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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

Jeudi 26 mai 2011

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 33

Présidence M. Nicolas Perruchot, Rapporteur, puis de M. Olivier Carré, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Isabelle Lemesle, présidente du Centre des monuments nationaux (CMN), accompagnée de Mme Patricia Ferré, chef du département des relations avec les élus, de Mme Isabelle Tilly-Backer, directrice des ressources humaines, de M. Brice Cantin, directeur administratif, juridique et financier, et de M. Matthieu Juin-Levite, conseiller de la présidente, chef du département des relations avec le monde de l’entreprise, sur le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Mesdames, Messieurs, nous poursuivons nos travaux relatifs au financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées.

J’accueille en premier lieu aujourd’hui Mme Isabelle Lemesle, présidente du Centre des monuments nationaux (CMN). Mme la Présidente, je vous souhaite la bienvenue.

Au cours des précédentes réunions, nous avons entendu notamment les directeurs concernés du ministère de la Culture et de la communication ainsi que des représentants des ministères de l’Économie et du Budget. Nous avons également pu échanger avec les porte-parole d’organismes qui, comme le Centre des monuments nationaux, bénéficient de recettes affectées, pour évaluer la façon dont la présence de ces recettes influence leur gestion.

Mme la Présidente, vous connaissez sans doute le principe de la MEC, qui est de formuler des propositions recueillant un consensus sur des politiques publiques ou des thèmes se rapportant à la gestion de l’État. Nous sommes trois rapporteurs, issus de trois groupes parlementaires différents et appartenant aux commissions des Finances et des Affaires culturelles. Mais MM. Richard Dell’agnola et Marcel Rogemont, retenus par ailleurs, vous prient d’excuser leur absence ce matin.

Selon l’usage de la MEC, nous serons accompagnés par des magistrats de la Cour des comptes. Je remercie de sa présence M. Emmanuel Marcovitch, conseiller référendaire, responsable du secteur Culture à la troisième chambre.

Madame, je vous propose de commencer cette audition par un bref propos introductif de quelques minutes avant de passer à notre échange de questions et réponses.

Mme Isabelle Lemesle, présidente du Centre des monuments nationaux (CMN). Héritier de la Caisse nationale des monuments historiques et des sites, créée en 1914, le CMN s’est vu confier progressivement des missions plus étendues. Alors que la Caisse se bornait à encaisser les droits d’entrée dans les monuments historiques de l’État, le CMN est un opérateur intégré : maître d’ouvrage, il développe également une politique culturelle et scientifique, ainsi qu’une approche économique. Il est en outre éditeur.

Ces missions multiples s’inscrivent dans une double temporalité. Nous avons d’abord à conserver pour les générations futures une centaine de monuments, que l’État nous remettait jusqu’à présent en dotation, régime qui a été supprimé en décembre 2008 au profit d’une procédure déconcentrée, mais nous avons aussi à faire connaître ce patrimoine au plus grand nombre de visiteurs. Le CMN est ainsi le premier opérateur public touristique culturel français, avec 8,6 millions de visiteurs accueillis – soit, à titre de comparaison, un peu plus que le Louvre.

Présent dans dix-huit régions, le CMN assure l’ouverture à la visite et la conservation de monuments qui sont les grands témoins de l’histoire de France, mais aussi de l’histoire de l’art et de l’architecture. Cela couvre un vaste champ historique, qui va des grottes ornées de Dordogne – qui datent de 30 000 ans avant Jésus-Christ – aux villas contemporaines de Le Corbusier et de Mallet-Stevens. Le CMN est aussi le premier gestionnaire de sites UNESCO en France.

Depuis 2007, il est également maître d’ouvrage des travaux de conservation et de restauration sur les monuments qui lui sont remis en dotation. Il assure par ailleurs l’ouverture au public d’un certain nombre de monuments qui ne sont pas des monuments nationaux, en particulier des tours et des trésors de certaines cathédrales – qui restent sous la maîtrise d’ouvrage des directions régionales des affaires culturelles (DRAC).

Les monuments confiés au CMN bénéficient d’une politique dynamique de promotion et de communication. Ils font l’objet d’un système de péréquation, les six monuments présentant un résultat bénéficiaire nous permettant d’en ouvrir une centaine sur l’ensemble du territoire. C’est ce que j’appelle un « système de solidarité nationale patrimoniale ».

