’évaluation et de contrôle recherche un consensus, en se fondant sur le rapport qu’établiront nos trois rapporteurs – M. Marc Francina pour la commission des Finances et M. Bernard Derosier et Charles de La Verpillière pour la commission des Lois – et que viendront enrichir vos commentaires, ainsi que ceux que nous feront parvenir par écrit les organisations Force ouvrière et Solidaires, qui n’ont pu être présentes aujourd’hui.

M. Marc Francina, Rapporteur. Comment avez-vous été associés au processus de la révision générale des politiques publiques – la RGPP au niveau tant national que local ou sectoriel ? Quelles sont les réformes qui ont posé le plus de difficultés ?

M. Jean-Marc Canon, secrétaire général fonction publique de l'UGFF CGT. La RGPP n’a donné lieu à aucune concertation à quelque niveau que ce soit – central, territorial ou déconcentré –. Au mieux, les organisations syndicales représentatives et les représentants des personnels sont tenus informés de sa mise en œuvre. L’absence de concertation est affligeante et il n’existe d’ailleurs pas d’espaces de concertation dédiés – notamment pour les directions départementales interministérielles. Toutes les enquêtes menées depuis deux ou trois ans montrent que, quelles que soient les catégories socioprofessionnelles, les agents publics se sentent spectateurs de la RGPP, voire étrangers à celle-ci, et qu’elle suscite chez eux de grandes inquiétudes.

Mme Fabienne Bellin, responsable du secteur service public de la FSU. Nous partageons ce point de vue. Dans l’Éducation nationale, la RGPP, ce sont avant tout des suppressions d’emplois. Sur ces questions, traitées en principe dans les comités techniques paritaires, départementaux et académiques, il est très difficile d’avoir, je ne dis pas même un débat, mais des informations assez précises pour mesurer la situation par académie.

M. Didier Horus, secrétaire national de la FSU. C’est par une fuite dans la presse que l’on a découvert les leviers que les recteurs actionneraient pour supprimer des emplois dans l'Éducation nationale – par exemple, dans le premier degré, le taux de scolarisation dès deux ans ou le taux de remplacements.

M. Damien Leroux, secrétaire général de la CFDT Finances, représentant la CFDT Fonction publique. Le sens même de la RGPP est incertain : s’agit-il de la suppression d'un emploi pour deux départs à la retraite, ou de réformes, dont les principes, au demeurant, ne sont pas toujours uniformes ? En tout cas, l'État a réduit le rôle des organisations syndicales et de certains acteurs traditionnels dans l'élaboration des réformes, en contradiction avec l'esprit des Accords de Bercy, qui visaient à associer davantage les représentants des personnels avant la prise des décisions. Nous sommes donc perplexes.

Mme Elisabeth David, secrétaire générale de l'UNSA Fonction Publique. Les syndicats n’ont jamais été informés ni consultés. Du reste, l'opération elle-même n'a pas été réfléchie. Alors que notre pays dispose de corps d'inspection compétents, capables d'élaborer les rapports nécessaires, il a été fait appel à des cabinets d'audit privés. En outre, comme c'est toujours le cas en France, la réforme a été définie par quelques technocrates parisiens qui n'ont jamais mis les pieds dans les services déconcentrés de l'État, ne savent pas de quoi ils parlent et ne prennent pas la peine de consulter les personnels. Nous sommes donc en complet désaccord sur le fond comme sur la forme de la RGPP.

Notre seul canal d'information est la Commission de modernisation (dite COMMOD), qui ne présente guère d’intérêt. Le bilan de la politique de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite est catastrophique. Cette politique n’a fait l'objet d'aucune réflexion préalable. Le nombre des départs à la retraite a été inférieur aux prévisions, car les agents ne veulent pas perdre davantage de pouvoir d'achat en partant – ils en perdent déjà bien assez, contrairement à ce qu’on nous affirme, puisque l’augmentation des cotisations retraite et la stagnation de la valeur du point d’indice se traduisent mécaniquement par une dégradation des rémunérations. Le non-remplacement d'un agent sur deux crée en outre tension et désarroi dans les services de l’État. C’est une véritable pagaille.

