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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

Jeudi 26 mai 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 34

Présidence de M. Olivier Carré, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Renard, directeur du Centre national des variétés et du jazz (CNV), sur le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

M. Olivier Carré, Président. J’accueille maintenant M. Jacques Renard, directeur du Centre national des variétés et du jazz (CNV).

Vous connaissez le principe de la MEC, qui est de formuler des propositions recueillant un consensus sur des politiques publiques ou des thèmes se rapportant à la gestion de l’État. Deux des trois rapporteurs, MM. Richard Dell’Agnola et Marcel Rogemont, retenus par ailleurs, vous prient d’excuser leur absence ce matin. C’est donc M. Nicolas Perruchot qui vous posera les questions qu’ils ont préparées en commun.

Selon l’usage de la MEC, nous serons accompagnés par la Cour des comptes, en la personne de M. Emmanuel Marcovitch.

Monsieur le Directeur, vous pourriez dans un premier temps nous présenter le Centre national des variétés et du jazz, en rappelant brièvement ses principales missions, son organisation et les défis auxquels il est actuellement confronté.

Puis les questions porteront plus particulièrement sur vos recettes.

M. Jacques Renard, directeur du Centre national des variétés et du jazz (CNV). Créé au début des années 2000, le CNV est un établissement public industriel et commercial qui a succédé à l’Association du fonds de soutien aux variétés, elle-même issue en 1986 du Fonds de soutien au théâtre privé.

Il a pour fonction de percevoir une taxe de 3,5 % sur tous les spectacles relevant du champ des musiques actuelles et des variétés et d’en redistribuer le produit aux professionnels et aux entrepreneurs de spectacles – et non aux artistes – via dix commissions. La répartition passe par un double mécanisme de droit de tirage et d’aide sélective.

Nous jouons donc le rôle d’un petit Centre national du cinéma dans le secteur de la musique actuelle et des variétés : perception d’une taxe obligatoire et redistribution aux bénéficiaires. Le droit de tirage, qui n’est pas totalement automatique, représente 65 % de la redistribution et les aides sélectives absorbent les 35 % restants, la différence avec le CNC étant à cet égard très faible.

Nous aidons au développement économique des entreprises de spectacles et, à travers ce soutien, contribuons à la promotion de la diversité culturelle et artistique. Notre mission première est en effet de rassembler la profession, d’en fédérer les acteurs, qui sont très divers, et, grâce au mécanisme de mutualisation que je viens de décrire, de faire reposer sur le succès rencontré par les grands spectacles l’aide au développement d’artistes, aux nouveaux talents, aux salles de spectacles, aux résidences de musiques actuelles et aux festivals, lesquels sont souvent déficitaires.

Nous sommes également chargés, par délégation du ministère de la Culture, du programme Zénith – dix-sept salles en France. De nouveaux projets apparaissent, notamment de construction de salles de spectacles. Nous disposons par ailleurs d’un centre de ressources qui joue un rôle d’observation, d’information, d’expertise et de conseil auprès des professionnels et qui publie les documents que nous vous avons adressés, notamment les rapports d’activité. Nous organisons des débats, des conférences et des réunions. Nous disposons enfin de réseaux de promotion commerciale, afin de faciliter l’accès des entreprises de spectacles à la publicité par voie d’affichage, notamment dans les gares ou les stations de métro, ce qui leur permet de trouver de nouveaux spectateurs.

L’évolution de la taxe est positive depuis trois ans : son produit est passé de 17 millions en 2007 à 23,5 millions en 2010, l’augmentation dépassant même 16 % l’année dernière. Cette progression repose sur le succès rencontré, surtout en 2009, un peu moins en 2010, par les grands spectacles, les grosses productions ou les gros festivals. De plus, les cabarets font à présent partie de notre champ de compétence : ils ont généré, surtout les cabarets parisiens, des recettes non négligeables en 2010.