J’en viens à notre mode de financement. Le budget total du Centre s’élève à 120 millions d’euros, investissement et fonctionnement confondus. L’investissement est pris en charge à hauteur de « seulement » 25 millions par l’État, dont 15 millions sur le budget du ministère de la Culture, le reste provenant d’une ressource affectée. En fonctionnement, nous nous autofinançons à près de 80 % – ce qui est rare pour un établissement public culturel - grâce à des ressources propres constituées à 68 % des recettes de billetterie – environ 41 millions d’euros par an –, à 9 % des recettes tirées de l’occupation domaniale, c’est-à-dire des tournages de films, baux ou concessions de restaurants, et à 17 % des ventes par les boutiques des monuments, auxquelles s’ajoute notre activité éditoriale – nous figurons au 98e rang des éditeurs français.

Le CMN compte 1 269 agents permanents, auxquels s’ajoutent 879 agents occasionnels ou saisonniers, dont 191 équivalents temps plein (ETP) ; 478 des permanents sont des agents de l’État affectés, 711 des agents contractuels en contrat à durée indéterminée (CDI). Trois cents personnes travaillent au siège à Paris, et environ mille dans les monuments ; 40 % des agents se consacrent à l’accueil et à la surveillance, 17 % à la billetterie et à la vente, et 33 % occupent des fonctions d’administration et de gestion.

Nous avons remanié notre structure en février 2009 pour intégrer la nouvelle compétence de maîtrise d’ouvrage et nous doter d’une organisation plus efficace nous permettant de développer nos savoir-faire et de mieux nous faire connaître. Nous avons donc mis en place, dans une économie de moyens, un siège expert au service des monuments. Nous avons créé 23 ETP pour exercer la nouvelle compétence de maîtrise d’ouvrage ; hormis ces postes, nous n’avons procédé à aucune création d’emplois. Quatre directions ont été créées : la direction de la maîtrise d’ouvrage, mais également une direction scientifique, une direction des relations extérieures et de la communication – nous n’avions jusqu’ici qu’une direction de la communication qui ne s’occupait ni des relations avec les élus ni des relations internationales, et n’avait pas vraiment les moyens de développer le mécénat – et, enfin, une direction du développement économique : puisque nous vivons essentiellement de nos ressources propres, nous devons nous attacher à les faire croître.

Les monuments sont placés sous la responsabilité d’une trentaine d’administrateurs, chacun en ayant donc plusieurs sous son autorité. Nous avons revu leur profil pour privilégier les bons généralistes, capables d’appréhender sur le terrain l’ensemble des missions du CMN. Nous avons en outre abandonné progressivement le système qui consistait à confier certains monuments à des architectes des bâtiments de France (ABF). Enfin, nous avons établi des organigrammes normés qui clarifient les responsabilités dans les monuments – à ce propos, il faut garder à l’esprit que nos structures administratives sont parfois très légères : trois agents dans les plus petits monuments, contre 80 dans les plus grands.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Je vous remercie pour cette présentation très complète.

Le CMN s’est vu affecter 15 % du prélèvement sur les mises engagées dans les jeux de cercle en ligne, dans la limite de 10 millions d’euros par an. Au regard de la modicité, relative, des sommes en jeu, la création de ce système de financement « dérivé » vous paraissait-elle justifiée, sachant que dans le même temps, le CMN a vu ses dotations budgétaires diminuer d’un montant quasiment identique – 9,5 millions d’euros ? Vu de l’extérieur, cela s’apparente à un jeu d’écritures comptables…

Par ailleurs, avez-vous des éléments de prévision quant au produit attendu pour 2011 ? Peut-on améliorer ce dispositif ou faut-il, au contraire, revenir à une budgétisation intégrale des soutiens de l’État ?

Mme Isabelle Lemesle. Cette ressource est importante pour nous, ne serait-ce que parce que l’engagement budgétaire de l’État a, en effet, diminué à due concurrence de la recette. Même si nous n’avons appris qu’elle nous serait affectée qu’au moment de la discussion budgétaire, il ne s’agit pas moins d’un élément structurant dans notre mode de financement. Je comprends que cette somme de 10 millions d’euros puisse paraître modeste au regard du budget de l’État, mais elle représente les deux cinquièmes du financement de notre investissement par l’État et un cinquième du total de notre budget d’investissement, qui s’élève à 50 millions d’euros par an et dont une grande part est donc couverte par l’autofinancement.