M. David Habib, Président. Je vous invite maintenant à nous faire part de vos commentaires sur le bilan de la RGPP et sur le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, ainsi que de votre évaluation de la RGPP par domaine sectoriel et par niveau territorial.

M. Jean-Marc Canon (UGFF CGT). Ce que l’on entend par RGPP gagnerait à être mieux défini. Des salariés ne peuvent être acteurs d’une réforme qu’ils ne comprennent pas et à laquelle ils se sentent étrangers, a fortiori dans le service public. Comme le déclarait justement Mme David, la politique consistant à ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite est catastrophique. Les fonctionnaires deviennent une variable d'ajustement macro-économique, et non plus des agents au service de la population. Cette démarche se traduit déjà par une moindre qualité du service rendu. En outre, parallèlement aux suppressions massives qui touchent de grands ministères tels que l'Éducation nationale, il faut aussi considérer les plus petits : au ministère de la Culture, dont je suis issu, la suppression d'un poste dans une petite entité fonctionnant avec seulement cinq ou six agents peut avoir des conséquences directes sur l'ouverture au public. Enfin, on ne peut ignorer que ces mesures altèrent gravement les conditions de travail des agents.

Mme Fabienne Bellin (FSU). Les conséquences sont en effet dramatiques pour les personnels. Les conditions de travail se dégradent et la redéfinition des missions font qu’ils sont parfois désorientés dans leur emploi et mis gravement en difficulté dans l’exercice de leur métier. Enfin, les suppressions d'emplois ont des coûts induits, liés à l'externalisation de certaines missions. Tous les pays qui ont externalisé des services savent que le coût de ces services a augmenté. En outre, le recours croissant à la précarité a lui aussi un coût induit, d’ordre humain, qui n’est pas toujours immédiatement mesurable.

M. Damien Leroux, représentant de la CFDT Fonction publique. L’application du principe de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux a évolué : alors que le prorata était identique dans tous les secteurs, il est désormais variable d’un secteur à l’autre, atteignant parfois durablement le chiffre de deux sur trois.

Le premier effet de cette pratique porte sur le mode d’encadrement des services : à quoi bon ajuster au mieux l’efficacité et la productivité des services de l’État si cela ne permet pas d’éviter des suppressions d’emplois qui ne tiennent pas compte des diverses réalités ? Sur le plan managérial, les conséquences de ces suppressions d’emplois sur les conditions de travail n’ont pas été prises en compte : aucune adaptation n’est prévue et les secteurs les plus tenus à assurer un service public immédiat – avec, par exemple, des guichets ou des actions sur le terrain – souffrent beaucoup de cette dégradation des conditions de travail.

Mme Fabienne Bellin (FSU). Selon un récent sondage de la FSU, le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux est de plus en plus largement repoussé par la population. Le bruit qui a couru, voici une quinzaine de jours, d'un arrêt des suppressions d'emplois dans le service public, démenti depuis, montre aussi que cette réforme est « questionnée » contrairement à ce qu’affirme le dernier rapport du CMPP, et ce, bien au delà des rangs des organisations syndicales.

M. Bernard Derosier, Rapporteur. La Cour des comptes considère qu’il faut maîtriser l’augmentation de la masse salariale consacrée au service public.

M.  David Habib, Président. Qu’en est-il, en effet, des rémunérations ?

M. Jean-Marc Canon (UGFF CGT). En confirmant le gel de la valeur du point d'indice en 2011 et 2012, voire en 2013, le Gouvernement n’a pas convaincu une seule organisation syndicale représentative.

Depuis 2000, la valeur du point a perdu 10 % par rapport à l’indice des prix à la consommation. Selon le « camp d’en face », la valeur du point ne serait qu’un élément marginal de la mesure du pouvoir d’achat. Or, le salaire minimum de la fonction publique ne cesse de courir après le SMIC. En 14 ans de carrière, un agent a gagné 1,7 % de pouvoir d’achat d’après les chiffres publiés par le Gouvernement. Cette politique malthusienne s’oppose à la reconnaissance des qualifications et au déroulement de carrière, ce qui est l’antithèse de la fonction publique de carrière, à laquelle le Gouvernement déclare pourtant qu’il reste attaché.

