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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

Jeudi 19 mai 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Olivier Carré, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Colosimo, président du Centre national du livre (CNL), accompagné de Mme Véronique Trinh-Muller, directrice générale, sur le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

M. Olivier Carré, Président. Monsieur le président, Madame, dans le contexte économique actuel, il nous semble intéressant d’analyser l’efficacité des opérateurs dont une partie des recettes provient de taxes affectées, et d’évaluer les incidences de ce mode de financement sur leur gestion.

M. Jean-François Colosimo, président du Centre national du livre (CNL). Je suis heureux d’être parmi vous et très honoré de l’intérêt que porte l’Assemblée nationale au monde du livre, et ce d’autant plus qu’il est confronté à de grandes mutations. Dans notre pays, les relations entre le monde politique, les élus et le livre sont anciennes et très fécondes – d’ailleurs, beaucoup d’entre vous ont déjà publié un livre et c’est également le cas de tous les présidents de la Ve République, depuis le général de Gaulle jusqu’à Nicolas Sarkozy. J’ajoute que tous ont considéré que le livre ne saurait être un produit comme les autres.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir, monsieur le président, en raison de votre parcours, de votre expérience et de la pertinence de vos réflexions. Le livre se trouve en effet face à des perspectives vertigineuses car il évolue vers un produit relevant moins de l’écrit « physique ». Notre pays a toujours entretenu avec le livre une relation intime, considérant l’acte de lire comme un signe d’intelligence et de réflexion. Les nouvelles techniques vont considérablement bouleverser notre façon d’appréhender le soutien que notre pays apporte au secteur du livre depuis 1946.

Quels sont selon vous les défis auxquels sera confronté demain le Centre national du livre ? À cette aune, comment pensez-vous qu’évolueront ses ressources affectées ?

M. Jean-François Colosimo. Nous sommes véritablement confrontés à une révolution anthropologique. Pendant trois millénaires, l’écrit a dominé le mode de l’intellection et déterminé l’évolution de l’humanité sur l’ensemble de la planète. Même les sociétés qui ne pratiquaient pas l’écriture ont vu leur histoire écrite par d’autres sociétés qui, elles, la pratiquaient.

Depuis plus de quatre siècles, nous menons en France une politique du livre, depuis le dépôt légal et l’invention de Gutenberg jusqu’à la gratuité des livres scolaires de Jules Ferry, en passant par l’institution du droit à la propriété intellectuelle par la Révolution. Tout cela témoigne de la continuité de la politique de l’État et de l’implication de la Nation tout entière en faveur du livre. Le Centre national du livre – qui fut d’abord dénommé Caisse nationale des lettres, puis Centre national des lettres – accompagne de façon unique au monde depuis soixante-dix ans l’évolution de cette médiasphère dont les enjeux sont cruciaux en termes anthropologiques, culturels et de civilisation, mais aussi, plus immédiatement, en termes industriels, économiques et financiers.

L’industrie du livre demeure la première industrie culturelle en France puisque son chiffre d’affaires est trois fois supérieur à celui de l’industrie du cinéma. Elle réalise 22 % de ce chiffre d’affaires à l’étranger. Elle est la première industrie de notre pays par son lien à la langue et à l’histoire et par le rapport qu’elle a su établir entre un ensemble d’éléments comme l’autonomie de ses moyens – ce n’est pas le cas des autres industries culturelles –, son importance économique – elle génère des emplois sur l’ensemble du territoire –, la pluralité de son offre, sa capacité d’adaptation – elle a traversé de très nombreuses mutations industrielles avec succès – et la qualité de sa relation avec les pouvoirs publics. À ce titre, la loi de 1981 sur le prix unique du livre, dont nous fêterons cette année le trentenaire, et la récente adaptation de la loi sur le prix unique du livre numérique, sont emblématiques.