Pour des raisons conjoncturelles, nous finançons en effet, cette année, 25 millions d’investissements par un prélèvement sur le fonds de roulement. Comment ferons-nous lorsque ce fonds de roulement aura été ramené – car telle est notre intention – à un niveau courant, d’ici à 2014 ou 2015 ? Outre les charges de conservation des monuments, nous devons faire face à des travaux d’envergure, comme ceux qui figurent dans notre plan pour le Panthéon, dont le coût est estimé à 100 millions d’euros. Nous pouvons engager 30 millions sur les réserves de l’établissement dans les trois années qui viennent, mais quid des 70 millions restants ?

Il ne nous appartient certes pas de décider de notre mode de financement, mais nous constatons que la ressource budgétaire diminue tandis que la taxe affectée qui lui a été partiellement substituée reste plafonnée à 10 millions d’euros. Nous avons donc quelque inquiétude sur notre capacité à financer l’ensemble de notre programme d’investissements.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Avez-vous des éléments sur le rendement de la taxe en 2011 ?

Mme Isabelle Lemesle. Je dois dire que nous avons assez peu de contacts avec nos tutelles sur le sujet…

M. Brice Cantin, directeur administratif, juridique et financier du Centre des monuments nationaux. La taxe présente l’avantage d’être versée par mensualités, ce qui est préférable pour notre trésorerie. Compte tenu des versements effectués depuis le début de l’année, nous estimons que les 10 millions seront atteints d’ici à juillet. C’est donc un bon rendement, qui pourrait être bien supérieur si le versement n’était pas plafonné…

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Vous touchez donc entre un million et un million et demi d’euros par mois ?

M. Brice Cantin. En effet.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Comme la Cour des comptes, qui évoque une situation de « suréquilibre financier », nous sommes quelque peu perplexes quand nous constatons le niveau atteint par le fonds de roulement du CMN. Selon la Cour, cette situation est « amenée à perdurer » et pose donc la question du modèle de financement de l’établissement. Compte tenu de votre plan d’investissements, vous estimez que ce fonds de roulement sera ramené à un niveau proche de zéro en 2014 ou 2015. Je rappelle qu’en 2009, il était supérieur à 60 millions d’euros. Comment en était-on arrivé à cette situation, unique à ma connaissance ? Pensez-vous qu’elle pourrait se reproduire ?

Mme Isabelle Lemesle. La Cour des comptes, qui s’est intéressée au CMN à la demande de la commission des Finances du Sénat, a en effet relevé l’importance de notre fonds de roulement. Celui-ci atteignait 63,1 millions d’euros fin 2009 et 92,9 millions en crédits de paiement fin 2010, sur lesquels nous avons prélevé 26 millions au titre du budget 2011. Cette situation – qui ne doit pas perdurer à mon avis – résulte de deux facteurs. Tout d’abord, les années 2007 à 2010 ont été marquées par une fréquentation soutenue qui, avec 500 000 visiteurs supplémentaires, a procuré 7 à 8 millions d’euros par an. Surtout, un retard considérable a été pris s’agissant de la mise en place de notre nouvelle compétence de maîtrise d’ouvrage. Le décret date de 2007 ; j’ai été nommée en mai 2008 ; nous avons réorganisé la structure en février 2009. Il était prévu que les emplois liés à la maîtrise d’ouvrage soient pourvus par des crédits de personnel du titre 2 et des transferts depuis les DRAC, mais cela n’a pu se faire. Ce n’est donc qu’en janvier 2011 que la direction de la maîtrise d’ouvrage a enfin disposé de l’ensemble des emplois nécessaires à l’exercice de sa mission. Or, durant tout ce temps, les crédits nécessaires à celui-ci avaient été inscrits à notre budget.

Nous nous attachons aujourd’hui à résorber cette sous-consommation de crédits : à la mi-mai, nous avions déjà engagé 17 millions d’euros. L’utilité de nos réserves ne fait cependant pas de doute. Notre programmation 2011-2013 s’articule autour de trois axes : la connaissance de l’état sanitaire du patrimoine qui nous est remis en dotation, par le moyen de diagnostics et d’études pour un coût de 4 millions d’euros ; la conservation des monuments, pour 21 millions d’euros…

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Globalement, l’état sanitaire des monuments est-il correct ?

Mme Isabelle Lemesle. Les grands monuments ont évidemment fait l’objet d’un entretien plus ou moins régulier. Celui-ci reste néanmoins insuffisant puisque les diagnostics font apparaître un besoin de 50 millions d’euros par an pour entretenir, conserver et restaurer le patrimoine qui nous est confié. La situation varie aussi d’un monument à l’autre. Pour améliorer le rendement de la dépense, il importe d’assurer un entretien régulier. Lorsque les DRAC étaient maîtres d’ouvrage, le saupoudrage des investissements était inévitable. Nous concentrons désormais notre investissement sur douze projets majeurs, ce qui permet d’avoir une évaluation globale des monuments concernés et des résultats visibles rapidement, ce sans préjudice pour l’entretien de fond de tous les autres.