De même, le salaire de début de carrière des agents de catégorie A, recrutés en principe au niveau bac+3, mais en moyenne à bac+4 ou bac+5 compte tenu du marché, se situe à 18 % au-dessus du SMIC, alors qu’en 1985, ces agents étaient recrutés à bac+2 pour un salaire supérieur au SMIC de 75 %. Il importe donc de remédier à cette situation.

En outre, les agents de la fonction publique cotisent à un régime additionnel, à hauteur de 5 % sur 20 % de leur pouvoir d’achat, soit 1 % de ce dernier, à quoi s’ajoutera dans quelques années un prélèvement de 3 % pour pension civile, ce qui représente une ponction supplémentaire de 4 % sur leur rémunération nette. De 2000 à 2008, l’ensemble des rémunérations, des primes et des pensions versées à tous les ayant droits de la fonction publique est en recul de 0,7 % par rapport au PIB, soit 13 à 15 milliards d’euros. Dire que la part de la masse salariale augmente alors que le budget de l’État diminue d’année en année est un argument irrecevable. N’oublions pas que, comme les autre salariés, les agents de la fonction publique, qui représentent 20 % de la population active, consomment et, ce faisant, produisent de la richesse et participent à une croissance pérenne.

La CGT conteste vigoureusement que les mesures de retour aient un coût exorbitant. D’abord, la politique de l’emploi public doit se définir à partir des missions confiées à la fonction publique. La question est alors de savoir quelle est la politique salariale que l’on veut adopter pour ces agents. Selon les chiffres de la direction générale de l’Administration et de la fonction publique (DGAFP), le coût total annuel de la revalorisation du point et de toutes les mesures catégorielles (GVT compris), qui était de 1,4 milliard d’euros avant la présidence de M. Sarkozy, était très légèrement inférieur à 1 milliard d’euros en 2010. Dans le même temps, de 2007 à 2010 – M. Sarkozy s’en vante –, 100 000 emplois ont été supprimés. Or, malgré les mesures de retour, la dépense a été bien inférieure à son niveau passé. On nous ment : il s’agit d’un jeu « perdant-perdant ».

M. Didier Horus (FSU). L’abandon de la politique de revalorisation du point d’indice et l’adoption de mesures d’individualisation des carrières creusent les inégalités dans la fonction publique. Les plus pénalisés sont les jeunes et les femmes et, plus généralement, les fonctionnaires percevant peu de primes au-delà de leur traitement indiciaire de base. Dans l’enseignement, les mesures en faveur des heures supplémentaires bénéficient moins aux femmes qu’aux hommes : c’est là une source d’inégalités.

Pour ce qui est de la rémunération du mérite, le terme même de « mérite » devrait être redéfini. Associer « mérite » et « performance » est, selon nous, trop rapide. Il fut un temps où le mérite était l’ancienneté, c’est-à-dire la durée du service rendu. Des études montrent que, chez les enseignants, le salaire au mérite est insatisfaisant pour tout le monde et conduit à un appauvrissement du service rendu aux usagers. Une autre politique salariale est cependant possible dans la fonction publique.

M. Damien Leroux, représentant de la CFDT Fonction publique. M. Canon a rappelé à juste titre l’importance de la revalorisation du point d’indice.

La rémunération au mérite est un pur gaspillage de deniers de l’État, dans la mesure où on essaie d’en faire un substitut social à l’absence de revalorisation du point d’indice. En effet, le fonctionnaire que l’on informe que l’évaluation qu’il vient de subir aura une incidence sur sa rémunération, conclut, à juste titre, que c’est à son propre effort, et non à un effort de reconnaissance par l’État du travail de l’ensemble des fonctionnaires qu’il doit cette évolution. Ne confondons pas les politiques individuelles et collectives, qui n’ont rien de commun.

S’il est une matière qui se prête aux accords majoritaires, ce sont bien les politiques salariales. Il ne s’agit plus de définir les objectifs de l’État en termes de politiques publiques, mais bien la manière dont il assume son rôle de patron vis-à-vis de ses salariés fonctionnaires. Cette remarque d'ordre général devient un impératif pour les mesures accompagnant la mise en œuvre des réformes structurelles telles que la RGPP. Lorsque l’État fait un effort d’harmonisation des rémunérations ou d’adaptation de celles-ci aux nouvelles organisations du travail, pourquoi ne tirerait-il pas les conséquences des Accords de Bercy qu’il a signés avec les organisations syndicales en tentant de construire des accords majoritaires ?