Le monde du livre a su conserver sa structure d’oligopole à large frange, se doter d’organes représentatifs, mutualiser ses objectifs et travailler en concertation avec le législateur. En ce sens, il symbolise l’exception culturelle française.

À travers ses différentes appellations, le Centre national du livre comme organe de soutien a toujours contribué à la création, à l’édition, à la diffusion et à la promotion du livre et mené à bien sa mission, qui consiste à encourager l’excellence, à garantir la diversité et à démocratiser la qualité du livre. Le Centre s’intéresse à tous les métiers du livre : auteurs, traducteurs, éditeurs, bibliothécaires, libraires et organisateurs de manifestations littéraires d’envergure nationale, les autres étant réalisées par délégation de ses missions aux services déconcentrés du ministère et aux collectivités locales.

La galaxie Gutenberg laisse aujourd’hui la place à l’ère numérique, qui va profondément transformer les mentalités et les pratiques et dont nous ne pouvons encore mesurer pleinement les effets – quiconque se prêterait à cet exercice risquerait d’être rapidement contredit.

Cette mutation ouvre pour le monde du livre un horizon plein de risques et de dangers. La dématérialisation des modes de production, d’information et de consommation en est l’aspect le plus saillant, mais le monde du livre est confronté à de nombreux autres problèmes : recul de la lecture normative, standardisation de la création, mise en cause de la propriété intellectuelle, dépréciation des métiers, paupérisation des professions, fragilisation des réseaux de diffusion, tassement de la décentralisation, de la déconcentration et des moyens qui les accompagnent, érosion de la francophonie, et plus généralement accélération de la concurrence, de la concentration et de l’internationalisation. Il faut savoir que, sur les cinq plus grands éditeurs français, deux réalisent une part très significative de leur chiffre d’affaires en Amérique du Nord, deux sont passés sous l’égide de groupes étrangers – l’un espagnol, l’autre italien –, et un seul reste d’essence parfaitement patrimoniale.

La tendance à l’unification marchande du monde entraîne une désagrégation des identités et une marginalisation toujours plus grande des originalités. Nous devons réagir contre cette tendance, qui n’est pas une fatalité dès lors qu’existe une volonté politique pour la contrer.

Le cycle industriel de massification et de mécanisation des biens culturels initié en 1880 est clos. La manière remarquable dont le monde du livre s’est adapté à cette mutation, qui passe par l’invention du livre de gare, du livre de poche et de diverses formules qui ont permis de démocratiser la lecture est également périmée. Mais le livre obéit à des cycles très lents – le codex a mis presque trois siècles pour remplacer le rouleau et il existait encore des copistes au XVIIIe siècle –, ce qui en fait un secteur moins fragile que la musique ou l’audiovisuel, par exemple.

En 2010, l’État, se montrant avisé, a accordé au CNL son autonomie dans le cadre de l’harmonisation générale des statuts des établissements publics. Le Centre est désormais doté d’un président exécutif, nommé par le Président de la République sur proposition du ministre de la Culture et de la communication, ministère qui exerce la tutelle de l’établissement à travers l’une de ses trois directions générales, à savoir la direction générale des Médias et des industries culturelles (DGMIC), au sein de laquelle a été intégré le service du Livre et de la lecture, qui a remplacé la direction du Livre.

Quelles sont les missions du CNL ? La loi n° 46-2196 du 11 octobre 1946 lui a confié le rôle de soutenir et d’encourager l’activité littéraire par tous moyens, de favoriser par des subventions l’édition d’œuvres littéraires, d’allouer des pensions aux écrivains et d’assurer le respect des œuvres littéraires.