Les grands programmes de travaux – qui concernent ces douze projets – représentent 97 millions d’euros, dont 30 millions pour le Panthéon, et les réparations courantes 11 millions. Si l’on y ajoute les aménagements des parcours de visite et d’autres investissements d’un montant de 10 millions, le besoin de financement total s’élève à 156 millions d’euros pour 2011-2013.

Parmi les monuments qui font l’objet de grands programmes de travaux, je citerai, outre le Panthéon, l’Hôtel de Sully où se trouve notre siège et où nous allons prochainement ouvrir de nouveaux espaces au public ; le château de Champs-sur-Marne que nous allons rouvrir après une longue fermeture et d’importants travaux ; le domaine national de Saint-Cloud où nous procédons à des reprises de voirie sur les axes principaux ; la villa Cavrois, chef-d’œuvre de Mallet-Stevens, qui, rachetée par l’État à un promoteur immobilier qui l’avait laissé saccager, sera rouverte au public l’année prochaine ; l’abbaye du Mont-Saint-Michel, les châteaux de Pierrefonds et de Rambouillet…

Notre prévision de recettes s’appuie sur la reconduction de la subvention de l’État – 15 millions d’euros – et de la ressource affectée – 10 millions d’euros. La contribution de l’État s’élève donc à 73 millions d’euros sur trois ans, pour un besoin de financement évalué, comme je l’ai dit, à 156 millions. Le solde de 83 millions sera en partie couvert par autofinancement, notre capacité à cet égard se montant à 12 millions d’euros, et par des recettes de mécénat à hauteur de 3 millions, puisque nous développons une politique active dans ce domaine. Seul l’apport du fonds de roulement nous permettra donc de mettre en œuvre notre programme d’investissement.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Nous aimerions savoir combien a rapporté le placement de la trésorerie du CMN.

M. Brice Cantin. Les rendements sont faibles, car les placements des établissements publics sont très encadrés par la direction générale des Finances publiques (DGFiP). Je vous ferai parvenir des chiffres précis.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Du moins y a-t-il un rendement…

Au vu de tous ces éléments, la signature d’un contrat de performance nous semble nécessaire. Où en est-on ?

Mme Isabelle Lemesle. Nous sommes nous aussi convaincus de la nécessité de signer ce contrat. Mais pour le mettre en œuvre, encore fallait-il réorganiser l’établissement, qui a connu une révolution culturelle il y a trois ans. Et l’organisation ne faisant que traduire la mise en œuvre d’une politique nouvelle, il convenait d’abord d’établir celle-ci. Ce fut chose faite en février 2009, avec la lettre de mission du ministre. Une fois l’établissement réorganisé, nous avons enfin pu discuter du diagnostic, des objectifs et des indicateurs avec la tutelle. Cela a pris du temps, comme la mise en place de la direction de la maîtrise d’ouvrage, mais la partie diagnostic du contrat est aujourd’hui rédigée. Elle est en cours de discussion avec la tutelle et ne soulève pas de difficulté particulière. Nous arrivons aujourd’hui à l’étape du plan détaillé sur les objectifs, et pouvons donc nous engager à signer le contrat de performance dans l’année.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Vous êtes optimiste !

Mme Isabelle Lemesle. Raisonnablement… Je suis en tout cas déterminée !

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Quelle est votre position sur la décentralisation culturelle ? La dévolution aux collectivités territoriales de monuments historiques appartenant à l’État représente-t-elle un risque ou plutôt une chance pour vous ? En d’autres termes, vous prive-t-elle de recettes ou est-elle source d’économies ?

Mme Isabelle Lemesle. C’est évidemment un sujet qui nous préoccupe. Il s’agit à mes yeux d’une question politique et non d’une question administrative ou institutionnelle. Je me réjouis donc que le Parlement s’en saisisse, après la Cour des comptes qui a beaucoup apporté à la réflexion.

Le sujet doit être appréhendé de manière globale. Quel doit être aujourd’hui le rôle de l’État en matière de sauvegarde du patrimoine national ? De diffusion de la connaissance ? Où sont les compétences et les moyens pour exercer ces missions ? Quel est le meilleur dispositif qui nous permette, dans le temps long qui est celui du patrimoine, de préserver l’intérêt général dans des conditions économiques raisonnables ?