Mme Elisabeth David (UNSA Fonction publique). Comme l’a indiqué à juste titre M. Canon, le fait que le SMIC rattrape toujours le bas de la grille de rémunérations de la catégorie C entraîne un tassement des grilles dans leur ensemble. Une réflexion sur les grilles nous semble donc urgente.

Quant au gel du point d’indice, il pose la question de savoir quelle fonction publique on veut. Quelle est aujourd’hui l’attractivité de la fonction publique pour un jeune, compte tenu des perspectives de carrière qu’elle offre ? C’est à partir du point d’indice que les fonctionnaires doivent être augmentés.

Nous n'avons pas eu communication d'un bilan et n’avons pas de vision interministérielle des mesures catégorielles liées au retour du non-remplacement d'un départ en retraite sur deux, dont peu de fonctionnaires, du reste, ont profité. Ces mesures, qui touchent des collègues selon un ciblage dont on ignore les critères, ne sont pas justes. La revalorisation du point d’indice nous semble devoir primer.

La reconnaissance doit porter sur la valeur professionnelle, c’est-à-dire sur la manière de servir. Les critères d’une reconnaissance du mérite, en revanche, ne sont pas clairs. Comment, d’ailleurs, évaluer le mérite des personnels occupant des fonctions peu valorisantes ? De surcroît, la rémunération du mérite sera très variable selon que l'on est employé par un ministère riche ou pauvre. Ce dispositif comporte donc beaucoup de mesures injustes.

M. Marc Francina, Rapporteur. Quels sont les ministères riches et les ministères pauvres ?

Mme Elisabeth David (UNSA Fonction publique). Le ministère riche, c’est celui des Finances. Les ministères pauvres sont par exemple ceux de l’Éducation nationale ou de l’Intérieur.

La prime de fonctions et de résultats (PFR) est très insatisfaisante. De fait, tous les postes n’ont pas été cotés comme ils devaient l’être et le montant de la PFR, qui réunit diverses primes, est strictement égal au montant de toutes ces primes antérieures : seul le nom a changé. De surcroît, les barèmes diffèrent selon les ministères : des personnes de même grade et remplissant les mêmes fonctions toucheront une PFR différente selon qu’ils travaillent dans un ministère riche ou pauvre. Tout cela est inacceptable.

M. Bernard Derosier, Rapporteur. Pouvez-vous nous donner, au besoin par écrit après cette table ronde, des éléments d’information sur le pouvoir d’achat ? Dans les débats récurrents que nous avons à ce propos, il apparaît clairement que l’augmentation de la valeur du point n’accompagne pas celle du coût de la vie. Or, le Gouvernement ne cesse de répéter que le pouvoir d’achat des fonctionnaires progresse. En déclarant le 19 avril, lors de la discussion salariale, que le pouvoir d’achat des fonctionnaires avait progressé de plus de 10 % depuis 2007, le Gouvernement s’appuyait sur la rémunération moyenne des personnes en place.

M. Éric Dorn (CGT). L’addition brute de la pléthore de mesures annoncées représente peut-être une augmentation de 10 %, mais ces mesures sont contradictoires et s’annulent les unes les autres, aucun agent ne bénéficiant de la totalité d’entre elles. Qui plus est, les catégories de personnel les plus en difficulté sont celles qui en bénéficient le moins. Notamment en bénéficiant d’une mesure catégorielle, on n’est plus dans le cadre de la GIPA. À la différence du mécanisme qui prévalait antérieurement, les mesures catégorielles s’annulent entre elles. Quel que soit le chiffre moyen, la diminution d’un tiers de la masse salariale est un fait : selon les chiffres de la DGAFP, les rémunérations ont baissé.

M. Damien Leroux, représentant de la CFDT Fonction publique. La rémunération moyenne des personnes en place est fortement dépendante de la structure des emplois. Lorsque la fonction publique se requalifie et évolue majoritairement vers des emplois de cadres, la rémunération moyenne ne peut qu’augmenter. Cette augmentation correspond donc à une politique de niveau de recrutement, et non pas à un niveau de rémunération.