Cette augmentation des recettes ne doit pas masquer la situation très difficile du spectacle vivant musical : si les grosses productions marchent très bien, les petites et les moyennes salles et les spectacles centrés sur les artistes « en développement » et les nouveaux projets connaissent en revanche une diminution de leurs recettes, en raison d’une baisse des réservations et de la fréquentation dont les responsables de salles nous disent qu’elle s’accentue cette année. Seuls échappent à ce phénomène certains festivals rassemblant un large public.

Il faut donc se méfier de l’effet trompe-l’œil que pourraient produire l’augmentation des recettes de la taxe et le succès rencontré par les grands spectacles. La réalité, c’est que la profession est confrontée à de graves difficultés.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Monsieur le directeur, l’établissement a-t-il toujours bénéficié de ressources affectées ? Qu’est-ce qui a motivé le recours à ce type de financement ? Quels en sont les avantages et les inconvénients par rapport à un financement sur crédits budgétaires ? Seriez-vous enclin à préférer un financement par subventions de l’État ?

M. Jacques Renard. Le fonctionnement de l’établissement a toujours reposé sur cette taxe affectée. Lors de sa création, il a bénéficié d’une aide en fonctionnement du ministère de la Culture d’un montant d’un million d’euros, qui a été, il y a deux ans, réduite à 100 000 euros. Nous recevons de plus, pour le programme de résidences de musiques actuelles que nous gérons par délégation du ministère, une subvention couvrant les dépenses et les aides correspondantes.

La taxe affectée est liée à la mission même de l’établissement, qui est une mission de mutualisation des ressources au service de l’intérêt général de la profession. Les grands spectacles de Johnny Hallyday ou de Mylène Farmer financent les artistes en développement par le biais des aides sélectives qui ne vont pas en priorité, vous vous en doutez, aux spectacles les plus courus.

Comme je l’ai dit, le produit de la taxe a augmenté entre 2007 et 2010. Outre cet avantage conjoncturel, notre mode de financement a celui de nous faire échapper aux conséquences des difficultés rencontrées par les finances publiques, nationales ou locales : par les temps qui courent, les subventions augmentent rarement ! Il nous rend autonomes, nous épargnant la probable stagnation de nos moyens d’intervention que nous aurions éprouvée si nous vivions des subventions de l’État.

Les inconvénients sont le revers des avantages : en cas de baisse des recettes et des tarifs des gros événements musicaux, nos propres recettes diminueraient également, ce qui entraînerait la diminution des aides que nous apportons. Tel n’est pas le cas aujourd'hui et, en dépit des difficultés actuelles, les perspectives sont bonnes pour les grosses productions en 2012. De plus, les cabarets, récemment entrés dans notre « giron », nous offrent encore une marge de progression : en effet, nous n’avons touché pour l’instant que les cabarets parisiens. Nous étendons donc notre fonction d’explication de la taxe aux cabarets de province.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Cela se passe-t-il bien ?

M. Jacques Renard. Oui, parce que nous travaillons avec la chambre syndicale des cabarets artistiques et discothèques. Nous avons réuni l’ensemble des cabarets de province pour effectuer auprès d’eux un travail de pédagogie. Nous essayons de ne pas apparaître d’abord comme une administration fiscale mais comme un établissement qui a une mission à remplir. En tant qu’administration fiscale, nous ne recourons au bâton qu’en cas de besoin.

Nous avons également une marge de progression liée au caractère déclaratif du dispositif : tous ceux qui devraient payer la taxe ne la versent pas, soit par méconnaissance
– c’est le cas des petits spectacles ou des spectacles d’amateurs, occasionnels ou de comité des fêtes –, soit par oubli – dans ce cas, nous rappelons notre existence. Cela étant, les progrès que nous pouvons espérer de ce côté se traduiront plus par une augmentation du nombre de redevables que par une augmentation de la masse fiscale, car il s’agit pour l’essentiel de petits entrepreneurs.