Par la suite, le décret n° 93-397 du 19 mars 1993 modifié a renforcé le rôle du Centre en lui confiant les missions suivantes : offrir aux auteurs, éditeurs, traducteurs, libraires, imprimeurs, bibliothécaires et à tous les professionnels et amateurs du livre un centre permanent de rencontres et de dialogues ; encourager tous les modes d’expression littéraire et concourir à la diffusion, sous toutes ses formes, des œuvres littéraires ; contribuer au développement économique du livre ainsi qu’au maintien et à la qualité des réseaux de diffusion, participer à la défense et à l’illustration de la langue et de la culture françaises ; favoriser la traduction d’œuvres étrangères en français et d’œuvres françaises en langue étrangère. Le CNL est en effet la plus grande entreprise du monde d’import-export de littérature : tandis que les autres pays dotés d’un organisme analogue favorisent l’exportation de leur littérature nationale, le CNL, dans un principe d’égalité culturelle et au bénéfice des industries du livre, soutient tout autant l’importation de littératures étrangères que l’exportation de la littérature française. Cette ouverture est significative de l’esprit dans lequel nous menons notre action.

Le décret fixe en outre au Centre les missions d’intensifier les échanges littéraires, de concourir à toutes actions pour la promotion de la lecture et du livre susceptibles de contribuer à la diffusion et au rayonnement du livre français, et de favoriser les commandes par les bibliothèques, en France et à l’étranger. Ses missions statutaires donnent au CNL un rôle d’interlocuteur et de partenaire des professions du livre, avec lesquelles il entretient des liens constants.

Le CNL doit aujourd’hui relever un double défi : assumer son statut d’autonomie dans le cadre d’un ministère lui-même réformé et affronter les défis qui se présentent au monde qu’il est censé servir.

Le CNL est un établissement public à caractère administratif, dont les modes de paiement sont soumis aux règles en vigueur. Son conseil d’administration compte des représentants de divers ministères ainsi que des personnalités qualifiées.

Pour mener à bien sa mission d’aide et de soutien au livre, le CNL perçoit deux taxes fiscales affectées qui constituent l’essentiel de ses ressources : l’une sur la vente du matériel de reproduction et d’impression, qui constituait 58,1 % de ses ressources en 2009, soit 21,19 millions d’euros, l’autre sur les chiffres d’affaires des éditeurs, qui représente 13,9 % de ses ressources, soit 5 millions d’euros, et dont sont exonérés certains éditeurs.

Nous exerçons notre mission de soutien en redistribuant ces ressources aux acteurs du livre à travers une trentaine de dispositifs – subventions, crédits de préparation, prêts à taux zéro, bourses. Généralement, ces aides sont attribuées après avis de commissions consultatives, organisées par domaines d’activité ou par type d’intervention, et sur décision du président du CNL. Ces commissions, au nombre de vingt, comptent environ 250 membres, tous issus des professions du livre, qui effectuent un mandat d’une durée de trois ans.

(M. Richard Dell’Agnola remplace M. Olivier Carré à la présidence de la séance.)

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Qu’est-ce qui, selon vous, a justifié à l’origine l’attribution de ressources affectées ? Quelle pourrait être leur évolution ? Une ressource budgétaire n’apporterait-elle pas une meilleure garantie au CNL ?

M. Jean-François Colosimo. Dès sa fondation en 1946, la Caisse nationale des lettres s’est vu affecter comme principale ressource une taxe de 0,2 % du chiffre d’affaires de l’édition – c’est-à-dire sur les ventes de livres réalisées par les maisons d’édition. Mais le grand nombre des exonérations, ainsi que le rôle social qu’a joué la Caisse après la guerre auprès des écrivains ont vite fait apparaître que la ressource était insuffisante. L’instauration en 1957 du « domaine public payant », qui prolonge la durée du droit d’auteur au bénéfice de la Caisse – et non plus au bénéfice de l’auteur – a permis d’y remédier partiellement. La transformation en 1973 de la Caisse nationale des lettres en Centre national des lettres, puis la création, en 1975, de la direction du Livre et de la lecture ont réaménagé le financement en ajoutant à la taxe de 0,2 % sur l’édition une taxe de 3 % du chiffre d’affaires des ventes de matériel de reprographie. Ces deux taxes alimentaient un fonds national du livre qui, par souci de simplification administrative et de bonne gestion, a été transféré en 2000 au Centre national du livre.