Par ailleurs, la suppression massive de postes touche essentiellement ceux du début de carrière. Les agents anciens, touchant des rémunérations plus élevées, du fait du principe de carrière – sur lequel, je l’espère, personne ne souhaite revenir – sont, proportionnellement, de plus en plus nombreux alors que, leur nombre diminuant et leur pouvoir d’achat stagnant, le poids relatif des débuts de carrière dans la moyenne diminue de plus en plus. La rémunération moyenne des personnes en place ne dit donc rien du pouvoir d’achat des fonctionnaires, d’autant que nous assistons par ailleurs à un glissement des catégories B et C au profit de la catégorie A. Les transformations d’emplois sont corrélées avec une technicisation des métiers.

Mme Fabienne Bellin (FSU). Monsieur Derosier, nous ne manquerons pas de vous envoyer des éléments écrits. Le hiatus est assez flagrant entre les déclarations du Gouvernement et notre position. De fait, le Gouvernement ne compte pas comme nous. Par exemple, il comptabilise comme un élément de revalorisation des salaires, le paiement des heures supplémentaires alors qu’il s’agit là de rémunérer un travail supplémentaire – il est bien normal que ceux qui font des heures supplémentaires de travail gagnent plus. Il en va de même pour les primes, qui rémunèrent des tâches nouvelles ou précédemment accomplies par d’autres.

M. Jérôme Darsy, secrétaire national de l’UNSA Fonction Publique. Le Gouvernement considère que le glissement vieillesse technicité (GVT) est une augmentation de salaire alors que les syndicats y voient la traduction du déroulement de carrière prenant en compte la technicité, l’ancienneté, etc. Il nous semble indispensable de maintenir le déroulement de carrière mis en place après la guerre par le statut général de la fonction publique pour assurer la neutralité et l’égalité de traitement entre les usagers et éviter les dérives constatées sous le Régime de Vichy. La création de la garantie individuelle du pouvoir d’achat (GIPA) n’est pas une réponse satisfaisante, car elle est contraire au déroulement de carrière et préfigure une fonction publique qui ne pourra plus être aussi neutre qu’elle l’était.

M. le président David Habib. Nous en venons à la gestion des ressources humaines.

M. Jean-Marc Canon (UGFF CGT). La CGT n’est pas hostile au rapprochement ou à la fusion de corps. Peut-être l’existence de 1 300 corps dans la fonction publique, dont 400 inactifs n’apparaissant que pour les pensions civiles et 900 actifs, certains ne comportant que quelques dizaines d’agents, n’était-elle pas pleinement justifiée. Cependant, au terme de la fusion de certains de ces corps, il conviendrait de prendre le temps de dresser un bilan prospectif et de s’interroger sur l’éventuelle création de nouveaux corps ou sur l’intégration de nouvelles spécialités dans des corps existants – en particulier dans le contexte du recrutement croissant d’agents non titulaires sur des missions permanentes. Enfin, la fusion des corps doit correspondre aux missions à accomplir et aux qualifications.

La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences est un serpent de mer. Ce qui est certain, c’est que les organisations syndicales n’y sont pas associées.

Quant aux freins à la mobilité des fonctionnaires, le premier est sans doute la loi de mobilité de 2009 elle-même. Dans les trois fonctions publiques, certaines entités administratives et certaines circonscriptions ont plus de moyens que d’autres. Ainsi, dans la territoriale, certaines collectivités n’ont pas les moyens de payer à leurs agents d’autre régime indemnitaire que les régimes légaux. La rémunération au mérite est un vrai frein à la mobilité, car les agents seront peu enclins à perdre 20 % à 25 % de leur pouvoir d’achat net en quittant une entité qui leur assure un régime indemnitaire favorable. Pour la CGT, la véritable mobilité doit être liée à un besoin en termes de missions d’intérêt général, et non aux moyens de rémunérer les agents chargés de ces missions.

M. Marc Francina, Rapporteur. La fusion des services de l’État chargés des routes avec les services des départements a-t-elle été favorable aux personnels d’État concernés ?