Je souscris pour ma part à l’analyse conduite en 2003 par René Rémond dans son rapport sur la répartition entre l’État et les collectivités territoriales des monuments nationaux affectés au ministère de la Culture : doivent demeurer propriétés de l’État tous les lieux de mémoire nationale, les résidences royales et biens de la couronne représentatifs de la constitution de l’État national, les archétypes architecturaux, les sites archéologiques et grottes ornées constituant des réserves ou dont la fragilité et la complexité exigent la compétence de l’État.

Nous ne sommes plus dans les années 1980. Il ne s’agit plus tant, pour les collectivités territoriales que pour l’État, de se déchirer pour s’approprier un monument que de se demander ce que l’on peut faire de mieux, ensemble, pour ce monument dans l’intérêt général. C’est aujourd’hui la position du CMN. Nous essayons, en lien avec les collectivités concernées, de tirer le meilleur des 96 monuments dont nous avons la charge pour les conserver, mais aussi y attirer le plus de touristes possible. À cet égard, nous sommes un acteur économique à part entière. Pour prendre un exemple, il n’y aurait plus d’activité économique à Azay-le-Rideau sans le château !

J’observe par ailleurs que la péréquation que nous assurons permet aux « petits » monuments de bénéficier d’une force de frappe inespérée : nous sommes présents sur trente salons dans le monde ; nous organisons 76 « éductours » par an ; dans nos brochures, le petit château à 2 000 visiteurs par an est traité comme l’Arc de triomphe.

Il convient enfin de mesurer les conséquences de chaque transfert de monument à une collectivité territoriale. Celui du château du Haut-Koenigsbourg, monument bénéficiaire, au département du Bas-Rhin il y a quelques années s’est soldé par la perte de plusieurs centaines de milliers d’euros de bénéfice pour le CMN, autrement dit par un transfert de charges du visiteur au contribuable, puisque le ministère de la Culture verse à l’établissement une subvention compensant cette perte de bénéfice pour lui permettre de continuer à assurer une péréquation. Est-ce bien ce que nous souhaitons ? C’est une question politique à laquelle il ne m’appartient pas de répondre. On vous dira qu’il se passe beaucoup plus de choses au château depuis ce transfert : bien sûr, puisqu’il ne contribue plus à la redistribution. Mais transférer un monument bénéficiaire, c’est aussi prendre le risque d’en fermer dix qui sont déficitaires ! Gardons donc à l’esprit que le CMN a un rôle d’aménagement du territoire.

Quant aux monuments déficitaires, il faut s’assurer, avant de les transférer, qu’ils bénéficieront des mêmes compétences. Nous avons tout de même un siège expert de 300 personnes qui est au service de chaque monument. Il est peu probable que les petites collectivités puissent assurer la même qualité d’expertise. C’est aussi l’étendue de ses compétences qui fait la force du CMN, que beaucoup d’États – je pense par exemple à l’Italie – nous envient.

M. Olivier Carré, Président. Faites-vous appel au mécénat ? Percevez-vous une évolution dans ce domaine ?

Mme Isabelle Lemesle. Le mécénat apparaît comme une voie prometteuse pour le développement de nos ressources propres. Nous avons élaboré pour chaque monument un schéma directeur de développement, à cinq ou dix ans selon les sujets. C’est important pour le mécène, qui souhaite désormais avoir une vision globale du monument. Nous concentrer sur une douzaine de projets par an nous aide par ailleurs à assurer cette visibilité. C’est ainsi que les mécènes vont participer à la réouverture du logis royal du château d’Angers, qui avait brûlé. Nous espérons retirer du mécénat environ trois millions d’euros par an. Parmi nos grands mécènes, je citerai la fondation Velux, qui finance à hauteur de cinq millions d’euros – soit la moitié – les travaux de restauration des verrières de la Sainte-Chapelle, et le groupe Dassault, qui a financé intégralement les 800 000 euros de la restauration des quatre grands reliefs de l’Arc de triomphe.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Comment ces mécènes viennent-ils à vous ?

Mme Isabelle Lemesle. Nous les démarchons. Si le CMN n’était pas un établissement public culturel, je dirais même que nous avons une « démarche commerciale agressive ». Lorsque nous avons un projet global pour un monument, nous évaluons d’abord notre capacité à le financer. Nous élaborons ensuite un dossier qui détaille ce projet, le montant des travaux et ceux pour lesquels nous cherchons des mécènes. Le mécène d’aujourd’hui ne se contente plus de « compléter l’addition » : il veut être associé en amont. Le mécénat de compétence tend à se développer, tout comme le petit mécénat, ce qui est intéressant pour un établissement public en réseau comme le nôtre. Les grandes entreprises françaises étant régionalisées, c’est en effet en région que se prennent les décisions de mécénat, avec un effet d’entraînement sur les PME et sur les chambres de commerce et d’industrie. Pour la restauration du logis royal du château d’Angers, nous avons ainsi pu créer un club de mécènes. Bref, il faut travailler en direction des PME.