Depuis 2004, le CNL ne bénéficie plus des 400 000 euros de subventions de fonctionnement que lui attribuait auparavant le ministère de la Culture et de la communication. Quant aux emplois mis à disposition par le ministère sans remboursement, au nombre de 20 en 2011, j’ai demandé, dans le cadre de la réforme de l’établissement, qu’ils soient absorbés par le CNL dès 2011, au pire en 2012, afin d’homogénéiser notre politique du personnel.

Mes prédécesseurs ont progressivement substitué à l’octroi de prêts celui de subventions. Actuellement, le remboursement des prêts occupe une part essentielle des ressources propres non affectées de l’établissement, mais cette part est naturellement en diminution constante – elle est passée de 28 % en 2009 à 11 %, à titre prévisionnel, en 2011. Sachant que le mécénat s’adresse plus volontiers aux arts plastiques et à l’audiovisuel qu’au livre, nous pouvons dire qu’à terme les ressources affectées constitueront la presque totalité des ressources du CNL, à l’exception de quelques produits financiers. Le financement par des ressources affectées est le fruit d’une triple motivation, politique, industrielle et culturelle.

C’est en 1970 que la Commission des affaires culturelles du VIe Plan entreprend de mettre un terme à la dispersion des actions en faveur du livre et de la lecture, alors assurées par divers ministères et administrations. En 1973, la crise interrompt brutalement la croissance de l’édition et de son chiffre d’affaires, jusqu’alors exponentiel, incitant les pouvoirs publics à s’intéresser à la filière. De 1973 à 1975, le marché de la reprographie vit une totale transformation. L’apparition de machines qui emploient du papier ordinaire entraîne une large démocratisation des appareils, ce qui alarme les métiers du livre et donne lieu à la fameuse plainte concernant le « photocopillage ». Enfin, en 1974, apparaît la vente discount dans la commercialisation du livre. Toutes ces mutations ont justifié la création, en 1975 et 1976, de la direction du Livre et de la lecture, ainsi que la réforme du Centre national des lettres, en lui affectant notamment un financement.

La situation actuelle ressemble fortement à celle de 1976 : volonté de l’État de réformer le Centre national de la lecture, situation de crise économique, mutations technologiques propres à alarmer la profession, problèmes de commercialisation posés par l’ « e-commerce », politiques de discount propres à fragiliser le dispositif législatif. Tout cela engendrant de nouvelles missions pour le CNL.

La taxe due par les éditeurs, dont sont exonérés ceux dont le chiffre d’affaires est inférieur à 76 300 euros, a un caractère redistributif, donc une vertu de solidarité, tandis que la taxe sur les appareils de reprographie et d’impression, qui obéit à la logique « pollueur-payeur », a une vertu réparatrice. Cette taxe a beaucoup évolué à partir de 1993, lorsque nous avons pris conscience de la mutation des appareils de reprographie. Afin de corriger l’effondrement des recettes du CNL, la loi de finances rectificative pour 2006 a intégré la multifonctionnalité de ces appareils. Mais cette taxe instaurée en 2007 n’ayant pas atteint son objectif de rapporter 30 millions d’euros, la loi de finances rectificative pour 2009 en a augmenté une nouvelle fois le taux, le portant de 2,25 à 3,25 %.

La difficulté actuelle tient au fait que le secteur du livre évolue sur un terrain qui s’effrite et les perspectives ne sont pas du tout encourageantes.