M. Jean-Marc Canon (UGFF CGT). Globalement, les personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) et les personnels d’exploitation gagnent aujourd’hui, avec leurs nouveaux régimes indemnitaires, plus que ne leur versait l’État. La CGT souhaiterait pouvoir débattre de la décentralisation, pour évoquer notamment les moyens d’une meilleure complémentarité avec l’État ou le bilan des transferts de compétence. Or, sur ces questions auxquelles ils croient pouvoir apporter quelques éléments de réflexion significatifs, les partenaires sociaux ne sont pas consultés.

Mme Elisabeth David (UNSA Fonction publique). Nous ne sommes pas défavorables à la fusion des corps si elle permet une mobilité accrue et une élévation des régimes indemnitaires. Nous serons attentifs à l’application du décret relatif au corps interministériel des attachés et souhaitons que ce corps soit un atout pour les personnels et pour les services.

Quant à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), elle reste confidentielle. Les noms ont changé, mais pas la gestion. Les chargés de mission n’ont pas les moyens de mener à bien leurs missions. En outre, la GPEC utilise très mal les compétences des personnels.

Les freins à la mobilité tiennent avant tout aux primes, très variables selon les fonctions publiques et les affectations. Ces différences expliquent aussi que de nombreux cadres fuient l’État pour les collectivités locales, avec lesquelles il est possible de négocier des situations bien plus avantageuses. Se posera donc, à terme, le problème de l’attractivité de la fonction publique de l’État.

On voit également se multiplier des « décrets coquilles », auxquels chaque ministère peut adhérer quand bon lui semble. Ainsi, tous les ministères sont gérés de façon différente, ce qui pose de grands problèmes de mobilité. Il conviendrait donc de s’interroger sur la création d’une cellule d’aide à la gestion des ressources humaines au niveau interministériel. Ainsi, un dispositif que nous avons négocié pour l’ensemble des personnels de la catégorie B, et qui a été acté par la direction générale de l’Administration et de la fonction publique, ne peut s’appliquer dans certains ministères, du fait de refus et de blocages. Une meilleure coordination est donc souhaitable.

Mme Fabienne Bellin (FSU). En dehors du parti pris qui consiste à ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, on a l’impression d’une absence de gestion prévisionnelle des emplois : dans l’Éducation nationale il n’existe pas de programmation pluriannuelle des recrutements, fondée sur une analyse des besoins, ce qui explique pour partie qu’il existe un hiatus entre les recrutements et les besoins réels.

M. Damien Leroux, représentant de la CFDT Fonction publique. La CFDT a toujours été favorable aux fusions de corps, car la multiplication de ces derniers remet en cause l’unicité du statut, condition de l’égalité de traitement, de la lisibilité des carrières et d’une plus grande mobilité. Si un certain nombre de petits corps ont été supprimés, beaucoup reste à faire.

On a parlé, pendant longtemps, de « gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences » (GPEEC). La disparition du mot « effectifs » (GPEC) montre que l’on a tout simplement renoncé à une gestion prévisionnelle en ce domaine, ce qui rend difficile, voire impossible, celle des emplois et des compétences.

Je souscris à l’analyse selon laquelle les rémunérations accessoires sont des freins à la mobilité ; j’y ajouterai l’évaluation. Lorsque l’on souhaite réintégrer son service d’origine après une mobilité, on a moins d’ancienneté que si on ne l’avait pas quitté. La mobilité suppose souvent un réel engagement personnel : elle ne doit pas être sanctionnée mais prise en compte.

J’ai des sentiments nuancés sur la gestion interministérielle. Tant que les politiques resteront ministérielles, il sera difficile d’échapper à une gestion ministérielle. L’idée d’un ministère unique me semble donc un peu utopique. La DGAFP remplit très bien son rôle normatif : elle n’a pas vocation à devenir gestionnaire.

M. David Habib, Président. La fusion intervenue au sein du ministère du Budjet pour donner naissance à la direction générale des Finances publiques a donné lieu à une prime dont le montant nous a quelque peu étonnés. Avez-vous été associés à la discussion ?