Nous améliorons également notre capacité de recouvrement et de contentieux : il y a deux ou trois ans, l’établissement ne disposait pas encore d’un agent comptable à temps plein, ce qui est le cas désormais. Cette plus grande rigueur dans la perception de la taxe nous permettra d’accroître nos ressources dans les deux ou trois prochaines années.

M. Olivier Carré, Président. Qu’en est-il des spectacles dits « gratuits » ?

D’autre part, votre tarification prévoit-elle un montant en dessous duquel vous ne percevez pas la taxe ?

M. Jacques Renard. En cas de spectacle gratuit, la taxe a pour assiette le montant du contrat de cession du producteur à l’organisateur du spectacle. Lorsqu’il n’y a pas de contrat de cession, nous ne percevons aucune taxe.

Par ailleurs, lorsque la taxe perçue, au terme de l’année civile, est inférieure à 80 euros, nous la remboursons en début d’année suivante, conformément à la loi de finances
– c’est un système informatique qui nous signale les bénéficiaires de ce remboursement. Cela permet d’épargner les petits spectacles, auxquels nous sommes très attentifs. Si tous les spectacles sont redevables de la taxe, nous ne voulons pas décourager les spectacles occasionnels ou d’amateurs. La loi s’applique donc à eux avec une certaine souplesse puisqu’ils doivent générer plus de 80 euros de taxe pour que le CNV la conserve.

M. Olivier Carré, Président. Il existe, pour les administrations, des dispositions réglementaires fixant des montants minimaux – autour de 150 euros, je crois – en dessous desquels une taxe n’est pas recouvrée, compte tenu des coûts de gestion afférents aux prélèvements. Vous préférez donc, vous, percevoir, puis rembourser…

Quel est le montant des recettes provenant des spectacles dits « gratuits » ?

M. Jacques Renard. Ils doivent procurer quelque 5 % des recettes.

M. Olivier Carré, Président. Que représentent-ils en nombre de dossiers ?

M. Jacques Renard. De mémoire, le pourcentage doit être du même ordre : 5 %.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Les entrepreneurs de spectacles, cabarets compris, qui ont versé la taxe ont la garantie d’un retour des deux tiers, le troisième tiers étant versé à un pot commun et attribué sous forme d’aides aux projets. Ne préféreriez-vous pas percevoir 1,5 % sans retour plutôt que 3,5 % avec un retour des deux tiers ?

M. Jacques Renard. Le droit de tirage n’est pas totalement automatique : l’entrepreneur de spectacles doit faire état de projets de production dans les vingt-quatre mois qui suivent le paiement de la taxe pour demander à en bénéficier ; son dossier passe alors devant une commission, dont la réponse est positive dans 99 % des cas.

Le taux de la taxe était à l’origine de 1,75 %. Lorsqu’il a été porté à 3,5 %, le consensus entre l’administration et les professionnels s’est fait pour le partage actuel de la redistribution : 65 % en droit de tirage et 35 % en aides sélectives – je précise que l’assiette de la taxe est hors TVA. Ce retour de 65 % garantit aux entreprises de spectacles une aide très appréciée pour monter leurs nouveaux projets. Elles sont donc soucieuses de préserver le système, qu’il s’agisse du droit de tirage ou des aides sélectives, même si elles peuvent avoir de temps à autre des mouvements d’humeur.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Votre taux de satisfaction des demandes d’aides est élevé : près de 83 % des dossiers instruits en commission sont acceptés, ce qui peut conduire à s’interroger sur la force et la pertinence des critères de sélection. Ne conviendrait-il pas de les revoir ? Le taux évolue-t-il ou est-il stable ?

M. Jacques Renard. Il existe à la fois des critères de recevabilité administrative et des critères d’appréciation, lesquels constituent, pour les commissions, comme un fil conducteur.