M. Olivier Carré, Président. Créez-vous des fondations spécifiques ?

Mme Isabelle Lemesle. Plutôt des clubs de mécènes. Lorsque nous voulons toucher les particuliers, comme ce fut le cas aussi pour le logis royal du château d’Angers, nous passons par la Fondation du patrimoine.

Les mécènes privilégient désormais les projets pérennes – le temps de l’événementiel est révolu – et de préférence solidaires. Ils sont particulièrement intéressés par les projets à dimension sociale, tels ceux qui font intervenir les compagnons ou les chantiers d’insertion. Le mécénat est donc une voie de développement que nous entendons continuer à explorer.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Certains monuments qui ne sont pas dans le giron du CMN vous semblent-ils en danger ? A-t-on cherché à vous en confier ?

Mme Isabelle Lemesle. Le périmètre du CMN ne cesse de fluctuer. Certains monuments, comme le château du Haut-Koenigsbourg ou l’abbaye de Fontevraud, l’ont quitté récemment cependant que d’autres – le château de Rambouillet, la villa Cavrois – y entraient. Il n’est pas rare que le ministre de la Culture nous demande de prendre en charge l’un ou l’autre, appartenant à l’État. En tant que présidente, je ne peux pas ne pas commencer par m’interroger sur les travaux qui doivent être faits sur ce monument comme sur la possibilité de l’ouvrir au public – car le métier du CMN reste l’ouverture au public. Pour prendre un exemple, la situation du château de Gaillon, dans l’Eure, a été évoquée à plusieurs reprises. Sachant qu’il est complètement en ruine et que son attractivité économique et touristique est faible, je ne vois pas l’intérêt de le transférer au CMN. L’alternative est donc simple : soit le ministère de la Culture continue à assurer lui-même sa conservation parce qu’il y a là un témoignage historique essentiel, soit il faut envisager un projet privé. Dans une économie comme la nôtre, l’activité se déploie partout où elle est opportune. Son absence pose donc une vraie question. À ce jour, le château de Gaillon reçoit un entretien minimal de la part de la DRAC, qui est maître d’ouvrage.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Votre portefeuille va-t-il grossir en 2012 ?

Mme Isabelle Lemesle. Pas que je sache. Je rappelle cependant que, depuis le décret de décembre 2008, qui a mis un terme au système d’affectation précédent, le ministre de la Culture n’a plus son mot à dire. C’est avec les préfets que nous passons désormais des conventions, sur une durée déterminée, comme cela s’est produit pour le château de Rambouillet. Cela pose à mon sens une question politique de fond, mais il ne m’appartient pas d’y répondre.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Le développement de l’offre de restauration et d’hébergement peut-il constituer une ressource à considérer ? Dans quels monuments l’envisagez-vous ?

Mme Isabelle Lemesle. Cette politique n’est pas nouvelle, mais il est vrai que nous cherchons à améliorer le confort du visiteur : dans l’environnement concurrentiel qui est le nôtre, et au risque de choquer certains, le château d’Azay-le-Rideau doit offrir les mêmes commodités qu’Eurodisney. La présence d’un espace de restauration est un élément de cette « montée en gamme ». C’est pourquoi nous avons conduit une première étude sur le développement de cette offre. Qu’il s’agisse de restauration ou d’hébergement, il apparaît que deux conditions doivent être réunies : il faut que le monument s’y prête et que le projet soit économiquement pertinent. L’étude a porté aussi, plus précisément, sur la possibilité de développer une activité de restauration dans quatorze monuments. Un salon de thé a par la suite été ouvert à Azay-le-Rideau – comme souvent en pareil cas, ce ne fut pas chose simple : les commerçants du village ont menacé de s’enchaîner aux grilles du château en criant à la concurrence déloyale ! Nous avons également décidé de créer des espaces de restauration au Palais du Tau à Reims, dans les communs du château de Champs-sur-Marne et à la villa Cavrois.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Confiez-vous leur gestion à des prestataires extérieurs ?