M. Damien Leroux, représentant de la CFDT Fonction publique. Cette fusion, qui a donné lieu à de nombreux conflits, est la plus importante que l’administration française ait connue depuis la Seconde guerre mondiale. Elle a donc exigé un effort particulier des agents. Une prime, dont le montant ne m’a d’ailleurs pas paru exorbitant, leur a effectivement été versée ; mais les organisations syndicales n’ont pu s’exprimer à ce sujet car le ministre a pris sa décision aussitôt après avoir les avoir reçues. C’est là une authentique occasion perdue pour le dialogue social entre l’État et les représentants des fonctionnaires. En tout état de cause, il n’est pas étonnant que cette réforme ait été plus coûteuse que d’autres : elle était d’une ampleur inédite, tant par les effectifs concernés que par son contenu, puisqu’il s’agissait non pas d’un « collage », mais d’un « mixage » entre des équipes appartenant à des services très différents.

Cette fusion entre les impôts et le Trésor s’inscrit-elle selon vous dans le cadre de la RGPP ?

M. David Habib, Président. Ce que nous savons, en tout cas, c’est que le montant global de cette prime – 56 millions d’euros – représente l’équivalent d’une année de glissement vieillissement technicité (GVT). Ce type d’opération nécessite assurément une gestion paritaire et, en amont, une information plus conséquente du Parlement. Nos rapporteurs auront sans doute des préconisations à faire à ce sujet.

Nous en venons au quatrième point, que je veux aborder sans esprit de provocation : les moyens de maîtriser l’évolution de la masse salariale de la fonction publique d’État.

Mme Elisabeth David (UNSA Fonction publique). Selon nous, cette question ne concerne pas les organisations syndicales mais le pouvoir politique. L’UNSA souhaite des services publics de qualité, qui retrouvent leur aura de naguère. Cela suppose des personnels bien formés, bien rémunérés et travaillant dans de bonnes conditions.

Je veux à cet égard tirer la sonnette d’alarme : de nombreux fonctionnaires sont malheureux car la RGPP a considérablement dégradé leurs conditions de travail. J’espère que les modes de gestion de la fonction publique ne rejoindront pas ceux de France Télécom.

Il est plus que temps de réfléchir collectivement à l’avenir de la fonction publique, à ses missions et à la gestion de ses ressources humaines. C’est pour nous la question prioritaire.

M. Didier Horus (FSU). Les fonctionnaires remplissent des missions de service public ; avant de poser la question du coût de leur masse salariale, il faut donc s’interroger sur ce que la Nation est prête à financer : quel modèle de fonction publique, pour quelles missions ? On évoque la « soutenabilité » de la masse salariale, mais, à moins de tenir un raisonnement hémiplégique, la question des dépenses ne peut s’envisager indépendamment de celle des recettes. Le débat sur la fiscalité détermine en ce sens tous les autres.

M. Damien Leroux, représentant de la CFDT Fonction publique. Pour rendre les réformes acceptables aux yeux de fonctionnaires, il faut d’abord définir leurs missions. Ce qui motive les fonctionnaires, ce n’est pas la rémunération au mérite mais la qualité du service public : si vous les persuadez que les politiques conduites par l’État amélioreront celle-ci, vous aurez fait un grand pas.

M. Jean-Marc Canon (UGFF CGT). Je ne voudrais pas rompre l’harmonie de cette réunion mais, même si vous dites aborder le sujet sans esprit de provocation, pourquoi vouloir maîtriser l’évolution de la masse salariale ? La part des salaires, des primes et des pensions de la fonction publique ne cesse de diminuer par rapport au produit intérieur brut. Doit-on considérer que les agents de la fonction publique ne sont pas des salariés comme les autres ? Leur pouvoir d’achat ne contribue-t-il pas à la croissance, à la production des richesses ? Il convient par conséquent d’apprécier l’évolution de leur masse salariale au regard du PIB et non du budget de l’État : la question qui nous est soumise est mal posée.

Enfin, il faut aussi s’interroger sur les ressources. Selon les chiffres officiels, le coût de l’application de la loi TEPA à la fonction publique avoisine les 900 millions d’euros, induits à la fois par les heures à payer et par la défiscalisation dont elles font l’objet. Avec cette somme, on pourrait revaloriser le point d’indice de 1 %, et on pourrait générer 200 millions de cotisations sociales. La question relève donc du choix politique.

M. David Habib, Président. Mesdames, messieurs, je vous remercie de ces contributions à notre réflexion.