Le taux d’acceptation est variable selon les commissions – s’il est de 99 % pour le droit de tirage, il est plus bas pour les dossiers d’aides sélectives.

Cette proportion élevée s’explique par la professionnalisation croissante du secteur, professionnalisation qui était très peu développée dans les années quatre-vingt, voire au début des années quatre-vingt-dix encore. Les professionnels étant de plus en plus au fait des mécanismes et connaissant les écueils à éviter, les dossiers qu’ils présentent répondent de mieux en mieux aux critères d’appréciation de la commission. Du reste, le taux de recevabilité des dossiers était un des indicateurs chiffrés figurant dans le précédent contrat de performance passé avec le ministère de la Culture.

Cela étant, avant mon arrivée, l’établissement avait, à la suite de la crise, mis en place un plan de soutien de deux ans en faveur des entreprises dont l’existence était menacée et la commission d’attribution de ces aides était très sélective. Ce plan a fait place cette année à un autre type d’aide aux entreprises en difficulté et, pour avoir participé à la commission, je puis vous dire que nombre de dossiers ont également été rejetés.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Quel est le poids du CNV dans l’ensemble de l’économie du secteur ?

M. Jacques Renard. Les chiffres 2009 de la diffusion font apparaître des recettes de billetterie de 600 millions d’euros pour 40 000 représentations et 20 millions de spectateurs. Le chiffre de 600 millions d’euros est certes sous-estimé puisque nous ne couvrons pas la totalité des spectacles : toutefois, les véritables professionnels ne font aucune difficulté pour verser la taxe, ce qui nous permet de la percevoir sur la majorité des grosses recettes. Notre budget étant de 25 à 30 millions d’euros avec l’ajout des recettes commerciales et des subventions, nous pesons quelque 5 %.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Quelle est l’évolution du chiffre d’affaires ?

M. Jacques Renard. En 2009, elle a été très positive en raison du nombre élevé de grosses productions et de l’augmentation de leurs tarifs, le tout générant des recettes importantes. Le public a suivi – il n’est qu’à mentionner les tournées de Johnny Hallyday ou de Mylène Farmer ou certains grands festivals.

Nous n’avons pas encore les chiffres définitifs de 2010, la taxe pouvant être payée jusqu’à la fin du mois de mars de l’année suivante. Nous observons déjà un ralentissement en raison des difficultés que j’ai déjà évoquées, ralentissement qui est compensé en termes de recettes par les revenus issus des cabarets et de quelques grosses productions. Celles-ci ont toutefois été moins nombreuses qu’en 2009 mais on note un ressaisissement cette année et, en 2012, de très grosses productions permettront au secteur de redémarrer.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Le cycle n’est donc pas annuel…

M. Jacques Renard. L’évolution est très difficile à prévoir car nous ne connaissons pas toutes les grosses productions à l’avance. Certains spectacles étrangers sont annoncés très en amont alors que la visibilité, pour d’autres, n’est qu’à deux, trois ou quatre mois. Ainsi plusieurs grands spectacles, qui généreront une billetterie importante, sont prévus pour le mois de juin 2011 au Stade de France mais nous l’ignorions il y a trois mois à peine.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Les producteurs attendraient-ils pour se lancer ?

M. Jacques Renard. Certains projets ont besoin de temps pour être montés, comme la Nuit africaine qui se déroulera au Stade de France le 11 juin prochain : 55 000 spectateurs ont déjà réservé des places dont le prix moyen tourne autour de 40 à 50 euros. Je puis donc déjà avoir une idée des recettes que percevra le CNV. Or les organisateurs du projet n’étaient pas certains il y a encore deux mois de pouvoir le monter, pour des raisons de visas notamment.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Le produit de la taxe est partagé entre le CNV et l’Association pour le soutien au théâtre privé (ASTP). Afin d’éviter tout risque de dispersion des actions et des moyens, ne faudrait-il pas préférer à l’actuel partage des tâches et de la taxe une centralisation des missions et des financements publics ?