En effet, si la taxe sur l’édition reste à périmètre constant, la taxe sur les appareils de reprographie connaît une courbe descendante. Ainsi, en 2007, les consommables dégageaient encore un moindre chiffre d’affaires par rapport à la vente d’appareils de reprographie. L’effet retard qui s’est produit et, qui a pu paraître inhérent à la mise en place de la nouvelle assiette, s’est confirmé en 2008 et nous force à une révision budgétaire à peu près constante. Les premiers chiffres pour 2009 indiquent l’accélération de ce tassement. Le Centre s’attend à ce qu’en 2011 le produit de la taxe soit inférieur de 2 millions d’euros au montant espéré, soit une baisse de 7 à 8 %. En dépit des réformes engagées et des dispositifs mis en place, le CNL devra faire face à une nouvelle baisse tendancielle de sa principale recette fiscale.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Pour retrouver l’équilibre, ne peut-on élargir aux consommables la taxe assise sur les appareils ?

M. Jean-François Colosimo. Plusieurs pistes existent, qui ont fait l’objet d’un rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles en 2005 et d’un audit conjoint des ministères de la Culture et des Finances. Cette préoccupation n’est pas neuve. Je vais vous présenter quelques-unes de ces pistes, auxquelles je joindrai mes commentaires personnels eu égard à la pratique qui est la mienne du Centre et du monde de l’édition.

Il existe des solutions à court terme, comme augmenter le taux de la taxe actuelle et en étendre l’assiette aux pièces détachées, mais dans une industrie en mutation et compte tenu de la dématérialisation accrue de la reprographie, cette mesure ne pourrait être que temporaire – d’ailleurs, elle n’a jamais donné de résultats satisfaisants. En outre, cette extension de taxes pèserait lourdement sur l’activité des fabricants d’appareils de reprographie qui, même convaincus de la nécessité de contribuer à l’activité culturelle, ne manqueraient pas de réagir. Pour élargir l’assiette aux consommables, il faudrait envisager une taxation unique des matériels et des consommables car il serait extrêmement complexe de mettre en place une taxation différencielle.

Une autre mesure immédiate consisterait à augmenter la taxe sur le chiffre d’affaires de l’édition, ce qu’il faut éviter dans le contexte actuel d’un secteur déjà fragilisé. En outre, elle contredirait formellement la mission du CNL, qui est de soutenir le secteur du livre et serait donc contreproductive. Nous nous y opposons donc.

Il existe d’autres pistes à moyen et à long terme, et ces pistes sont beaucoup plus intéressantes, surtout quand on sait par ailleurs que le mode de collecte du Centre national du cinéma lui permet d’obtenir des résultats vingt fois supérieurs à ceux du CNL, puisqu’on estime l’effet levier du CNC à 10 %, contre 0,5 % pour le CNL.

La première de ces pistes serait la création d’une taxe globale sur le chiffre d’affaires des industries et services d’impression et de gestion de documents, sous forme de taxe compensatoire, et de l’étendre à la totalité de la filière, services compris ; la deuxième consisterait à intégrer le domaine du livre dans tous les mécanismes à venir impliquant les fournisseurs d’accès à Internet, lesquels emploient massivement des contenus écrits et de livres ; la troisième piste serait de taxer les nouveaux appareils et supports numériques qui utilisent des contenus écrits, comme les ordinateurs portables, les smartphones et les liseuses – dont le parc devrait connaître un essor important en France.

Certains organismes comme le Centre français d’exploitation du droit de copie ou la SOFIA – Société française des intérêts des auteurs de l’écrit – enregistrent des excédents importants dus à leur manière de collecter les droits sur la reproduction individuelle. J’attire votre attention sur le fait que ces excédents les incitent à promouvoir une sorte de mécénat de l’écrit qui me paraît redondant avec les missions du CNL.

Au CNL, nous optons plutôt pour la diversification des ressources et la mise en place d’un modèle labile qui nous permettrait d’équilibrer nos budgets tout en nous adaptant aux mutations industrielles.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Ces différentes hypothèses ont-elles fait l’objet d’estimations de la part du CNL ? Par ailleurs, en termes de recettes fiscales, envisagez-vous de restructurer les nombreux dispositifs de soutien du CNL pour en améliorer la lisibilité ? Est-il urgent, selon vous, de réformer le financement du Centre ?