Mme Isabelle Lemesle. Oui, après une mise en concurrence destinée à trouver le meilleur exploitant possible. Dans les lieux où de tels projets n’auraient aucune pertinence économique, nous nous contentons d’installer des distributeurs de boissons.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Les sociétés intéressées sont-elles plutôt des chaînes de restauration ou des particuliers ?

Mme Isabelle Lemesle. Le marché est trop hétérogène et trop disséminé sur le territoire pour intéresser des chaînes. En règle générale, il s’agit de restaurateurs locaux ayant un goût pour le patrimoine.

Une convention a été signée fin 2009 entre le ministère de la Culture et le secrétariat d’État au Tourisme pour favoriser le développement des lieux d’hébergement. Comme le premier métier du CMN n’est pas d’ouvrir des hôtels, mais d’ouvrir des monuments au public, cela suppose de trouver un lieu qui puisse accueillir cette activité sans que les visites en soient perturbées, l’idée étant qu’elle est avant tout là pour contribuer au financement de notre mission culturelle. La rentabilité économique du projet doit cependant être assurée, aussi bien pour l’exploitant que pour le CMN. L’étude que nous avons lancée concernait cette fois vingt monuments. Nous nous concentrons aujourd’hui sur quatre d’entre eux. L’offre envisagée va du gîte rural au quatre-étoiles selon les lieux. Nous remettrons en juin une étude précise au ministre de la Culture, qui tranchera. Il nous faudra alors rechercher des partenaires privés. On touche ici à un sujet délicat, que j’ai à connaître par ailleurs en qualité de membre de la commission chargée de réfléchir à l’avenir de l’Hôtel de la Marine. Il s’agit en effet de travaux qui sont sans commune mesure avec l’installation d’un salon de thé. Or la loi actuelle ne permet pas de conférer systématiquement des droits réels. L’État doit certes rester propriétaire, mais il faudra trouver une solution à ce problème juridique.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Ne peut-on envisager un bail emphytéotique administratif ?

Mme Isabelle Lemesle. Hormis le cas de l’Hôtel de la Marine, qui a fait l’objet d’une loi spécifique en juillet 2010, le bail emphytéotique administratif n’a pas encore été étendu à l’ensemble des établissements publics administratifs de l’État. Peut-être trouverons-nous des instruments juridiques qui heurtent moins les sensibilités, mais on ne contraindra pas les acteurs privés. Nous l’avons nous-mêmes éprouvé lorsque nous avons cherché un exploitant – ce sera finalement Angelina – pour le futur restaurant de l’orangerie de l’Hôtel de Sully. L’exploitant ne peut constituer de fonds de commerce, alors même qu’il prend en charge les travaux. Beaucoup de restaurateurs, dont des gens renommés, sont venus visiter les lieux mais ont refusé de prendre le risque, estimant que le régime du contrat administratif ne leur offrait pas une sécurité suffisante.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Du point de vue de la gestion interne, y a-t-il une différence entre les ressources budgétaires et les ressources affectées ? Ayant connu des allers et retours entre les deux, avez-vous une préférence pour l’un ou l’autre de ces modes de financement ?

Mme Isabelle Lemesle. Comme l’a relevé la Cour des comptes, ces allers et retours ont été imposés au CMN de l’extérieur. Confronté à une crise de financement des travaux patrimoniaux, le Gouvernement a estimé opportun à une époque d’affecter à l’établissement une recette de 70 millions d’euros pour financer des travaux, y compris sur un patrimoine dont il n’était pas chargé… Je n’ai pas de jugement à porter sur le procédé, mais il est clair que le sujet n’avait pas été bien étudié. La ressource affectée a donc été rebudgétisée. En réalité, le problème n’avait pas été pris dans le bon sens. Une première question concernait la maîtrise d’ouvrage sur les cathédrales : il est vite apparu qu’elle n’avait rien à faire dans le périmètre du CMN. Il fallait par ailleurs – ce que nous avons fait par la suite – réorganiser l’établissement, recruter les personnels compétents et mettre en œuvre la compétence de maîtrise d’ouvrage, car on ne donne pas de l’argent à un établissement qui n’est pas en situation de le dépenser efficacement.