M. Jacques Renard. Il n’y a pas à proprement parler partage puisqu’il existe deux taxes : une sur les spectacles de variétés, l’autre sur les spectacles théâtraux, lyriques et chorégraphiques. Le débat que nous avons avec nos amis de l’ASTP porte sur la délimitation des deux catégories de spectacles, et plus particulièrement sur l’appartenance des comédies musicales à l’une ou à l’autre.

En effet, les comédies musicales traditionnelles – une opérette d’Offenbach, par exemple – relèvent de l’ASTP, les autres du CNV, mais la frontière est très floue… et nos deux organismes ont une conception extensive, qui du traditionnel, qui du non traditionnel !

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Qui tranche en cas de désaccord ?

M. Jacques Renard. En cas de désaccord persistant, le décret prévoit une commission d’arbitrage, placée sous l’autorité du ministre de la Culture.

La tendance actuelle est à la multiplication des spectacles conflictuels. Les décrets de 1976 donnent des définitions contestables des musiques actuelles, des variétés et de la chanson ou des spectacles théâtraux, lyriques et chorégraphiques. Que sont le théâtre musical, une comédie musicale, un spectacle d’humour ? Tout cela est un peu ubuesque car la vie artistique se nourrit de transdisciplinarité, du croisement des genres, tandis que nos deux institutions essaient chacune de tirer à elle le maximum de taxes.

Le ministère, l’ASTP et le CNV réfléchissent depuis plusieurs années à une solution. Pour modifier les décrets, il faudrait arriver à une rédaction consensuelle, ce qui est très difficile. Un projet de circulaire, l’année dernière, n’a pas fait consensus. L’idéal serait peut-être d’avoir un organisme unique, mais la réalité des professions fait que chacun est attaché à son territoire.

Mais le problème est encore plus vaste. Le ministère a lancé une mission sur le financement de la diversité musicale à l’ère numérique et va bientôt en annoncer une autre sur le financement du spectacle vivant. Or nous sommes concernés par les deux. La première approche, qu’on pourrait dire verticale car intéressant la filière qui réunit l’édition, la production discographique et le spectacle vivant, pourrait conduire à la création d’un Centre national de la musique, en partant, peut-être, du CNV. Le spectacle vivant musical s’allierait alors à la production discographique. Dans la seconde approche, le point de vue est horizontal – théâtre, danse et musique classiques, danse et musique actuelles –, l’idée étant de créer une Agence nationale du spectacle vivant : nous y serions au titre du spectacle, le problème de frontière entre l’ASTP et le CNV étant alors résolu à des conditions satisfaisantes.

Il existe donc deux approches possibles pour notre établissement : celle de la filière musicale et celle du spectacle vivant, puisque nous appartenons aux deux.

Néanmoins, notre débat avec l’ASTP ne nous empêche pas de vivre : les conflits ne portent que sur les spectacles dont la définition peut faire problème, ce qui est loin d’être la majorité.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Lequel des deux organismes craint le plus une éventuelle fusion ?

M. Jacques Renard. Personne ne l’envisage ! Le CNV est un système en expansion, contrairement à l’ASTP, constituée pour l’essentiel par le regroupement de la quarantaine de théâtres privés parisiens. C’est pourquoi elle est plus sur la défensive que nous, ce qui explique sa tentative de mainmise sur les comédies musicales non traditionnelles : ce genre étant en plein développement, elle y voit un moyen de sortir de sa relative stagnation.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Elle a, semble-t-il, peur de l’absorption. Mais, pour un observateur extérieur, une fusion semblerait logique.

M. Olivier Carré, Président. Tout dépend de la finalité ultime des deux établissements. Est-elle identique ? L’ASTP, me semble-t-il, se préoccupe avant tout de soutien alors que le CNV tend davantage à favoriser l’affirmation de nouveaux talents.