M. Jean-François Colosimo. Nous n’avons pas procédé à une évaluation actualisée des différentes pistes que nous proposons à votre réflexion, mais il me paraît évident que nous lirons bientôt des ouvrages écrits sur nos smartphones – comme le font les Japonais avec les mangas. S’agissant d’un marché exponentiel et très fluide, qui passe directement du producteur au consommateur, je pense qu’une taxe même faible sur les smartphones pourrait rapporter une ressource notable qui ne gênerait pas l’expansion du marché. Il va de soi que nous sommes prêts à détailler ces propositions, en collaboration avec des organismes compétents, afin de vous fournir des modèles sur lesquels vous pourriez réfléchir.

La multiplicité des dispositifs de soutien correspond au nombre de métiers, d’activités et de pratiques qui composent le monde multiforme et, d’une certaine façon, artisanal du livre.

Avec l’assentiment du personnel et des organes de tutelle, j’ai réformé le CNL en transformant les treize bureaux existants en quatre départements d’activités chargés respectivement des ressources internes, de la diffusion – bibliothèques, librairies, numérisation –, de la création – auteurs, traducteurs, éditeurs –, et des relations extérieures – événements littéraires et communication. De la même manière, j’ai eu le souci de clarifier ce catalogue à la Prévert que nous présentons sur notre site, lequel s’apparente, j’en conviens, à une épreuve initiatique, une sorte de présélection. Avec l’aide d’un organisme d’études, nous mettons au point un sondage auprès de 5 000 usagers du CNL – grands éditeurs, petits éditeurs, auteurs, membres de commissions – sur la façon dont ils perçoivent le Centre et la pertinence de ses commissions et de ses pratiques. Cette étude est indispensable pour légitimer une réforme profonde de cette multiplicité qui tient en partie à la nature de la filière et en partie à l’histoire du Centre. Il faut rendre hommage à Jean Gattégno qui, à partir des années 1980, s’est montré ouvert à de nouvelles formes d’aides. 

Nous avons un effort à faire pour rationaliser nos pratiques. Cet effort sera fait, je m’y engage !

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Le CNL est-il engagé dans un contrat de performance ?

M. Jean-François Colosimo. La LOLF nous y a obligés et nous nous en félicitons. Ce contrat, que nous avons élaboré avec beaucoup de sérieux, attend la signature du ministre de la Culture.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Comment a évolué la masse salariale du CNL ? Quel est le nombre de personnes qui y travaillent et combien sont détachées du ministère ? Le cumul de personnels venus d’horizons différents influe-t-il sur la gestion du Centre ?

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. À quelle date et dans quelles conditions doit être effectué le transfert sous votre gestion directe de la vingtaine de personnes qui dépendent encore du ministère de la Culture ? Ces personnes conserveront-elles leur statut ? Seront-elles sous l’entière responsabilité du CNL ?

M. Jean-François Colosimo. En 2010, sur les 72 personnes employées par le CNL, 48 étaient rémunérées par le Centre et 24 par le ministère. Mais c’était une année de transition car nous avons été contraints d’harmoniser avec le ministère les documents antérieurs et les documents plus récents quant au nombre d’emplois concédés ou affectés. Nous avons souhaité mettre un terme à cette situation et, cette année, ce sont 52 agents qui sont rémunérés par l’établissement, contre 20 par le ministère.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Les personnes rémunérées par le ministère sont-elles simplement mises à la disposition du CNL ?

M. Jean-François Colosimo. En effet. Elles proviennent de filières et de catégories très différentes. Nous souhaitons vivement les intégrer au sein du CNL.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Jusqu’à prendre totalement en charge leurs salaires ? Quel en est le montant total ?

M. Jean-François Colosimo. Chaque agent rémunéré par le ministère exprimera son souhait de devenir contractuel du CNL ou de retourner à son corps ou à son affectation d’origine. Il n’y aura pas de contrainte.