Les choses sont toutes différentes avec la taxe affectée d’aujourd’hui. C’est une ressource certaine – plus qu’une ressource budgétaire qui peut être modifiée en cours d’année. Pour un établissement comme le nôtre, qui programme ses travaux à dix ans, c’est un réel avantage. En devenant maître d’ouvrage, nous avons constaté que les travaux nécessaires avaient été ajournés dans de nombreux monuments faute de certitude sur le financement de la deuxième tranche. Bénéficier d’une recette affectée d’un montant garanti pour plusieurs années est donc fondamental pour le CMN, et nous ne souhaitons pas revenir au système antérieur. Au Parlement de dire ce qu’il entend faire du patrimoine national, emblématique de la mémoire de la Nation, et de prendre une décision sur le mode de financement. Pour notre part, nous sommes favorables à ce système de taxe affectée, et même à son déplafonnement.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Le CMN a-t-il le droit d’emprunter ?

M. Brice Cantin. Oui, mais ce droit est soumis à autorisation. En pratique, nous n’en usons pas.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. En ce qui concerne la gestion des ressources humaines, la Cour des comptes a constaté un défaut d’attractivité de la filière accueil-surveillance-magasinage, qui comptait 478 ETP en 2009. Faut-il envisager une externalisation de ces fonctions ? Quelles en seraient les conséquences budgétaires ?

Mme Isabelle Lemesle. Notre principal problème tient au statut des agents censés être sous l’autorité du président de l’établissement. Je ne connais aucun patron qui ne recrute lui-même ses collaborateurs, et qui ne puisse ni les promouvoir, ni les sanctionner. Or la plupart des 478 agents dont vous parlez ne sont pas des agents du CMN – ils ne se perçoivent d’ailleurs pas comme tels. Ce sont des agents du ministère de la Culture affectés à notre établissement, qui ignorent l’autorité hiérarchique de proximité – l’administrateur du monument.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Diriez-vous que c’est un État dans l’État ?

M. Olivier Carré, Président. … ou dans l’établissement !

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Le CMN n’est, hélas, pas le seul établissement culturel dans ce cas.

Mme Isabelle Lemesle. Nous voulons que cela change. Le plus facile serait de détacher les agents mais cela ne semble pas possible pour les agents de catégorie C. En outre, comme la Cour des comptes l’a relevé, l’insuffisance des effectifs contraint l’établissement à recruter des contractuels sur des postes d’agent. Comment gérer dans un même monument deux catégories qui vivent différemment l’exercice de leurs fonctions ?

Vous m’interrogez sur l’opportunité d’une externalisation. Encore faudrait-il que le secteur privé soit à même de répondre à la demande. Personnellement, je n’en suis pas certaine : nos monuments sont disséminés sur l’ensemble du territoire ; dans les petits monuments, l’agent d’accueil fait tout, de l’accueil proprement dit à la caisse en passant par le nettoyage des toilettes. Cette polyvalence est une qualité rare.

Il faut ensuite s’interroger sur le coût de la mesure. À cet égard, les quelques expériences d’externalisation que nous avons tentées sont économiquement édifiantes. La surveillance nocturne de la villa Savoye, chef-d’œuvre de Le Corbusier, située en zone sensible à Poissy, a longtemps été assurée par un agent logé – fort mal – sur place. Lorsque nous l’avons relogé ailleurs, nous avons fait appel à une société de gardiennage. Le surcoût par rapport au système précédent est de 30 %.

M. Olivier Carré, Président. Pourquoi ne pas avoir réhabilité l’appartement ?

Mme Isabelle Lemesle. Il s’agissait d’une pièce de vingt mètres carrés, dans laquelle il n’était décemment plus possible de loger quelqu’un. Par ailleurs, le pavillon fait partie de l’ensemble corbuséen : il convenait donc de mettre fin à son occupation.

Pour conclure, la solution la plus facile me semble être le détachement, moyennant bien sûr un transfert de masse salariale.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Le ministère de la Culture y est-il opposé ?

Mme Isabelle Lemesle. Il ne nous donne aucune indication précise. Rappelons qu’il s’agit d’un ministère extrêmement sensible sur le plan social.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Le détachement me semble tout de même envisageable.

Mme Isabelle Lemesle. Si vous savez comment faire détacher des agents de catégorie C, donnez-moi la marche à suivre !

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Je pense que nous y arriverions pour peu que la tutelle y soit favorable.

Mme Isabelle Lemesle. Les termes du problème sont simples. Pour ouvrir un monument, nous avons besoin – pour des raisons de sécurité et sauf à réduire les heures d’ouverture – d’un nombre minimum d’agents. À partir de là, il y a un choix politique à faire : recourt-on à des fonctionnaires ou à des contractuels ? Ou à l’externalisation, qui a aussi un coût ? Je demande simplement que l’État nous donne les moyens d’exercer la mission qu’il nous a confiée. À lui de trancher !

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Je vous remercie pour cette intéressante audition.