M. Jacques Renard. L’ASTP s’occupe du théâtre privé – je le répète : essentiellement de la quarantaine de théâtres privés parisiens.

M. Olivier Carré, Président. Il aurait peut-être été plus judicieux de lui attribuer les cabarets…

M. Jacques Renard. Non, car les cabarets présentent des spectacles de variétés, de divertissement et de music-hall, qui relèvent de notre champ de compétence.

Les théâtres privés ne souhaitent pas du tout la fusion avec le CNV : ils ont leurs traditions, leurs règles ; un consensus interne préside à leurs relations. La finalité de l’ASTP est de les préserver des menaces qui pèsent sur eux, en particulier sur leurs salles.

Notre logique est différente. Les variétés se trouvaient jadis logées dans une sorte d’annexe du Fonds de soutien au théâtre privé mais l’enfant s’est développé depuis et est devenu plus grand que le parent ; nos artistes ne souhaitent pas une fusion qui serait un retour en arrière.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Quelle est l’attitude des redevables de la taxe ? La jugent-ils légitime et adaptée à la réalité économique ? Proposent-ils des dispositifs alternatifs ?

M. Jacques Renard. Les professionnels qui organisent de grosses tournées ou qui s’occupent du « développement » d’artistes sont très attachés au système parce qu’ils ont compris l’intérêt du mécanisme de redistribution et les avantages procurés par l’établissement public : information, possibilité de dialoguer avec le reste du secteur…

À l’intention des petites associations, nous organisons un grand nombre de réunions sur le terrain pour faire connaître et expliquer la taxe. Depuis mon entrée en fonction, je me suis personnellement déplacé une vingtaine de fois pour discuter avec elles, avec les professionnels et avec les élus locaux, que ce soit au niveau régional ou au niveau départemental, voire intercommunal. Je cherche à toucher tous ceux qui sont potentiellement concernés par la taxe. Nous ne rencontrons ni hostilité ni rejet – à moins que nous n’ayons à réclamer à des organisateurs le paiement rétroactif de la taxe.

Je me suis entretenu récemment avec les responsables d’une fédération qui regroupe 2 500 comités des fêtes : la rencontre a été très fructueuse. Ils souhaitent coopérer avec le CNV et j’irai début juin à leur congrès national pour présenter à plusieurs centaines de présidents de comités les activités du CNV et le mécanisme de la taxe. Développer ainsi l’information permet d’arrondir les angles au besoin. Nous allons bientôt tirer à 20 000 exemplaires une nouvelle plaquette de présentation du CNV et la diffuser sur l’ensemble du territoire.

M. Olivier Carré, Président. Pensez-vous vraiment que les responsables de comités des fêtes s’inscrivent dans la même logique que les grands organisateurs de spectacles ? En tant qu’élu local, je doute qu’ils voient la taxe avec les mêmes yeux : pour eux, c’est une simple dîme, surtout en l’absence de recettes.

M. Jacques Renard. La logique partagée est artistique et musicale.

M. Olivier Carré, Président. La loi a assurément institué le CNV en vue de soutenir la création, mais il n’est pas certain que l’artiste qui se produit dans une simple salle des fêtes entre dans cette logique. Constatez-vous l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes dans les spectacles de salles des fêtes ou le phénomène n’est-il qu’anecdotique ?

M. Jacques Renard. Tous les artistes qui ont acquis une notoriété ont débuté dans de petites salles.

M. Olivier Carré, Président. Je n’en disconviens pas, mais certains types de spectacles resteront très circonscrits à un certain public, indépendamment de la qualité de l’artiste.

M. Jacques Renard. Les recettes de la taxe permettent de financer le renouvellement artistique.

Aussi bien la SACEM que le CNV peuvent être mal perçus par les organisateurs des spectacles occasionnels ou par les responsables de comités des fêtes, mais je n’ai pas le sentiment que nous nous heurtions à un rejet violent de la taxe.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Les professionnels du spectacle anticipent-ils la transposition de la directive européenne « services » et ses conséquences sur l’exercice de la profession d’entrepreneur de spectacles ? Comment vous y préparez-vous vous-mêmes ?