Mme Véronique Trinh-Muller, directrice générale du Centre national du livre (CNL). Ces 20 emplois représentent une masse salariale de 1,3 million d’euros.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Quelle est la part de contractuels dans le nombre total d’employés ?

M. Jean-François Colosimo. Le CNL emploie 72 personnes, dont 52 contractuels et 20 agents du ministère.

Mme Véronique Trinh-Muller. Sur ces 52 personnes, 4 ont passé des concours et sont donc titulaires et payées par l’établissement. Quant aux 20 agents du ministère, ils ont des statuts différents : ils peuvent être contractuels du ministère de la Culture, titulaires, agents des bibliothèques ou personnels administratifs. Une même mission peut être remplie par des personnes ayant 4 à 5 statuts différents. Dans un souci de cohérence, nous avons demandé le transfert des emplois.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. L’unification des statuts n’est pas seulement une nécessité pour l’établissement, elle est importante pour chaque personne concernée. Espérez-vous y parvenir un jour ?

M. Jean-François Colosimo. Les défis que doit relever le CNL, tant vis-à-vis de ses nouveaux statuts que du monde de l’édition, exigent une professionnalisation, une efficience et une innovation qui ne peuvent être satisfaites qu’avec un personnel homogène, dans le respect de chacun et de ses compétences. C’est un objectif crucial, car tant que le CNL était l’extension opérationnelle de la direction du Livre et de la lecture, celle-ci conservait la fonction stratégique, le CNL se contentant d’un rôle d’exécution qu’il remplissait en instruisant les demandes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Devant le double défi que représentent l’autonomie et la mutation du monde du livre, si nous voulons remplir la mission qui nous est confiée par l’État, nous devons homogénéiser notre personnel, sans aucune contrainte mais dans un élan dynamique. Le personnel, avec l’accord des syndicats, a adopté les réformes structurelles que j’ai engagées, confirmant ainsi son engagement au service du livre.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Les dépenses de personnels du CNL sont importantes eu égard aux ressources dont il dispose. Comment comptez-vous absorber des personnels supplémentaires tout en continuant à distribuer des aides au secteur du livre ?

Mme Véronique Trinh-Muller. Certes, le transfert de 20 emplois suppose une augmentation des charges directes de l’établissement, mais nous ne savons pas encore si nous devrons absorber immédiatement le coût du transfert. Nous avons fait la demande d’une prise en charge dans le cadre du contrat de performance et nous sommes soutenus par notre organisme de tutelle, la direction générale des Médias et des industries culturelles, mais à ce jour celle-ci ne nous a pas informés de sa décision, pas plus que le ministère des Finances. Cela dit, les inconvénients d’une gestion par le ministère sont tels qu’il serait préférable pour nous de récupérer la gestion des 20 agents.

M. Jean-François Colosimo. D’autant que nombre d’entre eux approchent de l’âge de la retraite, ce qui provoquera une réduction mécanique du nombre des agents puisque nous sommes tenus de ne remplacer qu’une personne partant à la retraite sur deux. En outre, en investissant significativement dans un système de gestion moderne de l’information – nous en sommes encore à l’archivage de dossiers papier ! – et en simplifiant nos dispositifs, nous pourront, d’ici deux à trois ans, inverser les courbes de la masse salariale et diminuer le nombre d’agents dont nous avons besoin pour remplir nos missions.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Madame, monsieur, nous vous remercions pour la qualité de vos réflexions.

M. Jean-François Colosimo. Je vous remercie à mon tour. J’ai trouvé en arrivant au CNL un instrument très efficace de la politique culturelle de l’État et un personnel remarquable. Il faut donner au CNL les moyens – il le mérite et c’est ce que le monde de l’édition attend des pouvoirs publics – de mener une action concrète et efficace au service de cette liberté d’expression qui est l’un des piliers de notre République et qui caractérise notre manière de nous adresser au reste du monde.