M. Jacques Renard. Jusqu’à maintenant, l’entrepreneur européen ou non européen devait s’adosser à un entrepreneur français. Désormais, l’entrepreneur européen non établi en France pourra y organiser un spectacle en procédant à une simple déclaration préalable, les entrepreneurs non européens – et donc les Américains, dont la part n’est pas négligeable – continuant de devoir s’adosser à un entrepreneur français.

Nous ne sommes pas capables d’évaluer le nombre de ces opérateurs européens qui produiront des spectacles en France sans s’y établir, mais nous travaillons avec le ministère de la Culture et avec les professionnels à une adaptation du dispositif de perception de la taxe puisqu’ils devront, de toute façon, la payer. Ils pourront même bénéficier du système d’aide dans les mêmes conditions que leurs homologues français, mais à condition qu’ils s’affilient au CNV.

Il convient toutefois de noter que les entrepreneurs européens soumis au régime de la déclaration préalable ne seront pas obligés de prendre une licence, alors que les entrepreneurs français y sont contraints pour être affiliés à l’établissement : il y aurait donc inégalité entre eux et il faudra prévoir un dispositif d’analyse des dossiers de ces entrepreneurs européens permettant d’y remédier.

Cela étant, il s’agira le plus souvent de spectacles occasionnels ou temporaires, sinon ces entrepreneurs s’installeraient en France, comme certains l’ont déjà fait – ainsi Live Nation, qui est affilié au CNV et à une organisation syndicale. Or, si le nombre de représentations est égal ou inférieur à six, il n’est pas, aujourd'hui, nécessaire de prendre une licence d’entrepreneur de spectacles. Peut-être conviendrait-il de s’inspirer de cette règle pour les entrepreneurs européens non établis en France : ils ne pourraient pas bénéficier du système d’aide s’ils ne donnent pas plus de six représentations. Ce serait une autre façon de rétablir l’égalité.

Le dispositif n’est pas encore arrêté. Nous y travaillons depuis plusieurs mois avec les professionnels et avec le ministère de la Culture. L’objectif est d’être prêts à la rentrée. Nous nous sommes également interrogés sur la traçabilité de la perception de la taxe. Nous avons proposé au ministre de la Culture et obtenu, avec l’accord, semble-t-il, du ministère des Finances, une modification du code général des impôts permettant l’institution d’un système de représentation fiscale : l’entrepreneur européen non établi en France sera contraint de recourir à un représentant fiscal qui, à sa place, s’acquittera des formalités et versera la taxe sur les spectacles de variétés. Ce dispositif permettra d’assurer le versement effectif de la taxe.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Comment vivez-vous les rachats ou les regroupements d’entreprises de production ? Je pense à Gilbert Coullier Production, à Jean-Claude Camus Production ou encore à Marc Ladreit de Lacharrière, qui n’appartenait pas au secteur de la production. Je ne les accuse pas de faire de l’optimisation fiscale en vue d’échapper à la taxe, mais la concentration peut favoriser l’évasion fiscale si les sociétés sont basées ailleurs qu’en France.

M. Jacques Renard. Ce point agite beaucoup la profession. Depuis quelques années, on peut distinguer quatre types de nouveaux entrants : les multinationales, comme Live Nation ; les producteurs de disques qui font du « 360° » et deviennent producteurs de spectacles ou, comme Warner, prennent des participations dans des sociétés d’entreprises de spectacles ; les grandes entreprises de communication comme Lagardère, qui a pris des participations dans des sociétés d’exploitation de salles ou de production de spectacles ; enfin, des sociétés extérieures au secteur culturel, comme la FIMALAC de M. Ladreit de Lacharrière – encore que celui-ci ne soit pas étranger à ce domaine.

La profession craint non sans raison une concentration, verticale ou horizontale : Live Nation est aujourd'hui producteur de spectacles, organisateur de festivals, gestionnaire de salles et il vient de racheter Ticketnet qui est le deuxième réseau de distribution de billets en France. Il s’agit là d’une concentration verticale caractérisée. Le CNV a constitué un groupe de travail sur les moyens de préserver la diversité culturelle et artistique face aux conséquences de ces concentrations. Ne conviendrait-il pas d’imiter le cinéma, secteur extrêmement réglementé – notamment du point de vue financier – grâce au CNC et à un dispositif anti-concentration, et pourvu de surcroît d’un médiateur ? Rien de tel n’existe pour le secteur des musiques et du spectacle vivant, exception faite de la réglementation sur les droits d’auteur et de celle sur les entreprises de spectacles. Nous réfléchissons donc à cette possibilité mais ne nous est-elle pas fermée ? Nous sommes un secteur ouvert et rien ne dit que les institutions européennes seraient d’accord…

Il convient en tout cas de préserver l’écosystème du spectacle vivant musical : les producteurs doivent conserver la possibilité de monter des projets assurant le renouvellement artistique. Telle est la question d’intérêt général qui se pose à la profession.

M. Olivier Carré, Président. La profession doit également relever le défi d’Internet : toucher les réseaux artistiques en se faisant connaître sur la Toile ne coûte quasiment rien.

M. Jacques Renard. C’est vrai, la révolution numérique n’affecte pas seulement la musique enregistrée, mais également, du moins potentiellement, le spectacle vivant. Il peut y avoir des représentations de spectacles vivants sur la Toile, soit en direct, soit en différé. Le phénomène est assez peu développé pour l’instant, mais des projets de cette nature existent. La filière musicale et le ministère de la Culture s’interrogent : comment préserver les capacités de création et de production dans l’environnement numérique ?

J’ai suggéré trois pistes pour étendre le champ de la taxe sur les spectacles de variétés. La première concerne précisément les représentations sur Internet : dès lors qu’il s’agit de nouveaux spectacles, pourquoi ne pas les imposer ? Le ministère de la Culture réfléchit lui-même à une taxation des fournisseurs d’accès pour financer la création musicale. Pourquoi, par exemple, ne pas s’appuyer sur la taxe sur les spectacles de variétés ?

Ma deuxième suggestion concerne les spectacles qui font l’objet de retransmissions dans des salles, notamment de cinéma, en direct ou en différé. Le phénomène est en pleine expansion. N’y aurait-il pas lieu d’appliquer la taxe sur les spectacles de variétés à ces représentations ?

Enfin, les parcs de loisirs du type Disneyland ou Parc Astérix donnent des spectacles parfois liés à des attractions permanentes mais qui peuvent aussi en être totalement indépendants. Or ces parcs ne versent pas la taxe sur les spectacles de variétés. J’ai commencé de prendre des contacts en vue de corriger cela et je ne désespère pas d’arriver à mes fins avec l’aide des pouvoirs publics.

M. Olivier Carré, Président. On constate que 57 % des redevables versent moins de 1 000 euros de taxe, procurant 3 % seulement de vos recettes. Compte tenu du coût de recouvrement, est-il rentable de maintenir ces recettes ?

M. Jacques Renard. Il faut maintenir la solidarité de l’ensemble de la chaîne : les professionnels du spectacle y sont très attachés. D’autre part, le recouvrement des taxes sur les petits spectacles ne représente qu’une part négligeable de nos frais de fonctionnement et de personnel – ces 57 % de redevables n’occupent pas 57 % de notre temps de travail ! Pour l’essentiel, nos frais sont liés au mécanisme général de perception de la taxe auprès des professionnels et à la répartition des aides sélectives.

M. Olivier Carré, Président. Je vous remercie, monsieur le directeur.